Deguy_La Raison Poetique

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    Si la mme chose tait appele tantt d'un nom et tantt d'un au t re,disait Kant, aucune synthse de l'imagination ne pourrait avoir lieu .

    C'est pourtant ce qu i se passe en posie, nous le lisons bien , orgnent la priphrase et l'quivocit , dns la fivre et pour la gloire, del'imagination, cette reine des facults (Baudelaire). Cependant, mme surraliste , le pome ne dit pas n 'importe quoi, garement sans effetdans le monde et dans les lettres. Et s'il n'est pas forcen , ce n'est pasparce que les phnomnes [seraient] dj soumis pa r eux-mmes un ergle , pour continuer citer le philosophe en sa Critique - qu i y martle en sa partie dialectique: J 'appelle inteLLigibLe ce qui dans un objetdes sens n'est pa s lui-mme un phnomne.

    Comment tout cela est-il possible? Quelle raison potique est-elletoujours l'uvre dans les uvres modernes ? Les recherches icirassembles aimeraient contribuer un e critique impure de cette raison.

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    ~ ~CEGbDvCl

    La raison potique

    Michel Deguy

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    La raison potique

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    Michel Deguy

    La raison potiqueTressements d'empreintes

    de franais Rouan

    x ~ : : . ) (Xii

    Galile

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    L ' ~ D 1 T I O N O R I ( ~ I N A L E DE LA RAISON POTIQUE A T TIRE 72 EXEMPLAIRES, DONTGO EXEMPLAIRES NUMROTS DE 1 GO, PLUS (, EXEMPlAIRES D'ARTISTE MARQUS DEE.-A, 1 E,-A, VI, ET (, EXEMPLAIRES HORS-COMMERCE MARQUS DE H,-C 1 H,-C VI, ACCOMPAGNS D'UNE UVRE ORIGINALE DE FRANOIS ROUAN - TRESSEMENTS D'EMPREINTESPHOTOGRAPHIQUES ET Sf,RIGRApHIQUES REHAUSSF,ES,

    2000, DITIONS GALILE, 9 rue Linn, 75005 Paris,En application de la loi du Il mars 1957, il est interdit de reproduire intgralement oupartiellement le prsent ouvrage sans autorisation de l'diteur ou du Centre franaisd'exploitation du droit de copie (uc), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris,

    Max Hueber Verlag, Ismaning bei Mnchen,pour le texte Une traduction de Lausberg }).ISBN 2-7186-0544-8 ISSN 0768-2395

    La raison potique

    Bernard Nol

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    Si le cinabre tait tantt rouge, tantt noir, tanttlger, tantt lourd; si un homme se transformaittantt en un animal et tantt en un autre; si dans unlong jour la terre tait couverte tantt de fruits,tantt de glace et de neige, mon imagination empi-rique ne trouverait pas l'occasion de recevoir dans lapense le lourd cinabre avec la reprsentation de lacouleur rouge; ou si un certain mot tait attributantt une chose et tantt il une autre, ou encore sila mme chose tait appele tantt d'un nom ettantt d'un autre, sans qu'il y eut aucune rgle laquelle les phnomnes fussent dj soumis par eux-mmes, aucune synthse empirique de l'imaginationne pourrait avoir lieu.

    El'vlMANUFI. KANT

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    Bernard, je choisis de rpondre ta lettre, en suivant son fil, et selon quetelle formule ou tel paragraphe m'incite lui correspondre. Parce que ta lettreest forte et inductrice: inopportun, donc, de chercher une autre sinuosit quecelle qu'inven te sa relation - tout au long.

    Il s'agit, n'est-ce pas, que nous, plusieurs, insensibles et l'unanimit et aumpris qui est la forme la plus facile de la rciprocit, ouvrions le compas,montrions par nos ({ objections et rponses (c'tait au temps de Descartes !), l'intrieur du champ non clos de la potique, que ce singulier, ({ la posie ,loin de dnoter l'unit circonscriptible d'un genre, d'un objet, d'un corpus,etc., appelle (au sens o on di t ({ J'ai appel ma fille Sophie ) l'inquitude dulangage sur ses possibilits, sa destination, ses limites; langage et sujet du langage, bien sr; formes et exprience.

    Donc, ouvrons, divergeons.Pourquoi ({ rompre avec la phrase raisonnable ? Pourquoi celle-ci vau

    drait-elle pour un ({ conditionnement impos au flux de la pense ? Ce motifsurraliste - si c'en est un - beaucoup, et toi donc dans ta lettre, le reprennent leur compte, depuis longtemps. Ainsi plus loin loges-tu plusieurs reprisesla raison mauvaises enseignes. Tu la qualifies d' insupportable .. a mefait remonter en mmoire ce mauvais moment o Barthes parlait du fascisme de la langue .. Je prfre Posie/Raison ardente .

    La question est: qu'en est-il du rapport du pome avec la phrase et lephras? Un pome ? Qu'est-ce dire?Cette prouesse spciale en langue, prompte et limite, qui s'avance, qui

    prend des risques, mais non sans perce hors langue; qui cherche quelquechose (mais quoi ?) hors description, hors rcit, hors comprhensibilit parfois (par o il arrive qu'on isole sa musicalit ) ; aux limites, si tu veux, etdonc volontiers transgressive pour entrer dans l'attractio n et l'exprience de lalimite, mais non pas en en rompant toute relation avec les partenaires de laparole: sujet, destinataire, autre et Autre, rfrent, etc. S'affranchir, ditesvous? Mais de quoi? La prouesse et l'avance, la qute, ne peuvent se jouer, siforcenes qu'elles se dsirent, hors signifiance et hors sens; ni sans littralit,squentialit, paraphrasabilit, performativit .. je borne ici la srie de cesproprits qui font que le pome est objectif, objectivable, c'est--dire trans-

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    La mison potiquemissible par un enseignement, parce que mo n propos n'est pas de chercher rsumer les soins que lui prodiguent linguistique, histoire littraire et thorieen gnral (discipline(s) ne pas omettre, un point c'est tout).Peut-tre la difficult est-elle tenue dans l'expression de langage de lalangue , plusieurs fois employe par moi (ou toi, ou toi, ou toi). Ca r nousavons ces deux mots l olt d'autres idiomes n'en on t qu'un, pour dsigner,disons, d'une part le vernaculair objet de la linguistique, et d'autre part ceque tu appelles tantt expressivit , ou " l'autre langue , cette tenace illusion (sans laquelle nous ne pouvons imaginer, justement, qu'exister ait dusens) d'un vouloir-dire gnral, partag par les fleurs ou les chats, les pierresou les oiseaux (toute la cration gmissante dirait saint Pau!), auquel lepome prterait son langage et sa voix . . . Dont une variante moderne serait le parti pris des choses compte tenu des mots de Francis Ponge.Vieilleries? C'est la question.

    Donc, la phrase, syntaxire (Mallarm), grammaticale, logique (au sensgrec foncier qui prcde la Logique), si disloque, suspendue, volute ou anacoluthe qu'elle puisse tre, demeure l'lment du dire-en-pome. La posiepense; la pense (s)'crit; le pome fait des phrases et fait lever des phases demonde dans son phras. Si syncop-agglutinant qu'il soit, le pome de Celan,que tu cites en exemple, est grammatical. Quant au flux de pense (je tecite continuellement), capter ou non par de l'automatisme (chez les surralistes), je le tiens en suspicion lgitime, autant que toute idiosyncrasie. Je nesuis pas sr, tu me comprends, que les structures de la langue "aient tre"touches . Pas d'attentat. Le terrorisme a tort. La langue reprend tout dansses possibilits. Sa loi n'est pas fasciste. Et ce qui m'intresse encore (et tou-jours) dans le surralisme, ce n'est pas son" arrire-pays dj lointain . propos de Masson, tu parles de nouvelle syntaxe et mme de nouvellelangue . C'est ce qu'il y a de commun la syntaxe et la nouvelle syntaxe, la langue et la nouvelle langue qui me retient. Dit d'une autre manire:quelle est cette libration? Qu i n'est pas destruction? Car, ce qui menacetout le monde, c'est la destruction, tantt inane, ignare, analphabte (( laterre s'jecte de ses parenthses lettres , me suis-je permis en corrigeantChar) ; tantt mathmique (mathsique ?) au sens du beau livre de JeanClaude Milner 1.La libration, je l'appelle gnralisation. D'un exemple: tu reprends lemotif du cubisme" se librant de la perspective, mais je ne dirais pas cela,parce que mme ce qui est montr sous plusieurs aspects, sous plusieurs de sesfces, n'en continue pas moins en cacher d'autres; je parlerais plutt d'unegnralisation de la perspective: approche du gomtral d'un objet, pourreprendre un mo t de Leibniz. Lutte avec les conditions de la perceptibilit.

    1. L (El/I"" clain', Paris, Le Seuil, 199').

    La raison potique Tourner en rond , l'expression dit quivoquement la rptition lasse et laqute de l'absolu: comment s'en sortir sans sortir - rime riche? La gnralisation s'invente au fur et mesure de la prtention transgresser multilatralement chaque ct, et rapporte les transgressions successives l'esprit .(Un peu trop hglien? Oui; pour le moment 1.)Je remarque que pour dvelopper cette pense de l'mancipation, tu asrecours la binarit " signifiant-signifi ; tu recommandes de jouer le signifiant contre le signifi. Mais, 1) c'est s'en remettre une diffrence qui provient de la linguistique; 2) comme si le partage, voire la sparation, pouvaittre fait en d'un-ct-de-I'autre. Alors qu'on ne peut les dcoller l'un del'autre (comme le note Saussure) ; 3) tout l'au-del de la limite, vers quoi lepome du signifiant serait tendu, est mieux approch-affront par du syntaxique, des dissonances ou disruptions grammaticales, rythmiques, no logis-tiques, etc., que par des calembours phontiques ou de signifiance ou desimportations de techniques en provenance d'autres arts, d'autres manires defoire, sans transposition (j'y reviens tout l'heure). Et en tout cas plus etmieux que par des excs ou dviances d'idiolectes privs. (Est-ce mo n ct chrtien malgr tout : jouer une deuxime loi contre la premire - sansoublier que les deux sont lies, si on se rappelle Pascal, par le figuratif-, maispas la secte ni le chaos, l'anomie ou la spiritualit syncrtique ?)

    Comment impliquer gravement le corps dans l'expression ? demandes-tu. Or, pas plus que le mo t chien n'aboie (vieille remarque), les mots du corpsne sont corporels. Ou : le langage, et potique, est dsincarn par constitu-tion. Le cogito fait coupure. Les mots (les phrases, etc.) ne sont pas desorganes ni des pharmacies.Attention donc certaines candeurs: ce n'est pas parce que j'emploie le

    mo t pntration que je pntre; ni des gros mots que je suis grossier. Il ya l tout un trafic mtaphorique , dans un sens mo u de mtaphorique,olt la navet (la jeunesse) se fait des illusions faute de rductionphnomnologique: par emprunt d'un lexique (et d'un phras exclamatif,v o c a t i f ~ imprcatoire, etc.) dnotation (et connotation) anatomico-physiologico-psychologique, transfert crdule en littrature , et croyance (un peumagique) en leur effet.Laffaire dpend ici d'une part de ce qu'on entend par corps dans laquestion; d'autre part de l'ide qu'on se fait, quelque peu magique le plusSOuvent, de la posie, par rmanence de la superstition commune, c'est--direde la croyance vague en une action--distance des formules sur les choses,des prires sur les vnements, etc. ce point, je pense volontiers que la rhtorique dans son acception la plus vaste, celle des tournures des discours dans

    1. l 'esprit absolu advient) L'artiste parie pour la folie,,? Mais la folie est celle du" raisonnable" : non l'irrationnel.

