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Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le

Développement

C.A.F.R.A.D.

Centre Africain de Formation et de Recherche Administrative pour le Développement

Réflexions sur une Fonction Publique de Structure Semi-Ouverte ou Semi-Fermée pour le Burkina Faso

Par : Laurent BADO

Tanger

Maroc 2001

Réflexions sur une Fonction Publique Semi-Ouverte ou Semi-Fermée – Burkina Faso 2001

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INTRODUCTION La fonction publique, définie comme “l’ensemble des personnes physiques qui exercent leur activité professionnelle au service des administration publiques”1 a, et aura pendant longtemps encore, dans les Etats africains des tâches multiples et multiformes en raison de l’interventionnisme obligé de ces derniers dans tous les secteurs et domaines d’activités de la nation2 . En effet, “en Europe, l’Etat n’a guère créé la nation ni l’économie; situation radicalement différente de celle des pays en voie de développement d’Afrique noire où l’administration doit créer l’Etat, la Nation et l’Economie, et le tout en même temps”3 .

L’administration constitue donc la cheville ouvrière du processus de développement dans les nouveaux états. Cela a été rappelé par le Premier Ministre burkinabè dans sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée Nationale le 24 juin 1994 : <<Notre administration publique, tout en constituant l’instrument privilégié de préparation et d’exécution des politiques gouvernementales, est le support principal de la vie économique, culturelle et sociale de la nation. De ce fait, sa vitalité conditionne et détermine le rythme d’évolution du développement de notre pays>>. La vitalité de l’administration commande un personnel permanent à la fois compétent et dévoué. C’est pourquoi, dans bon nombre d’états africains, la préférence a été marquée, dès le point de départ, pour une fonction publique de structure fermée dans laquelle les agents, recrutés et formés par l’état pour acquérir les aptitudes et les attitudes, placés dans une situation statutaire et réglementaire pour faire prévaloir en tout temps et en toutes circonstances l’intérêt général sur l’intérêt particulier, sont appelés à consacrer toute leur vie active au service de l’administration. Au Burkina Faso, le statut général de cette fonction publique de structure fermée a vu le jour avec la loi 22/AL du 20 octobre 19594 . Il a régi le personnel de l’administration de 1959 à 1986. Durant cette longue période (27 ans), la fonction publique a connu deux tendances contradictoires : d’un côté, un besoin énorme de recrutement et, de l’autre, une charge financière insupportable du personnel. Le besoin de recrutement s’est traduit par une évolution rapide des effectifs de la fonction publique, notamment entre 1969 et 1972 comme l’indique le tableau suivant :

1 De Forges J.M., Droit de la fonction Publique, PUF, Paris, 1986, p. 17. 2 La libéralisation prônée par les institutions de Bretton Woods dans le cadre des Programmes d’Ajustement Structurel et qui conduit au désengagement de l’Etat n’a pas eu les résultats escomptés (Voir la Déclaration de Libreville sanctionnant le sommet des Chefs d’Etat sur la croissance et la réduction de la pauvreté du 18 au 19 janvier 2000). 3 Schaeffer E., Droit économique en Afrique noire francophone, ronéotypé, Paris, 1977, p. 4. 4 JO Spécial, n°31 du 30 novembre 1959.

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Evolution globale des effectifs de la fonction publique de 1969 à 19725

Années

Agents

1969

1970

1971

1972

%

d’augment.

En 3 ans

Fonctionnaires 7655 8564 9036 9530 24,49%

Agents temporaires 3754 3941 4305 4466 18,96%

Total 11409 12505 13341 13996 22,67%

Augment. Annuelle +9,61% +6,68% 4,90%

Source : Statistiques du Ministère de la Fonction Publique et du Travail, 1975, Ouagadougou.

La forte augmentation, dans la période considérée, a concerné les trois (3) premières catégories de la fonction publique comme en témoigne le tableau suivant :

Evolution du nombre des agents par catégorie de 1969 à 1972

Années

1969

1970

1971

1972

%

d’augment.

En 3 ans

A 243 286 293 333 37,0

B 242 309 361 365 50,82%

C 749 841 968 1150 49,54%

D et E 4574 4593 4566 4559 -0,25%

Source : idem

Cette fonction publique, quoique non pléthorique6 , était excessivement coûteuse par rapport aux ressources de l’Etat qui est l’un des plus pauvres du monde. A titre indicatif, les dépenses de personnel, limitées aux soldes et indemnités, représentaient 56,22% du budget de l’Etat en 1972. 5 Cette augmentation rapide des effectifs est due en partie à la nationalisation de l’enseignement primaire en 1969 (qui était entre les mains des missions catholiques) et la fonctionnarisation conséquente des maîtres d’écoles. 6 En effet, en 1972, il y avait un agent pour 490 habitants au Burkina Faso, contre 142 au Bénin, 136 en Côte d’Ivoire et 127 au Togo.

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En y ajoutant les pensions civiles et militaires, les contributions versées à la Caisse de Sécurité Sociale pour les agents temporaires, les charges récurrentes de l’assistance technique, le pourcentage passait à 61,50%.

Les deux (2) tendances contradictoires, observées particulièrement sous la Seconde République (1970-1974), devaient s’amplifier sous la Troisième République (1978-1980) et pour cause, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), qui fut au pouvoir sous la Seconde République avec trente sept (37) députés sur les cinquante sept que comptait l’Assemblée Nationale et renversé le 8 février 1974 pour dissensions internes par les militaires (Gouvernement de Renouveau National), était revenu au pouvoir grâce à une coalition7 avec le Parti du Regroupement Africain (PRA). A la conquête d’une nouvelle légitimité et d’une paix sociale de plus en plus menacée par le chômage croissant des jeunes intellectuels8 , il multiplia les recrutements à la fonction publique. L’administration, face à un secteur privé très embryonnaire, devenait ainsi “la première industrie” du pays. C’est ce qui explique qu’à la chute du régime le 25 novembre 1980, les dépenses du personnel, limitées aux soldes et indemnités, représentaient 62,51% du budget de l’Etat.

La fonction publique, devenue pléthorique, budgétivore et peu productive, allait connaître de profonds bouleversements à l’avènement du Conseil National de la Révolution (CNR) le 4 août 1983. Pour réduire les dépenses de personnel au profit des dépenses d’investissements d’une part, pour accroître la productivité des agents et combattre le laxisme, la gabegie et la corruption d’autre part, le CNR prit un train de mesures révolutionnaires : licenciements9 et mises à la retraite d’office de 2311 agents civils, réduction des indemnités, blocage des avancements, traduction des agents coupables de détournements, de gabegie, d’enrichissement illicite devant les Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR)10 , institution de Comités de Défense de la Révolution (CDR) dans les administrations11 , création de Conseils Révolutionnaires de Discipline12 , et édiction d’un nouveau statut général des agents publics avec la Zatu13 n°ANV- 011 bis du 25 octobre 198614 . Ces mesures, en dépit de leurs inconvénients sociaux majeurs, ont permis aux agents de redécouvrir le sens du service public et de l’intérêt général. Le renversement du CNR par le Front Populaire le 15 octobre 1987 devait remettre en cause ces acquis. Le nouveau régime d’exception (1987-1991), après avoir mis fin aux licenciements, dégagements et mises à la retraite d’office et édicté un autre statut général de la fonction publique avec la Zatu AN-VI-008 du 25 octobre 198815 , relança les recrutements par concours directs : 1384 recrutés en 1989, 1093 en 1990 et

7 Le RDA ne comptait plus que vingt huit (28) députés sur les cinquante sept (57) de l’Assemblée et le PRA six (6) contre douze (12) précédemment. 8 Jusqu’en 1975, les candidats à la fonction publique titulaires de la licence étaient recrutés sur titre pour leur formation initiale à l’ENA. Le concours a été introduit à partir de 1976. 9 Les motifs de licenciement étaient variés : propos subversifs ou anti-CDR, attitude réactionnaire, hostilité ouverte à la révolution, incapacité de suivre le rythme de la révolution, comportement contraire aux idéaux de la révolution, anarcho-syndicalisme, intoxication, populisme, obstruction à la marche radieuse de la révolution, etc. 10 Créés par l’ordonnance 84/CNR/Pres du 30 janvier 1984, Ministère de la Justice, la Justice Populaire au Burkina Faso, 2ème édition, Imprimerie Nationale, 1986, p.23. 11 Décret 84-216 du 8 juin 1984, JO du 14 juin 1984, p.545. 12 Ordonnance 84-025 du 8 juin 1984, JO du 14 juin 1984, p.540. 13 Zatu est le terme révolutionnaire de la loi ou de l’ordonnance. 14 JO du 30 octobre 1986, p.787. 15 JO du 26 octobre 1988, p.990.

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1277 en 1991. De ce fait, la fonction publique, qui comptait 29687 agents en 1987, a vu ses effectifs s’élever à 33518 en 1990, soit une augmentation de 12,90% en trois (3) ans. Du même coup, les dépenses de personnel par rapport aux dépenses d’investissements, d’équipements et aux transferts en capital sont passées de 49,41% en 1987 à 56,04% en 1988 et à 56,70% en 198916 : la fonction publique burkinabé était redevenue pléthorique et budgétivore. Mais à partir de 1991, de nouvelles perspectives allaient se dessiner avec la restauration de la démocratie (constitution de la Quatrième République adoptée par référendum du 2 juin 1991) concommittamment avec l’entrée du Burkina Faso dans les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) : sous la pression des institutions de Bretton Woods, le gouvernement adopta un plan d’action de modernisation de l’administration en juin 1991 en vue d’accroître son dynamisme et son efficacité. Par la suite, une Conférence Annuelle de l’Administration Publique (CAAP) fut créée par décret 93/004 du 2 février 199317 pour coordonner et suivre la réorganisation et l’adaptation constante de l’administration. Ces mesures, accompagnées d’une politique d’incitation au départ volontaire à la retraite, ne réussirent ni à arrêter la pléthore18 , ni à insuffler aux agents le sens du service public et de l’intérêt général. Un changement de cap était devenu inévitable. Il fut annoncé par le Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale mentionnée plus haut : “Mon gouvernement entend engager une lutte sans répit contre le laxisme, la fraude et la corruption... Dans cette optique, il mettra en place les cadres réglementaires et juridiques permettant de rappeler à tout un chacun le sens du pouvoir mandaté...”. Ces cadres réglementaires et juridiques ont vu le jour en 1998 : loi 013/98/AN du 28 avril 1988 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique19 ; loi 020/98/AN du 5 mai 1998 portant normes de création, d’organisation et de gestion des structures de l’administration20 ; décret 98/372 du 15 septembre 1998 portant normes d’élaboration des programmes et rapports d’activités dans les services publics21 ; décret 98/373 du 15 septembre 1998 portant généralisation des manuels de procédures et tableaux de bord dans les administrations publiques22 .

