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it/ ISBN 978-2-86364-272-6SOUTO
DE MOURA
Au Thoronet, le Diable ma dit
Parenthses
Dominique Machabert
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Ouverture
EDUARDO SOUTO DE MOURA, UNE DISCRTION REMARQUABLE
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Les murs de lagence taient tapisss de projets et le visiteur
oubliant ce quil tait venu faire, les pointa du doigt. Un couvent,
dans le sud du Portugal, en Algarve, puis, ce qui semblait tre
une ville dans le dsert, le dtournrent de sa propension
tout voir et tout savoir de celui chez qui il se trouvait. Deux
projets : le chantier du premier tait en cours avec bon espoir
quil sachve bientt. Quant au second, Abu Dhabi, il tait
encore trs hypothtique, alors que des vnements boulever-
saient la rgion et nul ne savait encore en mars 2011 ce quil en
adviendrait.
Trente-sept ans auparavant, le Portugal avait connu son prin-
temps auquel on avait donn, aussi, un nom de fleurs. Mais il
tait loin, et mme si lon brandissait, chaque anne, des illets,
les rves dAvril semblaient, prsent, consomms. Le pays
senfonait dans une crise, tir par une troka qui soldait les
aspirations la prosprit qui avaient fait long feu.
La journe avait t toute autre de celle que lon suppose dun
architecte international. Et plutt que du monde, de la crise,
ou mme darchitecture et de labbaye du Thoronet, en France,
pour quoi le visiteur tait venu, Eduardo se mit parler de sa
journe Braga, des raisons familiales qui lavaient oblig sy
rendre, de sa mre.
Une vingtaine dannes plus tt, elle avait pris place lavant,
Eduardo au volant, moi derrire, un dimanche de Pques o,
pour elle, on avait fait un dtour avant daller visiter une de ses
maisons en construction, Maia prs de Porto. On lavait retrou-
ve au retour, charge de paquets. Par la fentre, un Portugal de
petites parcelles vertes enfermes dans un entrelacs de murets
dfilait, sinueux. On avait crois, au passage, foulant la pous-
sire, un prtre engonc dans la chasuble blanche des grandes
ftes liturgiques, flanqu de deux enfants de chur marchant
devant et de quatre paroissiens soutenant un dais brod dor.
Lauto, mme vitesse raisonnable avec son bord un impro-
bable quipage, dfiait lordre sculaire avec, de temps en temps,
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une curiosit dans le paysage, une architecture blanche, savante,
publie dans les revues o lon parlait de lcole de Porto, des
premiers prix et des hommages.
Rgionalisme critique avait trouv pour le dire, Kenneth
Frampton, bien inspir, un brin dandy, dcouvrant sans doute,
sur place, un paradis.
Le Portugal tait au paradis pour la critique qui lisolait ainsi
dans un statut dexception jugeant sa production inimitable.
Il tait vain pour elle, mais tord, dimaginer que puisse avoir
lieu ailleurs au monde, cette alliance pacifie dune moder-
nit critique pourquoi ne pas le dire ainsi avec des murs,
de lpaisseur, des gomtries de droites et dangles sur une
gographie ingrate, avec au milieu des animaux, des arbres,
des enfants cramponns leurs parents sur des mobylettes.
Les prtres disaient encore des rogations pour les travaux des
champs et lAvante proltarienne, poings serrs, continuait
davoir son journal.
Paradis et membre de la communaut europenne, mais sans
ltre tout fait du temps prsent. Vu de lextrieur, le Portugal
tait un paysage avec de temps en temps, sorties de terre, des
chefs-duvre.
la question du temps, Eduardo, cherchant le levier de vitesse
au milieu des paquets, se dit moderne voil tout, dsignant
devant nous qui dfilait, le pays devenu un chantier. Pays
si calme, si permanent, quaucune actualit navait troubl
avant que ladhsion ne le prcipite dans une marche en avant
cadence force, mieux quune Rvolution ne lavait fait.
Quelque chose tait en train de se passer au moment o nous
roulions sur des routes en pavs. Quelque chose dindit
lchelle du Portugal dont il rsulterait un autre pays. L, sous
nos yeux, la permanence touchait sa fin. Et Eduardo Souto de
Moura, comme neuf, y entrait de plain-pied.
Moderne lheure de la postmodernit, architecte de la pierre
quand, autour de lui, la construction smancipait aprs plus
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de quarante annes dimmobilisme, studieux avec Mies van
der Rohe et Aldo Rossi pour rfrences quand la doctrine de
lcole vacillait sur un fil socialisant, intime dlvaro Siza, mais
distance critique de son influence superbe ; Grec enfin, lheure
de la mondialisation, Eduardo Souto de Moura tait pass,
denfant du pays architecte international, sans presque avoir
chang ni boug. Entre les deux, prs dun demi-sicle tait
pass.
En invitant Eduardo Souto de Moura labbaye du Thoronet,
dj venu sur place en 2007 en ami et en compagnie de Siza,
on ne savait pas que lon invitait le laurat du prix Pritzker de
lanne qui est pour larchitecture ce que le Nobel est pour la
littrature, la physique ou la paix.
Le mme, rencontr quelques jours auparavant chez lui Porto,
avant que la nouvelle ne tombe et quil ne connaisse lui-mme
sa conscration, avait dit oui. Oui linvitation de labbaye qui
va des architectes remarquables dans la catgorie de ceux
dont une sorte de discrtion traverse luvre qui sextrait pour-
tant de son point de discrtion comme Porto. La preuve.
Le Thoronet, dans larrire-pays mditerranen, proximit
de la rivire Argens, est cette chambre dcho dun silence, pas
monacal ni religieux mais solide, rel, pais, brutal, quune
inertie irrductible travaille comme le temps sur les btiments
plus patients que lui, dirait-on.
Pour sa cinquime dition1, les Leons du Thoronet avaient
initi une nouvelle formule. Cette fois, larchitecte y serait
invit une anne durant, anne au cours de laquelle il tisse-
rait un lien privilgi et durable avec le lieu. Et cest au terme
de celle-ci quil tmoignerait de ce rapport sous la forme quil
voudrait.
Une confrence inaugurale ouvrirait la saison sur le thme que
choisirait larchitecte. Elle sachverait par la prsentation de
son travail, tmoin de sa prsence sur place, relle et en pense.
1. Les leons du Thoronet sont organises depuis 2006 en partena-riat par le Centre des Monuments nationaux, la Direction rgio-nale des aaires culturelles Rgion Provence-Alpes-Cte dAzur (Paca), le Conseil gnral du Var, la Maison de larchitecture et de la ville Paca.Les architectes invits en ont t successivement John Pawson (2006), lvaro Siza (2007), Luigi Snozzi (2009), Patrick Berger (2010), Eduardo Souto de Moura (2011).
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Cette nouveaut qui ntait que le prolongement et le cours
naturel des prcdents rendez-vous, permettait de coller davan-
tage lintention des organisateurs de faire du Thoronet une
perptuelle leon darchitecture. En y invitant les auteurs dune
uvre reconnue, pour une dure plus longue que celle qui sut
un vnement ponctuel, non seulement labbaye apparaissait
comme lieu
