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LES DISCOURS DE LA TRADUCTOLOGIE EN FRANCE (1970-2010) : ANALYSE ET CRITIQUE Maryvonne Boisseau Pub. linguistiques | Revue française de linguistique appliquée 2009/1 - Vol. XIV pages 11 à 24 ISSN 1386-1204 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2009-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Boisseau Maryvonne, « Les discours de la traductologie en France (1970-2010) : analyse et critique », Revue française de linguistique appliquée, 2009/1 Vol. XIV, p. 11-24. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Pub. linguistiques. © Pub. linguistiques. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.62 - 17/04/2014 17h24. © Pub. linguistiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.62 - 17/04/2014 17h24. © Pub. linguistiques

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LES DISCOURS DE LA TRADUCTOLOGIE EN FRANCE (1970-2010) :ANALYSE ET CRITIQUE Maryvonne Boisseau Pub. linguistiques | Revue française de linguistique appliquée 2009/1 - Vol. XIVpages 11 à 24

ISSN 1386-1204

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2009-1-page-11.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Boisseau Maryvonne, « Les discours de la traductologie en France (1970-2010) : analyse et critique »,

Revue française de linguistique appliquée, 2009/1 Vol. XIV, p. 11-24.

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Rev. franç. de linguistique appliquée, 2009, XIV-1 (11-24)

Les discours de la traductologie en France (1970-2010) : analyse et critique

Maryvonne Boisseau

Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle

Résumé : Prenant comme point de départ l’article de J. Guillemin-Flescher paru en 2003 dans le numéro de la RFLA consacré à la traduction, cette présentation reconsidère la classification des modèles théoriques proposée alors. La plus grande porosité des frontières entre des champs disciplinaires indépendants et le développement de la traductologie amènent à proposer une nouvelle répartition de ces discours théoriques qui tienne compte de l’histoire de leur élaboration les uns par rapport aux autres, de leur rapport aux concepts mêmes de théorie et pratique et des perspectives qu’ils ouvrent. Abstract: Starting from J. Guillemin-Flescher’s paper published in the 2003 RFLA issue devoted to translation, this contribution re-examines her classification of theoretical models contrasting it to current practice. The theoretical discourses on translation are considered in relation to the greater porosity between independent disciplinary subjects (literature, linguistics and “civilisation”) as well as to the development of translation studies in France. A new categorization taking into account the complex history of their interaction as well as their relation to the very concepts of theory and practice and to more recent developments is thus suggested.

Introduction

Dans son article de 2003, « Théoriser la traduction », Jacqueline Guillemin-Flescher situait son propos à la fois par rapport aux polarités qui structurent le débat sur la traduction depuis des siècles et par rapport aux perspectives nouvelles ouvertes, au XXe siècle, par le développement de la linguistique et le changement d’échelle de la production de textes traduits. Constatant qu’à une évolution dans le domaine pratique correspondaient une multiplication et une diversification des courants théoriques qui inspirent la réflexion sur la traduction, elle distinguait principalement trois modèles théoriques (2003, 5) : (i) « le modèle idéal fondé sur la critique des traductions et sur un jugement qualitatif » dans le sillage de Walter Benjamin ; (ii) « le modèle scientifique fondé sur la systématisation des phénomènes observables » dont se réclament ceux qui cherchent à mettre au jour les comportements langagiers intériorisés conditionnant la traduction ;

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(iii) « le modèle qui vise l’opération de traduction au moment même où l’on traduit », modèle développé par les tenants de l’approche interprétative.

Quelque cinq années plus tard, la distinction établie par J. Guillemin-Flescher n’est assurément pas obsolète mais certains changements viennent peut-être brouiller la netteté de cette classification. Le premier de ces changements est sans doute un effet de ce qu’on appelle « mondialisation » et concerne l’importance accordée à la traduction comme outil majeur de communication : la prééminence du rôle communicationnel de la traduction semble réaffirmée. Une seconde évolution serait celle des disciplines institutionnelles traditionnelles vers une séparation moins stricte entraînant une plus grande interdisciplinarité. La traduction devient alors la discipline transdisciplinaire par excellence – littéraire, linguistique et culturelle –, et acquiert petit à petit un nouveau statut, encore très fragile, de discipline de recherche à part entière, distincte de chacune des disciplines qu’elle chevauche mais en même temps revendiquée par les spécialistes de ces mêmes disciplines comme une part de leur domaine. Elle est donc, paradoxalement, constamment menacée à la fois de dispersion et d’absorption. C’est dans ce cadre et au sein de cette tension entre d’un côté l’utile et fonctionnel, et, de l’autre, le théorique et spéculatif qu’il est nécessaire de considérer aujourd’hui la place et l’orientation des discours sur la traduction, ce qui conduit à réexaminer ce qu’on appelle « traductologie » ainsi que l’évolution des discours qui plus ou moins s’en réclament.

1. Traductologie, linguistique contrastive, stylistique comparée

Qu’est-ce que la traductologie ? Si la réflexion sur la traduction accompagne l’activité elle-même depuis que l’on traduit, le souci de constituer ce domaine en discipline spécifique est, en revanche, relativement récent1. Plusieurs façons d’envisager le travail et les recherches, mais aussi des orientations théoriques diverses et divergentes, sont indiquées par ces dénominations : traductologie, linguistique contrastive, stylistique comparée qui, tout en se chevauchant, recouvrent des pratiques ancrées dans des présupposés qui varient de l’une à l’autre.

