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Protection de lemploi et procØdures de licenciement Rapport Olivier Blanchard et Jean Tirole Commentaires Jacques Freyssinet Fiorella Kostoris Padoa Schioppa

Blanchard Tirole - Protection de l'Emploi Et Procédures de Licenciement

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un rapport du CAE datant de quelques années qui prône la mise en place d'un contrat de travail unique en france

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  • Protection de lemploiet procdures

    de licenciement

    Rapport

    Olivier Blanchardet Jean Tirole

    CommentairesJacques Freyssinet

    Fiorella Kostoris Padoa Schioppa

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:401

  • La Documentation franaise. Paris, 2003 - ISBN : 2-11-005455-7 En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992, toutereproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sans lautorisationexpresse de lditeur.Il est rappel cet gard que lusage abusif de la photocopie met en danger lquilibre conomiquedes circuits du livre.

    Ralis en PAO au Conseil dAnalyse conomiquepar Christine Carl

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 3

    Introduction .................................................................................. 5Christian de Boissieu

    RAPPORTLa protection de lemploi ............................................................ 7Olivier Blanchard et Jean Tirole1. Introduction .......................................................................................... 7

    1.1. Le dbat ........................................................................................ 71.2. Le principe de responsabilisation ................................................. 81.3. Principales recommandations : trois axes de rforme .................. 91.4. Plan du rapport ............................................................................ 11

    2. Protection de lemploi et march du travail :connaissances empiriques .................................................................. 122.1. Comparaison entre pays .............................................................. 132.2. Protection de lemploi et rallocation......................................... 152.3. Corrlation et causalit ............................................................... 152.4. Limpact des rformes rcentes .................................................. 18

    3. La responsabilisation des entreprises ................................................ 214. Difficults financires des entreprises, dtermination des salaires

    et assurance chmage partielle .......................................................... 224.1. Difficults financires de lentreprise ........................................ 224.2. Problmes de ngociation salariale ............................................. 264.3. Imperfections de lassurance chmage ....................................... 29

    5. Htrognit des entreprises et des salaris,dparts volontaires et licenciements .................................................. 305.1. Problmes poss par lhtrognit des entreprises

    et des salaris .............................................................................. 305.2. Dparts volontaires et licenciements : reclassifications

    concertes au dtriment de la caisse dassurance chmage ........ 335.3. Report de responsabilit : licenciements abusifs et pour faute .. 35

    6. Liens avec dautres institutions du march du travail ....................... 366.1. Subventions la cration demplois ........................................... 366.2. Formation continue ..................................................................... 37

    Sommaire

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  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE4

    6.3. Ouverture des droits et des obligations ...................................... 386.4. Gestion de lassurance chmage ................................................. 39

    7. La protection de lemploi en France :tat des lieux et directions de rforme ............................................... 407.1. La ncessit de justifier explicitement les licenciements ........... 417.2. Des cots directs de licenciement limits ................................... 427.3. Une procdure souvent longue et lourde .................................... 437.4. Une diffrence trs forte entre CDD et CDI ............................... 44

    8. Les contours dune rforme................................................................458.1. Une responsabilisation financire des entreprises

    plus leve .................................................................................. 458.2. Une simplification du processus administratif

    et une rduction du rle du processus judiciaire ........................ 468.3. La mise en place dun systme unique

    de protection de lemploi ............................................................ 47

    COMMENTAIRESJacques Freyssinet ...................................................................... 51Fiorella Kostoris Padoa Schioppa ................................................ 57

    RSUM ...................................................................................... 63

    SUMMARY................................................................................... 69

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 5

    Introduction

    Le rapport qui suit ne laissera pas indiffrent. Non seulement parce quiltraite de la question centrale du chmage et de lemploi, mais aussi parcequil propose des pistes non conventionnelles, du moins dans le contextefranais, pour responsabiliser davantage les entreprises dans leur politiquede gestion du personnel.

