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Droit commercial
Livre I – Théorie générale de la commercialité
I. Généralités
Il n’existe pas de définition précise de ce qu’est le droit commercial, pour la raison qu’il
régit moins une matière qu’un certain type de relation. Le droit commercial a pour objet les
relations économiques, les relations d’affaires. On parle d’ailleurs ainsi bien souvent de droit
des affaires, droit économique, droit des entreprises,… La diversité des appellations est elle-
même significative des difficultés d’en définir l’objet.
On part traditionnellement d’une définition technique : le droit commercial est un droit
particulier qualifié de droit privé d’exception qui s’adresse aux commerçants. Par droit privé
d’exception, on entend qu’il s’est construit, au fil du temps, en marge du droit commun. Il ne
constitue pas une simple application du droit au civil au monde du commerce. Il a généré ses
propres règles de droit, spécifiques aux secteurs. Les destinataires du droit commercial, ce
sont les commerçants.
Lorsqu’on parle de droit commercial au sens strict, on est dans l’idée d’une
règlementation d’une profession, celle de marchand, de commerçant. Le droit commercial nait
autour des normes que se donnent les marchands. Il s’agit des règles liées à une qualité
spécifique dans la société, celle d’être commerçant, marchand. Cette approche ne permet
néanmoins toujours pas de saisir l’objet réel de ce droit.
Le droit commercial s’est profondément transformé et, s’il est vrai qu’il est au départ un
droit des marchands, il devient aujourd’hui quelque chose de beaucoup plus indéfinissable.
On passe d’une règlementation d’une profession à une règlementation d’un type d’activité,
qui est l’activité économique, au sens extrêmement large du terme. Le droit commercial
traduit, en termes juridiques, l’armature et le mécanisme des activités économiques.
Il faut constater que l’Etat s’immisce assez bien dans l’activité économique. Peut-on
dès lors continuer à parler de « droit privé » ? En effet, le droit économique est
instrumentalisé par le politique pour que celui-ci puisse mener ses politiques étatiques,
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économiques. La fiscalité est un des instruments de l’Etat pour intervenir dans l’économie,
attirer des capitaux ou des sociétés sur son territoire, etc. Où mettre la limite de ce droit
insaisissable ? Certains auteurs partent de quatre principes clés propres à toute économie
libérale et autour desquels se construirait le droit des affaires :
1° Dans toute économie libérale, il s’agit de règlementer l’activité d’agents économiques et il
faut savoir déterminer qui sont les acteurs de l’activité économique. Ces acteurs, ce sont les
personnes physiques, individus, qui se retrouvent à jouer un rôle au niveau de l’offre des biens
et services ou au niveau de la demande des biens et services. Les deux agents économiques
qui focalisent l’attention et qui sont aux deux extrêmes de la chaine sont l’entreprise et le
consommateur. Entre les deux, une multitude d’acteurs économiques existent et est
destinataire des règles qui forment le contenu du droit commercial.
2°Le concept de marché ; c’est aujourd’hui le lieu virtuel où se rencontrent les agents
économiques, lieu de rencontre entre offres et demandes. Cette notion de marché est au centre
du développement économique. Tout droit de la concurrence est focalisé sur la règlementation
des marchés et la garantie donnée aux agents économiques qu’ils pourront librement se
développer sur les différents marchés qui s’ouvrent à eux.
3° Lorsqu’il y a u accord sur une vente, il y a contrat. C’est le moyen juridique par excellence
de sceller l’accord intervenu entre les agents économiques. Le droit des affaires va produire
des règles spécifiques qui s’appliqueront dans les relations contractuelles tissées par les agents
économiques sur le marché.
4° Entrer sur le marché implique nécessairement un risque. L’activité économique est un
risque pour soi-même et pour les autres. Pour soi-même parce que l’on prend es engagements
vis-à-vis des partenaires, des autres agents économiques en garantissant cet engagement par
des biens, des créances. Le marché est impitoyable, il n’est pas là pour maintenir à flot des
entreprises économiquement faibles. Si l’on n’est pas efficace, le marché devra nous éliminer.
Autour de cette idée d’expulsion du marché se génère aussi un grand nombre de règles de
droit, les premières étant celles de la faillite.
De ces quatre concepts ; on peut tirer une définition tout aussi vague mais plus
systématique : le droit commercial transpose ces concepts dans l’ordre juridique, concepts au
centre des économies libérales et du capitalisme tels qu’on les connait.
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Entre ce droit des marchands et ce droit des affaires, il y a toute une évolution. Elle
nous explique certaines ambiguïtés du droit commercial actuel. On se trouve dans un droit qui
a explosé mais qui comprend encore des matières destinées à une toute petite partie des agents
économiques et notamment les destinataires initiaux, historiquement, du droit commercial.
L’évolution se marque par l’intervention de plus en plus grande de l’Etat, une augmentation
de la matière qui vient se rassembler sous la bannière du droit économique (ex. : l’e-
commerce). On va vite se rendre compte que les réalités juridiques s’élargissent sans cesse,
qu’il faut donc s’adapter à ces évolutions. Les droits qui font partie du droit des affaires sont
des matières à spécialisation, extrêmement complexes.
Le droit des affaires n’a que faire des frontières étatiques. C’est un droit à dimension
internationale. Il est, par essence, international, et a été largement nationalisé par la suite.
Toutefois, il en retourne aujourd’hui, dans le cadre d’une économie globale, à sa nature
profondément internationale. Cela pose des problèmes spécifiques en termes de besoins
juridiques. L’exemple type est le droit de la concurrence qui est réglé par les traités européens
et qui voit la Commission européenne régner en maitre dans la recherche des infractions et de
leurs sanctions. Même s’il ‘existe des droits nationaux en la matière, ils n’ont plus qu’un rôle
accessoire pour des problématiques limitées aux territoires nationaux ou pour des infractions
qui n’ont d’effet que dans les limites nationales. Finalement, le rôle du droit national en droit
de la concurrence se focalise sur l’organisation des institutions de contrôle et de sanctions des
contrevenants et des procédures qui leur permettent de se défendre. Sur les concepts utilisés,
la réponse se trouve en droit européen.
1. Bref historique du droit commercial
A. Du Moyen-Age au Code de commerce de 1807
Au Moyen-Age, les marchands sont des groupes de personnes itinérants, qui se
déplacent en bande avec des chariots et ne s’arrêtent que pour vendre des biens, ayant
découvert qu’il y avait un moyen de s’enrichir à travers une activité itinérante. L’activité
commerciale nait de ces marchands itinérants. On a l’habitude de pointer le Moyen-Age
comme étant le début de l’historique du droit commercial.
Chez les Romains, il n’existait pas de règles spécifiques de droit commercial en tant que
telles. Les seules règles que l’on trouvait étaient intégrées dans le Code civil. Pour les
Romains, l’activité commerciale est une activité d’esclave et le droit ne lui accorde donc pas
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d’attention particulière puisque c’est au départ des gens qui sont « hors droit ». Il y a un
véritable mépris pour cette activité dans l’Antiquité. Mis à part des coutumes qui ont
principalement trait à l’activité commerciale liée à la navigation, on ne trouve pas grand-
chose dans le droit de l’Antiquité.
Au Moyen-Age, le commerce va renaitre, autour des foires, des ports, …
Les marchands sont confrontés à un problème : les règles qui gouvernent les relations
économiques sont différentes d’une région à l’autre, d’un port, d’une foire, à l’autre. Très vite,
ils se dotent de règles propres à eux, qui sont indépendantes des règles qui seraient édictées au
niveau local. Très vite aussi, ils se dotent de leurs juridictions propres, composées de
marchands eux-mêmes. Ils règlent leurs difficultés, leurs différends, entre pairs. La source de
beaucoup d’institutions juridiques, telle que la faillite, trouvent l’origine dans l’intervention
de ces juridictions.
C’est une justice rendue pour et par les commerçants.
Au départ, c’est un droit coutumier, qui devient néanmoins vite sophistiqué. On met au
point toute une série de techniques juridiques qui marquent encore profondément l’activité
économique d’aujourd’hui, comme les premières sociétés commerciales qui naissant à cause
de l’interdiction des prêts (interdiction par l’Eglise qui va perdurer jusqu’au XVII-XVIIIème
siècles). L’activité du prêt sera réservée à des personnes exclues de la société elle-même,
comme les juifs ou les Lombards. On a une société dans laquelle on apporte des fonds, on a
aussi un gestionnaire qui va répartir les bénéfices de l’activité, ce qui rémunère en fait le prêt
de départ.
On invente aussi les comptes et les virements. Au Moyen-Age, les routes sont
dangereuses : on imagine les lettres de change (au lieu d’une bourse, on se promène avec un
papier à échanger). Petit à petit, ce droit que l’on réserve à une catégorie particulière de
personnes, les marchands, devient un corpus de règles qui régissent toute l’activité de
commerce de l’époque. A partir du XVIIème, nait la notion même de commerçant, qui
n’existait pas auparavant et qui est bien plus large que « celui qui achète et qui vend » : c’est
aussi celui qui produit un bien. Tout le processus de l’activité économique tombe sous
l’empire du droit commercial naissant et l’acteur principal est le commerçant, en tant que
destinataire de ces règles spécifiques.
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Tout doucement, on observe une intervention étatique par le biais de législations. Au
départ, le droit commercial est indépendant des pouvoirs politiques, mais à la fin du Moyen-
Age, l’économie se transforme sous l’impulsion de deux évolutions.
D’une part, l’apparition de l’Etat de droit, des Etats-modernes, et de l’économique qui
se transforme parce que le Roi, pour asseoir son pouvoir, trouve dans l’économie un moyen
d’imposer sa volonté. C’est le début de la grande aventure commerciale en France, lorsque
Charles VII met fin aux grandes guerres contre l’Angleterre et décide, par l’intermédiaire des
bourgeois, de prendre les rênes de l’économie pour s’enrichir. Le commerce, d’ailleurs, n’est
possible que si l’on arrête de faire la guerre. Charles VII s’entoure de bourgeois qui font du
commerce dans toute l’Europe. Les premières grandes législations en France datent du
XVIIème. Jacques Savary a ressemblé les coutumes commerciales de l’époque dans un
corpus de règles qui devient en quelque sorte le premier code de commerce. Avec cette
intervention étatique commence la nationalisation des économies. Les pouvoirs étatiques
édictent aussi des règles pour attirer le monde des affaires à eux, attirer les investissements
dans leur pays. C’est le phénomène du forum shopping. Les Etats essayent de donner un
maximum d’avantages aux commerçants, aux financiers qui veulent bien investir sur le
territoire.
D’autre part, c’est aussi l’avènement du siècle des Lumières, la recherche de la liberté,
la volonté de rompre définitivement avec une certaine organisation de la société qui porte
encore les traces du Moyen-Age. La Révolution française arrive et une des premières choses
faites fut de proclamer la liberté de commerce et d’entreprendre. On reconnait le pouvoir de
faire l’entreprise de son choix à tous. Sous l’Ancien Régime, l’activité économique s’était
structurée autour de corporations qui empêchaient une réelle concurrence entre agents
économiques. On ne pouvait pas fixer le prix des services comme on le voulait, il y avait des
règles à respecter. A la Révolution, on libéralise l’activité économique et on l’inscrit dans un
texte : le décret d’Allarde (2-17 mars 1791). Il interdit les corporations. L’étape suivante est
celle de la publication du Code de commerce (1801), directement inspiré du code Savary.
B. Du Code de commerce à aujourd’hui
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Le Code de commerce n’a rien à voir avec le Code civil. Ce dernier est vanté pour sa
clarté, sa qualité ; on y avait mis les plus grands juristes de l’époque et on avait mis les
moyens pour obtenir une œuvre fondamentale. On ne retrouve rien de cela avec le Code de
commerce. Napoléon n’a pas le même souci de réguler le commerce, comme il avait le souci
de réguler la famille. Il se méfie d’ailleurs des financiers mais il a besoin d’eux pour financer
ses conquêtes. La guerre a créé des insécurités juridiques et il faut rapidement combler le trou
béant laissé par l’abolition du droit de l’Ancien Régime. On a besoin de règles en matières
économiques notamment parce que les banques vont mal : il faut mettre sur pied un régime de
faillite efficace. Il faut assainir le marché économique. On édicte un premier code de 648
articles dont la plupart des dispositions ont trait au droit maritime. Il ne reste, aujourd’hui,
pratiquement rien de ce code. On a décidé, en Belgique, de se doter d’un code de l’économie
et ce code sonnera le glas définitif des dispositions toujours en vigueur. Le code de commerce
a rapidement été considéré comme dépassé, mais il contient tout de même des règles
importantes en matière d’organisation des faillites ou d’organisation judiciaire. C’est une
priorité absolue de pouvoir mettre en place des tribunaux et de donner la possibilité aux
commerçants de pouvoir régler leurs litiges. On a aussi organisé dans ce code certains types
de sociétés commerciales. Force est de constater qu’il n’intégrait même pas toutes les
dispositions à caractère économique de l’époque. Par exemple, le décret d’Allarde n’est pas
repris dans le code.
Le législateur, dès le départ, a légiféré en dehors du Code. Des pans entiers ont disparu
et ont été remplacés par des législations spécifiques. On n’a plus un code de règles de base, ce
qui explique aussi le système éclaté des sources du droit commercial actuel.
Autour de quels principes se sont élaborées ces interventions législatives, qui débutent
dès la publication du code de commerce ? Le principe fondamental de la régulation
économique, c’est celui de la liberté économique. On veut favoriser l’exercice des grandes
libertés économiques et on intervient par la législation. Lorsqu’on organise de nouvelles
formes de sociétés commerciales, c’est pour permettre aux agents économiques d’exercer plus
facilement leurs activités. Lorsqu’on organise l’appel à l’épargne publique, c’est pour
permettre aux sociétés de lever toujours plus de capitaux dont elles ont besoin pour se
développer. C’est le dogme du capitalisme libéral. Il se retrouve encore aujourd’hui au sein de
toute l’organisation du marché unique européen.
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Le droit est toujours paradoxal. D’un côté, on pousse en avant la liberté, de l’autre on se
rend compte qu’elle pose problème et crée son lot de victimes. On prend alors des législations
de type protectionniste. Le droit intervient pour protéger certaines catégories d’agents
économiques. Les premiers sont les travailleurs. C’est aussi la montée en puissance des
mouvances socialistes, qui, entrant dans le gouvernement, produisent de nouvelles normes
pour les sociétés. Suivent alors une série de législations, telle que celle sur la protection des
consommateurs, des internautes, des épargnants,… La législation économique intervient pour
empêcher les excès de l’exercice de cette liberté économique.
On voit aussi une plus grande intervention directe de l’Etat dans l’économie. Durant
certaines périodes, on passe d’une économie libre à une économie dirigée par l’Etat. Ce sont
les périodes d’après-guerre. Suite aux deux grandes guerres, l’économie est par terre et c’est
l’Etat qui doit pallier les déficiences du secteur privé. A partir du moment où l’Etat ne permet
pas de choisir le prix, c’est le signe d’une absence de liberté. C’est aussi le temps de la
création d’entreprises publiques ayant le monopole sur certaines activités.
En Europe, sous l’influence du marché unique, on est très vite repassé à un système
libéral. On va dire, aujourd’hui, que l’on est dans un système qui n’est plus une économie
dirigée mais encadrée, balisée, car on accepte que l’on a besoin d’une intervention des
autorités publiques, non pas pour nier le principe de liberté, mais pour en gommer les excès.
Depuis le XIXème siècle, on a ré-internationalisé les activités économiques. On a
favorisé le flux d’exportations entre les Etats, on a permis le développement de transferts et
d’offres de biens et services. A partir de la Seconde guerre mondiale, on a été plus loin. Le
problème n’était plus de vendre à ses voisins mais de favoriser les flux directs
d’investissements. L’idée est de permettre, par exemple, à une société belge d’aller s’établir et
vendre en Allemagne ou sur d’autres territoires. C’est un phénomène de transnationalisation,
et depuis les années 80, on parle même de globalisation. Le modèle économique européen va
marquer profondément le droit des affaires puisqu’aujourd’hui 90% des règles étudiées
prennent leur source en droit européen.
Vers quoi allons-nous ? C’est la crise aujourd’hui, et elle cache mal une crise plus
profonde de l’organisation même de l’économie en place. L’exemple des nouvelles
technologiques est significatif. D’un côté, on règlemente ce droit autour du droit européen,
mais de l’autre on sait que ces règles ne peuvent être totalement efficaces puisqu’on
règlemente des choses qui s’étendant au-delà de l’Europe. Il y a une logique de règles limitées
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encore par les territoires nationaux, et une activité économique qui n’a que faire de ces
limitations. Les Etats perdent la maitrise sur les agents économiques puissants. Il n’y a qu’à
voir la puissance d’entreprises telles que Google ou Apple.
2. Définition et principes du droit commercial
A. Définitions
§1 – Le droit commercial, un droit des commerçants ou des actes de commerce ?
De plus en plus, en droit commercial, on va vouloir règlementer les comportements des
acteurs plutôt qu’une catégorie d’acteurs déterminés. L’institution de la faillite est un bel
exemple. Seuls les commerçants sont concernés. Une S.P.R.L. de médecins ne tombera pas en
faillite, ce ne sont pas des commerçants.
On part de la règlementation d’une qualité pour aller vers la règlementation de
comportements. Comme on veut réguler tous les comportements de ceux qui peuvent créer un
dommage sur le marché, on fait éclater les concepts qui permettent d’identifier les
destinataires des normes. On va même plus loin : ce qu’on veut règlementer, c’est le marché
lui-même car on pense que cette régulation sert véritablement l’intérêt général et, in fine,
l’intérêt du consommateur final. C’est pour cela que l’on verra le secteur public jouer un rôle
de plus en plus grand sur le marché, intervenant sur lui pour assurer la correcte application des
règles. On pense aux autorités administratives qui servent à réguler le marché, comme le
Conseil de la concurrence qui exerce la police sur le marché.
En 1934, on ne s’adresse qu’aux commerçants. Dès 1971, on élargit le champ
d’application du droit commercial et on l’applique aux vendeurs également. Depuis 2010
(LPMPC), on ne parle plus de vendeur mais d’entreprise.
Aujourd’hui, il existe des règles qui ne visent que les commerçants, à côté de règles qui
visent le marché dans son ensemble. C’est une des raisons qui peut pousser à un certain
pessimisme face à toute codification des législations économiques. Quel est ce code qui
n’aurait pas destinataire uniforme ? Cette ambiguïté existe dès 1807, dès le Code de
commerce. C’est toute la problématique entre une conception subjective de la commercialité
et une conception objective de la commercialité.
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La conception subjective, c’est l’idée qu’on règlemente une profession, une qualité. On
alloue certaines règles aux commerçants. A cette époque, ce n’est pas perçu comme étant très
cohérent. On vient de quitter le système de l’Ancien Régime, décrié pour le corporatisme
(donner des règles particulières à une caste d’individus). On se rend bien compte, dès cette
époque, que l’on n’arrivera pas à règlementer l’économie et les nouvelles matières qui
frappent à la porte en fonctionnant seulement avec l’idée que l’on s’adresse à des
commerçants au sens strict du terme.
Certains préfèrent une conception objective : c’est l’activité qui attire la règle. Ce qui
est règlementé, c’est l’opération commerciale. On va parler d’actes de commerce. On
règlemente l’acte pour viser et identifier indirectement le commerçant. La logique est alors
très différente, car en visant les actes commerciaux et puis dans le fond l’activité économique,
on peut faire éclater la notion de commerçant et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé. Sur base de
cette conception objective a lieu cette évolution visant à règlementer des comportements. On
se rend bien compte que des actes de commerce seront posés par des individus qui ne sont pas
commerçants, mais toujours est-il que ces actes seront posés.
Le Code n’a pas tranché entre ces deux conceptions. Il va utiliser la notion de
commerçant pour identifier les destinataires de ses règles. Il définit le commerçant : celui qui
pose des actes de commerce. L’acte de commerce n’est pas bien défini en soi ; c’est l’acte
posé par le commerçant. On constate l’incapacité du législateur de passer d’une approche à
une autre.
§2 - Du droit commercial au droit des entreprises
Les rédacteurs du Code de commerce hésitaient entre une conception objective de la
commercialité et subjective de la commercialité. Dans la définition même des actes de
commerce qui permet de donner corps à la définition de commerçant, nous avions vu qu’elle
exprimait cette ambiguïté en son sein.
Le droit commercial qui suit (post 1807 à nos jours) : l’objet du droit commercial et le
contexte économique ont été révolutionnés et on subit des évolutions à ce point importantes
que l’approche de la commercialité et du droit commercial est aujourd’hui largement dépassée
comme nous l’avons vu au dernier cours. A partir du moment où l’on admet que le droit
commercial s’applique à toute activité économique, il y a une incohérence au sein même de la
recherche classique de la commercialité.
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Pourquoi s’y est-on attaché ? Il y a une raison qui vaut encore partiellement
aujourd’hui : seules les relations privées nous intéressent mais il est clair que le droit des
affaires est marqué par une forte intrusion de l’Etat sur les marchés : tant en tant qu’acteur
économique que de régulateur des marchés, qu’en tant que législateur de normes qui vont
s’appliquer aux autres acteurs de la vie économique. Il est clair que c’est une partie de
l’enseignement qui est tout à fait exclue de notre matière : on ne peut pas imaginer introduire
tout ce pan public des relations juridiques économiques, même si on va un peu parler des
autorités de contrôles du droit de la concurrence (Commission européenne) mais nous
n’allons pas analyser ce pan de la matière d’une façon systématique.
Le droit des affaires (droit économique au sens large) est complètement
instrumentalisé par les politiques. C’est un outil qui permet de mener certaines politiques. Un
des exemples évidents où le politique, par le biais de création de normes, cherche à mettre en
place certaines politiques particulières est celui de la taxation en temps de crise, étant entendu
qu’il faut être prudent lorsque l’on utilise un levier dans l’activité économique qui a des
répercussions au niveau des activités qu’il faut prendre en compte et qui ne le sont pas.
Ex. :- pour des raisons budgétaires, les avocats sont soumis désormais à la TVA (novembre
dernier) pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat puisque nous sommes en
période de restrictions budgétaires. Cela ne va rien changer pour certains car ils ont toujours
payé les achats en amont : ils vont facturer avec TVA et ils pourront déduire la TVA payée
sur la TVA due en vertu de leur facture. Première remarque : c’est vrai mais il y a deux
problèmes : la clientèle reste une clientèle de personnes physiques qui ne pourront pas
déduire cela. Cela aura une répercussion directe sur notre vie en société et sur les valeurs qui
sont défendues puisque l’accès à la justice diminue. Quels sont les gens qui peuvent
aujourd’hui désormais sortir 21% de plus pour aller voir leur avocat ? C’est l’effet presque
sociologique. Qu’est ce qui va se passer ? Il y aura beaucoup plus de noir. Il y aussi une
diminution de rentrée pour l’Etat. Deuxième effet antiéconomique : le système de la TVA est
basé sur un préfinancement : si je suis soumis à la TVA depuis le 1er janvier. On fait les
factures en prévoyant les frais et honoraires + 21% de TVA qui devront être payés par le
client. Le client, quand va t il me payer ? Dans deux mois pour les plus rapides, voir plus
pour les autres, voir 6 mois un an pour les institutions étatiques. Qu’est-ce qu’il se passe à la
fin du mois ? Si on a + de 1.000.000 de chiffre d’affaire : on doit payer une TVA qui n’a pas
encore été remboursée. C’est antiéconomique : les clients ne paient plus ou avec de plus en
plus de retard et donc l’entreprise a un problème de liquidité puisque les entrées s’espacent
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de plus en plus mais que les frais sont fixes. Payer l’exigible devient de plus en plus dur.
L’Etat demande ensuite d’augmenter les 21% ! Il va falloir avancer cet argent à l’Etat. Les
petits cabinets sautent donc ... Il y a des avocats qui s’arrêtent car cela ne vaut plus la peine.
La mesure a été prise en novembre et dès janvier c’était effectif !
Il y a d’autres mesures plus intelligentes où l’on voit que le pouvoir politique tente
d’insuffler des politiques économiques. C’est le cas avec le lancement des petites sociétés
starters (voy. chapitre infra) où l’on insuffle de l’argent dans leur capital. On impose que des
montants minimaux soient injectés dans la société. La simple création d’une société coute au
fondateur : on a créé une société au capital de 1€ (cela ne durera que trois ans pour certaines
sociétés).
B. Les principes du droit commercial
§1 – Les principes du droit commercial issus du Code de commerce de 1807
La liberté de commerce/d’entreprendre
C’est la fameuse liberté d’entreprendre consacrée par le décret révolutionnaire
d’Allarde (voy. supra). Très vite, on a tenté de ciseler les limites, les contours de cette liberté
et ce par des réglementations particulières pour éviter les excès probables. Le principe est la
liberté et la réglementation est normalement l’exception.
L’importance des usages et de la pratique
C’est lié au principe de liberté : si on proclame la liberté et qu’on admet que la
règlementation ne vaut qu’à titre d’exception, alors nécessairement le corps de ces règles va
trouver sa source dans les pratiques, les usages commerciaux, qui sont admis par les acteurs
de l’activité économique. Il est clair que l’approche de législations commerciales se fait par la
fixation de certaines limites à des pratiques librement posées.
Ex. : la publicité : c’est une pratique commerciale évidente et très usitée pour permettre de
vendre ses biens et ses services. Jusqu’en 1991, il n’y a pas de règles générales à la
publicité : on sanctionne la publicité par l’interdiction des comportements déloyaux. C’est
une interdiction tout à fait générale. Cela permet aux pratiques publicitaires de se développer
de manière extrêmement souple en concordance avec l’avancée technologique. La
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réglementation sur la publicité ne viendra (et sur les nouvelles formes de publicité comme sur
internet) que plus tard. On agit en sanctionnant les dépassements plutôt qu’en réglementant
positivement la matière, ce qui permet à l’activité économique de se développer sans trop de
contrainte.
Ces pratiques et ces usages conservent une place essentielle aujourd’hui, malgré les
nouvelles nombreuses réglementations. L’approche reste une approche qui entérine ce qui se
fait plutôt qu’une approche qui impose des comportements sur le marché.
La bonne foi et l’équité
Les acteurs de la vie économique ont besoin de confiance, de pouvoir se faire
confiance, d’où l’importance de ces deux principes. Cela va se marquer dans les institutions
juridiques spécifiques. Par exemple, en matière de preuve (art.25 du Code de commerce), il
est étonnant que l’on admette que la comptabilité d’un commerçant puisse valoir comme
preuve vis-à-vis de son cocontractant : on va faire confiance à la comptabilité (art.20 à 24 du
Code de commerce). Il est aussi étonnant de voir en pratique à quel point les entrepreneurs et
les gens qui créent l’activité économique se font confiance. Par exemple, pour le paiement
électronique : il y a énormément d’acteurs qui interviennent (financiers, commerciaux, etc.).
On négocie les contrats mais ces conventions qui ne sont pas encore écrites sont déjà
exécutées. Les parties se font confiance. C’est quelque chose que l’on ne ferait pas entre
personnes privées. Le juridique suit avec un retard certain l’opérationnel : la convention est
purement orale et non encore écrite. Beaucoup de choses fonctionnent oralement dans
l’activité économique. La seule trace que l’on garde souvent est une facture avec quelques
conditions générales.
La simplicité et la rapidité des procédures
Un autre élément essentiel est la simplicité et la rapidité des processus. Il est clair que
les partenaires économiques veulent que les choses aillent vite, soient simples et ne coûtent
pas cher en terme d’habillage juridique. C’est pourquoi ils font des choses qui répondent à
leur besoin, tel que l’absence de leur convention, mais une facture au dos de leurs conditions
générales (cf. supra).
§2 – Les principes actuels
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La liberté et la loyauté
Ainsi, par exemple, la fameuse liberté d’entreprendre et de commerce qui au départ est
proclamée à l’encontre de l’obscurantisme de l’Ancien régime, à l’encontre du corporatisme,
devient de plus en plus une affirmation de l’existence d’un marché sans frontière où l’on
exige des acteurs un comportement loyal, concurrentiel, qui implique et admet un
encadrement et un contrôle de l’activité économique. Le nouveau Code de droit économique
exprime bien cette évolution (cf. l’article II-2). Le livre II reprend les grands principes. Le
premier principe mis en avant est évidemment la liberté d’entreprendre : c’est une révolution
majeure puisque contrairement à 1807, on proclame cette liberté comme étant le socle, la
base, des règles qui régissent l’activité économique. Comment le dit-on ? L’article II-2
ajoute à la liberté d’entreprendre mais aussi des principes limitatifs de cette liberté : « la
loyauté des transactions économiques et un niveau élevé des consommateurs » : la loyauté et
la protection du consommateur. C’est significatif du changement d’approche de la liberté :
on la proclame mais on affiche et on proclame des principes qui viennent apporter un effet
équilibrant et qui permettent d’éviter des excès de cette liberté. En filigrane, on retrouve toute
l’approche, tout le régime des grandes libertés économiques mis en place par l’UE : la libre
circulation des personnes et des capitaux, etc. où l’idée principale reste la diminution
maximale des entraves mais cet exercice doit être encadré par les règles par l’UE elle-même
afin de garantir les principes de loyauté et de concurrence sur le marché.
Ce qui va également se traduire dans la législation, c’est la sanction de l’exercice
déloyal et anticoncurrentiel des grandes libertés économiques : de contracter, de concurrence,
etc. La LPMPC et la loi sur la protection de la concurrence seront dans le nouveau Code, à cet
effet.
L’exercice de la liberté d’entreprendre s’éclaire par un autre principe aujourd’hui qui
est le principe de transparence. De plus en plus, on impose à l’acteur économique d’exercer
son activité dans une transparence qui permet aux autres acteurs, ainsi qu’aux organes de
contrôle, d’avoir accès à toute une série d’informations sur la manière dont elle fonctionne et
d’informations qui permettent d’avoir une idée assez correcte de la qualité de son activité
économique : les obligations d’inscription à la Banque-carrefour des entreprises, les
obligations comptables qui s’imposent aux entreprises qui sont constituées en société
commerciale (obligation de publication des comptes annuels par exemple, autour de tout ça,
l’accès, par les acteurs du marché, d’une information de données sur les entreprises,…).
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Concernant l’obligation de transparence, il est difficile aujourd’hui d’exercer une activité
économique sans être identifié. Si on ne trouve pas d’informations, c’est plutôt un signe de
méfiance qu’autre chose.
Encore plus loin, les obligations de transparence se marquent aussi au niveau de la
bonne gouvernance de l’entreprise quand on parle beaucoup du salaire des patrons par
exemple. Cela fait partie des obligations de bonne gouvernance qui obligent à prendre en
considération des intérêts divergents pour éviter toutes les tensions inutiles entre ces intérêts.
Les exigences propres au monde des affaires
La première exigence qui est imposée au créateur de normes dans les activités
économiques est la rapidité. On retrouve cela dans l’aphorisme : « le temps c’est de l’argent ».
Les acteurs ont besoin que le droit économique satisfasse au besoin de rapidité qui est
inhérent aux échanges commerciaux. Cela va se marquer par une série d’institutions ou de
modalisations de règles existantes comme par exemple l’abolition de tout formalisme issu du
droit civil. On pense au formalisme lié à la réglementation relative à la preuve (art.25 du
Code de commerce). En matière civile, l’écrit reste le principe (art. 1341 et s. du Code
civil). En matière commerciale, c’est la liberté qui prévaut. Cela se marque aussi au niveau
des procédures judiciaires qui vont être mises à disposition des acteurs. Nous verrons l’action
en cessation commerciale qui est une action qui est introduite devant le président du tribunal
de commerce, par lequel une entreprise ou un consommateur vient demander au président de
donner injonction à une entreprise de cesser une pratique commerciale considérée comme
illicite par le demandeur en justice.
Ex. : une entreprise qui considère que son concurrent a lancé une campagne de publicité
trompeuse susceptible de lui porter préjudice. Il demande au juge de faire cesser cette
campagne.
Produire une action au fond dans un tribunal normal prend aujourd’hui deux ans. Ici, on
peut obtenir une décision, le cas échéant, dans les cinq-six semaines. C’est comme un référé
(mise en état rapide du contentieux judiciaire) mais on obtient non pas une décision provisoire
mais une décision au fond. C’est une action inventée et conçue pour les acteurs économiques.
Au niveau du formalisme, il y a un phénomène par lequel le monde économique renforce
un certain formalisme pour atteindre un objectif de simplification. L’utilisation d’une facture
qui est un document particulier qui doit nécessairement contenir certaines mentions en est un
14
exemple. La lettre de change qui est utilisée comme un moyen de paiement, le cas échéant, en
est un autre. L’ancien chèque est aussi l’expression d’un formalisme qui est conçu pour
simplifier l’échange économique (>< l’ancien formalisme qui alourdissait). La rapidité peut
aussi exiger que l’on ne s’attarde pas trop sur les pouvoirs du cocontractant : c’est pourquoi
on fait application de la théorie de l’apparence. Notons aussi les délais de prescription plus
courts qu’en droit commun. En droit des sociétés, 5 ans en matière de responsabilité et 6 mois
pour la nullité des opérations.
Un autre besoin (que la rapidité) est le besoin de crédit qui est essentiel dans une activité
économique : on a besoin de fonds mis à disposition par des tiers. On n’arrivera pas (dans la
quasi-totalité des cas) à fonctionner sur fond propre. Le droit va renforcer, faciliter, aider à
prendre des mesures pour pousser les créanciers à donner des fonds. Comment faire ?
Notamment par une augmentation des règles de transparence : a priori, la publicité de la
comptabilité d’une entreprise a pour but premier de permettre au créancier de se faire une idée
de la bonne santé financière de l’activité de son partenaire commercial. Le développement de
suretés particulières qui seront octroyées à celui qui prend le risque de la mise en disposition
du fond est une des réponses du droit commercial pour faciliter le crédit dans les activités
économiques. Le régime de la faillite répond aussi à cette exigence. Le processus de
liquidation de la société est mis en place dans les tribunaux de commerce et se met en place
alors une procédure par laquelle on liquide la société (les actifs) : on va essayer de payer un
maximum les dettes en souffrance. Cette procédure garantit au moins de récupérer ce qui est
récupérable et de ne pas tomber dans l’anarchie en cas de processus de liquidation.
Un autre besoin qui va être générateur de droit est le besoin de sécurité. Voy. la faillite
supra. Les activités économiques sont en général en chaîne puisque liées les unes aux autres.
Quand ArcelorMittal décide de fermer un certain type d’activité sur Liège, c’est l’intégralité
du tissu économique autour qui est affecté (on parle de risques « systémiques » de contagion
et de rupture). Dès lors, on craint que celui qui ne respecte pas les règles du jeu, risque de
mettre tout le monde en danger. Les règles doivent aussi être là pour éliminer les mauvais
joueurs dont le comportement pourrait mettre en péril l’activité des autres acteurs. C’est
pourquoi on trouve des règles très sévères et rudes à l’encontre de ceux qui ne respectent pas
les règles du jeu. Il faut faire en sorte que la concurrence élimine aussi les mauvais joueurs :
ceux qui ne sont pas capables de tenir leur place dans le marché. La faillite est aussi (au départ
en tout cas, mais moins aujourd’hui) pensée pour mettre en dehors du jeu l’entité économique
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qui n’est plus capable de tenir son rôle à l’égard de ses créanciers. Si l’on ne fait plus
confiance, alors plus de crédit, plus le droit de continuer à jouer.
Le quatrième besoin est le besoin d’une éthique particulière, d’une morale spécifique,
d’une loyauté qui s’impose à ceux qui exercent leur liberté d’entreprendre/de concurrence. Cf.
théorie de la concurrence « déloyale ». Il y a des standards de comportements loyaux aux
acteurs du marché.
Le cinquième besoin est le besoin d’unification transnationale des règles juridiques.
L’activité économique est internationale et a donc besoin de règles qui sont susceptibles
d’avoir une application plus large que chaque état pris individuellement. La source de ces
règles doit être la plupart du temps supranationale : c’est le phénomène de création du grand
marché et la création du droit européen qui traduit ce besoin d’unification des règles.
C’est pourquoi le droit économique/le droit des affaires est devenu un droit autonome.
C’est relativisé dans certaines matières comme en matière de droit des contrats/obligations où
il est fait application, en matière commerciale, du fait de cette idée de liberté dans les relations
économiques. On va plutôt être réticents aux acteurs économiques.
3. Les sources du droit commercial
Dans un monde globalisé, il y a un éclatement des sources, des règles applicables : on
ne peut plus trouver dans le seul droit national les sources des règles applicables à l’activité
économique, d’où l’importance du droit comparé et du droit international. C’est un monde
globalisé mais aussi un monde qui s’autorégule. Le droit des affaires naît des pratiques et du
droit que s’imposent les marchés entre eux, sur le marché. Cette autorégulation a perduré dans
le temps et fait que le droit commercial/droit économique est un droit spontané, qui s’auto
génère au départ de ses pratiques et usages.
Mais l’autorégulation dont on parle ne vise pas que cette réalité, mais aussi une autre
réalité qui prend de plus en plus de place dans les sources des règles applicables aux acteurs
économiques : c’est le fait que les entreprises se dotent de normes particulières et spécifiques
en marge et à côté des normes obligatoires d’origine étatique. Il y a une création de normes
indépendantes des états : notamment avec les entreprises de taille mondiale. On édicte des
policies (polices en français) qui sont des règles qui ne sont pas des règles conventionnelles ni
étatiques, mais qui sont édictées par les autorités du groupe à destination de chaque entité qui
la compose.
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Ex. : les polices qui règles le flux de données entre les entreprises d’un même groupe ; des
règles concernant les carrières ; des systèmes par lesquels on favorise la dénonciation des
comportements illégaux/dommageables à l’entreprise (par exemple le whistleblowing en
matière financière et comptable où l’on a un canal, numéro de téléphone où l’anonymat nous
est garanti et l’on dénonce les pratiques présumées dangereuses auprès de l’autorité).
D’autres exemples pour montrer l’importance : des côtes d’éthique publicitaire prises de
manière spontanée (pas obligé donc) ; on trouve des secteurs d’activité qui s’imposent des
règles de comportements particuliers alors même que les autorités ne l’imposent pas, ou alors
ça précède un mouvement législatif.
A. Les sources nationales : du Code de commerce de 1807 à une législation éclatée
L’important est la disparition et l’évolution que l’on voit. On avait le Code de commerce
incomplet et mal rédigé et des législations éparses. L’idée de la codification du droit
économique est née en réalité du bicentenaire du Code de commerce, à la suite de toute une
série de conférences en 2007. Le Code de commerce ne ressemble plus à rien puisque c’est un
squelette dépecé : il ne lui reste quasi rien. L’administration s’est vue intéressée par une
nouvelle codification des règles de droit économique. Il y a eu un colloque en 2009 sur la
codification et le gouvernement a demandé à un groupe de travail la mise en place à la VUB
d’un premier projet de codification. Ce projet a été vite fait. Le gouvernement a alors planché
sur un projet de code et c’est ce code dont on parle aujourd’hui. Les premiers livres ont été
introduits dès début 2013. Dès la fin de la législature, les treize livres devraient avoir tous été
votés. Le livre sur le droit de la concurrence est déjà en vigueur.