Sans doute le terme de traductologie, créé au début des années 1970 et attribué, selon M. Ballard (2006, 7), au Canadien B. Harris, est-il celui qui fait le plus débat, même si aujourd’hui à l’université et dans le vaste secteur de ce qu’on appelle les sciences humaines, son emploi de plus en plus fréquent désigne un enseignement disciplinaire et un domaine de recherche spécifiques. Malgré cela, on est parfois bien en peine pour expliquer en quoi consiste précisément la traductologie et des « traductologues », rassemblés en colloque en 2003 furent invités à répondre à la question « Qu’est-ce que la traductologie ? » (cf. Ballard 2006), interrogation on ne peut plus révélatrice de la difficulté de ce néologisme à s’implanter dans la langue et, corrélativement, du statut incertain ou mal défini de ce qu’il recouvre. En effet, à l’inverse des pays anglophones qui embrassent l’ensemble des études sur la

1 On fait généralement coïncider ce développement avec celui de la traduction à une grande échelle et de l’ouverture de formations professionnelles dans des établissements spécialisés, après la seconde guerre mondiale et, de façon plus significative, au début des années 1960, avec la parution en 1964 de Toward a Science of Translating de E.A. Nida.

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traduction sous la désignation consensuelle de Translation Studies, ce qui touche à la traduction, dans l’aire francophone, et particulièrement en France2, peine à trouver place sous une étiquette commune qui, par voie de conséquence, fait alors problème. Les difficultés se situent au croisement de deux orientations principales, l’une ayant trait au type de textes étudiés et donc aux raisons de traduire, au public visé et aux méthodes d’apprentissage, l’autre à la manière d’envisager l’articulation entre pratique et théorisation, et donc à la conceptualisation de la réflexion sur la traduction dans toutes ses implications, de la décision de traduire au résultat en passant par le processus lui-même et l’examen du statut du traducteur.

Cela conduit à distinguer entre différents types de discours qui (presque) tous se réclament de la traductologie et en proposent une définition à partir de leur point de vue3 : (i) un discours utilitaire qui se subdivise en discours de la déverbalisation et discours de la modélisation ; (ii) un discours multidimensionnel, favorisé par la nature complexe de l’objet « traduction » et qui se veut scientifique (théorique) et appliqué ; (iii) enfin un discours différentiel qui se subdivise en discours à prédominance réflexive et critique (ou mêlant la linguistique et le réflexif) et en discours linguistique4. Ces trois types de discours sont traversés à des degrés divers par le souci didactique, par la question du traducteur et par la préoccupation de l’évaluation.

2. Types de discours

2.1. Les discours utilitaires

Le discours utilitaire de la « déverbalisation » s’intéresse principalement à la visée communicative de la traduction et cherche à transmettre le sens qui, selon les défenseurs de ce discours, « subsiste dans la mémoire un temps plus ou moins long à l’état non verbal » (Lederer, dans Ballard 2006, 41) indépendamment des signes linguistiques à travers lesquels il se constitue. S’appuyant au départ sur l’expérience de l’interprétation consécutive et simultanée, appliqué ensuite à la traduction de textes écrits pragmatiques et techniques, puis, plus récemment, étendu à la traduction de textes littéraires, ce discours se fonde sur quelques présupposés simples : la dissociation entre langage et pensée, le « vouloir dire » d’un auteur, les principes de correspondance et d’équivalence entre les systèmes linguistiques, la

2 Il y a à cela des raisons institutionnelles (voir à ce propos D. Chartier, dans Ballard (2006, 284-292), pour ce qui concerne la place de la traductologie à l’université), mais aussi des raisons liées aux écarts entre les traducteurs de métier et ceux qui font de la traduction une activité secondaire (les traducteurs universitaires, par exemple). 3 Ces trois types de discours recoupent en partie la différenciation de J. Guillemin-Flescher en modèles. Ce balisage de la situation, en France particulièrement, entraîne une réduction inévitable et il faudrait compléter cet aperçu par des considérations sur les développements de la traductologie en Allemagne (théorie du skopos à la suite des travaux de Katharina Reiss), en Israël (méthode descriptive et comparative de Gideon Toury), au Canada, en Belgique, et sur celui des Translation Studies aux Etats Unis, en Grande-Bretagne (où se développent les études sur corpus), en Irlande (tournée vers le rôle de la traduction dans un contexte de mondialisation), en Finlande, en Roumanie… 4 On pourrait ajouter ici le discours philosophique et le discours psychanalytique que, pour diverses raisons, nous situons cependant hors champ (voir note 10 infra).

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non remise en cause de la compréhension du message par le destinataire et la « déverbalisation » du message initial, condition même de son interprétation, au point que « sans une large mesure de déverbalisation, il ne saurait y avoir de traduction satisfaisante » (ibid., 42). Ce discours méthodologique s’autorise de sa généralisation à tous types de textes, pragmatiques et littéraires, oraux et écrits, pour s’identifier à « la traductologie » (comme science de l’interprétation et de la traduction) et se présente comme « la théorie de la traduction » (ibid.), en opposition aux comparatistes d’un côté et aux traductologues « trop strictement universitaires », de l’autre (ibid., 45)5.