    Lide qui sert de fil directeur au rapport est claire et nette : les firmesqui licencient devraient payer une taxe aux caisses dassurance-chmage,finanant ainsi une part significative des ressources de celles-ci. Le sys-tme ainsi conu diffre fondamentalement de celui appliqu en France,dans lequel les cotisations chmage sont assises sur les salaires et tota-lement mutualises. Il sinspire en partie dune formule applique aux tats-Unis ( experience rating ) et trouve une illustration trs spcifique dansle contexte franais avec la contribution Delalande mise en place en 1987et concernant le licenciement des seniors . Au plan des principes, le dis-positif propos vise dmutualiser en partie lassurance-chmage en solli-citant les entreprises ; il tend au march du travail le mcanisme dincita-tions correspondant, en matire denvironnement, la rgle du pollueur-payeur .

    Comment passer du principe gnral des recommandations concrtes ?Nos auteurs combinent lhumilit scientifique justifie par lampleur desincertitudes et le pragmatisme conomique. Ils montrent les diffrentesraisons pour lesquelles la taxe de licenciement doit tre positive (aujourdhui,en France, hors contribution Delalande, elle est nulle) mais infrieure lunit : cette taxe doit donc tre en de du montant anticip des allocations-chmage payer par la caisse dassurance au salari licenci. Autrementdit, il doit subsister une partie mutualise dans la couverture de lassurance-chmage. Concrtement, cette taxe viserait avant tout les licenciementsconomiques (et pas les autres cas de licenciement). Ce sont les nombreusesinterrogations sur les effets micro et macro-conomiques dune telle for-mule qui exigent une demande pragmatique.

    Ce qui, par contre, est certain et qui ressort du rapport et des premiersdbats suscits par lui, cest que les implications dune taxe sur les licen-ciements seraient multiples : liens ncessaires avec la politique de forma-tion continue, liaisons possibles mais pas indispensables avec des formules

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  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE6

    Christian de BoissieuPrsident dlgu du Conseil danalyse conomique

    de subventions la cration demplois, plus fondamentalement dplacementdu curseur entre centralisation et dcentralisation, mais aussi entre rglesde droit et contraintes conomiques. En particulier, le rle du juge seraitrduit pour les cas de licenciements passibles de la taxe, mais il resteraitentier dans les autres cas de figure. Et le clivage si central en France entreCDI et CDD devrait seffacer au profit dune approche unitaire vitant leseffets de seuil actuels.

    Personne naffirme que la taxe de licenciement serait la recette miraclequi ferait disparatre, dun coup de baguette, le chmage de masse en Franceou en Europe. Le rapport conclut quelle pourrait cependant entraner uneprotection de lemploi plus efficace, des cots plus faibles pour les entre-prises et une diminution du chmage . Il reviendra au dbat ainsi ouvert detester la porte exacte dune telle proposition.

    Ce rapport dont Jean-Christophe Bureau a assur le suivi au sein delquipe permanente du CAE, a t discut en sance plnire du Conseil le27 mars 2003, puis le 5 mai 2003 en prsence du Premier ministre.

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 7

    La protection de lemploi(*)

    Olivier BlanchardProfesseur au Massachusets Institute of Technology (tats-Unis)

    Jean TiroleProfesseur lUniversit de Toulouse

    et chercheur lcole nationale des ponts et chausses, Paris

    1. Introduction

    1.1. Le dbat

    Peu de sujets lis aux institutions du march du travail font lobjetdautant de controverses que celui de la protection de lemploi, dfinie dansce rapport comme lensemble des obligations des entreprises et des salarisen jeu lorsquil est mis fin un emploi :

    les entreprises se plaignent non seulement du cot direct des licencie-ments, mais aussi de la complexit et de lincertitude lies aux rgles envigueur. Selon elles, les institutions actuelles les empchent de sajusteraux mutations technologiques et aux rapides changements de demande quicaractrisent les conomies modernes. Cette perte defficacit et les sur-cots quelle implique, disent-elles, dcouragent la cration demplois ;

    les salaris, quant eux, insistent sur le cot financier et psychologi-que du chmage et sur la ncessit pour les entreprises dinternaliser cecot lorsquelles licencient. Que les salaris protgs par le dispositif deprotection de lemploi actuel soient en faveur de son maintien nest certes