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    leur contexte, de profration, incantation, vocation, adresse, etc., a une provenance rituelle, au sens o, par exemple, l'euphmisme ou l'anaphore,l'interjection ou l'aposiopse sont des conduites par rapport aux dieux, lamort. Il en reste dans les carmina et leur tropologie.

    Disons que par corps nous entendons aujourd'hui ce rel compris nonpas seulement en termes de psychologie (imagination, motion, etc. : Cmec'est le corps , Nietzsche), mais en termes de psychanalyse (inconscient,sexuation, refoulement, symptme, etc.) et de phnomnologie (corpspropre, tre-au-monde, etc.). Il faut relire le beau corpus de Jean-Luc Nancy.Le corps dansant, souffrant, chantant, dsirant, mtis, mortel- parlant: est lesujet. Contrainte par corps: dsir de (la) littrature.

    Il n'y a pas de sensation (la sensation, le pur quale, est un abstrait, disaitMerleau-Ponty). Je veux dire: pas de sensation stimule ou induite par dulangagier - moins qu'on nous le crie trop fort dans les oreilles (

    L rflison potique

    l. Comment sont-elles l, peuvent-elles rre l ? Dans une lgre trnscen-dnce, pas du tout de celle qui tombe du ciel, mais celle que l'action de beaucoup d'hommes tit lever de terre, amnage, construite, uvre et ouvrage,parfois institutionnalise, en en dchargeant la Morale et la Religion Imposteurs, en destunt les autorit s garan tisse uses : charge d'en confier l'instanciation, la figuration, et j'allais dire la prosopope, d'autres, savoir entreaurres la littrature et la posie. La posie avec ses propres moyens doitcompter sur ses propres forces. Les moyens sont langagiers et d'alliance-alliageavec les autres arts et d'intervention ou d'irruption (" performatives ) dansdes contextes o on ne l'attendait pas. C'est toujours le bon (le battementbien/mal) ; le beau (le jeu beau-laid-sublime-inachev, etc. Le beau est cequi dsespre. [Valry]) ; le vrai (le jeu de la vrit dans toute sa complexitde semblance, de fiction, de simulation-dissimulation, de rvlation et depseudo, de malentendu, de ruses, etc.), qui importent. Je vous dois la vriten pomes. C'est bien comme a. Comme si comme a. Mal dit mal fait .. .

    (Le mal est fait; le mal est ce qui est foit . Il vient des hommes, sans rapportaux malheurs ni aux maux. Millions d'tres jeunes qui le fomentent, font quele mal est ce-qui-a-t-fait sans mme que les crimes aboutissent - ayantentran la vie sans intention de la donner. Le mal - sans rparation, sanscompensation, sans rversibilit, sans diminution de peine, sans rachat,malgr toute la machinerie thologique.)

    Voil qui est dit - qui est fait. Si la littrature n'a aucun rapport avectelle pense, qu'elle aille se faire lire ailleurs.

    Le danger - ce qui nous menace - est moins (me semble-t-il) celui du contrle de la raison ou de la logique du 2 + 2 font 4 (je te cite) quecelui d'un mimtisme facile (mimiqu e) par quoi les arts (leur postrit, encoretiquete peinture et posie , ou musique et cinma , etc.) singent, captent du rel en haute fidlit , et font spectacle du chaos par des moyenstrop simples parce que ivres de technologie. Bruitage, dchiquetage, explosion-implosion .. . Azas et dcibels la place de comparatifs ou d'emphase,l'ultrason la place de l'hyperbole ou de la clausule; l'acclr pour l'hyperbate, le flash pour la prosopope (laisse-moi m'amuser; on pourrait conrinuer. .. ), le laser pour le zeugma, la strophonie pour la diction dirse .. .

    Dit d'autre faon:La pratique (multiple, diverse, inventive) des plasticiens est devenue pilote,

    modle, figure de proue, pour la cration .. en attendant que les valeurs,les techniques, les finalits et les savoir-faire de ce qu'on entend maintenf11ltpar crtion (design, mode, coiffure, publicit) l'emportent, et que le pome,asservi en messge de marketing, s'enrle comme faire-valoir linguistique,annonce-devinette qui ajoute--la-valeur du produit , par slogan ou moded'emploi, jeu de mots favorisant la transaction, etc.

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    Or, soit la relation la peinture. Ut pictum poiesis n'impliquait aucunesubordination de la posie la peinture, mais un dpeindre, une capacit ded-piction qui n'assimilait nullement la posie la peinture (pas plus que lamusicalit de la posie ne la confondait avec la musique l'avantage de celleci). Peinture ou musique, muettes en tant que non signifiantes, in-senses,n'taient pas modles pour le pome, mais rivales, commandant un rgimed'mulacion - imitation OL! la posie, qui n'est pm la musique Ili la peinture,(lVtl t tre comme elles en se privant de leurs moyens.Mais aujourd'hui quelque chose s'est renvers dans le rapport, de telle sortequ'on peut supposer, pour exemplifier la difficult, qu'il y a plus de rapportentre la manire dont Ponge ou Breton se rapportaient l'un Braque l'autre Mir, qu'entre leur manire et ccl e dont tant de jeunes potes se rapportent la peinture et en usent avec le plfIstique en gnral. On dirait souvent que desprocds de dcoupage ct de collage, de cutting ou dripping, ou du spatialisme, du lettrisme ou de la sonorisation en gnral, sont transports t Ir, lettreet imports dans les performances de la posie .

    Me troublent quelques-unes des expressions dont tu uses dans le derniertiers de ta lettre: paradis perdu [ .. ] autre langue [ .. ] arbre qui en nousdonnant la connaissance a mis toutes nos langues sous l'emprise de la raison[ .. ]langue d'avant [ .. ] dans la ferveur d'une adhsion qui la rendait capablede donner de l'tre ce qu'elle nommait , etc. On frle le mythologique iciavec les majuscules, et, pour ma part, dans ces parages, je donne un coup debarre notre esquif Logos est indivisment langue et raison. Le l-bas que tuvoques a toujours t proche trs ailleurs, d'ulle distance non mesurable entermes d'loignement mtaphorique ou nostalgique ou utopiste ; niperdu, ni retrouvable, ni programmable en progrs . Sans doute toujoursen arrire (n'est-ce pas l'immense pass dont il s'agit) plutt qu'en avant (dansle futur inepte d'un horizon dont on se rapprocherait !) dont le leurre pris lalettre, promesse du bonheur ralisable, n'aura t que la condition du malentendu propice nous faire fructifier le fonds qui manque le moins ). C'estdonc bien vers le pass qu'il faut ouvrir l'oue. Il n'y a pas de langue d'Avant,ni d'Aprs.

    Et de mme que je suis tent souvent de demander un moratoire auxobsds de Dieu qui trouvent des raisons de croire en Lui proportionde son absence, de son silence, de son inexistence, et d'autant plus fortes (iln'y a plus rien objecter!) que se rarfient ses supposes interventions sporadiques ( Lourdes au XIX' sicle ou en Bosnie ces jours-ci au profit de l'armede l'air amricaine, aprs une dfaillance Auschwitz), ainsi je songe parfoisqu'il conviendrait de rduire, voire de suspendre, l'usage majuscul, impressionnant (immodr au cours des rcentes dcennies) de l'Impossible, Irreprsentable, du Rien, de l'Autre (je veux dire: l'exception d'un emploi rigoureux, contrl, minutieux, inventif de ces termes dans des dispositifs

    LfI raison potique

    renouvels). Regarde les philosophes: quelle reprise, quelle mmoire, ilssont astreints! Comment ils n'ont pas sortir de l'lment de l'obscurit quiest le milieu de leur pense, sous peine de ne plus rien dire, au mauvais sensde rien .. Trs peu inventent une nouvelle langue " .. . Heidegger, peuttre, l'a tent, et la communaut anglo-saxonne n'en veut rien entendre.Quant aux manires, tours et lexique, de cette nouvelle langue , tautologieset nologies, ::'tymologies et syncatgormes (beaucoup d'autres procdsdevraient tre reprs et comments, supposer qu'on ne les disqualifie pas apriori au titre dejtllgon [Adorno]), ils n'excdent ni n'ignorent, ni ne dfont lalangue. La dconstruction n'est pas destruction. Autrefois, pour tel bouleversement on e t parl de style novateur, aujourd'hui on dit la langue ",comme s'il y avait une langue par grand crivain. Mais plus d'intimit avec ftlloi toujours plus intimement sonde (mais non pas scientifiquement"),affronte, dfie, reconnue: c'est l'injonction holderlinienne . Y a-t-il de sinouvelles choses entendre ct faire entendre dont la loi de langue ne nouspermettrait pas de parler et qu'il faudrait alors, comme la musique moderne ainvent de nouveaux artefacts sonores, dtecter avec des capteurs et des synthtiseurs perfectionns ou faire entrer dans la langue autre chose qu'elle,quelles prothses, venues d'oL! (des arts plastiques, des. installations 'j,. duphoto-gra phique, calli-graphique) ? Peut-tre ne reste-t-J! que la traduction,gnralise; un entre-langues, qui ne soit pas sabir ni crole esprantiste,nulle confusion de langues, mais un s'entr'appartenir (Joyce, toujours), unepreuve du s'couter, s'entre-tenir, dont le dfi reste relever. .. Mais qu'est-ccqui se noie dans les flux rgls de rznnegans's Wilke, en quoi le chef-d' uvrechoue-t-i!, c'est toujours la question.

    La prison est insupportable, oui. Mais nous serons toujours comme des prisonl1Iers.

    Quant la rsistance, et rsistance au mdiatique, au sens de tes pages,oui; bien sr. Mme si le conflit de l'opacit (du pome) contre la transparence (mauvaise) me semble relever d'une trop simple mise en scne; parceque rversible: je pourrais par exemple opposer une belle transparence l'obscurit des temps (dark times d'Hannah Arendt).

    Soit imaginer (oui: se figurer) le langage de la langue (pome) comme unesurface-entre, une peau, une interface .. . ; entre quoi et quoi? Glissant satranslucidit partout (se mlant de ce qui la regarde), s'interposant, frayant,interfrant, discernabilisant (si j'ose dire; ce nologisme ne sera pas retenudans le Robert) ; ou - pardonne-moi de me citer, a m'arrive - tenant leschoses distance en s'approchant d'elles discrtement, furtivement, mdiation efface comme celle de la quantit diffrentielle (1': des mathmaticiens).

    Entre .. . entre ces nues obscures que sont la tnbreuse psych (inconscient) ct l'infinit du monde (univers) ; s'interp osant comme une carte sur lesgenoux de l'aventurier des les au trsor, comme une chemise anglique sche

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    La raison potique

    qui tient un fil, ou les oriflammes japonaises dans le vent du film; commeun ciel suspendu qui (s')claircit entre le vortex du cosmos et le magma de malibert. Clairire , disait le penseur. Si c'est le sens de ta belle f()rmule intgrer l'intervalle )', je la fais mienne. Ainsi, deux dlgations montentelles l'une vers l'autre, en prsentation; en trve, en crmonie, installant unseuil, changean t du prsent; composant une scne qui les disjoint.