Le discours utilitaire de la « modélisation » quant à lui cherche, au nom du bon sens, à s’affranchir de la traductologie et de toutes les théories en partant de « la seule réalité tangible » sur laquelle on puisse s’appuyer, à savoir la prestation du traducteur :

On peut imaginer une option intermédiaire de bon sens [qui] consiste à tenter de prendre en compte l’ensemble des situations pour modéliser le processus des traductions. Pour ce faire, il faut passer des situations réductives que sont les conditions d’un transfert spontané adéquat à une vue générique englobant tous les matériaux, tous les opérateurs, et tous les environnements. Il s’agit, dans les termes de disciplines relevant de la gestion de production ou de fabrication, de tenter de dégager un chemin critique du traducteur entre le moment où il reçoit une commande ou forme un projet et celui où il clôt son dossier (Gouadec, in Ballard 2006, 295-296 ; soulignement dans l’original).

Le processus de traduction n’a plus rien à voir avec la complexité d’une opération langagière mais repose sur un protocole modélisé incluant toutes les composantes et variables possibles dans le cadre d’une négociation entre un donneur d’ordre et un exécutant. D’une conception en grande partie socio-économique de l’interprétation et de la traduction, nous passons, semble-t-il, à une conception à la fois économique et strictement technique, voire techniciste, presque mécanique, où tout peut être prévu, calculé et optimisé, y compris le comportement du traducteur, rouage central dans ce modèle « applicable universellement » (ibid., 297). La « traduction instrumentale » en est d’ailleurs le modèle :

Il suffit de choisir le champ de modélisation le plus large possible en prenant appui sur la traduction instrumentale (traduction ayant, littéralement, fonction d’instrument : modes d’emploi, contrats, et autres, dont le bon fonctionnement se juge selon des critères objectifs de type ‘marche/marche pas’) dans des conditions de complexité maximale de champ d’application, type de matériau, outils requis, compétences nécessaires, format, etc. (ibid., 296).

Exit la traductologie, du moins la traductologie illusoirement scientifique, avantageusement remplacée par ce qui serait une analyse « traductographique » « consistant à définir les objets, outils, processus, objectifs, protagonistes, règles et procédures de production des traductions » (ibid., 297). C’est en fait toute l’articulation entre la réflexion et la pratique qui est repensée en termes de « chemin

5 Rappelons que cette théorie a été élaborée par D. Seleskovitch et M. Lederer, promulguée et appliquée au cours de ces trente dernières années à l’ESIT/ISIT (Université Paris 3). Paru en 2005, un ouvrage collectif dirigé par F. Israël et M. Lederer, en hommage à D. Seleskovitch, disparue en 2001, en offre une vision complète, depuis sa genèse jusqu’à ses applications didactiques et pratiques.

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critique6 » et de « modèle », la modélisation servant de filtre entre la théorie et la pratique. C’est à ce prix, selon D. Gouadec, que l’on parviendra à l’élaboration d’une vraie théorie, dépourvue d’ambiguïté :

Si la référence commune existe, une théorie générique peut se développer en tant que telle, exonérée de toute obligation applicative – comme toute science pure s’exonère de toute demande d’application a priori, puisque c’est le modèle et non pas la théorie qui sous-tend les applications (ibid., 299).

Ce discours utilitaire tranche avec le précédent par sa volonté de décomposer et de rationaliser le processus afin de l’optimiser au maximum en incluant toutes les composantes de la prestation. Si l’on voit bien les applications d’une telle démarche à la traduction des textes pragmatiques, à la formation de traducteurs « spécialisés », et à la recherche de procédures automatiques de traduction, l’absence de référence aux textes eux-mêmes laisse perplexe, comme s’ils ne posaient jamais de problèmes, ni de construction ni d’interprétation, comme si le malentendu était impossible, ou comme si le modèle permettait de prévoir toutes les difficultés et de les résoudre sans défaillance. Par ailleurs, ce discours ne va finalement pas jusqu’au bout de sa logique, qui serait d’instituer des critères d’évaluation du produit selon des normes de qualité elles aussi modélisées. On peut donc se demander si la modélisation ne débouche pas plutôt, et dangereusement, sur une standardisation et une normalisation des procédures applicables à tous types de textes, ce qui entraînerait un nivellement des textes et des manières de traduire tout aussi éloignées de la pratique quotidienne et de l’expérience des traducteurs que la scientificité de la traductologie.

2.2. Le discours multidimensionnel

Le second type de discours, dit multidimensionnel, est représenté en France par l’un des ardents défenseurs de la traductologie à l’université, M. Ballard qui, d’une hésitation au début des années 1990, est passé à une défense convaincue de la discipline et à la revendication d’une orientation qui lui est propre. Que l’on compare :

On a vu se développer depuis la seconde guerre mondiale un mouvement de réflexion sur la traduction, que l’on tend aujourd’hui à désigner du terme de « traductologie ». Il vient généralement d’horizons très divers, et c’est une bonne chose. Mais le fait d’entamer une réflexion à caractère scientifique, ne doit pas faire oublier ce qui a pu se dire, même très modestement, en la matière dans un passé plus ou moins lointain (1992, 13 ; nous soulignons).

et La traductologie que je propose n’est pas une démarche de l’esquive ou du lissage, elle est solidement implantée dans la réalité de la traduction et se veut ouverte aux apports de l’interdisciplinarité, ouverte aussi à l’évolution. […] La traductologie ne peut être réductrice ni réduite à quelques schémas ou modèles venus d’ailleurs, qui en feraient une dépendance vouée à une maladresse et à des insuffisances caricaturales ; ceci

6 Il faut entendre l’expression dans son sens spécialisé renvoyant à « l'un des ensembles d'opérations, de tâches successives dont la durée d'exécution, incompressible, apparaît comme un délai minimal pour l'exécution de la totalité d'un projet » (Le Petit Robert).