    (*) Nous remercions Daron Acemoglu, David Autor, Olympia Bover, Pierre Cahuc,Daniel Cohen, Francis Kramarz, Fiorella Kostoris Padoa Schioppa, Thomas Philippon,Gilles Saint-Paul, Robert Solow, Nicolas Vron, Robert Wagner, et surtout Denis Fougreet Jacques Freyssinet pour leurs commentaires et suggestions, et Jean-Christophe Bureau,Jean-Yves Kerbourch et Frdric Lerais pour leur aide lors de la prparation de la premireversion de ce rapport.

    Rap. CAE 44.p65 02/10/2003, 11:117

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE8

    pas surprenant, mais les sondages montrent que le soutien la protection delemploi est plus large que le cercle de ceux qui en bnficient directement ;

    beaucoup dconomistes, et la plupart des organismes multilatraux,de lOrganisation de coopration et de dveloppment conomique (OCDE)au Fonds montaire international (FMI), tout en reconnaissant le cot levdu chmage, ont une position proche de celle des entreprises. Selon eux,les systmes de protection de lemploi actuels sont inefficaces. Au mini-mum, les rgles en vigueur devraient tre amliores, simplifies et, vrai-semblablement, le niveau de protection de lemploi devrait tre rduit ;

    tiraills entre ces diffrentes attentes, les gouvernements en Europecontinentale ont fait preuve jusqu maintenant de beaucoup de prudence(ou de timidit, selon le point de vue duquel on se place). Ils ont appris,souvent leurs dpens, que les salaris bnficiant des rgles de protectionde lemploi y sont trs attachs et quils ont un poids lectoral important.La plupart des rformes en la matire ont donc procd la marge , parexemple, en France, avec lintroduction et le dveloppement des contrats dure dtermine (CDD). La protection de lemploi pour les contrats du-re indtermine (CDI) na, elle, que peu chang. Ces rformes ont engen-dr un march du travail dual, avec des ingalits importantes entre salariset des effets douteux sur lefficacit.

    Malgr lintensit du dbat, nous sommes surpris par la pnurie de r-flexion en profondeur sur ce que devrait tre un bon systme de protec-tion de lemploi . Comme souvent en matire dintervention publique, lesacteurs raisonnent la marge, cherchant tirer les institutions dans la di-rection quils jugent leur tre favorable. Partant du statu quo, les entrepri-ses et organismes internationaux rclament une rduction de la protection,les salaris et les syndicats campent sur leurs positions et les gouverne-ments poussent les rformes qui leur paraissent les moins coteuses politi-quement. La cohrence de la srie de rformes qui en rsulte est limite etlobjectif final mal dfini. Notre approche dans ce rapport a donc t departir de zro et de dfinir ce que devraient tre les contours dun bonsystme de protection de lemploi . Et, ceci tant fait, de comparer ce sys-tme au systme actuel de faon dfinir les contours dune rforme.

    1.2. Le principe de responsabilisationNotre point de dpart est la reconnaissance du fait que les salaris nont

    ni les moyens ni les instruments financiers leur permettant de sassurereux-mmes contre le risque de chmage. Le rsultat est que, pour beau-coup, le chmage implique un cot psychologique et financier lev.

    Dans ce contexte, il est normal de responsabiliser les entreprises quantau cot social de leurs licenciements. Ceci suggre un principe trs simple,le principe de responsabilisation. On peut lexprimer ainsi : les entreprises doi-vent payer la caisse dassurance chmage un montant gal au montant anti-cip des allocations chmage que devra payer cette caisse au salari licenci.

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 9

    En dautres termes, la protection de lemploi doit prendre la forme dun taux decontribution unitaire des entreprises la caisse dassurance chmage.