Mais il y a aussi des modifications de règles existantes : parfois, on en profite pour insérer
des règles issues de directives qui n’ont pas encore été introduites en droit belge. On le fait au
moment de la création du livre. En matière de propriété intellectuelle, toute l’organisation des
droits d’auteurs est en passe d’être radicalement modifiée sous le couvert du vote du livre sur
la propriété intellectuelle. On va un peu de surprise en surprise, au fur et à mesure de la
lecture des nouveaux documents. Il n’y a pas de fil conducteur dans la structure du Code. Il y
a des règles qui vont subsister en dehors du Code et qui auraient leurs places dans le Code.
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Le premier livre est consacré aux définitions. L’enjeu était de taille. Il comprend deux titres,
l’un avec des définitions générales, l’autre définissant des notions spécifiquement pour l’un ou
l’autre livre.
Le deuxième livre comprend les principes généraux de droit économique. Ces deux premiers
livres sont déjà entrés en vigueur.
Le troisième livre, dénommé « liberté d’établissement, de prestations de services et
obligations générales d’entreprise », comprend la présentation des principes de certaines
grandes libertés économiques d’origine européenne (liberté d’établissement, de prestation de
service,…) ainsi que des devoirs spécifiques que tout entrepreneur connait.
Le quatrième livre consacre le droit et la protection de la concurrence.
Le cinquième livre (« concurrence et évolution des prix ») réorganise le système de
contrôle du droit de la concurrence. Il est également en vigueur. Il a principalement pour objet
la règlementation des prix et cette règlementation est appréhendée par les principes du droit de
la concurrence.
Le sixième livre concerne les pratiques du marché et la protection du consommateur. On
reprend, mais pas uniquement, le contenu de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du
marché et la protection du consommateur. On profite du processus de codification pour
implémenter une directive de 2011 relative au droit du consommateur dont le champ
d’application touche notamment aux ventes par internet, ventes à distance, etc.
Le septième livre concerne la protection du consommateur dans le cadre de l’offre de services
financiers aux particuliers.
Le huitième livre consacre la qualité des produits et services. Les dispositions règlent
notamment le problème des unités de taille ou instruments de mesure.
Le neuvième livre concerne la sécurité des produits et services.
Un dixième livre concerne les contrats économiques .
Le onzième livre consacre les droits de la propriété intellectuelle.
Le douzième livre se penche sur les droits électroniques .
Le treizième livre concerne les mécanismes de concertation (principalement, la création d’un
Conseil Central de l’Economie). On a tenté de rationaliser ce processus via la création du CCE
Le quatorzième livre consacre les mesures de gestion de crise.
Le quinzième livre est consacré aux modalités de recherche et de constatation d’infractions
aux lois et code économiques, tant dans l’aspect pénal qu’administratif.
Le seizième livre met en place, en matière de protection et de droit de la consommation, une
série de mécanismes pour suppléer aux possibilités des consommateurs à protéger leurs
droits. On y trouve un règlement de résolution non judiciaire des conflits de consommation.
Le dernier livre reprend les procédures juridiques particulières. C’est là qu’on retrouve les
recours collectifs qui permettraient à toutes les associations de consommateurs d’introduire
18
des actions au fond pour obtenir des dommages et intérêts suite à la violation du droit à la
consommation.
B. Les sources internationales
Il faut rappeler l’existence de grandes institutions internationales qui imposent des devoirs
et obligations aux Etats.
- L’OMC est à la source de trois traités majeurs : le GATT (Accords sur les tarifs et les
marchandises), le GATS (concerne les tarifs et les services) et l’ADPIC qui reprend des
accords spécifiques en matière de propriété intellectuelle. Ces traités sont construits autour de
deux grands principes majeurs : la non-discrimination et le traitement national (=ce qu’on
accorde aux nationaux doit être accordés aux étrangers qui prestent en concurrence avec les
nationaux).
- La CLUDSI a un rôle créateur, de source, du droit commercial international. Elle édicte des
règles ensuite reprises par tout ou partie des Etats. Ce sont des conventions prévoyant des
règles de fond sur des transactions commerciales et permettent, si tous les Etats y adhèrent,
d’opérer une unification des règles au sein des Etats qui les adoptent ou s’y soumettent. On y
élabore aussi des lois-modèles, des lois-standards.
- Il existe énormément de traités bi/multilatéraux passés entre les Etats.
C. Le droit européen
Il a pour objet de réaliser le grand marché au sein de l’UE. C’est donc aujourd’hui la
source de la quasi-totalité des règles applicables à l’activité économique dans les différents
Etats membres. Les dispositions du TUE et du TFUE sont directement applicables dans tout
le territoire de l’UE. Ces dispositions s’inscrivent dans une perspective d’harmonisation du
droit des Etats membres.
D. La coutume, l’usage et l’autorégulation
§1 – La coutume et les usages
La coutume est une source de droit qui repose sur une double composante : un élément
matériel ou objectif (la repetitio) qui n’est autre qu’un usage, une pratique, ancienne, continue
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et généralisée ; et un élément psychologique ou subjectif (l’opinio necessitatis) qui renvoie à
la conviction/la croyance qu’ont les sujets de droit qui suivent un tel usage de son caractère
obligatoire, de sa force contraignante en droit. La coutume se distinguerait des usages « de
fait » ou « conventionnels » du fait qu’ils ne jouissent d’une éventuelle force obligatoire que
lorsque le législateur le prévoit (art.1135 et 1160 du Code civil) ou par le truchement des
institutions classiques du droit des obligations. La juridicité n’est donc qu’indirecte
(contrairement à la coutume).
Depuis 2008 (arrêt de la C. Cass.), lorsqu’une clause est usuelle, c’est-à-dire généralement
reconnue dans une région déterminée, il y a une présomption de connaissance d’un usage par
les parties qui ne l’ont pas exclu dans leur convention.
La coutume est un usage de droit et ne doit donc pas être prouvée. Son caractère général et
son ancienneté lui confère reconnaissance devant les juges, qui écarteront même les règles de
droit civil avec lesquelles elle se révèlerait incompatible. Les usages, à l’inverse, doivent être
prouvés en cas de contestation par toute voie de droit par la partie qui prétend les avoir
appliqués à sa relation contractuelle.
On a vu que le rôle des usages avait marqué les débuts du droit commercial. Mais il est
clair que les usages commerciaux sont validés par les tribunaux de commerce qui sont eux-
mêmes composés de représentants du monde économique et cela facilite l’introduction de
règles que s’appliquent volontairement les acteurs économiques entre eux.
Ex. : l’usage de la solidarité présumée entre commerçants. C’est un usage qui est contraire
au Code civil.
Il faut que la pratique soit constante et, c’est cette constance qu’il faut démontrer. Si c’est
une coutume, il ne faudra pas le prouver en raison de son caractère général. Il y a des usages
chez les diamantaires.
Les usages sont aussi parfois repris dans des corpus de règles nationales ou
internationales. Par exemple, les Incoterms (International Commercial Terms) adoptés par la
Chambre de commerce internationale (C.C.I.) qui les adopte et qui rassemble des usages
commerciaux en vigueur en matière de commerce international.
Ex. : transfert des risques, des frais, etc. On peut les invoquer s’il n’y a pas de clauses dans le
contrat qui règle, alors qu’il ne s’agit pas de réglementation étatique. La jurisprudence
20
commerciale, en Belgique, reconnaît, régulièrement, l’existence de ces usages et les applique
dans des cas bien précis.
§2 – L’autorégulation
Avec l’autorégulation c’est autre chose, on est en dehors du droit. Le droit étatique n’est pas
là a priori pour le valider ou l’invalider. Le monde économique craint par principe la
multiplication des normes et préfèrent prendre les devants et s’organiser par eux-mêmes en
créant des normes dont ils seront les destinataires. Cela se fait de plus en plus avec la
complicité des autorités publiques (nationales ou européennes).
L’autorégulation est plus moderne que les usages et coutumes qui sont plus
archaïques. Selon une définition de M. le professeur P. VAN OMMESLAGHE, l’autorégulation
est comme « une technique selon laquelle des règles de droit ou de comportement sont créées
par des personnes auxquelles ces règles sont destinées à s’appliquer, soit que ces personnes
les élaborent elles-mêmes, soit qu’elles soient représentées à cet effet » (voy. également pp.
35 et suiv. du manuel).
Il y a des règles de bonne gouvernance dans les sociétés cotées en bourse et lorsque
l’on aborde la crise Fortis, un de ses problèmes juridiques centraux est la question de savoir
quel statut et quelle nature on doit reconnaître d’un point de vue juridique à un Code de règles
de bonne gouvernance qui prévoyait qu’au cas où une entreprise se séparait de parties
importantes de son activité, le conseil d’administration devait saisir l’assemblée générale. On
trouve ces règles d’autorégulation en plein coeur de la crise financière que l’on a connue.
On retrouve ces règles en matière publicitaire. Il y a le jury d’éthique de la publicité,
créé en 1974 par le conseil de la publicité, qui est une ASBL qui regroupe des associations de
la communication. Ce jury, composé de représentants du secteur, est devenu un organe d’avis
mais aussi d’un organe auprès duquel les gens peuvent porter plainte lorsqu’ils considèrent
qu’une publicité est contraire aux pratiques, mais également, dès l’instant où la publicité est
contraire à un code de déontologie ou d’éthique qui aurait été adopté dans le secteur. C’est
volontairement que les entreprises y adhèrent et il n’y a pas de réelle contrainte possible, si ce
n’est la sortie de l’entreprise de l’association. Ce qui est amusant à constater est que les
entreprises se soumettent aux décisions du jury (il y a un organe et un organe d’appel). Ce
jury est assez sévère. Cela tourne autour de trois choses : les publicités qui heurtent (sexe,
21
etc.) ; la problématique de la publicité sur l’alcool ; l’information trompeuse sur les conditions
financières lors de l’achat d’un bien.
Ex. :- une affiche qui montre une femme en lingerie noire allongée sur un lit. Le texte est
limpide : « cela ne vous gênerait pas d’être le premier ? » C’est une publicité pour des
voitures de seconde main. Une plainte est déposée par des gens qui sont choqués (cela ne
coûte rien). La plainte est fondée sur le peu de respect de la publicité à l’égard de la femme,
présentée comme un objet pour vendre des voitures. Le jury a condamné la publicité. C’est
sévère car c’est une association qui est commune. Les femmes achètent des voitures aussi,
elles ont un pouvoir d’achat. La défense dit qu’ils voient le mal partout, qu’il y a des
publicités identiques avec un homme. Le jury dit que le slogan est clairement suggestif et tend
à réduire la femme à un objet, que c’est choquant et que cela tend à continuer des stéréotypes
et est contraire à la dignité humaine. L’annonceur a refusé de retirer la publicité et alors le
système veut que l’on s’adresse aux médias qui sont aussi membre du système et les médias se
sont engagés à ne plus diffuser la publicité.
- publicité pour du Kidibul : Les publicités montraient les Kidibul entre des bouteilles
d’alcool. Il y a eu une plainte jugeant que cela serait contraire à une convention. Là aussi,
sur base de la photo qui a été communiquée, le jury a remarqué qu’il n’y avait pas de
séparation entre les deux types de boissons.
Tout le problème est là : l’humour, le décalage de la situation, quelle est la limite ?
Jusqu’où peut-on aller ?
Parlons maintenant de l’affaire Fortis qui n’est toujours pas terminée. En 2007, les
dirigeants de Fortis participent à l’achat d’une banque hollandaise pour 23 milliards d’euros.
Comment finance-t-on ? Par des petites actions. Toute l’information n’a pas été donnée et,
notamment, les petits actionnaires n’ont pas été informés sur le fait que Fortis devait savoir
qu’elle était contaminée par des actifs toxiques et que celui qui achetait des actions devenait
possesseur de ces actifs contaminés. C’est le problème des subprimes. Peu après cet achat, on
se rend compte que Fortis est condamnée par ces actifs qui sont logés dans certaines de ses
filiales. Dès juin 2008, on re-procède à une augmentation de capital pour 1,5 milliard. Les
subprimes sont des prêts hypothécaires qui ont été créés aux USA et qui ont la particularité
d’avoir un taux d’intérêt très bas mais variable. Il y a beaucoup d’acheteurs puisque le taux est
bas. Mais le problème est qu’entre 2004 et 2006, le marché du crédit hypothécaire doit faire
face à deux événements : une augmentation drastique des taux (multipliés par 5 ou 6 en deux
ans) et en parallèle, une crise de l’immobilier. Quelles sont les implications ? Si les taux
22
augmentent, les défauts de remboursement augmentent, et le préteur ne sait pas vendre le
bien, puisqu’on est en plein crise de l’immobilier et fait une perte sèche sur le contrat et donc
les préteurs font faillite et c’est le départ la crise.
Il y a un élément essentiel : ces prêteurs se sont crus plus malins que tout le monde et
se sont dit qu’il fallait valoriser un maximum ces titres de créances et on les a mis sur le
marché avec l’idée de racheter un titre à une valeur supérieure à la créance de base.
Les préteurs ont revendus les titres sur les marchés spécialisés. Souvent ces titres ont
été inclus dans des services ou d’autres produits, de sorte que l’on ne savait même plus qu’ils
faisaient parties des packages de créances en question. Au final, tout le système est tombé car
ces créances se sont retrouvées dans tout le monde financier.
En septembre 2008, Fortis est dans la tempête. Des rumeurs commencent à courir sur
la solvabilité du groupe puisque tout est question de confiance sur les marchés financiers. Le
problème est que l’on ne sait pas qui a quoi. On ne sait pas ce que Fortis aurait comme actif
valable et surtout le volume que cela représente par rapport à l’actif global. Les banques
commencent à se méfier les unes des autres et cessent la pratique du prêt interbancaire. Très
vite, les banques se retrouvent sans liquidité. Une banque sans liquidité est une banque qui ne
sait plus faire face à ses échéances, à ses remboursements. La dépréciation de la valeur d’actif
lié aux subprimes avoisine 500 milliards de dollars. Cela fait chuter les capitaux propres des
banques et ces banques vont tenter de survivre en augmentant leur capital puisqu’une partie
de l’actif ne vaut plus rien. Le problème est que l’on ne sait pas ce que l’on achète et ce n’est
pas facile de s’en sortir.
Tout doucement, les clients se rendent compte du problème, on commence à en parler
dans la presse et là les gens se rendent compte qu’ils détiennent des titres à risque ou alors
simplement des actions. La panique s’installe et les gens veulent retirer leurs actions. L’action
Fortis tombe à 5€ et Lehman Brothers et les autres banques tombe en faillite, avec le double
retentissment que ça a.
Le 28 septembre 2008, la situation est intenable, Fortis n’a plus de liquidité et les
épargnants retirent leur argent en masse car ils ont peur de tout perdre quand Fortis tombera.
Les gouvernements Benelux se retrouvent et cherchent une solution. Le gouvernement
hollandais décide de reprendre le contrôle de Fortis Nederlands, idem pour les deux autres
23
pays. A trois, ils obtiennent 50% du capital et décident de revendre les actions. On désintoxe
l’actif en accordant des réductions de valeurs.
Le 3 octobre 2008, le gouvernement hollandais fait un rachat et grâce à cela, les
liquidités reviennent dans le groupe et la solvabilité augmente. Ces Etats n’ont pas les moyens
de leur achat et donc ne veulent pas conserver cela dans le portefeuille étatique. La Belgique
n’a pas le moyen de le faire, d’où la négociation avec le groupe BNP Paribas sur la revente
des branches belges et luxembourgeoises.
Les actionnaires se sentent floués par l’action opérée par le gouvernement belge. Ces
actionnaires (c’est toute l’affaire Fortis, versant judiciaire avec Modrikamen) introduisent une
action en référé (rapide) pour obtenir tout simplement l’arrêt du processus de vente.
Un des arguments est le fait que le conseil d’administration qui a autorisé le dépeçage
du groupe n’avait pas l’autorité de prendre la décision de cession des filiales en cause sans
l’accord préalable de l’assemblée générale, l’autorisation des actionnaires.
Quelle est la base de l’argumentaire des actionnaires ? Ce sont les règles du Fortis
governement statement qui ne sont pas a priori des règles qui seraient inscrites dans le Code
des sociétés. Ces règles prévoyaient que dans pareil cas, l’assemblée devait être consultée.
Cela n’arrange personne que le tribunal arrête tout à cause de la violation d’une petite
règle d’éthique dans un petit code. La présidente du tribunal de commerce, Mme De Tandt,
dit que les demandeurs font référence à cela et dit que ces règles n’ont aucune valeur juridique
prima facies. Elle dit que tout le monde reconnaît que ces règles sont du soft law qui n’ont pas
de valeur normative et contraignante et, dès lors, on ne peut pas reprocher au conseil
d’administration de les avoir violées. On retrouve cela dans le Journal des tribunaux 2008. Le
magistrat fait une pondération de tous les intérêts en jeu. Elle justifie la décision rapide (il faut
le dire, prise en quelques jours, sans avoir informé ou demandé ou saisi l’organe qu’est
l’assemblée générale de Fortis) par les circonstances : « à situation exceptionnelle, réponse
exceptionnelle » et cela ne parait pas illégal ni illicite au professeur.
Les demandeurs ont fait appel. On se souvient que la Cour d’appel a réformé la
décision de Mme De Tandt en disant exactement le contraire du point de vue de la force
contraignante : ces règles faisaient partie des règles statutaires de Fortis. La Cour d’appel dit
qu’il était obligatoire pour le conseil d’administration de saisir l’assemblée générale et de lui
soumettre la décision de revente. On suspend tout et on organise alors la fameuse assemblée
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générale sur base de la décision en cause et là les petits actionnaires n’ont pas su s’opposer à
la décision prise par l’assemblée. Il n’y a pas d’autorité du référé sur le juge du fond.
4. Des actes de commerce à la notion de commerçant
La définition du commerçant se trouve inscrite à l’art.1er du Code de commerce : c’est
celui qui exerce des actes qualifiés de « commerciaux » par la loi et qui en font leur activité
professionnelle.
A. La détermination des actes de commerce
On pourrait imaginer une sorte de définition abstraite qui permette de comprendre ce
qu’est un acte de commerce. L’avantage d’une telle définition eut été de permettre une
certaine souplesse, une évolution, à la notion, grâce à l’interprétation qui aurait été donnée et
précisée par les juges. Cela n’a toutefois pas été le choix posé par le législateur. Son approche
procède par une liste des actes qui vont devoir être présumés comme des actes de commerce.
Cette liste apparait à l’art.2 du Code de commerce. Une liste, par définition, n’est pas
exhaustive. Lister les actes dans un instrument législatif rend l’exercice de mise à jour lourd et
inefficace. Depuis 1807, il n’y a eu que deux changements (1956, 1973). Tout le jeu sera alors
d’interpréter le contenu de la liste pour y faire entrer les « nouveaux » actes de commerce, ou
pour en exclure d’autres, en fonction de l’intérêt qu’on peut avoir.
La doctrine a essayé de systématiser cette liste, de ranger ces différents actes par
catégorie. On n’est jamais arrivés à un résultat parfaitement satisfaisant. On trouvera en
général autant de catégories que d’auteurs. Une véritable catégorisation est impossible, c’est
uniquement à finalité pédagogique.
§1 – L’énumération des actes de commerce
On distingue les actes de commerce objectifs et subjectifs. Cela reflète la difficulté de
faire un choix entre la conception objective et subjective de la commercialité. Au sein des
actes objectifs, on différencie les actes isolés, par entreprise et par la forme.
A la lecture de la liste, on peut être frappés par l’archaïsme du langage utilisé, ainsi
que par le désordre complet de cette disposition. Lorsqu’on parle d’acte isolé, il s’agit d’actes
qui, même posés de manière unique, seront ou pourront être considérés comme des actes de
25
commerce.
Ex. : -la loi répute acte de commerce « tout achat de denrées et marchandises pour les
revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés ou mis en œuvre, ou même pour en
faire simplement usage ». Plusieurs remarques sont à faire. Ce n’est que l’achat pour la
revente qui sera considéré comme un acte de commerce. On parle de denrées et
marchandises ; même en leur donnant une interprétation large, force est de reconnaitre que,
par exemple, l’achat d’un immeuble pour le revendre n’est pas, même de manière isolée, un
acte de commerce.
- l’achat d’un fonds de commerce pour l’exploiter.
- les opérations de banque.
Les actes par entreprise supposent une certaine répétition, et une certaine structure
dans laquelle cette répétition a lieu. Ce sont des actes répétés, dans le cadre d’une entreprise.
A nouveau, il faut rechercher, dans la liste, les actes qui seront considérés comme tels.
Ex. : toute entreprise ayant pour objet l’achat d’immeuble(s) en vue de le(s) revendre est un
acte de commerce par entreprise.
Le poids des mots utilisés est essentiel, pour chaque type d’acte visé par cette
disposition.
Toutes ces incohérences donnent lieu à des batailles interprétatives.
Exemple des entreprises de manufacture et d’usine qui visent, en réalité, les entreprises de
production : l’important, ici, c’est l’idée de production. Selon le sens commun de l’époque,
toute production implique la transformation d’un produit de base en un autre produit neuf.
S’est posé le problème des entreprises extractives, à un moment où le charbonnage
s’effondrait. Quid de la procédure de faillite ? Peut-on mettre ces entreprises en faillite étant
entendu qu’elles sont considérées comme posant des actes de commerce ? La liste implique
une transformation du produit de base. Or, quand on extrait du charbon, il n’y a pas
vraiment de transformation du produit. On a fini par interprété le processus d’extraction de
charbon comme une transformation du produit de base, ce qui permettre de déclarer que la
vente était un acte de commerce et qu’on pouvait donc mettre l’entreprise en faillite. On voit
donc ici le processus d’interprétation extensive.
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Quant aux actes par la forme, on vise principalement les lettres de change, les mandats
et autres effets à ordre ou aux porteurs. On vise en fait les engagements. On ne vise pas tant
les actes mais plutôt les obligations portées en vertu de ces actes. La nature de l’obligation est
commerciale, donc c’est un acte de commerce.
Les actes subjectifs sont toutes les obligations des commerçants, qu’elles aient pour
objet des meubles ou immeubles, à moins qu’il soit prouvé qu’elles aient une cause étrangère
au commerce. Il s’agit, en quelque sorte, d’une catégorie résiduelle. On vise de manière
systématique et précise une liste d’actes qui seront présumés commerciaux dans le chef de
celui qui les pose.
La jurisprudence est venue préciser la notion d’acte de commerce au départ des
dispositions légales inscrites dans le Code de commerce. Selon elle, il y a une exigence
supplémentaire aux critères et conditions inscrits dans le Code de commerce. Elle considère
que le législateur a toujours présumé que les actes de la liste étaient posés dans un but de
lucre. Le but de lucre n’est pas tant une condition, un critère, qu’un objectif. Par conséquent,
si l’on arrive à prouver qu’un des actes énumérés à l’art.2, à priori considéré comme un acte
de commerce, n’était pas posé dans un but de lucre, on renverse la présomption, et l’acte, fut-
il inscrit dans le Code, ne sera pas considéré comme un acte de commerce. Cette approche a
été avalisée par la Cour de cassation, elle-même, dans un arrêt du 19 janvier 1973.
Nb : il faut distinguer le but de lucre de l’acte de commerce et le but de lucre sociétal.
C.Cass., 19 janvier 1973
Un curé a l’idée de construire un bassin de natation derrière son église. On constate un
problème de filtre avec la piscine. Le curé va donc se plaindre auprès de l’entrepreneur, qui
refuse d’effectuer les travaux. Il y a contestation entre les parties. Le curé assigne la société
en justice pour obtenir exécution des travaux. La société estime que l’assignation du curé est
irrecevable car, lorsque ce dernier exploite un bassin de natation, cela revient en fait à
exploiter un spectacle public au sens qui lui a été reconnu au sens de l’art.2. Dès lors, le curé,
en tant que commerçant, devait s’inscrire au registre de commerce, se faire attribuer un
numéro et le fournir au dossier. Comme il ne l’a pas fait, la sanction est l’irrecevabilité de sa
demande.
L’affaire est portée devant les tribunaux. On arrive en appel où la cour refuse d’admettre la
27
qualité de commerçant du curé et rejette l’argumentation de la société, alors même qu’elle
constaté qu’il s’agit bien d’un acte listé à l’art.2, c’est-à-dire un acte d’exploitation de bassin
public. La cour raisonne au départ de l’absence de but de lucre.
La Cour de cassation reçoit l’idée qu’il y a une présomption de but de lucre pour tous les
actes visés à l’art.2. La Cour constate qu’en réalité, l’arrêt de la cour d’appel a relevé
plusieurs éléments permettant de fonder la conclusion qu’il n’y a pas de but de lucre. Le
premier élément excluant le but de lucre est qu’on est ici en face d’un curé. Ce dernier avait
agi dans le cadre des services qu’il rendait à la communauté paroissienne. Dès lors qu’elle a
mis en avant ces circonstances, la cour d’appel pouvait, à défaut d’esprit de lucre, dire pour
droit que l’activité de ce curé ne peut pas être considérée comme commerciale alors même
qu’elle serait visée par la liste.
§2 – Les actes mixtes
Ce sont des actes à la fois commerciaux dans le chef d’une partie et civils dans le chef
de l’autre. Il s’agit toujours d’un acte unique. Comment procède-t-on pour savoir les règles à
appliquer ? Il faut avoir égard à la nature de l’acte dans le chef de celui à qui on oppose les
effets de l’acte.
Ex. : si on doit faire la preuve d’une vente d’un bien de consommation, on peut imaginer que
le commerçant réclame le payement d’une TV à un acheteur et il faut donc avoir égard à la
nature de cet achat dans le chef de celui à qui on oppose le contrat de vente. Pour le
consommateur, l’acte d’achat est civil. Si le commerçant veut prouver l’obligation d’achat, il
devra appliquer les règles du Code civil. En revanche, si c’est le consommateur qui veut
prouver une obligation de livraison, par exemple, on appliquera les règles de droit
commercial car l’acte de vente dans le chef du vendeur est un acte de commerce.
D’énormes pans de l’activité économique sont exclus de la commercialité. Ce sont
notamment tous les actes des indépendants. De même, les exploitations agricoles, sauf
exceptions, ou encore les activités des pouvoirs publics.
B. De l’acte de commerce au commerçant
L’art.1er du Code de commerce vise tant les commerçants, personnes physiques, que
ceux agissant en société, sociétés commerciales. Pour ces deux catégories, on applique, en
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principe, les mêmes règles. Il y a toutefois des règles particulières en matière de droit de
sociétés qui s’imposent aux sociétés commerciales.
A la lecture de la définition de l’art.1er, on relève trois conditions :
- accomplir des actes de commerce
- à titre professionnel : c’est l’idée que l’acte doit être posé de manière habituelle. La
répétition en tant que telle ne suffira pas.
- en son propre nom et pour son propre compte : (ex. : je suis étudiant et je travaille dans un
bar. Je ne suis pas commerçant car j’agis pour le compte de mon patron, qui lui est
commerçant).
Ces trois conditions sont nécessaires pour être qualifié de commerçant. Il ne suffira
pas de dire « je suis commerçant », « j’ai un registre de commerce »,… Au niveau de la
qualification légale, cela n’aura pas d’incidence. Tout au plus, cela aura une incidence au
niveau de la preuve car cela joue comme présomption.
Nb : toutes les professions libérales ne sont pas reprises dans la liste contenue à l’art.2
du Code commerce. Toutefois, un notaire, par exemple, pourrait poser un acte de commerce
et être qualifié de commerçant au sens de l’art.1er. De même, un architecte ne peut être à la
fois architecte sur un chantier et poser des actes d’entreprise sur ce chantier. Néanmoins, s’il
le fait, son activité d’entrepreneur pourra être considérée comme une activité commerciale.
C. L’intérêt de la distinction entre acte de commerce et acte civil
Il est de pouvoir déterminer qui est, ou non, commerçant. Il permet aussi de déterminer
où il faudra assigner. De même, la loi sur la faillite n’est applicable qu’aux commerçants. La
question de la preuve sera également réglée différemment selon que l’on est en droit civil ou
en droit commercial. La gratuité du mandat sera présumée en droit civil tandis que cette
présomption n’a aucun sens en matière commerciale. Elle est même impensable : on part du
principe que le mandat est rémunéré. En droit civil, la solidarité des débiteurs ne se présume
pas, alors qu’il est d’usage que les débiteurs commerçants sont, de droit, solidaires entre
eux.
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II. L’acteur du droit commercial
1. L’acquisition et la perte de la qualité de commerçant
Il faut remplir les conditions de la définition du commerçant (art.1er du Code de
commerce) pour obtenir la qualité de commerçant. Dès lors qu’une des conditions n’est plus
remplie, cette qualité est perdue. Il existe des règles particulières applicables aux sociétés
commerciales : une fois qu’on les liquide, elles seront encore considérées comme
commerçantes (elles vont conserver la personnalité morale ; elles vont continuer à agir
comme société commerciale).
Le décès entraine également la perte de la qualité de commerçant. Celle-ci ne se
transmet pas par voie successorale.
2. La capacité juridique requise pour être commerçant
C’est une activité économique qui entraine une prise de risques, tant pour soi-même
que pour les autres. Il est donc apparu normal de limiter, mais pas trop (au nom de la
liberté), l’exercice de l’activité commerciale.
A. Les incapacités
Au départ, les femmes ne pouvaient pas exercer le commerce comme elles
l’entendaient. Depuis 1958, elle peut exercer l’activité commerciale de son choix sans
autorisation de son époux.
Pour le reste, on retrouve les incapacités classiques du Code civil. Ainsi, sont
incapables les mineurs d’âge (art.6 du Code de commerce : règle de protection du mineur,
qui ne peut être invoquée au profit du commerçant qui aurait traité avec lui). Avant qu’on
abaisse la majorité à 18 ans, il existait un système d’autorisations pour les mineurs émancipés.
Ce système a été abrogé. Il existe des dispositions particulières qui prévoient le système à
appliquer en cas de décès des parents commerçants.
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Les interdits au sens civil du terme sont considérés comme incapables par le Code
civil et sont mis sous tutelle/tutorat.
B. Les interdictions
Certaines dispositions légales interdisent aux titulaires de certaines professions
d’exercer le commerce. C’est notamment le cas de l’avocat.
Il y a aussi des interdictions qui sont prononcées par le juge à titre de sanction. Le
monde des affaires a besoin de sécurité, et l’une des matières d’obtenir cette sécurité, c’est de
mettre hors-jeu certains acteurs néfastes. Le régime de la faillite, au départ, était également
une sanction à l’égard du commerçant incapable de gérer une exploitation commerciale.
Aujourd’hui, les choses ont toutefois changé.
Certaines interdictions sont imposées par des textes, soit parce que certaines activités
sont incompatibles, soit parce qu’il s’agit d’exclure certaines personnes de la commercialité.
C. Le commerçant étranger
Les commerçants étrangers doivent obtenir une carte professionnelle délivrée par les
autorités pour exploiter un commerce.
3. Les droits et obligations du commerçant
Certaines obligations sont désuètes et il y en a qui sont même amenées à disparaitre.
Certains des devoirs sont inscrits au titre III du Code de droit économique.
A. La publicité des conventions matrimoniales
Les tiers ont un intérêt à connaitre les conventions matrimoniales des commerçants
avec qui ils vont traiter. On a organisé un système de publicité de ces conventions
matrimoniales. Ce sont d’anciennes dispositions qui figurent toujours dans le Code de
commerce (art.12 à 15). Il y a obligation d’envoyer un extrait de ces conventions aux greffes
des tribunaux. Dès lors que l’on change de statut matrimonial (ex. : divorce), il faut aussi
transmettre un extrait. Ces dispositions sont présentées, dans les banques de données
législatives, comme étant abrogées en 2015. Elles sont donc toujours actuellement en vigueur,
bien que quelque peu désuètes.
B. L’inscription à la Banque-carrefour des entreprises
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Cette obligation existe depuis le 30 mai 1924. Le but était de centraliser l’information
relative aux commerçants/sociétés commerciales qui exercent leur activité sur un ressort
territorial prédéfini. La particularité de cet ancien dispositif est qu’il n’y avait pas de
véritable centralisation de l’information puisque celle-ci restait éclatée au sein de
l’arrondissement. Les buts et fonctions de cet enregistrement sont multiples. Il y a
évidemment une fonction statistique. Ces statistiques pourraient servir à éclairer certaines
politiques économiques mises en œuvre au niveau étatique. Il y a une fonction fiscale
évidente à cette démarche. Une autre fonction est de développer le contrôle administratif.
Ce système a fait l’objet de nombreuses modifications. On a créé en 2003 la Banque-
carrefour des entreprises, système fondé sur une banque de données centrale de toutes les
informations relatives aux commerçants et entreprises. L’idée est de centraliser
l’information, d’une part, et d’organiser un système de guichets, décentralisés, d’autre part.
Il existe de plus en plus de Banque-carrefour de ce type mises en œuvre au sein des
administrations, avec toujours cette finalité de simplification et d’augmentation de
l’efficacité de l’appareil étatique.
Qu’entend-t-on en réalité par « entreprises » ? Au titre III du Code de droit
économique, on y trouve plusieurs définitions différentes. La définition générale de
l’entreprise est inscrite à l’art.1, 1° : toute entité qui offre un bien/service sur un marché.
L’art.1.4, 1° définit l’entreprise comme toute entité tenue de s’inscrire à la Banque-
carrefour. On réduit donc le champ d’application général de la notion d’entreprises.
L’article 16 du titre III vise toutes les personnes morales du droit belge, de droit
étranger qui disposent d’un siège en Belgique,… C’est pratiquement toute entité exerçant
une activité économique/ou non sur le territoire belge.
L’article 49 complète l’article 16. Il énonce le devoir d’inscription de manière
générale pour les entreprises commerciales/non-commerciales de droit privé avant de
démarrer leurs activités. Il faut non seulement s’inscrire, mais aussi mettre à jour les
informations.
La sanction du manquement à cette obligation est l’irrecevabilité de l’action des
sociétés qui n’ont pas obtenu de numéro. Ce numéro est à indiquer sur tout document
officiel utilisé dans les activités de l’entreprise. La sanction d’irrecevabilité a été
« assouplie » vu les excès auxquels elle a donné lieu. Le tribunal va remettre l’affaire à une
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date postérieure pour laisser à l’entreprise le soin d’apporter la preuve qu’elle était inscrite
auprès de la Banque-carrefour au moment de l’introduction de l’action. Si elle ne prouve pas
son inscription, le tribunal déclarera d’office l’action non-recevable. Cette sanction ne vise
que l’entreprise commerciale.
L’inscription auprès de la Banque-carrefour vaut présomption de la qualité de
commerçant (art.49.2). Ce n’est pas une des conditions de la qualité de commerçant. A tout
le moins, cela facilitera la preuve de cette qualité.
Les articles 29 et suivants énoncent le type d’informations que l’on trouve dans la
Banque-carrefour, de même que l’accès à cette Banque-carrefour, différente selon le type
d’informations :
- les accès uniquement réservés aux autorités : Le comité de surveillance sert à vérifier si les
transferts d’informations sont respectueux du cadre légal mais aussi des législations sur la
protection des données. Ce comité donne des autorisations préalables dans les cadres définis
par les différentes lois.
- les accès généralisés, via internet, à tous les citoyens.
- les accès ouverts aux entreprises elles-mêmes, aux fins de vérifier l’exactitude des données
inscrites dans la Banque-carrefour.
Les guichets d’entreprise sont disséminés sur le territoire. L’idée est de permettre à
l’entreprise de transmettre les informations au guichet proche de lui. Les guichets vont jouer
un rôle d’intermédiaire entre l’entreprise et l’administration.
Dans la Banque-carrefour, on a principalement des informations qui permettent
d’identifier la personne, d’avoir ses coordonnées, sa forme juridique, la date de création de
l’entreprise, ses fondateurs, ses mandataires, …
A l’initiative de l’entreprise, les informations sont soit communiquées, soit rendues
facilement accessibles aux clients sur le lieu de l’activité de l’entreprise/de la conclusion du
contrat ou par une adresse électronique communiquée par l’entreprise.
A l’art.80, on retrouve de nouvelles obligations générales de non-discrimination.
C. Les obligations de compétences professionnelles
Elles ne sont pas reprises dans le Code. L’idée est la suivante : on part du constat que
les faillites sont nombreuses. On remarque que, bien souvent, s’il y échec, ce n’est pas
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uniquement à cause d’un problème d’activité économique mais aussi à cause d’un problème
de gestion. On a voulu imposer des obligations de compétences particulières, à destination
principalement des PME. L’idée est de pouvoir s’assurer des capacités entrepreneuriales des
entreprises. On doit principalement faire la preuve de l’acquisition de certaines compétences.
Concrètement, ces PME doivent prouver que le gérant a les connaissances et les compétences
nécessaires.
D. La tenue de la comptabilité
Les obligations générales comptables sont aussi insérées dans le livre III. Sont visées
les entreprises entendues comme celles particulièrement définies pour la comptabilité (art.1.5,
1° : « les personnes physiques ayant la qualité de commerçant »).
Les obligations de tenue de comptabilité sont importantes et pèsent fortement sur les
commerçants (PP/PM). Pourquoi est-ce important ? Il y a une double idée. Premièrement,
c’est dans l’intérêt de l’entreprise elle-même car ça l’oblige, théoriquement, à avoir le nez
dans ses opérations et de tenir à jour les informations relatives à son activité. Les tiers, aussi,
ont intérêt à ce qu’une comptabilité précise et complète soit tenue. Grâce à cette comptabilité,
le tiers va pouvoir avoir une idée de l’état des activités de l’entité, dès l’instant où la
comptabilité fait l’objet de mesures de publicité. La comptabilité va aussi jour un rôle
probatoire.
E. L’obligation d’être titulaire d’un compte auprès de l’Office des chèques postaux ou
d’une banque
Cette obligation est instituée par un arrêté-royal de 1967. Aujourd’hui, cette obligation
présente un certain anachronisme. Ces exigences sont dépassées. Il y a toutefois une sanction
intéressante en cas de violation de cette obligation : si les indications n’ont pas été
communiquées au débiteur, les intérêts moratoires ne sont pas dus, nonobstant toute clause
contractuelle contraire.
F. La nomination en qualité de juge consulaire au tribunal de commerce
Il s’agit plutôt d’un droit que d’une obligation. Il faut avoir 30 ans et avoir exercé
pendant au moins 5 ans le commerce honorablement (art.204 et 205 C.jud.).
Nb : les chambres du tribunal de commerce sont composées de deux juges consulaires et un
juge professionnel.
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4. Quelques règles particulières dictées par la qualité de commerçant
A. La preuve en droit commercial
Il s’agit de pouvoir prouver ses droits. Dans les relations contractuelles, il faut
s’aménager la preuve des actes/pratiques commerciaux. En pratique, on constate une
évolution : du fait de l’utilisation croissante, voire constante, des e-mails, ceux-ci deviennent
une source incroyable, riche et utile pour prouver l’existence des droits et obligations entre
partenaires commerciaux.
Le problème est que la preuve est strictement règlementée en droit civil. En droit
civil, cette matière est extrêmement complexe, règlementée et rigide. En droit commercial, on
va se libérer de ce formalisme.
§1 – L’article 25, alinéa 1er, du Code de commerce et le principe dit de la preuve
« libre »
On y consacre l’admission de la preuve testimoniale. On vise ici les engagements
commerciaux : il s’agit des actes de commerce.