    J'aurais encore des choses ajouter, et sur la rsistance, et sur les causalitshistoriques 1 que tu voques un moment, mais je prfre m'arrter sur la clairenote haute de l'intervalle intgrable .

    J. Les causalits historiques m'inspirent un doute hyperbolique. Je ne ctois " pas que leromantisme soit n " d'une gnration engendre trop tard pour avoir pu chevaucher Wagram (malgr Musset) ni que le surralisme soit n " du dgot d'avoir tremp dans lestranches; mais les deux termes corrls (surralisme et tranches, etc.) dans ta phrase sontpeut-tre ns ", d'autre chose, qui n'est pas cause .. Les causes" (grandes causes) sont toujours heuristiques, aurojustiflcatives, etc.

    Pour piquer dans le but, de mystique nature

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    C'est toujours ce qui est tranger la doxa qui estle plus stupfiant.

    PSFU[lO-UlNCIN

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    Que faisons-nous parlant de Baudelaire? Certains sont baudelairiens ,des spcialistes chercheurs comme on les appelle parfois, des dix-neuvimistesconnaisseurs de l'uvre-vie de Charles Baudelaire et cherchant la mieuxconnatre. D'autres - c 'es t mo n cas - aiment parler dans l'intrt de laposie , pour qu'il continue, la fin du sicle suivant, y avoir de laposie .

    Ils s'ignorent parfois, je suis contraint de le constater, quand je lis dans unarticle rcent cette remarque, sans rfrence, que je publiais il y a sept ans, quel'infini diminutif, reprsent pour Baudelaire par 12 ou 14 de liquide enmouvement (Mon cur mis nu, LV), c'est la formule de l'alexandrin, et queBaudelaire donc parlant de la mer parle de la posie et chiffre une proportiondu rapport pome/posie comme homologue au rapport fini/infini.

    En d'autres termes, la perspective o je prfre me placer dans un congrsde baudelairiens mme, est celle d'une question telle que O ( '11 sommesnous avec la posie? dont les moyens d'laboration, le discours et le ton sivous prfrez, sont ceux de la connaissance potique. Qu'est-ce que notremodernit? et comment mesurer la proximit et l'loignement de celle deBaudelaire - la faon de Miche l Foucault dans son cours de 1983 la caractrisant comme hrosation ironique du prsent, jeu de la libert avec le relpour sa transfiguration, laboration asctique de soi [ .. ] qui ne peuvent seproduire que dans un lieu autre (autre que la socit ou le corps politique),dans ce que Baudelaire appelle l'art 1 .

    Faisant comme Baudelaire de la rvlation avec de la profonation - c'est-dire du sens-de-Ia-profondeur-de-vivre (c f Fuses, XI) avec de la foble chrtienne (au sens de fable rcemment rappel par Starobinski), avons-nous faitUn pas de plus, transgressivement, que Baudelaire dans la simonie? C'est lamesure de ce pas qui est malaise. Il y a pour Baudelaire homologie entre larvlation potique (de la profondeur ou intensit de l'existence par le spectacle ordinaire qui peut en devenir le symbole ) et la Rvlationchrtienne, qui donne les paramtres (au sens o le parametron grec peut setraduire par comparant ), paramtres mesurant le partage humain, para-----. Indit, publi Cil Illars 1')95 par ri' A1tlgilzine littt'rilire.

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    La raison potique

    mtres religieux comme du ciel l'enfer, de l'anglique au satanique; si l'on serappelle (par exemple) que dans Duellum (trente-cinquime pice des Heurs)le couple infernal des amants ternise son ardeur, post cotum si je puis dire,mais il faudrait dire outre sexualit et outre jeunesse, en la changeant enhaine, tandis qu' l'autre ple (en

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    La raison potiqueun, donc solitaire J en passant par l'altration et la dsaltration de la foule,de la femme, de l'autre numrique, de la divinit, et en passant par la neutralisation du duel sexuel que retrace le pome Duellum, sans que jamais la paranoa du moi-je-suis-seul-et-eux-ils-sont-tous l'emporte sur le je-suis-tousde l'orgie-spirituelle du je sauv par sa capacit de changer de place, c'est-dire de se changer-en) cette rversibilit, dis-je, dans l'change de l'intrie ur etde l'extrieur et en gnral le virement d'un extrme l'autre, a pour lment,au sens du mdium et de la mdiation, la prostitution - et on aimeraitpouvoir parler de stitution en isolant le radical commun substitution,prostitution, restitution .. .

    Deux ou trois remarques, ce point, touchant ce qui revient l'art potique(exprience e t mthode). Avec l'affaire de l'intensit, ou de la nervosit ,ou de l'nergie (dont Yves Chamet tudie si acribiquement le motif dans lerapport du pote Delacroix), et en gnral - si l'on se rappelle l'insistancedes Paradis artificiels - du changement d'une chose en elle-mme par sonplus-tre, son tre-plus-el le-mme, il s'agit de porter son maximum, comparativement elle-mme, et superlativement, comme sa vrit, une valeurcommune, mais qui dans son rgime commun, ordinaire, rparti, partag, nelaisse pas entrevoir sa proprit, son identit, sauf aux artistes qui en fontaffiuer l'heure. Et ainsi la prostitution ne dsigne pas tant le rgime banaldu se-prter--beaucoup (du papillonner, du se saupoudrer a et l, en amitis, en liaisons, en relations, faibles, disons, selon le mlodrame trivial gris del'un et du multiple qui fait notre ordinaire) mais fonctionne plutt en rappelde la prostitution sacre , cette mdiation pour, ct dans, le partage du cielet de l'enfer, qui est notre plus profond partage, d'un bord l'autre del'empan excessif duquel nous roulons cartels.Loxymore - par exemple sainte prostitution - sert ajointer, ressouder haute temprature deux domaines trop spars par la doxa ; recomprendre une indivision oublie, rparer une perte de symbolique. Et si ladoxa oublie le chiasme d'une coappartenance plus originale, le recroisementdes changes entre ces deux cts qu'appose un syntagme paradoxal commecelui de prostitution sacre , alors l' oxymore potique vient paroxysmer Ullparadoxe, si je puis dire, ft-ce prcieusement comme on disait au tempsde l'agudezza, c'est--dire en afftant les versants adverses de la coincidentiaoppositorum jusqu' la pointe d'une contrarit tranchante au-dedans de lapense, frayant soi- mme l'intimit de l'esprit.La foule/ville (par exemple), milieu instable, lui-mme rversible, estmutable instantanment en son contraire, d'un extrme l'autre, de la charit/tl-aternit la violence/horreur, comme un thtre cathartique, o la

    Pour piquer dans le but, de mystique naturecompassion avance et l'horreur recule (voici la belle passante, voici l'horriblevieille) rythmant la curiosit dansant e du promeneur.

    Cependant, la rversibilit, la correspondance (la substitution) ne courentpas dans tous les sens . Le sens n'est pas rsultante quelconque de la versatilit en tous sens des quivalences. Comment distinguer une ({ bonnerversibilit d'une rversibilit mtastasique o s'annuleraient les changes?De mme que la loi d'amour de l'vangile (en elle-mme ({ paradoxale ou endouble bind, quand elle se formule, comme dans la fmeuse exclamationd'Augustin, Ama et quod vis foc) restreint le champ des possibles par le comparant choisi, ({ dtermin (soyez comme des enjnts) interprter (et l'on serappelle aussi que, contre la licence gnrale de la comparabilit/ou analogie,Breton se crut oblig de thoriser un sens ascendant du signe, ana , une prfrabilit dfrente dans la rfrence - contre (< l'association libre ou({ automatique ) ; ainsi, si l'tant est ce qu'il est en tant mis pour, ou sechange en lui-mme en tant chang en autre, c'est condition d'entendre lepour, ou le en, dans une certaine orientation, une certaine pense du victimaire. Une victime sacrificielle en est une si elle peut tre prise pour, tresacrifie , ou se sacrifier pour, un autre qui est son autre. Mc Ginnis dit cecipar exemple: (< La saintet de la femme ne tient pas une dvotion nave mais son statut victimaire. Lquivalent gnral, qui assure la circulation desvalences, est le victimaire.

    Ou, trs gnralement, la potique de Baudelaire est ({ religieuse , j'allaisdire (< indexe avec prcision sur le thologique (chrtien). Non seulementles pomes - dont notre propre dchristianisation, ou, comme dirait Starobinski, l'amnsie inculte oubliant la Fable, risque de ne pas nous fire prendreau srieux la teneur, ou comme une (< provocation -, mais maints passagesde journaux intimes, ou des salons, ou des proses, le dclarent, dont je mentionne parfois allusivement une infime partie.

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    La raison potiquetique, hroque et ironique, comme si tout tait devenu mise en scne (

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    La raison potiqueLinventive profanation potique, la gniale simonie du religieux, convertitl'incroyable en rvlations de la ({ profondeur de la vie , dans ce royaume terrestre jusqu' ({ la fin du monde ; convertit en pomes, si l'on veut bienentendre ce mot, je viens de le demander, sur le modle de mythme, philosophme, thologme .. . La prvoyante improvisation (potique) cite notreordinaire comparatre la clart du mmorable, dans une transfigurationrciproque de la configuration invente de choses nouvelles et de la figurationhrite. Un jugement peut y reconnatre une figure inespre et attendue; apeut resservir. .. et nous faire servir quelque chose - supposer qu'il y aitencore des choses, c'est toute la question.

    Un croquis de Claudel (c'est dans les Conversations dans le Loir-et-Cher)surprend le mle occidental (ce mari dont Montesquieu prononce la sentencedans ses Cahiers: ({ Tous les maris sont laids ), affal dans son fauteuildomestique au soir, maugrant une repartie distraite l'pouse, ({ et que lejournal rengloutit (on dirait, aujourd'hui, la tlvision .. . ).

    Ruminant, retrait, solipsiste du self-service, si c'est un sujet de cette sorteque le journal se procure et produit, alors je rve encore un autre destinataire, un autre interlocuteur pour le pome, un autre usager pour ce quej'appelai ici la potique, champ largi o pote/posie/pome tiennent desrles changeant leurs places (dans ce que Mallarm appelle l'change d'unerciprocit de preuves) - ce champ assez large pour que la posie n'y soit passeule, et qui, comme milieu vivant et infini de la relation (et dit un romantique), ou, plus trivialement aujourd'hui, de la traduction gnralise, possibilise et viabilise les changes pensifs et effectifs (thoriques et pratiques,disait-on nagure) des arts entre eux, et sur leurs confins et avec leur dehors.

    Une telle potique appelle un mouvement inverse de celui que Claudelprte donc ce bourgeois que dj Baudelaire invectivait dans la page du monde qui va finir . Elle alerte et fait sortir de soi. Faire une sortie; et il nesuffit pas de sortir pour tre au-dehors. Encore faut-il, comme Don Quichotte, oui'quipe surraliste il y a peu, sortir et, en sortant, sortir; traverseret en traversant, traverser; tomber et en tombant, tomber: frayer, prcisment, le double sens des propositio ns potiques, qui sont deux fois vraies, ou,comme l'on disait, allgoriques.Provoquer un mouvement vers une issue de secours qui ne conduise nullement l'autre monde, l'outre-monde, ni un arrire-monde ni l'immonde; rassemblant plutt des semblables/frres, baudelairiens, dansl'exprience de leur comme-un de mortels. Mais peut-tre la musique est-elleseule y parvenir? C'est ce que croit la jeunesse massive. coutons lamusique, di t le Lorenzo de Shakespeare. Envions la musique.Peut-tre ce que Baudelaire nous destine est-il audible au dernier vers duseuil des Fleurs du mal, qui interpelle mon semblable .

