Claude Nougaro, Plus Que Chanteur, Musicien

5/3/2014 Claude Nougaro, plus que chanteur, musicien

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Claude Nougaro, plus que chanteur,musicienLE MONDE | 05.03.2014 10h12 Mis jour le 05.03.2014 10h15 |

Par Francis Marmande et Vronique Mortaigne (/journaliste/veronique-mortaigne/)

Le 4 mars 2004 mourait Claude Nougaro (h ttp://w w w .n ou g a r o.com /) , emport

74 ans par une maladie d'poque, le cancer. Il n'avait pas aim l'cole, ni le

solfge. N Toulouse le 9 septembre 1929, il avait t lev par ses (bons)

grands-parents tandis que son pre son gniteur , si craint, si admir

mourait en scne en chantant de dramatiques opras longueur de saison

lyrique. Sa fille Ccile, objet de la chanson, voudrait ancrer son pre

Toulouse. Elle a achet une pniche, la Santacnox, pour en faire, sans doute

en 2015, une Maison Nougaro, vagabonde, au fil de l'eau.

Que nous a donn Nougaro ? Il tait un homme de choc, charbonneux ,

comme il aimait le dire. Un mineur de fond , comme il l'avait crit en

1993 en hommage, et rponse, Serge Gainsbourg dans Art mineur

(musique du Zarois Ray Lema) : Je pratique l'art mineur/Qu'a illustr le

beau Serge/Puisse-t-il sur l'autre berge/S'enivrer d'alcools meilleurs/Est-

ce bien srieux d'ailleurs/Pass les soixante berges/De pratiquer l'art

mineur/Qu'a illustr le beau Serge ?/Pourquoi suis-je et quoi sers-

Claude Nougaro, en juin 197 6. | PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS



je/Dans la mine o je m'immerge/Charbon rouge de mon cur ?/Un

projecteur sur le front/Comme un casque de mineur/Artiste mineur de

fond. On apprciera, vingt ans plus tard, qu'un monstre sacr de la

chanson franaise se soit si lgamment insurg contre l'ide que la chanson

ne pse rien dans la vie de nos socits et dans la formation de l'intelligence

individuelle.

Lire le temps fort (/a rch iv es/t em ps_fort /2014/03/03/n ou ga ro-le-poet e-

qu i-fa isa it -swin gu er-les-m ot s_4373010_1819218.h t m l) (compilation

d'archives du Monde) consacr Claude Nougaro

Nougaro tait un fils de Trenet et de Piaf, mais il avait trs tt port ses

regards sur le monde noir, sur l'Afrique, creuset des civilisations

contemporaines. Le petit bonhomme brun avait surgi d'une Toulouse

tellurique, pre cathare toulousain, mre italienne avec ascendants

siciliens . En prime, le jazz lui tait tomb dessus, via le poste de radio qui

trnait dans la cuisine de sa grand-mre. Mais, dans les annes 1950 et

1960, la France se posait encore la question de savoir si l'on pouvait tre

blanc et avoir le rythme. Nougaro rend compte de la fin d'une poque, et de

la modernit de cette transition. C'est son karma. Il y a dans tout cela une

flamme sacre. L'art doit faire du bien. La chanson rgnre, donne chaud.

Moi, je suis un archaque qui prend les mots les plus uss pour les frotter

comme des cailloux pour en faire une petite tincelle , dclarait-il au

Monde en 1994.

Des tincelles, il en a vcu. L'enfant des Minimes allait au cinma, il aimait

Tarzan. Plus tard, il croise Johnny Weismuller Los Angeles, dans un bar

spectral, la Kubrick, vieux Tarzan dchu, has-been de la liane . C'est

sans doute un rve, une presque-phobie, un rve d'Afrique mutile, chant

des Pygmes au zoo , lphants morts.



Une petite fille, la chanson qui l'a rvl au grand public en 1962, met en

scne la rvolution amoureuse de l'aprs-guerre. L'mancipation des

murs passait alors par le dvoilement : glissement des bas nylon,

dcollets en corbeille, dshabillage-effeuillage. Lui tait champion en la

matire. Comment tromper sa femme sans le vouloir, comment le regretter

en recommenant, comment tre papa en perdant des blondes et en

gagnant des brunes, etc. Le Cinma, Les Don Juan, Une petite fille sont les

textes fondateurs de cette masculinit be-bop, pas de machisme, de la

fminit, beaucoup de torture.

En 1963, il est ramass en miettes sur le bord d'une route : l'accident de

voiture fait son entre dans la catgorie des phnomnes de masse. Il

compose A bout de souffle l'hpital, adaptation de Blue Rondo la Turk,

de Dave Brubeck, image du Don Juan vivant sa vie en travelling panorama.

L'ami-admirateur de Jacques Audiberti, le chanteur l'accent caillouteux,

passait des nuits au Rosebud, Montparnasse, ou au Chat qui pche, le club

de jazz de la rue de la Huchette, regarder ses dmons dans un verre. Il

avait un sens aigu de la jeunesse.

Il aimait le rap, parce que cet art populaire se nourrit d'une nergie

gnrationnelle. Il observait, il cannibalisait, avec une acuit aujourd'hui

absente de la chanson franaise. Ainsi, les vnements de mai 68 lui avaient

inspir un torrentiel Paris mai, plaidoyer pour la vie, qui serait interdit

d'antenne, bien que farouchement oppos la politique, cette gurite

troite, avec sa manche gauche, avec sa manche droite, ses ples

oraisons, ses hymnes cramoisis, sa passion du futur, sa chronique

amnsie .