Avec la loi du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique, le législateur burkinabè entend renoncer à la fonction publique de carrière dans un avenir proche. Il a institué, pour une période transitoire, un système dualiste ainsi entendu : “le système dualiste permet de faire la transition entre la fonction publique de carrière et la fonction publique de métier. Pour cela, il est préconisé que le système de carrière soit graduellement restreint à certains emplois (exemples, les emplois des deux hiérarchies de fonctionnaires, A et B). Ces emplois comprendront les agents qui formeront le noyau dur de la fonction publique (pas plus de 10 000 agents au maximum). La majorité des agents de la fonction publique (2/3) seront pris sous un système des emplois régi par une réglementation souple et simple (contrat de travail) permettant une grande mobilité23”. Autrement dit, la fonction publique instituée par la loi du 28 avril 1998 juxtapose le système de carrière devant concerner un tiers des effectifs appelé à occuper les emplois permanents de l’administration et le système des emplois devant concerner les deux tiers des effectifs appelés à occuper, pour un temps donné, des emplois permanents ou non

16 Statistiques établies par la Direction de la solde et de l’ordonnancement en 1991. 17 JO du 4 février 1993, p.215. 18 Il y a eu 2122 recrutés en 1992, 2284 en 1993 et 3559 en 1994. 19 JO Spécial N°01 du 25 juin 1998, p.12. 20 JO Spécial 01 du 18 juin 1998, p.5046. 21 JO Spécial n° 07 du 21 septembre 1998, p.2. 22 JO Spécial n° 07 du 21 septembre 1998, p.3. 23 Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, Eléments d’une stratégie visant

à introduire une fonction publique à régime de gestion dualiste (carrière et emplois), Ouagadougou, 1995, p.13.

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permanents de l’administration sur la base d’un contrat de travail, “ce système contractuel présentant l’avantage d’effectuer une épargne annuelle de 750 millions de francs CFA sur les dépenses du personnel par rapport au système actuel du fonctionnariat24”.

A l’analyse, le législateur burkinabé recherche la flexibilité et la productivité. S’il est conscient que la fonction publique de structure fermée se concilie difficilement avec ce double objectif, il semble en revanche accorder à la fonction publique de structure ouverte un préjugé favorable que les réalités locales ne sont pas prêtes de partager. A la vérité, les objectifs de flexibilité et de productivité, dans le contexte burkinabè, ne peuvent être atteints avec les deux (2) grands modèles de fonction publique connus; il faut un troisième modèle, à savoir une fonction publique de structure semi-ouverte (ou semi-fermée25) qu’il convient d’abord de justifier (I) avant de dégager le contenu et les conditions de mise en oeuvre (II).

I - Justification d’une fonction publique de structure

semi-ouverte ou semi-fermée

En Occident, le développement a été moins l’affaire de l’Etat que de l’initiative privée. L’Etat s’est cantonné longtemps dans son rôle de gardien de la paix. Il n’est intervenu dans le domaine économique que parce que contraint par les guerres et les crises modernes ou comme arbitre ou régulateur d’intérêts économiques antagonistes. L’Etat africain au contraire a été interventionniste par naissance et par vocation car, “devant la carence en hommes et en moyens du secteur privé national, il ne restait, pour promouvoir le développement, même économique, que l’Etat et son administration26”.

L’administration de l’Etat africain se déploie dans une atmosphère de champ de bataille. Pour réussir ses entreprises, elle doit disposer d’un personnel à la fois productif et peu coûteux. C’est ce paradoxe que ni la fonction publique de structure ouverte, ni la fonction publique de structure fermée, ne peuvent efficacement résoudre : l’une et l’autre son inadaptées au contexte local...

A - L’inadaptation de la fonction publique de structure ouverte

La culture est pour toute société humaine un élément de vie et une source de puissance. Elle en sécrète les institutions publiques. Ainsi, la fonction publique de structure ouverte est un pur produit de la culture américaine27 . Aux Etats-Unis en effet, le citoyen est très attaché à la liberté et à l’égalité. L’idée d’être indéfiniment lié à son employeur, qu’il soit public ou privé, est perçue comme une atteinte à cette liberté. De même, l’idée d’un corps de travailleurs mis à part dans la société est perçue comme une atteinte à cette égalité. En conséquence, la fonction publique est considérée comme un métier à nul autre pareil. Le travailleur vend donc à son employeur, public ou privé, sa spécialité, sa technique, ses habiletés. Comme souligné par Grégoire R, “l’attachement à l’établissement où il sert, qu’il soit privé ou public, ne peut guère exister... On y passe indemne, on ne s’y attache pas, pas plus qu’à Ford ou à Shell. Un individu qui sert l’Etat est aujourd’hui 24 Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, op. cit, p.14. 25 Et non de structure moitié ouverte (ou moitié fermée) comme celle prévue par la loi du 28 avril 1998. 26 Schaeffer E, op. cit, p.5. 27 Ce modèle de fonction publique se retrouvait aussi dans l’ex URSS mais avait un fondement politico-idéologique. Pour Lénine, “tous les citoyens deviennent travailleurs et ouvriers d’un même syndicat étatique populaire” (cf oeuvres, t.21, p.440). L’Etat soviétique, aux dires de Langrod G, s’oppose par principe à tout isolement du corps de ses fonctionnaires par rapport au reste de la population, à tout privilège devant servir à la séparation et à la différenciation de la caste des fonctionnaires. Il s’agit au contraire de faire contrôler le corps des fonctionnaires par les citoyens, par l’opinion publique, par la presse, par les syndicats, par le parti unique, en le soumettant ainsi à la société tout entière (cf Langrod G,le fonctionnaire soviétique, Revue administrative, 1951, p.17).

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fonctionnaire parce que passagèrement et pour un intérêt immédiat; il utilise sa spécialité dans le cadre de l’administration. Demain, si cela se présente, il décrochera pour suivre sa chance ailleurs, sans se préoccuper de ce qu’il abandonne28 ”.

Cette mentalité américaine a coïncidé avec le rôle effacé de l’Etat, car, au début du 19ème siècle, l’Etat américain gérait peu de services publics. L’emploi public apparaissait alors comme une récompense politique29 , d’où la mobilité du personnel, l’absence de statuts, de carrière et même d’organisation centralisée. Les recrutements dans la fonction publique ont commencé dès lors à s’opérer exactement comme dans le secteur privé : inventaire des besoins, comparaison entre eux des postes à pourvoir en vue de leur hiérarchisation et de leur équivalence, description des emplois, de leurs caractéristiques et de leur niveau de rémunération, détermination du profil des occupants; par la suite, l’administration suscite les candidatures par des annonces dans les journaux. Si les candidats dépassent le nombre de postes à pourvoir, il est procédé à un test psycho-technique de sélection à l’issue duquel les candidats retenus sont nommés, soumis à un stage probatoire, puis confirmés à leur poste sans pouvoir y être titularisés : ils pourront être remerciés à tout moment tout comme ils pourront quitter leur employeur public au gré de leurs intérêts.

La fonction publique de structure ouverte a les avantages incontestables de la simplicité, de la souplesse gestionnaire, du coût réduit, de la bonne rentabilité et de la bonne insertion des agents dans la nation. Ce sont ces avantages qui séduisent le législateur burkinabé. Mais à l’analyse, ce modèle de fonction publique n’est pas transposable au Burkina Faso pour des raisons socio-économiques d’une part et politico-administratives d’autre part.

1°) Les raisons socio-économiques

La transposition du modèle de fonction publique de métier au Burkina Faso ne sera pas seulement néfaste à l’action de l’administration : elle sera même pratiquement impossible.

Elle sera néfaste à l’action administrative pour l’un de ses inconvénients majeurs qui est l’instabilité du personnel. En effet, la fonction publique de métier va et vaut avec un pays où l’Etat ne joue fondamentalement qu’un rôle d’arbitre ou de régulateur d’intérêts opposés. C’est le cas aux Etats-Unis d’Amérique où le rôle de l’Etat consiste à protéger les droits légitimes de chaque citoyen, à stimuler, pour le bien de tous, les activités de chacun en mettant autant que possible à sa disposition les moyens d’appui à ses initiatives, à coordonner les efforts de chacun en vue d’obtenir des résultats économiques globaux bénéfiques pour tous. L’Etat américain, placé au-dessus des clans, des factions, des couches, groupes et classes est un arbitre; il est le point de rencontre de toutes les oppositions locales, régionales, politiques, économiques et même religieuses; il doit donc coordonner, concilier les contraires, harmoniser les oppositions pour une vie normale de la nation. Contrairement à l’Etat européen qui peut être amené à suppléer la carence de l’initiative privée et contrairement à l’Etat africain qui est contraint de se substituer à l’initiative privée absente, l’Etat américain n’a pas besoin d’entreprendre pour satisfaire les besoins du public, la liberté individuelle et la recherche du bonheur étant les principes de cohésion de la société proclamés dans la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Dès lors, il n’a pas

28 Grégoire R, Revue administrative, 1950, p.544 et s. 29 La fonction publique était si inféodée au parti au pouvoir que le changement de majorité entraînait le changement du personnel administratif; cette pratique, connue sous le nom de “Spoil System” a été initiée par le Président Jackson, développée par les Présidents Polk et Buchanan; il a fallu l’assassinat du Président Grasfield par un courtisan en 1883 pour que le Pendleton Act de cette année y mette fin.

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besoin d’un personnel permanent pour animer, impulser, la vie dans tous les secteurs de développement. De ce fait, le fonctionnaire américain n’a pas le sentiment d’être au service d’un quelconque intérêt général : il suit ses intérêts; il vend sa spécialité qui est pour lui un moyen de gagner sa vie.

Au Burkina Faso, l’Etat est un Etat-gendarme, un Etat-développeur (réglementation des activités privées), un Etat-entrepreneur (création de services publics industriels et commerciaux) et un Etat-providence. Il est sur tous les fronts, notamment le front économique et social. L’action de son administration s’inscrit dans la durée : il faut concevoir, élaborer, exécuter, contrôler et faire le suivi, tirer des bilans. La continuité de son action implique donc la permanence de son personnel. Sa recherche de l’intérêt général implique à son tour que ce personnel permanent soit habité par le sentiment élevé de servir le bien commun, d’où son acceptation de sujétions particulières inconnues des travailleurs du secteur privé.

En définitive, l’instabilité du personnel et l’absence du sens du service public propres à la fonction publique de métier auraient pour conséquence, dans un pays comme le Burkina Faso classé par le PNUD au 172ème rang sur les 174 pays en développement en 1999, la primauté de l’intérêt particulier sur l’intérêt général et la fin de la notion de service public qui est le seul lien entre l’Etat moderne burkinabé et les 90% de ruraux pauvres, encore rivés à la tradition.

Mais, non seulement la fonction publique de métier serait néfaste à l’action administrative, mais encore, elle serait pratiquement impossible à instituer. Et il y a deux raisons à cela. La première est qu’elle présuppose un système d’enseignement général très développé, doublé d’un système d’enseignement technique ou professionnel très diversifié. En effet, dans la fonction publique de métier, le candidat à l’emploi public comme à l’emploi privé se présente avec ses titres et diplômes qu’il a lui-même acquis à ses frais. C’est un spécialiste et non un généraliste, formé pour résoudre des problèmes techniques et non pour gérer des hommes. L’administration doit donc pouvoir compter sur des spécialistes disponibles sur le marché du travail pour l’exécution de ses diverses tâches.

Cette condition est très loin d’être réunie au Burkina Faso. D’abord, l’enseignement général est encore faible : en 1999, le taux de scolarisation dans le primaire a été de 40,67%, celui de la scolarisation secondaire, de 10,67% et celui de la scolarisation supérieure, de 0,90%. Le taux de déperdition entre le primaire et le secondaire et entre le secondaire et le supérieur est très élevé comme l’indiquent les statistiques disponibles de 1990 à 1994.