    Ce principe est essentiel. Lanalyse conomique indique cependant quildoit tre affin. En particulier :

    demander aux entreprises en situation financire difficile de payer destaxes de licenciement peut rendre leur situation encore plus prcaire, lesempcher de financer les investissements ncessaires leur survie, ou mmeles acculer la faillite. Dans un tel contexte, diffrentes modifications doi-vent tre apportes au principe de responsabilisation, allant dun taux decontribution infrieur lunit, un talement des paiements dans le temps,combin certaines garanties de paiement ;

    on pourrait esprer quune responsabilisation financire accrue desentreprises, et donc une protection accrue de lemploi, se traduise en changepar une modration salariale. Ceci risque en pratique de ne pas tre le cas.Obliger alors les entreprises payer des taxes de licenciement a deux ef-fets. Lun, favorable, de les responsabiliser par rapport aux dcisions delicenciement. Lautre dfavorable, daugmenter leurs cots et donc de di-minuer la cration demplois. Ceci suggre, comme dans le cas prcdent,le choix dun taux de contribution positif, mais infrieur lunit ;

    la responsabilisation financire des entreprises risque damener lesentreprises noffrir des emplois quaux candidats quelles auront peu dechance de licencier, et donc une discrimination contre les salaris peruscomme tant risque. linverse, un taux de contribution modr rduitcette incitation. Ces considrations suggrent, l encore, le choix dun tauxde contribution positif, mais infrieur un.

    Aprs avoir pass en revue ces diffrents lments, nous tirons deuxconclusions majeures de notre analyse :

    globalement, un bon systme de protection de lemploi est un systmeo les entreprises doivent tre financirement responsabilises. Cetteresponsabilisation peut prendre la forme dindemnits de licenciement. Maiselle doit consister principalement en des contributions la caisse dallo-cations chmage. Le taux de contribution doit tre positif, mais infrieur lunit ;

    tant donn cette responsabilisation financire, la dcision de licencierou de ne pas licencier doit tre laisse aux entreprises. Le juge et ladminis-tration ne doivent pas se substituer au jugement du chef dentreprise.

    1.3. Principales recommandations : trois axes de rformeQuand nous comparons ces principes gnraux au systme en place en

    France aujourdhui, nous constatons trois grandes diffrences, et ceci sug-gre donc trois axes de rforme :

    dans le systme actuel, les entreprises ont une responsabilisation fi-nancire limite. Plus exactement, les entreprises paient aujourdhui des

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  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE10

    contributions dassurance chmage leves. Mais ces contributions sontbases sur leur masse salariale, et sont donc indpendantes de leur compor-tement de licenciement. Ceci implique une double incitation au licencie-ment : directe, en raison de labsence dinternalisation par lentreprise delimpact du licenciement sur la caisse dassurance chmage ; et indirecte,dans la mesure o cette caisse doit tre finance autrement que par desversements des entreprises lors des licenciements, en loccurrence par descotisations (patronales et salariales) sur les actifs, cotisations qui augmen-tent le cot du travail.

    Do notre premire recommandation : la responsabilisation financiredes entreprises par le choix dun taux de contribution positif, mais infrieur lunit.

    Dans le systme actuel, les entreprises qui veulent licencier sont sujet-tes un contrle administratif et judiciaire lourd. Leurs dcisions, que cesoit en matire de licenciements individuels ou collectifs, peuvent tre, etsont souvent, contestes. Ceci se comprend dans un systme o, comme lheure actuelle, les entreprises ne sont que faiblement financirement res-ponsabilises. Ceci nest plus justifi si elles le deviennent.

    Do notre deuxime recommandation : une simplification du proces-sus administratif et une diminution du rle des instances judiciaires dans leprocessus de licenciement.

    Soyons plus prcis. Le systme judiciaire doit conserver son droit deregard sur la dnomination des dparts. Pour viter de payer les indemnitsde licenciement et, comme nous le proposons, les versements la caissedassurance chmage, lentreprise peut vouloir dclarer que le licencie-ment est d une faute du salari, ou vouloir harceler le salari pour quilparte volontairement . Le rle du juge est alors de vrifier, si le salarien fait la demande, quun licenciement pour raison conomique na pas ttransform en licenciement pour faute ou en dmission. De mme, il im-porte de vrifier que le licenciement ne soit pas motiv par une discrimina-tion base sur la race, le sexe ou lappartenance syndicale, que les dlais depravis aient t respects, etc. Par contre, les juges ne doivent pas se subs-tituer au jugement de lentreprise dans sa gestion, car ils nen ont ni lacomptence ni en gnral linformation ncessaire, sans mentionner le man-que de critres prcis guidant leur intervention. Si lentreprise reconnatlacte de licenciement et est prte en supporter les cots, le rle du jugedoit alors tre confin la vrification de la procdure.