La disposition est ancienne. Par « preuve testimoniale », on veut dire que l’on peut
utiliser tout mode de preuve. Le juge a une large marge de manœuvre dans l’admission de la
preuve. Il n’est pas pensable, dans les activités économiques, de dresser un écrit pour chaque
transaction. Cela traduit les principes de loyauté, de liberté, de la confiance, la prise de risque,
… qui règnent en droit économique. On est dans l’idée que la comptabilité viendra pallier, le
cas échéant, l’existence de l’écrit en cause. De même, la vie des affaires nécessite que l’on
puisse poser rapidement un acte juridique. Ce besoin de rapidité explique que l’exigence d’un
écrit obligatoire pour fixer les droits et obligations des parties est peu compatible avec le
rythme de vie des affaires.
En pratique, il y a peu de contestation sur la question de savoir quel type de preuve
utiliser. En cas de contentieux, les parties vont, en général, collaborer à la charge de la preuve.
Il faut bien saisir que cette liberté de preuve n’existera que si la personne, le partenaire
commercial, à l’égard duquel on doit faire la preuve, pose des actes de commerce. Les règles
de droit civil ne sautent que si la personne contre qui on prouve a posé un engagement de
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commerce. Par engagement commercial, on entend tant l’acte (et donc la preuve de
l’engagement), que la preuve de l’exécution de l’engagement et de l’extinction de celui-ci. Si
on veut prouver un payement, par lequel on éteint la dette, on applique les règles de l’article
25 pour autant que ce payement soit de nature commerciale dans le chef du contractant.
C’est le juge qui doit apprécier tant l’admissibilité même du mode de preuve fourni
par la partie, que la force probante du moyen de preuve utilisé. Le juge peut, mais en réalité
ne doit pas nécessairement s’écarter du système du Code civil. Il peut, mais n’est pas obligé,
retenir les preuves proposées. Le juge, dans son appréciation, n’est pas lié par la hiérarchie
des preuves du Code civil. Il dispose d’une importante marge d’appréciation quant à la valeur
probante. Toutefois, il se montrera très souvent dubitatif dès lors que le mode de preuve
n’apparait pas comme étant sérieux, crédible. Les juges sont particulièrement attentifs, sous
peine de voir leur décision modifiée en appel/cassée, à ce que ces moyens, s’ils sont admis,
rencontrent des conditions de vraisemblance suffisante. N’oublions pas que nous sommes
dans une matière gouvernée par les usages. Le juge y fera attention. Il est d’usage de dresser
un contrat, une convention. L’absence de contrat créera un état dubitatif dans le chef du juge.
Ce principe de preuve libre est souvent aussi battu en brèche par des exigences légales.
Dans de nombreuses matières, il existe des dispositions dérogatoires qui imposent bien
souvent un écrit.
Ex. : le contrat de société doit être dressé par écrit et doit, parfois, faire l’objet d’un acte
authentique.
§2 – Les modes (spéciaux) de preuve du droit commercial
La facture
Il s’agit d’un mode de preuve spécifique que l’on va faire valoir à l’égard de celui qui
va accepter la facture de son cocontractant. Pour pouvoir faire jouer ce mode preuve, le
destinataire doit être commerçant au sens des règles précédemment analysées.
C’est un mode dérogatoire au droit commun puisqu’on s’empare d’un document qui
émane du prestataire lui-même. Le système est directement tempéré par le fait que cette
facture doit être acceptée par le destinataire : c’est l’acceptation qui fait preuve, pas seulement
l’émission. Si le destinataire n’était pas commerçant, ce mode de preuve ne vaudrait rien. Il ne
vaut pas par rapport à celui qui émet la facture.
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Le champ d’application est limité à l’achat ou la vente. On a admis une interprétation
assez large du principe et la Cour de cassation a été jusqu’à dire que s’il est d’usage de faire
des factures pour certains engagements autres que la vente, alors on pourra faire jouer la règle
et admettre l’application de l’article 25. La Cour a admis cela de conventions qui ne sont pas
qualifiées de vente. Dans ces cas-là, on n’admet la présomption que comme une présomption
de fait qui ne s’impose donc pas au juge.
Il faut une facture. Il n’y a pas, sauf dans des législations particulières, de définition de
la facture. La facture est un écrit unilatéralement dressé par un commerçant et qui doit
mentionner au moins et au minimum la chose vendue, le service presté, le prix et l’identité
des parties.
De nos jours, la facture peut être électronique. Sous l’impulsion européenne, on est
amenés à une obligation d’acceptation des factures électroniques.
Il faut une facture, mais il faut aussi qu’elle soit acceptée. L’acceptation peut être
expresse, ou même écrite. La plupart du temps, elle est tacite (ex. : le payement d’une facture
sans réserve vaut acceptation tacite). On considère également qu’indépendamment d’un
payement, une facture qui n’est pas protestée, contestée, est acceptée. En matière
commerciale, le commerçant a l’obligation de protester rapidement. On considère que l’on ne
peut laisser un partenaire commercial dans l’incertitude.
L’acceptation présume l’existence et le contenu du contrat. C’est une présomption
légale. La question est de savoir si l’on peut se prévaloir de ce mode de preuve pour en inférer
l’acceptation des conditions générales annexées à cette facture, c’est-à-dire du contenu du
contrat. La question est controversée. En tout état de cause, l’acceptation des conditions
générales n’a pas lieu au moment de la facture. En effet, en général, les conditions générales
précèdent la facture. On ne peut donc présumer l’acceptation des conditions générales via
l’acceptation de la facture.
La question de savoir si c’est une présomption réfragable ou irréfragable n’est pas non
plus tranchée. On peut estimer que dès l’instant que l’acceptation est valide et ne peut être
mise en cause, elle est irréfragable, sous peine de vider la règle de sa portée et de son sens. Le
problème est plutôt de savoir si l’on peut contester l’acceptation.
La facture acceptée jouit en elle-même d’une force probante. Le juge est donc obligé
d’en tenir compte. Il pourra toutefois, en fonction des circonstances, la rejeter.
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Quid si, en cours de contrat, on ajoute des conditions dans la facture et que l’on a
communiqué ces nouvelles conditions via la facture, sans qu’il y ait eu de protestation de la
part du destinataire ?
C.Cass., 7 janvier 2005
Il s’agissait d’un litige entre un vendeur d’huile pour moteur et un garagiste. Une convention
prévoyait que le garagiste s’approvisionne chez le vendeur. Le litige nait de ces achats
d’huile. A partir d’un certain moment, le fournisseur a changé l’huile et conserve le prix de la
première huile. Après un certain temps, le garagiste s’en rend compte. De là nait le litige.
L’huile de remplacement est une huile n’ayant pas la même qualité que la première et, dans
le chef du fournisseur lui-même, se paye deux fois moins cher. Une contestation particulière
surgit entre le garagiste et son fournisseur. Ce dernier se défend en disant que le garagiste a
accepté la facture comprenant les nouvelles conditions générales. L’affaire va jusqu’en appel
où la Cour met en avant tout à la fois les manquements du fournisseur, permettant de justifier
la résiliation, et tire dans ces manquements la justification de l’écartement de l’acceptation de
la facture comme moyen de preuve. La Cour en appelle à l’exécution de bonne foi du
fournisseur. Elle fonde en outre sa décision sur le fait que la modification de la nature du
produit n’était couverte ni par le payement, ni par les factures. La Cour de cassation casse cet
arrêt. Elle rappelle l’article 25, al.2, du Code de commerce. Elle estime qu’il n’y a pas de
manquement dès lors qu’il y a eu acceptation des factures. Il en va d’un devoir de diligence
des commerçants, qui veut que la protestation soit immédiate. La Cour se montre sévère, au
nom du principe d’efficacité et de sécurité juridique.
Quid si l’émission de la facture est tardive ?
En principe, la règle reste de mise. Il existe toutefois des tempéraments. Il se peut tout
d’abord qu’il y ait prescription de l’obligation et de la demande en payement. Il existe des
prescriptions abrégées pour les marchands. Un juge peut voir dans une demande d’exécution
des payements tardive un abus de droit (lorsque l’on considère que l’on n’a manifestement
pas exercé son droit comme l’aurait fait quelqu’un de normalement prudent et diligent).
On a alors arrêté des critères spécifiques, des cas dans lesquels on va considérer que
l’exercice de ce droit (le droit de demander l’exécution des payements) n’est pas acceptable
dès lors qu’il est tardif, clairement dans une intention de nuire à son débiteur. C’est le premier
38
dans lequel on retient l’abus de droit. S’il y a disproportion entre l’avantage créé du droit et le
dommage causé à autrui, on retiendra aussi l’abus de droit. La sanction de l’abus de droit
consiste à réduire l’usage de ce droit à ce qui aurait été considéré comme normal et
raisonnable, étant donné que l’on ne peut priver quelqu’un de son droit.
La comptabilité ( art.20 à 24 du Code de commerce )
C’est la comptabilité de celui qui la tient qui peut faire preuve contre les partenaires
commerciaux qu’il a pu avoir. Le commerçant se constitue son titre par lui-même.
Certaines conditions doivent être remplies. Pour valoir, la comptabilité doit faire
l’objet d’une admission par le juge. Elle ne va pas de soi. Le juge aura un pouvoir certain
d’appréciation. Il décidera, en fonction des circonstances, s’il admet ou non la production de
cette comptabilité. Pour rétablir un certain équilibre entre les parties, le juge tiendra compte
des circonstances du litige. De même, la force probante est laissée à l’appréciation du juge.
Une fois qu’il aura admis la comptabilité, il va lui-même apprécier ce qu’il va en tirer.
L’article 20 parle de comptabilité régulièrement tenue. La doctrine admet cependant que le
juge accorde foi à une comptabilité pourtant irrégulière, alors à titre de présomptions.
Il existe deux modes de production de la comptabilité légalement prévus :
- la représentation, qui s’entend de la production, en justice, des seuls passages de la
comptabilité qui sont strictement nécessaires à la résolution du litige (art.22 du Code de
commerce).
- la communication, qui consiste en la production de l’intégralité de la comptabilité du
commerçant (art.21 du Code de commerce).
B. La solidarité entre commerçants
§1- Le principe
Cela signifie que chaque commerçant pourra être tenu pour le tout à l’égard du
créancier. Le créancier peut choisir l’un des débiteurs et demander l’intégralité du payement.
Le débiteur se retourne ensuite contre les autres pour obtenir remboursement de leur quote-
part de la dette. Ce principe est contraire au droit commun des contrats. L’article 1202 du
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Code civil stipule que la solidarité ne se présume pas : elle doit être expressément stipulée en
droit civil. En droit commercial, la solidarité est de droit.
En pratique, il n’est pas rare de voir plus de deux intervenants. Bien souvent, certains
d’entre eux peuvent être tenus de faire ou payer vis-à-vis d’un autre. La règle de solidarité
entre débiteurs va ainsi jouer.
Il ne s’agit pas de règles d’ordre public. On peut les exclure du contrat, pour autant
que les parties soient d’accord. En tant que règle supplétive, si rien n’est stipulé, cette règle
s’appliquera automatiquement.
Cette solidarité augmente le crédit commercial des commerçants. Cela leur permet
d’intervenir ensemble et, ainsi, d’être plus convaincant. L’intérêt du créancier à contracter
avec plusieurs débiteurs est que le risque de défaillance est amoindri.
§2 – Le champ d’application du principe
Il ne s’agit que d’une solidarité passive ; elle ne vaut pas à l’égard des créanciers.
Pour que les deux débiteurs soient tenus, il faut forcément une obligation
contractuelle. Souvent, si la cause des conventions est la même, on appliquera la solidarité.
Ex. : entre une caution et le débiteur principal : souvent, la caution n’est pas directement
partie au contrat. Si la caution et le débiteur sont commerçants, on appliquera la règle de
solidarité.
§3 – Les confirmations légales du principe
Plusieurs dispositions légales sont venues confirmer cette règle de solidarité, qui à la
base relève de l’usage.
C. Les (autres) principaux usages commerciaux
o En matière commerciale, il n’y a pas de forme exigée pour la mise en
demeure : elle se réalise par la seule échéance du terme convenu. La forme importe
peu. On a même reconnu des mises en demeure orale.
o La protestation rapide vaut pour tous les documents reçus par le
commerçant. Il y a une obligation de diligence professionnelle dans le chef du
40
commerçant qui fait que l’on présumera souvent une acceptation d’une absence de
protestation rapide.
o Le Code civil organise un système de remplacement du débiteur
unilatéral. Il s’agit du cas où on a une non-exécution d’une obligation de faire par le
débiteur. En droit civil, le remplacement ne peut être fait que sur base d’une décision
judiciaire. En droit commercial, on a toujours admis le remplacement sans décision
judiciaire, mais aux risques et périls du créancier.
o Le transfert de propriété est sensé avoir lieu au moment de la délivrance
du bien et pas lors de la rencontre des consentements, ce qui est le cas en droit civil.
En cas de silence, le vendeur dispose d’un délai raisonnable pour délivrer le bien. Les
frais de délivrance sont parfois à charge de l’acheteur, dans certains secteurs.
o L’acheteur commerçant doit protester immédiatement en cas
d’apparition de vice apparent. Dans un contrat d’entreprise, la réception du bien
couvre les vices apparents. L’acheteur est tenu de vérifier les marchandises à la
réception. S’il n’y a pas de protestation, en vertu des usages, la marchandise est
présumée acceptée. Il reste toutefois la possibilité d’invoquer la mauvaise foi du
vendeur, pour autant que l’acheteur puisse la prouver.
o En cas de ventes avec livraisons successives, chaque livraison est
considérée comme indépendantes l’une de l’autre. S’il y a retard dans une échéance
lors d’une livraison, on ne reporte pas ce retard sur les autres livraisons.
o Si une chose livrée est d’une qualité légèrement inférieure à ce qui était
convenu mais que le contrat conserve une utilité pour l’acheteur, celui-ci ne pourra
demander que la réfaction (=baisse du prix en proportion de la moins-value).
D. Les règles particulières régissant la prescription libératoire dans les transactions
conclues par un commerçant
Il peut y avoir des prescriptions spécifiques dès l’instant où l’on traite avec des
professionnels.
L’article 2272, al.2, du Code civil concerne l’action des marchands contre les particuliers
non-marchands. On vise ici tous les vendeurs professionnels ; la notion est plus large que
celle de commerçant. Cette règle prévoit un délai de prescription d’un an, au lieu de 10 ans.
41
Cela ne vaut que s’il y a une reconnaissance écrite de la dette par le débiteur. Dans le cas
contraire, la règle ne va pas jouer.
III. Le patrimoine du commerçant
1. Le fonds de commerce, sa cession et sa mise en gage
A. Le fonds de commerce
§1 - Définition
C’est une vieille institution, spécifique à la commercialité. L’idée même de l’institution se
fonde sur une volonté de protéger la clientèle des commerçants. Il s’agit de l’assiette d’une
garantie particulière : le gage sur fonds de commerce. L’idée est de pouvoir donner en gage à
un créancier tout ce qui constitue et est couvert par la notion de commerce.
La matière est réglée par une loi du 25 octobre 1919. Cette loi n’établit pas un régime
général. Elle ne règle, en réalité, que le problème de sa mise en gage, en passant néanmoins
par une définition de l’institution. Cette loi va bientôt être abrogée. Une loi du 11 juillet 2013
est venue réformer profondément la matière en modifiant les règles du Code civil relatives
aux sûretés mobilières. Cette loi n’est pas encore entrée en vigueur, elle devrait l’être le 1er
décembre 2014. Cette loi gomme les spécificités du gage sur fonds de commerce par rapport
aux gages sur d’autres meubles. Elle unifie le régime du gage sur fonds de commerce avec
celui règlementé par le Code civil.
§2 – Les éléments tenant à la nature du fonds de commerce
On ne trouve pas de définition du fonds de commerce dans la loi du 25 octobre 1919.
L’article 2 propose une simple énumération exemplative, et non contraignante, de l’ensemble
des valeurs qui composent le fonds de commerce. La notion est en réalité assez fuyante. On
vise, par la notion de fonds de commerce, tous les éléments susceptibles de conserver une
clientèle d’un établissement commercial déterminé. C’est tout l’actif du commerçant, actif
affecté à l’activité, l’exploitation de son activité, dont le but et la finalité est de capter une
clientèle afin de lui vendre ses services/produits. Ce fonds peut en tant que tel faire l’objet
d’une transaction.
42
§3 - Les caractères du fonds de commerce
Il s’agit une universalité de fait : c’est un ensemble de biens, de valeurs, qui sont
économiquement unis par une même finalité économique d’exploitation du commerce. On ne
vise pas l’universalité de droit : on n’en fait pas un patrimoine distinct du patrimoine global
du commerçant. Il n’y a d’ailleurs pas d’élément de passif. Cet ensemble économique va
pouvoir avoir une autonomie. L’avantage est de pouvoir considérer le fonds de commerce en
tant que tel plutôt qu’une addition des éléments qui le constituent. Ainsi, sa valeur n’est pas
forcément identique à la valeur des éléments qui le composent.
L’idée est que ces éléments d’actif sont bien plus importants que la relation
éventuellement personnelle que l’on peut avoir avec le commerçant. La clientèle commerciale
serait plus attachée aux éléments matériels qu’au commerçant lui-même.
En tant qu’universalité de fait, le fonds de commerce est un bien meuble incorporel : il est
considéré dans son ensemble, indépendamment des éléments qui le constituent, comme un
bien meuble incorporel. Il peut toutefois être composé de biens immobiliers.
B. La cession-vente du fonds de commerce
§1 – Les conditions de validité de la cession
Il s’agit d’une vente du fonds lui-même. On retrouve les conditions de validité du droit
commun : un accord sur le prix et l’objet de la vente. En pratique, ces conditions peuvent
poser difficulté, notamment, concernant la clause de prix. Pour rappel, le prix du fonds est
valorisé en tant que tel. Souvent, on lie ce prix à la rentabilité future du fonds. Certains ont
remis en question la validité de certains mécanismes d’évaluation du fonds de commerce sur
cette base, en disant que le prix n’était pas nécessairement déterminable et qu’il pourrait y
avoir annulation de la transaction. Il n’y a pas de règle générale, il faut voir au cas par cas le
mécanisme mis en place et l’évaluer en tenant compte du fait qu’il ne peut pas être admis
qu’in fine le montant du prix soit sous la maitrise totale de l’acheteur.
43
L’objet de la transaction peut aussi poser problème de par la nature même du fonds de
commerce. On admet qu’il suffit, normalement, de viser le fonds de commerce pour avoir
légalement déterminé l’objet de la transaction.
On considère en général que pour permettre la qualification de cession de fonds de
commerce, il faut la réunion des éléments essentiels du fonds, en fonction de l’activité en
cause et des circonstances de la transaction.
§2 – Les conditions d’opposabilité de la cession
Il faut l’existence d’un mécanisme permettant à tout le moins d’informer les tiers de la
modification qui s’est produite. En matière de fonds de commerce, il n’y a malheureusement
pas de règle générale. On doit dès lors dépecer l’opération et rendre opposable la cession des
éléments qui constituent le fonds. Lorsqu’on cède un contrat, il faut dépecer les créances et les
dettes. Il en va de même ici.
Il y a certaines règles d’opposabilité qui vont permettre d’opposer l’opération au fisc.
Elles consistent en un enregistrement du transfert et en un payement de ces droits
d’enregistrement. Il faut également envoyer une copie de l’acte au receveur du cédant. Ces
formalités administratives sont importantes pour éviter tout problème au regard du fisc.
§3 – Les obligations des parties
Comme tout vendeur, le cédant est tenu par la garantie des vices cachés (art.1641 et
svts du Code civil). Il n’y a pas de présomption de mauvaise foi du vendeur du fonds.
Le cédant doit également assurer la garantie d’éviction. On ne peut rien entreprendre,
en tant que vendeur, qui puisse priver l’acheteur de la jouissance du bien vendu. On considère
que cette interdiction de se rétablir après la cession est toujours présumée dans la convention.
Une fois le fonds cédé, il existe une présomption de clause de non-concurrence entre le cédant
et le cessionnaire. L’obligation de non-concurrence ne peut valoir que dans la zone
géographique dans laquelle le cessionnaire du fonds peut exercer son activité. Il faut
également prévoir la limite dans le temps de l’obligation de non-concurrence. On va apprécier
cette durée en fonction du temps qu’il aurait raisonnablement fallu à l’acheteur du fonds pour
capter la clientèle liée au fonds. Cette obligation de non-concurrence ne vaut que sur les
activités liées au fonds de commerce en cause.
44
C. La mise en gage sur fonds de commerce
Le commerçant a besoin de crédit. Le droit économique a créé des instruments qui
permettent de faciliter l’obtention de crédit, au bénéfice des commerçants et en permettant au
créancier de minimiser son risque. On a décidé d’inventer une garantie spécifique portant sur
le fonds lui-même : c’est le gage sur fonds de commerce.
Nb : le gage est une convention par laquelle le débiteur remet une chose mobilière à son
créancier en sûreté de sa dette. C’est un contrat réel qui nait de la remise du bien comme
garantie de la dette.
Cette remise du bien n’avait aucun sens dans la mise en gage d’un fonds de commerce.
La spécificité du gage sur fonds de commerce a été de créer une opération de mise en gage
sans dépossession du fonds de commerce donné en gage. C’était une mesure de relance de
l’économie en facilitant l’obtention de crédit. Dès la création de cette institution, ont cohabités
deux régimes de gage : celui du Code civil et celui de la loi de 1919.
Le gage sur fonds de commerce, depuis ces dernières années, n’est plus choisi par les
banques et donneurs de crédit comme garanties en cas de prêts octroyés aux commerçants. Il
y a, semble-t-il, un désintérêt pratique de cette institution. Pourquoi ? Il y a deux raisons.
D’une part, la clientèle en tant que telle est difficile à valoriser. D’autre part, il y a un conflit
entre créanciers et bailleurs des lieux loués. Les bailleurs ont un privilège sur tous les biens
meubles qui garnissent le commerce. Ainsi, tous ces biens risquent de tomber sous le
privilège des bailleurs. Pour trancher le conflit entre créanciers, on s’en réfère à la date de
constitution du bail ou du gage. Dans ce cas, le bailleur est toujours gagnant. Cela va
augmenter le risque du prêteur. C’est pourquoi les banques ont imaginé d’autres garanties.
Depuis quelques années, sont apparues dans les conventions de prêt les clauses de mise en
gage des créances. On vise principalement les créances liées à des services bancaires car elles
sont en possession des banques.
Dans le nouveau régime, le gage sur fonds de commerce l’a emporté et s’impose à tout
type de gage portant sur des meubles corporels. Le droit commercial s’impose ainsi au droit
civil.
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Livre II – Introduction au droit des sociétés
I. Les principes et concepts
La première finalité du droit des sociétés est de donner à des entrepreneurs une structure
juridique de coopération. L’idée est que, par cette structure, ces associés vont pouvoir
fonctionner sur un pied d’égalité afin d’organiser cette coopération et de se partager les
bénéfices. On a voulu offrir à ces entrepreneurs un certain confort.
La deuxième finalité est d’assurer aux tiers, que sont les créanciers, une protection
spécifique grâce à la prise en compte de leurs intérêts légitimes comme partenaires, détenteurs
d’enjeux (actionnaires). On pense notamment aux règles de transparence et de publicité.
Il y a, aujourd’hui, une nouvelle finalité : le corporate governance. L’idée première est de
garantir aux associés le contrôle de l’activité des administrateurs en renforçant, par l’intérieur,
leurs droits ainsi que l’efficacité de la mise en exercice de ces droits. On va améliorer la
situation de différents détenteurs d’enjeux, d’intérêts. Les grands détenteurs d’enjeux, dans
une société, sont ceux qui gèrent la société (les administrateurs gérants), ceux qui contrôlent
la société (les actionnaires majoritaires) et ceux qui, bien que ne disposant pas d’un tel
pouvoir de contrôle, ont apporté le fruit de leur épargne collective dans le capital de la société
(les actionnaires minoritaires).
Une quatrième finalité est que cette société va permettre de garantir une allocation
maximale des ressources. Le marché veille à la transparence, à ce que les actionnaires soient
traités de manière égalitaire dans le but d’inciter à investir dans ces entreprises. Elle permet la
mise en place de régimes qui permettent à des tiers d’exercer un contrôle sur la société.
1. Les fondements et sources du droit des sociétés
A. Les fondements et finalités du droit des sociétés
La doctrine s’est posé la question de savoir si l’on pouvait systématiser, par une approche
explicative, le phénomène de l’institution juridique qu’est la société. Au départ, l’approche est
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plutôt contractuelle. Qu’est-ce que la société ? C’est un contrat particulier, régi par le Code
civil. L’élément fondamental, explicatif, de la société commerciale, devrait être la théorie de
la libre volonté des parties. Néanmoins, avec cette approche, on bute rapidement sur des
phénomènes inexplicables par cette approche contractuelle.
Ex. : -la reconnaissance de la personnalité juridique : toutes les sociétés commerciales se
voient reconnaitre la personnalité juridique. On ne peut trouver, dans l’autonomie de la
volonté, le fondement juridique de la personnalité morale.
-certaines sociétés fonctionnent avec une responsabilité limitée : l’associé, le fondateur, voit
le risque pris dans la création de la société limité à son apport. On ne peut pas, par contrat,
limiter sa responsabilité par rapport à des tiers.
Il est par contre vrai que le droit des contrats joue un rôle qui peut être important, surtout au
moment de la constitution de la société.
Une autre approche consiste à rejeter l’approche contractuelle au motif que la société doit
être perçue et appréhendée comme une institution permanente, une organisation spécifique
organisée par la loi. C’est le Code des sociétés qui vient organiser les différents organes de la
société et son fonctionnement. C’est, en fait, la loi qui explique la société commerciale dans
cette théorie institutionnelle. Et cette loi est indépendante de la volonté des parties, de l’idée
de contrat. On a pu faire à cette théorie le même type de critique que pour l’approche
contractuelle. Cette approche légaliste n’explique pas l’ingérence du droit des contrats.
On a tenté de dépasser ces deux théories :
- La théorie fonctionnelle : l’idée est de rechercher la finalité, la fonction de la société.
Le problème est alors de se mettre d’accord sur ce que devraient être la fonction et la
finalité d’une société commerciale. On se met d’accord sur l’idée que la société
commerciale a pour but de créer du profit. Il est déjà plus difficile de trouver un
accord sur le type de profit visé ici. Une société, c’est avant tout un investissement.
Cette théorie fonctionnelle ne permet pas de s’accorder pleinement et de manière
précise sur ce que pourrait être la finalité de la société commerciale et du droit des
sociétés.
- La théorie structurelle, réaliste : on voit la société comme une structure dans laquelle
coexistent des mécanismes contractuels et institutionnels.
Il faut, de plus en plus, tenir compte de l’approche de la corporate governance (approche
anglo-saxonne, datant du début des années 90, qui se focalise sur les relations entre les
47
détenteurs d’enjeux internes et externes de la société). L’idée ici repose sur des principes
d’indépendance, de transparence, d’intégrité, de responsabilité. Cela se marque par toute une
série de techniques de réalisation dans la société.
Ex. : faire siéger au conseil d’administration tant des administrateurs exécutifs que non-
exécutifs. Cela permet de garantir une plus grande indépendance des membres du conseil
d’administration.
- l’organisation de comités consultatifs : on peut comprendre que, dans certaines
circonstances, on prenne en compte l’intérêt des détenteurs d’enjeux différents dans
l’entreprise par rapport aux montants qui sont versés au sein de la société.
L’objet de ces règles de corporate governance est de prévenir les conflits d’intérêt, et
éventuellement y apporter des solutions respectueuses. Ces règles naissent surtout, au départ,
pour les sociétés côtés en bourse. Elles apparaissent de plus en plus souvent comme un label
de qualité. En matière de droit des sociétés, en 2004, on a créé et arrêté le Code Lippens :
c’est un code créé par une commission dans le secteur financier, à l’initiative de l’autorité des
services et marchés financiers. Cette commission publie, fin 2004, le Code belge de
gouvernance d’entreprise. Il renferme une série de règles qui doivent permettre aux sociétés
côtés de régler des conflits d’intérêt. En 2009, est apparue une deuxième version de ce Code.
Le législateur s’en est inspiré pour ajouter, dans le Code de société, des règles de
gouvernance. D’autres codes ont été imaginés, certains spécifiquement pour les PME.
Cette approche permet de compléter les règles existantes, d’améliorer l’organisation
interne des sociétés commerciales. Elle n’a pas, à priori, vocation à expliquer le phénomène
de l’institution juridique de la société commerciale.
Une autre approche est celle de l’analyse de la théorie économique pour anticiper et
évaluer les effets des normes juridiques, tant à l’égard des individus qu’à l’égard de l’intérêt
général. L’idée est de trouver, dans l’analyse de la théorie économique, des moyens qui
permettent de prévoir l’effet de la norme, principalement sur le marché.
B. Les sources du droit des sociétés
Les sources du droit des sociétés commence avec le Code de commerce. Celui-ci a été
vite dépassé. On a pris, en 1873, une première loi qui a remplacé le titre 1er du Code de
commerce. On a voulu faciliter la création de sociétés.
48
En 1935, on ressent le besoin de coordonner l’ensemble disparate de lois et de règles qui
avaient pour objet l’organisation des sociétés commerciales. On a regroupé ces textes par
arrêté royal (Lois coordonnées sur les sociétés commerciales). Depuis 1935 on a modifié et
complété ces lois. Fin des années 90, a décidé d’adopter le Code de droit des sociétés que
l’on connait aujourd’hui (7 mai 1999).
Il faut retenir l’influence grandissante du droit européen. Celui-ci impose aux Etats de
prendre des règles en matière de droit des sociétés. Tant les traités fondateurs que les
directives européennes ont influencé le Code des sociétés.
Ex. : - directive de 1968 qui coordonne les garanties exigées aux sociétés afin de protéger les
intérêts des associés
- directive de 1976 qui règle la constitution, les variations du capital,…
- directive de 1978 sur les comptes consolidés
Toutes ces modifications successives ont rendu la matière imbuvable. Lorsqu’on a codifié
le droit des sociétés, on n’a pas inséré de nouvelles règles. Il s’agissait d’un vrai travail
d’ordonnancement de la législation existante. Ce code a été adopté par la loi du 7 mai 1999 et
est entré en vigueur en 2001. Depuis, il est retouché pratiquement chaque année. En 2002, on
a inséré des nouvelles dispositions relatives à la corporate governance.
Au départ, le droit des sociétés est considéré comme un droit d’exception. Il est régi par le
droit civil et par des lois particulières. A partir de 1873, on inverse la machine : le droit civil
n’est plus applicable qu’à titre supplétif. Il faut bien comprendre que l’évolution se fait dans
une logique de conjonction, de rapprochement, plutôt que dans une logique d’opposition. En
1995, on a abandonné la théorie des cadres légaux obligatoires : on ne concevait pas que l’on
exerce une activité commerciale autre qu’en tant que société commerciale règlementée par le
Code des sociétés. A partir du moment où l’on abandonne le cadre légal, on admet la société à
forme civile : on peut imaginer qu’une société ait un objet commercial, mais avec une forme
civile (on applique donc les règles du contrat de société qui se trouvaient dans le Code civil en
1995). En matière de droit des sociétés, on fait l’inverse et l’on admet des sociétés à forme
commerciale qui ait un objet civil (ex. : s.p.r.l de l’avocat ou du médecin). On a inséré, dans
le Code des sociétés, d’anciennes dispositions du Code civil au titre de droit commun du Code
des sociétés. Il s’agit des articles 18 et suivants.
49
2. La définition de la société et la taxinomie
A. La définition
Article 1er du Code des sociétés : « une société est constituée par un contrat aux termes
duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun pour exercer une ou
plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial
direct ou indirect ».
On a imaginé, dans le Code des sociétés, des sociétés qui n’ont pas pour finalité de
procurer un bénéfice patrimonial : ce sont les sociétés à finalités sociales. Ces sociétés
peuvent être commerçantes car l’objet de l’activité est commerciale.
(Art.661 et suivants du Code des sociétés)
Dès l’instant où l’on opte pour une responsabilité limitée, les règles contractuelles,
émanant des statuts, n’ont plus tellement d’importance. La vie de la société est plutôt
organisée par les règles obligatoires du Code.
B. Les sociétés commerciales, les sociétés civiles et les associations
L’article 3 du Code des sociétés énonce que la nature civile et commerciale d’une
société est déterminée par son objet. A la lecture des statuts, on voit s’ils décrivent des actes
de commerce ou pas. Si tel est le cas, il s’agira de sociétés commerciales. Il faut faire
attention de distinguer l’objet et la forme de la société. Dès lors que les sociétés civiles
peuvent adopter une forme commerciale, la distinction entre les deux devient plus difficile.
Les mêmes règles s’appliqueront. La différence se situera au niveau de la question de savoir si
l’on applique à la société les règles spécifiques au droit commercial (ex. : peut-on la mettre en
faillite ?).
Le groupement européen d’intérêt économique (G.E.I.E) et le groupement d’intérêt
économique (G.I.E) ont été introduits en droit belge par les lois des 12 et 17 juillet 1989. Le
G.I.E est une société commerciale caractérisée par son objet spécifique. Les groupements
d’intérêt sont des sociétés disposant d’une pleine capacité juridique. Elles n’exercent pas en
50
tant que telle l’activité économique. Elles ont pour objet de permettre de faciliter et
développer l’activité économique de ses membres. C’est une activité auxiliaire qui ne se
substitue pas à celle des membres (art.839 du Code des sociétés).
Il faut distinguer les sociétés des associations. Les asbl ont été crées par une loi de 1921,
profondément modifiée en 2002. Les asbl ont aussi la personnalité juridique. Elles ont une
finalité légale qui est l’absence de but de lucre. Elles ne sont donc pas régies par le Code de
sociétés. Elles ne peuvent rechercher leur propre enrichissement ni l’enrichissement de leurs
membres. Toute l’ambigüité de l’asbl réside dans le fait qu’il y ait une certaine forme
d’activité économique. On va donc admettre l’exercice d’activités lucratives, mais dans
certaines limites ; ces activités lucratives doivent être accessoires, … Il restait néanmoins un
problème quant au contrôle de ces activités. On a constaté un certain nombre d’excès dans le
cadre de la gestion d’asbl. C’est entre autre pour cette raison que l’on a créé les sociétés à
finalités sociales.
Les sprl starter font partie d’une des mesures prises pour relancer l’économie et aider les
PME. On a modifié pour ce faire les statuts de la sprl starter. La sprl starter répond à un
besoin spécifique. Pour comprendre, il faut préciser que lorsqu’on crée une société, il faut la
capitaliser (injecter de l’argent dedans). Puisque les tiers ne peuvent récupérer leurs créances
sur les biens des fondateurs, il faut que l’instrument créé pour l’exercice de l’activité
économique puisse servir de garantie aux tiers des fondateurs. La particularité de ces sprl est
que l’on peut les créer en injectant un capital d’1 euro. Cela permet de ne pas s’engager
directement à amener les 18 500 euros qui doivent être souscrits pour créer une sprl. La sprl
starter est en quelque sorte une société momentanée : elle est là pour aider à prendre un bon
départ. La loi prévoyait que les sprl starter se transforment en sprl, après 5 ans ou à partir du
moment où elle occupait 5 travailleurs temps-plein. Au niveau des principes, cela pose
problème dans le sens où l’on diminue les garanties des tiers. Il faut donc apporter des
garanties, dans la constitution de la société, pour rassurer les tiers. C’est pour cela que l’on a
imposé des règles particulières au moment de la constitution de la société. Notons que ces
sociétés ne sont ouvertes qu’aux personnes physiques. On va aussi obliger ces sociétés à se
faire assister par des professionnels du chiffre (ex. : réviseur, expert-comptable) et à prévoir
un plan financier particulier qui devra contenir tous les éléments permettant de convaincre du
sérieux de l’entreprise qui sera développé sous la sprl. On veut ainsi assurer que ces sprl ne
sont pas une « enveloppe vide ». Après quelques années, il y a eu une certaine déception.
Cependant, le nombre très bas de faillite de ces sociétés était encourageant. Peu de sociétés
51
étaient créées, mais celles qui étaient créées paraissaient plus fiables que les autres. Le
législateur a donc gommé le caractère temporaire. Il a supprimé le passage automatique en
sprl après 5 ans ou à partir du moment où la société emploie 5 travailleurs à temps plein.
C. Les sociétés sans personnalité juridique et avec personnalité juridique
A l’article 2, §1er, du Code des sociétés, on énonce les sociétés organisées par le Code
mais qui n’ont pas la personnalité juridique :
- La société de droit commun (art.46) : c’est une société à objet civil ou commercial qui
ne bénéficie pas de la personnalité juridique. Depuis la loi du 13 avril 1995, il est
possible de constituer une société civile ou commerciale sans qu’elle acquière la
personnalité morale, dès lors que les formalités requises en matière d’acquisition de la
personnalité morale (art.68) n’ont pas été accomplies, que l’acte de société n’a pas été
constaté par écrit ou que les fondateurs aient, par négligence ou par choix, omis de
procéder au dépôt de l’acte constitutif de la société au greffe du tribunal de commerce
dans le ressort territorial duquel la société a son siège social.
- La société momentanée (art.47) : elle a un temps de vie limitée, c’est-à-dire le temps
nécessaire à l’accomplissement de l’activité qui lui est spécifiquement déterminé. On
en retrouve notamment dans le cadre de l’exécution des marchés publics : on va
former une société momentanée dont l’objet sera de répondre à l’appel d’offre et
d’exécuter le marché attribué.
- La société interne (art.48) : c’est l’ancienne société en participation. On y retrouve des
gérants et des participants. Sa particularité est d’être en grande partie occulte, non
transparente par rapport aux tiers. Les participants ne sont généralement pas connus.
C’est par exemple le cas d’un gros entrepreneur qui serait le gérant de la société
interne. Supposons qu’il achète un terrain pour construire un centre commercial et
qu’il ait du mal à se financer. Il va s’associer à des prestataires de services. Ceux-ci
seront les participants. Ils vont financer le projet. Le gérant est le seul point de contact
avec les tiers.
Ces sociétés n’auront jamais la personnalité juridique et sont soumises à des règles
simplifiées.
Les sociétés avec personnalité juridique sont les sociétés à forme commerciale (art.2, §2).
52
Abordons le cas de la société en commandite. C’est une des premières formes de société.
Elle vient d’une coutume d’usage propre au commerce maritime. Elle est créée au départ d’un
contrat entre un marin et un capitaliste, un financier. Le capitaliste fournissait le navire et/ou
les marchandises contre la promesse de participer au bénéfice du produit de l’aventure. Cela
permettait aussi de contourner les règles imposées à l’époque, notamment l’interdiction du
prêt à intérêt. Puisqu’on ne prête pas, on décide de s’associer. Les commandités sont les
commerçants, anciens marins dont la responsabilité est limitée. Le commanditaire est le
capitaliste qui apporte le capital à la société. Celui-ci a aussi une responsabilité limitée à sa
participation à la société.
D. Les sociétés de personnes avec personnalité juridique et les sociétés de capitaux
Les sociétés de personnes sont des sociétés dans laquelle la personnalité des associés a
une importance capitale et essentielle dans la création de la société. On retrouve, à la base, un
contrat intuitu personae. On les retrouve principalement sous forme de société à
responsabilité illimitée. Il y a une organisation spécifique de la société : les titres
représentatifs du capital ne sont pas librement cessibles. Les parts sociales de ces sociétés sont
soit incessibles, soit leur cession requiert un large accord des associés. Dans ces sociétés, le
statut personnel d’un associé aura une influence directe sur la vie ou la survie de la société
(ex. : en cas de décès). Les modifications des statuts requièrent une majorité renforcée.