Evolution des taux de scolarisation au secondaire et au supérieur

de 1990 à 1994 (en %)

Enseignement supérieur Enseignement supérieur

1990-1991 7,7 0,5

1991-1992 8,0 0,7

1992-1993 8,6 0,89

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1993-1994 9,12 0,86

Source : bulletin des statistiques scolaires et universitaires du Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique, Ouagadougou, 1995.

Ensuite, l’enseignement professionnel ou technique est encore embryonnaire. Le système éducatif burkinabé actuel est propre à produire des déchets au niveau des trois (3) stades de sélection (CEPE, BEPC, BAC) en raison de l’absence d’une filière parallèle de formation professionnelle. Le déséquilibre entre enseignement général et enseignement technique est très prononcé :

Tableau comparatif de l’enseignement général et de l’enseignement

technique de 1991 à 1994

A N N E E S

Type d’enseignement

1991-1992

1992-1993

1993-1994

Enseignement

général

Public

Privé

Total

96

77

173

104

81

185

118

87

205

Enseignement

Technique

Public

Privé

Total

5

17

22

5

18

23

5

24

29

% enseignement

Technique/enseignementTotal

12,71

12,43

14,14

Source : Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, audit organisationnel du Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique, Ouagadougou, 1995.

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Comme on le voit, il existait un (1) établissement d’enseignement technique contre 7,86 établissements d’enseignement général en 91-92, un (1) contre 8,04 en 92-93 et un (1) contre 7,06 en 93-94.

Par ailleurs, le système de formation professionnelle est quantitativement et qualitativement défectueux au Burkina Faso, et il est essentiellement à la charge de l’Etat et non du secteur privé. Pour satisfaire ses besoins en personnel (administration générale, police, douane, santé, forêt, environnement, travail, travaux publics, impôts, etc.), l’Etat a créé et gère dix-sept (17) établissements de formation professionnelle. Obligé donc de former lui-même ses travailleurs, on voit mal comment il pourrait recourir temporairement à leurs services. La situation serait paradoxalement contraire à celle des Etats-Unis : c’est le secteur privé qui viendrait à bénéficier, sans bourse délier, de la formation professionnelle assurée par l’Etat.

La seconde raison est que cette fonction publique de métier présuppose en outre un secteur privé développé. C’est parce que l’Etat n’est pas le premier employeur du pays, parce que son administration n’est pas la première industrie de la nation, que les travailleurs, qui se sont formés à leurs frais, proposent leurs services à tout employeur, passant ainsi indifféremment du public au privé et du privé au public en lui apportant, dans ce dernier cas, les valeurs de l’efficacité, de la rationalité, de la responsabilité, de l’ordre et de la ponctualité, dominantes dans les entreprises privées. Au Burkina Faso, la situation catastrophique de l’économie n’autorise pas à envisager un tel passage entre le public et le privé. Ce dernier n’est pas créateur d’emplois : l’agriculture, qui occupe 90% de la population active et contribue pour 30% du PIB est inorganisée et arriérée; l’épuisement des sols et les aléas pluviométriques contraignent les jeunes à l’exode rural ou à l’émigration; l’industrie est embryonnaire et précaire : les 121 unités industrielles recensées au 31 décembre 1999 n’occupent que 1% de la population active et participent pour 15% seulement du PIB; le secteur des services, notamment l’informel, est plus développé que le secteur industriel. C’est dire que la pyramide économique du Burkina Faso est totalement inversée avec une large base constituée par le secteur tertiaire, un tronc rétréci constitué par le secteur primaire et un sommet en pointe constitué par le secteur industriel qui devait être le premier pourvoyeur d’emplois. Avec une telle configuration économique, le passage d’un secteur à un autre restera à sens unique, à savoir du privé au public. On en a une confirmation d’ailleurs avec les privatisations forcées d’entreprises publiques30 qui engendrent des compressions de personnel31, avec l’ouverture des frontières qui entraîne la faillite, pour faute de compétitivité, d’entreprises burkinabé et avec la poursuite des recrutements par concours directs en plein PAS :

Evolution des recrutements par concours directs de 1992 à 1994

Années Nombre de candidats Nombre de places

offertes

%

30 Le programme de privatisation (1991-2000) concernait 44 entreprises; au 31 décembre 1999, 22 ont été privatisées, 7 liquidées, 4 en cours de liquidation, 3 retirées du programme, et 8 en état de soumissions insatisfaisantes. 31 Les entreprises privatisées ou liquidées (29 au total) ont entraîné la suppression de 1172 emplois (cf. Journal du soir n°1515 du vendredi 26 novembre 1999, p.6.

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1992 73176 2122 2,89

1993 78200 2284 2,92

1994 105806 3559 3,36

Source : Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, 1995, Ouagadougou.

En définitive, la fonction publique de métier trouvera difficilement au Burkina Faso les conditions socio-économiques idéales de sa transposition. Et il y a la situation politico-administrative qui ne s’y prête pas non plus...

2°) Les raisons politico-administratives

Les institutions publiques ne fonctionnent bien que dans le cadre d’un Etat de droit. L’absence de cet Etat de droit conduit au contrôle total et totalitaire de l’appareil administratif d’Etat par le parti gouvernemental; et cette emprise du parti-Etat sur l’administration républicaine sera de nature à fausser les règles d’une fonction publique de métier.

L’absence de l’Etat de droit au Burkina Faso a été révélée au monde par la grave crise sociale qui secoue le pays depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo32, Directeur de publication de “L’indépendant”, le 13 décembre 1998 sur la route de Sapouy, à une centaine de kms de Ouagadougou. Elle s’exprime par les fraudes électorales massives, par la violation des droits de l’homme et par l’impunité dont bénéficient les auteurs de crimes de sang et de crimes économiques.

Les fraudes électorales, depuis la restauration de la démocratie dans des conditions douteuses33 , conduisent à une véritable usurpation de légitimité populaire par le régime en place. Méthodiquement entreprises, elles se révèlent multiples et multiformes :

• établissement de la liste électorale et distribution des cartes d’électeurs par le seul Ministère de l’Administration Territoriale et de la Sécurité; • pression morale d’une chefferie coutumière totalement acquise au pouvoir34 sur les électeurs ruraux analphabètes35 et des chefs de communautés religieuses sur les fidèles; 32 Pratiquant un journalisme d’investigation, Norbert Zongo traquait les auteurs de crimes économiques et de crimes de sang pour motif politique; il a été assassiné au moment où il mettait en cause le propre frère du Président du Faso dans la mort de son chauffeur dans la caserne “Conseil de l’Entente” abritant la garde présidentielle. 33 Le processus de démocratisation, entamé au lendemain du discours de la Baule du 20 juin 1990, a été canalisé par le Front Populaire du Président Blaise Compaoré qui a rejeté toute idée d’une Conférence Nationale Souveraine. Les conditions électorales furent telles que l’opposition refusa de prendre part au présidentielles : Blaise Compaoré se présenta, en candidat solitaire et remporta les élections auxquelles ne participèrent que 25% des inscrits. 34 La chefferie traditionnelle, combattue et humiliée sous le CNR du Président Thomas Sankara, a été réhabilitée par le Front Populaire de Blaise Compaoré qui lui prodigue faveurs et largesses. 35 Les chefs de village brandissent des menaces du genre “celui qui ne vote pas le parti répondra devant les ancêtres”, “si le parti perd les élections, la pluie ne tombera plus au Village”.

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• utilisation abusive des moyens de l’Etat (personnel de commandement et véhicules administratifs);

• achat des voix par distribution de billets de banque, de sacs de mil aux électeurs sortant des urnes et prouvant avoir fait le bon choix36 ;

• bureaux de vote mal constitués, mal répartis sur le territoire national ou installés parallèlement dans des domiciles privés;

• vote d’électeurs non inscrits sur la liste électorale et vote d’étrangers transportés jusqu’au lieu de vote;

• votes multiples et votes pluraux;

• transport des urnes des villages les plus reculés aux chefs-lieux des circonscriptions électorales assuré par les autorités déconcentrées (les préfets);

• structure nationale d’organisation des élections totalement soumise au pouvoir au regard de sa composition, du mode de désignation de son Président et de ses attributions;

• juge électoral peu crédible parce que militant du parti gouvernemental.

Ces fraudes électorales ont permis au parti gouvernemental de se comporter en parti-Etat; un parti ultra dominant avec 89 sièges sur 101 à la première législature (1992-1997) et avec 103 sièges sur 111 à la seconde en cours (1997-2002). Le Collège des Sages, créé par décret 99/158 du 1er juin 1999 pour proposer une sortie de crise à la nation, a, dans son rapport déposé le 2 août 1999, recommandé “des élections transparentes et équitables; le respect des règles du jeu démocratique; la neutralité politique de l’administration, de la justice, de l’armée, des organisations de la société civile; le respect des domaines de compétence des communautés religieuses et coutumières; la non politisation des opérateurs économiques37 ”.

Les violations incessantes des droits de l’homme résultent de cette monopolisation de fait de la vie politique interne et du pouvoir d’Etat par le parti gouvernemental. En l’absence de tout contre-poids ou contre pouvoir, tout est permis au pouvoir et à ses dignitaires, d’où les crimes économiques et tout est interdit aux opposants, d’où les crimes de sang ou les tortures. Ainsi, le Collège des Sages a dénombré 176 crimes de sang, 81 crimes économiques et 49 cas de torture ou de séquestration arbitraire.

La monopolisation de fait de la vie politique interne et du pouvoir d’Etat par le parti gouvernemental a pour conséquence l’emprise totale et totalitaire de ce dernier sur les institutions républicaines (notamment police, justice) et sur le personnel de la fonction publique : chefs de service de l’administration centrale et autorités décentralisées aux ordres du pouvoir, nomination, promotion, affectation des agents sur la base de leur appartenance partisane. 36 Il suffit au votant de présenter les bulletins des autres partis pour recevoir des représentants du parti gouvernemental présents dans les environs des bureaux de vote un billet de 500 ou de 1000 F. 37 Un opérateur économique qui n’est pas membre du parti gouvernemental a peu de chances d’obtenir un marché public.

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Ces pratiques, institutionnalisées dans un Etat de droit et dans une fonction publique de carrière, se traduiront, dans une fonction publique contractualisée, par l’exclusion de fait des opposants ou même des indifférents des services publics devenus les domaines réservés des militants du parti gouvernemental. Dans cette hypothèse, les notions de compétence, de hiérarchie, de sens du service public, d’égalité et de légalité seront vidées de leur contenu.

Au total, une fonction publique de structure ouverte apparaît diamétralement opposée aux capacités intrinsèques du Burkina et aux missions dévolues à l’administration : elle comporterait plus d’inconvénients pour l’action administrative que la fonction publique de carrière dont on veut palier les tares congénitales...

B) L’inadaptation de la fonction publique de structure fermée

La fonction publique de structure fermée est un produit de l’histoire de France : la monarchie avait donné naissance aux grands corps techniques de l’Etat (Ponts et Chaussées, Eaux et Forêts), aux intendants, ainsi qu’à de nombreuses “familles” de grands et petits commis consacrant toute leur vie à leurs fonctions; la révolution est venue fonder cette fonction publique sur une base démocratique en proclamant le principe de l’égal accès aux emplois publics et en supprimant la patrimonialité des offices et la vénalité des charges; l’Empire lui a apporté la structuration hiérarchique calquée sur l’organisation militaire; entre 1834 et 1905, elle fera l’objet d’importantes innovations : apparition des premiers statuts38 , élaboration du droit prétorien de la fonction publique par la jurisprudence du Conseil d’Etat, affirmation de la règle de la communication du dossier avec la loi de 1905; au lendemain de la seconde guerre mondiale, la réforme de cette fonction publique sera parachevée avec la création de l’ENA en 1945 pour démocratiser et diversifier le recrutement des grands corps de l’Etat et, surtout, avec la publication en 1946 du premier statut général des fonctionnaires définissant leurs droits et leurs obligations et classifiant de façon rationnelle l’ensemble des emplois de l’Etat dans une grille à laquelle correspondent des indices qui déterminent la rémunération de chaque agent.

