Cosmopolites et enracinées - Notes d'Analyse Géopolitique n°28

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  • 8/6/2019 Cosmopolites et enracines - Notes d'Analyse Gopolitique n28

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    Cosmopolites et enracinesDes entreprises pour agir efficacement dans un monde pluriel

    Exit le rve dun monde plat ! Le succs global exige des firmes quelles

    prennent en compte la diversit et la distance plutt que de chercher les

    liminer, crit Pankaj Ghemawat dans un rcent article de la Harvard

    Business Review. Pour ce professeur de management stratgique dorigine

    indienne, lavenir nappartiendra pas aux firmes agissant de faon globale et

    indistincte mais celles qui, prenant en compte lexistence de diffrentes

    cultures, nations et civilisations parviendront devenir rellement

    cosmopolites. On ne saurait mieux illustrer la ncessit, pour les dirigeants

    et managers, de recourir la gopolitique pour piloter avec finesse leurs

    organisations.

    Peut-tre pensez-vous qu lheure de la globalisation, une compagnie vritable-ment globale na pas de port dattache? Si tel est votre avis, vous le partagezavec 48 % des managers interrogs ce sujet par la Harvard Business Review. En re-vanche, vous ne serez pas approuv par Pankaj Ghemawat. Bien quemblmatiquedun monde interconnect,- il est dorigine indienne,enseigne Barcelone et publieses analyses dans la Harvard Business Review-, ce professeur de management strat-gique sest fait une spcialit : dmontrer que Thomas Friedman (et bien dautres)avait tort de clbrer lavnement dun monde plat.

    Un monde dans lequel les diffrences comptent

    Dans une rcente tude, ce thoricien la clbrit croissante estime que lheure estvenue pour les managers de raliser queles diffrences ont encore de limportance. Uneconviction quil taye par une rapide fresque gopolitique et goconomique dumonde actuel : Une croissance dsquilibre,grle par la dtresse financire. La menacedu protectionnisme ravive par la persistance dun chmage lev, particulirement dansles pays dvelopps. Les tensions, dans les nations riches comme dans les pauvres, pro-

    pos des diffrences ethniques, religieuses ou linguistiques, et la crainte dune nouvelle rede scessions et de tribalisme.Voici quelques vnements contredisant le discours auquelnous nous avons t habitus : celui dcrivant des marchs de plus en plus intgrs sejouant des frontires, des technologies abolissant la distance et des gouvernements natio-naux dpasss.

    Comprendre Les Enjeux Stratgiques

    Note hebdomadaire danalyse gopolitique

    de lESC Grenoble. avril 2011

    28

    CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n27 - avril 2011 - www.grenoble-em.com - 1 -

    Par Jean-Franois

    Fiorina

    Directeurde lEcole Suprieurede Commercede Grenoble

    CLES

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    La ncessit, pour les managers, dun retour au rel

    Pour Pankaj Ghemawat , les managers ont la vision brouille par des prsuppossidologiques. La plupart des crits managriaux sur la globalisation conomique adop-tent lidal des Lumires propos par le philosophe Emmanuel Kant, dabandonner touteallgeance la nation, la race ou lethnie en faveur dune citoyennet mondiale.Unexemple ? Le livre de Kenichi Ohmae, gourou du management stratgique, dcri-vant dans son ouvrage The Invisible Continent, un monde dans lequel lconomie et lesentreprises ignorent les frontires. Des idaux et des visions que Pankaj Ghemawatjuge bien sr sduisantsmais aussi parfaitement errons. Si bien quil estime

    urgent que les managers reviennent au rel et rflchissent ce que signifie rellementtre un manager ou une firme globale. Un travail de rflexion ncessitant, selon lui,den finir avec le mythe fort rpandu de lentreprise sans racines.

    Les entreprises aussi ont des racines

    Contre une certaine vulgate managriale, Pankaj Ghemawat affirme que la grandemajorit des entreprises sont profondment enracines dans leur pays natal. Et de don-ner quelques chiffres relativisant lmergence de firmes ncessairement globales : En 2004,moins de 1 % de lensemble des entreprises amricaines taient prsentes ltranger et,parmi celles-ci, la plus grande partie nagissait que dans un seul pays tranger. Enfin, dans60 % des cas, ce pays tranger tait le Canada et dans 10 % des cas, le Royaume-Uni.Certes, mais quen est-il des firmes qui se signalent par une implantation dans denombreux pays ? Ont-elles galement des racines ? Oui, rpond Pankaj Ghemawaten prenant le cas de News Corporation, la compagnie de tlvision par satellite du

    clbre magnat de mdias Rupert Murdoch. Un bon exemple, car Rupert Murdochse veut lui-mme un citoyen du monde. N australien, il a ainsi pris la nationalitamricaine pour pouvoir acheter un lot de tlvisions aux tats-Unis. Son groupe estun acteur majeur du secteur des mdias aussi bien en Australie, quaux tats-Uniset en Grande-Bretagne. Mais, souligne lauteur, son exprience travers les pays an-glophones ne la pas empch de commettre quelques normes bvues en Asie.Ainsi, ta-blant sur le fait que ses cibles asiatiques parlaient langlais, il a lanc une chane dontles programmes taient raliss et diffuss dans cette langue de faon pouvoir trecoute dans toute lAsie. Or, ce fut un chec, car les auditeurs prfrent les conte-nus diffuss dans leur propre langue, mme lorsquils comprennent des langues tran-gres.