Il faut bien comprendre le concept de responsabilité illimitée. Par responsabilité limitée,
on vise le fait que celui qui apporte du capital dans la société voit son risque limité à son
apport. La différence réside dans le risque pris dans l’aventure. Dans les deux cas, ces sociétés
ont la personnalité morale. Durant la vie de la société, il n’y a pas vraiment de différence. La
différence joue en cas de mise à mort de la société. Le tiers pourra, le cas échéant, se faire
payer le prix chez les associés dans le cas d’une société à responsabilité illimitée.
Dans les sociétés de capitaux, la personnalité des associés est indifférente. Ce qui importe,
ce sont les capitaux mis en commun. L’idée de la société anonyme, société de capitaux par
excellence, est de mettre en place un outil capable de rassembler un maximum de fonds en
vue de l’investir dans l’activité économique de la société. Le statut personnel des associés n’a
aucune influence sur la société de capital. L’idée est de pérenniser le fonctionnement de la
société. Les statuts peuvent être modifiés selon des règles normales de majorité. Il faut
pouvoir faire évoluer cette société.
53
Le capital d’une société s’inscrit d’abord dans le passif de la société comme dette par
rapport à l’associé fondateur, ensuite par rapport à l’associé qui injecte du capital. La
particularité entre le capital et l’actif de départ constitutif de ce capital est que ce capital est
intangible. L’actif, quant à lui, ne cesse de changer. Il représente, en réalité, la vraie valeur de
la société.
Il existe des règles particulières relatives au capital pour ne pas permettre la
transformation de la société en enveloppe vide.
Les sociétés de capitaux sont principalement les sociétés anonymes, les sociétés
européennes, les sociétés de commandite par action,…
On peut distinguer, parmi les sociétés de capitaux, les sociétés cotées en bourse et celles
qui font appel public à l’épargne, et les autres sociétés.
E. Les grandes, petites ou moyennes sociétés
/
F. Les groupes de société
/
3. Le contrat de société
C’est un contrat pluripartite, sauf exceptions. Les parties suivent un but commun. Le
contrat est consensuel, synallagmatique. Il peut être assorti d’un terme. L’influence du droit
des obligations est ici clairement perceptible.
A. La forme
Pour les sociétés dépourvues de personnalité juridique, il n’y a aucune forme exigée. Pas
même un écrit. On peut même imaginer la constitution d’une société de manière orale. Le
Code des sociétés lui-même, en son article 49, rappelle que le contrat de société peut se
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former par toute voie de droit. Il est néanmoins clair que, d’un point de vue probatoire et pour
éviter une insécurité juridique entre elles, les parties ont besoin d’un écrit.
Pour les sociétés avec personnalité juridique, il faut un écrit mais la forme diverge selon le
type de société. On retrouve deux grandes catégories de société : les sociétés à responsabilité
limitée et illimitée. On veut compenser l’irresponsabilité (possibilité d’étendre le gage des
créanciers) ; dans les sociétés à responsabilité limitée, il faudra que ces sociétés soient
constituées par actes authentiques. Il n’est ainsi pas étonnant de voir les notaires très actifs en
droit des sociétés.
B. Les conditions générales de validité
Cf. droit des contrats (consentement – capacité – objet- cause)
C. Les éléments caractéristiques ou conditions spécifiques
§1 – La pluralité d’associés
Il faut une pluralité d’associés, sauf exceptions prévues par le Code (les sociétés privées à
responsabilité limitée unipersonnelle : une seule personne suffit). Si l’on compare le contrat
de société à d’autres types de conventions, celui-ci a la particularité qu’il n’y a pas d’intérêts
opposés entre les parties.
§2 – La participation aux bénéfices et la contribution aux pertes
Chaque associé doit participer aux bénéfices et contribuer aux pertes. Tous les associés
doivent avoir une vocation aux bénéfices mais doivent aussi s’engager à faire face aux pertes.
L’article 32 du Code des sociétés consacre l’interdiction des conventions léonines. La
convention léonine prévoit qu’un associé décide de s’affranchir des pertes de la société ou de
s’accorder tous les bénéfices. La sanction prévue par l’article 32 est extrêmement grave : c’est
la nullité de la convention (pas de la clause). Il existe certaines clauses qui créent une
disproportion considérable entre la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes. Il
s’agit d’un exemple de clause léonine, interdite par l’article 32.
Les associés ne sont pas obligés de faire un partage équitable des bénéfices.
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Il faut noter qu’il ne s’agit que de clauses dans des conventions entre associés. Rien
n’interdit de se faire garantir par un tiers pour limiter le risque pris. Le tiers peut garantir un
associé contre tout risque financier dans l’aventure qu’il prend dans la société.
Il faut un affranchissement total, ou quasi-total, ou bien il faut une attribution totale ou
quasi-totale des bénéfices. C’est assez difficile à apprécier en pratique. Il s’agit d’une
appréciation, au cas par cas, de toutes les circonstances et conditions dans lesquelles
s’intègrent les clauses du contrat.
La clause, pour être interdite, doit viser des bénéfices ou des pertes futures. Il faut que les
pertes soient subies et les bénéfices réalisés pour que la convention soit licite.
La clause doit avoir pour objet de porter atteinte au pacte social ; c’est l’idée du risque
partagé entre les associés. Il y a eu un débat au niveau des conventions dites de « portage »
(moyen de financement). Elles ont été attaquées sur base de l’article 32, dès l’instant où il y
avait cet élément de détermination fixe du prix qui pouvait avoir comme conséquence une
non-prise de risque pendant la période de portage.
§3 – Les apports
Ces apports sont essentiels pour comprendre la structure sociétale. L’idée de l’apport c’est
que l’on va mettre à disposition de la société un patrimoine social. Chaque fondateur doit
s’engager à apporter quelque chose.
On distingue la souscription du capital (lorsqu’on s’engage à l’apport) et la libéralisation
du capital (lorsqu’on exécute l’engagement d’apporter). Si l’apport est une somme d’argent,
exécuter l’engagement consiste à payer cette somme d’argent. Une des premières conditions
est que ces biens, ces choses apportées, aient une valeur économique. L’important est
d’apporter une valeur qui va pouvoir permettre à la société de disposer de moyens pour
fonctionner.
Pour une société commerciale ayant la personnalité juridique, il va y avoir une cession des
biens : ils sortent du patrimoine de l’apporteur pour entrer dans le patrimoine de la société.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cet apport représente le capital de la société et ce
capital c’est du passif, en termes de comptabilité. La valeur de tous ces apports forme le
capital de la société, qui est mis au passif bilantaire ; c’est une dette de la société par rapport
aux créanciers que sont les fondateurs, les associés.
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Pour qu’il y ait apport, il faut qu’il soit réel, effectif. On va apprécier, valoriser, l’apport
en question. La valorisation est simple lorsque l’apport est en numéraire. A côté des apports
en numéraire, il y a les apports en nature. Ce sont les apports qui ne consistent précisément
pas en numéraire (ex. : art.218 et suivants du Code des sociétés). Ils portent sur des biens
meubles, corporels, incorporels, immeubles,… autres que de l’argent. Pour qu’on accepte de
qualifier ces actes d’apports, il faut que ces biens soient susceptibles d’évaluation. Il faut aussi
que les droits de propriété sur ces biens, les droits exclusifs équivalents, soient cessibles.
Les apports en nature posent une difficulté car il y a un danger de possible surévaluation
des biens en question. Si on surévalue un apport, on est susceptible de tromper le tiers. La
surévaluation pose aussi problème en interne. En termes de droits, on est rémunérés en
fonction de ce qui est évalué. C’est pourquoi on a prévu, dans le Code des sociétés, des
procédures d’évaluation des apports en nature. Cela passe en général par un système de
double rapport. D’abord, les fondateurs doivent établir un rapport et donner leur estimation de
la valeur de l’apport ainsi qu’une justification de cette estimation. Ensuite, un réviseur
d’entreprise ou un commissaire va contrôler l’évaluation. Il va vérifier que la méthode des
fondateurs est correcte et que la valeur n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à
la réalité. Pour les s.a., on retrouve cette procédure à l’article 444 du Code des sociétés.
L’apport en industrie recouvre l’accomplissement de prestations intellectuelles ou
manuelles. L’apport se libère par l’exercice d’une activité. Il n’y pas ici de lien de
subordination, il s’agit uniquement de contrepartie. Ce type d’apport pose difficulté dès
l’instant où il faut l’évaluer. De même, l’exécution du travail en tant que telle est incertaine.
Devant ces incertitudes, le Code de société a interdit ce type d’apport pour certains types de
sociétés (ex. : pour les s.a. ou les s.p.r.l). Ce type d’apport ne donne lieu à l’octroi de titres
représentatifs du capital que dans les s.p.r.i en raison de la difficulté d’en fixer la valeur et,
surtout, de l’impossibilité de contraindre son souscripteur à le libérer.
§4 – L’affectio societatis
C’est une condition particulière qui transcende la définition de l’article 1er. Dans le
contrat de société, on trouve cette volonté de collaboration sur une base égalitaire, en
partageant toujours solidairement les risques de l’aventure.
C’est sans doute ce qui se rapproche le plus de l’idée d’intérêt commun que l’on retrouve
à l’article 19. Cette condition semble utile et doit être conservée. Cette idée même de
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collaboration égalitaire se justifie dans le sens où elle vise un élément subjectif à chaque
associé. On est dans un registre plus subtil que l’intérêt commun. Cela permettrait, par
exemple, de justifier la dissolution des sociétés (art.45).
Cette condition permet également de lutter contre des apports fictifs. Si l’apport est fictif,
le capital n’est pas réel. Les fondateurs sont solidairement responsables (art.441 du Code des
sociétés). Une partie du capital ne correspondra pas à la réalité. Si l’apport est manifestement
surévalué, les fondateurs seront responsables du dommage qui pourrait en résulter.
§5 – Une organisation économique ayant un intérêt social propre
Cet intérêt social est d’une part la résultante de la convention entre les parties. La société
n’est pas seulement un contrat, et n’est pas un contrat comme les autres. Elle permet de mettre
en place une organisation. Celle-ci vise un ensemble de personnes liées par les décisions de
certaines d’entre elles, au sein de l’organisation de la société. C’est une réalité qui fait la
spécificité de la société, et donc de la convention qui la crée. C’est la loi, et les statuts, qui
déterminent les règles de gestion de ces sociétés.
L’intérêt social est l’intérêt de la société. Cela dépasse l’intérêt commun des associés.
C’est particulièrement vrai dès l’instant où, comme toute société commerciale, les sociétés ont
la personnalité juridique. Dès cet instant, un intérêt propre à la société y trouve alors son
assise. On retrouve ici l’influence des règles de corporate governance et cette mouvance qui
défend une conception large de la notion de société. La société est un outil et l’utilisation de
cet outil doit viser les intérêts des associés.
Une autre approche consisterait à dire que l’intérêt de la société est un concept qui doit
dépasser l’intérêt des associés et des fondateurs. Il faudrait prendre en considération l’intérêt
de tous les détenteurs d’enjeux participant à l’activité économique de la société. Cet intérêt
social doit être compris dans cette perspective-là. Attention toutefois : l’intérêt s’apprécie in
concreto, est circonstanciel. Cette interprétation doit quand même être respectueuse des droits
fondamentaux des associés. On ne peut, sur la base uniquement de l’intérêt social, bafouer les
droits des associés, dont l’un des plus fondamental est de pouvoir continuer à être associé.
En tant qu’associé, les droits acquis permettent de contrôler la gestion de la société. Ce
contrôle s’exerce au sein de l’assemblée générale. En tant qu’actionnaire, on a également droit
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à une partie des bénéfices. De même, on a droit à une certaine égalité de traitement entre les
associés.
D. La nullité
En tant que contrat, il peut faire l’objet de la sanction traditionnelle de la nullité. On doit
constater que la sanction fait l’objet de nombreux assouplissements par rapport à la nullité de
droit commun. Cet assouplissement se justifie par l’idée de sécurité juridique. Au niveau des
causes de nullité, elles sont diverses : si la constitution n’a pas lieu dans la forme requise, si
l’on n’indique pas, dans l’acte de constitution, la dénomination de la société, de l’objet social
ou des apports, si le nombre de fondateurs n’est pas respecté, si l’objet social est illicite ou
contraire à l’ordre public,…
Les sociétés sans personnalité juridique sont soumises au droit commun. Si une des
conditions de validité du contrat n’est pas remplie, celui-ci est frappé d’une nullité relative.
- Art. 227 et 454 du Code des sociétés
4. La personnalité morale
On a vu que les sociétés commerciales se voyaient attribuer la personnalité morale (art.2
du Code des sociétés), moyennant une formalité volontaire qui doit être remplie par les
fondateurs.
Lorsqu’on reconnait la personnalité juridique, on reconnait la qualité de sujet de droit à
une entité qui n’est en fait qu’une création en vue d’intérêts différents des personnes qui la
créent et l’animent ensuite, dans des conditions dictées par la loi. Une fois que la personnalité
juridique est attribuée à cette entité, elle jouit à priori des mêmes droits, de la même capacité,
que les personnes physiques. Elle a un patrimoine, des droits et des obligations et va répondre
de ses dettes sur son patrimoine propre. Elle peut normalement avoir aussi les mêmes activités
qu’une personne physique (ex. : une société peut siéger au conseil d’administration d’une
autre société). Elle pourra également être titulaire de droits intellectuels ( ! : les personnes
morales ne peuvent être titulaires de droits d’auteur ; le droit ne naitra que dans le chef de la
personne physique). Dans le même ordre d’idée, une société peut subir un préjudice moral. De
même, elle peut, selon des modalités particulières certes, être pénalement responsable.
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A. L’acquisition de la personnalité morale
Avant 1995, il y avait la théorie des cadres légaux obligatoires : quiconque voulait créer
une société devait entre dans un des moules prévus par le législateur. Si ces formalités
n’étaient pas respectées, la société s’écartait de cette forme et était requalifiée comme société
en nom collectif irrégulière. Aujourd’hui, on a abandonné ces cadres légaux obligatoires. On
a, dans le même temps, subordonné le processus d’acquisition de la personnalité morale à une
obligation administrative (art.2, §4, du Code des sociétés) qui consiste en un dépôt visé à
l’article 68 (dépôt de l’extrait des statuts qui doit être fait auprès du greffe du tribunal de
commerce en fonction du lieu de son futur siège social).
La sanction est que l’on n’acquière pas la personnalité juridique. La société est alors
considérée comme une société de droit commun, mais sans personnalité juridique. Une fois
qu’elle est acquise, la personnalité juridique se conserve. Elle durera jusqu’à la clôture de la
liquidation.
Lorsqu’on décide de constituer une société, il y a un certain nombre de tâches et activités
à faire pour permettre la création de cette société. Il faut premièrement négocier les statuts.
Avant d’avoir acquis la personnalité juridique, les membres de la société peuvent passer des
actes au nom de la société. Il s’agira d’une société en formation. Les promoteurs de la société
seront responsables des engagements qu’ils prennent au nom de la société en formation.
L’article 60 du Code des sociétés prévoit que tous ceux qui ont pris un engagement avant
acquisition de la personnalité juridique en sont solidairement responsables vis-à-vis des actes
posés à l’égard des tiers, sauf si la société a déposé l’extrait d’acte dans les deux ans de la
naissance de l’engagement et si les engagements sont repris, ratifiés par la société dans les
deux mois qui suivent le dépôt. Si ces deux conditions sont remplies, l’engagement sera
réputé avoir été contracté par la société dès l’origine. Lorsqu’on est dans le cadre d’une
société en formation, il faut le mentionner. Il faut aménager la preuve que l’engagement est
fait au nom de la société en formation. Si tel n’est pas le cas, l’acte pris ne sera pas valable et
donc nul. Il n’y aucune obligation de reprise de l’acte par la société, c’est une faculté.
B. Les attributs de la personnalité morale
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La société commerciale possède des droits et des obligations, mais qui sont différents de
ceux de ses associés. Elle agit par ses organes, qui vont véritablement l’incarner et qui, par ce
fait-là, la représentent. L’organe, c’est la société. S’il y a une décision du conseil
d’administration de passer un tel contrat, c’est la société qui a décidé de passer un tel contrat.
L’acte de l’organe, c’est l’acte de la société. C’est une fiction, cela fait partie des spécificités
de fonctionnement d’une société qui a la personnalité juridique. Elle est donc directement
engagée par les actes posés par l’organe et inversement, elle sera tenue par les actes, fussent-
ils fautifs, posés par les organes dans le cadre de l’exécution de leur convention. Si un
administrateur qui était chargé de gérer une négociation importante a commis une faute en
décidant de rompre les négociations, il n’empêche que s’il y a une action en justice, elle sera
introduite valablement contre la société. C’est elle qui a commis la faute, si faute il y a. Elle
va acquérir un patrimoine, un nom, un siège social, acquérir une nationalité.
Cette personnalité acquise par la personne morale va être limitée par des spécificités qui
tiennent au droit des sociétés indépendamment du fait qu’il existe des spécifiés qui naissent de
la nature même de la société. Une société ne se fiance pas, elle ne devient pas non plus
employée, elle n’acquiert pas des droits d’auteur,… Il y a d’autres limitations comme la
spécialité légale qui limite la capacité de la société commerciale qui a acquis la personnalité
juridique. Cela implique que la société ne peut qu’accomplir des actes en vue de la finalité
que le législateur a instituée. La finalité principale de la société est ce but de lucre. La
conséquence est qu’en principe, elle ne peut poser aucun acte qui ne pourrait pas être justifié
dans le cadre de cette finalité. La pratique est nettement plus large et il est très rare qu’un acte
puisse être sanctionné de nullité pour la violation de la spécialité légale, car on a une
conception extrêmement large du but de lucre qui a été construite et défendue en
jurisprudence. On dit qu’il y a but de lucre dès l’instant où l’acte est accompli, même
indirectement, dans le cadre de l’objet social de la société. La sanction est la nullité possible
de l’acte. C’est pour cela que l’on a admis des actes qui sont gratuits.
Ex.: le payement de dettes par une société mère pour sa société filiale, on dit que cela a un
sens, même si juridiquement elle n’est pas tenue. Cela n’est pas considéré comme un acte
gratuit, même si juridiquement cela n’a pas de contrepartie.
La jurisprudence est très large quant au but de lucre, de sorte qu’il n’y ait pas d’actes qui
puissent être remis en question, toujours donc dans cette idée de maintien d’une sécurité
juridique optimale. Si la société est un outil performant, on ne doit pas pouvoir remettre en
cause les actes posés trop facilement.
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§1 – La spécialité légale et la spécialité statutaire
C’est la finalité légale. Lorsqu’on parle de spécialité statutaire, on parle de l’objet
social qui est contenu dans les statuts. L’idée est que la société a été constituée en vue
d’exercer l’activité définie, décrite dans les statuts de la société. Donc, elle ne peut poser que
des actes qui sont en lien avec cette activité. L’acte qui n’entrerait pas dans l’objet social ne
liera pas la société. Si un administrateur d’une société achète un immeuble et le revend au
nom de la société, ce n’est pas décrit dans l’objet social, cela ne rentre pas dans l’objet social.
C’est d’abord un problème de représentation. La société n’est pas liée par l’acte qui est posé
dès l’instant où il n’entre pas dans le cadre de l’objet social fut-il ou est-il été posé par un
organe de la société. La spécialité statutaire n’interdit pas pour autant de poser des actes
contraires au statut. Ce n’est pas un principe qui sanctionne toute violation des statuts.
C’est le principe, mais il existe des exceptions. Dans le cadre des sociétés
commerciales les plus usuelles (r.l., s. a., s.p.r.l.), il existe d’autres règles. En ce qui concerne
les actes qui dépassent l’objet social, ce dépassement n’est pas opposable aux tiers de bonne
foi.
Ex.: art. 526 du Code des sociétés pour les s.a. : « la société est liée par les actes accomplis
par le conseil d’administration, par les administrateurs ayant qualité pour la représenter
(…), par les membres du comité de direction, ou par le délégué à la gestion journalière,
même si ces actes excèdent l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que
l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer, compte tenu des circonstances, sans
que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ». Le seul fait que ce soit
publié ne suffit pas à présumer la mauvaise foi des tiers qui ne sont pas censés aller devoir
voir les statuts à chaque fois qu’ils ont un contact avec un organe. La spécialité légale est liée
à la notion même de personnalité morale, mais la spécialité statutaire est propre aux sociétés
commerciales.
§2 – Le patrimoine social
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L’acquisition de la personnalité juridique permet à la société de disposer d’un
patrimoine propre. C’est extrêmement utile, on a vu un système qui prévalait pour les sociétés
commerciales: un système d’apport, les biens sont apportés. S’ils ont la personnalité juridique,
il y a cession (le bien passe d’un patrimoine à un autre: de l’associé fondateur à la société).
Puisque c’est un patrimoine propre à la société, les créanciers de la société n’ont de droits à
faire valoir qu’à l’égard de ce patrimoine-là, et pas à l’égard du patrimoine des associés
fondateurs. S’ils veulent se faire payer ou prendre des mesures d’exécution, ce sera toujours à
l’égard de la société. Mais pas à l’égard du patrimoine des associés et des personnes qui
constituent la société. De même, les créanciers des associés ne peuvent pas agir sur le
patrimoine de la société. La seule exception, c’est dans le cadre d’une société à responsabilité
illimitée ou en termes de la liquidation de la société. S’il reste des dettes sociales à payer et
que l’actif de la société est insuffisant, on pourra alors effectivement prendre des actions sur
le patrimoine des associés fondateurs. Durant toute la durée où la personnalité juridique est
acquise, mise en œuvre et utilisée par la société, il y a séparation stricte du patrimoine dans
tous les cas. Ce n’est qu’in fine qu’il y a un régime distinct selon le type de société. Tout cela
se fait dans le but de permettre l’exercice plus facile de l’activité, une diminution des risques
et un confort donné aux entrepreneurs. La société, elle, contrairement à une personne
physique, n’a qu’un patrimoine. Tout ce qu’elle a est normalement en rapport avec son
activité économique.
§3 – La représentation par des organes
Les sociétés agissent par leurs organes et ces organes voient leurs pouvoirs déterminés
par le Code des sociétés et par les statuts, étant entendu que l’on ne peut pas créer d’organes
en dehors du cadre légal. On ne peut pas créer d’organes différents de ceux reconnus et
organisés. On n’est pas libre de créer tous les organes que l’on veut, cela fait partie de
l’institution réglementaire qui caractérise la société. Ce n’est pas la société qui va donner
instruction à ses organes. Il n’y a pas, dans le fonctionnement de la société, une fiction qui
veut que ce soit la société qui charge les organes de faire quelque chose. L’organe agit, c’est
la société qui agit. Le but est la sécurité juridique. Il n’est pas question de laisser ouverte trop
grande la porte aux contestations des actes posés: les tiers doivent pouvoir déduire de cette
qualité, de la loi qui l’organise et des statuts, de faire confiance à cette qualité. On peut
remettre en cause la qualité d’organes, mais pas besoin d’un mandat spécial pour agir.
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Il y a différents types d’organes, selon le type de sociétés: :
- les organes de délibération prennent les grandes décisions internes de la société. C’est
normalement l’assemblée générale, qui regroupe les associés, les actionnaires et agit surtout
dans l’ordre interne de la société (ex. : voter la décharge des administrations, introduire une
action en responsabilité, etc.). Elle intervient rarement à l’égard d’un acte posé à l’égard d’un
tiers. Elle ne joue par un rôle actif dans l’exercice des activités même de la société, mais dans
le cadre de son organisation.
- les organes de gestion sont ceux qui exercent l’activité économique de la société et qui,
souvent, agissent à l’égard des tiers. Ils posent tous les actes d’administration et de disposition
qui sont nécessaires à la société dans l’exercice de son activité. C’est le plus souvent le
conseil d’administration, le comité de direction, les délégués à la gestion journalière pour les
sociétés anonymes.
- les organes de représentation ont pour compétence de pouvoir représenter la société et agir
en justice, introduire une action. Ils sont souvent des organes de gestion, spécialement,
parfois, mandatés.
- les organes de contrôle : dans certaines sociétés, on a l’intervention de commissaires,
réviseurs d’entreprise, et ils interviennent en exécution de missions légales prévues par le
Code des sociétés et qui les charge de contrôler la bonne santé financière, la tenue des
comptes, etc.
- les organes de liquidation. Le liquidateur devient un organe de la société. Le curateur
devient un organe de la société.
Il y a l’idée que l’organe qui agit dans le cadre de ses fonctions s’identifie à la
personne morale. Mais cela ne veut pas dire que les administrateurs en tant que tel ne risquent
pas d’engager leur responsabilité au cas où ils commettent par exemple, une faute de gestion.
Une certaine immunité semble transparaitre de la théorie de l’organe, mais en réalité la
société peut se retourner contre son administrateur, lui reprocher sa faute et lui demander une
indemnisation. De même un tiers, peut, le cas échéant, décider de s’attaquer à un
administrateur de société dès lors qu’il considère que ses agissements ont pu lui porter
préjudice. Il y a divers moyens de mettre en cause la responsabilité des administrateurs et des
gérants. Différents types de responsabilités peuvent être engagées en fonction de ceux qui
sont responsables (extra-contractuelle vis-à-vis des tiers –art.1382/13823 du Code
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civil/contractuelle à l’égard de la société/pénale dès lors que l’administrateur commettrait une
infraction). A l’égard de la société, les administrateurs sont tenus de leur faute dans
l’exécution de leur mandat. Les articles 527 et 528 du Code des sociétés déterminent la
responsabilité des administrateurs dans une s.a. Dès l’instant où le Code des sociétés est
connu, où les statuts sont publiés, on doit pouvoir penser que les administrateurs vont agir
conformément à ce Code et ces statuts. A l’égard des tiers, on a le même système : les
administrateurs peuvent être responsables vis-à-vis des tiers pour les fautes commises dans
leur gestion. Il faut néanmoins que les tiers puissent prouver qu’ils ont subi un dommage suite
à la faute commise par l’administrateur. On prévoit une solidarité entre les administrateurs si
la faute est déduite de la violation du Code/des statuts.
§4 – La dénomination sociale
Comme toute personne, la société a un nom. Ce nom, c’est sa dénomination sociale.
Avant, on distinguait la raison sociale (=identification de la société par la suite des noms des
personnes physiques qui la composaient) et la dénomination sociale. On parle désormais, en
toutes hypothèses, de dénomination sociale. A l’article 65 du Code des sociétés, il est stipulé
que cette dénomination sociale doit être différente de celle de tout autre société. L’idée est
que lorsqu’on crée la société, on doit se choisir un nom. Forcément, ce nom doit être différent
des autres sociétés ; il s’agira d’éviter la confusion entre deux sociétés tant il est vrai que la
confusion peut aussi amener à des pratiques déloyales. Il y a plusieurs moyens de protéger sa
dénomination : acquérir un droit de propriété intellectuelle (le droit à la marque) sur la
dénomination, se protéger par les règles de droit commun et règles des actions ouvertes en cas
de pratiques commerciales déloyales,… L’article 65 lui-même, en son deuxième alinéa,
ouvre une action particulièrement efficace. Cette procédure est plus facile à mettre en œuvre
que celle relative au droit à la marque ou aux pratiques commerciales déloyales. Il suffit de
montrer que soit le nom est identique, soit qu’il peut créer une confusion. Attention toutefois,
il est possible d’avoir des dénominations sociales différentes des noms commerciaux avec
lesquels on agit sur le marché (ex. : Belgacom et Proximus).
Il est important d’indiquer sa dénomination sociale suivie de l’abréviation de sa forme
dans ses documents.
§5 – Le siège social et la nationalité
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Le siège social est en quelques sortes l’équivalent du domicile des personnes physiques. Il
permet de localiser la société et d’ainsi déterminer, par exemple, le lieu où un certain nombre
de formalités doivent être accomplies. Cela permet aussi de déterminer le lieu de certains
évènements de la vie de la société, de même que la compétence des tribunaux.
Le problème est de savoir ce qu’est le siège statutaire. A priori, c’est le lieu désigné dans
les statuts comme étant devenu siège social de la société. En pratique, souvent, on se rend
compte que le siège réel de la société ne correspond pas ou plus nécessairement au siège
social déterminé par les statuts. Dès lors, il y a, le cas échéant, des discussions sur la question
de savoir si, à titre d’exemple, on a cité la société au bon endroit.
Trib. Comm. de Bruxelles, 9 janvier 1985
Le principe, en droit belge, est que s’il y a une différence entre le siège social et le siège réel,
c’est le siège réel qui l’emporte.
Il s’agissait d’un exploit d’huissier signifié à une société. L’assignation n’avait pas eu lieu à
Anvers, où la société avait son siège statutaire, mais à Bruxelles dans les bureaux de la
société. Dans cette décision, le tribunal analyse et compare quelles sont les activités de la
société, tant à son siège social qu’au lieu de la signification. Le tribunal part du principe
admis que le siège réel d’une société est l’endroit où sont prises effectivement toutes les
décisions essentielles, déterminantes, qui intéressent la vie de la société elle-même, et qui
dépassent le cadre d’un siège d’exploitation. En l’espèce, le tribunal constate qu’à Anvers, il
ne se passe plus que les assemblées générales, tandis que Bruxelles est devenu le lieu de
toutes les activités commerciales et administratives de la société. Le tribunal estime qu’il n’y
a donc pas lieu d’invalider la citation introduite à Bruxelles.
La solution, jurisprudentielle, a été entérinée dans le Code de droit international privé.
A l’article 110, on constate que le critère de rattachement est déterminé en fonction de
l’établissement principal. A l’article 4, §3 du Code de DIP, on énonce que cet établissement
principal se détermine en particulier en fonction du centre des affaires, et du centre des
activités, et subsidiairement en fonction du siège statutaire. On a donc conservé le système
belge en Belgique mais le Code de DIP énonce que s’il y a un droit étranger applicable et qui
désigne le droit de l’état en vertu duquel la personne morale a été instituée, on laisse alors
tomber le système belge. Le Code de DIP fait ici preuve de réalisme. Consciente que son
critère lui est propre, le droit belge laisse tomber son système en cas de conflit.
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En ce qui concerne la nationalité, il s’agit de la nationalité de la loi applicable à la société.
5. La dissolution de la société
A. Les causes de dissolution communes à toutes les sociétés
- Art.39 du Code des sociétés : il consacre les causes de dissolution de plein droit des
sociétés. Certaines causes toutefois sont typiques des sociétés de personne.
- Art.45 du Code des sociétés
- par l’expiration du temps pour lequel elle a été contractée
- par l’extinction de la chose, ou la consommation de la négociation : c’est l’exemple typique
de la société momentanée (mise en œuvre dans le cadre de l’exercice d’une activité
déterminée).
- par la mort naturelle d’un des associés
- par l’impossibilité de l’activité de la société
- par l’interdiction ou la déconfiture
- par la volonté qu’un seul ou plusieurs expriment de ne plus être en société : si l’un des
associés veut partir, on doit mettre fin à la société. Tout le problème sera de continuer les
activités de la société sans l’associé.
- par la dissolution judiciaire pour juste motifs
B. Les causes de dissolution propres à certaines sociétés de personnes
- la réunion de toutes les parts entre les mains d’un associé (ne s’applique pas aux
s.a/sociétés en commandite par actions, cf.art.646, §1er, ni au s.p.r.l, qui peuvent être
unipersonnalles).
- la renonciation notifiée par l’un des associés (ne s’applique qu’à la société à durée illimitée
– art.43 du Code)
- les causes personnels à un associé (ex. : l’interdiction, la mort, la déconfiture)
C. Les causes de dissolution propres aux sociétés anonymes et aux sociétés privées ou
coopératives à responsabilité limitée
67
- les pertes graves subies par ces sociétés (art.332, al.1er et 3e, 431, al.1er et 3e, 633, al.1er et 4e)
- la diminution de l’actif net sous le capital minimum à libérer (art.333, 432 et 634)
- l’incessibilité des parts dans une s.p.r.l (art.251, al.4, et 252, al.4)
Livre III – Libertés et concurrence dans l’espace européen
On admet qu’il n’est pas possible de donner un plein effet à l’exercice de la liberté
d’entreprendre si l’on ne reconnait pas, dans le même temps, la liberté de concurrence. On fait
de la liberté de concurrence une implication naturelle de la liberté d’entreprendre. Derrière la
liberté de concurrence, on retrouve les grandes théories économiques libérales du XIXème
siècle. L’idée est que cette liberté sert aux individus pour faire du profit et que ce profit sert à
l’intérêt général. Cette vision des choses est idyllique (« l’homme est un loup pour
l’homme »). Dans un monde idyllique, si chacun exerce sa liberté, on maximise les richesses
de tous.
Le droit de la concurrence, c’est le droit qui réunit l’ensemble des règles ayant pour
objet de rendre effective la liberté de concurrence et d’éviter que cette concurrence ne
dégénère. Le droit de la concurrence intervient en amont de l’exercice effectif de la liberté
d’entreprendre. Il pose, en réalité, les conditions qui garantissent que chacun pourra exercer sa
liberté d’entreprendre de façon égalitaire par rapport aux autres acteurs du marché. Les
sociétés font en sorte de ne pas devoir « jouer le jeu » de la concurrence. Elles éliminent le jeu
normal de la concurrence.
Le droit de la concurrence est né aux Etats-Unis au XIXème siècle. Les Etats-Unis ont
pris les premières lois antitrust. Actuellement, il y a trois régimes spécifiques qui sont des
règles conçues pour éviter trois situations dans lesquels les acteurs pourraient s’affranchir du
jeu normal de la concurrence. Le premier régime concerne l’interdiction des ententes illicites
(ex. : plusieurs sociétés qui s’entendent sur les prix). Un second concerne l’interdiction des
abus de positions dominantes. Le troisième est celui des concentrations.
Le droit de la concurrence comprend tant des règles de fond que des règles de
procédure. On met en place des autorités administratives indépendantes qui vont jouer à la
« police du marché ». Chaque Etat dispose de son autorité de la concurrence, chargée de faire
appliquer, ou de s’assurer que sont appliquées les règles du droit de la concurrence.
68
On ne va pas étudier le droit national de la concurrence mais les grands principes
européens. Le droit de la concurrence est totalement harmonisé par l’Europe sur le fond. Les
lois nationales doivent être appliquées en conformité avec le droit européen, ce qui laisse peu
de place. Ce sont les articles 101 et suivants du TFUE qui déterminent les règles de base. Ce
qui reste particulier, national, ce sont les règles de procédure et les sanctions.
Au niveau des sources nationales, le livre V du Code des droits économiques porte sur
la protection de la concurrence. Une loi du 13 avril 2013 a réorganisé, profitant de la
codification, toute la procédure de contrôle du conseil de la concurrence et les possibles
recours.
Il faut préciser d’entrée de jeu que toutes les ententes ne sont pas illicites. Dès l’instant,
par exemple, où l’on met en place des régimes d’approvisionnement exclusif, il s’agit d’une
entente dans le sens où cette convention restreint nécessairement la concurrence. Selon les
cas, les ententes sont admises, parce que bonnes pour la concurrence et le consommateur, ou
sont refusées.
Le but du droit de la concurrence est de protéger le marché. Il n’est pas là pour protéger
les entreprises en elles-mêmes. Il ne protège pas les concurrents : il protège la concurrence.
Le droit de la concurrence en tant que tel ne permet pas à une société sur un marché de réussir
son activité. Il crée des dégâts et admet des dégâts sur le marché. En droit de la concurrence,
on va même tenir compte des handicaps des acteurs sur le marché. Quand une société se plaint
d’un non-respect du droit de la concurrence et qu’on analyse sa situation pour voir si la
pratique a un effet anti-concurrentiel sur elle, on va prendre en considération les handicaps de
cette société (ex. : problèmes techniques, mauvaise organisation,…). Le droit de la
concurrence ne permet pas d’obvier à ses propres carences.
I. Les libertés : vers la création d’un marché intérieur
européen1. La libre circulation des marchandises
A. L’union douanière
§1 – Les deux préalables : un tarif douanier et une nomenclature douanière communs
§2 – Les droits de douane
69
B. Les mesures d’effet équivalent
§1 – La définition
§2 – L’arrêt Cassis de Dijon
§ 3 – L’arrêt Keck et Mithouard
C. Les monopoles d’Etat
D. Au-delà des dispositions sur la libre circulation, les dispositions complémentaires
2. Interlude : la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000
A. Le principe dit du « pays d’origine »
B. Les restrictions aux flux transfrontières
3. Les libertés d’établissement et de prestations de services : des articles et svts du
TFUE à la directive Bolkestein
A. Introduction
B. Les dispositions du TFUE sur les libertés d’établissement et de prestations de services
et leur interprétation jurisprudentielle
§ 1 - La liberté d’établissement : les articles 49 à 55 TFUE
§ 2 - La libre prestation des services : les articles 56 à 62 TFUE
§ 3 - Une évolution commune
C. La directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relativeaux services dans le marché
intérieur et sa transposition en droit belge
§ 1 - Le champ d’application de la directive
§ 2 - La liberté d’établissement des prestataires selon la directive
§ 3- Le régime de la libre prestation des services
§ 4 - Les véritables innovations de la directive
70
II. Le droit de la concurrence
On a eu, pendant tout un temps, un régime d’autorisations préalables : les entreprises qui
se lançaient dans un accord visé par l’ancien article 81 ou par l’article 101 et dont ils avaient
raison de penser que cet accord pouvait remplir les conditions d’illicéité devaient saisir la
Commission Européenne et demander, préalablement à l’exécution de l’accord, de valider
l’entente en question. C’était un véritable régime d’exemption individuelle. Il s’agissait d’un
système extrêmement lourd qui empêchait les entreprises de mettre en œuvre, d’exercer, leur
activité. Un autre problème était que la Commission était extrêmement sévère. Très vite, la
Commission n’avait pas les moyens de gérer ces autorisations. Le problème s’est encore accru
avec le nombre constat de nouveaux membres, et donc des demandes d’autorisation et
d’exemption, le cas échéant. En 2003, on a complètement changé le système. A partir du
Règlement 1-2003, on assiste à un changement complet : on substitue au régime d’exemption
et d’exception légale un régime qui consiste à dire que les entreprises doivent tenir leurs
responsabilités. C’est un régime souple qui responsabilise les entreprises. Un des problèmes
du régime d’autorisation préalable était aussi que les autorités nationales ne pouvaient
intervenir en matière d’ententes illicites. Dans le nouveau régime, le deuxième changement
radical consiste à permettre aux autorités nationales d’appliquer les articles 101 et 102, même
si la Commission aura toujours une compétence concurrente avec les autorités nationales. Il a
aussi fallu s’assurer d’une harmonisation du contenu des règles dès lors que l’on décentralise
le pouvoir de décision. La Commission s’est lancée dans un travail d’harmonisation de
l’interprétation des règles contenues à l’article 101, étant entendu que cette harmonisation est
aussi assurée par la jurisprudence de la Commission et de la CJUE qui peut, le cas échéant,
être saisie. La Commission a aussi pris une série de mesures, des lignes directrices, qui sont
des guides interprétatifs des dispositions en cause pour aider les autorités nationales à prendre
des décisions cohérentes par rapport aux autres autorités et surtout par rapport à la
jurisprudence des autorités de contrôle européennes (ex. : directive sur la notion d’affectation
du commerce entre Etats membres). Au moment où l’on a changé l’approche du contrôle de
71
l’entente illicite, on a, dans le même temps, travaillé sur les conditions d’application de
l’interdiction.