    Le systme actuel est un systme de protection dual. Les salaris enCDI bnficient du systme de protection de lemploi traditionnel. Les sa-laris en CDD bnficient dune protection limite. Ce systme a des effetspervers trs forts. Les entreprises engagent mais hsitent transformer unCDD en CDI, mme si le salari sous CDD se rvle tre parfaitementcomptent. Leffet de seuil, cest--dire laugmentation des cots de la pro-tection de lemploi lors de la transformation du contrat, est trop fort.

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 11

    Do notre troisime recommandation : il est essentiel de retourner unsystme unique, mais modul de faon faciliter lentre des jeunes sur lemarch du travail et la rinsertion des chmeurs, sans crer les effets deseuil prsents dans le systme actuel. Ceci peut tre fait en utilisant deuxinstruments. Le premier, qui existe dj, est celui dune priode dessai,pendant laquelle lentreprise et le salari peuvent terminer la relation detravail, sans droits ni devoirs. Le second est lintroduction dune augmen-tation progressive des droits des licencis et des devoirs des entreprises enfonction la fois de lanciennet dans lentreprise et de lexprience r-cente du salari sur le march du travail.

    1.4. Le plan du rapportNotre rapport est organis de la faon suivante.La section 2 est un survol de ce que lon sait, et aussi de ce que lon ne

    sait pas, sur les effets des systmes de protection de lemploi existants enEurope, sur le fonctionnement du march du travail, sur les dparts (licen-ciements et dmissions), la dure du chmage et la raction de lactivitconomique aux chocs macroconomiques.

    La section 3 prsente la logique du principe de responsabilisation con-sistant faire supporter lentreprise le cot social de ses licenciements, enparticulier le cot subi par la caisse dassurance chmage.

    Les sections 4 et 5 affinent lanalyse de la section prcdente en intro-duisant un certain nombre de considrations (difficults financires de len-treprise, ngociation des salaires, imperfections de lassurance chmage,problmes de classification des dparts) justifiant des corrections par rap-port au principe simple dinternalisation complte par lentreprise du cotde ses licenciements.

    Les institutions du march du travail sont troitement imbriques. Touterforme de la protection de lemploi implique de reconsidrer dautres as-pects du march du travail. Nous discutons en section 6 dun certain nom-bre de ces interactions, du rle des subventions la cration demploi, aufinancement de la formation continue, aux modalits douverture des droitsaux allocations chmage, la gestion de lallocation chmage. Chacun deces sujets mriterait de plus longs dveloppements. Notre intention est seu-lement dindiquer le sens des diverses consquences dune rforme et des-prer susciter un travail en profondeur par dautres dans lavenir.

    La section 7 revient sur le systme franais de protection de lemploi.Notre objectif ici nest pas de dcrire ce systme de faon exhaustive, maisplutt de lexaminer la lumire du traitement prcdent et didentifier lesdiffrences essentielles avec celui en vigueur dans dautres pays.

    Ceci tant accompli, nous esquissons en section 8 les contours dunerforme possible du systme de protection de lemploi en France.

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  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE12

    Deux avertissements sont de mise avant de commencer(1) : les questions traites dans ce rapport et leurs rponses sont complexes.