Comme on le voit, la fonction publique de structure fermée a été liée à l’évolution des structures politiques de la France et, aux dires de Long M., “c’est sans doute parce que les Français ne regardent pas l’Etat comme une entreprise comme les autres, destinée à gérer un ensemble de services, mais qu’ils admettent que son rôle et sa mission sont de promouvoir l’intérêt général... Administrer n’est pas, en effet, considéré par les Français comme un métier semblable aux autres; la fonction publique, originale par nature, est donc régie par des lois propres39”.

La fonction publique de structure fermée a ses lois propres qui ne sont pas applicables aux salariés du secteur privé. Elle est remarquable d’abord par sa stabilité; recruté puis formé par l’Etat, le fonctionnaire est intégré dans les cadres de l’administration pour toute sa vie active, quels que soient les bouleversements politiques pouvant intervenir. Elle est remarquable ensuite par le sens du service public : le fonctionnaire n’exerce pas un métier pour ses intérêts personnels; il est au service du bien commun. De ce fait, il est placé dans une situation statutaire et réglementaire et non pas contractuelle et se voit imposé des sujétions particulières. En claire, les fonctionnaires constituent une caste à part.

38 Statuts des officiers de l’armée de 1834 comportant des garanties d’indépendance et de stabilité et opérant la distinction entre le grade et l’emploi, puis, par la suite, statuts des agents dans l’administration civile en commençant par l’administration des finances. 39 Long M., La fonction publique en France, in la fonction publique : Etudes et choix des textes commentés par Louis Fougère, Institut International des Sciences Administratives, Bruxelles, 1966, p. 71 à 73.

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Cette fonction publique de structure fermée, avec son personnel stable et commis à la poursuite et à l’atteinte de l’intérêt général, est théoriquement plus conforme au rôle et aux missions de l’Etat dans les pays pauvres comme le Burkina où l’administration demeure et demeurera encore longtemps la cheville ouvrière du développement dans tous les secteurs de la nation. Mais si elle y est transposée telle qu’elle, de façon mécanique, elle est appelée à perdre les vertus dont elle est parée : le sens du service public se heurte à la mentalité des fonctionnaires et la stabilité du personnel grève considérablement les maigres ressources de l’Etat...

1°) Les raisons psychologiques

Pour Moyrand A., “la situation administrative des Etats africains dépend moins de la mauvaise gestion que du comportement des agents40”. Cela est particulièrement vrai pour les fonctionnaires burkinabé. Le comportement de ces derniers s’est dégradé lentement sous l’influence de la conjoncture politique et économique du pays. Sous la Première République (1960-1966), les cadres supérieurs, formés dans les écoles coloniales (IHEOM notamment), étaient très peu nombreux; les chefs de service étaient généralement des assistants français; le régime autoritaire du Président Maurice Yaméogo, s’appuyant sur un parti unique de fait, faisait respecter la déontologie de la fonction publique : les fonctionnaires avaient un sens élevé du service public. Ce sens élevé du service public sera renforcé sous le Gouvernement Militaire Provisoire (GMP) qui dirigea le pays de 1966 à 1970 avec une extrême rigueur connue sous le nom de “garangose”41 dans le but affiché d’assainir les finances publiques et de redresser l’économie nationale. Mais à partir de la Seconde République (1970-1974), on va assister à un relâchement général dans le comportement des fonctionnaires : la déontologie de la fonction publique ne sera plus respectée pour une raison politique. En effet, avec la Seconde République, le Burkina faisait pour la première fois l’expérience de la démocratie. La constitution du 29 juin 1970 était très généreuse en libertés; le multipartisme était intégral; le régime politique était le parlementarisme classique, avec un Président de la République exerçant des fonctions honorifiques42 et un Premier Ministre déterminant et conduisant la politique de la nation, présidant le Conseil des Ministres et nommant aux emplois supérieurs de l’administration. A la suite des élections législatives de novembre 1970, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) ex-parti unique sous la Première République, revenait au pouvoir avec trente sept (37) sièges sur les cinquante sept (57) de l’Assemblée Nationale. Accusé par le passé d’avoir confisqué les libertés, le RDA adoptera une attitude très laxiste dans tous les ordres de la société, singulièrement dans la fonction publique où les agents commenceront à s’absenter du service (retards chroniques, abandons de poste ou refus de rejoindre le poste assigné), à mener des activités privées lucratives, à méconnaître la règle de la subordination hiérarchique, soit parce qu’ils étaient protégés par leur affiliation au parti gouvernemental, soit parce que l’autorité administrative avait peur de prendre des sanctions à l’encontre des collaborateurs opposants. A partir de 1973, le laisser-aller dans la fonction publique atteindra son paroxysme avec les dissensions au sommet du pouvoir d’Etat, sur fond de querelles de personnes : le Président de l’Assemblée Nationale, Secrétaire Général du RDA, s’opposera au Premier Ministre, Président de ce parti. Cette guerre des chefs entraînera un blocage du fonctionnement des institutions et un flottement de l’appareil administratif d’Etat, incitateur au laisser-aller, jusqu’au coup d’état salvateur du 8 février 1974.

40 Moyrand A., La responsabilité du fonctionnaire en droit tchadien, in Le droit de la fonction publique dans les pays d’Afrique de l’Ouest, Cahiers de l’Université de Perpignan, n°6 et 7, 1989, p.290 et s. 41 Du nom du Ministre des Finances, l’intendant militaire Tiémoko Marc Garango. 42 La seule prérogative reconnue au Président était les pouvoirs de crise auxquels il recourait après délibération au Conseil des Ministres.

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La Seconde République renversée, le Gouvernement de Renouveau National (GNR, 1974-1977) qui lui succéda résolut de combattre l’absentéisme. Dans ce sens, un décret du 24 octobre 197543 modifié les honoraires de travail de façon à libérer les samedis matins où les bureaux étaient systématiquement désertés par les fonctionnaires sous prétextes de cérémonies de mariage, de baptêmes ou de funérailles. Mais l’absentéisme ne disparaîtra pas pour autant sous le GNR. En effet, à partir de 1975, la fonction publique cessera de recruter sur titre les agents des catégories A, B (licence et Bac) et valorisera le concours prévu par le statut général de 1959. Dès lors, les diplômés, en quête d’emploi, se présenteront à tous les concours quels qu’ils soient. En cas d’admission, ils occuperont des emplois pour lesquels ils n’avaient jamais eu ni vocation, ni motivation. L’emploi est devenu pour eux un gagne-pain et non un métier désiré, d’où les mauvaises manières de servir, l’absence du sens du service public.

La Troisième République (1977-1980) va accroître tous les maux de la fonction publique. Revenu encore au pouvoir grâce à une coalition44, le RDA pratiquera le clientélisme à outrance, recrutera en nombre pour résorber le chômage en vue de parer aux agitations sociales et, fermant les yeux sur les violations de la loi, incitera à l’affairisme, à la corruption, au trafic d’influence et à l’absentéisme chronique. Il fut renversé le 25 novembre 1980 par le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN, 1980-1982) qui se donna pour mission de restaurer l’autorité de l’Etat. Au niveau de la fonction publique, le nouveau régime s’attaquera à l’absentéisme en décidant de la fermeture, les jours ouvrables, des débits de boisson de 7h à 12h30 et de 15h à 17h3045. Mais cette mesure extrême fut contournée par la création des “maquis”46.

La fonction publique ne devait être réhabilitée qu’avec la Révolution Démocratique et Populaire (RDP, 1983-1987) qui licencia et dégagea à tour de bras des milliers de fonctionnaires pour des motifs politiques ou disciplinaires47 et fit juger les agents coupables de corruption et d’enrichissement illicite par les Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR)48. Le Front Populaire (FP, 1987-1991) qui renversa le régime révolutionnaire du Capitaine Thomas Sankara, créa un Commissariat Général à l’Inspection d’Etat le 3 octobre 1988, chargé de contrôler l’occupation des services par les agents en effectuant des descentes inopinées de police dans les lieux de loisir aux heures de travail. Malgré les sanctions infligées, le nombre de “déserteurs” ne cesse de croître d’un contrôle à un autre49.

En définitive, la fonction publique de structure fermée, par les garanties de carrière qu’elle apporte, engendre chez les fonctionnaires une mentalité de profiteurs paresseux, sans aucun sens de dévouement et du respect du bien commun. C’est ce qui a fait dire au Premier Ministre, dans son discours-programme devant l’Assemblée Nationale le 24 juin 1994 que “l’administration burkinabé, en tant qu’instrument de mise en oeuvre des décisions et projets du pouvoir politique, est de plus en plus décriée par les usagers, les fonctionnaires et même par les responsables du pays”. Loin donc d’être la cheville ouvrière du développement, cette fonction publique se présente

43 JO du 6 novembre 1975, p.830. 44 Aux législatives du 30 avril 1978, le RDA n’obtenait que 28 sièges sur les 57 de l’Assemblée Nationale; il forma un gouvernement de coalition avec le Parti du Rassemblement Africain (PRA qui avait obtenu 6 sièges) et l’Union Nationale des Indépendants (UNI, avec 1 siège). 45 Décret 80-028 du 25 décembre 1980 non publié au JO. 46 Il s’agit de la transformation de domiciles privés en buvettes, bars et restaurants. 47 Cf. ordonnance du 8 juin 1884 précitée... 48 Cf. ordonnance du 30 janvier 1984 précitée. 49 285 absences ces irrégulières en décembre 1988, 791 en novembre 1989, 1007 en mai 1990, 8 agents sur 10 absents de leur poste de travail dans deux ministères contrôlés en mai 2000.

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comme une caste privilégiée dans la nation, engloutissant à elle seule les maigres ressources de l’Etat à la fois développeur, entrepreneur et providence.

2°) Les raisons financières

L’Etat burkinabé est contraint à créer et à gérer de nombreux services publics en vue de satisfaire les besoins du public. C’est le cas notamment de l’éducation et de la santé. En 1994, sur les 36642 agents que comptait la fonction publique (non compris les effectifs des forces armées et les agents en détachement ou en disponibilité), 14501 relevaient de l’éducation (soit 39,57% des effectifs) et 5654 de la santé (soit 15,43% des effectifs). Education et santé totalisaient ainsi 55% du personnel de l’Etat. Malgré les limitations de recrutement imposées par le PAS, le personnel de l’éducation avait progressé de 27,1% et celui de la santé 8,2% par rapport à l’année 1993.