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n’exclut pas l’importation et l’adaptation de procédures extérieures selon les besoins, et si elles remplissent leur fonction, en vue d’élaborer une science spécifique, authentiquement humaine (2006, 192 ; nous soulignons).

On notera l’évolution du point de vue de M. Ballard qui voyait dans la traductologie à ses débuts une « réflexion à caractère scientifique » puis, quelque quinze ans plus tard, « une science spécifique, authentiquement humaine ». On notera aussi, dans le premier extrait, la précaution concernant la désignation (« que l’on tend à… ») et, dans la seconde citation, l’affirmation d’une démarche personnelle, volontariste, qui se caractérise sans doute par son ouverture mais aussi, implicitement, par une sorte de crispation, perceptible dans le rejet de ces « schémas ou modèles venus d’ailleurs » (de la littérature ? de la sociolinguistique ? ou d’une certaine pratique linguistique ?). En effet, la première dimension du discours de M. Ballard est sa recherche d’une assise identitaire sur des bases indépendantes, propres à la discipline, ce qui suppose une bonne « gestion » de l’interdisciplinarité :

[…] il serait dommageable pour la discipline et surtout pour notre appréhension de la traduction que l’interdisciplinarité débouche sur un éclatement ou une dilution de la notion de traductologie. La traduction peut sans doute bénéficier de l’interdisciplinarité, il lui faut aussi trouver une cohérence et une identité par des synthèses et une démarche partant de l’observation du phénomène (2006, 179).

La seconde dimension de ce discours est son aspiration scientifique : la traductologie est cette approche scientifique de la traduction, et, comme toutes les sciences, elle s’appuie d’abord sur l’observation (si elle est une science, c’est une « science de l’observation » (Ballard, ibid., 184)), tout en sachant bien ne pouvoir donner de l’opération de traduction « une explication purement scientifique » (ibid.). Cependant, cette réserve, au demeurant juste, manifeste, à ce niveau et au sein même de ce discours de traductologue (sur la traductologie), une série de contradictions d’ordre conceptuel : « qu’elle ne soit pas une science mathématique, c’est évident parce que son objet n’est pas matériel […] » (ibid., 192) – l’objet d’une science mathématique serait-il matériel ? –, et d’ordre logique : « […] même s’il contient de la matière, son objet est un processus qui plonge dans le fonctionnement de l’esprit humain lorsque celui-ci participe à trois activités majeures : l’herméneutique, la paraphrase synonymique à visée imitative et l’écriture (la faculté de produire un texte convaincant) » (ibid.). Ici, la définition de l’objet pose problème : on peut en effet se demander en quel sens le mot matière est utilisé et s’il n’y a pas une contradiction entre l’idée d’un objet qui contiendrait de la matière et celle de processus. Une troisième dimension du discours de M. Ballard est la perspective historique qui vient à la fois légitimer l’institutionnalisation récente du champ de la réflexion sur la traduction et l’inscrire dans une continuité épistémologique7. Enfin, et c’est une quatrième dimension, tout en rejetant la notion de « procédé de traduction » (« vexatoire » et « irréaliste », 2006, 187), ainsi que celle d’unité de traduction, développées d’abord par Vinay & Darbelnet puis, dans un autre cadre théorique par H. Chuquet et M. Paillard, M. Ballard les « recatégorise » en quelque sorte et s’appuie sur ces éléments de méthodologie pour développer une approche

7 Voir son ouvrage De Cicéron à Benjamin (1992).

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didactique qu’on ne saurait séparer des considérations générales de son discours8. C’est bien à partir de cette expérience pédagogique qu’il élabore sa propre conception de la traduction (en tant qu’activité spécifique), du traducteur (en termes de compétences) et de la traductologie (comme science de l’observation) :

La traduction est une activité spécifique qui requiert pour son étude une démarche spécifique (2006, 179).

La compétence du traducteur est plurielle, elle fait aussi bien intervenir la capacité herméneutique, le jugement d’équivalence, les capacités d’écrivain ou de rédacteur que les compétences linguistiques, la curiosité et le sens critique (ibid., 187).

La traductologie que je propose ne prétend pas dire au traducteur : il faut traduire près des formes ou en ne suivant pas les formes du texte ; elle observe des façons de faire pour essayer d’en décrire le fonctionnement et la raison d’être (ibid., 189).

M. Ballard a sans aucun doute beaucoup travaillé en faveur de la traductologie et de son intégration dans les cursus universitaires mais il n’en demeure pas moins une certaine confusion (par exemple, la démarcation entre principes méthodologiques et élaboration théorique n’est pas claire), une applicabilité peut-être trop restreinte à la situation d’enseignement du thème et, surtout, de la version – même si le souci du traducteur professionnel est manifeste – et, enfin, des difficultés d’ordre conceptuel qui peuvent contrarier la réception de ce discours.