    Pour piquer dans le but, de mystique natureLo Strauss, propos d'Hermann Cohen, parle de la dcouverte de

    l'homme comme mo n semblable . Je remarque que la tche ainsi fixe estpotique: la similitude (l'tre-comme) est dcouvrir; faire du prochainpasse par le rapprochement; et la formule claudlienne, Le devoir est deschoses prochaines , intresse aussi la posie, pothiquement supposer qu'il yait encore des choses, disais-je, et c'est toute la question au xx' sicle finissant.Il n'est pas vrai que je sois d'abord en possession de moi-mme en termesde connaissance, d'o procder la dcouverte de mon semblable, mon frreen le reconnaissant partir de moi .. . Dcouvrir l'homme en chacun d'entrenous (parmi le comme-un des mortels) comme semblable est une tche potique. Le semblable-au-semblable, en lui-mme semblable, est dcouvrir.Serait-ce la dcouverte la plus importante encore venir? Le premier mot deBaudelaire serait-il le dernier?

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    De la fable mystique

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    ... comme si, de ne plus pouvoir se fondersur la croyance en Dieu, l'exprience gardaitseulement la forme et non le contenu de lamystique traditionnelle.

    MICHEl. DE CERTEAll.

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    Qu'entendre par mystique? Ou , plutt, qu'est-cc que j'entends parmystique? Non qu'on m'ait attendu, ni qu'on m'attende pour entendre mystique" ; mais puisque je prtends, ici, m'adjoindre, soussign, ccuxqui lisent Michel de Certeau, il y a lieu que je scrute mon prjug. Il est faitde ce qui est pens le long d'une srie qui va du thaumazen grec aux notations wittgensteiniennes (celles que je connais), en passant par ce que Baudelaire appelle le presque surnaturel )'.

    Je m'tonne du stonner grec. Il est tonnant que la pense s'tonne.Remarquer et questionner l'tonnement, c'est s'(en) tonner. Et quelle est lamerveille o s'extasie l'tonnement grec, et qui fait du penseur et du pote unthaumaturge? Qu e soit ceci, qui est. Le ciel a-t-il form cet amas de merveilles, demande Corneille, pour la demeure d'un serpent 1 ? Lhommes'merveille; recule devant le monde dans son monde. Aucune rductionphnomnologique ne peut abolir la tonalit, plus radicale que tout pr-jug,du s'merveiller pour lequel clate la phnomnalit de l'tre en son il-y-amerveilleux. Lenthousiasme fit le divin. Qu e quelque chose soit, plutt querien et ceci plutt qu'autre, tel plutt qu'autrement. Et non pas tant donccelle-ci plutt qu'une autre; mais: a comme-a: ce qui nous indique quele comme-a ou redoublement audible dans le tel-quel est intrinsquementcomparatif: comparable soi. D'o les tautologies en posie (l'eau liquide, lelait blanc, etc.). La satisfaction divine (dmiurgique) s'exprime par la tautologie. Il nomma fleur les fleurs, et vit que c'tait bien.. Position horsmonde du regard, qui retraverse donc le nant, le manchon de nant qui sertittOlite chose, pour aller et revenir cette chose: je n'en reviens pas. D'o? Il serejeta en arrire, puis se projeta en avant: mouvement cathartique, oscillation,rythme, avancer/reculer: catharsis. On parle de transcendance horizontale.Voyager, c'estgurir son me

    J'arrive dans cette ville de X. Ml ses habitants je dcouvre la belleplace St.-X. Mais eux ne la dcouvrent pas. Nous nous adonnons au mme

    1. f:pigraphe de !J I jeunl' l'flrque de Paul Valry.

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    La raison potiquelieu, la mme chose, au mme spectacle - car, mme si pour eux, qui ne laregardent pas en se htant, a n'est pas un spectacle, nanmoins, tout instant, ils peuvent la considrer, et se la redonner en spectacle. Pourtant, c'est cespectacle qui n'est pas le mme pour eux et pour moi, bien que la chose dontil s'agit soit une seule et mme. Nous ne la voyons pas mmement. Voyageur,je peux m'tonner qu'elle soit belle; je la dcouvre comme telle. Il y a deuxregards; et c'est le second qui est mystique : c'est pour a qu'on voyage.Deux regards pour un mme phnomne. Celui qui" est d'ici depuis toujoursne voit pas sa ville du regard inventif voyant du voyageur intress par ce quin'intresse pas l'autre. Est-ce la mme ville? Mais l'habitant a besoin de comprendre ce que voit le survenant, dont c'est la premire visite. Le pote estl'tranger.

    Un ami incroyant me raconte qu'un jour rcent, entrant dans une glise decampagne, il s'assied, considre; le silence l'entoure; le monde se rapproche;il est comme introduit en son dedans. Le temps passe; il demeure des heuressans s'en apercevoir. Les Grecs auraient us, pour le dire, du verbelanthanestha: il plonge au Lth. Cette exprience mystique ressemble celles qui sont rapportes par Hofmannsthal ou Wittgenstein - et tantd'autres. Elle est atteste. Et tout en tant communicable en ce sens qu'elle estcommunique et comprise, elle ne peut franchir l'intimit idiosyncrasiquequ'elle cherche retracer: d'intensit eXpriencieile non exprimentale, valeur strictement sui rfrentielle, d'o il ne peut rien rsulter. Vraie d'unevrit qui se donne comme trs forte, et sans force pour tous.Le coup de Phryn

    Leurs yeux s'ouvrirent.Gense, III, 7.

    Ou: de la nudit. C'est la fable d'Hypride mdusant les hliastes du tournemain qui dvoile Phryn. Ou , dans l'autre iconographie, vieillards piantSuzanne au bain.a muthos dlo .. Mais ce que dit la fable n'est pas crit dans sa lettre. C'estce qu'on lui fait dire; sa lgende, sa leon: qu'elle en appelle de la vue lavision; au troisime il ou au deuxime regard. Et j'ai vu quelquefois ceque l'homme a cru voir. Refaire de la premi re fois dans la ni me fois, refairede l'apparition comme quand Do m Juan revoit Elvire. Le modle en est -exprience paradigme ou mtonymie - modul par la littrature , celui dela mise nu. Comme cette fin de chapitre o 1'Homme-qui-rit dcouvre lafemme nue, cette chose formidable (Victor Hugo) tandis que la nimefois, amant habitu, je ne vois plus sa nudification.

    De la foble mystiqueEn termes baudelairiens - derrire Constantin Guys sur les grands

    boulevards: le mme se change en lui-mme mme par ce plus-lui-mmedont il s'accrot dans l'eXprience de la beaut, c'est--dire de l'intensit, ouexprience potique . Moment presque surnaturel : rebond et rebord demonde, depuis ce hors-monde du monde, qui est dans le monde (in der Weltsein) .Le suprasensible serait le point d'o le sensible est vu, surplomb, commetel. La transcendance est le rgime de l'immanence. Selon la belle expressionde Maria Zambrano, l'homme est l'tre qui ptit sa propre transcendance.

    Le discours mtaphysique tusse l'affaire quand ce redoublement, vue de lavue, est imput au transcendant. Nul besoin de monothiser le dualisme.

    Dualisme husserlianis : me ramene la conscience-de, la formule deHusserl porte au langage, la jointure du psychique et du transcendantal, lefait du survol; la conscience n'est pas autre que conscience-de; sa rflexivitet sa capacit objective sont une seule et mme chose.

    Ou , en forme de question, si c'est prfrable: l'exprience de la transcendance (il faut bien qu'il y en ait une, mme si c'est un oxymore violent qui ladnote ici) est-elle rductible celle de la vue de la vue ou survol (Raymond Ruyer) ? La conscience-de, cette expression stnographie hors laboratoire la complexion du cortex: la vue de la vue dans le cerveau rend possiblela vue du cerveau. Il semble que les cognitivistes ou neurophilosophes 0)ne puissent pas dire autre chose quand ils parlent en langue .. . Le cortex nousporte au bord du monde en surplomb de nous-mmes .. .

    La grce redonne; elle nous offre le dj donn. Le donn des philosophes(ncessit) est redonn en don dans l'exprience du gracieux. Offert. Il nepouvait pas ne pas tre, mais il pouvait ne pas tre redonn - gracieusement .

    Le don redonne le mme, mme, davantage lui-mme-comme-a. Le comme est un en-tant-que et un comme-si. Conjecture de conjonction derelations. Comme si x (= a, b, c. .. ) tait comme y (= p, q, r. .. ). De l'autrect du comme-si se trouve la synecdoque (

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    La raison potiquedans la mle, mais un hologramme valant pour le tout. Il n'y a jamais quel'hologramme.

    Cet arcane, secret de la thorie, ne rpugne pas se donner en teneur defable. La figurativit se resserre par figures. La morale et l'histoire sonthomognes; ou : il n'y a pas de mtalangage; pas de discours d'explicationhtrogne l'eXplicable.

    Qu'entendre par fble maintenant. Dont des quivalents (pour moi)seraient paraboles; f i g u r a t i [ ~ ; figurants; schmes interprtants)) etquelques autres (Mallarm: l'emblme), dont la srie permet Starobinskid'interprter la culture contemporaine en termes de perte de la Fable))humaine et, donc, de profonde dculturation.Le racontar

    Gnralit 1 (pome vs mathme) : penser, parler, crire, c'est le mme. Lapense est imageante. Le schmatisme de l'imagination (Kant) est Logique. Lapense s'oriente en elle-mme (Kant) en parlant selon le dispositif d'incarnation de son tre-au-monde prpos y-tre. Le langage - chaque fois enlangue naturelle - est de part en part (

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    La raison potiqueGrecs nommaient ta adla) qui peut tre comme ce qui parat .. Tel seraitl'ordre de la reprsentation quoi notre existence est astreinte.

    Mtaphore, comparaison, apposition, gnitivation, analogie -, tout celarevient au mme - comme le ressasse Breton. Et c'est ce mme , ou ressortcach (arcane, disait Kant) de tous ces procds, que dsigne le philosophmeclbre de schmatisme : schmatisme de l'imaginatio n mettant en scnel'tre-au-monde, dont aucun parleur ne peut s'excepter (c'est le sens de transcendantal ), pas mme un pote rcusant les images, mtaphores, etautres reprsentations .

    Pris d'un autre biais:On fait reproche la comparaison d'identifier, perdant ainsi la singularit

    d'une chose. On confond comparaison et assimilation, celle-ci tant prisedans le sens trivial de suppression de la diffrence.

    I l n'en est rien , comme dit Montaigne. Et en faisant mienne cettepense de Lvi-Strauss qu'aime citer Quignard : La ressemblance n'existepas en soi. Elle n'est qu'un cas particulier de la diffrence, celui o ladifterence tend vers zro. La comparaison, qui n'est ni identification niassimilation digestive, affine l'incomparable. Commentant l'anaphore descomparatifs chez Sappho, j'avais, il y a trs longtemps, insist sur cette volontde faire ressortir l'incomparable. Voil pourquoi Breton, et les modernesdepuis Saint-Pol Roux et Reverdy, insistent sur le rapprochement : invention d'un tiers comme milieu (mdiation et lment) d'une vue qui prendensemble 1, en inventant l'aspect sous lequel deux ou plusieurs choses peuventtre rapproches: mtonymie grce la mtaphore. Le pome propose unepossibilit. Il tend le possible sur et dans le monde - expansion des chosesinfinies.L'tre qui ptit sa propre transcendance

    La puissance logique - que j'appelle potique - du langage ordinaire dus'entendre-dire humain n'est pas assez forte, d'un degr pas assez lev (plusbrivement, il n'y a pas de mta-langage capable de relever et subsumer lelangage sous un clairage autre que celui qu'il reoit et rpand) ; pas assezpuissante, dis-je, pour formuler ce qui le rend possible; pour exprimer sesconditions de possibilit en d'autres termes que ceux de ce qu'elles rendentpossible.