Il a été mentionné plus haut que les taux de scolarisation dans le primaire, dans le secondaire et dans le supérieur, demeurent encore bas au Burkina. Cela est dû à la très faible intervention des collectivités locales et du secteur privé dans ce domaine d’une part et, d’autre part au bas niveau de la contribution budgétaire de l’Etat comme l’indique le rapport de synthèse de la CCAP 1995 :

Evolution des crédits budgétaires alloués à l’éducation de 1993 à 1995

(en milliers de FCFA)

1993 1994 1995

Education 25 545 465 36 402 886 36 185 246

Budget de l’Etat 252 339 460 373 879 695 361 985 963

% Educ/Budget de l’Etat 10,11 9,73 10,27

Source : CAAP, 25, 26, 27 janvier 1995, Ouagadougou.

L'Etat devra poursuivre et accroître ses efforts financiers pour répondre aux immenses besoins de l’éducation. En effet, même en milieu rural, les revendications d’ouverture d’établissements d’enseignement primaire et secondaire se font de plus en plus pressantes; tout le monde a compris enfin la nécessité de la scolarisation des enfants. Pour forcer la main à l’Etat, les paysans s’auto-investissent spontanément ou en fonction des opportunités financières internes (apport des associations locales de développement) ou extérieures (apport des émigrés, des ONG, des partenaires étrangers) et réclament l’affectation des enseignants auprès des autorités. On assiste ainsi à une véritable anarchie dans la construction des écoles, qui rend quasi impossible toute planification du développement des enseignements et, au-delà, toute planification des recrutements au niveau de la fonction publique.

Le service public de l’éducation nationale se conjugue avec la formation initiale des agents publics préalablement à leur intégration dans la fonction publique. Cette formation coûte également cher à l’Etat. Jusqu’en 1964, l’ENA, créée en 1959, assurait la formation initiale des agents des catégories B et C de l’administration générale. L’existence d’un seul établissement de formation professionnelle autorisait la planification à court et moyen terme des besoins de recrutement et amenuisait les coûts de formation. Mais à partir de 1964, chaque ministère allait créer son propre

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établissement : Ecole Nationale de Police (ENP) en 1964, Ecole Nationale des Douanes (END) en 1969, Ecole Nationale des Régies Financières (ENAREF) en 1978. Cette sectorisation du système de formation professionnelle a un avantage théorique qui est la spécialisation plus poussée des agents et un inconvénient pratique qui est l’accroissement des dépenses de formation. En effet, chaque établissement a son corps enseignant alors que les matières de base communes à tous ces établissements sont nombreuses (droit administratif, théorie générale du service public, etc.) et chaque établissement s’oblige à recruter chaque année au niveau des trois cycles de formation (A, B, C) pour justifier son existence et son autonomie administrative et financière. Ces recrutements automatiques augmentent, de façon imprévisible, les effectifs de la fonction publique : l’audit organisationnel des quatre (4) grandes écoles de formation professionnelle50 (ENAM, ENP, END, ENAREF), effectué en 1995, a révélé que ces écoles recrutent en moyenne 1 200 élèves par an. La scolarité étant de trente (30) mois pour les cycles A de ces écoles et de dix huit (18) mois les cycles B et C, l’Etat est tenu de verser les salaires des fonctionnaires-élèves et d’octroyer des bourses aux élèves-fonctionnaires sans bénéficier de leurs prestations.

Le service public de la santé est également un gouffre financier pour l’Etat, surtout depuis la dévaluation du franc CFA. Le Ministère de la Santé, chargé de la santé, de l’hygiène, de la protection de la mère et de l’enfant, de l’approvisionnement en médicaments, n’a pas les moyens de ses missions :

• le taux de mortalité infantile est encore très élevé au Burkina parce que le taux de couverture vaccinale des enfants demeure faible comme l’indique le tableau suivant :

Evolution du taux de couverture vaccinale des enfants de 0 à 11 mois

Année

Vaccin

1991

1992

1993

1994

BCG 64,24% 66% 72% 63,45%

VAT 2 29,27% 28% 36% 41%

Fièvre jaune 23,77% 32,76% 43,84 ND

DTCOQ/P1 61,85% 62,63% 90% 64,79%

DTCOQ/P3 42% 39,23% 47% 40,70%

Anti-rougeole 38,55% 39,89% 42,30% ND

Source : Revue des Dépenses Publiques, janvier 1996, Ouagadougou.

50

Bado L. Audit organisationnel des écoles de formation professionnelle, Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, juin 1995, Ouagadougou.

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• les formations sanitaires publiques sont insuffisantes et concentrées en milieu urbain; en 1996, on dénombrait 864 au total dont 2 centres hospitaliers nationaux, 10 centres hospitaliers régionaux, 20 centres médicaux avec antenne chirurgicale, 56 centres médicaux sans antenne chirurgicale, 628 centres de santé primaire, 132 dispensaires isolés et 16 maternités isolées;

• les formations sanitaires privées, au nombre de 152 en 1996, dont 81 de cabinets de soins, tous installés en milieu urbain, sont inaccessibles;

le personnel de santé est très insuffisant comme l’indique le tableau ci-dessous :

Niveau de réalisation en personnel de santé par rapport au normes

OMS en 1995

Catégorie de

Personnel

Norme

OMS

Norme

Burkina

Norme

nécessaire

Norme

existant

Taux de

réalisation

Besoin en

Personnel

Médecins 1/10 000 1/23976 1 045 436 41,72% 609

Pharmaciens 1/20 000 1/30671 522 80 15,32% 442

Infirmiers d’Etat 1/5 000 1/9852 2 090 1 061 50,76% 1 029

Sages-femmes

Maïenticiens

1/5 000 1/25250 2 090 414 19,8% 1 676

Infirmiers Brevetés 1/3 000 1/8988 3 484 1 163 33,38% 2 321

Auxiliaires de santé 1/1 000 1/6766 10 453 1 545 14,80% 8 909

TOTAL

19171

4 368

29,29%

14 985

Source : Direction des Affaires Administratives et Financières du Ministère de la Santé, 1996,

Ouagadougou.

Les deux (2) exemples de l’éducation et de la santé suffisent pour mettre en relief le paradoxe d’une fonction publique de carrière mécaniquement transposée dans un pays pauvre comme le Burkina : commise au développement économique et social du pays, elle devient, par son coût financier, le principal goulot d’étranglement du processus de développement. La fonction publique

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de métier étant impossible et dangereuse comme il a été démontré plus haut, la fonction publique de carrière ne pourrait répondre avantageusement aux missions du jeune Etat développeur que si elle fait l’objet d’une adaptation au contexte économique, politique et socio-culturel local, propre à empêcher l’administration de devenir “la première industrie” (non industrialisante) du pays. C’est sur cette adaptation utile et indispensable qu’il convient de porter à présent la réflexion...

II - Le contenu juridique et les conditions de mise en oeuvre

de la fonction publique semi-ouverte ou semi-fermée

“Une administration ne vaut que par le personnel qui la compose; la qualité de l’élément humain est déterminante pour le succès de l’administration de développement”51. Cela est sans doute vrai. Mais la qualité de l’élément humain ne suffit pas pour disposer d’une administration productive. Elle est tout naturellement conditionnée par son environnement juridico-politique et socio-économique qui la tient en l’état. Au Burkina Faso par exemple, où l’Etat est le premier employeur, où les salaires sont bas comparativement au coût de la vie, la fonction publique de carrière a le mérite théorique de sauvegarder la continuité du service public et la recherche de l’intérêt général mais a l’inconvénient pratique, induit du contexte local, d’inciter à la paresse, à la gabegie, à la corruption et à l’absentéisme chronique.

L’absentéisme est le pire des maux de la fonction publique burkinabé et, de surcroît, apparemment incurable au regard des mesures draconiennes vainement prises à son encontre depuis 1980. Il a fait dire à Salon S. qu’”on ne travaille pas assez ici en Haute-Volta”52. Pour Sueur J.F., cet absentéisme est souvent la conséquence d’une faute de l’administration ou de son fonctionnement53. Ce point de vue paraît partiel. Dans le contexte burkinabé, les causes de l’absentéisme sont diverses : organisationnelles (création anarchique des structures aboutissant à des duplications fonctionnelles, mauvaise répartition du personnel conduisant à des services pléthoriques à côté de services dégarnis), politiques (promotion des agents sur la base de critères partisans et non de compétence, “garage” administratif pour cadres indésirables) et socio-culturelles (manque de motivation financière des fonctionnaires et goût prononcé des Burkinabé pour les loisirs et les plaisirs). Même les saisons sont pour beaucoup dans l’absentéisme : de novembre à février, le froid incite au réveil tardif; de juillet à septembre, les pluies retiennent les travailleurs à domicile.

L’absentéisme revêt trois (3) formes principales au Burkina : l’abandon de poste, le refus de rejoindre le poste assigné et les absences non autorisées.

L’abandon de poste, qui est “le résultat juridique du refus de l’obligation de servir”54 était retenu comme cause de licenciement par l’article 51 nouveau du statut général de 1959 qui stipulait que “le fonctionnaire qui abandonne son poste est licencié sans consultation du conseil de discipline et sans droit à pension”. Pour Sinbillé J., “Il y a lieu de considérer le fonctionnaire coupable d’abandon de poste comme ayant renoncé délibérément aux garanties qu’il tient de son statut; la sanction disciplinaire ou la radiation des cadres peut donc être, dans le cas de l’espèce, prononcée sans accomplissement des formalités prescrites en matière disciplinaire”55 . En 1975, devant la

51 Roy M.P., Les régimes politiques du tiers-monde, LGDJ, 1977, Paris. 52 Salon S. L’indispensable reforme de l’administration, Europe-Outre-mer, 1980, p.15. 53 Sueur J.F., Les situations d’absences temporaires dans la fonction publique, RDP, 1985, p. 981.

54 Symbillé J. La théorie de l’abandon de poste : une anomalie dans le droit disciplinaire de la fonction publique, AJ, 1984, p.420. 55 Op. Cit., p. 421.

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multiplication des cas d’abandon de poste, une ordonnance du 12 juin était venue rappeler les termes de l’article 51 nouveau sus-mentionné et sanctionnait l’abandon de poste par la révocation. C’est seulement sous la période révolutionnaire (1983-1987) que la pratique de l’abandon de poste cessa. Mais dès la chute du régime révolutionnaire, elle reprit de plus belle, obligeant le législateur à retenir cette faute professionnelle comme cause de licenciement (article 184 du statut général de 1988). Cela n’empêcha pas les fonctionnaires à abandonner leur poste de travail comme de moeurs acquises, en dépit des sanctions infligées : entre janvier et novembre 1990, il y a eu trente trois (33) licenciements pour abandon de poste.

Le refus de rejoindre le poste assigné n’avait pas été retenu par le statut de 1959. C’est encore en 1975 qu’il a été réglementé par le décret 75-367 du 24 septembre 197556, et également par le même article 184 du statut de 1988. Actuellement, le refus de rejoindre le poste assigné prend de l’ampleur en raison des affectations et mutations partisanes dont sont victimes les fonctionnaires de l’opposition.