1. Les ententes (art.101 du TFUE)
A. Le domaine d’application du droit européen
C’est le Règlement 1-2003 qui donne compétence aux autorités nationales pour
appliquer directement les dispositions du TFUE. Il admet l’effet direct de ces
dispositions, nonobstant toute disposition nationale contraire. Le critère de distinction
entre l’application des règles européennes et nationales est contenu dans la portée de
l’expression « affectation du commerce entre Etats membres ».
On énonce que la pratique doit être susceptible d’affecter le commerce entre Etats
membres. Ce que l’on vise ici, c’est l’effet sur le commerce interétatique. La pratique
doit influencer ou doit être susceptible d’influencer les relations commerciales ou
économiques entre plusieurs Etats membres. Si la pratique n’est pas susceptible de cela,
cela relèvera du droit national en question.
L’affectation s’entend de la probabilité qu’un comportement puisse exercer une
influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle et sensible sur les relations entre
Etats membres. Il suffit donc de prouver avec suffisamment de sérieux que l’on doit
raisonnablement s’attendre à cet effet dès l’instant où la pratique est identifiée. Il faut
arriver à prouver que cette condition est remplie in concreto. En pratique, on va mettre
en avant les critères pour apprécier le caractère sensible, ou non, des effets sur le
commerce interétatique en fonction, par exemple, du volume des échanges concernés,
des chiffres d’affaire réalisés par les produits consommés, … Ces critères sont contenus
dans les lignes directrices et vont permettre d’objectiver l’influence en question.
Arrêt Manfredi, 13 juillet 2006, C-295/04
Des questions préjudicielles ont été posées à la Cour dans le cadre de recours
d’indemnités contre des compagnies d’assurances. Les assurés veulent obtenir le
72
remboursement de majorations de primes d’assurance. Il s’agissait d’assurances
obligatoires dont ils prétendent que l’augmentation des prix est due à une entente
illicite entre les différentes compagnies d’assurance. L’entente illicite, comme souvent,
se serait exprimée par des échanges d’informations entre les compagnies en vue de
coordonner les prix et la fixation des primes au sein des différentes compagnies. Le
résultat, en l’espèce, est que les prix étaient plus élevés que si les différentes
compagnies s’étaient fait concurrence. La première question qui se pose est de savoir si
une telle entente peut constituer une infraction à l’article 101, compte tenu notamment
du fait de la participation à l’entente d’entreprises n’appartenant pas aux Etats
membres. La Cour a expliqué les critères à prendre en considération pour appliquer les
règles de droit européen et pour faire cette répartition dans l’application des lois
nationales et européennes. La Cour commence par dire que l’affectation, l’effet sur le
commerce interétatique, découle de différents facteurs qui, pris isolément, ne seraient
pas nécessairement déterminants. Le premier critère consiste à savoir si les participants
à l’entente sont établis dans différents pays de l’Union. C’est le premier à prendre en
considération. Un second critère consiste à savoir quelle est l’étendue géographique des
pratiques en cause. Un dernier critère prend en compte les conséquences de la pratique.
Il faut se demander si cette pratique va dresser des barrières à l’activité de prestataires
étrangers. La Cour rappelle que pour constituer une violation de l’article 101, il doit
exister un degré suffisant de probabilité que l’entente ou la pratique concernée puisse
exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur la vente des
polices de ces assurances dans l’Etat membre concerné, par des opérateurs établis dans
d’autres Etats membres, et que cette influence ne soit pas insignifiante.
L’effet d’énervement doit être sensible, d’une importance suffisante. Si on a une
entente qui n’affecte que très peu le marché, on n’appliquera pas non plus les règles de
droit européen mais on a par contre les lignes directrices. Tout cela reste très abstrait,
d’autant qu’on considère qu’il doit y avoir dans le chef des autorités une appréciation in
concreto : il s’agit d’analyser concrètement la situation et se fonder sur des éléments
tangibles pour justifier la constatation que cette condition est remplie.
Il y a, derrière l’application du critère, des enjeux économiques et politiques qui
doivent être compris. La Commission a, en général, la maitrise de la situation,
73
principalement en matière d’entente et d’abus de position dominante. Il n’est donc pas
étonnant que ce critère soit interprété de manière extrêmement large par les institutions
européennes. C’est ce qui rend difficile la compréhension du critère et de son
application. La mise en œuvre de ce critère est complexe en raison de l’interprétation
large qui lui est donnée.
L’effet sur le commerce étatique est encore différent de l’effet anti-concurrentiel. La
différence se marque, le cas échéant, au niveau du critère de la sensibilité à prendre en
considération. Le droit européen ne s’intéresse pas aux comportements qui n’ont pas
d’influence significative sur le marché.
Une des conséquences du Règlement 1-2003 est que le droit peut être appliqué par
les autorités nationales. Dans chaque pays, on trouve une autorité de contrôle (Conseil
de la concurrence). En Belgique, c’est une autorité administrative qui a, au surplus, un
pouvoir juridictionnel. Puisque c’est un organe juridictionnel, ses décisions sont elles-
mêmes susceptibles de recours par l’entreprise (en Belgique : recours devant la Cour
d’appel – Cour de Cassation).
A l’article 5, §1, du Règlement, on affirme la compétence des autorités nationales
pour appliquer les articles 101 et 102 du TFUE. On y énonce également les pouvoirs
des autorités nationales. Entre autre, elles peuvent faire cesser la violation des articles
101 et 102, exerçant ainsi une mission juridictionnelle. Elles peuvent aussi ordonner des
mesures provisoires. L’urgence que l’on fait valoir devant l’organe de contrôle de la
concurrence est une urgence que l’on invoque à l’égard du marché lui-même : il faut
démontrer qu’il va subir un dommage difficilement réparable si l’autorité n’intervient
pas pour prendre une mesure provisoire (ex. : interdire une nouvelle tarification d’un
service). Les autorités peuvent aussi accepter des engagements ; l’entreprise confrontée
à une plainte, à une potentielle violation, peut, avec l’aval de l’organe de concurrence,
trouver une solution et modifier son comportement. Elles peuvent aussi infliger des
amendes, astreintes ou tout autre sanction prévue par le droit national.
L’article 6 prévoit que les juridictions nationales sont compétentes : on peut donc
saisir un juge du fond et lui demander la cessation de la violation des articles 101 et/ou
102. Ces dispositions sont directement applicables sur le territoire étatique. C’est une
réponse à l’ancien système où seules les autorités européennes étaient compétentes.
Le problème est d’organiser la coopération entre les autorités européennes et
74
nationales. Si c’est l’autorité nationale qui est saisie d’un dossier où l’on invoque la
violation des articles 101 et 102, se met automatiquement en place une procédure selon
laquelle l’autorité nationale doit informer la Commission Européenne dès l’instant où
elle prend des mesures (art.11, §3). Dès l’instant où l’autorité nationale considère qu’il
y a bien violation, elle est obligée de suspendre sa décision pour informer la
Commission Européenne de la décision qu’elle va prendre dans le dossier (art.11, §4).
Si la Commission décide de se saisir de l’affaire, c’est elle qui l’emporte (art.11, §6). Il
y a aussi des dispositions qui organisent l’échange d’informations (art.11, §3 et art.12).
Des pouvoirs d’enquête sont reconnus aux articles 27 et suivants. On impose un strict
respect des droits de la défense des entreprises, d’accès au dossier, etc.
B. Le champ d’application de l’article 101 du TFUE
La notion d’entreprise européenne est la même que celle déjà rencontrée. Ce n’est
donc pas une notion qui se ramène à la notion de société ou de commerçant. C’est une
notion plus large et qui présente des spécificités. On vise toute personne, organisme, qui
poursuit une activité économique. En réalité, si l’on veut dépecer la matière, on peut
relever trois conditions : il faut poursuivre une activité économique, pour son propre
compte et en jouissant du pouvoir de déterminer de manière autonome son
comportement sur le marché. Peu importe ici la nature de l’activité (qu’elle ait un but de
lucre ou non,…), de même que le statut juridique de l’entité. Le seul critère qui compte
c’est la question de savoir si elle exerce une activité qui consiste à offrir un
produit/service sur un marché. Certaines activités seront ainsi exclues (les activités non-
économiques, ex. : les activités des autorités publiques lorsqu’elles exercent la
puissance publique). Ces prestations ne sont évidemment pas soumises au droit de la
concurrence. A priori, les autorités publiques ne sont pas soumises au droit de la
concurrence dans l’exercice de la puissance publique. S’est néanmoins développée une
théorie des actes détachables qui permet de leur appliquer les règles du droit de la
concurrence. On va « dépecer » les actes et comportements de l’autorité pour voir si les
comportements dont on parle ne peuvent pas être appréhendés indépendamment de la
mise en œuvre de leur mission d’autorité publique.
Ex. : Eurocontrol qui exerce des activités annexes de contrôle aérien. Dans le cadre de
cette activité, elle n’est pas soumise aux règles du droit de la concurrence. Mais dès
75
l’instant où elle preste d’autres services, au bénéfice de compagnies aériennes par
exemple, elle sera soumise au droit de la concurrence pour cette prestation.
CJUE, 10 janvier 2006
Tout part d’une demande d’une fondation italienne. C’est une caisse d’épargne qui
demande l’exonération d’une retenue fiscale sur les dividendes qu’elle distribue. En
Italie, les dividendes distribués font l’objet d’une retenue à la source, un précompte. La
loi fiscale italienne prévoit un régime d’exonération particulier : une exemption de
cette retenue pour les fondations qui poursuivent exclusivement des buts de
bienfaisance. Il existe des fondations bancaires spécifiques soumises à ce régime. La
caisse d’épargne de l’administration fiscale de pouvoir bénéficier de ce régime, ce que
l’administration refuse. La caisse d’épargne fait un recours qui est rejeté. La Cour de
cassation italienne décide de poser une question préjudicielle car elle se pose la
question de la compatibilité de ce régime avec le régime prévu en droit de la
concurrence concernant les aides d’Etat. La question est de savoir si la caisse d’épargne
est une entreprise au sens de l’article 101. La CJUE déclare qu’à priori, la qualification
d’entreprise parait exclue à la fondation bancaire dès lors que son activité se limite aux
versements de contributions à des organismes sans but lucratif et que cette activité ne
semble pas s’exercer sur un marché en concurrence. Il se pourrait aussi, dit la Cour,
que même en restant dans le cadre de ces missions, la caisse d’épargne effectue
certaines opérations et transactions économiques. Ce faisant, elle pourrait être en
concurrence et se faire qualifier d’entreprise, et ainsi être soumise à l’article 101. La
Cour conclut que dans cette hypothèse, la fondation bancaire doit être considérée
comme entreprise malgré sa mission sociale. Elle serait en effet susceptible d’être
considérée comme entreprise dès lors qu’elle rentre en concurrence sur des marchés
spécifiques avec d’autres dans lequel elle va elle-même offrir des biens et services.
Si l’on exerce une activité commerciale en posant certaines pratiques susceptibles de
poser des difficultés en matière de droit de la concurrence, il faut que ces
comportements soient exercés pour le compte de l’entreprise et non de manière
76
autonome.
TPI, 15 septembre 2005 – Daimler Chrysler
On est dans un recours qui vise à l’annulation d’une décision de la Commission prise
sur base de l’article 101. Depuis 1995, des plaintes de consommateurs arrivent à la
Commission, concernant des entraves à l’exportation de véhicules neufs Mercedes. La
pratique fréquente est d’empêcher les exportations parallèles de véhicules dans
l’Union. La Commission investigue et constate diverses infractions commises par
Mercedes Benz-même ou par ses filiales belges et espagnoles, dans le cadre du marché
du commerce de détail de voitures de tourisme. Ces filiales belges et espagnoles
passent elles-mêmes par des intermédiaires pour la vente de véhicules. Faut-il
considérer ces intermédiaires comme des entreprises distinctes ou comme faisant partie
des entreprises qui les utilisent ? Il s’agit, en l’espèce, d’une relation entre un
commettant et son intermédiaire. La problématique ici est que la notion d’entreprise est
plutôt une notion économique qu’une notion juridique. En droit européen, ce qui
importe n’est pas tant le fait que les entités aient ou non des personnalités juridiques
distinctes, mais plutôt de savoir si elles forment ensemble une unité économique qui
pourra être qualifiée d’entreprise. En droit européen, une entreprise peut être constituée
de différentes sociétés commerciales aux personnalités juridiques distinctes qui
forment une unité économique. L’important, en droit de la concurrence, est l’unité de
comportements que l’on peut relever entre les différentes entités. C’est ce que
commence par rappeler l’arrêt Daimler Chrysler. Si ces intermédiaires et la société
constituent une unité économique, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 101. Il n’y a pas
d’entente possible. Le TIP rappelle qu’il a été jugé que si un intermédiaire exerce une
activité au profit de son commettant, il peut en principe être considéré comme organe
auxiliaire intégré dans l’entreprise, tenu de suivre les instructions du commettant et
formant ainsi avec cette entreprise une unité économique. Pour déceler si ces
intermédiaires doivent être qualifiés d’entreprise, on va vérifier s’ils prennent des
risques à leur charge dans les opérations qu’ils posent pour le compte de l’entreprise-
commettant. Si oui, c’est le signe de l’indépendance des intermédiaires. La Cour de
conclure que l’on n’applique pas l’article 101 dans les rapports entre les intermédiaires
77
et l’entreprise. S’il n’y a pas d’autonomie, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles du
droit de la concurrence. S’il n’y a pas de comportement indépendant possible entre les
intermédiaires et l’entreprise, on n’applique pas les règles du droit de la concurrence.
Dans le cas des filiales et des maisons-mères, à priori, on va regarder quelle est
l’autonomie possible de la filiale par rapport à sa maison-mère. Il y a une présomption
réfragable selon laquelle la filiale n’a pas d’indépendance. Elle formera, avec sa
maison-mère, une unité économique, une entreprise au sens du droit de la concurrence.
Qu’est-ce qu’une entente ? A la lecture de l’article 101, on parle d’accords, de
décisions d’associations d’entreprises et de pratiques concertées.
L’accord : c’est un accord de volonté. Il y a un consentement réel entre parties,
c’est-à-dire qu’elles vont exprimer leur volonté commune de se comporter sur le
marché d’une manière déterminée et, ce faisant, renoncer à une certaine
autonomie de comportement sur le marché. La forme est indifférente. Il peut être
bilatéral, multilatéral, écrit, oral,… Ce n’est pas toujours une convention, mais
ça peut l’être (ex. : mise en œuvre d’un réseau de distribution). Il faut décrypter
l’expression de la convention pour déterminer si elle a pour objet ou pour effet
recherché l’effet restrictif de concurrence. Il faut déterminer si les parties se sont
réellement mises d’accord sur un comportement spécifique. Peu importe aussi
que ces accords soit valides, ou non, obligatoires entre parties,… L’important,
c’est que les parties se considèrent elles-mêmes tenues par ces accords. Peu
importe encore que les accords soient effectivement exécutés, ou pas, dès
l’instant où ils pourraient l’être. Ce qui est exclu, dans l’expression de ces
accords, ce sont les comportements purement unilatéraux (ex. : refus de vente
unilatéral d’un grossiste à un acheteur potentiel dès l’instant où il ne s’entend
pas avec les autres acheteurs pour refuser ≠ boycott). Il faut aussi que le
consentement soit libre, non-vicié.
La décision d’association d’entreprises : on vise les décisions d’associations
professionnelles. C’est la décision de l’association professionnelle qui est
sanctionnée, et non l’entente qu’elle révèlerait entre les entreprises qui la
78
composent. La décision d’association anticoncurrentielle va s’imposer à tous les
membres de l’entreprise. Sa portée est donc particulièrement dangereuse pour le
marché. Lorsqu’on vise la décision en tant qu’entente, c’est la décision
collective que l’on vise. On ne vise pas un accord entre les membres, on vise
l’association elle-même. Cette décision d’association peut prendre différentes
formes (règlements, règles déontologiques, recommandations,…).
La pratique concertée : c’est l’idée que tous les acteurs ou certains acteurs
présents sur un marché donné adoptent des comportements parallèles (ex. : ils
ont les mêmes prix et adaptent leurs prix au regard de ce que font les autres). Ce
parallélisme de comportement peut mettre en avant des contournements tentés
de l’article 101. Il s’agit d’une forme de coordination entre entreprises qui, sans
avoir été jusqu’à la réalisation d’une convention ou d’un accord, substituent
sciemment une coopération pratique entre elles au risque de la concurrence. Il
faut un fait générateur, une coordination, un élément qui exprime cette volonté
de coordonner les comportements entre eux. C’est l’élément de prise de contact.
Le fait générateur, la coordination, entraine un résultat : une coopération entre
les entreprises. La pratique concertée n’est pas une adaptation intelligente à
l’évolution du marché. Cette dernière est parfaitement admise car elle ne révèle
pas cette idée de coordination recherchée par les différents acteurs. Le problème
peut se poser au niveau de la preuve. Il faut réunir les deux conditions
(coordination – coopération). A ce titre, les organes de concurrence ont des
pouvoirs d’investigation énormes. Il s’agira de prouver via un faisceau d’indices
sérieux, précis et concordants qu’il faudra mettre en avant.
La charge de la preuve : il faut arriver à démontrer que le parallélisme que l’on
constate ne peut s’expliquer que par une entente. Ainsi, dans l’affaire Pâtes de bois, il a
été établi que le parallélisme de comportements entre producteurs dans leur pratique de
prix ne constitue pas en soi la preuve d’une concertation préalable entre les producteurs.
C.J.C.E, 31 mars 1993 – arrêt Pâtes de bois
Il s’agit d’une demande d’annulation devant la Cour d’une décision qui constatait une
79
entente illicite entre une quarantaine de producteurs de pâtes de bois. Un des griefs de
la Commission portait sur l’existence d’une concertation relative au prix annoncé. La
Commission avait constaté un parallélisme de comportement de plus de six ans, sur
base de plusieurs éléments (système commun d’annonce de prix, simultanéité des
annonces de modification de prix,…). Ces constatations, liées à la preuve qu’il y avait
eu des contacts réguliers entre les sociétés en cause, avaient amené la Commission à
constater l’existence de l’entente.
La Cour avait estimé que la preuve des contacts n’avait pas été suffisamment rapportée.
Elle s’était demandé si les trois autres points suffisaient pour conclure à l’entente. C’est
là qu’elle a pu énoncer le principe selon lequel un parallélisme de comportement ne
peut exister que si la concertation en constitue la seule explication plausible. Le
parallélisme de comportements peut résulter des conditions spécifiques d’un marché
constitué d’un ensemble d’oligopoles où les liens de coopération entre les producteurs
et les acheteurs et entre les producteurs eux-mêmes sont si étroits que le marché est
naturellement transparent.
L’entente, en soi, n’est pas interdite. L’entente est parfois même bénéfique. Pour
que l’entente soit critiquable, il faut qu’elle porte atteinte à la concurrence, c’est-à-dire
qu’elle doit influencer de manière restrictive la concurrence sur le marché.
On distingue deux types de situation, ce qui implique une différence au niveau de
l’étendue de la charge de la preuve. La première situation est celle d’une entente qui
présente directement un objet anti-concurrentiel, la seconde est celle d’une entente qui
présente seulement des effets anti-concurrentiels. Un objet anti-concurrentiel résulte
nécessairement de la nature même de l’entente. Il suffit de constater que l’objet de
l’accord porte sur une restriction objective de la concurrence. Dans ce cas, il est
tellement évident que ce type de comportement ne peut que provoquer des restrictions
de la concurrence que ses effets négatifs sur le marché vont être présumés de la
constatation objective que l’entente a pour objet de mettre en place une situation anti-
concurrentielle. Dans la deuxième situation, l’entente n’a pas directement un objet anti-
concurrentiel mais pourrait avoir un effet anti-concurrentiel (ex. : deux entreprises
décident de produire ensemble une voiture. Si les parties disposaient déjà,
individuellement ou conjointement, d’une part importante du marché en cause et que la
80
production conjointe vient renforcer cette position, on peut penser qu’il pourrait y avoir
un effet anti-concurrentiel). On ne présume pas ici l’effet anti-concurrentiel : la
Commission ou l’organe national devra prouver, à tout le moins, la potentialité des
effets anti-concurrentiels. Cette potentialité doit être démontrée avec une certitude
suffisante. Il ne suffit pas de l’affirmer, il faut le démontrer. Encore une fois, l’effet doit
être sensible. Il faudra aussi prouver un lien de cause à effet entre la pratique et l’effet
négatif sur le marché.
L’effet anti-concurrentiel que l’on va devoir démontrer devra être évalué par
rapport à un marché de référence. Ce marché doit être déterminé. Il est nécessaire, pour
évaluer l’impact de la concurrence d’une pratique anticoncurrentielle, de déterminer, au
préalable, les contours du marché dont le fonctionnement a été ou risque d’être affecté.
C’est ce que l’on nomme marché en cause (terminologie européenne) ou marché
pertinent (terminologie en droit interne). Un marché est un périmètre à l’intérieur
duquel s’exerce réellement ou potentiellement la concurrence entre les entreprises en
cause. Pour déterminer ce marché, on va identifier l’ensemble des produits et services
offerts par les entreprises en cause qui sont en mesure d’exercer, les uns sur les autres,
une pression concurrentielle. La détermination du marché nécessite une double
attention : l’une porte sur le produit/service en cause, l’autre sur la zone géographique
en question. On part du principe que le marché est le lieu sur lequel se rencontre l’offre
et la demande de ces produits. Par le critère de substituabilité, on regarde quels produits
et services vont donner un contenu au marché de référence. Par substituabilité, on
entend interchangeabilité. Il n’y a de concurrence possible qu’entre les produits qui sont
susceptibles de faire l’objet d’un choix tant par les destinataires que parmi les offreurs
de biens ou services. La nature intrinsèque du produit/service (ses caractéristiques
essentielles) constitue sans doute un critère pertinent de substituabilité. Les autorités de
la concurrence ajoutent parfois un autre critère pour déterminer le marché en cause :
celui de la capacité des entreprises à adapter, à faible coût ou à bref délai, leur
production ou leurs services de manière à entrer dans le jeu concurrentiel.
On parle d’élasticité de l’offre et la demande. Pour savoir si deux produits ou
services sont substituables, au niveau de la demande, on applique un test qui peut
paraitre simpliste mais qui est difficile à mettre en pratique et qui permet de mieux
comprendre cette notion d’interchangeabilité de l’offre des biens produits. Il s’agit
d’augmenter de manière significative le prix d’un produit dont on soupçonne qu’il
81
présente un caractère de substituabilité avec l’autre et d’analyser le comportement des
destinataires.
Ex. : les rasoirs jetables – électriques – mécaniques mais non jetables. Un marché ?
Deux marchés ? Trois marchés ? Si on augmente le prix du rasoir électrique, est-ce que
les gens vont se rabattre le rasoir mécanique ? Si oui, alors on est sur le même marché.
Au niveau de l’offre, on se pose des questions différentes. Dans l’ensemble de ce
marché, l’un pourra jouer sur son prix pour attirer les autres. A partir du moment où ce
« transfert de clients » est possible, il y a concurrence et on est sur un marché où l’offre
est en concurrence. C’est sur ce marché-là qu’il faudra déterminer les effets anti-
concurrentiels de l’entente.
Pour l’élasticité de l’offre, il s’agit de se demander : est-ce que le prestataire de
télécommunications peut, sans difficulté, devenir prestataire de communications sur
internet sans augmenter ses coûts (exemple) ?
L’aspect géographique influence la demande d’un produit ou d’un service de trois
manières :
- la distance entre l’offre et la demande- telle que l’absence de disponibilité du bien
dans une zone géographique déterminée- influence la substituabilité d’un
produit/service
- la culture et les habitudes sociales d’un milieu ont également un effet direct sur la
substituabilité
- certains marchés sont géographiquement limités par la présence de contraintes ou de
normes légales réglementaires, et ce même si la politique européenne tend à démanteler
ces barrières à la circulation des biens et services.
C. Les ententes prohibées et les ententes légitimes au sens de l’article 101, §3, du
TFUE
Il faut comprendre, d’emblée, qu’il y a de « bonnes » ententes et de « mauvaises »
ententes. Elles peuvent être horizontales (au même niveau de production d’un
bien/service, ex. : entre les fabricants de chaussure) ou verticales (entre des acteurs
économiques qui n’agissent pas au même degré du processus de production d’un
bien/service, ex. : entre un producteur et un grossiste). C’est toute la problématique de
82
la distribution qui intervient au niveau des ententes verticales, et notamment de la
distribution sélective. C’est l’idée que l’on a un producteur, un grossiste, qui va choisir
des revendeurs en les soumettant à certaines conditions particulières, permettant seules,
si elles sont remplies, d’admettre les revendeurs dans leur réseau de distribution (ex. : en
matière de cosmétique, de parfumerie). Pour certains biens/services, tout le monde ne
peut pas « jouer au vendeur ». Cela joue un rôle restrictif de concurrence. La CJCE a
rappelé, à diverses reprises, que ces accords de distribution sélective influencent
nécessairement la concurrence dans le marché commun.
CJCE, 13 octobre 2011
Il y avait une clause contractuelle qui exigeait que les ventes de produits cosmétiques
soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien
diplômé. Il y a atteinte à la concurrence si on se rend compte que le produit ou la vente
du produit n’implique pas son interdiction
Les ententes prohibées
Les modalités des ententes sont infinies, il est difficile de les déterminer
explicitement. Le TFUE va donner certains exemples. Le premier, le plus connu, est la
pratique qui consiste à fixer de façon directe/indirecte les prix d’achats/de vente ou
d’autres conditions de transaction. Le cas le plus simple est l’alignement de prix : on
rend obligatoire un prix aux différents participants à l’accord et on tue dès lors toute
possibilité de concurrence sur le prix. L’idée est de maintenir artificiellement un prix
supérieur à celui qu’il pourrait être si la concurrence jouait pleinement. La manière dont
on fixe le prix peut être extrêmement variée. On peut, par exemple, voir des ententes
dans de simples conseils de prix ou des prix indicatifs. On peut aussi décider entre
plusieurs entreprises de ne pas accorder de rabais pour maintenir les prix artificiellement
élevés. On peut aussi s’entendre sur une application identique des conditions de crédit.
On peut aussi imaginer une agence de vente qui permettrait d’écouler l’ensemble des
produits d’entreprises différentes.
Lorsqu’on parle de cartel d’achat, on vise la situation où les acheteurs s’entendent
et fixent entre eux les prix de rachat dans le but de fixer un prix plus bas que ce que le
vendeur pourrait obtenir si la concurrence jouait.
83
Un autre exemple réside dans les pratiques d’entente qui ont pour objet de
contrôler la production, les débouchés ou les développements. On entend par là que l’on
fixe des volumes à produire, par exemple. Les entreprises s’autolimitent dans leur
production contre des compensations, par exemple. On évite de laisser jouer le marché
comme il devrait le faire en pleine concurrence et on s’entend pour le partager. Il y a
l’idée d’éviter le cloisonnement des marchés. Un cloisonnement classique consiste à
empêcher les importations parallèles. Cela arrive souvent dans le cadre des réseaux de
distribution organisés.
Ex. : dans l’affaire Distillers, une entreprise fut condamnée pour avoir différencié les
prix vis-à-vis de ses distributeurs suivant le marché envisagé par ces derniers (national
ou marché national et étranger
Le fait est que l’on ne veut pas qu’il y ait une concurrence qui provienne de
l’étranger et on empêche les membres du réseau officiel de réexporter les biens vers
d’autres pays où ils risqueraient d’être moins chers que leurs collègues de ce pays. C’est
tout le problème des limites à l’exportation. Dans une union économique comme en
Europe, dès l’instant où l’on prohibe l’exportation, c’est toute l’offre qui diminue et le
consommateur est toujours perdant. L’exportation favorise une meilleure concurrence
sur les territoires. C’est aussi un frein à l’innovation et au progrès. On voit aussi
fréquemment des clauses d’interdiction de revente. On impose à l’acheteur de ne pas
pouvoir utiliser le bien acheté pour une autre finalité que celle qui est imposée. C’est
une manière de limiter la production et donc de la contrôler.
Un troisième exemple consiste dans la pratique de répartir les marchés, les
sources d’approvisionnement. On est souvent dans des accords verticaux qui visent à
accorder en exclusivité une clientèle à une entreprise en aval. On va cloisonner un
marché en accordant une protection territoriale absolue à un vendeur, de sorte
qu’aucune concurrence ne soit à priori possible.
Ex. : l’affaire Brasserie luxembourgeoise (TPI 27 juillet 2005) : plusieurs brasseries
luxembourgeoises avaient, en l’espèce, signé une convention en vertu de laquelle elles
s’interdisaient toute vente de bières aux débits ayant conclu un accord de fourniture
exclusive, dénommé « clause de bière », avec tout autre brasserie partie à la
convention. Par une décision du 5 décembre 2001, la Commission considéra
l’infraction au droit de la concurrence établie dès lors que les signataires à ladite
convention avaient, ce faisant, entendu maintenir leurs clientèles respectives dans le
84
secteur horeca luxembourgeois et entraver la pénétration de ce secteur par des
brasseurs étrangers. Le tribunal considéra que la Commission avait correctement établi
l’existence d’une concordance de volontés entre les parties sur l’application de la
convention et qu’elle avait correctement apprécié la gravité et la durée de l’infraction
et évalué les amendes infligées.
Un autre type d’entente illicite est l’application de conditions inégales à
prestations équivalentes. Ce sont les pratiques discriminatoires qui sont ici visées.
Ex. : on accorde des conditions plus favorables à des entreprises plus proches de notre
groupe d’entreprise que d’autres.
On peut ainsi arriver à des politiques d’exclusion du marché ; par exemple, dans un
marché avec peu d’offrants, on doit nécessairement nous accorder ou nous vendre
mutuellement des produits et services. Pour éviter qu’un nouvel offrant entre sur le
marché, on peut décider de ne pas traiter avec lui. On a donc une discrimination qui ne
permet pas aux lois de la concurrence de s’appliquer.
Un autre type d’entente illicite est l’acceptation des prestations supplémentaires.
L’idée de ce type d’accord est de permettre à l’une des parties de garantir sa place sur
un autre marché grâce à l’accord intervenu avec son partenaire.
Ex. : des grossistes de légumes conviennent d’achat, ils s’interdisent non seulement
toute importation mais s’obligent aussi à acheter leurs légumes dans un lieu bien précis
(aux ventes d’enchères de Rotterdam). Les vendeurs étrangers ne pourront vendre qu’à
ces ventes aux enchères. Cela cloisonne le marché en amont via les offrants de produits
étrangers. Cela empêche les exportateurs étrangers de vendre leurs légumes aux Pays-
Bas par un autre canal que celui des ventes aux enchères de Rotterdam.
L’idée est de soumettre une condition supplémentaire qui n’est pas nécessaire au contrat
principal, dans le but d’améliorer notre situation concurrentielle.
Les ententes admises dans le cadre de l’application de l’ article 101, §3, du TFUE –
Principe généraux
Certains accords peuvent servir l’intérêt général ou être bons pour la concurrence en
l’emportant sur les intérêts du libre jeu de la concurrence.
Ex. : la distribution sélective – les réseaux de distribution automobile : on a un réseau
de concessionnaires agréés qui distribuent seuls une marque de voiture. Les conditions
85
de vente du produit sont nécessairement plus figées. A priori, c’est donc une entente
illicite. Selon une autre approche, on peut relever des effets positifs à la distribution
sélective : le consommateur bénéfice, grâce à cette organisation particulière de la
distribution, d’un service de meilleure qualité (ex. : des réparateurs spécialement
formés par la marque), le producteur peut optimaliser sa production du fait de la
remontée rapide de l’information,… On se rend compte d’une foule d’avantages est liée
à un réseau de distribution qui a, à priori, des effets anti-concurrentiels. Pourquoi, dès
lors, ne pas l’admettre ?
Des exceptions viennent ainsi nuancer cette interdiction d’entente. Le jeu de
l’exemption explique le système du Règlement 1-2003 (interdiction -> demande
d’autorisation). Soit on se demande si l’entente est conforme à l’une des conditions
prévues, soit il y a l’exemption par catégorie : on prend un règlement européen qui
détermine la manière dont la Commission va interpréter les conditions d’exemption au
regard d’une catégorie particulière de produits ou de services ou une catégorie
d’ententes particulières. La Commission peut, dans le cadre des compétences qui lui
sont confiées par l’article 103, définir secteur par secteur, types d’accords par types
d’accords, la façon dont elle interprète l’article 101, §3.
Ex. : Règlement 330/2010 qui va déterminer comment, dans les accords verticaux, on va
pouvoir bénéficier de l’exemption en suivant les règles d’interprétation mises en avant
dans le règlement.
Les Lignes Directrices du 27 avril 2004 répondent à un souci de fixer, de
manière plus précise, l’interprétation à donner aux conditions d’exemption de l’article
101.
Même si on répond à toutes les conditions d’un règlement d’exemption, la
Commission peut quand même reprocher d’avoir inséré, au vu des circonstances propres
aux parties, des clauses qu’elle considère contraires à l’article 101. Les autorités
nationales et la Commission peuvent toujours, moyennant preuve, déclarer que l’accord
est contraire à l’article 101.
86
Règlement n°330/2010 :
Article premier
Définitions
1. Aux fins du présent règlement, on entend par:
a) «accord vertical», un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune,
aux fins de l'accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de
distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens
ou services;
b) «restriction verticale», une restriction de concurrence dans un accord vertical entrant dans le champ
d'application de l'article 101, paragraphe 1, du traité;
c) «entreprise concurrente», un concurrent actuel ou potentiel; «concurrent actuel», une entreprise présente sur
le même marché en cause; «concurrent potentiel», une entreprise qui, en l'absence de l'accord vertical, pourrait
entreprendre, de façon réaliste et non selon une possibilité purement théorique, les investissements
supplémentaires nécessaires ou supporter les autres coûts de transformation nécessaires pour pénétrer sur le
marché en cause rapidement en cas d’augmentation légère, mais permanente, des prix relatifs;
d) «obligation de non-concurrence», toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur de fabriquer,
d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les
services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur l'obligation d'acquérir auprès
du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens
ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause, calculés sur la base
de la valeur ou, si cela est de pratique courante dans le secteur, du volume des achats qu'il a effectués au cours
de l'année civile précédente;
e) «système de distribution sélective», un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à ne
vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs sélectionnés
sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces
services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l'opération de ce
système;
f) «droits de propriété intellectuelle», les droits de propriété industrielle, les savoir-faire, les droits d'auteur et les
droits voisins;
g) «savoir-faire», un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant
de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci; dans ce contexte, «secret» signifie que le savoir-faire n'est
pas généralement connu ou facilement accessible; «substantiel» se réfère au savoir-faire qui est significatif et
utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels;
87
«identifié» signifie que le savoir-faire est décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier
s'il remplit les conditions de secret et de substantialité;
h) «acheteur», entre autres, une entreprise qui, en vertu d'un accord relevant de l'article 101, paragraphe 1, du
traité, vend des biens ou des services pour le compte d'une autre entreprise;
i) «client de l'acheteur», une entreprise non partie à l'accord qui achète les biens ou services contractuels à un
acheteur partie à l'accord.
2. Aux fins du présent règlement, les termes «entreprise», «fournisseur» et «acheteur» comprennent leurs
entreprises liées respectives.
Sont considérées comme «entreprises liées»:
a) les entreprises dans lesquelles une partie à l'accord dispose, directement ou indirectement:
i) de plus de la moitié des droits de vote, ou
ii) du pouvoir de désigner plus de la moitié des membres du conseil de surveillance, du conseil d'administration
ou des organes représentant légalement l'entreprise, ou
iii) du droit de gérer les affaires de l'entreprise;
b) les entreprises qui, dans une entreprise partie à l'accord, disposent, directement ou indirectement, des droits
ou des pouvoirs énumérés au point a);FR 23.4.2010 Journal officiel de l’Union européenne L 102/3
c) les entreprises dans lesquelles une entreprise visée au point b) dispose, directement ou indirectement, des
droits ou des pouvoirs énumérés au point a);
d) les entreprises dans lesquelles une entreprise partie à l'accord et une ou plusieurs des entreprises visées aux
points a), b) ou c), ou dans lesquelles deux ou plus de deux de ces dernières entreprises disposent ensemble des
droits ou des pouvoirs énumérés au point a);
e) les entreprises dans lesquelles les droits ou les pouvoirs énumérés au point a) sont détenus conjointement par:
i) des parties à l'accord ou leurs entreprises liées respectives visées aux points a) à d), ou
ii) une ou plusieurs des parties à l'accord ou une ou plusieurs des entreprises qui leur sont liées visées aux points
a) à d) et un ou plusieurs tiers.
Article 2
Exemption
1. Conformément à l'article 101, paragraphe 3, du traité, et sous réserve des dispositions du présent règlement,
l'article 101, paragraphe 1, du traité est déclaré inapplicable aux accords verticaux.
La présente exemption s'applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions verticales.
2. L'exemption prévue au paragraphe 1 ne s'applique qu'aux accords verticaux conclus entre une association
d'entreprises et ses membres, ou entre une telle association et ses fournisseurs, si tous ses membres sont
détaillants de biens et sous réserve qu'aucun des membres individuels de cette association, conjointement avec
ses entreprises liées, ne réalise un chiffre d'affaires annuel total qui dépasse 50 millions d'euros. Les accords
verticaux conclus par ces associations sont couverts par le présent règlement sans préjudice de l'application de
l'article 101 du traité aux accords horizontaux conclus par les membres de l'association et aux décisions
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adoptées par l'association.
3. L'exemption prévue au paragraphe 1 s'applique aux accords verticaux contenant des dispositions concernant
la cession à l'acheteur ou l'utilisation par l'acheteur de droits de propriété intellectuelle, à condition que ces
dispositions ne constituent pas l'objet principal de ces accords et qu'elles soient directement liées à l'utilisation,
à la vente ou à la revente de biens ou de services par l'acheteur ou ses clients. L'exemption s'applique sous
réserve qu'en relation avec les biens ou les services contractuels, ces dispositions ne comportent pas de
restrictions de concurrence ayant un objet identique à celui de restrictions verticales non exemptées en vertu du
présent règlement.
4. L'exemption prévue au paragraphe 1 ne s'applique pas aux accords verticaux conclus entre entreprises
concurrentes. Toutefois, l'exemption s'applique lorsque des entreprises concurrentes concluent entre elles un
accord vertical non réciproque et que:
a) le fournisseur est un producteur et un distributeur de biens, tandis que l'acheteur est un distributeur et non une
entreprise qui fabrique des biens concurrents; ou que
b) le fournisseur est un prestataire de services à plusieurs niveaux d'activité commerciale, tandis que l'acheteur
fournit ses biens ou services au stade de la vente au détail et n’est pas une entreprise concurrente au niveau de
l'activité commerciale où il achète les services contractuels.
5. Le présent règlement ne s'applique pas aux accords verticaux faisant l'objet d'un autre règlement d'exemption
par catégorie, sauf si ce dernier le prévoit.
Article 3
Seuil de part de marché
1. L'exemption prévue à l'article 2 s'applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne
dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels et que la part de
marché détenue par l'acheteur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services
contractuels.