Comme Brassens, Nougaro fait les frais d'une surdit qui, faute de mieux,

s'accroche au vertige des mots. On les entend en potes , acrobates des

syllabes, patineurs sur syntaxe, mais la musique, on n'en fait pas cas. Eux,

oui : Brassens mlodiste, rythmicien, et Nougaro, qui chante toujours si

exact. Chez Nougaro, la musique est le laser de sa diction. Quand il parle, il

chante. S'il surjoue, il joue. Fara C., l'une des plus subtiles connaisseuses de

la musique africaine et du jazz, dit son propos on croirait l'entendre lui,

Nougaro, accent et scansion compris : En ces divers courants musicaux

qui, par l'effervescence cratrice, ont exorcis les affres de l'esclavage, le

gamin au cartable bourr de coups de poing reconnat la trace de son

exil. Le Ngre cathare profre sa colre qui se niche l'hmistiche, instille

un swing inou la langue franaise, conte les tragiques destins de gosse

de bidonville, de looser Dans sa faon de chanter, on sent, l'instar des

bluesmen amricains, le muscle, le souffle, la sueur, tout la fois l'pret et

l'exaltation de l'existence. Comme eux, son gnie crateur transmue la

douleur intrieure en jubilation partage.

On y ajoutera ceci : sa conscience de fils de pianiste professionnelle et de

baryton connu aura aiguis sa soif de musique. Nougaro se remet mal d'tre

un cancre en solfge. Il s'adaptera donc. Comme d'autres fous, saintes,

philosophes entendent des voix, lui il entend des mlodies. Il les fredonne

l'oreille des compositeurs (Michel Legrand, Daniel Goyone, Maurice

Vander, Jean-Claude Vannier, Christian Chevallier, Marcus Miller pour

Nougayork). Eux se chargent d'habiller son chant le chant, c'est de la

chair qui pense .

Claude Nougaro se produit au Thtre de la Ville de Paris, le 30 octobre 197 3. |

AFP



Ce qui est bien, chez Nougaro, c'est qu'il osait : il ose dire, crire, profrer

des trucs limites, des clichs, des navets. a ne lui fait pas peur, et chaque

fois c'est fort. Certaines de ces chansons fredonnes, il les cosigne. En 1984,

il endosse seul une uvre de poids, Sa Majest le jazz.

Dans une poque o les vedettes de varits traitaient les musiciens en

loufiats, Nougaro les coute, les clbre, les aime. Je ne joue pas du piano,

je joue du Maurice Vander : ce qui n'empche pas les brouilles, parfois de

plusieurs annes, idem avec l'immense Ivan Jullien, mais il reste, selon la

formule du batteur Andr Ceccarelli, le chanteur des musiciens Quand

j'entends les sempiternelles btises sur le jazz, je me dis : au moins, on a

Nougaro avec nous .

Respect des musiciens, jeu gal, conscience que rien ne spare la note du

mot : il y faut un trs grand chanteur et les meilleurs autour. Le coffret de

29 albums consacr ce troubadour, le virtuose des vertigineux (Fara

C., toujours) est orn des photos de toutes ces merveilles humaines que

sans lui le grand public ne connatrait pas : Eddy Louiss, Bernard Lubat,

Maurice Vander dans les annes 1980, le trio devient aussi clbre que le

chanteur , Baden Powell, Michel Portal, Aldo Romano, Pierre Michelot,

Andr Ceccarelli, Richard Galliano, Bernard Arcadio, Francis Lassus Mine

de rien, Nougaro fait accder la chansonnette Dave Brubeck, Quincy

Jones, Monk, Chico Buarque, Gilberto Gil, Mingus, Wayne Shorter

Veut-on du bizarre ? Lui, auteur des paroles d'une gniale guignolade de

Un portrait gant de Claude Nougaro, install depuis juin 2007 , Toulouse, le 27

fvrier 2014. | AFP/ERIC CABANIS



Suivre

Jean Constantin, bon pianiste de jazz au demeurant, Les Pantoufles papa,

il se retrouve le troubadour poignant d'un chant ddi Montsgur, Gloria.

Le thme est de Don Byas. La musique ne manque pas d'ampleur sans

verser dans l'emphase. L'album s'intitule Femmes, famines (1976). Et, tout

du long, un sax alto libre comme l'air, l'air d'voluer sur les ruines de

Montsgur tel un mouchet au chant lger, dchirant, guilleret, ct de la

plaque, parfaitement en place jusqu'aux dernires notes : c'est Ornette

Coleman, l'un des matres de la troisime rvolution en musique afro-

amricaine, embarqu dans cette pope cathare, nul ne saura jamais

comment. Toujours est-il que, surprenant et dcal en 1976, le geste a

quelque chose d'vident, de terrible et d'harmonieux. Ou plutt

d'harmolodique. L'amour musicien.

Lire aussi la prsentation du coffret hommage Nougaro et

des compilations (/cu lt u re/a rt icle/2014/03/05/le-m eilleu r-de-n ou ga ro-

en -u n -coffret _4377703_3246.h t m l)

Francis Marmande

Journaliste au Monde

Vronique Mortaigne (/journaliste/veronique-mortaigne/)

Journaliste au Monde

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Claude Nougaro, Plus Que Chanteur, Musicien