Les absences non autorisés se présentent sous diverses formes :

• le fonctionnaire s’absente pour cause de décès ou de maladie grave d’un proche parent sans prévenir son supérieur immédiat qui éprouve une gène à sanctionner un tel comportement;

• le fonctionnaire prolonge indûment sa permission d’absence; le juge administratif burkinabé assimile cette absence irrégulière à un abandon de poste57. D’une façon générale, le supérieur du fonctionnaire irrégulièrement absent a des difficultés pour apprécier les motifs de la prolongation;

• le fonctionnaire ne rejoint pas le service au terme de son congé de maladie, de son détachement ou de son stage de formation; cette absence irrégulière est encore assimilée à un abandon de poste;58

• le fonctionnaire exerce une activité privée lucrative sans avoir offert préalablement sa démission ni sollicité une disponibilité; le juge administratif se prononce dans ce cas pour sa radiation hors des garanties disciplinaires.59

Au regard de cet état des lieux de l’appareil administratif d’Etat, le problème est posé de savoir comment concilier les intérêts de l’administration et ceux de ses agents, ou, plus exactement, comment obtenir une fonction publique à la fois productive et peu coûteuse. La solution paraît devoir être recherchée dans un modèle de fonction publique de structure sémi-fermée ou semi-ouverte dont il convient de dégager le contenu juridique et les conditions de mise en oeuvre...

A) Le contenu juridique de la fonction publique de structure

semi-ouverte ou semi-fermée

La fonction publique adaptée au contexte burkinabè est une fonction publique flexible, c’est-à-dire s’accommodant avec les capacités financières de l’Etat, une fonction publique à haut rendement technique et à forte motivation du personnel. Il s’agit là d’exigences apparemment contradictoires mais qui peuvent trouver à s’allier harmonieusement dans une fonction publique sémi-fermée ou

56 Non publiée au J.O. 57 Chambre Adm., 13 mars 1990, Ouédraogo Ouinoaga Sylvain. 58 Chambre Adm., 24 juillet 1981, Traoré Pierre Jacques. 59 Chambre Adm., 13 février 1976, Ouédraogo Hyacinthe.

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semi-ouverte dont le mécanisme juridique fondamental serait une titularisation d’une part différée et, d’autre part, transparente.

1) Une titularisation différée

Au Burkina Faso, tout candidat à un concours de recrutement est tenu de signer un engagement décennal aux termes duquel il doit terminer son cycle de formation initiale et servir l’administration pendant dix (10) ans. A l’issue de sa formation, l’élève-fonctionnaire est intégré dans la fonction publique en qualité de stagiaire. Le stagiaire est un agent public appelé à subir un temps d’épreuve d’une année avant sa titularisation : il occupe un emploi permanent de façon non permanente.60 En droit burkinabé, le stage probatoire se déroule sous le contrôle d’un maître de stage ayant pour responsabilités d’encadrer, d’orienter et de conseiller le fonctionnaire stagiaire et de rédiger le rapport de fin de stage au vue duquel le stage sera validé ou prorogé; il est prorogé une seule fois et pour une durée égale s’il est jugé non satisfaisant en raison d’un cas de force majeure ou de maladie dûment constatée par le conseil de santé et ayant eu pour effet d’empêcher son déroulement normal; il prend fin, avant la date normale de son expiration, par la démission ou par le licenciement soit pour insuffisance professionnelle notoire61 après six (6) mois de stage minimum sur rapport du maître de stage et après consultation du conseil de discipline, soit pour inaptitude physique ou mentale dûment constatée par le conseil de santé, soit pour des faits qui, antérieurement à l’admission au stage probatoire, auraient fait obstacle au recrutement s’ils avaient été connus. A l’expiration de la période de stage, le stagiaire est soit titularisé dans son emploi, soit licencié, car la titularisation n’est par un droit,62 d’où le licenciement n’est pas un acte disciplinaire impliquant une communication du dossier.63

La titularisation, dans la fonction publique de structure fermée, intervient donc au bout d’un (1) ou de deux (2) ans d’activité. Et c’est ce qui est néfaste dans le contexte burkinabé. En effet, dans ce pays où le chômage pousse les diplômés à passer toutes sortes de concours pour se donner la chance d’un emploi, le stage probatoire ne sert qu’à sanctionner les aptitudes et les habilités du stagiaire et non pas son dévouement ou ses attitudes. Celui-ci peut même prendre toutes les dispositions pour “arracher” sa titularisation, quitte à se révéler ultérieurement sous la protection des garanties statutaires, étant entendu que l’emploi public n’étant à ses yeux qu’un gagne-pain, le sens du service public, pilier de la fonction publique de carrière, ne peut l’habiter.

Pour lui inculquer ce sens du service public, il conviendrait que sa titularisation intervienne, non pas après le stage probatoire, mais seulement à la fin de son engagement décennal.

La titularisation différée serait ainsi le pivot de la fonction publique semi-fermée ou semi-ouverte. L’engagement décennal connaîtrait alors un régime juridique différent de celui en vigueur.

En droit positif, il n’a pas un caractère contractuel64 et n’est pas susceptible d’un recours pour excès de pouvoir65. Les seules conséquences juridiques qui lui sont rattachées sont que l’agent doit rembourser à l’administration les frais de sa formation s’il abandonne la poursuite de sa scolarité66 ou s’il quitte l’administration avant les dix (10) ans de service67. Cette position jurisprudentielle 60 Bockel, La condition juridique du stagiaire dans le régime français de la fonction publique, RDP, 1966, p.265. 61 mmV. également Conseil d’Etat, 29 juillet 1949, Magnier, RDP, 1950, p.217. 62 Conseil d’Etat, 15 février 1963, Dlle Turin, Aj., 1963, I.208. 63 Conseil d’Etat, 2 mars 1973, Azria, Rec., p.187. 64 Conseil d’Etat, 10 décembre 1975, Lorizon, Aj., 1976, p. 578. 65 Conseil d’Etat, 13 Janvier 1988, Dlle Antomini, droit adm., n° 118. 66 Conseil d’Etat, 1er octobre 1975, Administration générale de l’assistance publique, Rec p.488. 67 Conseil d’Etat, 30 mars 1981, Dame Friocourt, Aj. 1981, p.607.

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est loin d’ailleurs d’être satisfaisante. On est en droit de se demander pourquoi l’administration exige de l’agent le remboursement des frais de sa formation en cas de non respect de son engagement décennal si ce dernier ne se présente pas comme un véritable contrat synallagmatique. On peut également relever l’incohérence juridique tenant au fait que même après les dix (10) années de service, l’agent ne peut pas démissionner de plein droit, sans autorisation de l’autorité administrative.68

Dans la fonction publique de structure semi-fermée, l’engagement décennal serait un contrat aux termes duquel, l’agent recruté et formé, a vocation à être intégré dans la fonction publique et a le devoir de servir l’administration pendant dix (10) ans. Pendant ces dix (10) ans donc, il garderait la qualité d’agent public contractuel. Deux (2) avantages énormes sont attachés à cette situation :

• intégré dans la fonction publique comme agent contractuel stagiaire, l’agent ferait tout pour démontrer sa compétence et éviter un licenciement précoce;

• le stage réussi, l’agent continuerait à servir l’administration en qualité d’agent public contractuel; pendant huit (8) ou neuf (9) ans (selon que le stage d’une année est renouvelé ou non), il ferait encore tout pour démontrer son dévouement et son sens élevé du service public dans l’espoir de la titularisation à la fin de son engagement décennal.

Comme on le voit, les dix (10) années de l’engagement décennal serviraient à démontrer et les capacités professionnelles de l’agent (stage probatoire) et ses dispositions morales et psychologiques (titularisation). A l’expiration de l’engagement décennal, ou il démissionne (et cette démission est de plein droit), ou il est remercié à l’issue de l’examen de son dossier de titularisation. En différant ainsi cette titularisation, on place l’agent à l’école du service public d’où il sortira digne pour être un serviteur de l’Etat : la ponctualité, l’occupation du service, les bonnes manières de servir, le respect du bien commun, du principe de la légalité, du principe de la subordination hiérarchique seraient innés, à condition toutefois que la titularisation s’opère dans la plus grande transparence...

2) Une titularisation transparente

Par la titularisation, l’agent est admis à consacrer toute sa vie professionnelle restante à l’administration. Dans la fonction publique de structure sémi-fermée, cette titularisation doit s’analyser comme une seconde épreuve, celle du sens du service public, près la première épreuve de la compétence tenant au stage probatoire. Par conséquent, cette titularisation, pour sanctionner les bonnes manières de servir de l’agent, doit s’opérer dans les meilleures conditions d’objectivité. Ces conditions font défaut dans le statut actuel : à la fin de l’année de stage ou de l’année du renouvellement de ce stage, le stagiaire est soit titularisé, soit licencié par arrêté du Ministre chargé de la fonction publique, au vu du seul rapport du maître de stage.69

Cette simplification trop voulue des formes n’est pas porteuse de rigueur dans la sélection des serviteurs de l’Etat. Il n’est fait attention de l’intervention d’aucun organe consultatif dans la procédure de titularisation. Pourtant, il est créé au sein de chaque département ministériel et institution publique trois (3) organes consultatifs de concertation et de gestion participative, à savoir :

68 Conseil d’Etat, 15 juillet 1932, Dame Veuve Jan. Rec p. 736. 69 Voir les articles 63 et 71 de la loi du 28 avril 1998.

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• le Conseil d’Administration du Secteur Ministériel, chargé du suivi, du contrôle et de l’évaluation de la politique sectorielle du gouvernement, de la gestion du personnel et des performances générales du département ministériel ou de l’institution;70

• le Comité Technique Paritaire, ayant compétence consultative en matière d’organisation et de fonctionnement des services et en matière de gestion et de formation du personnel;71

• le Comité de Discipline, ayant compétence consultative en matière de sanctions disciplinaires pour fautes professionnelles.72

On remarquera au passage que le Conseil d’Administration du Secteur Ministériel et le Comité Technique Paritaire sont tous deux donneurs d’avis en matière de gestion du personnel sans qu’aucun n’intervienne dans la titularisation des agents. La titularisation est ainsi laissée aux soins du maître de stage et du Ministre chargé de la fonction publique. Or, dans un pays où les considérations parentales, régionales, ethniques, religieuses et surtout partisanes influent considérablement sur le comportement des gens, il y a lieu de craindre que le stagiaire soit abandonné à l’arbitraire des supérieurs ou bénéficie du favoritisme, du népotisme et du clientélisme.

Pour que la titularisation sanctionne les capacités démontrées de l’agent à être définitivement au service de l’Etat, elle doit être décidée après avis d’un organe consultatif. Pour éviter le gigantisme institutionnel en créant, comme en France, des commissions administratives paritaires73 (donnant obligatoirement leur avis sur la notation, l’avancement, la mutation, les poursuites disciplinaires, le licenciement pour insuffisance professionnelle, le refus de titularisation en fin de stage, etc.), le Comité Technique Paritaire pourrait valablement remplir ce rôle. Dans ce cas, il devrait obligatoirement être saisi de toute demande de titularisation faite par l’agent à la fin de son engagement décennal. L’examen de la demande de titularisation se ferait sur dossier individuel comprenant : le rapport du maître de stage, la moyenne des dix (10) dernières années d’activité, les observations des supérieurs hiérarchiques, les sanctions déjà encourues, les abus des autorisations ou permissions d’absences, les récompenses, les plaintes des usagers éventuellement. le Comité Technique Paritaire statuerait sur la demande de titularisation au regard d’une moyenne/plancher des notes des dix (10) dernières années et/ou des manières de service du candidat à la titularisation révélées par les observations des supérieurs hiérarchiques, les sanctions encourues, les abus des autorisations ou permissions d’absence, les plaintes des usagers. La moyenne/plancher, variable d’année en année et de corps de fonctionnaires à corps de fonctionnaires, serait établie par l’autorité administrative en fonction des besoins réels des services du département ministériel et des services rattachés. Tout candidat qui n’obtiendrait pas cette moyenne/plancher serait remercié de la fonction publique.