2. Aux fins du paragraphe 1, lorsque, aux termes d'un accord multipartite, une entreprise achète les biens ou
services contractuels à une entreprise partie à l’accord et vend les biens ou services contractuels à une autre
entreprise partie à l’accord, la part de marché de la première entreprise doit respecter le seuil de part de marché
prévu dans ce paragraphe, en tant qu’acheteur et fournisseur, pour que l'exemption prévue à l’article 2
s’applique.
Article 4
Restrictions retirant le bénéfice de l'exemption par catégorie — restrictions caractérisées
L'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement,
isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet:
a) de restreindre la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le
fournisseur d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces
derniers n'équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'incitations
par l'une des parties;
b) de restreindre le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, un acheteur partie à l'accord, peut vendre les
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biens ou services contractuels sans préjudice d’une restriction quant à son lieu d’établissement, sauf s'il s'agit
de:
i) restreindre ses ventes actives sur un territoire ou à une clientèle que le fournisseur s'est exclusivement
réservés ou qu'il a alloués à un autre acheteur, lorsque cette restriction ne limite pas les ventes réalisées par les
clients de l'acheteur,
ii) restreindre les ventes aux utilisateurs finals par un acheteur agissant en tant que grossiste sur le marché,
iii) restreindre les ventes par les membres d'un système de distribution sélective à des distributeurs non agréés,
dans le territoire réservé par le fournisseur pour l'opération de ce système, et
iv) restreindre la capacité de l'acheteur de vendre des composants destinés à l'incorporation à des clients qui
pourraient les utiliser pour la fabrication de biens analogues à ceux qui sont produits par le fournisseur;
c) de restreindre les ventes actives ou les ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de
distribution sélective qui agissent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité
d'interdire à un membre du système d'exercer ses activités à partir d'un lieu d'établissement non autorisé;
d) de restreindre les fournitures croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y
compris entre des distributeurs agissant à des stades commerciaux différents;
e) de restreindre, dans le cadre d'un accord entre un fournisseur de composants et un acheteur qui incorpore ces
composants, la capacité du fournisseur de vendre ces composants en tant que pièces détachées à des utilisateurs
finals, à des réparateurs ou à d'autres prestataires de services qui n'ont pas été désignés par l'acheteur pour la
réparation ou l'entretien de ses biens.
Article 5
Restrictions exclues
1. L'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux obligations suivantes contenues dans des accords
verticaux:
a) toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans;
b) toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur, à l'expiration de l'accord, de fabriquer, d'acheter,
de vendre ou de revendre des biens ou des services;
c) toute obligation directe ou indirecte imposée aux membres d'un réseau de distribution sélective de ne pas
vendre les marques de fournisseurs concurrents déterminés.
Aux fins du premier alinéa du paragraphe 1, point a), une obligation de non-concurrence tacitement
renouvelable au-delà d'une période de cinq ans est considérée comme ayant été conclue pour une durée
indéterminée.
2. Par dérogation au paragraphe 1, point a), la limitation de la durée à cinq ans n'est toutefois pas applicable
lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l'acheteur à partir de locaux et de terrains dont le
fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l'acheteur, à condition que la durée
de l'obligation de non-concurrence ne dépasse pas la période d'occupation des locaux et des terrains par
l'acheteur.FR 23.4.2010 Journal officiel de l’Union européenne L 102/5 3. Par dérogation au paragraphe 1,
point b), l'exemption prévue à l'article 2 s'applique à toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur,
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à l'expiration de l'accord, de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services, lorsque les
conditions suivantes sont remplies:
a) l'obligation concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou services contractuels;
b) l'obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l'acheteur a exercé ses activités pendant la
durée du contrat;
c) l'obligation est indispensable à la protection d'un savoir-faire transféré par le fournisseur à l'acheteur;
d) la durée de l'obligation est limitée à un an à compter de l'expiration de l'accord.
Le paragraphe 1, point b), ne porte pas atteinte à la possibilité d'imposer, pour une durée indéterminée, une
restriction à l'utilisation et à la divulgation d'un savoir-faire qui n'est pas tombé dans le domaine public.
Il faut relire, une fois de plus, la disposition, principalement le §3 ; il énumère les
conditions cumulatives pour qu’une entente ne soit pas considérée comme illicite:
- l’amélioration de la production ou de la distribution, ou la promotion du progrès
technique ou économique : c’est l’idée que l’on doit démontrer que l’entente est
porteuse de gains, de bénéfices. On va devoir le faire, non pas d’un point de vue
subjectif (l’intérêt des parties), mais d’un point de vue objectif ; il faut démontrer le lien
et l’intérêt pour le marché. Il faut démontrer le bénéfice apporté par l’accord, en termes
de production. Il peut y avoir, pour le marché lui-même, un avantage du fait de cette
entente. On va devoir démontrer que le réseau mis en place permet une spécialisation
plus grande des distributeurs et in fine un meilleur service aux consommateurs (livraison
plus rapide, plus grande,…).
- une partie équitable du profit doit être réservée aux utilisateurs : il ne suffit pas que le
gain bénéficie aux entreprises parties à l’entente, mais il faut aussi démontrer que
l’utilisateur du produit va en sortir gagnant. Pour ce faire, on va prendre en compte
toutes les circonstances de fait propres au marché en cause. Le bénéfice le plus évident
est la diminution du prix possible grâce à l’entente. Ca peut aussi être la qualité du
service qui s’est améliorée au bénéfice de l’acheteur.
- le caractère indispensable des restrictions : c’est une application du principe de
proportionnalité : s’il existe un autre moyen qui ne porte pas atteinte à la concurrence, il
faut le favoriser. Plus la restriction de concurrence est forte, plus l’effet est important,
plus on sera sévère au regard de cette condition. Une restriction sera ainsi jugée
indispensable si son absence réduisait ou compromettait fortement le gain d’efficacité
souhaité par l’accord.
91
- le maintien d’une concurrence : l’accord, l’entente en question ne peut avoir pour effet
de faire disparaitre toute concurrence sur le marché. Si tel est le cas, elle doit être
rejetée. Pour en juger, il faut prendre en considération l’importance de la définition du
marché. Plus le marché va être petit, plus l’effet anti-concurrentiel risque d’être
démontré. Il s’agira de démontrer qu’il y a encore, malgré l’accord, de réelles
possibilités de se procureur les mêmes biens et services auprès d’autres concurrents ou
qu’il existe des moyens de substitution qui peuvent entrer dans le marché en question et
qui permettent de répondre aux mêmes besoins des utilisateurs qui vont être impactés
par l’accord.
2. Les abus de position dominante (art.102 du TFUE)
Le principe est posé à l’article 102 du TFUE. Il n’y a pas ici de régime
d’exemption. Ce n’est pas la position dominante elle-même qui est incompatible avec le
marché commun, mais son abus. Ce qui est interdit, c’est l’exploitation abusive d’une
situation de prédominance sur un marché. L’abus est d’ailleurs réprimé en toute
hypothèse, il n’y a aucune échappatoire
A. La position dominante : notion et hypothèse
A priori, c’est une entreprise, individuellement, qui est en position dominante et qui
commet l’abus. On peut toutefois imaginer la même situation mais avec plusieurs
entreprises. A ce moment-là, on flirte avec l’idée d’entente. Dans ces cas-là, il s’agira
d’attaquer tant sur base de l’article 101 que 102. Il existe même des cas où l’on va
pouvoir démontrer des abus de position dominante sans entente.
La position dominante sur un marché doit être distinguée de la notion de monopole.
Dans une situation de monopole, il n’y a pas de concurrence puisque l’entreprise est
seule. Il y a différentes situations de monopoles. Il existe plusieurs types de monopoles
(le monopole d’Etat avant la libéralisation,…). Le monopole existe plus rarement du fait
du marché lui-même (monopole de fait). Il en sera ainsi lorsque l’activité requiert un
investissement tel qu’une seule entreprise peut se le permettre ou que l’entrée de
concurrents s’avère très difficile. Elle est parfois liée à une innovation technologique
que l’entreprise a développée. Bien souvent, dans ce cas, le droit des brevets ou de la
propriété intellectuelle vient au secours de l’entreprise pour consacrer ce monopole.
92
Ex. : au début de la mobilophonie en Belgique, Belgacom a lancé son offre. Pendant un
certain temps, il n’y a pas de concurrent car cela signifie investir dans un nouveau
réseau. Pour entrer dans ce type de marché, il y a une barrière naturelle, à savoir
l’investissement requis. Ce qui explique l’existence de certains monopoles.
Un monopole implique forcément une position dominante. Cette position, en tant que
telle, n’exclut pas une concurrence sur le marché.
La position dominante
La notion de position dominante est une notion économique, de fait. C’est l’idée
qu’une entreprise, sur un marché donné, est véritablement capable d’influencer le
marché en cause et de l’influencer de sorte qu’elle puisse ne pas tenir compte des autres
acteurs. L’idée derrière cette position est celle d’un pouvoir économique d’influence sur
le marché en cause dont l’appréciation relève du pur fait.
La jurisprudence énonce que l’entreprise en position dominante a le pouvoir de faire
obstacle au maintien de la concurrence effective sur le marché en cause en lui
fournissant la possibilité de comportement, c’est-à-dire que l’on a un pouvoir
économique tel qu’on peut adopter des comportements qui contrecarrent le jeu de la
concurrence sans tenir compte de la réaction que cela peut avoir chez les
concurrents/consommateurs.
Ex. : je peux augmenter mes prix sans faire attention à la réaction des concurrents ; ils
ne sont de toutes façons pas capables d’absorber la demande supplémentaire et le
consommateur a besoin du produit.
Quels sont les critères de la position dominante ? Il s’agit, dans un premier temps, de
déterminer le marché en cause. Le marché en cause est défini en tenant compte du
critère géographique et de substituabilité du produit. En ce qui concerne la
substituabilité, on ne prend pas uniquement en considération l’usage attendu, la finalité
du bien, mais également les caractéristiques propres du bien.
Ex. : CJCE, 14 février 1979 : on a considéré que le marché des bananes était un
marché spécifique, particulier et indépendant des autres fruits frais. On a pour cela pris
en considération l’utilisation ultime de la banane : la manger. On a aussi pris en
compte les caractéristiques intrinsèques de la banane : c’est un fruit très adapté pour
les personnes âgées et les bébés.
Il faut aussi déterminer quel est le marché géographique sur lequel il y a position
93
dominante. C’est le territoire sur lequel s’exerce la concurrence entre ces produits
substituables et dans des conditions égales. L’article 102 vise « le marché intérieur ou
une partie substantielle de celui-ci ». On donne une plus grande importance à l’approche
économique du marché. L’offre du produit doit affecter le commerce
intracommunautaire. Il ne faut pas nécessairement considérer l’ensemble du marché
commun car une position dominante sur l’ensemble de ce marché serait plutôt
exceptionnelle. Il faut déterminer une zone dans laquelle les conditions de concurrence
du produit ou service en cause sont similaires ou suffisamment homogènes pour tous les
opérateurs économiques.
Ex. : le réseau de télécommunication que se partagent Voo, Telenet et Belgacom dans
trois régions différentes qui peuvent constituer chacune un marché.
Il faut apprécier la structure du marché et le comportement de l’entreprise en cause
sur le marché pour pouvoir arriver à la constatation, le cas échéant, d’une position
dominante. La Commission considère que lorsqu’on a plus de 60% de parts du marché,
on est en position dominante, tandis qu’en dessous de 40% on ne l’est pas. Plusieurs
nuances peuvent être apportées. Souvent, on peut relativiser le résultat de l’application
du critère des parts de marchés. Il n’y a pas nécessairement d’automatisme entre des
parts élevées de marché et une position dominante. D’une part, il faut avoir égard au
marché en cause et à ses caractéristiques pour pouvoir lire les résultats des parts du
marché.
Ex. : si on détient 95% des parts de marché dans la 1ère année de lancement d’un
nouveau produit, on n’est pas forcément en position dominante.
D’autre part, il faut mettre cette part de marché en perspective avec les autres. Il
faut également prendre en compte l’évolution de la part du marché. Il faut aussi avoir
égard au dynamisme, ou à l’absence de dynamisme, du marché. Un autre élément qui
sera pris en considération c’est la capacité des concurrents à satisfaire la demande
additionnelle. Tous ces éléments permettent de relativiser les résultats bruts de parts de
marché. C’est pour cela que les autorités de contrôle de la concurrence ne se basent
jamais uniquement sur les parts de marché pour conclure ou exclure l’existence d’une
position dominante.
Pour aller plus loin, l’affaire Continental Can est assez exemplative. Continental
Can est un groupe d’entreprises américaines leaders sur le marché de la production de
94
certains emballages (conserves métalliques). La particularité du groupe état de produire
des machines permettant de fabriquer les emballages. Ces deux marchés sont différents
mais liés. Il veut augmenter sa demande en Europe. Lors de l’acquisition de nouvelles
entreprises, une plainte est déposée auprès des autorités de contrôle de la concurrence.
La question est de savoir si l’entreprise se trouve en position dominante. L’analyse des
parts de marché démontre que celles du groupe sont très élevées. La Commission va
relever une série d’autres éléments qui vont venir confirmer ces parts de marché
importantes et cette position dominante qui transparait. D’abord, elle relève la fameuse
puissance économique et financière du groupe. Un deuxième élément relevé par la Cour
concerne les connaissances techniques du groupe ; elle constate un savoir-faire tout à
fait particulier qui donne de facto un avantage concurrentiel. De plus, la Cour constate
une intégration verticale du groupe : il produit les emballages mais aussi les machines.
La Cour constate que le groupe maitrise tout le processus de production permettant une
gestion optimale et efficace des stocks. Cette intégration verticale va permettre au
groupe d’avoir un contrôle sur les concurrents : il vend ses machines aux concurrents. In
fine, la Cour a fait l’analyse des marchés voisins clairement distincts pour constater que
le groupe était également présent dans les marchés proches mais non assimilables. Cela
accentue leur capacité concurrentielle car la palette d’offres est plus large que les
concurrents. Le cumul de ces éléments a fait apparaitre l’existence d’une position
dominante.
L’abus
On part d’abord d’une approche finaliste de la notion d’abus : on a égard au but
d’utilisation qui est faite de la position dominante. Si une société utilise cette position
dominante pour obtenir des avantages qu’elle ne pourrait pas obtenir en cas de
concurrence normale, on risque d’être devant un cas d’abus. On vise l’abus de résultat.
Il faut le différencier de l’abus de structure ; l’idée est de pouvoir intervenir avant même
que les avantages soient acquis sur le marché grâce à la position dominante et par le
simple fait que le comportement de l’entreprise a modifié la structure du marché à son
avantage. Par abus de structure, on reproche à l’entreprise d’avoir, à son bénéfice,
modifié la structure du marché et ainsi créé une diminution de la concurrence possible
sur le marché. Le problème est que les autorités de concurrence se sont rapidement
senties mal à l’aise vis-à-vis d’opérations qui se trouvaient en amont d’une recherche
95
d’avantages liés à la position dominante. On pense notamment aux modifications de
structure du marché par l’entreprise qui lui permettaient alors d’augmenter une position
dominante existante. C’est l’idée de l’abus de structure : on utilise la position dominante
pour modifier le marché lui-même et renforcer le degré de domination de l’entreprise.
La Cour a évolué dans sa jurisprudence. Dans l’arrêt Hoffman – La Roche du
13 février 1979, la Cour a mis en avant l’idée que l’abus devait faire obstacle au
maintien et au développement de la concurrence mais il fallait qu’il y ait recours à des
moyens différents de ceux qui concernent une compétition normale : « Constituent un
abus de structure les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de
nature à influer sur la structure du marché où, à la suite précisément de la position
dominante de l’entreprise en question, le degré de la concurrence est déjà affaibli, et
qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui
gouvernent à une compétition normale des produits ou services sur la base des
prestations des opérateurs, au maintien du degré de concurrence existant sur le marché
ou au développement de cette concurrence ».
Les essential facilities
C’est une théorie relative à l’abus de position dominante. L’idée est ici qu’une
entreprise dominante qui détiendrait une ressource rare (ex. : infrastructure gazière) doit
permettre l’accès aux entreprises qui en auraient elles-mêmes besoin pour
commercialiser leurs propres produits/services sur un marché en aval, moyennant une
juste rémunération. A priori, on ne peut forcer l’entreprise dominante à donner à son
concurrent les moyens de la détruire. Cette théorie essaye de tendre à un équilibre entre
des intérêts divergents : ceux de l’entreprise elle-même et l’intérêt général, du marché,
du consommateur final,… Il faut des conditions assez strictes pour appliquer cette
théorie. Il faut que l’entreprise en amont ait une forte position dominante, voire de
monopole. Il faut, dans le même temps, que, pour l’entreprise qui demande l’accès, il
n’y ait pas d’autre alternative rentable qui s’offre à elle. Il faut aussi, et c’est important,
que l’infrastructure du dominant soit capable d’accepter, d’intégrer la demande
supplémentaire. Deux conditions supplémentaires ont encore été ajoutées : la première
96
exige la démonstration du refus ou des conditions discriminatoires d’accès à
l’infrastructure, la seconde nécessite la preuve de l’existence de capacités suffisantes de
l’infrastructure pour l’offre de concurrents, sans quoi le refus d’accès serait justifié.
Il faut bien saisir le caractère exceptionnel des effets de cette théorie puisqu’au
nom de la liberté de concurrence, on va, en réalité, diminuer l’exercice de liberté de
contracter de l’entreprise en position dominante auquel on oppose la théorie. On touche
aussi, en cas d’accès aux infrastructures par exemple, au droit de propriété de
l’entreprise. D’un point de vue strictement juridique, il est difficile de justifier et de
motiver en droit la limitation d’un droit au nom d’une simple liberté. Cette théorie
exprime et vise une de ces hypothèses où la liberté de concurrence vient limiter les
droits subjectifs des entreprises. Au travers de cet exemple, on fait passer l’intérêt
général devant l’intérêt particulier de l’entreprise en cause. Bien souvent, cette
entreprise aura investi des sommes énormes dans l’infrastructure en question.
B. L’abus de position dominante
Le traité liste une série d’exemples.
Le premier exemple porte sur la mise en place d’une politique de prix prédateurs.
Comme en matière d’entente, l’imagination des entreprises est à peu près sans limite.
Une entreprise en position dominante qui touche à ses prix pour faire de la concurrence
se met toujours en danger tant on se méfie des effets qui peuvent être tirés par une
entreprise en position dominante via une politique de prix agressifs. C’est une stratégie
« prédatrice » dans le sens où deux éléments doivent être remplis : il faut un sacrifice
consenti par l’entreprise en position dominante (=une pratique de vente à perte 1°) et,
dans le même temps, il faut que cette politique s’accompagne d’une éviction
anticoncurrentielle (2°).
1° Lorsqu’on parle de vente à perte, on est dans l’idée que le prix d’un produit/service
fixé par l’entreprise dominante ne supporte pas les coûts que cette même entreprise doit
supporter en vue de fournir ce produit/service. Il y a nécessairement un test à faire par
97
rapport aux coûts pour déterminer s’il y a une vente à perte. Il faut effectuer un test où
l’on va comparer le prix demandé pour le produit/service avec son coût. Le problème,
c’est que l’on ne connait pas ces coûts. Des règles sont prévues pour protéger la
confidentialité des informations de l’entreprise. Se pose la question de savoir quels
coûts prendre en considération pour effectuer ce test. Il y a des tests qui sont mis en
œuvre et admis par la Commission et les autorités de concurrence. Sans rentrer dans le
détail, il y a deux types de coûts : les coûts variables et les coûts totaux. Lorsqu’on
produit un bien/exécute un service, il existe des coûts directement liés à la production
supplémentaire/au service rendu, au cas par cas. Ces coûts vont varier en fonction de la
quantité de produits offerts/services prestés : c’est ce que l’on appelle les coûts
variables. Dans ce test, on limite les coûts pris en considération puisque l’on exclut tous
les coûts fixes. Le deuxième test est le « test du coût total moyen ». Ici, on obtient le
coût total moyen en divisant le coût total (coûts fixes + coûts variables) par le nombre
d’unités produites. On prend ici en considération beaucoup plus de coûts que dans le
premier test. Il faut distinguer où l’on se situe, avec le prix, au regard de ces deux tests.
Si l’on se situe avec un prix inférieur aux coûts variables, la Commission estime qu’il
s’agit à coup sûr d’un abus et que l’on est en présence de prix prédateurs. Il s’agit ici
d’une présomption réfragable à condition de mettre en avant les raisons objectives qui
ont poussé à mettre les prix si bas. Si on se situe entre les coûts variables et les coûts
totaux, alors il n’y a pas de présomption qui joue : il faudra véritablement prouver qu’il
y a eu, outre une vente à perte qui se situe entre les coûts totaux et variables, une
volonté d’éviction anti-concurrentielle. Si l’on est au-dessus des coûts totaux, il n’y a
pas de vente à perte et on ne peut dès lors considérer qu’il y a une politique de vente à
perte.
2° On ne peut condamner une politique de prix trop bas, sauf à prouver cette idée de
prédation. C’est l’idée que l’on baisse les prix non pas pour faire plaisir aux
clients/consommateurs mais pour mettre les concurrents dans une situation difficile
puisqu’ils seraient incapables de suivre ou de s’adapter à ces prix. Avec le jeu de l’offre
et la demande, ils ne seraient dès lors plus capables de vendre. Il va donc falloir prouver
l’existence d’une éviction ou d’un effet anti-concurrentiel. On ne demande jamais aux
autorités de la concurrence d’apporter la preuve d’un effet anti-concurrentiel mais d’une
potentialité suffisamment certaine. Un des indices est le fait de savoir si oui ou non, en
fin de politique prédatrice, la société en position dominante va relever ses prix de
manière substantielle et ainsi récupérer les pertes qu’elle aura admis avoir en vue de
98
« faire mal » à la concurrence.
Un autre abus de position dominante via la politique des prix est la pratique des
rabais de fidélité. On retrouve ces pratiques en amont du processus de production. Ce
n’est pas une pratique qui se situe au niveau de la vente au détail. Cette pratique est
celle d’un grossiste par rapport à ses clients qui eux-mêmes fourniront le vendeur au
détail/l’utilisateur final. C’est l’idée que l’entreprise en position dominante est
véritablement un fournisseur indispensable dans la chaine de production qui serait le
fournisseur de tout ou partie des besoins des acheteurs. Ceux-ci sont pratiquement
obligés de s’approvisionner auprès de l’entreprise dominante. Celle-ci, sur la base de ce
pouvoir d’influence, mène au surplus une politique de rabais à l’égard de ses clients
pour les fidéliser à long terme et éviter qu’ils puissent s’approvisionner auprès d’une
autre entreprise. Une entreprise ne peut offrir, à son profit, l’exclusivité auprès d’un
client, sous peine de voir les autorités de contrôle de la concurrence constater un abus de
position dominante. On franchit ici un pas supplémentaire par rapport à l’idée de
fidélisation.
Une autre politique de prix qui va ou peut mener à la constatation d’un abus de
position dominante est celle des prix-ciseaux, autrement appelée compression des
marges. On joue ici sur deux marchés à la fois. Deux affaires ont défrayé la chronique
ces dernières années.
Illustrations :
- Deutsch Telecom : C’est l’opérateur téléphonique allemand qui avait le monopole
avant la libéralisation du marché. Cette entreprise, sortie d’une longue période de
monopole, est contrainte par la législation allemande, en juin 1997, à fournir à ses
concurrents un accès au réseau téléphonique allemand qu’elle exploite. A l’époque, on
considérait qu’il n’était pas économiquement viable de dupliquer le réseau existant. Si
l’on contraint d’ouvrir les infrastructures sans réguler les prix, l’entreprise dominante
risque bien d’augmenter artificiellement le prix d’accès à l’infrastructure. Les
allemands ont décidé de réguler d’une manière qui laisse une marge de manœuvre à
Deutsch Telecom en imposant un plafonnement des prix pour des services regroupés
par paniers. Il n’empêche que Deutsch Telecom gardait une marge de manœuvre au
sein de ces paniers. Des plaintes sont déposées en 1999 et 2003 contre Deutsch
Telecom. On lui reproche une politique de compression des marges (diminution des prix
de détail et augmentation des prix d’accès des concurrents). Selon la Commission, la
99
différence entre les prix de détail que Deutsch Telecom offrait à ses abonnés et les tarifs
d’accès tarifés à ses concurrents était insuffisante pour permettre à ses concurrents
d’offrir leurs services en faisant un profit raisonnable. L’argument de Deutsch Telecom
consistait à revendiquer l’application pure et simple de la régulation des prix qui lui
était imposée par la loi allemande. Cet argument a été rejeté par la Cour qui a
considéré qu’il n’y avait pas ici rejet en soi des règles de la concurrence dès lors que la
Deutsch Telecom disposait d’une marge de manœuvre suffisante et ne pouvait pas se
prévaloir d’agir en stricte conformité à la loi.
CJUE - 17 février 2011 C-/05
Il s’agit ici d’une question préjudicielle. La Cour vient confirmer l’existence d’un abus
dans une pratique de prix-ciseaux. Dans cette affaire, il semblerait que l’on puisse
confirmer qu’il ne faut pas nécessairement être en position dominante sur les deux
marchés : il suffit d’être en position dominante sur le marché en amont et non sur le
marché de détail.
En matière de téléphonie mobile, le problème se pose également. Lorsqu’on passe
un appel de notre opérateur vers un autre opérateur, il faut acheminer la
télécommunication jusqu’à l’utilisateur appelé. Cet accès a un coût que chaque
opérateur est tenu de payer à l’opérateur auprès duquel son propre client téléphone (coût
de terminaison). Chaque opérateur est en position dominante de cette terminaison
d’appel. On peut imaginer, dans le chef de chacun, une politique répréhensible de prix-
ciseaux, à la lumière de l’arrêt précité de la Cour.
Le dernier cas de figure de la politique de prix est celui des prix exagérés. Une
société en position dominante qui, parce qu’elle est en position dominante, peut tout à
fait décider d’augmenter ses prix au maximum, qui n’ont rien à voir avec la valeur
économique du produit/service. Sur base de l’idée de l’imposition de prix à des
conditions inéquitables visées par le littéra 1 de l’article 102, alinéa 2, les autorités de
la concurrence sanctionnent le prix exagéré. A partir de quand y aura-t-il exagération
du prix ? Les autorités de la concurrence ne sont pas des autorités de régulation des prix.
On considère généralement qu’il faudra démontrer, sur base d’un faisceau d’indices,
qu’il n’y a plus de proportion entre le prix demandé et le bien/service. Pour ce faire, on
100
peut, par exemple, mettre en avant la marge bénéficiaire prise par l’entreprise. Un autre
indice est celui de la comparaison du prix du même bien/service sur un marché
comparable, en démontrant que le prix sur le marché en cause est nettement plus élevé
que dans des marchés équivalents.
Il faut tout de même admettre qu’au bout de ce passage en revue de quelque uns
des abus de position dominante, on se rend compte que l’entreprise en position
dominante est en position délicate dès lors qu’elle modifie ses prix. L’entreprise est
suspecte dès lors qu’elle baisse ou augmente ses prix. Si l’entreprise décide de suivre les
prix de ses concurrents, elle risque aussi d’être suspectée d’entente avec ses concurrents.
Le refus de vente est susceptible également de constituer un abus de position
dominante. Le refus de vente crée la suspicion. On peut, évidemment, avoir de bonnes
raisons de ne pas vendre. En droit de la concurrence, on obligera souvent de justifier le
refus à posteriori. Des pratiques consistent, par exemple, à ne pas vendre aux « ennemis
de ses amis ».
Un autre cas visé par le traité est l’interdiction de contrats couplés : on subordonne à
la conclusion d’un contrat à l’acceptation de prestations supplémentaires qui, par leur
nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec leur objet. On vise ici,
plus spécifiquement, le moyen dont use une entreprise qui dispose d’un pouvoir notable
sur un marché d’assurer son entrée sur un second marché qui n’est pas encore sous sa
domination.
Microsoft c. Sun
Sun développe des serveurs de groupes de travail permettant un travail en commun
entre différents utilisateurs. Ce logiciel n’est pas compatible avec le système
d’exploitation Windows ; il faut le paramétrer d’une manière particulière. Pour cela,
Sun a besoin d’informations techniques. Microsoft refuse de délivrer ces informations.
Sun dépose plainte devant la Commission. Microsoft invoque ses droits de propriété
intellectuelle. A priori, s’il s’agit véritablement de l’exercice de droits de propriété
intellectuelle, la réponse de Microsoft est, en droit, difficilement critiquable. En droit
civil, la théorie de l’abus de droit peut corriger l’abus excessif de droits subjectifs.
Jamais, néanmoins, on ne va imposer au titulaire du droit de se justifier de manière
subjective sur la manière dont il a objectivé ses droits. En droit de la concurrence, on
101
va utiliser le critère de l’intention (critère subjectif). Pour comprendre l’affaire
Microsoft c. Sun, il faut regarder en arrière sur les nombreux cas de jurisprudence
relatifs au sujet. On a ainsi vu émerger l’idée que le droit de la concurrence peut venir
limiter l’exercice des droits de propriété intellectuelle mais dans des cas exceptionnels.
La Cour est ainsi venue poser des conditions : le refus doit empêcher l’apparition d’un
produit nouveau que l’auteur du refus n’offre pas et pour lequel il existe une demande
potentielle1, le refus doit être injustifié (ce qui pose problème au niveau de la charge de
la preuve), l’auteur du refus doit se réserver un marché dérivé en excluant toute
concurrence sur le marché.
La Cour va refuser de se prononcer sur l’existence des droits de propriété intellectuelle.
On peut même avoir l’impression qu’elle va nier l’existence potentielle ou réelle de ces
droits. Ce faisant, elle met en œuvre un raisonnement qui est très favorable à la liberté
de la concurrence. Elle constate que Microsoft est en situation de position dominante
du système d’exploitation et que cette position dominante empêche pratiquement
d’elle-même des entreprises de se faufiler sur des marchés dérivés qui tournent sur le
système d’exploitation Windows. Elle part du principe que la position dominante est
presque en elle-même condamnable. Partant de cette situation-là, elle applique les
critères vus précédemment (ex. : le caractère indispensable de l’accès au service). Elle
remarque que ce refus peut empêcher le développement d’un marché distinct sur
lequel, le cas échéant, Microsoft n’est pas présent. La Cour fait sauter l’idée du produit
nouveau, comme si cette condition était intrinsèquement attachée à l’idée de propriété
intellectuelle. Comme la Cour se met dès le départ en dehors d’un raisonnement sur les
droits de propriété intellectuelle, elle se permet de ne pas prendre cette condition en
compte, ce qui lui permet d’arriver à une constatation d‘abus de position dominante.
Un tel arrêt emporte des conséquences, notamment au niveau de la sécurité juridique,
de la négation des droits subjectifs et de la tentation d’un marché de contrefaçon.
IMS Health – C.J.C.E, 29 avril 2004
1 C.J.C.E, 9 avril 1995 : La société Magill est une entreprise qui édite des programmes télévisés. Une télévision refuse en invoquant ses droits d’auteur sur la grille de programme. La question est de savoir si ce refus de fournir les programmes en cause au nom d’un droit de propriété intellectuelle peut être considéré comme abusif au sens de l’article 101. Il y a ici une véritable idée de restriction de la concurrence.
102
Il s’agit ici du refus d’utiliser la nomenclature d’un produit dans le cadre d’analyses de
marché. IMS Health produit des analyses de marché. Elle refuse d’autoriser un
concurrent, qui lui en fait la demande expresse, à pouvoir utiliser cette nomenclature. A
cette occasion, la Cour reformule les conditions qui doivent être remplies pour que l’on
y voit un abus de position dominante : le refus doit porter sur un produit indispensable
pour l’exercice d’une activité sur le marché, l’entreprise demanderesse doit
offrir/vouloir offrir des produits nouveaux que le titulaire des droits n’offre pas et pour
lesquels il existerait une demande potentielle, le refus ne doit pas être justifié par des
considérations objectives et le refus doit permettre de se réserver un marché en
excluant toute concurrence.
3. Les concentrations
Il y a plusieurs motivations à la base des entreprises qui se le lancent dans de telles
opérations et, souvent, il y a la motivation de créer une économie d’échelle. Dès
l’instant où les regroupements d’entreprise réduisent le nombre de joueurs sur le
marché, il a nécessairement un effet négatif possible sur la concurrence.
L’idée est de trouver une règlementation permettant de trouver un équilibre entre
des intérêts divergents et qui a pour objet de jauger les concentrations.
Les concentrations horizontales se situent au même niveau de production, sur un
même marché. Dans les concentrations verticales, on agit sur deux niveaux de
production différents. Le risque ici est que l’opération ait pour conséquence d’exclure
un concurrent sur l’un ou l’autre marché. Un autre type de concentration que l’on ne
retrouve pas dans les ententes sont les concentrations conglommérales ; les entreprises
ne sont pas du tout concurrentes, l’idée est plutôt d’étendre des lignes de produit/service
pour la société.
Ex. : un leader dans le marché des écrans plats qui achète une société qui vend des
appareils vidéo permettant de visionner des dvds.
Ce qui distingue les concentrations de l’entente est que dans le cas de l’entente il
faut deux entreprises à l’entrée et la sortie de l’entente. Dans la concentration, il y a un
103
phénomène d’unification des entreprises en cause. Il y a, comme conséquence de la
concentration, création d’une seule entreprise. Il y a nécessairement risque pour la
concurrence puisqu’il y a un rétrécissement des acteurs sur un/plusieurs marchés.
Le consensus quant au régime à adopter a été difficile à obtenir. S’est posée la
question du transfert de compétences des Etats vers les autorités européennes. Les Etats
ont souvent des intérêts particuliers en jeu dans les opérations de rapprochement
d’entreprises qui ont lieu sur leur territoire. Une série de règlements ont été
successivement adoptés (4064/1989, 139/2004,…).
Il faut garder à l’esprit que l’on est dans l’idée de préserver la concurrence et le
marché. On veut opérer un contrôle sur les conséquences de l’opération de
rapprochement concernant les structures du marché, celles-ci doivent rester ouvertes à la
concurrence après les opérations envisagées.
A. Le champ d’application du Règlement 139/2004
L’article 2, §1, énonce l’objet de la règlementation, ainsi que comment, et à l’égard
de quels principes, on va contrôler et analyser les concentrations soumises audit
règlement. L’idée de comptabilité de la concentration avec le marché commun est la clé
de compréhension de cette règlementation. L’article 2, §1, littera b énonce une série
de critères à prendre en compte. Les autorités de contrôle sont investies d’une tâche de
contrôle et d’analyse des opérations en cause.
A l’article 2, §2, on explique réellement comment cela fonctionne. Cette disposition
résume tout le système.
Le champ d’application est ici dépendant de la manière dont on va définir la notion
même de concentration. A nouveau, tout est dans le texte (art.3). La concentration est
intrinsèquement liée à l’idée que l’opération sous-jacente à celle-ci va avoir pour effet
un changement durable du contrôle des entreprises en cause.
La première hypothèse de situation qui opère un changement durable est la fusion
de deux ou plusieurs entreprises (ou parties d’entreprises) antérieurement
104
indépendantes. Il y a deux types de fusion : la fusion par absorption (deux sociétés
distinctes et l’une disparait et l’ensemble de son patrimoine rentre dans la société
absorbante) et la fusion où les deux sociétés distinctes fusionnent, disparaissent et sont
dissoutes pour former ensemble une nouvelle société, une nouvelle entité juridique.
La deuxième hypothèse résulte de l’acquisition par une/plusieurs personnes
détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins par une ou plusieurs entreprise, du
contrôle direct ou indirect de l’ensemble/ des parties d’une/plusieurs autres entreprises,
par prise de participation au capital, par achat d’éléments d’actif, par contrat ou tout
autre moyen. On se retrouve ici dans une autre situation, moins facile à cerner car moins
évidente. On retrouve ici la distinction entre la notion juridique de société et la notion de
société en droit de la concurrence (entité économique).
Une troisième hypothèse de situation de concentration est la création d’une
entreprise commune entre deux entités pour autant qu’elle accomplisse de manière
durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome (« entreprise commune
de plein exercice »).
Ex. : deux sociétés créent une troisième société ensemble et celle-ci va reprendre une
activité qui était auparavant une activité spécifique pour les deux sociétés créatrices de
la nouvelle entité ; deux sociétés, pour diminuer leurs coûts, vont mettre en commun
leurs moyens relatifs à la recherche et le développement. Elles créent une troisième
société qui va reprendre l’activité de recherche et de développement.
Pour se retrouver dans une telle situation, l’entreprise commune doit exercer l’ensemble
des fonctions exercées par l’entreprise créatrice.
Dans ces trois hypothèses, la notion essentielle est l’élément de contrôle. L’article
3, alinéa 2, qui est extrêmement précis, énonce ce qu’il faut entendre par contrôle : c’est
la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise. Ce
contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent alors, seul ou
conjointement, cette possibilité d’exercer une influence. Il y a l’idée d’une prise de
contrôle conjointe entre deux entreprises partenaires. Cette prise de contrôle peut se
faire de manières différentes et par le biais de moyens variés et diversifiés. Il ne faut pas
s’arrêter aux opérations classiques qui viennent en tête. Il y a mille et une autres
manières de prendre le contrôle et la maitrise d’une société.
L’alinéa 5 exclut de tout le système certaines concentrations qui sont
105
circonstancielles, souvent momentanées. On vise par exemple des opérations effectuées
par des mandataires juridiques.
Le règlement prévoit des critères très précis qui permettent de déterminer le
caractère communautaire, ou pas, de la concentration, étant entendu que si la
concentration présente une dimension communautaire, c’est la Commission qui est
compétente pour en connaitre. Le cas échéant, ce sont les autorités nationales qui sont
compétentes. A l’article 1er, §2, on énonce les conditions pour qu’une concentration ait
une dimension communautaire. Il y a toutefois des exceptions, fruits du compromis
opéré entre l’Europe et les Etats. Il existe un second jeu de critères : on retombe sur un
deuxième critère visé à l’article 1, §3. Si l’on veut encore aller plus loin, le texte est
truffé d’exceptions et de possibilités qui permettent aux Etats de prendre tout ou partie,
de manière plus ou moins passive, du contrôle de la concentration en cause (exception
de l’intérêt légitime2 : art.21, §4/ exception du marché national : art. ???/
B. La procédure et l’examen d’admissibilité par la Commission
Une notification se fait à la Commission (art.4) à différents moments selon le type
de concentration. On se situe ici à la fin des opérations de concentration. Les opérations
de concentration ont déjà été négociées. La notification entraine la suspension des
opérations (art.7). A ce moment-là, on ne peut plus mettre en œuvre cette opération tant
qu’elle n’a pas été déclarée aux parties par décision de la Commission, qui doit
intervenir dans un certain délai. Passé un certain délai, l’opération sera déclarée
compatible. On a voulu forcer les autorités à prendre des décisions dans un laps de
temps assez rapide, pour ne pas bloquer les opérations pendant trop de temps. La
procédure est organisée en deux temps : une décision de compétence – 25 jours (si la
Commission s’estime compétente, elle va faire une déclaration de possibilité
d’incompatibilité de l’opération avec le marché commun) et une décision de
consolidation/d’infirmation du résultat de la première phase – 90 jours. Le délai peut
être augmenté car, bien souvent, ce ne sera pas « oui » ou « non » mais « peut-être », et
le « peut-être » se négocie. Pendant ce temps, la Commission peut ordonner certaines
mesures.