    Les parties prenantes des entreprisesconservent des identits

    De la sorte, Pankaj Ghemawat avance un point majeur de son argumentation : Il nya pas que les entreprises qui restent profondment enracines. Cest galement le cas desgens qui sont leurs clients, leurs employs, leurs investisseurs et leurs fournisseurs.Et dedonner quelques chiffres lappui de cette remarque : 90 % des habitants de la pla-nte ne vont jamais quitter le pays o ils sont ns, 2 % de la dure des appels tl-phoniques passs dans le monde sont internationaux, 95 % des informationsobtenues par les gens proviennent, au niveau mondial, de sources nationales, seuls 5 10 % des dons privs aux organismes de charit traversent les frontires Si bienque, pour Pankaj Ghemawat, ne pas prendre en compte la persistance des ralitsnationales et des spcificits culturelles de leurs parties prenantes constitue, pourles entreprises, une erreur stratgique majeure. Selon lui, dans le choix des marchsquelles ciblent, les entreprises ne peuvent sen tenir aux critres tels que la taille dumarch ou sa croissance. Elles doivent aussi sinterroger sur limpact des distances :

    la distance gographique bien sr, mais aussi la distance linguistique et culturelle. Atitre dexemple, il estime quune firme peut avoir intrt choisir un march detaille plus rduite quun autre en raison de considrations linguistiques ou cultu-relles.

    Lindispensable recours une gopolitique des affaires

    Il ne faut donc pas croire que Pankaj Ghemawat prne un quelconque repli sur lesmarchs domestiques. Bien au contraire, son objectif consiste donner aux diri-geants et managers quelques cls pour mieux russir linternational. Le succs glo-bal, estime-t-il, exige des firmes quelles prennent en compte la diversit et la distanceplutt que de faire comme si elles nexistaient pas ou chercher les liminer car nier lesidentits ne les rend pas plus faciles grer.Selon lui, le modle davenir est donc celui dune firme la fois enracine et cosmo-

    politecapable dvoluer avec aisance dans les diffrences zones culturelles o ellesouhaite simplanter. Il ne sagit pas l dune recommandation abstraite. Trs concr-tement, il suggre ainsi que les entreprises dmultiplient les initiatives permettant leurs dirigeants et managers de prendre la relle mesure de la diversit du monde,

    En 2004, moins de 1 %

    de lensemble des entreprisesamricaines taient prsentes

    ltranger et, parmi celles-ci,

    la plus grande partie nagissait

    que dans un seul pays

    tranger. Enfin, dans 60 %

    des cas, ce pays tranger

    tait le Canada et dans 10 %

    des cas, le Royaume-Uni.

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    Le succs global exige

    des firmes quelles prennent

    en compte la diversit

    et la distance plutt que

    de faire comme si elles

    nexistaient pas ou chercher

    les liminer car nier

    les identits ne les rend

    pas plus faciles grer

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    par exemple, en privilgiant les expatriations de longue dure sur les missionscourtes ltranger. Lobjectif ? Abandonner la fiction dun monde plat, uniforme etlisse pour dcouvrir combien nous vivons et vivrons encore demain dans un mondepluriel. Tel est galement le but que nous poursuivons en dispensant aux tudiantsde lcole suprieure de commerce de Grenoble, un enseignement de gopolitique :aider les managers de demain voir le monde tel quil est pour sy intgrer avecplus daisance. Car les grands systmes simplificateurs ont un dfaut paradoxal : ilsrendent les choses plus compliques apprhender.I

    Pour aller plus loin : The Cosmopolitan corporation, par Pankaj Ghemawat, Harvard Business Re-view, mai 2011.

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    EXTRAIT :

    Un monde semi-globalis - Pour chaque livre ou article que vous lirez, dcrivant un monde plat, vous pouvez en lire unautre mettant laccent sur lmergence du capitalisme dtat et la rivalit conomique entre la Chine, lInde et les tats-Unis. Onne saurait mieux souligner que le monde nest ni une collection de nations autonomes, ni parfaitement plat mais quil est semi-globalis. Dans un tel monde, le cosmopolitisme enracin est un objectif plus raliste et utile que la volont dtre apatride.Pan-kaj Ghemawat, Harvard Business Review, op. cit.

    Comprendre

    Les Enjeux StratgiquesPourquoi CLES ?Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager les

    stratgies adquates.

    Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguerdans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunits

    voluent sans cesse.

    Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-

    vient la performance.I

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