2.3. Les discours différentiels

Le troisième type de discours est dit différentiel, non pas d’abord en raison de ce qui différencie ces discours des précédents, mais principalement parce que, multiples, ils étudient les différences et variations, même minimes, entre un original et sa traduction (ou ses traductions)9 et considèrent, en principe, les problèmes de traduction sans les dissocier de la situation de production du texte. Selon qu’ils relèvent de la dominante critique ou linguistique, leur objet est prioritairement la traduction de textes littéraires, dans une extension très large englobant les « œuvres », les textes de sciences humaines et de philosophie ou, pour le discours à dominante linguistique, tous types de textes, littéraires, journalistiques et pragmatiques (démarche transcatégorielle). Ils ne se reconnaissent pas inconditionnellement dans la traductologie telle que nous venons de la décrire – partiellement et succinctement (c’est-à-dire, pour résumer, un discours théorisant sur la traduction) – et, s’ils s’élaborent eux aussi, malgré tout, sur fond de traductologie10, en pleine connaissance de la délimitation encore incertaine de la

8 Voir en particulier Versus : la version réfléchie (Vol. 1 et 2) (2003-2004). 9 Il serait possible d’exploiter les acceptions diverses auxquelles l’adjectif différentiel renvoie dans les domaines de la didactique, des mathématiques et de la mécanique, faisant toutes intervenir l’idée de différences, de variables, de relations et de mouvements résultant d’une même force. 10 Sauf, sans doute, le discours philosophique, que l’on peut rattacher à diverses traditions, entre autres à une philosophie post-marxiste (Benjamin), à l’herméneutique (Ricœur), à la philosophie du langage (Quine, Wittgenstein), ou à une pensée historique du discours (Foucault). Il nous semble que l’autonomie de ce discours, ses présupposés et les conditions de son émergence le placent à part (dans le champ de la philosophie ou, d’un point de vue traductologique, comme une « spécialité, un mode de traduire parmi d’autres » (Ladmiral 1994, xiii), tout comme le discours de la psychanalyse que nous n’avons pas mentionné.

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discipline, ils le font le plus souvent sur la base de présupposés théoriques « extérieurs », soit critiques, soit linguistiques, soit philosophiques ou, tout simplement, dans la continuité des discours traditionnels sur la traduction11, eux-mêmes sources de réflexion. Ils se fondent, méthodologiquement et selon leur objet, sur la comparaison des textes (pratiquant ainsi ce que la traductologie faisait à ses tout débuts), la réflexion à partir du texte traduit, et l’expérience même de la traduction effectuée en tant que traducteurs et/ou enseignants de traduction. Ce sont, en effet, le plus souvent des discours de praticiens, amenés à réfléchir à partir des problèmes posés par les textes dans le cadre du métier de traducteur12 ou du métier d’enseignant, et c’est la volonté de comprendre et d’expliquer qui conduit à formuler les problèmes rencontrés en termes théoriques, en les replaçant dans le contexte plus large d’une théorie linguistique, sociolinguistique, littéraire, ou traductologique comme celle d’A. Berman. Depuis les années 1970 et 1980, plusieurs figures importantes inspirent ces discours multiples : A. Berman (soucieux de la lettre), H. Meschonnic (traducteur de la Bible, théoricien de la rythmique textuelle), J.R. Ladmiral (privilégiant le sens), P. Bensimon (inquiet de l’articulation entre théorie et pratique), J. Guillemin-Flescher (dont les travaux sont à l’origine de l’école culiolienne de linguistique contrastive en France).

On pourrait néanmoins se demander ce qui justifie la distinction entre les discours précédents, utilitaires et multidimensionnels, et ces discours différentiels, contemporains les uns des autres, en rivalité même pendant un certain temps et, à l’exception de celui de J. Guillemin-Flescher, se réclamant tous d’une, ou de la, traductologie : « Assurément ce (relatif) néologisme est déjà monopolisé par nos méthodologistes et nos comparatistes, comme s’il s’agissait d’une nouvelle discipline couvrant un champ d’objectivation injustement négligé jusqu’alors », écrivait A. Berman en 1985 (1999, 17). S’agirait-il alors seulement d’une « réticence » (Ballard 2006, 187) vis-à-vis de la traductologie ? Et sur quoi se fonderait-elle ? Les trois discours se développent maintenant parallèlement et partagent, en effet, une préoccupation didactique et pédagogique, celle d’enseignants-chercheurs. Toutefois, les deux premiers (utilitaires et multidimensionnels) sont sans doute davantage tournés vers cette orientation méthodologique et didactique tout en se revendiquant, avec force, comme des discours spécifiquement traductologiques. Pour les tenants de ces discours-là, les apports « extérieurs » sont à intégrer dans une certaine mesure seulement et ne constituent pas « des références absolues » (Ballard 2006, 179).

De leur côté, les discours différentiels ne forment pas un ensemble homogène ; un discours comme celui de J.R. Ladmiral, par exemple, a évolué de la traductologie stricte vers la mise en place du « discours d’une culture traductologique », situé dans « un triangle interdisciplinaire […] entre linguistique, psychologie et philosophie » (Ladmiral 1994, xx-xxi). Et si l’on pense à la linguistique contrastive de J. Guillemin-Flescher, il apparaît clair que tout en étant d’abord linguistique,

11 Un représentant de ces discours traditionnels serait Valery Larbaud, lequel considérait la traduction comme un « art ». 12 Voir, à titre d’exemple, deux articles de Maïca Sanconie, traductrice d’italien et d’anglais, dans Palimpsestes 13, 2001 et Palimpsestes 20, 2007.