Le Règlement admet que certaines restrictions de concurrence doivent être
2 Dès que l’on touche à un intérêt national.
106
admises car accessoires aux opérations en cause (ex. : clauses de non-concurrence
passées entre l’acheteur et le vendeur pour après la vente). L’article 8, §1er, al.2,
prévoit que les restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la
concentration sont couvertes par l’admission de celle-ci. Cette extension est
automatique. En cas de doute sur la qualification d’ « accessoire » d’une restriction, la
Commission se devra de prendre une décision à cet égard afin d’éviter toute insécurité
juridique. La Commission a l’obligation, soulignée dans les Lignes directrices, de
prendre en compte, et ce à la décharge des partenaires de la concentration, les gains
d’efficacité que permet la concentration. Trois conditions cumulatives sont cependant
posées :
- ces gains devront aboutir à un avantage pour le consommateur
- la concentration doit être le moyen nécessaire et sans alternative moins
anticoncurrentielle de l’obtention de ces gains
-les gains doivent être vérifiables selon des critères précis, objectifs et convaincants.
Les Lignes directrices prévoient, enfin, un autre cas d’admissibilité : celui où il est
établi que l’entreprise qui est l’objet de la concentration eût été contrainte de quitter le
marché en raison de ses difficultés financières si cette reprise n’intervenait pas.
107
Livre IV – Les pratiques du marché et la protection du
consommateur
Le principe, c’est la liberté de commerce consacrée par le décret d’Allarde. Il y a deux
manières de concevoir la liberté d’entreprendre. Il s’agit d’une liberté publique et l’Etat est
tenu de garantir cette liberté. Il ne peut réduire cette liberté d’entreprendre comme il l’entend.
On a vu la Cour de cassation et le Conseil d’Etat affirmer le caractère obligatoire du décret
d’Allarde. D’un point de vue de droit public, on voit deux types de règles reconnues : la
liberté d’entreprendre doit être garantie par l’Etat et l’Etat ne peut régir la matière en cause
sans habilitation législative. Une autre manière d’appréhender la liberté d’entreprendre se
situe au niveau du droit privé. En effet, elle implique des relations entre personnes privées qui
constituent le fondement du droit économique moderne. Le nouveau code de droit
économique commence d’ailleurs pas affirmer le principe de liberté d’entreprendre. Celle-ci
produit certains effets juridiques dans les relations entre acteurs sur le marché. Le fait
d’invoquer cette liberté n’est pas neutre d’un point de vue juridique.
La liberté d’entreprendre est une liberté publique, celle de créer ou d’exploiter une
entreprise économique dans des conditions normales de concurrence, proclamée par la loi, qui
a valeur de principe et qui va guider dans le contrôle de légalité des mesures qui viendraient
limiter la liberté d’entreprendre. Cet aspect public est prédominant. Il est néanmoins temps de
mettre en avant son aspect privé. La liberté d’entreprendre, si elle a un sens au niveau
juridique, a nécessairement une portée juridique dans les relations entre les acteurs de droit
privé. Depuis longtemps, c’est la qualification de droit subjectif qui est le plus souvent utilisée
dès l’instant où l’on parle d’un pouvoir juridique reconnu à une personne de droit privé. Dans
les relations interindividuelles, les libertés de commerce, d’entreprendre et de concurrence
peuvent être qualifiées de libertés civiles. La différence entre la liberté et le droit subjectif
réside dans le fait qu’un droit subjectif (subjectif = nait de la volonté de la personne, et non
108
pas de la simple application de la loi) est toujours un pouvoir exclusif reconnu à une personne,
tandis qu’il n’y a pas de liberté qui comporte de pouvoir exclusif. Une autre différence réside
dans le caractère non-conditionné de la liberté. Le droit subjectif est conditionné dans son
existence. Cette idée de condition permet de comprendre une autre différence :
paradoxalement, le droit, parce qu’il est conditionné, est inégalitaire tandis que la liberté est
égalitaire. On va donc ouvrir des actions particulières aux titulaires du droit subjectif où il
suffira de dire que le droit est énervé pour obtenir la cessation de l’atteinte (ex. : action en
contrefaçon). C’est là que réside la différence au niveau juridique : l’opposabilité du droit
subjectif induit un devoir strict de respect pour le reste du monde. Tel n’est pas l’effet de la
liberté. L’effet d’une liberté sur autrui consiste en un « devoir de tenir compte » de cette
liberté.
Toutes les questions du droit de la concurrence se résolvent dans le cadre d’un confit
de libertés. On ne sait, à priori, déterminer qui a raison ou a tort dès lors que deux libertés
s’entrechoquent. C’est là que l’on peut affiner l’effet de l’exercice d’une liberté.
L’exercice d’une liberté se fait en deux temps. Dans un premier temps, on peut
distinguer l’effet légitimateur de la liberté. Il est ainsi frappant de constater à quel point la
jurisprudence actuelle développe et se fonde sur la liberté de commerce et d’entreprendre-
ainsi que sur la liberté de concurrence- pour justifier à propri des actes posés par des acteurs
de la vie économique qui peuvent porter atteinte à d’autres acteurs
Ex. : Anvers, 28 septembre 2000 : la liberté de commerce légitime et permet qu’un concurrent
établisse un commerce identique dans l’immeuble quitté par un autre commerçant et continue
ses activités commerciales trente mètres plus loins.
Dans un second temps, l’exercice d’une liberté a un effet d’opposabilité : celui-ci
impose aux tiers d’en tenir compte dans leurs propres comportements, et ce sous peine
d’adopter des comportements qui seront considérés comme illicites. Les conflits de libertés
sont des conflits d’équilibre. Ce qui est déséquilibré, c’est de commettre un acte illicite.
Quand une liberté entre en conflit avec un droit, l’acte illicite est l’atteinte au droit. En cas de
conflit entre deux libertés, il s’agira d’analyser toutes les circonstances pour déterminer si l’on
est resté, oui ou non, dans un équilibre acceptable.
Il existe des actions ouvertes pour se plaindre des pratiques commerciales d’une
entreprise, qui sont l’expression de la liberté d’entreprendre. Toute l’attention du juge portera
ainsi sur le contrôle des équilibres.
109
Il y a quelque chose d’ambigu avec la liberté : comme les droits, on ne peut nous
enlever une liberté. La reconnaissance de cette liberté est d’ordre public.
Ex. : un contrat par lequel on loue une chambre à quelqu’un en y interdisant l’accès à des
garçons : nullité de cette clause.
Toutes les libertés sont soumises à un nombre incalculable de règles : ce sont des
libertés surveillées. L’exercice des libertés économiques est règlementée de manière
importante. La liberté d’entreprendre ou de concurrence est encadrée par la « police du
commerce, de l’économie » : ce sont des règles qui vont s’appliquer à l’exercice de la liberté
d’entreprendre pour éviter les excès. Il est impossible de tracer un contour des règles qui
« surveillent » la liberté d’entreprendre. Un premier groupe de règles permet de lutter contre
les déséquilibres structurels entre les professionnels et consommateurs. Le droit va intervenir
pour rétablir l’équilibre entre consommateur et professionnel (ex. : on impose à l’entreprise
de donner une information sur le produit, on impose un devoir de conseil, on impose
d’informer le consommateur sur ses droits, tels que le droit de rétractation,…). Un second
groupe de règles protège les entreprises contre elles-mêmes, dans leur relation entre elles
(ex. : les règles qui vont garantir une concurrence honnête et loyale entre entreprises). On
vise ici à éviter à priori ou à sanctionner à posteriori certains excès dans l’exercice des
libertés en cause, et ce, en vue de maintenir une concurrence loyale entre commerçants et, de
manière plus générale, entre les acteurs économiques intervenant sur les différents marchés.
Un troisième groupe de règles va encadrer l’utilisation des nouveaux outils de communication
issus des nouvelles technologies de l’information, et ce au regard des risques particuliers
qu’induit ce mode de commercialisation de biens et services, notamment en faisant exploser
les frontières physiques traditionnelles. Des règlementations nouvelles apparaissent afin
d’assurer la sécurité juridique des transactions qui s’effectuent au moyen de ces technologies
et d’accroitre la confiance qui lui accordent ses utilisateurs. Un quatrième groupe de règles
vise à protéger les libertés et droits fondamentales dans le cadre de l’exercice d’une activité
économique et commerciale, que ce soit dans l’organisation interne de l’entreprise ou dans les
rapports que celle-ci entretient avec les tiers.
Ex. : règlementation des traitements de données à caractère personnel
110
I. La loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à
la protection du consommateur
Le livre VI du Code de droit économique entrera en vigueur le 31 mai 2014.
L’origine de cette matière (théorie de la concurrence déloyale) remonte au XIXème
siècle. Il n’y avait pas de législation, on n’appliquait donc les articles 1382 et 1383 du Code
civil. On n’appliquait qu’une sanction de réparation par le biais de l’octroi de dommages et
intérêts. Fin des années 20, début des années 30, c’est la grande crise économique. On s’est
vite rendu compte que c’était en quelque sorte l’anarchie sur les marchés. Les acteurs du
marché se permettaient de plus en plus de choses et tombaient dans des excès qui n’étaient
pas sanctionnés, bien qu’extrêmement nocifs, tant pour les consommateurs que pour les autres
acteurs du marché. Le législateur, qui tentait aussi de relancer l’économie, a imaginé un
moyen d’imposer l’honnêteté aux entreprises sur le marché. Cela part du constat : introduire
une action sur base de 1382/1383 n’est pas efficace. C’est une action au fond (longue
procédure, mise en état judiciaire) et la décision est tournée vers le passé. Les commerçants
n’avaient que faire d’une réparation à posteriori : ce qu’on voulait, c’était la cession du
comportement dommageable. On a d’abord imaginé une règlementation pénale économique,
plus lourde, plus sévère. Devant l’échec de la responsabilité extracontractuelle et pénale, le
législateur a ensuite eu une idée novatrice : la cessation commerciale (arrêté royal de
pouvoirs spéciaux n°55 du 23 décembre 1934). L’idée est de saisir un juge comme en référé
(on admet que la procédure de mise en état soit appliquée) et de lui permettre d’ordonner la
cessation des pratiques commerciales déloyales.
L’article 1er de l’arrêté pose un principe, qui se fonde lui-même sur un standard. A
l’article 3, on prévoit la procédure comme en référé devant le tribunal de commerce qui n’est
alors compétent que pour faire cesser l’acte. La première idée du législateur fut de punir
pénalement ceux qui ne respectent pas les règles du jeu. On va imaginer des règles qui vont
frapper durement, strictement, les contrevenants.
D’autres arrêtés royaux ont été promulgués en la matière mais on n’a pas réuni les
textes juridiques sur le sujet. On est restés sur cet arrêté royal pendant de très nombreuses
111
années. Il faudra attendre 1971 pour que l’on adopte la première loi moderne belge sur les
pratiques du commerce (loi du 14 juillet 1971). Elle va unifier les règlementations
antérieures. On garde bien évidemment le principe de l’interdiction des actes contraires aux
usages honnêtes mais on prend des dispositions nouvelles. C’est la première loi de protection
des consommateurs. Véritablement, cette loi apparait comme une étape dans le
développement en cours, principalement au niveau européen, concernant l’arrivée du droit de
la consommation.
Le 14 juillet 1991, on adopte une nouvelle loi, dans laquelle on introduit pas mal de
nouveautés (ex. : règlementation de la publicité). En 1991, on prend l’acquis de ces années
d’applications jurisprudentielles et on adopte des règles plus claires que l’on insère dans la loi
sur la protection du marché et du consommateur. On trouve aussi, pour la première fois, un
régime sur les clauses abusives (=clauses qui sont normalement valables et valides au regard
du droit commun mais que l’on considère comme illicites au vu du déséquilibre structurel
existant dans la relation entre le professionnel et le consommateur). Ce régime vient de
directive européennes. On règlemente aussi les ventes à distance. Un contrat est conclu à
distance lorsque les deux parties ne sont pas physiquement l’une en face de l’autre (ex. :
contrat par téléphone). Les dispositions spécifiques des ventes à distance vont s’appliquer en
e-commerce. Ces règles sur la vente à distance viennent d’être complètement modifiées suite
à l’implémentation d’une directive de 2011. On retrouve aussi dans cette loi l’interdiction
générale des actes contraires aux usages honnêtes.
A différentes reprises, sous pression de l’Union Européenne, on a modifié le régime.
On a introduit, en 1997, des dispositions importantes concernant la publicité comparative.
Avant 1997, c’était interdit, sauf exceptions. Dès 1997, c’est l’inverse : elle est admise, sauf
exceptions.
On se rend compte, fin des années 90, que l’on a besoin d’une grande réforme. Celle-
ci a lieu par le biais de deux lois : les lois du 6 avril 2010 sur les pratiques du marché et la
protection du consommateur et sur les règles relatives à l’action en cessation, mais aussi à
l’exercice de la liberté d’établissement en application du droit européen.
Le Code de droit économique abroge les lois de 2010 en le coulant dans plusieurs
livres du Code, le principal étant le livre VI.
112
C’est une matière pratique, jurisprudentielle, qui suit les nouveaux moyens de
commercialisation et de vente des produits et services. C’est donc normal qu’elle évolue sans
cesse.
1. Définitions et champ d’application de la L.P.M.P.C – livre VI du Code de droit
économique
A partir du moment où une loi tente de règlementer une relation spécifique, il est
nécessaire de baliser le champ d’application d’une telle législation. Il est important de définir
les concepts que l’on utilise, tant pour déterminer le champ d’application personnel que
matériel. Dès que l’on passe par des directives pour arriver à une harmonisation entre les pays
membres, il faut passer par des définitions qui vont s’imposer dans chaque état. Le droit
européen part du principe que plus on définit, moins on risque de divergences au sein des états
membres.
L’entreprise
La loi de 1971 s’adressait aux commerçants et artisans au sens du Code de commerce. En
1991, on va utiliser une définition générique différente de celle de 1971 (on utilisait la notion
de commerçant) : celle de vendeur. On a voulu de se dégager de la notion de commerçant afin
d’étendre au maximum le champ d’application des règles de protection du marché et du
consommateur. On va, par exemple, faire rentrer dans le champ d’application de la loi les
entreprises publiques, les a.s.b.l, … En 2010, on a décidé de reprendre la notion d’entreprise
qui vient du droit de la concurrence. L’article I.1 comprend une définition de l’entreprise au
littera 1 : c’est toute personne physique/morale poursuivant, de manière durable, un but
économique, y compris ses associations. On suppose ici que l’entreprise s’exerce dans le
cadre d’une certaine organisation. On peut avoir certaines difficultés quant à certaines
pratiques. La question est de savoir s’il faut leur appliquer la loi sur les pratiques du marché.
On se rend vite compte qu’un cas n’est pas l’autre. En pratique, il faut, en fonction de la
situation, déterminer si l’on se situe face à une entreprise ou pas. Le champ d’application
reconnu à la notion d’entreprise se veut le plus large possible (tous les anciens commerçants,
les a.s.b.l, Test-Achats, les sociétés de gestion de droit d’auteurs,…), le vrai critère étant
l’exercice de cette activité économique de manière organisée. Par « associations
113
d’entreprises », il faut entendre les associations professionnelles qui regroupent des
entreprises. A priori, les associations d’entreprise n’exercent pas elles-mêmes l’activité ; ce
sont leurs membres. On a voulu éviter toute discussion quant au fait que l’on pourrait avoir
des actions en cessation commerciale qui seraient introduites pour des violations de l’article
101 commises par des associations d’entreprise.
Notons que la forme juridique de l’entité n’a pas aucune importance. Toute entité, même
les indépendants, est susceptible de devenir une entreprise par le simple fait qu’elle réponde à
cette définition relative au but économique poursuivi par l’entité à travers l’offre de biens et
services sur un marché.
La loi de 2010 prévoyait d’exclure de la notion d’entreprise les professions libérales. On
avait prévu, à l’article 2, la définition de la profession libérale, tandis que l’article 3 excluait
les professions libérales. Cette exclusion a disparu car il y a eu des recours qui portaient sur
l’existence d’une discrimination entre certaines professions libérales qui rentraient dans le
champ d’exclusion mais qui n’étaient pas organisés autour d’un ordre. Des questions
préjudicielles ont été posées devant la Cour Constitutionnelle, ainsi qu’un recours en
annulation de la disposition. On s’est rendus compte qu’il y avait une discrimination entre
ceux qui étaient soumis à la loi de 2010 (logopèdes,...) et ceux qui n’entraient pas dans la
définition, et étaient exclus du champ d’application de la loi (dentistes, kiné,…). Il y avait une
différence de règlementation vis-à-vis de professions qui, objectivement, ne présentaient
aucune différence. La disposition a été considérée comme discriminante, outre le fait qu’elle
était contraire au droit européen qui n’a jamais fait de distinction entre les professions
libérales et les autres (C.Const., 6 avril 2011).
Le consommateur
La notion de consommateur dans le Code de droit économique est différente de celle qui
figurait dans la loi de 2010. En élaborant le livre VI, on a implémenté une directive spécifique
de 2011/83/UE sur les droits des consommateurs. Elle comprend une définition distincte du
consommateur. L’ancienne loi de 1991 parlait de toute personne physique/morale qui acquiert
ou utilise à des fins excluant tout caractère professionnel des produits mis sur le marché. A
partir de 2010, on ne parle plus que de personnes physiques. La raison de cette omission est
technique : les directives européennes prises en la matière ne visent que les personnes
physiques .Le Code de droit économique, en son article I.1. littera 2, reformule cette
définition : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son
114
activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Si on compare cette définition à
l’ancienne, on remarque que la finalité des actions n’est plus définie par rapport à cette
acquisition de produits mis sur le marché. Il semblerait que l’on appréhende la relation
économique dans sa globalité, de manière à pouvoir intervenir à n’importe quelle étape du
processus d’acquisition du bien. Il y a un élargissement dans l’appréhension de la relation
visée dans la définition. On définissait le consommateur en excluant la finalité
professionnelle. A partir du moment où l’on remplace les « finalités professionnelles » par les
« activités commerciales, industrielles, libérales et artisanales » et que toutes ces notions
peuvent avoir un sens bien précis, peut-on être certain d’avoir un champ d’application égal ou
aussi large que l’interprétation donnée de la finalité professionnelle ? Un autre problème se
situe dans les considérants de la directive, dans le cas des activités mixtes. Cette
problématique de l’affectation mixte avait déjà donné lieu à des batailles d’interprétation
juridique. A la lecture des considérants de la directive, on constate qu’elle défend une
interprétation permettant de considérer que le consommateur reste consommateur dès l’instant
où l’affectation professionnelle n’est que secondaire. Il y a deux manières d’appréhender
l’affectation. La nature-même du bien peut aider pour déterminer l’affectation de ce bien.
L’élément subjectif (intention véritable de l’acheteur) également peut éclairer sur l’affectation
du bien. La plupart du temps, on admet qu’il n’y a pas de critère qui s’impose de soi et qu’on
doit combiner les deux. Une partie de la doctrine et de la jurisprudence refuse toutefois ce
raisonnement et, en cas d’affectation mixte, dénie à l’acheter la qualité de consommateur sur
la base d’une interprétation stricte du texte (« excluant tout caractère professionnel »).
Les produits
La définition se trouve à l’article I.1. 4°. Il s’agit des biens et services, les biens
immeubles, les droits et obligations. Les biens (biens meubles corporels) et services (toute
prestation effectuée par une entreprise dans le cadre de son activité professionnelle ou en
exécution de son objet statutaire) sont eux-mêmes définis. Ces définitions ne posent pas de
problème, si ce n’est dans l’hypothèse de la vente à distance : le régime va varier, selon que
l’on est devant une vente de produits ou services.
2. Les pratiques du marché déloyales et les pratiques commerciales déloyales
A. Généralités
115
On a distingué, petit à petit, les actions qui pouvaient être introduites par des
consommateurs parce que l’acte contrevenait à leurs intérêts et celles introduites par les
entreprises pour les mêmes raisons.
La loi de 1991 interdisait tout acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale
(article 93 : « est interdit tout acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale par
lequel un vendeur porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’un ou
plusieurs autres vendeurs »). Dans la LPMPC, on ne vise plus les actes contraires aux usages
honnêtes mais aux pratiques honnêtes du marché.
A la suite d’une directive de 2005 (2005/29 du 11 mai 2005 relatives aux pratiques
commerciales déloyales vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur) et d’une loi
d’implémentation de 2007, on a eu un double régime : l’un relatif aux relations entre
entreprises entre elles, l’autre relatif aux relations entre entreprises et consommateurs.
Aujourd’hui, il n’existe plus que la règle relative aux entreprises (art.VI.104). Tout le régime
applicable aux consommateurs est réintroduit aux articles VI.92 à VI.103.
La grande nouveauté de la loi de 1991 fut l’introduction de la branche « consommateur ».
Jusque-là, l’action en cessation commerciale ne pouvait être introduite que par les entreprises.
Le législateur européen a constaté que les législations des états membres étaient fort
différentes d’un état à l’autre ; il y a vu la possibilité de distorsion sensible de concurrence, ce
qui faisait obstacle au bon fonctionnement du marché et justifiait donc son intervention. Le
problème principal résidait dans la participation des uns et des autres à des transactions
transfrontières. Cette directive avait donc pour but de rapprocher les législations des états
membres en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales, en ne visant que celles
pouvant porter atteinte aux intérêts des consommateurs. A partir du moment où le législateur
européen veut harmoniser de manière aussi totale, il ne peut plus se contenter d’un standard
ouvert : il invente donc un nombre de règles bien plus élevé et plus compliquées car on a
voulu diminuer au maximum la marge de manœuvre d’interprétation des juges nationaux.
En 2007, lorsque la directive devait être implémentée, le législateur belge eut à faire un
choix difficile : soit se lancer dans une réforme en profondeur de la loi de 1991, ce qui l’aurait
immanquablement mis en retard au regard du calendrier de mise en œuvre de la directive, soit
–et c’est l’option qui sera retenue, insérer le régime de la directive dans la règlementation
existante, opérant alors par modifications ponctuelles de la loi.
116
L’ancien double régime est repris tel quel dans le livre VI du Code de droit
économique. Il n’y a que les numéros d’articles qui changent :
- l’article 95 devient l’article VI.104
- les articles 83 à 94 deviennent les articles VI.92 à 109
S’il y a un acte illicite qui est commis, le président du tribunal ordonnera la cessation.
On peut aussi obtenir d’autres sanctions, en vertu du droit commun. Il existe aussi des
sanctions à caractère pénal.
B. La relation entre entreprises : l’interdiction des actes contraires aux pratiques honnêtes
du marché (anciennement « usages honnêtes en matière commerciale »)
Le régime est contenu à l’article VI.104 du Code de droit économique. Comme c’était
déjà le cas en 1934, on ne dit pas ce qu’est un acte qui serait contraire aux pratiques honnêtes
du marché. Depuis 1934, c’est la jurisprudence, aidée par la doctrine, qui est venue donner
corps à ce standard, au gré des cas de jurisprudences. On a essayé, d’un point de vue
doctrinal, de systématiser cette notion. Force est de reconnaitre que l’on n’est pas parvenu
aujourd’hui à une définition. Le problème est de savoir comment aborder l’idée de l’acte
contraire aux pratiques du marché. La première approche consiste à dire qu’il existe des
pratiques honnêtes du marché. Il reviendrait au président du tribunal de relever les bonnes
pratiques commerciales. Dans un second temps, il constate si l’acte est contraire aux pratiques
qu’il a relevées. Dans la pratique, il le fera parfois. Il peut, par exemple, aller puiser dans les
règles de bonne police pour déterminer quelles sont les pratiques au regard desquelles il
convient d’analyser l’acte soumis à sa sagacité. C’est toutefois assez rare. On n’est pas arrivé
à définir positivement ce que sont les pratiques honnêtes du marché. Cela ne veut pas dire que
l’on n’a pas essayé ni réfléchi ; on a juste réfléchi par élimination. Par exemple, très vite, s’est
dégagée une règle qui ne faisait pas l’objet d’un usage ni d’une application majoritaire : si on
fait de la publicité par le biais de l’envoi à des adresses e-mails, on doit permettre aux
destinataires de ces e-mails de s’y opposer. Il s’agit parfois de règles d’ordre moral, plus
éthiques. Là encore, c’est juste une possibilité.
L’idée d’honnêteté n’implique pas forcément l’intention ni la perception du caractère
illicite. On a, en pratique et à la suite d’une longue évolution, essayé de systématiser les cas
d’actes contraires. Il y en a deux qui reviennent chaque fois. Le premier cas est celui de l’acte
devenu contraire dès l’instant où il viole une loi/règlementation obligatoire qui s’impose à
117
l’entreprise dans le cadre de son activité économique. Le contentieux de l’acte illicite ne peut
néanmoins devenir un contentieux de légalité. La différence entre les deux contentieux est très
ambigüe. Il y a eu certaines actions où l’on n’était plus dans le cadre d’une violation de la loi
qui s’impose, mais dans un contentieux quasi-administratif.
Ex. : Belgacom a dû obtenir une autorisation du C.S.A. Il y avait, au centre de l’activité de
Belgacom, le football. Il y a eu toute une série de procès intentés à l’encontre de Belgacom
pour empêcher son entrée sur le marché télé. Une de ces actions avait pour objet de
reprocher à Belgacom d’avoir obtenu une licence que BE Tv considérait comme illicite ou
non-valide au regard des critères d’autorisation qui s’imposaient au C.S.A. L’autorisation
avait été donnée, mais BE Tv s’attaquait à la validité- même de cette autorisation. Si on
introduit l’action en cassation de cette manière, il est possible d’obtenir une décision très
rapidement. Devant le Conseil d’Etat, la procédure est beaucoup plus longue. La
jurisprudence majoritaire refuse d’intervenir dans ce genre d’affaires au prétexte que l’on
n’est plus dans un contentieux subjectif, mais dans un contentieux de légalité.
Le deuxième type de comportement considéré comme contraire aux pratiques du marché
vise la situation où il n’y a pas de règle générale et abstraite qui s’applique dans le cas soumis
au président du tribunal. On vise l’acte qui heurte une règle de référence constatée par le juge
et s’imposant aux entreprises dans le contexte où il a été posé. Le juge va alors essayer
d’imaginer ce que devait être le comportement « normal » de l’entreprise confrontée aux
circonstances de fait qui étaient les siennes lors du moment où elle a posé la pratique
litigieuse. Cela s’apparente à la notion de « bon père de famille diligent ». Le travail du juge
consiste à examiner la pratique en cours. Cette manière de faire est évidemment à relier avec
l’historique et le fait que, au départ, le contentieux normal permettant de sanctionner des actes
contraires aux pratiques du marché, c’est le contentieux de responsabilité.
Il faut qu’il y ait aussi une atteinte aux intérêts professionnels de l’autre entreprise. C’est
ce qui permet de limiter le cadre des actions en cessation. C’est ici l’idée que cela
contrevienne aux intérêts économiques d’autrui. Il faut prouver que l’acte est potentiellement
dommageable. Cet acte doit porter atteinte aux intérêts des autres professionnels.
Les types d’actes aux pratiques honnêtes du marché sont aussi divers que multiples. A
titre d’exemple, on peut distinguer les actes portant atteinte :
- au fabricant ou au vendeur (ex. : dénigrement, atteinte au nom)
- à l’entreprise (ex. : débauchage du personnel)
118
- aux biens/services (ex. : atteintes par l’emballage, forme et couleurs des biens créant une
confusion)
- à la clientèle (ex. : débauchage d’anciens préposés ou associés d’un concurrent)
- par et à la publicité (ex. : publicité créant un avantage concurrentiel injustifié, reproduction
d’images sans le consentement d’autrui)
- aux prix (ex. : vente au rabais agressive en vue de l’élimination d’un concurrent)
C. Les relations entre entreprises et consommateurs : les pratiques commerciales
déloyales
On retrouve à l’article VI.95 le principe de l’interdiction qui existe à l’égard des pratiques
commerciales déloyales. Le réflexe à avoir consiste à chercher s’il y a une définition des
notions en cause. En l’occurrence, c’est souvent le cas car le droit européen veut éviter une
trop grande marge de manœuvre des juges nationaux. On se trouve ici dans les définitions
particulières du livre VI, qui sont insérées dans le livre I (article I.8). La plupart de ces
définitions sont utiles pour comprendre ce régime d’interdiction des pratiques commerciales
déloyales.
Par « pratique commerciale » (art.I.8.23°), on entend « toute action, omission, conduite,
démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part
d’une entreprise, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un
produit ». Ces pratiques commerciales visent à peu près toutes les pratiques que l’on peut
imaginer dans le cadre de la vente/promotion d’un bien/service. Dans la notion de pratique
commerciale, on intègre celle de publicité. En droit belge, on a toujours distingué les
dispositions relatives à la publicité et celles relatives aux pratiques commerciales déloyales.
Or, ici, on nous dit que la publicité est une pratique commerciale au sens de ce régime. Cela
signifie qu’il faut admettre que, dans ce chapitre, alors même que d’autres dispositions visent
spécifiquement la publicité, les pratiques commerciales englobent la publicité. Il y a des actes
posés par une entreprise qui ne sont pas en relation directe avec la vente/promotion d’un
produit. Ils sortent alors du champ d’application.
Ex. : lorsqu’une entreprise publie ses comptes annuels à destination des investisseurs.
Ces dispositions prévoient un système de protection en 3 étapes. On a gardé une
interdiction de standard de comportement, fortement limité et défini (1° art.VI.93). Ensuite, il
119
y a un régime intermédiaire qui interdit les pratiques commerciales trompeuses et agressives
(2° art.VI.97 et svts). Enfin, il y a des « listes noires », listes de comportements qui sont en
réalité des pratiques commerciales agressives et trompeuses qui seront toujours interdites :
aucune marge d’interprétation n’est laissée au juge (3° :art.VI.100 et svts).
1° : L’acte doit être considéré comme contraire aux exigences de la diligence
professionnelle (condition objective) et altérer/être susceptible d’altérer de manière
substantielle le comportement économique du consommateur moyen qu’elle touche ou
auquel elle s’adresse, ou si elle s’adresse à un groupe de consommateurs déterminé, le
comportement économique du membre moyen de ce groupe, par rapport au produit
concerné (conception subjective).
Ces conditions sont cumulatives. Pour bien comprendre cette disposition, il faut s’en
référer aux définitions.
Ce régime est relativement compliqué. Il faut remarquer que l’on ne parle plus d’atteintes
aux intérêts du consommateur. Cette condition n’existe plus dans la nouvelle disposition.
En réalité, on se réfère à la décision du consommateur de moyen et de l’effet de la
pratique sur sa décision. Devant le juge, il ne s’agira pas de se mettre à sa propre place
pour prouver l’effet négatif de la pratique. Il faut se référer à l’effet qu’aura pu avoir la
pratique sur le consommateur moyen, on ne devra donc jamais tenter de prouver un effet
concret dans le chef de la partie plaignante.
2° : On aborde une approche qui se fait par des définitions et des interdictions, à nouveau.
Les règles se veulent moins vagues que le régime de protection primaire exposé au 1°.
Les pratiques trompeuses sont les pratiques qui contiennent de fausses informations (ex. :
typique : on ment sur les qualités de nos produits/services). Les pratiques agressives
visent les pratiques de contrainte, de harcèlement, en ce compris le recours physique pour
tenter de vendre un produit.
3° : Il s’agit de longues listes de comportements qui sont d’évidence déloyaux. Il suffit de
les constater pour en obtenir la cessation ; plus question de passer par les pratiques
standard ou les définitions.
Ex. : donner au consommateur l’impression qu’il ne pourra quitter les lieux avant qu’un
contrat n’ait été conclu.
Pratiquement, on appréhendera donc la pratique de l’entreprise au travers de trois tests
successifs :
120
1) La pratique est-elle reprise dans une liste visée par le texte, Si oui, elle est interdite en
soi.
2) La pratique répond-elle aux conditions propres énoncées relativement énoncées aux
pratiques « trompeuses » ou « agressives » ? Dans l’affirmative, elle est également
interdite en soi.
3) Si la pratique a passé avec succès les deux premiers tests, on la confrontera à la norme
générale standard.
D. Questions particulières
Commentaire de l’article « Pour une théorie de l’acte de concurrence illicite affranchie
des articles 1382 et 1383 du Code civil » , Thierry Leonard
L’article se divise en deux parties : l’un pour démontrer la portée des articles 1382/1383,
l’autre pour démontrer que cela ne colle pas avec les conditions mises en avant dans la
jurisprudence.
Le premier point aborde tout l’historique de l’action en cessation. En 1934, lors de
l’introduction de l’action en cessation, on constate que la volonté du législateur était de
créer une action qui n’est pas l’action en responsabilité. Les auteurs de l’époque mettaient
notamment en avant les différences au niveau des sanctions. On perçoit véritablement les
deux actions comme différentes. A partir du moment où on se pose la question de
l’application de l’action en cessation dans le cadre des actions en contrefaçon, on en vient
à considérer que l’action en cessation ne serait finalement qu’une application des articles
1382/1383 et d’une sanction de responsabilité extracontractuelle. A l’époque, il y avait
déjà certaines législations sur la propriété intellectuelle qui prévoyaient une procédure de
cessation. Par principe, la Cour de cassation, par un arrêt du 16 mars 1939, a refusé que
l’on utilise l’action en cessation pour contourner les conditions de défense des droits de
propriété intellectuelle et aboutir, le cas échéant, au même résultat. Pour exclure cette voie
de droit, on s’est basé sur une opinion, à l’époque partagée par tout le monde, selon
laquelle l’action en contrefaçon n’est pas une action en responsabilité contractuelle. On
exclut la voie de l’action en cessation commerciale en disant que l’on sort du champ de la
responsabilité extracontractuelle s’il s’agit d’une contrefaçon. On a voulu exclure de la
notion d’acte de concurrence illicite tous les actes trouvant uniquement leur source dans
une faute contractuelle. Or, l’action en cessation commerciale n’est ouverte que pour des
121
pratiques qui relèvent de la responsabilité extracontractuelle. Dans un arrêt de 1943, la
Cour de cassation se retrouve « coincée ». A l’époque, la doctrine et la jurisprudence
admettent l’action en cessation dans le cadre de la violation du contrat. Quand la Cour de
cassation doit trancher le problème, elle se retrouve coincée par son arrêt de 1939. Si elle
admet l’ouverture de l’action en cessation commerciale pour la violation d’un contrat, cela
revient à dire que cette action n’est pas limitée au cadre de la responsabilité
extracontractuelle. Elle devrait donc ainsi admettre l’application de la cessation aux
actions en contrefaçon.
Par son arrêt du 25 novembre 1943, la Cour de cassation considéra que l’acte de
concurrence déloyale se limitait au domaine de l’article 1382 du Code civil. Cet arrêt reste
et devient une règle que l’on ne remet plus en question. Depuis cet arrêt de 1943, on
considère que l’action en cessation commerciale est une application de 1382/1383 en
matière commerciale.
Les conséquences de la qualification de la nature de l’action comme étant
extracontractuelle sont de deux ordres. La première conséquence serait de devoir imposer
les mêmes conditions de la responsabilité à la cessation. La seconde conséquence est que
l’on ferme la voie à l’action en cessation dans le champ contractuel. La fermeture de la
voie de l’action en cessation commerciale est, en pratique, extrêmement ennuyante.
Les conditions de la responsabilité civile ont été interprétées en fonction de la finalité des
articles 1382/1383. En droit belge, il y a l’idée que la responsabilité, en droit commun, est
subjective. Derrière cette condition de subjectivité se cache un idéal de justice : il serait
injuste d’imposer à quelqu’un de réparer les conséquences d’un acte posé si l’on se rend
compte qu’il ne pouvait pas savoir que l’acte est illicite. Cette facette subjective de la
faute n’a de raison d‘être qu’au regard de l’idée de réparation. La question est de savoir si
on la retrouve en matière de cessation commerciale et s’il faut imposer cette condition
pour obtenir la cessation de l’acte objectivement illicite. La sanction de cessation vise le
rétablissement de la légalité. Dans cette logique, la question de l’imputabilité ne peut pas
se poser, sous peine de remettre en cause l’efficacité de la sanction. Ni la doctrine ni la
jurisprudence ne reprennent cette condition.
Une autre différence entre les deux actions réside au niveau de la condition de dommage.
Dans le cas de l’action en cessation, la condition est l’atteinte aux intérêts du
consommateur moyen/de l’entreprise. Cela n’empêche que celui qui introduit l’action
devra faire la preuve d’un intérêt personnel à l’action (intérêt né et actuel). Ce n’est
122
toutefois qu’une condition de procédure. Pour obtenir la cessation, il faut simplement
démontrer que la pratique porte potentiellement atteinte soit aux intérêts professionnels
d’une entreprise, soit aux intérêts du consommateur moyen. Pour prouver qu’il y a eu un
dommage, il faut prouver qu’il y a eu une perte. Le dommage est défini comme la perte
d’un avantage ou d’un bénéfice qui ne peut être illégitime ou illicite. Il suffit de comparer
deux situations, l’une avant et l’autre après le préjudice. La violation d’intérêts n’est pas,
en soi, un dommage. Dès lors que le dommage ne peut être qu’éventuel, il est plus correct
et moins ambigu de constater que la cessation n’implique pas la preuve d’un dommage.
L’acte de concurrence illicite ne vise pas toute illicéité mais celles qui provoquent/sont
susceptibles de provoquer une atteinte aux intérêts du consommateur.
S’il n’y a pas faute, ni dommage, quid du lien causal ? Si le dommage n’est pas une
condition de l’action en cessation, un lien causal entre le dommage et l’acte déloyal n’est
pas plus requis, à défaut d’objet.
Le débat quant à l’existence d’un fait justificatif ou d’une cause étrangère exonératoire n’a
aucun sens devant le juge des cessations. Si l’acte s’explique par un cas de force majeure
ou un cas fortuit ou que la faute d’un tiers exclut la faute de celui qui a posé l’acte
contesté, ce dernier n’en est pas moins illicite.
Dès lors que l’on écarte les articles 1382/1383 aux fondements de l’action en cessation
commerciale, quels seraient alors ces fondements ? C’est l’idée de liberté. La
problématique de l’action est celle du conflit entre deux libertés. L’exerce de la liberté de
l’un porte atteinte à l’exercice de la liberté de l’autre. Le fondement de cette matière est
l’exercice de ces libertés privées économiques qui s’entrechoquent dans le cadre de la
tentative de départ des entreprises de capter une clientèle : là réside l’essence de l’activité
économique. La seule manière de réguler ces libertés est de traquer l’illicéité dans
l’exercice de celles-ci.
Il y a, dans l’article, quatre sources potentielles à l’illicéité qui pourraient être considérées
comme quatre catégories de pratiques malhonnêtes ou déloyales.
1° le conflit pur de libertés : attribuées égalitairement à tous, douées d’un effet
d’opposabilité propre inférant un devoir de prise en compte de la liberté d’autrui, les
libertés civiles s’opposent entre elles, ne peuvent donner lieu, à priori, à la constatation de
la prédominance de l’une sur l’autre. Egales dans leur reconnaissance, elles doivent
s’équilibrer entre les règles de droit régissant, d’une part, cet exercice, et, d’autre part, leur
attribution. L’illicéité prend ici la forme du non-respect du devoir général de prise en
compte des libertés économiques/civiles d’autrui rompant l’attribution égalitaire de celles-
123
ci.