    Dehors du dehors ou dedans du dedans < interior, intimo meo ,saint Augustin) : de tels redoublements tentent une sortie . Je veux direcherchent saisir la vrit-de. Par exemple, la vrit du dedans, le cur de lachose dont il s'agit, etc. - et disent en mme temps le schmatisme spatiali-

    1. Sum-bafl et sum-Iambtm en grec.

    De la foMe mystiquesant de la pense, qui ne peut dire a (ce qu'elle vise) que par emprunt de lachosalit (aspectualit, quasi-visibilit, phnomnalit de l'inapparent). Onentend dans ces expressions le dsir de perce du langage hors du langage,mais qui ne peut rien d'autre que a : frapper coups redoubls (c'est le coupdu gnitif) sur une enceinte - elle-mme insituable, ou sans verso. C'est soninfirmit qui lui permet de dire son infirmit. Otez toute chose que j'y voie,dit le mystique. ceci prs que, alors, no n seulement il n'y a plus rien voir,mais il n'y aurait plus aucun voir du tout, ni de l'tre - pas mme rien.Cependant, cette puissance logico-potique se dit comme si elle se voyaitd'Ailleurs; survalue < gonfle , si je puis me permettre de faire usage de lalocution populaire: gonfler un moteur ) cette porte de premier degr, ou puissance prochaine sur les choses (Merleau-Ponty), qui est la sienne enattribuant - c'est son illusion d'optique constitutive, son mirage, sasuperstition - une vision suprieure, une sur-vue de sa vue, sur la vue, cequi la rend capable de voir: une origine sur-naturelle en gnral, une sourcedivine . Disons, en extorquant Malebranche ce qui lui revient et ne luirevient plus: une vision en Dieu 1.

    Devenant capable d'autocritique, c'est--dire de se comprendre en retraant cette illusion constitutive, il lui faut en rabattre, en revenir, de cettecroyance en une voyance divine, expliciter le caractre simplementmtaphorique , ou imageant, ou figurai de sa perspicacit: sa vueperante est celle qui lui donne (la doue) de s'envisager dans le mme mouvement qu'elle envisage. La rflexion de l'autoportrait (autoprosopope : estce un mot convenable ?) ne dcouvre aucun autre secret ni aucune autre puissance que celle de se voir comme un autre, comme tout autre, et tout autrecomme soi-mme. Vue per speculum et in aenigrnitate : sa teneur en comme-siet en comme, ou, si l'on prfre, son ressort ana-logique et tout ce mouvement ascendant (vers le sublime ) ne sont pas porter en ne-que aucompte d'une vue qui ne voit pas encore foce foce, selon la promesse de saintPaul. Notre voir n'est pas que prmices d'une vision face face .Il n'y a pas de puissance logique dfabule < dsaffuble , dirait Ponge),dpouille (dpouillable) de sa puissance parabolique, qui dirait la vrit dulangage parabolique de premire puissance, depuis l'essence des conditio ns depossibilit du logique enfin rvle. Mais revenir sur terre depuis un ciel la fois dmystifi et conserv en comme-si, c'est prolonger le mouvementd'une couque kantienne qui surveille et reconnat le procderschmatistique du Dire, ou du langage en langue(s). Sans jeter le bb potique avec l'eau du bain critique, sans renoncer l'entente de ce pouvoir

    1. Voici Malebranche rsum par Vigny (disait Jean Beaufret) : Son Verbe est le sjour Je nos intelligencesComme ici bas l'espace est celui de nos corps. "

    La raison potique

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    potique mtaphorant ou imageant, qui est la seule vrit de cette surqua lihcation transcendante illusoire en laquelle croit la surexcitation mystique.De la tolrfInre

    Je le dis maintenant selon une autre intrigue.Ce petit individu rleur, ce triste sire monologuant dans la rue, que je

    croise, qui me toise, me rduit un point matriel gnant de son monde,en mme temps que je l'annule dans le mien. 11 me voit sans me voir - et rciproquement. Je suis petit objct de son point de vue, parmi le reste. Car pourvoir ce qu'il voit comme il le voit comme il se doit, la synopsis de son survolou surplomb de regard humain" non animal, tout ce gue le cognitivismeneuronal autopsie en termes de cerveau, comporte cette croyance en la surpuissance sublime de sa vision, ou vision-en-Dieu ; ou point de vue hors univers. Et, de mme que Jean Delay rendait compte de la mmoire en termesd'une hirarchie de trois fonctions mnsiques , disons que la vision denotre regard peut tre dcrite - ou, si vous prfrez, fabule - comme uncarchitecture triple tageant le voir des yeux organiques, le survol-surplomb deRaymond Ruyer et l'omnivoyante providence du tout, ou monde.Je reviens mo n historiette. Lautre est un quasi-rien objectif dans mo nmonde. Je suis un rien sous son regard divin. Chacun est centre du tout poursoi et rien pour l'autre: un animal . Nous partageons cette suprioritabsolue - sans la partager. Elle nous inclut-exclut, nous interdit l'identihcation (ou obstrue et diffre l'empathie ), mais pas l'assimilation: un quilibre que par la rHexion je peux rtablir. Cette rflexion-ci.

    Comment, alors, sachan t cela mme, c'est--dire conscients, pouvons-nousconvivre, lui, moi, now> .. . de telle sorte que nous puissions tre ensemble ?Car il s'agit de se tolrer. Tout ce que nous pouvons obtenir ensemble, c'est un Je tolre que tu ". La tolrance se fonde ici, dans cette exprience de l'oscillation extnuante de l'annihilation de l'autre (c'est le fameux Je n'en vois pasla ncessit de Talleyrand) la com-passion fraternisante. La tolrance n'estpas un vague effort psychologique, facultatif et palliatif, mais l'optimum dansl'ordre des conditions de possibilit chrement penses et formulables enaxiomes thiques et juridiques (

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    Ne va point exiger de quiconque qu'il adopterelie ou relie croyance.

    CHRISTIAN GUF/-RICORfl

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    Il m'est arriv de faire la connaissance de Christian Guez dans les annes1960 l'cole Bossuet, rue Guynemer Paris, o, lve d'hypotaupe Louisle-Grand, il tait interne, et o je faisais passer des colles de philosophie auxprparationnaires.

    Christian Gabrielle Guez Ricord est mort. Et c'est ce est mort , si bouleversant pour les survivants, qui nous recueille. Ca r quand on parle d'unegnration disparue il y a longtemps, depuis toujours , on ne di t pas, onn'annonce pas que Pierre ou Paul ou Christian est mort. Mais de lui, dont jepuis dire, dont je suis en train de dire que je l'ai connu, si ce mot a un sens,c'est la nouvelle d'un tat qui nous arrive, et nous parvient nouveau cet t,et dont nous pouvons lire presque chaque page de ses crits la pense qu'il enmditait, et qui peut nous secourir. Qu e veut dire son tre-mort pour nous? Ildisait: La mort n'est pas le contr aire de la vie, elle est comme la vie un tat. Ou Mettra: Peut-tre le pote est-il le seul aimer la mort, aimer la lunenoire, la lune absente, c'est--dire le miroir teint, le miroir de l'art des alchimistes, le miroir o se rflchissent toutes les figures mais le miroir teint.

    Nous lisons dans La Secrte: Je ne mourrai pas parce que tu auras t maseule mort. Ou : La mort est une architecture, celle o le pass et l'avenirrvent sans la coupure de ce monde olt seul le prsent semble rel 1

    Certes, la rptition de citations ne suffit pas, chacune reste secrte ,comme leur collecte en livre. Ce qui veut dire que si nous pouvions suivreassez mditativement cette pense de la mort - ce tte mort en pense - nousaurions reformer la suite de ce pote qui en est l'Ange, une pense trscomplexe. La posie n'est pas pense thologique ni philosophique, et Guezen tait bien conscient. Dans son entretien avec Mettra, il dit: Je ne parlepas en thologien, mais en pote , ou bien ailleurs, La question de l'me,qui n'est pas celle de l'tre, attend son Heidegger. La pense potique a doncsa logique, rigoureuse, sa membrure, trs porteuse comme une aile d'angeimmense qu'il dessinait. Et il ne suffit pas d'tre effleur avec plaisir par sonaile euphonique eurythmique comme cet aprs-midi peut-tre par les citations pour la comprendre. Le souffle, le dplacement, de cette aile superfi-

    1. ra Secrte, Saint-( :Imcnt, Ella Morgalu, l ' lX'l.

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    La raison potique la mmoire d'un {mge

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    veut, de son discours, nous stupfie parce qu'on dirait qu'ils obissent unrgime (suivant un cours ininterrompu) qui est celui de la perception: la description peut se prolonger indfiniment suivre l'inpuisable {( rel , aucuneexhaustion discursive ne peut tarir l'infinit phnomnologique. Or, on diraitque le voyant suit d'un regard que nous devons bien appeler intrieur une ralit qui n'est pas offerte aux yeux mais est pour lui quasi visible. Ce ne sontdes vrits de fait relevant de l'exactitude, ni des lments dans l'ordre dusavoir augmentant l'archive de ce qu'il faudrait maintenant savoir sous peinede n'tre pas de ce temps. O et en quoi se tient cette vrit qu'il rapporte , eton dirait en effet qu'elle est de l'ordre du tmoignage, ({ ayant vu quelquefois ceque l'homme a cru voir ? Une quasi-intuition d'un quasi-factum prsente son me ce qu'un autre ne voit pas et peut tenter de comprendre parconfiance et imagination. La phrase fraye une vrit dans l'ocan du possible, dans l'immense, elle f ind la dmesure du dicible, elle opre un sillagesur lequel le lecteur se retourne. Je me reprsente l'Ange, scribe ou dicte ur, la proue peut-tre comme celui de Walter Benjamin, oprant, ouvrant le futurde dos, et nous, retourns, c'est--dire tournant le dos cette proue et fixssur ce sillage pour en induire mentalement (c'est ma ({ lecture ) la direction(le repre, ({ l'toile , et-on dit au XVI' sicle) droutante suivie par le potequi, n'tant pas le philosophe ni le croyant, ne peut tre prcd, prvenu, pasmme escort.La phrase opaque brille d'une lumire qu'elle reoit ct qui lui donne le durclat translucide d'un bne ou d'un basalte qui rverbre - qui rverbre unesource que nous ne percevons pas, mais qu'elle atteste. (Et, la fin des fins,pour J'agnostique, le respect de la foi en tant que foi d'autrui est une foi: lafoi en autrui. Comment un homme aussi pleinement humain que celui-cipourrait-il ne pas rvler sa manire le partage humain ?)