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cette recherche participe de la culture traductologique appelée de ses vœux par J.R. Ladmiral et ne se montre pas insensible à la réflexion littéraire et critique d’H. Meschonnic ou d’A. Berman, ne serait-ce que pour s’en démarquer13. Enfin, si l’on relit les diverses définitions que ce dernier a proposées de la traductologie, on s’aperçoit mieux qu’un écart essentiel s’est creusé entre les discours utilitaires et multidimensionnels d’un côté, et les discours différentiels de l’autre :

J’appelle l’articulation consciente de l’expérience de la traduction, distincte de tout savoir objectivant et extérieure à celle-ci (telle qu’en élaborent la linguistique, la littérature comparée et la poétique), la traductologie (Berman, [1985] 1999, 16-17).

La traductologie est la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d’expérience. […] La traductologie est donc la reprise réflexive de l’expérience qu’est la traduction et non une théorie qui viendrait décrire, analyser et éventuellement régir celle-ci (Berman 1989, 675-676).

Dès les premiers développements de la traductologie, sont donc apparues des dissensions théoriques fondamentales et il semble que, progressivement, un rapport de forces en faveur des discours utilitaires et multidimensionnels l’ait éloignée de ces deux définitions proposées par A. Berman. En somme, la traductologie, maintenant reconnue, pencherait vers ce qui s’apparente à une « science appliquée » faisant notamment intervenir les développements récents des sciences cognitives, tandis que d’autres discours moins étroitement traductologiques, certains plus spéculatifs et réflexifs, d’autres ancrés dans l’observation linguistique, continuent de s’élaborer, plus marginalement peut-être, sans perdre de vue la conceptualisation théorique, l’accentuant même. Ainsi, bien plus qu’une conséquence d’orientations divergentes liées à une évolution normale des discours se réajustant face à des situations culturelles nouvelles, l’éclatement de la traductologie (plutôt que sa dilution) était inscrit, dès l’origine, dans ces prémisses théoriques essentielles.

Pour mieux prendre la mesure de ces divergences, il convient de revenir au projet d’A. Berman, qu’on ne peut sans doute saisir pleinement que si l’on rapporte sa réflexion à une connaissance approfondie de la période romantique allemande et à l’influence décisive d’un penseur comme Walter Benjamin sur sa manière d’envisager le rapport entre les langues et le langage. Il semble, en effet, que tout un discours théorique sur la traduction se fonde sur quelques idées développées par A. Berman tandis que fait défaut l’approfondissement appelé par l’ensemble de ses écrits ou, à tout le moins, que manque une confrontation de cette réflexion avec d’autres tentatives contemporaines de la sienne (en particulier celle d’Henri Meschonnic) et ce qui se pense et s’écrit aujourd’hui. Parmi ces idées saillantes, on retiendra notamment celles qui ont trait à « l’épreuve de l’étranger », à l’étranger dans la langue et à l’étrangeté ; on retiendra aussi sa défense vigoureuse de la lettre avant le sens, son refus de l’« ethnocentrisme », la mise en avant de la nécessité de retraduire les œuvres, et sa définition d’un programme de réflexion organisé autour d’une histoire de la traduction, de l’éthique de la traduction et d’une analytique de la traduction. La visée est donc triple, historique, philosophique et psychanalytique.

13 La portée du travail de J. Guillemin-Flescher va au-delà des « frontières » de la linguistique, comme le remarquait Culioli dans son élogieuse préface à l’ouvrage de celle-ci (SCFA, 1981, vi).

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Or, toute cette pensée de la traduction s’appuie sur la décision d’écarter, précisément, les deux termes dont l’articulation fonde la plupart des recherches aujourd’hui, à savoir le couple pratique et théorie, au profit d’une identité entre réflexion et expérience :

Je veux me situer entièrement hors du cadre conceptuel fourni par le couple théorie/pratique, et remplacer ce couple par celui d’expérience et de réflexion. Le rapport de l’expérience et de la réflexion n’est pas celui de la pratique et de la théorie. La traduction est une expérience qui peut s’ouvrir et se (re)saisir dans la réflexion. Plus précisément : elle est originellement (et en tant qu’expérience) réflexion ([1985] 1999, 16).

On peut, à bon droit, se demander ce qui véritablement distingue l’expérience de la pratique, l’un et l’autre termes pouvant être donnés comme synonymes dans certains de leurs emplois, et en quoi la réflexion s’oppose à la théorie. Cependant, l’insistance d’A. Berman sur la délimitation d’un cadre conceptuel différent force à s’interroger et à comparer ces deux démarches : c’est en effet à la même époque que P. Bensimon définissait les orientations du centre de recherches qu’il avait fondé et qui allait prendre une place importante dans le paysage universitaire, en France au moins. Voici ce qu’il déclarait à l’occasion de la publication du premier numéro de la revue Palimpsestes, dans laquelle ont été, depuis, régulièrement publiés les travaux émanant de ce centre :

Lors de sa création en 1983, le Centre de recherches en traduction et stylistique comparée de l’anglais et du français a commencé par exprimer sa défiance envers certaines démarches et certains a priori : discours théoriciste coupé des problèmes concrets qu’affronte tout traducteur, considérations impalpables de traductologie aussi difficiles à démontrer qu’à réfuter, schémas théoriques séduisants mais en fait rigides comme des carcans […]. Nous avons estimé qu’il existe un espace de réflexion entre, d’un côté la théorie totalitaire de la traduction et, de l’autre, la pratique silencieuse du traduire. […] Ouvrant notre propre perspective, nous avons résolu de ne travailler qu’à partir de textes précis […] accompagnés de leur(s) traduction(s) publiée(s) ou produite(s) : cette méthode de recherche, croyons-nous, rend possible l’articulation de la pratique à la théorie (1987, i).