2° la violation de la loi : ce que sanctionne le tribunal de commerce, c’est la violation du
caractère obligatoire de cette loi. Il faut que la loi indique quel est le comportement
qu’elle attend de nous. Celui qui exerce sa liberté doit, comme tout un chacun, respecter
les devoirs qui naissent d’une disposition légale ou règlementaire qui lui impose ou
interdit un comportement déterminé.
3° la violation des droits subjectifs d’autrui : les libertés civiles et économiques, opposées
à des pouvoirs qualifiés de droits subjectifs, y trouvent autant de limites strictes,
indépendamment de la recherche d’une faute au sens de la responsabilité civile
extracontractuelle. Les libertés civiles s’arrêtent aux droits subjectifs d’autrui. Pas plus
que pour les deux autres types d’actes de concurrence illicite, le fondement de l’illicéité de
l’acte d’atteinte au droit subjectif ne se trouve dans l’action en responsabilité
extracontractuelle. C’est l’effet d’opposabilité qui fonde cette illicéité.
4° la violation des obligations contractuelles librement consenties : le non-respect des
obligations contractuelles consenties en faveur de son cocontractant dans l’exercice de ses
libertés économiques constitue un type d’acte de concurrence illicite potentiel pour autant
qu’il s’agisse d’une atteinte à un droit de créance exercé en vue de la jouissance des
intérêts professionnels du créancier ou qu’il s’agisse d’un droit reconnu au consommateur
dans sa relation avec l’entreprise. Le non-respect des obligations contractuelles constitue
un acte illicite puisqu’il y a violation d’une obligation juridique qui s’impose au débiteur
par la force obligatoire du contrat.
L’illicéité, selon cette approche, se situe en amont de toute problématique de
responsabilité, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle. Elle nait d’une application
des règles de conflits de pouvoirs et intérêts qui s’opposent dans le cadre de l’exercice des
libertés économiques des entreprises. Il n’y a donc aucune raison d’exclure du champ de
l’action en cessation un acte d’origine purement contractuelle. La nature contractuelle ou
extracontractuelle de l’acte est sans influence sur la sanction de la cessation d’un acte de
concurrence illicite, elle n’influencera que les juges du fond saisis par des actions ne
responsabilité contractuelle/extracontractuelle.
On peut déduire de ce qui précède qu’il reviendrait aux seuls juges du fonds saisis d’une
éventuelle action en responsabilité de résoudre une éventuelle difficulté relative à la
124
théorie du concours de ces responsabilités. Le fondement de la théorie du concours se
situe essentiellement dans la crainte de voir la victime d’une violation fautive d’une
obligation contractuelle échapper à certaines des obligations auxquelles elle s’était
volontairement soumise quant aux modalités de réparation, soit en acceptant des clauses
de limitation/exonération de responsabilité, soit des clauses limitant le dommage
réparable. Or, la cessation de l’acte de concurrence illicite laisse sauve l’application de
telles clauses. Le juge de cessations ne se prononce pas sur la responsabilité de l’auteur de
l’acte. Son intervention se situe donc en amont de toute question de responsabilité et, par
conséquent, de celle du concours également.
!!! Le 29 avril, une loi du 28 mars 2014 a été publiée au Moniteur Belge. Elle a fait passer
certaines dispositions du Code de droit économique. Le même jour de publication, deux
arrêtés royaux sont passés (28 mars 2014-4 avril 2014). Celui du 28 mars 2014 prévoit
que le livre VI du Code de droit économique entre en vigueur le 31 mai 2014. Les
dispositions relatives à la procédure de l’action en cessation (livre XVII) entreraient en
vigueur aussi le 31 mai 2014. Celui du 4 avril 2014 prévoit que le livre XII (qui remplace
la loi de 2003 sur le commerce électronique) entrera en vigueur le 31 mai 2014. La loi du
28 mars 2014 sur l’action en responsabilité colective va, quant à elle, entrer en vigueur le
1er septembre 2014. D’autres dispositions issues du livre XVII, concernant cette action en
responsabilité collective, vont également entrer en vigueur le 4 septembre 2014.
E. Aspects procéduraux de l’action en cessation commerciale
Avant, il y avait certaines dispositions dans la loi procédurale et la loi « de fond ». Depuis
l’arrêt de 1939, on excluait la compétence du juge des cessations pour les actions relatives aux
droits de propriété intellectuelle. On a instauré cette exclusion de compétence dans la loi sur
les pratiques du commerce, ce qui a été vivement critiqué : on s’est rendu compte que cela
créait des situations discriminantes. Plusieurs actions ont été introduites, notamment devant la
Cour Constitutionnelle. On était arrivé à la conclusion que cette disposition avait une validité
plus que douteuse. On a introduit, dans la loi de 2010, une nouvelle disposition qui donne au
125
président du tribunal de commerce une compétence de connaitre d’un acte de contrefaçon. En
règle, dorénavant, le président du tribunal de commerce est compétent tant pour l’atteinte à la
propriété intellectuelle que pour l’action en cessation commerciale. Toutefois, il n’a pas la
compétence d’ordonner la réparation.
L’article XVII.5 prévoit une prescription particulière
.
L’article XVII.6 décrit la procédure. Il prévoit que les voies de recours ne suspendent pas
l’exécution du jugement (« jugement exécutoire par provision, nonobstant tout recours et sans
caution »).
L’article XVII.7 du Code prévoit la liste des personnes qui peuvent intenter l’action
(« tout intéressé », « les ministres compétents », certains groupements professionnels,…).
L’article XVII.10 prévoit la règle particulière en matière de publicité : on introduit
toujours, à priori, l’action devant l’annonceur. Par cette règle, on introduit une espèce de
responsabilité en cascade dans le cas où l’annonceur n’est pas domicilié en Belgique.
Ex. : publicité pour Quick qui passe sur Pure FM, on introduit l’action contre Quick.
L’article XV.71 prévoit que l’action ne subit pas les conséquences du principe selon
lequel le pénal tient le civil en état.
3. Le régime de la publicité
A. Introduction
Le régime de la publicité ne fait l’objet d’aucune disposition précise. Autour des pratiques
publicitaires qui se développent entre 1934-1937 et 1971, se développe toute une
jurisprudence. En 1971, d’une certaine manière, on a codifié les règles admises
communément au regard du travail de la jurisprudence autour du standard de l’interdiction des
usages contraires en matière commerciale. Par la suite, cette règlementation (qui n’est que
partielle) va évoluer, principalement du fait de la législation européenne et de diverses
directives qui vont être prises.
126
Aujourd’hui, on a plus, comme auparavant, une section bien définie sur la publicité.
L’article VI.17 concerne la publicité comparative et reprend l’ancien article 19 de la loi de
2010. Les articles 93 et svts, relatifs aux pratiques commerciales déloyales à l’égard des
consommateurs, vise notamment la publicité. La publicité tombe alors sous le champ du triple
régime énoncé plus haut (pratiques trompeuses-agressives-liste noire). Des dispositions
spécifiques relatives à la publicité entre entreprises sont contenues aux articles VI.105 à
VI.109. On suit, finalement, la logique des règlementations européennes qui consiste en un
découpage de la matière.
Il faut premièrement passer par une compréhension des concepts. Il faut se référer à
l’article I.8.13°. Il stipule que la publicité est toute communication ayant comme but
direct/indirect de promouvoir la vente de produits, quels que soient le lieu ou les moyens de
communications mis en œuvre. Il y a deux éléments prépondérants dans la notion de publicité.
pour qualifier une pratique de publicitaire, il faut la réunion d’un élément objectif (la
communication) et un élément subjectif (il faut que, par cette communication, on ait
l’intention de promouvoir directement/indirectement la vente de produits), étant entendu
qu’aujourd’hui le contexte dans lequel intervient cette communication transcendée par
l’intention de vendre le produit importe peu puisque la définition elle-même se veut neutre au
regard des techniques et médias que l’on peut utiliser. La communication, c’est tout acte qui
assume la transmission d’une information, quel que soit le moyen, le lieu,… En pratique, la
publicité se débusque dans toute situation de communication.
Il faut prouver l’intention de vendre. Celle-ci est parfois discutable, selon les cas. Il faut
partir du principe que l’on a, en cette matière, l’habitude de faire une interprétation assez
extensive de la notion de publicité. Le fait que ce soit de la publicité implique des charges, des
modalités de prestations, qui peuvent être considérées comme handicapantes, non-
commerciales par les prestataires.
La notion de publicité est devenue complètement indépendante de commercialité, de but
de lucre, etc. L’important, c’est qu’il y ait la réunion de ces deux éléments subjectif et
objectif.
La promotion du produit ne doit pas forcément viser une diffusion « auprès du public »
(marketing direct=processus et techniques mis en œuvre par les entreprises pour tenter de
cibler, de la manière la plus précise possible, le client potentiel à l’achat au regard du produit
en question). Peu importe le spectre des destinataires visés. Peu importe aussi que le public
127
soit professionnel ou consommateur. Peu importe la qualité et la place du destinataire dans le
processus de production et de vente. La promotion indirecte suffit : il faut parfois se méfier
car la communication n’a pas nécessairement comme but de promouvoir le produit mais peut
avoir un effet indirect de promotion.
Ex. : la mention de l’existence d’un brevet sur l’emballage d’un produit ; derrière l’idée de
brevet, les destinataires professionnels comprendront que le producteur est le seul à fabriquer
le produit, ce qui a une incidence au niveau de l’achat.
Par publicité comparative, on entend toute publicité qui explicitement/implicitement
identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent (article VI.8.14°).
A la lecture des définitions, on constate que la publicité, au sens du livre VI, ne peut
émaner que d’une entreprise ; à priori, un consommateur qui communique sur une vente qu’il
ferait, à titre privé, n’est pas soumis au régime de la publicité. La publicité comparative ne
parle pas, à priori, d’entreprises. A partir du moment où elle se définit à l’égard des
concurrents, on peut supposer que l’on vise les entreprises.
B. Le régime des publicités comparatives (art.19 et 96, 2°, de la L.P.M.P.C)
La publicité comparative a toujours suscité des débats. Il est vrai que, selon le point de
vue duquel on se place, on peut défendre des opinions contraires quant à l’effet positif, ou
non, de la publicité comparative. Les entreprises et la législation européenne considèrent
qu’elle est positive pour le consommateur dès l’instant où il a la possibilité de comparer et
d’ainsi faire un choix plus éclairé dans sa décision d’acheter, ou non. Il est peut-être toutefois
illusoire de penser que le consommateur est dans une situation dans laquelle il peut vérifier ce
qui est dit dans la publicité comparative. Selon d’autres points de vue, ce serait donc mauvais
pour le consommateur qui se fait « balader » au gré des envies des annonceurs. En Belgique,
jusqu’en 1997, on avait interdit la publicité comparative, sauf exceptions. On a été obligé de
revoir sa copie suite à une directive de 1997 : il a fallu insérer un régime totalement inverse.
La notion de publicité comparative n’est pas des plus évidentes. C’est la condition
d’identification des concurrents qui pose problème. Il y a plusieurs cas de figure imaginables.
La situation la plus simple est la comparaison explicite (ex. : X dit qu’il est moins cher que Y).
Il n’y a rien d’illicite là-dedans, cela relève de la notion même de publicité comparative. Le
problème se pose dès lors que l’identification du produit concurrent/des entreprises
concurrentes se fait de manière implicite.
128
Ex. : en 1983, Coca-Cola s’opposait à une publicité de Pepsi qui se fondait sur des résultats
de tests de dégustation (la majorité choisissait Pepsi). A l’époque, cette action était gagnée à
coup sûr car c’était le principe inverse de celui d’aujourd’hui. Le juge avait admis qu’il
s’agissait bien d’une publicité comparative car Coca-Cola avait 80% de parts du marché.
Lorsqu’on essaye d’identifier une publicité comparative, il ne faut jamais se mettre dans la
peau d’un concurrent, qui se sentira toujours menacé. Il faut se mettre dans la tête du
destinataire (consommateur/entreprise), ce qui a été confirmé par la Cour de cassation, dans
un arrêt du 29 avril 2004, ce qui ne nécessite pas cependant une identification directe de la
concurrence sans examen plus précis de la part du destinataire.
Une notion qui pose aussi problème est celle de concurrent. La condition de concurrence
n’est pas une condition d’intentement de l’action en matière de pratiques commerciales
déloyales. En matière de publicité comparative, néanmoins, on réintroduit la condition de
concurrence. Le concept de concurrent paraît imposer que la publicité fasse naitre, dans le
chef de son destinataire, l’impression qu’il existe un lien de concurrence entre l’annonceur et
l’entreprise cible de comparaison. Ce lien est généralement retenu lorsque, du point de vue du
destinataire de la publicité, les biens/services offerts par l’annonceur et celui visé par la
comparaison sont substituables.
CJCE, 19 avril 2007, C-381/05
En l’espèce, il s’agit d’une société belge (De Landtsheer S.A.) qui produit et commercialise
des bières sous la marque « Maheur ».En 2001, elle lance, sous la dénomination « Malheur
Brut Réserve » une bière dont le processus est inspiré de la méthode de production des vins
mousseux et utilise l’expression « champagne bier ». En mai 2002, le comité de défense des
vins de Champagne et Veuve Clicquot citent De Landtsheer devant le Tcomm de Nivelles,
aux fins d’interdire l’usage de la mention « champagne bier ». Par jugement du 26 juillet
2002, la société belge se fait condamner par le président du Tcomm de Nivelles, qui ne
donne que partiellement raison aux griefs des représentants de champagne. La société belge
fait appel et la Cour d’appel saisit la CJCE par le biais de questions préjudicielles (la
référence à un type de produit, de manière générale, suffit-elle à démontrer l’existence de
publicité comparative ?)
La Cour répond que le simple fait qu’il n’y ait qu’une référence globale à un type de produit
n’exclue pas l’application de la qualification de publicité comparative et du régime qui
l’accompagne, pour autant que le concurrent puisse y être identifié comme étant
129
concrètement visé par la publicité. Peu importe que, via l’identification de produits, un grand
nombre d’entreprises puisse être identifiés. Quant à la condition de concurrence, la Cour dit
qu’il convient de mettre en place certains critères et d’envisager l’état actuel du marché ainsi
que les possibilités d’évolution dans le contexte de libre circulation des marchandises. Il faut
prendre en considération les possibilités d’offre sur l’ensemble du territoire et le fait que les
consommateurs ne vont pas forcément réagir tous de la même façon. Il faut prendre en
considération les caractéristiques concrètes du produit, qui induisent des habitudes de
consommation différentes.
En ce qui concerne le régime mis en place, il faut avoir égard à l’article VI.17 (ancien
article 19 de la LPMPC). On y trouve trois conditions :
- §1, 2° : la publicité comparative illicite doit comparer des biens/services répondant aux
mêmes besoins ou ayant le même objectif
- §1, 3° : la publicité doit comparer objectiver une/plusieurs caractéristiques essentielles,
pertinentes, vérifiables et représentatives des biens/services, dont le prix peut faire partie.
L’annonceur doit, malgré lui, faire preuve d’une certaine neutralité dans la manière dont il va
présenter la comparaison entre son propre produit/service et les produits/services des
concurrents. Le prix est un élément objectivable, il peut donc faire l’objet d’une comparaison.
- §1,6° : pour les biens ayant une appellation d’origine, la comparaison doit se rapporter dans
chaque cas à des biens ayant la même appellation. C’est à nouveau l’idée de caractère
substituable entre les produits.
Il y a également cinq interdictions « classiques » en termes de publicité (article VI.17,
§1). La publicité comparative ne peut :
- être trompeuse
- engendrer une confusion sur le marché entre l’annonceur et un concurrent ou entre les
marques, noms commerciaux ou autres signes distinctifs, biens ou services de l’annonceur et
d’un concurrent
- entrainer le discrédit ou le dénigrement des marques, des noms commerciaux ou autres
signes distinctifs, biens, services, activités ou situations d’un concurrent
- tirer indument profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à
d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou de l’appellation d’origine de biens concurrents
- présenter un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d’un bien ou d’un
service portant une marque ou un nom commercial protégés.
130
17 septembre 2012
Il s’agissait d’une publicité dans le domaine de de l’électroménager de cuisine (friteuses
permettant une cuisson de frites avec quantité réduite d’huile). Dans le cadre de la campagne
publicitaire (internet, brochures, autocollants,…) consacrée par Philips pour sa friteuse « Air
Fryer » est né un litige entre les parties. Devant la présidente du Tcomm, la question se posait
de savoir si toutes ces mentions étaient correctes au regard du régime de publicité
comparative. Il y a eu plusieurs débats. La motivation de la présidente était assez poussée :
elle explique qu’il faut se mettre à la place du consommateur moyen face à la mention et la
publicité en question. Au niveau de la publicité comparative, son raisonnement est le
suivant : l’article VI.17 impose uniquement que la publicité compare objectivement une
caractéristique vérifiable et l’exigence d’objectivité n’empêche pas une comparaison
d’éléments subjectifs.Il revenait à Seb de démontrer que les études n’étaient pas fiables s’il
voulait s’attaquer au caractère objectif de la publicité.
C. Les publicités interdites entre entreprises
Il existe différentes types de publicités qui sont interdites. Le premier est la publicité
trompeuse (« est interdite toute publicité d'une entreprise qui, tous les éléments pris en
compte, d'une manière quelconque, y compris sa présentation ou l'omission d'informations,
induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur la personne à laquelle elle s'adresse ou
qu'elle touche »). On vise les publicités trompeuses tant par action (dire quelque chose de
faux) que par omission (ne pas dire quelque chose d’essentiel). On parle ici du destinataire de
la publicité, on ne fait plus référence au consommateur moyen. On interdit la tromperie sur les
caractéristiques des biens et services (leur disponibilité, leur nature, leur composition, leur
mode de fabrication,…), sur le prix ou le mode d’établissement ainsi que les conditions de
fournitures du bien/ de prestations du service, sur la nature, les qualités, les qualifications et
les droits dont fait état l’entreprise elle-même (il faut que la présentation erronée soit
susceptible d’affecter le comportement économique, ou porte préjudice/soit susceptible de
porter préjudice à une entreprise : on réintroduit la condition spécifique de préjudice de l’effet
de la tromperie). L’idée de tromperie se retrouve tant à l’égard des publicités « normales »
que comparatives.
131
Un deuxième type de publicité interdite est la publicité dénigrante (article VI.105.2°). La
portée de cette interdiction n’est pas toujours aisée à comprendre. On est dans le cas d’une
publicité dénigrante dès l’instant où l’on peut percevoir, dans une communication, un élément
ou une allégation qui est de nature à porter atteinte au crédit ou à la réputation d’un opérateur
économique, de ses produits/services ou de son activité. Il n’est jamais évident de savoir
jusqu’où l’on peut aller (ex. : jusqu’où peut-on aller sous couvert de l’humour ?). Force est de
constater la sévérité avec laquelle les juges vont apprécier ces comportements. Il y a toutefois
des situations où le caractère dénigrant de la publicité est évident (ex. : envoyer une lettre aux
clients en stipulant que l’on a gagné haut la main un procès contre un concurrent).
A l’article VI.105.3°, on interdit toute publicité qui permet, sans motif légitime,
d’identifier une ou plusieurs entreprises. Cette disposition pose problème. Elle est ancienne et
faisait partie de l’arsenal juridique qui interdisait, par principe, les publicités comparatives.
Comment l’interpréter dès lors que l’on a vu que les publicités comparatives sont licites,
moyennant le respect de certaines conditions. Certains estiment que l’on ajoute une condition,
à savoir un intérêt légitime qu’il faudrait mettre en avant pour comparer. Pour rappel, la
publicité comparative n’a de sens qu’entre concurrents. Certains ont donc estimé que cette
disposition-ci ne vaut qu’entre entreprises non-concurrentes. Tout le problème réside dans
l’interprétation de « l’intérêt légitime ». On pourrait interpréter de manière limitative l’article
VI.105 pour donner son sens à l’article VI.17. Une certaine jurisprudence ainsi que le droit
européen tendent à interpréter cette notion au bénéfice des publicités comparatives.
Un autre type de comportement interdit est celui qui permet que la violation de ces
dispositions soit commise.
Cf. articles VI.106 et suivants pour les autres pratiques interdites.
D. Les publicités interdites envers les consommateurs
Cf. le système exposé plus haut (normes standards-publicités agressives/trompeuses-listes
noires).
Exemples :
- une publicité de Gaia pour le foie gras avait fait l’objet d’une plainte devant le jury
d’éthique publicitaire. Le plaignant souffrait de la maladie visée dans la publicité (stéatose
132
non-alcoolique). Il se disait choqué par les termes de Gaia concernant le foie gras, mais
surtout parce que Gaia parle de foie malade pour pousser à l’achat de son produit et au rejet
des produits qui vendent du foie gras. Le plaignant est scientifique et ne peut accepter cette
manière de faire. On a donné raison au plaignant. En appel, les dispositions invoquées
étaient celles sur les pratiques commerciales déloyales trompeuses. Il y avait deux débats,
l’un sur le fait de savoir s’il n’y avait pas atteinte à la législation sur la protection des
animaux (rejeté), l’autre sur la mise en avant du fait que les animaux, dont le foie est vendu
dans l’alimentation, sont, en règle générale, soumis à expertise avant la mort et après
l’abattage, expertise réalisée par une vétérinaire professionnel. Sur cette base-là, le jury
d’éthique considéra que Gaia ne pouvait laisser entendre, peu importe ses raisons, aux
consommateurs qu’on leur sert le foie d’un animal malade car c’est contraire à la vérité
objective qui ressort de l’application des législations de protection de la chaine alimentaire.
E. Les règles spécifiques à l’utilisation de nouvelles technologies de l’information
comme outils publicitaires
Le secteur de la publicité s’est très vite et très tôt approprié les nouvelles technologies de
l’information pour les utiliser comme médias par lesquels il était facile de transmettre les
publicités qui, auparavant, suivaient les voies plus « traditionnelles » (voie postale, télé,
radio). La publicité sur internet permet de laisser des traces. Si l’on arrive à récupérer les
traces laissées par les internautes, il est possible, pour les publicitaires de « profiler », ce qui à
son tour permet de mettre en œuvre des campagnes de marketing direct bien plus efficaces
que les campagnes traditionnelles. Tout l’enjeu du marketing direct consiste à prévoir, à
l’avance, les goûts, tendances et besoins des consommateurs. Ce faisant, on met, très
rapidement, des techniques en place qui sont considérées comme attentatoires, intrusives. Dès
l’instant où tout message transmis sur internet suppose un envoi de données entre serveurs, il
suffirait de les unifier pour construire un profil autour de la personne du consommateur.
Aujourd’hui, les choses évoluent avec le phénomène des réseaux sociaux, avec un même but :
Facebook s’approprie tout ce que l’on fait sur le site. Bien qu’il ne vende pas ces
informations, il l’utilise pour faire du profilage, ce qui explique la « personnalisation » de
notre page d’actualité. Jusqu’à présent, le traçage de Facebook était centralisé dans le service
lui-même. Désormais, Facebook tente de prendre possession d’autres services pour nous
133
traquer en dehors de sa « zone » (ex. : rachat d’applications). Tout cela fait partie d’une
stratégie liée à la publicité.
Sur internet, la publicité doit non seulement être, dès sa réception, identifiable comme
telle, ou à tout le moins, elle doit comporter en elle-même la mention « publicité » de manière
lisible, apparente et non-équivoque. En outre, la personne pour le compte de laquelle la
publicité est faite doit aussi être clairement identifiable. Enfin, la loi exige une identification
claire et en tant que telle des offres promotionnelles, concours et jeux. Les conditions pour
bénéficier des offres ou participer à ces concours doivent être aisément accessibles et
présentées de manière précise et non-équivoque.
La question de l’envoi de publicité non sollicitées par courrier électronique (spamming ou
pollupostage) est récurrente depuis que ce dernier s’est imposé comme le vecteur essentiel des
communications pour les entreprises. Il est assez normal que la technique du courrier
électronique soit utilisée aujourd’hui par des annonceurs en vue de la transmission de
publicités commerciales. En tant que telles, celles-ci sont soumises tant aux règles de droit
commun de la publicité qu’aux dispositions particulières de la loi e-commerce.
Il existe à ce propos des règlementations spécifiques. L’une est l’opt-in : on ne peut
envoyer de la publicité qu’une fois obtenu le consentement du destinataire. Il y aussi la lutte
contre le spam lui-même, c’est-à-dire l’interdiction d’utiliser le courrier électronique comme
média publicitaire, sauf consentement.
Désormais, toute la matière se situe dans le livre XII consacré aux droits de l’économie
électronique. Avant, ces dispositions étaient insérées dans la loi du 11 mars 2003 sur le e-
commerce. Elle est en passe d’être abrogée puisque ces dispositions sont inclues dans le
Code.
Il faut aller lire les définitions sur la publicité, au sens du livre XII. Celle-ci se trouve à
l’article I.18.6°. La publicité vise toute forme de communication destinée à promouvoir
directement/indirectement des biens/services ou l’image d’une entreprise/organisation ou
d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou exerçant une
activité règlementée. Cette définition est indépendante de toute technique utilisée sur le web,
ce qui permet d’inclure toutes les techniques nouvelles qui permettraient de jouer au rôle de
support à la communication en cause (fenêtres pop-ups, bannières, e-mails, redirection vers
d’autres sites,….). Au niveau du champ matériel, cette définition se veut le plus neutre. Il y a
134
des exclusions à la notion de publicité, qui sont propres aux médias utilisés. Pour l’application
du livre XII, on exclut les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de
l’organisation ou de la personne (ex. : une adresse de site, le fait d’introduire du contenu sur
un site) de même que les communications élaborées d’une manière indépendante, en
particulier, lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière. Il faut savoir que tout accès
à internet est contractualisé. Il faut donc pouvoir limiter le champ d’application de ces
dispositions protectrices pour éviter que tout ne soi règlementé, ce qui contredit la liberté
d’exercice et d’expression (cette dernière prévaut sur ce type de média).
Ex. : si on envoie un lien hypertexte vers un site publicitaire, on peut tomber sous l’exclusion
dès l’instant où l’on n’est pas rémunéré pour référencer cette adresse.
Il y a deux catégories de règles : les unes sont spécifiques quant à l’identification des
personnes qui transmettent les messages publicitaires (article XII.12., les autres sont relatives
à la loyauté et la transparence. Dans le cas des offres promotionnelles (article XII.12.3°), on
souligne souvent le problème de l’accessibilité de ces conditions, de même que la possibilité
de conserver les conditions de souscription.
On voit que ce régime légal n’est pas abondant, pour la simple raison que tous les autres
régimes sont applicables sur internet aussi.
Il existe aussi un régime particulier relatif au spam (article XII.13). Il faut se rendre
compte que la disposition couvre un champ d’application matérielle assez large. A l’article
I.18.2°, on définit le courrier électronique par tout message sous forme de
texte/voix/son/image envoyé par un réseau de télécommunications, qui peut être stocké dans
le réseau ou dans le terminal du destinataire, jusqu’à ce que ce dernier le récupère. La pub par
sms, par exemple, entre dans le champ d’application du régime. Concernant les opérateurs
eux-mêmes, il y a des règles spécifiques mais nous n’entrerons pas dans le détail.
Par consentement libre et informé, on veut dire qu’il faut offrir une vraie information sur
les finalités publicitaires. En toutes hypothèses, à partir du moment où l’on joue avec l’opt-in,
il y a un droit d’opposition qui doit être reconnu. Il s’agit d’un droit à renoncer pour l’avenir à
ce que l’on continue à transmettre des messages publicitaires.
135
4. De quelques pratiques règlementées
On vise ici des pratiques qui ne tombent pas sous le régime général abordé ci-dessus et qui
font l’objet d’une règlementation propre.
A. Les dispositions générales relatives aux contrats conclus avec des consommateurs
(art.40 à 44 de la L.P.M.P.C- article VI.37 à 44 du CDE)
Ces dispositions sont avant tout des règles relatives à la manière dont doivent être rédigées
les contrats (ex. : les clauses doivent être rédigées de manière et compréhensible), mais aussi
relatives à l’interprétation des contrats (inversion du principe de droit commun : en cas de
doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut). Il
y a des sanctions spécifiques qui sont également prévues. On prévoit aussi des règles
particulières applicables à des conventions spécifiques.
L’article VI.43, nouveau, prévoit que, sauf convention contraire, l’entreprise livre les
biens et en transfère la possession physique au consommateur sans retard mais au plus tard 30
jours après la conclusion du contrat. En cas de manquement à l’obligation de livraison au
moment convenu avec le consommateur, celui-ci peut enjoindre le fournisseur d’effectuer la
livraison dans un délai supplémentaire. Si le fournisseur n’exécute toujours pas son
obligation, le consommateur a droit de mettre fin unilatéralement au contrat. Il y a d’autres
cas où le consommateur peut mettre fin immédiatement au contrat, sans cette injonction,
principalement dans les cas où l’entreprise a refusé de livrer le bien ou lorsque le délai de
livraison est essentiel pour le consommateur.
B. La règlementation des clauses abusives (art.73 à 78 de la L.P.M.P.C)
§1 – Un champ d’application particulièrement large
§2 - La clause ou la condition abusive au sens de la L.P.M.P.C
§3 – Les sanctions
§4 – La Commission des clauses abusives (art.77 et 78)
C. Les ventes promotionnelles
D. Les offres conjointes ou jumelées
136
II. La loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des
services de l’information (e-commerce)
Dans le titre I du livre XII, on retrouve l’ancienne loi sur l’e-commerce. De nos jours, il
est très difficile d’imaginer un monde sans internet et sans réseau. L’e-commerce de demain
se fera vraisemblablement via les smartphones. L’e-commerce n’est qu’une prise de contact
particulière ayant pour but de vendre : c’est l’utilisation des nouveaux médias pour offrir et
vendre ses services. Très tôt, le monde du commerce a compris toutes les possibilités et toutes
les opportunités en termes de développement économique qui apparaissaient au vu de
l’évolution des nouvelles technologies, et principalement d’internet.
Au niveau belge, on est un peu à la traîne en termes de commerce via mobile. Dans l’e-
commerce pur, on a eu du mal à décoller. La raison de ce retard est que l’on n’a pas de moyen
de payement pratique et adapté au système d’achat via mobile.
Dans les années 90, lorsque le phénomène « arrive », un optimisme considérable est
généra par la découverte des nouvelles technologies. Beaucoup d’entreprises pressentent la
révolution. Une « bulle internet » se crée rapidement et éclate au début des années 2000,
lorsqu’on se rend compte qu’il y a beaucoup de projets, mais peu d’acheteurs : les
consommateurs ne suivent pas. Les gens ont tout simplement peur de passer des actes
juridiques en ligne. Il y a une insécurité juridique nouvelle qui est assez grande, il y a de
nouveaux problèmes juridiques qui naissent autour de l’utilisation d’internet (ex. : le
problème de la preuve dont les règles sont tournées, à l’époque, vers l’exigence du papier).
On a également problème au regard du caractère international.
On est aussi face à une insécurité physique, voire psychologique de l’internaute qui se
méfie de l’outil car on se rend compte que son utilisation peut avoir des conséquences
dommageables pour ses biens (ex. : non-envoi ou envoi défectueux des produits commandés)
ou pour sa personne (ex. : nouvelles atteintes à sa vie privée – problématique du « droit à
l’oubli »).
C’est pour ces raisons que l’e-commerce a mis tant de temps à se développer.
L’Union Européenne prend très vite conscience du problème et va prendre les règles de la
règlementation en matière de commerce électronique et, de manière générale, en matière de
nouvelles technologies.
137
Dès l’instant où l’on dispose des institutions européennes, on peut imaginer disposer de
règlementations applicables dans toute l’Union Européenne.
Dès le 8 juin 2000 (2000/31CE), l’Union Européenne prend une directive sur le
commerce électronique. En Belgique, elle est transposée par deux lois du 11 mars 2003 et
divers arrêtés royaux. Aujourd’hui, ces lois constituent le livre XII du CDE. Pourquoi deux
lois ? L’une concernait la procédure, l’autre concerne les règles particulières à respecter dans
la relation de commerce électronique. Cette dernière est assez dense et s’attaque à plusieurs
difficultés. On a imaginé un système où l’on va limiter les responsabilités des intermédiaires
(=ceux qui restent neutres par rapport à l’information qui transite par ses services, ex. : le
fournisseur d’accès à internet).
1. Articulation des textes applicables
Le problème de la règlementation du commerce électronique est que plusieurs types de
dispositions vont s’appliquer cumulativement (LPMPC + loi sur l’e-commerce). Dans le
livre VI, on trouve notamment des règles spécifiques portant sur les contrats à distance. Il
faudra donc les appliquer, en plus de la loi sur l’e-commerce.
Le livre VI ne concerne que les relations entre entreprises et consommateurs tandis que la
loi sur l’e-commerce protège les internautes dans leurs relations avec un prestataire de
service. Toute une série de protections prévues peuvent, avec l’accord du cocontractant, ne
pas être appliquées dans la relation dès l’instant où l’on est dans une relation entre entreprises.
On peut donc contractuellement déroger aux règles sur l’e-commerce si on n’est pas dans une
relation avec un consommateur.
Champ d’application Livre VI - LPMPC Livre XII – loi sur l’e-
commerce
Rationae personae Les consommateurs Les internautes
Rationae materiae Les relations entre
consommateurs et
entreprises, par tout moyen
de communication
Les relations entre
internautes et prestataires de
services, uniquement par
communication électronique
138
A l’article I.8.15°, on définit la notion de contrat à distance comme « tout contrat
conclu entre l'entreprise et le consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou
de prestation de service à distance, sans la présence physique simultanée de l'entreprise et du
consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à
distance, jusqu'au moment, et y compris au moment, où le contrat est conclu ». La définition a
changé car la matière a été profondément modifiée par une directive de 2011, qui a été
implémentée dans le nouveau code.
Ex. : on est contacté par téléphone et la convention se conclut par le transfert d’un document
écrit on n’est pas dans un contrat à distance, même si tout le processus de négociation
s’est fait par une technique de vente à distance.
Dans le livre VI, peu importe le moyen utilisé. En ce qui concerne le livre XII, il faut
nécessairement l’utilisation d’un moyen électronique.
Il y a plusieurs types de règles prévues pour les contrats conclus en ligne. On prévoit,
d’une part, des obligations d’information, et, d’autre part, des obligations spécifiques qui
accompagnent la conclusion du contrat.
2. Les obligations d’information préalables à la commande
- Articles VI.45 et XII.6 du CDE
Pour assurer la transparence et la sécurité juridique, les prestataires de services sont
obligés de fournir une information préalable aux possibles destinataires de leurs services. ces
informations sont relatives aux prestataires eux-mêmes, aux biens et services mis sur le
marché, ainsi qu’aux prix.
A la lecture de ces articles, on voit que l’on va loin dans le type d’informations à donner à
l’internaute, encore plus lorsqu’il s’agit d’un consommateur.
L’article XII.6 concerne les informations avant commande. Ces informations vont
souvent apparaitre sur un hyperlien mis sur chaque page du site. L’important est de pouvoir
permettre au consommateur de conserver les informations. Les informations visées à l’article
139
VI.45, alinéa 1er, concerne les informations qui doivent être fournies avant la conclusion du
contrat à distance.
Des sanctions spécifiques sont attachées à la violation de certaines obligations
d’information (ex. : être dispensé de certains frais voire ne pas être lié par le contrat si
l’entreprise n’a pas respecté ces exigences d’information).
Les nouvelles règles introduites dans le livre VI tiennent parfois compte du type de
technologie utilisée, car il y a parfois des contraintes de temps, d’espace. Dans ce cas-là, le
législateur prévoit de faire une distinction entre les informations essentielles devant être
transmises et les informations portant sur d’autres éléments qui ne doivent pas être transmises
au moment de la passation du contrat.
Ex. : on demande l’adresse e-mail et on enverra, par la suite, les informations qui n’ont pu
être transmises lors de la conclusion du contrat via le smartphone.
3. Les obligations spécifiques en cas de commande
/
4. Règles spécifiques à la conclusion du contrat
Obligation de mettre en place des dispositifs techniques d’identification et de correction des
erreurs de saisie ( article XII.8 )
Cette disposition est propre aux moyens électroniques. L’idée est qu’il faut éviter que
les gens ne concluent des conventions par erreur. Dans les relations entre professionnels, on
peut déroger à la mise en place de ces moyens, pour autant que cela ait été conclu
contractuellement.
Obligation d’accuser réception de la commande ( article XII.9 )
Cet accusé de réception doit être adressé au client sans délai, et par voie électronique.
Cela sert aussi à conserver la preuve de la commande telle qu’elle a été comprise par le
prestataire de service.
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Obligation de confirmation ( article VI.45, §7 )
On vise des informations sur la commande, ainsi que des informations spécifiques
(voy. notamment l’article VI.45, §1er). Cette confirmation doit avoir lieu sur un support
durable (article I.8.19° : tout instrument permettant au consommateur ou à l'entreprise de
stocker des informations qui lui sont adressées personnellement d'une manière permettant de
s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les
informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations
stockées).
La mise en œuvre du droit de rétractation ( article VI.47 )
Le consommateur dispose d’un délai de 14 jours pour renoncer au contrat conclu. Si
l’information préalable sur l’existence du droit de rétractation, celui-ci peut s’exercer pendant
un délai prolongé de 3 mois. C’est un droit discrétionnaire, le consommateur n’a pas à se
justifier. L’idée est de limiter l’achat compulsif. Il y a des règles particulières pour calculer le
point de départ du délai :
- pour les contrats de vente de biens : le délai commence à courir à partir du moment où l’on a
pu prendre possession du bien.
- pour les contrats de vente de services : le délai commence à courir à partir du jour de la
conclusion du contrat.
Si le consommateur décide d’user de son droit de rétractation, il est tenu d’en informer
l’entreprise avant l’expiration du délai. On trouve, dans la loi, un formulaire standard de
rétractation (annexe 2 du livre VI). Si l’on n’utilise pas ce formulaire, il faut à tout le moins
que la déclaration soit dénuée d’ambiguïté.
En cas d’exercice du droit de rétractation, l’entreprise doit rembourser dans les 14
jours de la réception de l’information du consommateur qui lui indique sa volonté d’exercer
son droit de rétractation (article VI.50, §1er). Les seuls frais restant à charge du
consommateur sont les frais de renvoi, mais des règles lui permettent d’y échapper si certaines
informations n’ont pas été données.
Le consommateur est aussi tenu de renvoyer le bien sans retard excessif, au plus tard
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14 jours suivant la communication de sa décision de se rétracter du contrat. Le Code va
jusqu’à expliquer ce que l’on peut faire avec le bien préalablement à la mise en œuvre du droit
de rétractation. Une règle particulière permet de différer le remboursement, pour tenter
d’éviter l’exercice excessif du droit de rétractation.
Il y a des exceptions au droit de rétractation (article VI.53).
5. Le régime de la preuve
C’est le prestataire de service qui a la charge de la preuve du respect des obligations
imposées par la loi. C’est pratiquement une obligation d’archivage.
Souvent, l’écrit était une condition de validité du contrat, au-delà de la problématique de
la preuve. Ce type d’obligation posait problème dans les transactions passées en ligne. Ce
formalisme rendait impossible la passation de certains contrats. Il a fallu imaginer des règles
permettant d’obvier à ce problème. Certaines dispositions ont précisément cet objet. Elles sont
de deux types : une règle générale (article XII.15, §1er : lorsqu’on est confronté à une
exigence de forme dans le « monde réel », il faut identifier les exigences fonctionnelles), l’au
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