    Dans l'infini des prdications possibles (x est y), un sillage, un sillon, itrable jamais (en droit), oracle du dire, est trac.La phrase fraye quelque chose qui est appel devenir une vrit par Il'reste de l'uvre et le commentaire. Qu e soit ce que je dis; performatiftrange, un peu du type de la bndiction ou de la maldiction, ou comme lamenace qui accumule l'orage qu'elle annonce. trange ({ sanctionpragmatique , irrfutable parce que hors rfutabilit - ({ infalsifiable

    Il y a toujours du malentendu dans la ({ rception d'un pote, et, pour cequi est de celle de Christian Guez, que nous esprons ici favoriser, il se pourrait que sa relation aux critures en tant que saintes ait donn croire qu'iltait contemporain de l'absolu littraire et de cet usage intransitif d'crire quis'tait rpandu (peut-tre depuis l'invention de Paludes par Andr Gide). Cl'n'est pas le mme absolu, me SUIS-Je pns un instant songer. Mais comme

    nOUS ne savons pas quel prdicat convient l'imprdicable absolu, je ne peuxcertes pas dcider si ce n'est pas ({ le mme . Aprs tout, c'est lui, le pote, quidcidait de sa parent, et ses rferences au contemporain, ce n'est pas nousde les projeter dans son dos. Je me rappelle cette lettre Jabs o je crois quela densit des propositions qui prennent Dieu pour sujet est plus forte quepartout ailleurs dans ses crits, et o je ne peux rien {( reprendre parce queles phrases qui prennent Dieu pour sujet n'ont pas de sens dans ma tte ,mme s'il leur en reste un dans ({ mon cur . ({ Silence sur Dieu est (< mo n injonction.

    Qu e ce soit un mme mot qui dise l'intimit et le repli de l'oraison et lemouvement oppos de l'orateur, la qumande et l'exotrisme de l'orateur,nous indique que c'est le rythme de la pense dans une mme page, un mmeouvrage, d'osciller de la mise au secret, o elle se replie, au dsir d'treentendu, la requte du commun. C'est pourquoi, quel que soit le malentendu , ce n'est pas usurper que, parlant en premire personne, de parler lapremire personne du pluriel. Il ya un nous, qui est peut-tre celui de gnrations ({ contemportlines , malgr les ges diffrents, en ceci qu'elles meurentdans le mme sicle.

    J'entends - nous entendons - la fraternit dans cette belle page:({ Qu'aurons-nous fait? Et ne sachant o nous avons crit, o est le lieu deslettres et de ce qui est crit, nous nous saluerons ainsi la croise des routes,solitaires, changeant l'eau et le sel, dans la halte des plerins. Nous ne nousreverrons sans doute pas, chacun se sentant attendu par le monde de sondsir, qu'il doit rver, btir lui-mme, sueur et sang jusqu' s'apercevoir quetoute uvre n'est que le plan d'une prire qui sera ou non exauce. Nous quimangeons les livres comme d'autres jadis mangeaient l'anctre pour qu'il nemeure pas, nous attendons le fait alors que sans cesse c'est nous qui l'auronsdit et dans l'Indfini Absolu qui aura t notre vocation nous nous souviendrons de ce moine qui disait: "Vous les potes, vous imitez le Pre, moij'essaye d'imiter le Fils, mais regardez ces amoureux dans l'alle des orangers,eux ils imitent le Saint-Esprit." Parler de - et pour - quelqu'un, c'est exposer, quelque peu, avec pudeur,une relation devant des autres, tmoins alors de ce tmoignage, qui on parle.Les termes de la relation se mettent en scne, et celui qui parle se professe,non pour se mettre en avant, bien sr, mais pour inter-esser les autres larelation, leur favoriser une relation cette relation (la relativiser ). Moi, lehassable selon Pascal, doit donc se produire en s'effaant mme. Et je le dois la fidlit de notre change, c'est--dire au questionnement sur la posiepuisqu'elle tait ce que nous pensions avoir en commun, son nigme donc; etque peut-elle donc lui tre pour que des tres aussi diffrents s'entretiennentpar elle, leur comme-unit? II y a du croire en tout cela. Quel croire requiertl'exercice de patience? Sans croire le mme, y a-t-il quelque caractre du

    La rtlison potique la mmoire d'UN lmge

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    croire requis par ce que l'appellation de posie" voque, invoque, qui sansleurre ni quivoque assemble des diHerences si fines ct si fortes, tout ce que lapuissante compassion de la page que je viens de lire appelait monde dudsir de chacun?

    Parlant en premire personne, donc (du pluriel !), et ne croyant pas que lenom ni l'uvre crite de Christian Guez doivent fire l'objet d'une convention hagiographique, trop vague pour cc que sa pense avait d'articul, derigoureux, de passionn ct d'rudit, j'voquerai encore - avec votre permiss ion - deux ou trois rencontres, accords, points de tangence, courts-circuitspeut-tre lectriques, ct qui seront comme de brves variations sous exergues,injonctions de sa pense. Un mot cependant sur notre convention ici, et cetaccord pralable qui pourrait - non illgitimement - runir non pas seulement une multiplicit, celle-ci, mais une multitude.

    Ce que nous respectons, et admirons, et vnrons de toute manire, et jedirais a priori pour ceux qui ne connaissent pas les pomes ou les ouvragesde Christian Guez, c'est l'preuve, la douleur et - quelle que soit l'hsitationavec laquelle je reprends ce terme si multivoque - le sacrifice; si, par l,j'entends l'entiret de l'attention tourne vers ce que la traduction vanglique appelle Unum neceSStlrium (( Une seule chose est ncessaire ), ctPosie est un des noms donns cet Unique, simple et complexe (simple parl'unicit du trait dterminant l'appel et la rponse l'appel, ou vocation , etcomplexe parce que aucun aspect de l'existence ni aucune difficult du pen-sable, dans le dtail du savoir et du questionnement, ne lui sont pargns). Etj'ai indiqu qu'il ne me semblait pas inconvenant d'appeler .folie - dans unetradition, aussi, apostolique - ou dmence, ce terme beau comme un nompropre, que nous ne devons dnier ni de Holderlin ni d'Artaud - folie, donc,cette lvation ou assomption progressive, cette absorption de tout l'tre, dehaut en bas (cette simplification ultime, do nc, si l'on veut) par l'Unique.

    Hegel parlait d'une ruse de la Raison, l'chelle de la phnomnologie del'esprit , c'est--dire l'chelle historique dont les Acteurs ou Actants, les Figurants , sont moins des individus que des peuples ou des ides, desgrandes phases du Sens - supposer que l'Histoire ait un sens, par une ptition de principe. Appelons ruse de la folie , l'chelle d'un destin, cetteruse mdiatrice qui ne prend pas parti de fire la part, le partage d'un ct ctde l'autre, par exemple l'alternance de rendre Csar et de rendre Dieu.Mdiatrice parce qu'elle relie, et sans interruption, ne jouant pas le jeu dutour tour du sacr et du profane. Et comme Valry disait qu'il n'y a pas de dtail dans l'excution pour un architecte, signifiant par l que tOIl!compte, galement crucial , nous savons qu'il n'y a pas de dtail dans laVie mystique.

    Elle est la double vue qui distingue et articule les deux plans de vision, lesdeux versions du pli dont la pliure est au secrer, en retrait des ailes dis-

    tinctes du pli, vers l'unit de quoi elle remonte plus amont que le discoursde la vue ordinaire, cherchant nous y exercer raide de comparaisons familires , du connu vers l'inconnu. Tout bit sens pour elle. Le pli du cielet de la terre, mais aussi de la f()rme et du contenu, du formalisme et du thmatique, de ma vie et de la Vie - de la minuscule et de la majuscule duMme, et c'est peut-tre elle qui a invent la majuscule. Cette folie" cite,juge, rapproche, traduit les versions l'une dans l'autre, dam les deux sens,recoud, capitonne, rgle le change, le flottement des disparits.Guez serait notre Nerval, si l'poque tait encore capable de cela. Elle nel'est pas. La'uvre de Christian Guez demeurera un trsor, pour beaucoup -c'est beaucoup, c'est peu. Elle est immense, en grande part indite, nonencore reconnue (et, je le crois donc, mconnaissable), qui va de ce trs grandpome de jeunesse dont il capturait la dmesure par une mesure f()rmelle spciale invente, de vingt et un pieds deux csures, jusqu' ces tercets, cette couronne ", dont Bernard Mialet m'crivait l'ordonnance et la proportion:

    144 tercets------- X 4 tomes,4 par pageen se demandant quel diteur pourrait prendre en charge le recueil; sansomettre l'ardente et multiple correspondance aux amis.

    En maints endroits, pour ne pas dire chaque page, Christian condenseune force affirmative originale - ct communicative, comme si Dire c'taits'efforcer que se communique quelque chose d' la tais ineffable ct fable, deparadoxalement ingal au discours et entirement ordonn la parole - .. .condense donc sa croyance, la croyance de ce CROIRE qui le Elit tre. Parexemple, dans le texte intitul L'Ange et lHte affirmant que les trois confessions monothistes peuvent formuler toutes les trois cette postulationunique qu'if n'y a de Dieu que Dieu et l'homme est son pote ", o on entend lerythme coranique de l'affirmation. Le pote est donc un homme qui parmiles hommes dit que l'humanit de l'homme, quelle que soit l'invraisemblableindnombrable diversit des destins, est essentiellement pote de Dieu" ;O on entend que pote est substitu prophte et que tout homme (et passeulement un lu) peut se faire rvlateur d'une rvlation" qui passedonc par son pome . Ce qu'aucune orthodoxie (a fortiori si elle est intgriste ,,) n'admettra. Mais si je m'y attarde c'est que, ne partageant pascette croyance, je dois me demander ce que je partage avec sa croyance, etprendre en mmoire plutt ces accords tacites" pareils aux poignes demains qui se serraient, o se llliellt donc ride de la posie, le sens de l'Un,la traduction des religions/langues .. . et quelques autres secrets.

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    LI rflison potique

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    errantes maintenant comme des morts sans spulture, inapaiss inapaisants. IIy va de la prennit de la fb!e (Jean Starobinski), et de la communautd'appartenance une culture prculturelle qui permettait nagure encore notre multitude de lire les grandes images des peintres et de reconnfltre engnral les artefacts de leur monde: annonciation, incarnation, sacrifice,scnes de Cne, dposition, lvation, rsurrection, dormition .. . [inventiveprofanation potique, la gniale simo nie du religieux, convertit l'incroyableen rvlations de la profondeur de la vie (Baudelaire) dans le royaume terrestre jusqu' la fin du monde , convertit le mmorable immmorial enreprsentations immanentes ]'exprience quotidienne, en pomes (si ]'onveut bien entendre ce mo t comme s'il tait forg sur le modle de mythme,philosophme, smme .. ). La prvoyante improvisation potique cite notreordinaire comparatre la clart du mmorable dans une transfigurationrciproque de la configuration invente de choses nouvelles et de la figurationhrite. La justesse de la proposition faite par un ouvrage de posie offre aujugement d'y reconnatre une figure inespre et attendue. a peut resservir etnous faire servir quelque chose - supposer qu'il y ait encore des choses, c'esttoute la question.

