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CAPITALISMES ÉMOTIONNELS Pascale Molinier et Sandra Laugier Assoc. Multitudes | Multitudes 2013/1 - n° 52 pages 159 à 162 ISSN 0292-0107 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-multitudes-2013-1-page-159.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Molinier Pascale et Laugier Sandra, « Capitalismes émotionnels », Multitudes, 2013/1 n° 52, p. 159-162. DOI : 10.3917/mult.052.0159 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Assoc. Multitudes. © Assoc. Multitudes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.73 - 24/09/2013 16h35. © Assoc. Multitudes Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.73 - 24/09/2013 16h35. © Assoc. Multitudes

CAPITALISMES ÉMOTIONNELS

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Page 1: CAPITALISMES ÉMOTIONNELS

CAPITALISMES ÉMOTIONNELS Pascale Molinier et Sandra Laugier Assoc. Multitudes | Multitudes 2013/1 - n° 52pages 159 à 162

ISSN 0292-0107

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-multitudes-2013-1-page-159.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Molinier Pascale et Laugier Sandra, « Capitalismes émotionnels »,

Multitudes, 2013/1 n° 52, p. 159-162. DOI : 10.3917/mult.052.0159

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Mineure 52Capitalisme émotionnel

Le retour en scène théorique des émotions et des sentiments (« sciences

de l’affect », sociologie des émotions, éthiques du care… ) fait mieux

voir et comprendre le phénomène de marchandisation des émotions,

ou « capitalisme émotionnel ». Le défi d’une société du care sera dans

la capacité de chacun de résister à la marchandisation, non par des formes

d’individualisme associées à la séduction marchande, mais par

la protection et le souci des autres.D

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L’apparition d’une éthique formulée d’une voix différente (Gilligan), et exprimée la plupart du temps par une voix féminine, pose de façon nouvelle la question du rôle des émotions dans la vie ordinaire. L’expansion des services à la personne donne à la gestion des émotions une dimension économique. Le care enjoint de faire pour les autres ce qu’ils n’ont pas ou plus la capacité de faire et que l’intime convic-tion, mais aussi la recherche de revenu, com-mande de faire.

Dans cette conception ordinaire de l’éthique, la morale ne se fonde pas sur des principes universels mais part d’expériences morales et de sentiments rattachés au quoti-dien qui ne relèvent pas seulement de l’action qui convient mais du sentiment juste. L’intérêt de l’éthique du care, est de subvertir des hiérar-chies bien installées, intellectuelles et sociales, et de montrer que les sentiments moraux des femmes et des subalternes en général sont une ressource morale ignorée. Les éthiques du care ont suggéré une attention nouvelle à des détails inexplorés de la vie ou à des éléments

mettant en évidence le lien entre notre manque d’attention à des réalités négligées et le manque de théorisation (ou, de façon plus directe, le rejet par la théorisation) de ces réalités sociales « invisibilisées » (P. Molinier), qui mêlent l’émo-tif aux autres relations.

Le concept de « capitalisme émotionnel » proposé par Arlie Hochschild est un apport puissant pour l’analyse sociologique et poli-tique de nos sociétés dites développées ou de consommation (voir ici P. Pharo). Le capita-lisme ne produit pas seulement des biens et des services, mais des émotions et des formes de relations où l’affectivité s’intrique avec le mer-cantile. Il en résulte des empêchements et des transformations des relations de care produites par les « débordements de la pensée mercan-tile » dans la sphère intime. Les émotions, selon Arlie Hochschild, ne procèdent pas d’un innéisme biologique ou d’une construction psychosexuelle, les émotions sont façonnées socialement au sein de relations et répondent à des règles de sentiments, à moins qu’elles ne les transgressent.

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Les façons d’exprimer le souci des autres, de leur bien-être dans les relations entre les proches se transforment sous l’effet de l’emprise culturelle du marché et d’une segmentation croissante des activités dites de services aux per-sonnes. L’exemple des promeneurs de chiens, de plus en plus nombreux en secteur urbain, est de ce point de vue paradigmatique. Nous voulons des chiens pour profiter de leur tendresse et de leur chaleur, mais nous n’avons pas le temps de nous en occuper, de pourvoir à leurs besoins de mouvements, de grand air et de compagnie. Aussi nous payons des gens pour en prendre soin à notre place. Il en résulte que la relation que nous entretenons avec nos chiens à la fois se distend (ils sont moins proches de nous) et se concentre sur des jours ou des moments qui correspondent à notre bon plaisir. L’existence de ces animaux est ainsi régie en fonction de nos agendas, de nos désirs et de notre disponibilité ; ils sont maintenus « à notre service ».

On peut remplacer « chien » par « enfant », comme le montre Arlie Hochschild à propos notamment de la sous-traitance à des anima-teurs professionnels des fêtes d’anniversaires, tandis que les consommateurs des pays riches peuvent aussi prépayer une gestation et un bébé tout fait à des femmes des pays pauvres. Nous utilisons l’expression « prépayé » parce que c’est ainsi qu’on appelle en Colombie les jeunes femmes (prepagos) qui, par exemple, financent leurs études en prévendant leurs services sexuels (on peut les appeler à toute heure sur un téléphone portable). Toutes ces pratiques sont en réalité banales ou banalisées

dans nos sociétés et c’est seulement le fait de les énoncer ou de les rédiger par écrit qui leur donne cette apparence d’inquiétante étrangeté, « l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire » (S. Lau-gier). Nous consommons des émotions et nos émotions sont consommées.

Le capitalisme émotionnel, dit Arlie Hochschild, nous entraîne dans une culture du détachement qui fait passer l’évanescence des relations et des affects pour le résultat d’un calcul rationnel de gains et de pertes. La culture du marché constitue un défi pour le développe-ment d’une société du care, et pour la capacité de chacun à résister à la marchandisation, non par des formes d’individualisme associées à la séduction marchande, mais par la protection de l’individualité et l’attention véritable à autrui.

Au-delà de ce point de vue, ou pour l’argu-menter, il est important de se demander quels types de relations nouvelles se nouent entre les gens qui délivrent du travail émotionnel et ceux qui en reçoivent, dans quelle mesure cela altère leur authenticité, en modifie les règles de sentiments, quel rôle joue l’argent dans ce type de relation, comment protéger le care de sa marchandisation : ce sont les questions abor-dées par la sociologie des émotions (Patricia Paperman). L’éthique du care nous permet une attention aux conditions de la circulation du care, entre création de citoyenneté par les liens de care (Tronto) et capitalisme des émotions (Hochschild). Le care permet ainsi d’affronter les limites éthiques et conceptuelles de la valo-risation des affects. Il montre comment le souci des autres est inséparable du souci de soi.

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