Pour ne pas abandonner les agents démissionnaires ou remerciés à leur sort à l’expiration de leur engagement décennal, un fonds d’appui à leur initiative privée (projet agro-pastoral, commercial, industriel) serait constitué à partir des retenues pour pension opérées pendant les dix (10) années d’activité sur leur salaire. En cas de non présentation de projet, les retenues pour pension seraient reversées à l’intéressé en capital; en cas de présentation d’un projet dont l’étude de faisabilité serait à la charge des services compétents de l’administration, le financement dudit projet serait 70 Voir l’article 53 de la loi du 28 avril 1998. 71 Voir l’article 54 de la loi du 28 avril 1998. 72 Voir l’article 55 de la loi du 28 avril 1998. 73 Voir l’article 14 du titre II statut de 1983-84 et les décrets du 25 octobre 1984 et du 20 juin 1986 modifiant le décret du 28 mai 1982.

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acquis à hauteur de 3 à 5 fois le montant total des retenues pour pension. L’exécution du projet serait suivie par les services compétents de l’administration jusqu’à ce que cette dernière recouvre le complément alloué au montant total des retenues pour pension pour financer le projet.

Ce mécanisme permettrait d’abord à tous ceux qui avaient choisi le “métier” de fonctionnaire par nécessité et non par vocation de reprendre l’activité professionnelle de leur choix réel dans les conditions de capacités financières qui leur faisaient défaut; il permettrait ensuite à tous ceux qui avaient “l’âme” pour le service public sans avoir toutes les dispositions physiques, morales et intellectuelles de se reconvertir dans d’autres secteurs d’activité professionnelle au lieu d’avoir le sentiment d’être traités en parias.

Mais cette fonction publique de structure semi-fermée, pour être opérationnelle, pour être exactement productive et moins coûteuse, nécessite des conditions particulières de mise en oeuvre...

B) Les conditions de mise en oeuvre

Les audits organisationnels des ministères et institutions publiques, réalisés en 1995, ont démontré que l’administration burkinabé est malade de la mauvaise utilisation des ressources institutionnelles et humaines. La pléthore et la faible productivité s’originent respectivement dans les recrutements anarchiques et le contrôle laxiste des agents. C’est dire que la fonction publique de structure semi-fermée, qui vise à mettre à la disposition de l’Etat des agents compétents et dévoués grâce au stage probatoire et à la titularisation différée, ne peut efficacement atteindre les résultats escomptés qu’avec une planification rigoureuse des besoins de recrutement d’une part et un suivi constant des agents d’autre part...

1°) La planification rigoureuse des besoins de recrutement

Elle et la condition nécessaire et indispensable pour juguler la pléthore qui grève les ressources de l’Etat. Elle ne peut se réaliser qu’avec l’abandon de la spécialisation ministérielle verticale, du système des écoles de formation professionnelle et la normalisation de la création des structures au sein des départements ministériels ou des institutions publiques.

L’abandon de la spécialisation ministérielle verticale d’abord. La spécialisation ministérielle est soit verticale, soit horizontale.74 Dans la spécialisation verticale, une tâche unique, pointue, est confiée à un département ministériel; exemple : ministère du développement rural, englobant l’eau, l’environnement, l’agriculture et l’élevage. Au Burkina, l’option est marquée pour la spécialisation verticale depuis la Révolution d’août 1983. Sous le Conseil National de la Révolution (CNR, 1983-1987), une même branche (ou un même secteur) d’activités était confiée à plusieurs ministères. Le secteur du développement rural était réparti entre le ministère de l’agriculture, le ministère de la question paysanne, le ministère de l’eau, le ministère de l’environnement, le ministère des ressources animales; de même, le secteur de l’économie et des finances était confié à six (6) ministères distincts : les ressources financières, le budget, le plan et la coopération, la promotion économique, les sociétés d’Etat, l’industrie, le commerce et l’artisanat.

Cette spécialisation verticale, qui a le mérite indéniable de concentrer les efforts de l’Etat sur des questions prioritaires, a l’inconvénient majeur d’influer sur la taille du gouvernement, de rendre difficile la définition de politiques/plans d’action pour un secteur d’activités connexes et, surtout, de favoriser des duplications fonctionnelles entraînant un dédoublement des structures. 74 La spécialisation géographique ne concerne pas les Etats africains.

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Concernant la taille du gouvernement, le Burkina Faso n’a jamais compté moins de trente (30) ministères depuis la Révolution d’août. Il en compte actuellement trente-huit (38) et de toute évidence, le cloisonnement ou la parcellisation de tâches connexes entraîne la duplication des structures et le dédoublement personnel.

S’agissant de la difficulté de définition des politiques/plans d’action, il est tout aussi évident que la spécialisation verticale empêche de disposer d’un tableau de bord pour une branche ou pour un secteur d’activités. Par exemple, comment définir une politique de l’éducation quand le secteur est confié à un Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation (MEBA) et à un Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESSRS). La même question se pose avec le secteur de l’économie, un secteur réparti entre un ministère des finances et de l’économie, un ministère du budget, un ministère de l’industrie, du commerce et de l’artisanat et un ministère de l’énergie et des mines comme c’est le cas présentement.

Quant au dédoublement des structures, qui entraîne un dédoublement des fonctions et donc des fonctionnaires, il a été relevé par le rapport de synthèse des audits organisationnels des ministères et institutions sus-évoqués. Ainsi, plusieurs ministères, impliqués dans une même tâche, ont chacun un service commis à cette tâche qui ne peuvent que se concurrencer par défaut de coordination. C’est actuellement le cas concernant :

• le Secrétariat Général du Gouvernement et du Conseil des Ministres et le Ministère chargé des relations avec le parlement pour les relations avec le parlement;

• le Ministère des Affaires Etrangères et le Ministère de l’Intégration et de la Solidarité Africaines pour la politique extérieure;

• le Ministère de la Fonction publique et de la Modernisation de l’Administration et le Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique pour la gestion des bourses de stage;

• le Ministère de l’Administration Territoriale et le Ministère de l’Economie et des Finances pour l’aménagement du territoire;

• le Ministère de l’Economie et des Finances, le Ministère des Travaux Publics, de l’Habitat et de l’Urbanisme pour la gestion de l’espace urbain;

• le Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales, le Ministère de l’Environnement et du Tourisme, le Ministère de l’Eau pour la gestion des ressources naturelles;

• le Ministère de la Santé et le Ministère de l’Action Sociale et de la Famille pour les affaires sociales.

Au total, on ne peut pas espérer éradiquer la pléthore avec la multiplication artificielle des ministères qui, en sectionnant une même tâche, développe des structures concurrentes à l’origine des doubles emplois.

L’abandon du système des écoles de formation ensuite. On avait cru que le système des écoles, appelé sectorisation de la formation professionnelle, était le plus sûr moyen d’assurer la spécialisation poussée des agents. On se rend compte aujourd’hui qu’elle réalise plus la promotion sociale que la promotion technique des intéressés, tout en coûtant cher à l’Etat.

A la vérité, la sectorisation porte des conséquences désastreuses sur l’organisation et la gestion académique et pédagogique des écoles.

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Concernant l’organisation, la sectorisation est à l’origine des défaillances constatées au niveau des missions et des structures de ces écoles ainsi qu’au niveau de l’encadrement des élèves.

Premièrement, les missions : les quatre (4) grandes écoles de formation des fonctionnaires ont reçu des référentiels politiques et réglementaires la double mission d’assurer la formation initiale et le perfectionnement. Il se trouve que du fait de leur rattachement à des ministères différents (ministère chargé de la fonction publique pour l’ENAM; ministère chargé de la sécurité pour l’Ecole Nationale de Police - ENP - ; ministère chargé des finances pour l’Ecole Nationale des Douanes - END -, et l’Ecole Nationale des Régies Financières - ENAREF -) les deux missions ne sont pas prises en compte. A l’ENAP et à l’END, aucun texte interne n’organise le perfectionnement : cette mission fondamentale se réduit aux rares conférences ou séminaires tenus au gré des opportunités financières offertes par des partenaires étrangers (France et Canada notamment). A l’ENAM et à l’ENAREF, les statuts prévoient les stages de perfectionnement mais ceux-ci ne sont pas formalisés par des programmes. Et il faut en convenir : la formation initiale sans le perfectionnement, c’est la routine et l’immobilisme qui sont consacrés.

Deuxièmement, les structures : elles ne répondent pas aux tâches de formation, de perfectionnement, d’organisation des stages pratiques, d’impulsion de la recherche appliquée au niveau des cycles A qui sont post - universitaires. Ainsi, à l’ENP et à l’END, le Directeur est seulement assisté d’un coordonnateur des études et des stages. A l’ENAREF, le Directeur Général est assisté d’un directeur des affaires administratives et financières. Dans tous les cas, il y a un nanisme structurel, puisque les quatre (4) attributions de ligne (formation, perfectionnement, stage, recherche appliquée) ne sont pas prises en compte.

Troisièmement, l’encadrement des élèves : il laisse beaucoup à désirer en raison de l’instabilité directoriale et du défaut de statut du corps enseignant. L’instabilité directoriale s’explique par le fait que tout changement de ministre entraîne presque automatiquement le changement des responsables des services centraux déconcentrés ou rattachés. Entre 1985 et 1995, soit en l’espace de dix (10) ans, l’ENAM et l’END ont changé de directeur tous les vingt quatre (24) mois; l’ENP, tous les vingt (20) mois; l’ENAREF, tous les quarante (40) mois.

Le corps enseignant de ces écoles comprend des professeurs permanents qui ne sont que des fonctionnaires mis à leur disposition car n’ayant pas de statut particulier et des enseignants vacataires qui sont également des fonctionnaires autorisés par leur ministre à dispenser des cours tout en s’acquittant de leurs obligations de fonctionnaires. A l’ENP, à l’END, à l’ENAM et à l’ENAREF, les professeurs permanents représentaient respectivement, au 30 avril 1995, 2%; 18,23%; 10% et 18,33% du corps enseignant. Or, les vacataires, en nombre surabondant, n’ont pas toujours la compétence, la pédagogie, le temps pour remplir correctement leur mission de formation des cadres de l’administration.

S’agissant de la gestion académique et pédagogique, on peut parler d’anarchie pour la première et de graves insuffisances pour la seconde. En effet, au plan académique, les durées de scolarité sont très inégales : par exemple, pour le cycle A, elle est de vingt quatre (24) mois à l’ENAM, trente (30) mois à l’ENAREF, vingt sept (27) mois à l’ENAP et trente six (36) mois à l’END. Ce qui signifie que si deux (2) candidats à la fonction publique sont recrutés dans la même année, l’un à l’ENAM, l’autre à l’END, celui de l’END intégrera la fonction publique avec une ancienneté d’une (1) année sur celui de l’ENAM. Par ailleurs, les deux (2) candidats à la fonction publique n’ont pas le même volume d’horaire : 700 heures à l’ENAM contre 2052 à l’END.

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Au plan pédagogique, les insuffisances se situent au niveau des instances d’une part et au niveau des supports et méthodes d’autre part. Au niveau des instances pédagogiques, on constate qu’il n’y a ni comité intérieur des études et des stages (pour se prononcer sur les programmes de formation et de perfectionnement, le règlement des études, les modalités d’évaluation, etc.), ni conseils pédagogiques (pour se prononcer sur les contenus des cours, la complémentarité des matières) à l’ENP et à l’END et qu’à l’ENAM et à l’ENAREF, ces instances pédagogiques ne fonctionnent pas. Au niveau des supports et des méthodes, on constate encore qu’aucune école ne dispose d’une vraie bibliothèque et que la préférence est marquée pour les cours magistraux aux dépens des méthodes actives et participatives.