    Je remplis d'un beau non ce grand espace vide

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    La pause se mesure au temps de ma dterminat ionConseille, mon rve, que faire?Rsumer d'un regard la vierge absence parse en

    cette solitude et, comme on cueille, en mmoire d'unsite, l'un de ces magiques nnuphars clos qui y sur-gissent tout coup, enveloppant de leur creuse blan-cheur un rien, fait de songes intacts, du bonheur quin'aura pas lieu ct de mon souffle ici retenu dans lapeur d'une apparition, partir avec: tacitement, endramant peu peu sans du heurt briser l'illusion nique le clapotis de la bulle visible d'cume enroule ma fuite ne jette aux pieds survenus de personne laressemblance transparente du rapt de mon idalefleur.Si, attire par un sentiment d'insolite, elle a paru,la Mditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie,tant pis pour cette indicible mine que j'ignore jamais! car j'accomplis selon les rgles la manuvre:me dgageai, virai et je contournais dj une ondula-tion du ruisseau, emportant comme un noble u f decygne, tel que n'en jaillira le vol, mon imaginaire tro-phe, qui ne se gonfle d'autre chose sinon de lavacance exquise de soi qu'aime, l't, poursuivre,dans les alles de son parc, toute dame, arrte parfoiset longtemps, comme au bord d'une source fran-chir ou de quelque pice d'eau.

    STPHANE MALLARMf .

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    J'accomplis selon les rgles la manuvre , di t Mallarm 1. Il nommecette opration suggestion .

    La dernire phase du Nnuphar blanc rpond la question que s'adresse lescripteur: Conseille, mon rve, que faire? La rponse, l'avant-dernierparagraphe, s'nonce en deux infinitifs: Rsumer et partir avec!

    Le pome opre le rapt de [son) idale fleur . Le pome est un rapt russi- au prix de ne rien emporter; surtout pas une femme.

    Mais avant d'en suivre en dtail!' opration, cette remarque: le pome enprose alterne des paragraphes narratifs - une douzaine, mais ce compte n'estpas sr - et des scansions interrogatives ou assertives (( Qu'arrivait-il; OL!tais-je ?/toute je l'voquais lustrale/le pas cessa, pourquoi? il). Les scansionsse remarquent et leur brivet et leur rflexivit en premire personne;sortes d'aparts du sujet de l'nonciation ou du narrateur-scripteur. Les morceaux digtiques leur relative longueur et un caractre descriptif, quandbien mme subjectivs. Le finale - riche de deux paragraphes que mon proposici est d'ausculter plus attentivement - se fait prcder et prparer par deuxlignes distinctes, insularises sur la page. Cune - la pause se mesure autemps de ma dtermination - articule les deux derniers actes de ladramaturgie: cette conclusion d'une part, que je vais lire, avec le prcdentalina d'autre part, strophe OL! le sujet (c'est je qui parle, en effet) appellediscours ce que nous venons de lire; discours, dit-il, que je tiens pour n'trepas entendu , dans l'accord intuitif de son oue et du sable entier quis'est tu . La pause alors, cette audition monologique qu'il nous raconte semesure, l'indicatif prsent, , et avec, le temps; de son tre-dtermin ous'tre-dtermin, ou rsolution .

    Puis s'entend cette injonction interrogative que j'ai lue au dbut: Conseille, mo n rve, que faire? qui est grammaticalement trangepuisqu'elle nous semble enchaner un impratif-vocatif (( conseille , mon

    1. TOUICS les cil,llions rfrent Mallarm, (Eul'I'n compltes, Paris, Callimard, coll. Bihliothque de la Pliade ", 1992. En celte prcmire occurrence, Le Nnuphar blancp.286.

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    La raison potique Je remplis d'un beau non ce grand espace vide

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    Quelle solitude! dis-je en pntrant l'pais de la fort, ou en gagnant le clarifi du dsert, ou en surplombant le dense du fleuve .. . C'est un tat del'ensemble; un dans-l'ensemble objectif Non pas une humeur.En l'absence, di t la locution; qui fait de l'absence un milieu tel qu'on peuty tre, dans sa rpartition rarfiante. Il tut foire cet en l'absence , commeon dit faire-le-silence. Pour pouvoir bnficier de sa grce; grce sonabsence ; pour tre graci par l'absence.. .Grce l'absence de la femme, en son faillir tre l. Il s'en est fall u de .. . ?Mallarm (ou le pote comme on dit dans le cas d'un pome, mme enprose) dtermine la manuvre. De quoi il s'en est fallu pour qu'elle tilltparatre. Comment donc mnager cette absence au plus prs (

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    prtendant se dvorer alors qu'ils n'en font rien. Mais signifie que l'amour estcomme 1.

    Revenons au rcit. Il s'agit que n'apparaisse pas une ,femme; ce qui est diffrent d'une disparition. Est-ce cela suggrer, ce verbe de l'oprationmallarmenne ? Non pas de suggrer un lecteur , opration secondaire.Mais de suggrer la chose dont il s'agit. Autosuggestion, si l'on veut. Soit sesuggrer, mais ici , objectivement. Quelle est l'objectivit potique, justement, c'est la question. Accomplir selon les rgles la manuvre : nombrede propositions, d'une part, appartiennent la narration et, de l'autre, enmme temps on t une valeur de gnralit pour la potique. Double sens, sil'on veut, si manuvre rfre au dramage de la yole et la totalit de l'activitpotique dont il s'agit; soit au faire un pome en prose . Plutt donc quedouble-sens, je parlerais de porte allgorique : l'expression dit une choseet une autre chose.

    Le pote narrateur se prive de la renco ntre effective pour entrer dansl'exprience de la quasi-rencontre ou quasi-apparition. Quitter le voir pour lecroire-voir, qui est un voir-comme, ou un voir l'avoir-I'air d'une chose - pouruser d'un syntagme proustien. Cet avoir-l'air qui est un avoir-I'air--la-foisde-ceci-et-de-cela, c'est--dire une semblance.

    - .. . ni que le clapotis [ .. ] visible .. . Le ni que explicite le jeu de l'illusion. La phrase alors dcrit, priphrase ,

    la bulle irise que forme dans l'eau le bout de la rame: bulle-boule qui ressemble la fleur; qui fait la fleur; de la fleur.

    Le pome n'est pas une relation qui rapporte; une description qui metsous les yeux un objet absent. Il est un faire-comme. Il fait la fleur avec cequi fait la fleur au sens o on dit ne fais pas l'enfant . Il compose un nnuphar blanc . Le bouillonnement d'clats qui simule le nnuphar,entrant dans la sphre de la semblance (ou comparabilit; ou aspectualit ; ouair; ou puissance de comparution) de cette fleur, redouble une fleur qui pourrait tre jete aux pieds de la personne; mais qui - nous di t la phrase - ne serajete aux pieds d'aucune femme, mais aux pieds de toute dame qui, lectrice, est arrte parfois et longtemps comme au bord d'une source franchir ou de quelque pice d'eau .

    Rien n'aura eu lieu - que le lieu de cette suggestion ; c'est de n'avoir paslieu qui permet l'offrande d'offrir une absence de fleur une absence de

    1. Le mystre de la thologie de la transsubstantiation, c'est qu'elle pense la manducationde " communion ), comme celle du corps (Corpus Chrti). Et quel est le sens de tre dans le" Ceci est mo n corps" ) I:hostie est et n'est pas le corps du Christ, cette proposition n'est pasrecevable au thologien, parc

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    puissance de la ngativit, la force de l'rlbdicrztio!l 1 se communiquent toute,les propositions incluses emportant comme un nohle uf de cygne"(s'entend: une espce d'uf de cygne, nohle progniture de Lda) tel que I I ljrlillim le vol - tirant le fil de l'isotopie intertextuelle nous remonteriot1,jusqu'au transparent glacier des l!o!s qu i n'ont pasfi ". Le vol qui n'a pas fuiest le vol rv, si le rve est l'un dcs noms dc la manceuvre " dont jc cherclh rctracer la possibilit (l'inchoativit ou rminisccnce) : j'ai rv la femmc, Iclfleur; ct commcl1( tire durer cc rvc au prsent de son effort, et da m l'appareil du scribe Il .

    Un autre bonheur a licu de ne pas avoir lieu sur le modc habituel heureuxde l'apparition. Sans doute tut-il quc de la rencontre doxale ait lieu, ait culicu, ct continue d'avoir licu dans l'exprience pour quc le procs retrac dt'son ne-pas-avoir-lieu soit intclligible, en tant que disparition loClltoire ') dl'la chose, que sa mutation en mtaphorc(s) Il , ait lieu: le Rve (

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    attend d'tre leve la dignit/fonction d'un existential, mode-d'tre humain ; partage commun.Par la fiction.De la rime

    Relisant rcemment le Selon Mallarm l de Paul Bnichou et telle page, parexemple la page 277, qui commente le sonnet de 1887, Tout orgueil fumet-il du soir. .. , je remarquais que son attention au mo t console (le dernier dupome), applique dcrire ce petit meuble avec marbre, ne comportait pasde dveloppement sur le sme de la consolation. Or, non seulement la grammaire ne s'oppose pas ce que le dernier mot du pome ait la valeur d'unverbe, la troisime personne de l'indicatif prsent, avec la fulgurante "pour sujet (mme si, bien sltr, cette piste smantique n'offre gure de sens nid'intrt), mais quand bien mme cette lecture serait impossible (au semd'une impasse mdiocre dans le labyrinthe), elle rpond au fait que tout lecteur francophone entend la consolation dans console, surtout quand ils'agit d'un pome la mort et du deuil. .. Labsence de consolation rsonneautour du terme de console, qui est prcd, treize syllabes plus tt, par langation (( ne - console). Car bien des mots tiennent en rserve un effetd'allgorie dans l'paisseur de cette homonymie (si je peux dire), que recleleur tymologie, disant en effet autre chose (all-gorie) en mme temps que la chose qu'ils semblent dire univoquement; ce sera le procd de Raymond Roussel - mais c'est d'abord le procder du pome, ou rime. Et peuttre mme peut-on parler d'un effet d'oxymore ", si le mme (un motici) en vient se scinder sous la lecture jusqu' faire intervenir l'ideantonyme: son envers, son autre. Ici l'inconsolable sous la console. Le versla prtrition d'un envers.De l'chec

    Mallarm nous a appris nous dgager de l'acception simple, doxale, de langativit. Il n'y a pas d'chec de Mallarm. Il n'y a d'chec que gnral, celuide tout , que ce mot (( chec ) assigne de son geste large, qui subsume etsubjugue toute opposition relative entre russite et chec . chec et mat. ..Geste de la fameuse sentence mallarmenne : rats, nous le sommes, toUS ;ou celui de cette formule dfinitivement antinomique, intrinsquementcontrarie (mais non empche), que je risque alors: la posie est chec lavictoire de la mort.