Si l’on compare cette déclaration à la citation précédente, on voit qu’un terme n’y apparaît pas, celui d’expérience, auquel on lui préfère celui de pratique. Il semble donc que d’une part on se dégage de la visée philosophique d’A. Berman mais qu’on retienne l’idée de rendre à la pratique de la traduction sa visibilité, et que d’autre part, on se méfie de la séduction de tentatives réductrices, quelles qu’elles soient, mais qu’on n’en aspire pas moins à l’élaboration d’une théorie (à moins que la réflexion à partir des textes ne s’inscrive dans le cadre d’une théorie qui lui préexisterait). Si donc il y a réflexion, il n’y a plus réflexivité. Et c’est sans doute cette réflexivité de l’expérience qui situe l’entreprise d’A. Berman sur un autre plan que celui de l’indispensable rapport entre pratique et théorie : en faisant de la traduction un « vécu », ou bien un savoir susceptible d’apporter à celui qui la replace dans l’histoire, la pratique et l’analyse, un enseignement (le fruit de l’expérience), celle-ci devient une science, non pas au sens d’ensemble de connaissances dont elle constituerait l’objet, comme cela serait le cas dans un rapport théorie et pratique,

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mais au sens d’un savoir, transmissible (d’où sa constitution en « traductologie »), dont elle serait en même temps le sujet et l’objet. La méthode, dans ce cas, n’est ni inductive ni déductive et les réflexions ne sont pas généralisables, mais elles se déploient dans l’espace des traductions et re-traductions. Le risque semble alors celui d’une mise en boucle de la réflexion pouvant aboutir à une vision trop idéaliste de la traduction ou, au pire, à une forme de narcissisme inspirant, peut-être, des considérations aussi « impalpables » qu’« indémontrables » et « irréfutables ». C’est donc un renversement complet de perspective que révèle l’adoption du couple théorie/pratique par tous ceux qui, tout en choisissant une démarche empirique et des méthodes comparatives, ont cherché à préserver la traductologie du « totalitarisme », à l’affranchir d’une vision idéaliste mais aussi, dans le même temps, à la mettre à distance du discours de la linguistique, et en particulier de la linguistique contrastive (limitée dans cette présentation à la linguistique contrastive d’obédience culiolienne).

Il est vrai que les objectifs de la linguistique contrastive ne sont pas les mêmes et qu’elle n’est pas la traductologie mais nous pensons que celle-ci ne peut se passer des apports théoriques de cette approche que J. Guillemin-Flescher a développée à la même époque et obstinément défendue. Dans un article de 1986, elle montrait qu’à l’origine du « malentendu » entre ces deux courants de réflexion se trouvait l’existence de deux attitudes face à la recherche en traduction :

[…] la réflexion des traducteurs littéraires s’oriente en général vers la façon dont il faut traduire, alors que le linguiste ne peut réfléchir que sur la façon dont on traduit, […] sur le produit fini. On pourrait penser que cela revient au même. On s’aperçoit en fait qu’il s’agit souvent de deux discours parallèles sans point de rencontre (59).

Dans un article récent faisant écho à celui de 1986, mais aussi dans celui de 2003, elle reprend cette opposition radicale et en explicite les raisons et les conséquences : le courant littéraire et le courant linguistique représentent deux conceptions divergentes de la notion même de théorie, ce qui entraîne des objectifs distincts, un rapport entre pratique et théorie d’un autre ordre, et « des démarches radicalement différentes qui concernent, entre autres, le traitement du corpus » (2006, 249). Ainsi, alors même qu’elles prennent appui sur la comparaison des traductions et des originaux, les deux démarches s’opposent en traitant « l’observable » d’une façon foncièrement différente. Selon J. Guillemin-Flescher, l’objectif du courant littéraire est, depuis toujours, de « définir un modèle idéal de traduction » (ibid.) afin de répondre à la question de comment il faut traduire : l’objectif, fondé sur « la critique des traductions » est de « définir les critères d’une traduction de qualité14 » (ibid.).

14 On aperçoit là l’une des difficultés du discours traductologique critique, également réticent à porter des jugements de valeur car il n’est guère possible de faire une liste des critères définissant une « bonne » traduction – qui pourraient s’énoncer plutôt comme une série de paradoxes : une traduction doit être lisible mais rugueuse (il faut conserver « l’étrangeté »), littérale mais non calquée (il faut éviter le mot-à-mot), respectueuse des contraintes syntaxiques mais « non-normée » (il faut savoir se glisser dans les interstices de la syntaxe) –, ou bien encore par la négative : une « bonne » traduction n’est pas ethnocentrique, ne dénature pas la lettre, ne supprime pas l’étrangeté, etc. Une formulation positive semble tout autant impossible (une traduction doit être lisible, fidèle, littérale, etc.) car elle entraîne inévitablement la question : par rapport à quoi ? à quels critères? à quelles normes ? – toutes choses qu’on serait bien en peine de définir dans l’absolu.