    Ceci vient de la ncessit de prendre en compte les nombreuses imperfec-tions du march du travail. Notre comprhension la fois thorique et em-pirique (celle des conomistes en gnral et celle des auteurs de ce rapporten particulier) de ces imperfections et de leur importance relative reste li-mite. Si les principes et les directions de rforme que nous nonons nousparaissent robustes, des questions telles quune dtermination quantitativeprcise du taux optimal de contribution demanderait une connaissance dumarch du travail que les conomistes nont certainement pas aujourdhui ;

    toute proposition de rforme se doit de considrer non seulement lob-jectif final, mais aussi le chemin de transition. Ce dernier reflte les consi-drations affrentes lconomie politique de la rforme, ainsi quune con-naissance pointue des institutions, lgislations et dcrets dapplication quenous (les auteurs du rapport) ne possdons pas. Donc, mme si lon ac-cepte les conclusions de ce rapport, il ne peut reprsenter quune premireesquisse de rforme.

    2. Protection de lemploi et march du travail :connaissances empiriques

    La plupart des thories du march du travail suggrent que la protectionde lemploi, cest--dire les contraintes lgales et administratives ainsi queles indemnits de licenciement verses aux salaris et paiements verss ltat lors de licenciements, devrait avoir les effets suivants :

    un taux plus faible de licenciements, et donc des flux rduits sur lemarch du travail ;

    une dure du chmage accrue(2) ; un effet important sur la nature du march du travail, qui devient plus

    sclros, plus stagnant (faibles flux, allongement de la dure dechmage) ;

    un effet net ambigu sur le taux de chmage (licenciements moins im-portants, mais chmage plus long).

    (1) Lon retrouve, pour les mmes raisons, les mmes avertissements dans le rapport Malinvaud(1998) sur les contributions sociales la charge de lemployeur. Ces questions difficiles ontde nombreuses dimensions et notre comprhension est encore limite : la modestie intellec-tuelle est donc de rigueur.(2) Le mcanisme est le suivant : un accroissement de la protection de lemploi au-del de ceque les entreprises offriraient spontanment leurs employs accrot le cot du travail pourlentreprise. Ce surcot dcourage la cration demploi. Laugmentation de la dure de ch-mage correspondante fait pression sur les salaires jusquau moment o le cot du travailrevient un niveau compatible avec le taux de rendement du capital dquilibre (par exem-ple, dans une conomie financirement intgre dans lconomie mondiale, le taux de ren-dement sur les marchs internationaux).

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 13

    2.1. Comparaison entre paysLvidence empirique sur donnes internationales est largement en ac-

    cord avec ces prdictions thoriques(3) : sur la base dindices de protection de lemploi construits, sur des chan-

    tillons de pays, par lOCDE et divers auteurs(4), une forte corrlation nga-tive apparat entre protection de lemploi et flux vers et en provenance dunemploi, dune part, et vers et en provenance du chmage, dautre part ;

    sur la base de ces mmes indices, la protection de lemploi et la duredu chmage sont corrles. Des dures moyennes de chmage leves sontsouvent observes dans les pays o la protection de lemploi est forte ;

    pour une dure moyenne de chmage donne, des flux plus faibles(pertes et gains demploi) diminuent le chmage. Pour des flux donns, unaccroissement de la dure de chmage accrot le chmage. La conjonctionde ces deux effets a pour effet une quasi-absence empirique de corrlationentre protection de lemploi et taux de chmage. La comparaison entre lePortugal et les tats-Unis est trs rvlatrice ce sujet (voir larticle deBlanchard et Portugal, 2001, pour plus de dtails). Bien que la protectionde lemploi soit beaucoup plus forte au Portugal quaux tats-Unis, lestaux de chmage y ont t trs similaires ces trente dernires annes. Cettesimilitude des taux cache cependant des ralits trs distinctes : la dure duchmage au Portugal a t en moyenne trois fois plus leve quaux tats-Unis. Les flux (vers et en provenance dun emploi) ont t en moyennetrois fois plus faibles au Portugal quaux tats Unis.

    Ces diffrents points sont illustrs dans le graphique ci-dessous, qui re-produit les flux, la dure et le taux de chmage en ordonnes en fonction dela mesure de protection de lemploi en abscisse pour 19 pays de lOCDE(5).