    1. ['aris, Callilllard, 1

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    fines entre des genres trop spars, jusqu' maintenant, par les lI1strumellt

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    hil'n l le reproche ordinaire fit la posie et son ohscurit (mme "l'exemple que je choisis est trs [trop ?] simple). Comme si le rgime ordinaired'un terme, d'un verhe par exemple, lui prescrivait l'entourage restreint deses complments hahituels : on coullre.. . le silence, ou le toit, notamment, cten quelques items on a fit le compte de ce qu'on peut (et doit seulement) couvrir n. tusage potique consiste donc en une ahstraction , c'est--diredans l'lvation du mot la puissance de sa notion, espce de sme le plll\gnreux (gnral), de manire tendre, augmenter, son rgime, sa suzerainet, la cour de ses complments, si vous voulez, travers le dictionnaire. Etvoil maintenant qu'on peut couvrir des jaillissements C'est ce qlllj'appelai ici la multiplication de l'isotopie. l> action restreinte du pome estillimitante. Quant au passage la ligne (alina), si, plus has, sur la mmepage, nous lisons cette ligne isole, d'un htiment , nous demandant pourquoi, je ne rflchirai pas ici ce qui commande l'autarcie relative de cetteligne, l'arbitraire de l'isolation qui tient la dcomposition de l'Ide en sesaspects suaves, mais je ferai cette remarque:

    Comme on le sait, le Coup de ds s'est hanalis : quelques annes plus tard,ddramatis par Cendrars, si je puis dire, cela va donner la disposition scalairedu prosaque; jusqu' ce que (c'est maintenant) n'importe quelle phrase deprose ordinaire, dcoupe la ligne selon (par exemple) l'autonomie relative d'un groupe isol par l'analyse logique, obtienne sa place dans lehlanc. (Et, pour finir, c'est la syntaxe qui est confie au blanc, souvent par desauteurs qui couvrent ainsi leur ignorance dans l'emphase muette dusilence .. . !) La postrit du Coup de ds est la publicit journalistique.Du toast

    Hante par l'lvation (qui, dans le rite catholique, tourne les offrandes versl'Absent), l'opration implique un rassembler (composer, d'un geste de bouquet, qui discerne ct recueille) ; un porter gloire (exalter, ciseler, lever) ; unoffrir alors, un retourner au rien; pour rien. Il absente pour rendre l'Absence.

    Rien , on le sait, chez Mallarm oscille entre le Rien et ce quelque-chosequi-n'est-rien, un rien. Cc n'est rien, dit-on pour dire quelque chose. Rien, cette cume .. Or, s'il s'agit de proportionner sa vie au nant parl u ure, tche mallarmenne (c'est une des propositions qui peut sc tirer dufameux la destruction fut ma Batrice ), alors je dirais que le Rien, qui estun des noms du Tout (

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    c'est pleurer ,) - grce Henri Mondor (grces soient rendues HenriMondor, et aux tomes de la correspondance). pleurer d'admiration et dl'respect et de sympathie, devanr la rigueur, la fidlit, l'insomniaq ue laboration du grand calcul potique, la douce et implacable nergie du dsespoir ",dans l'amiti, l'amour, la scrupuleuse fraternit humaine, la lucidit sans lemoindre ressentimenr, la dvotion (pour reprendre un mot Rimbaud,non Tartuffe) l'Ide de la posie. Tout ce quoi je ne veux faire allusiol)que par un biais: celui qu'il prend dans son autoportrait en Edgar Poe si j'ml'dire. Et si nous redoublons d'attenrion pour le fmeux donner un sens plmpur aux mots de la tribu (ce ne sonr pas d'autres mots, pas d'autres phrase"pas un autre parler, il n'est pas besoin d'une autre linguistique pour s'cnapprocher; rien d'autre que notre idiome, et non pas une langue spciale),c'est qu'aujourd'hui une menace sans prcdent pse sur le s'enrre-parler deshommes. Rsister, selon un motif insistanr aujourd'hui, c'est construirequelque chose qui rsiste, pour que a rsiste .

    Au muse d'Orsay, l'occasion de l'exposition du Cenrenaire (1998) nousdonnait de recevoir le Coup de ds, uno intuitu, dploy sur les murs d'unesalle, nous enveloppanr.

    C'est la chambre des cartes, la chambre du commandant, la chambre dunaufrage. Celle de l'homme seul et nu, mettanr sa position, seul sous bastres, avec rien d'autre pour se reprer, pour rpondre la question O estcelui qui y est? que le se-dire de sa pense en langue maternelle. S'agit-ilencore de cela avec la posie?

    Paul Celan, 1990

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    Si nous ne fisons pas de la mort des Dieux Uilgrand renoncement, er une perpruelle victoire surnous-mmes, nous aurons payer pour cerre pene.

    NI":rZSCHI

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    LfI mison potiqueOn dit aussi de telles vies qu'elles sont exemplaires ; oui, elles rassem-

    PauL Celan, 1990

    encore plutt que en troP ; de l'tre s'ajoute nous, subsum sous un

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    blent leur temps; elles en deviennent une allgorie, et sans doute aUCUllechronologie en gnral, aucune computation par sicle et par gnrations ne serait possible, n'aurait de sens, de figure reconnaissable, mmorable, si un pote n'avait .fait son temps, si les artistes ne faisaient leurtemps. L'uvre ici, objet d'intenses rptitions (ce qui s'entend dans tousles sens du gnitif), de citations et de rcitations, ct qui voit se dtacherd'elle comme son cur et comme le pflr cur d'une poque quelques pomesanthologiss, acclams, l'uvre crypte notre histoire, la guerre mondiale ctl'extermination, fuite et dportation, le gnocide et la menace atomique,l'empire dfinitif et effrn du rgne de la technique , la nouvelle aubede l'toile de David et la catastrophe de la fin de la Rvlation. De quelleforce inoue doit tre une uvre, sur quel levier de douleur arc-boute(

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    dirais, donc, que la posie celanienne, transfiguration de l'exprience en sonpome, est cette prouesse des trois la proue de la posie: par la densit de sagravit; par la logique de l'algos, ou pense de la douleur; par la rfrrence, oui,autre nom de la responsabilit, c'est--dire la puissance prochaine (Merleau-Ponty) qu'exerce ce dire sur les choses du temps, de notre temps.

    Au point que la citation de Paul Celan, la rfrence insistante au modlecelanien (lequel? nous le verrons peut-tre) se multiplie, comme la cautionpour toute posie - et c'est ce modle devenu fascinant qu'Alain Badiouaimerait dposer, opration par o destituer la posie ou suture du philosophme au pome ; la citation insistante, le recours l'autorit du texte celanien, se multiplient (et je le dis sans aucune ironie) comme recours unegarantie, c'est fatal, pour les imitations nombreuses dans la production potique franaise contemporaine : intense brivet du ton, rarfaction du thmatique, effcement de l'isotopie, recherche de l'apparatre (apparence) depome par la disposition de peu de mots sur la page, phrases nominales, anacoluthes et appositions, embotements ct dislocations, etc.

    Comment un pome peut-il faire l'unanimit? Et n'y aurait-il de dsaccordque portant sur la traduction, entre traducteurs? Nous le verrons tout l'heure; y a-t-il un discord plus secret entre lecteurs-traducteurs?Est-ce la difficult du potique, que le pome de Celan exalte par une hautefusion de contrarit des contraires, qui, exposant son irrductibilit danscette uvre, dfiant, comme on dit, l'explicitation, rassemble plutt les lecteurs en tant que traducteurs, en tant que vous une mme tche?

    Au plaisir de la reconnaissance de la semblance, de la semblance des choses,par la mdiation du pome (de l'uvre) qui les rend bien , plaisir traditionnel du Ah ! C'est bien comme a ? qui caractrisait la lecture jadis etnagure, s'est substitu, pa r un dcalage, un plaisir, trange et grave, de reconnaissance de l'criture potique; et de reconnaissance aussi en ce sens que,grce elle, la reconnaissance trop immdiate de ce qui parat (le phnomne ) est diffre, suspendue.Pourtant je crois bien que c'est toujours, mme si plus difficilement, lamme loi, loi de reconnaissance de la figure si vous voulez, qui fait la loi; maisque Ce (le neutre; cela .. . ) qui serait reconnatre est devenu mconnaiss able;et que ce dont le pome dit que c'est comme a (avec ou sans comme )et qu'il figure ou constelle (Lichtzwang, op. cit., p. 95 : lentement/affouillepar le sang/se configure/rarement promise/du ct droit/la vie/voisine ), estdfigur mais non a-figurai, et que l'obscurit est celle des temps obscurs (darktimes) qui reoivent claircissement de leur obscurcissement (Lichtzwang)de cette uvre, de telle uvre, entrant dans leur nigme, c'est--dire dans leurfigurabilit.

    difficult . Dit en d'autres termes: un pome attend. Il attend de repasserau mridien ; c'est--dire de recou per une circonstance; n de la circonstance en tant que nomination, [)ocatif transformant - et cryptant , en cettemtamorphose o il aime se Crher, sa circonstance -, le pome attend d'trecitable, de repasser la verticale d'une circonstance analogue o il serarecitable en clair, c'est--dire clairant une circonstance et clair par la circonstance, bouclant du sens, son sens, dans cette boucle anniversaire . Lepome attend l'anniversaire et les anniversaires qui lui redonnent du sens.(On se rappelle les belles pages du Shibboleth o Jacques Derrida parle de telanniversai re.)

    C'est une pierre d'attente; en attendant , on lui fait confiance grce salgende; il repose ct se rserve dans la lgende, protg par la croyanceconfiante en sa porte claircissante, celle qui jettera une lueur sur l'vnement, ct l'vnementialit de ce qui arrive .

    Et qu'arrive-t-il quand un pote - une uvre - devient ponyme (Celanpour l'Allemagne et l'Europe; Pessoa pour le Portugal ct l'Europe .. . ; etquant la possibilit d'une liste, d'une squencc ou numration de NomsPropres, je ne serai pas en dsaccord avec Alain Badiou - mme si le compten'est pas faisable). La transaction incessante entre les textes et les circonstances, biographique , fait de la lgende, c'est--dire aussi de l'obligation lire, citer, se reconnatre - la microscopique biopsie des traces d'vnements de la vie ), et la scrutation du contexte historique retracent ce que j'aiappel, citant Mallarm, l'change d'une rciprocit de preuves . Et l'onsait qu'alors l'interprte (

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    vocables, opaques par densit, surdtermination, extrmes, qu'il faudrait dsintgrer pour pouvoir exploiter leur nergie. Et l'opration analytiquedu lecteur-traducteur est comparable (soit dit comme une fable) celle del'astrophysicien, gnticien ct gnalogiste d'une Cration qui tient paralliage des inverses (matire/antimatire; spins adverses) ; c'est comme sil'atome de po me (du syntagme la strophe, au recueil) tenait par l'attract ionoxymorique de signes opposs: de sa dsi ntgra tion, l'analyste attend unenergie norme, une raction en chane ".

    Ellipses, lisions, csures, et la double opration de former par agglutination (embotemen t, emboutisse ment, apposition) et de disloquer l'ainsiagglutin par une coupe, une alination ; d'inciser la soudure par 1' ellipsetranchante , de circoncire le verbe dirais-je en citant nouveau le Shibboleth de Derrida. Et, de mme que, pour acclrer l'effet de vitesse au-del duperceptible, le film passe au ralenti l'effrnement, ainsi, pour faire entendreune possibilit encore inoue de la langue, le pome passe l'inaudible lacsure et l'enjambement, ralentit" la foudre de l'agglutination.

    Et, si le jeu de la Dis/Jonction nomme le jeu de posie, alors c'est, considr du point de vue formel, une nouvelle phase, plus ardue, plus intense,plus risque, de l'eXprience du langage dans la langue que le pome celanienporte, plus tendue, vibrante, la phrase - l'exprience de la langue toujoursaussi po tique, ou littraire, que philosophique , et, si je cite cette formule deJacques Derrida (Schibboleth, p. 80), c'est l'intention de ceux qui tranchentle philosophme du pome.

    Cependant, l'itration, ce trait le plus structural, et en mme temps le plusentendu, du potique, n'est pas absente; mais frquente: c'est celle du motrepris, voire comme un refrain (ce qui veut dire rebrise) , tel ce MesdamesMessieurs du Mridien, ou bien ce souffle entrecoup, ce retour du souffleessouffl qui se fit entendre dans l'Entretien sur la montagne en mme tempsque la parole dite, comme quand la respiration scande, excessive, plus sonore,le souffle coup.Maints poticiens, maint