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En revanche, à contre-courant de cette démarche, l’objectif de la linguistique contrastive est de faire apparaître les récurrences systématiques de chaque système linguistique parce que ces récurrences témoignent, à côté des contraintes syntaxiques incontournables et de l’organisation particulière d’un discours, d’un fonds commun qu’elle appelle « organisation collective du discours » (1986, 60) ou « fond [sic] commun de langue courante » (2006, 250). Par ailleurs, selon J. Guillemin-Flescher, on ne peut vraiment prendre conscience de ce fonds commun qu’en travaillant sur des corpus constitués de textes transcatégoriels, et non uniquement littéraires, ce qui permet de relativiser les différences stylistiques. On a reproché à ce discours linguistique de ne pas véritablement s’occuper de traduction puisqu’il n’est pas centré sur le processus lui-même, et surtout de « préconiser un modèle de langage normalisé » (ibid.) laissant notamment le traducteur sur le côté. J. Guillemin-Flescher répond à cette objection en rappelant que le linguiste n’ignore pas la part subjective de toute traduction (qui échappe à la généralisation et donc à la théorisation, ce qui est bien toujours le dilemme des traductologues), mais aussi en modulant la formulation des objectifs de la linguistique contrastive pour la recentrer sur la pratique des traducteurs :

Le deuxième courant qui n’existe que depuis le milieu du XXe siècle cherche à définir les constantes dans la pratique des traducteurs. Il ne s’agit plus d’une évaluation qualitative mais de l’observation neutre de textes traduits. On cherche à relever les récurrences dans les choix des traducteurs et à les expliquer. On constate en effet que lorsqu’on observe un corpus important de textes traduits, les récurrences sont extrêmement marquées et ne concernent jamais un phénomène isolé mais un ensemble de paramètres qui témoignent de schémas intériorisés (2006, 249 ; nous soulignons).

Ce centrage sur la pratique des traducteurs, indirectement observée à travers le relevé et l’analyse des récurrences linguistiques, paraît particulièrement intéressant en ce qu’il semble opérer un subtil déplacement du discours vers ce qu’on pourrait envisager comme une activité épilinguistique du traducteur-énonciateur, une activité de contrôle de son discours traduisant, intériorisée, qui met alors sa traduction en conformité non seulement avec le fonds commun de la langue courante mais aussi avec le fonds commun culturel de la culture d’accueil, ce que l’analyse linguistique ne prend finalement pas en compte. A. Berman disait-il autre chose lorsqu’il identifiait cela non comme un défaut de traduction mais comme une tendance déformante ethnocentriste inhérente à l’acte de traduire ? Toutefois, l’une cherche à « expliquer » ces récurrences une fois constatées, se plaçant hors de la traduction proprement dite, l’autre les reconnaît pour les atténuer ou les éviter le plus possible, se plaçant dans la traduction.

J. Guillemin-Flescher faisait peut-être aussi allusion (2006, 250) à la poétique d’H. Meschonnic. Le projet de Meschonnic est global et son propos sur la traduction n’est qu’un volet d’une théorie générale de la littérature, une poétique. Précédant, sur le terrain de la traduction, A. Berman de quelques années15, sa réflexion sur le traduire prend sa source dans la lecture et la traduction de la Bible, dans sa critique de Nida, et dans son rejet d’une linguistique de l’énoncé (mais non de

15 Le volume Pour la poétique II. Epistémologie de l’écriture, poétique de la traduction a été publié en 1973.

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l’énonciation). Il se positionne contre la traductologie et pour une poétique du traduire parce qu’il récuse l’idée d’en faire une science : « La poétique du traduire n’est pas une science, d’abord parce qu’il y a de l’imposture à parler ici de science » (1999, 62), visant ici A. Berman : « Il y a là une germanisation idéologique du terme, c’est-à-dire un philosophisme, derrière son innocente bonne volonté qui témoigne au mieux, d’un confusionnisme philosophique, et d’une confiance naïve au langage […] » (ibid.). En revanche, c’est bien l’articulation entre pratique et théorie, ou plus exactement la pratique théorique et « l’expérimentation dans le traduire », qui seules permettent la construction d’une théorie générale de la traduction, de la littérature et du langage : « le rapport entre la pratique et la théorie motive la recherche méthodologique, l’exigence épistémologique. Il délimite un terrain » (1973, 13).

Conclusion

Ces trois manières de penser le rapport des langues, du langage, de la littérature à la traduction qui, pour certains peut-être, « datent » déjà ou se situent hors champ, représentent d’abord une exigence de pensée, constituent un fonds théorique incontournable qu’on peut s’approprier plus sereinement maintenant que d’ancien-nes polémiques sont reléguées à l’arrière-plan. Ces discours continuent, formant comme une trame tissée dans ce qui s’écrit maintenant, et cet espace théorique déjà balisé est celui au sein duquel se déploient encore les contradictions et les tensions évoquées dans cet article. L’histoire de la réflexion sur la traduction est faite de ces débats et de la difficile théorisation de ce qui est d’abord une pratique spécifique d’appropriation linguistique et culturelle par, et à travers, un acte complexe d’énonciation traductive. Le questionnement linguistique s’est aussi infléchi, de la recherche objective d’une systématisation des faits vers la recherche des traces de l’énonciateur-traducteur dans l’énoncé traduit, questionnement qui ouvre peut-être la possibilité de concilier le caractère spécifique de la traduction et l’objectivisation de comportements langagiers récurrents dans l’acte de traduction. Maryvonne Boisseau Université Paris 3 / Institut du Monde Anglophone / EA 3980 LILT 5, rue de l’École de Médecine, 75006 Paris <[email protected]>

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