Au total, le système des écoles rend difficile la définition d’une politique gouvernementale de formation et de perfectionnement, rend impossible toute planification rigoureuse des besoins de formation, et donc de recrutement, empêche toute homogénéisation et toute harmonisation pédagogique, ne réalise pas la spécialisation recherchée en l’absence de programmes conçus sur mesure, selon l’approche par conséquence et, en définitive, fait dépenser énormément l’Etat pour la seule promotion sociale des agents. C’est pourquoi, en droite ligne des objectifs d’une fonction publique semi-fermée, il conviendrait de créer un Institut National de Formation et de Perfectionnement pour fédérer les écoles. Cet institut serait aux différentes écoles ce qu’est l’université aux facultés ou instituts. De cette manière, la planification des recrutements serait aisée, la gestion académique et pédagogique mieux harmonisée et assurée et le tout, dans l’amenuisement des coûts de formation.

La normalisation de la création des structures au sein des départements ministériels enfin. Les ministères ont une organisation - type définie par le décret 92-167 du 14 juillet 199275 . Celui-ci prévoit comme structures internes de chaque département ministériel : le cabinet (englobant le secrétariat particulier et les conseillers techniques), le secrétariat général, les directions générales, les directions et les services.

Cette réglementation était insuffisante en ce qu’elle accordait un pouvoir discrétionnaire au Ministre en ce qui concerne le nombre des structures. La lacune a été corrigée avec la loi 020/AN du 5 mai 1998 portant normes de création, d’organisation et de gestion des structures de l’administration ci-dessus mentionnée. Elle pose le principe selon lequel une direction correspond à une mission de ligne (mission fondamentale, par opposition à mission d’appui) et doit comprendre trois services au minimum. Cette normalisation est bienvenue, car elle est de nature à empêcher le foisonnement des services dicté par le souci de placer des parents ou des amis politiques.

2) Le suivi constant des agents

Un agent productif, ayant un sens élevé du service public et de l’intérêt général, est forcément un agent constamment suivi dans l’exécution de ses tâches. L’anonymat dans la massification incline à la paresse et à toutes les attitudes négatives des bonnes manières de servir. Ce suivi des agents passe nécessairement par une bonne utilisation du personnel, par un contrôle continu de l’exécution des tâches, par l’objectivité et la transparence dans la sanction des obligations.

La bonne utilisation du personnel d’abord. Si on ne travaille pas en Haute-Volta comme l’a souligné Salon S., cela est dû, en partie, à une faute de l’administration ou de son fonctionnement. La productivité d’un agent est tributaire de ses conditions de travail. Parmi les conditions idéales à réunir, on peut citer : 75 JO du 9-16 juillet 1992, p. 879.

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- l’affectation des agents aux postes de travail selon leur profil professionnel. Cette condition fait défaut au sein de l’appareil administratif d’Etat. Depuis la restauration de la démocratie au Burkina, l’ultra parti dominant au pouvoir (la Convention pour la Démocratie et le Progrès, CDP) pratique le clientélisme, se comporte, non pas comme une “partie du tout national”, mais comme une “partie contre le tout national”. Cela se traduit par des affectations récompenses ou, au contraire, par des affectations - sanctions que les audits organisationnels de 1995 ont dénoncées sans résultats : par exemple, au niveau de l’enseignement primaire (Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation), le personnel est composite; il regroupe vingt et un (21) corps de fonctionnaires dont seulement huit (8) appartiennent au cadre de l’enseignement primaire. Beaucoup d’enseignants sont donc affectés à des tâches administratives tandis que 40% des maîtres d’école n’ont reçu qu’une formation sommaire avant leur prise de service et que les agents de conception (5,4% des effectifs du ministère), appelés à concevoir les programmes et documents pédagogiques, n’ont pas fait d’études supérieures mais sont parvenus à la catégorie A de la fonction publique par voie de promotion interne (concours professionnels).

Il conviendrait de mettre fin à ces pratiques administratives en procédant à une description des postes de travail et en interdisant leur occupation par des agents sans le profil professionnel. Cela doit s’appliquer également aux postes de la responsabilité dont les titulaires doivent être désignés suivant le même critère de la compétence;

• la bonne répartition géographique, sectorielle et catégorielle du personnel. Elle fait toujours défaut au Burkina. Au plan géographique, 41% des effectifs de la fonction publique résidaient à Ouagadougou (la capitale) en 199476, ce qui prouve la sous-administration du territoire, la pléthore au centre et la pénurie à la périphérie. Au plan sectoriel, le même déséquilibre se retrouve entre ministères d’une part et, d’autre part, entre services d’un même ministère. Au plan catégoriel, les ratios cadres supérieurs / cadres moyens / cadres d’exécution ne sont pas respectés. Au lieu du principe un (1) cadre supérieur pour quatre (4) cadres moyens et un (1) cadre moyen pour trois (3) agents d’exécution, on assiste plutôt à un déséquilibre de la pyramide catégorielle du personnel en faveur des cadres supérieurs; par exemple, ces derniers représentaient, en 1995, 42% des effectifs du Ministère de l’eau, 56% des effectifs du Ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, 78% des effectifs du Ministère des Affaires Etrangères, 86% des effectifs du Ministère de la Communication et de la Culture.Une mauvaise répartition du personnel donne inéluctablement soit dans le gigantisme, soit dans le nanisme; dans les deux cas, la productivité est annihilée ;

• la garantie d’une stabilité minimale dans les fonctions. Cette garantie est primordiale. La valse des directeurs généraux et des directeurs, au rythme des changements ministériels, influe négativement sur le rendement des services publics.

Le contrôle continu de l’exécution des tâches ensuite. Si les attributions de chaque agent sont précisément délimitées et formalisées, le contrôle de cet agent est rendu aisé : il suffit d’institutionnaliser la programmation des activités et d’assortir le programme de tout agent d’une lettre d’objectifs77 et d’un rapport d’activité.78

76 Voir Rapport de synthèse de la mission de consultation sur l’évaluation des capacités au Burkina Faso, Secrétariat technique permanent du PAS, 1995, Ouagadougou. 77 La lettre d’objectifs indique à l’agent les résultats attendus sur une période d’un an d’activité. 78 Le rapport d’activité doit permettre à l’agent d’expliquer ou de justifier les résultats atteints.

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L’objectivité et la transparence dans la sanction des obligations enfin. L’agent est soumis à des obligations qui ne sont pas exactement celles de son homologue du secteur privé. S’il s’en acquitte consciencieusement, il convient de le motiver par l’octroi de récompenses; s’il manque à ses obligations professionnelles, il convient aussi de le sanctionner. Au Burkina Faso, récompenses et sanctions disciplinaires ne sont pas ordonnées à leur but.

Pour les récompenses, l’article 150 de la loi du 28 avril 1998 stipule que “la lettre de félicitations et d’encouragement ou la décoration pour faits de service public sont décernés au fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, s’est particulièrement distingué par son dévouement et son engagement professionnel, sa contribution à l’accroissement du rendement du service”. Malheureusement, la lettre de félicitations et d’encouragement, décernée au fonctionnaire par le Ministre sur proposition du directeur de service, ne fait pas l’objet de publication et ne donne aucun avantage de carrière (bonification d’un an d’ancienneté par exemple) comme la décoration, décernée par décret présidentiel, qui donne droit à une bonification d’un échelon.

Pour les sanctions disciplinaires, il faut tout mettre en oeuvre pour empêcher le favoritisme et le règlement des comptes politiques. Il est de notoriété publique au Burkina que des fonctionnaires, coupables de détournements de derniers publics, ne sont pas inquiétés (d’où la lutte actuelle du collectif des organisations de masse et de partis politiques contre l’impunité) et d’autres, jugés et condamnés à des peines d’emprisonnement et d’amende, sont repris ultérieurement dans un autre ministère et dans un autre cadre.

Ce traitement inégal des agents doit être pour beaucoup dans le laisser-aller et la gabegie. Pour pallier le manque d’objectivité et de transparence dans les sanctions disciplinaires, il conviendrait de créer un Haut Conseil de la Déontologie et de la Discipline (HCD) chargé, par sa section administrative, de recevoir les plaintes des usagers et les dénonciations, de faire les investigations sur le bien fondé de ces plaintes et dénonciations et, par sa section disciplinaire, d’engager la procédure disciplinaire soit d’office sur saisine de la section administrative, soit à la demande du ministre dont relève l’agent de prononcer une sanction irrévocable dont l’application serait suivie par cette section disciplinaire.

CONCLUSION

Dans les pays africains en général et au Burkina Faso en particulier, la place et le rôle de l’Etat dans le processus de développement demeureront longtemps encore irremplaçables. Pour mettre en place les structures d’accueil du développement moderne, pour promouvoir tous les secteurs, pour répondre aux nombreux et divers besoins du public que l’initiative privée absente, embryonnaire ou carencée ne peut satisfaire, l’administration de l’Etat doit disposer d’un personnel hautement qualifié, en nombre suffisant, productif et non coûteux par rapport aux possibilités financières.

Ce personnel ne peut s’obtenir avec le modèle américain de fonction publique en raison des réalités locales : l’administration doit former le personnel dont elle a besoin et assurer son perfectionnement; cette administration est le premier employeur du pays parce que le secteur privé est encore peu développé; la précarité de l’emploi public inciterait à toutes les extravagances comportementales, etc.

Ces mêmes réalités locales ne plaident pas non plus en faveur du modèle français de fonction publique; le contexte socio-économique et politique incite à la paresse, à l’absentéisme, à la gabegie, à la corruption, etc.

Pour l’Etat africain et plus singulièrement pour l’Etat burkinabé, la fonction publique de carrière est, et demeure, celle qui est conforme aux rôle et missions de l’Etat. Mais cette fonction publique

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de structure fermée a seulement besoin d’être aménagée pour anéantir ses tares héréditaires. A cette fin, il peut être envisagé deux (2) étapes dans le recrutement “définitif” des agents : d’abord, une première sélection axée sur la compétence; c’est le stage probatoire qui doit être mieux organisé pour n’être plus une simple formalité. Ensuite, une deuxième sélection axée sur le dévouement; c’est la titularisation qui doit intervenir à l’expiration de l’engagement décennal, sur avis motivé d’un organe consultatif paritaire statuant sur dossier.

Les dix (10) années d’engagement décennal, durant lesquelles l’agent n’est qu’un contractuel de droit public vis à vis de l’administration, constituent un long et bon temps d’épreuve où l’agent est obligé de se révéler.

Mais cet aménagement ne suffit pas. Il doit être accompagné d’un mécanisme de planification rigoureuse des besoins de recrutement d’une part et d’un mécanisme de suivi constant des agents d’autre part.

C’est dire qu’en Afrique, notamment au Burkina Faso, c’est l’effort d’adaptation, d’imagination, de créativité, qui manque le plus. Il y a lieu de se convaincre que tout progrès dans tous les domaines ou secteurs requiert l’adaptation des institutions modernes au milieu et non leur greffe sur ce milieu. Une affirmation qui n’a pas besoin d’être explicitée...