    Il ressort clairement du graphique quil y a : une corrlation ngative entre flux vers le chmage et protection de

    lemploi ; une corrlation positive entre dure du chmage et protection de

    lemploi ;

    (3) Pour des survols rcents de la littrature, voir OCDE (1999) et Addison et Teixera (2001).(4) Ces indices bien sr mesurent de faon trs imparfaite toutes les dimensions de la protec-tion de lemploi. Nous pensons cependant que la classification des pays par ces indicesreflte en gros la ralit.(5) Sur donnes mensuelles, les transitions (flux) vers le chmage sont dfinies pour chaquepays de lOCDE, pour la priode 1985-1994, comme gales au rapport du nombre moyen desalaries au chmage depuis moins dun mois la population active moyenne sur la mmepriode. La dure moyenne du chmage est dfinie comme gale au rapport du taux dechmage moyen aux transitions vers le chmage dfinies prcdemment. Enfin lindice deprotection de lemploi est lindice global construit par lOCDE pour la fin des annesquatre-vingt (OCDE, 1999, table 2.5). Cet indice est un classement (rank index) des19 pays, allant dune protection faible vers une protection forte. Il est gal 1 pour les tats-Unis, 10 pour la France et 19 pour le Portugal.

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  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE14

    0,0

    0,5

    1,0

    1,5

    2,0

    2,5

    3,0

    0 5 10 15 20

    Source : Blanchard et Portugal (2001).

    Flux entre chmage et travail et protection de lemploi

    pas de lien vident entre taux de chmage et protection de lemploi(6).En somme, la protection de lemploi rduit les flux, augmente la dure duchmage, et ces deux effets se neutralisent pour ce qui est de la dtermina-tion du taux de chmage.

    En rsum, la protection de lemploi rduit les flux et donc la rallocationentre emplois ncessaire lefficacit. De plus, en augmentant la dure duchmage, non seulement elle ne le fait pas baisser, mais elle le rend particu-lirement insupportable pour ceux qui y sont exposs.

    Pour

    cent

    age

    men

    suel

    Indice de protection de lemploi

    (6) De fait des rgressions simples donnent ( IPE dsignant lindice de protection delemploi) :

    2

    2

    2

    ( 0,020 )

    ( 0,033 )

    ( 0,019 )

    log ( flux ) 0,50 0,078 IPE R 0,46

    log ( dure ) 1,65 0,073 IPE R 0,19

    log ( taux de chomage ) = 2,16 0,005 IPE R 0,06

    = =

    = + =

    =

    Nous nous sommes concentrs sur les niveaux moyens de chmage, deflux et de dure ; on peut aussi se demander comment la protection de lem-ploi affecte les effets des chocs conomiques sur ces variables. Cette ques-

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4114

  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 15

    tion est bien sr plus difficile analyser. Mais les recherches sur lvolu-tion du chmage sur donnes temporelles comparant diffrents pays mon-trent que les pays march du travail sclros (faibles flux, chmage delongue dure) sont aussi les pays qui ont subi les accroissements les plusimportants et/ou les plus durables du chmage au cours des trente derniresannes (voir par exemple Blanchard et Wolfers, 2000). Ceci suggre que,dans la mesure o elle rigidifie le march du travail, la protection de lem-ploi rend laugmentation du chmage plus persistante.

    Sur la base de ces comparaisons internationales, la protection de lem-ploi semble donc largement contre-productive. Mais lvidence nest defait pas aussi convaincante quelle ne le parat. Tout dabord, certains faitsne collent pas avec le tableau densemble. Ensuite, une corrlation nim-plique videmment pas un rapport de causalit. Nous dveloppons ces deuxpoints ci-dessous.

    2.2. Protection de lemploi et rallocationNous avons jusqu maintenant examin les flux de salaris (entre em-

    ploi et chmage) et constat quils taient plus bas dans les pays protec-tion de lemploi lev. Une autre approche, du point de vue empirique, estde mesurer le degr de rallocation des emplois, le nombre demplois crset le nombre demplois supprims chaque anne dans un pays donn. Cetravail empirique, bas sur des donnes dentreprises et qui est maintenantdisponible pour un grand nombre de pays, suggre une conclusion assezdiffrente de celle obtenue ci-dessus : une protection de lemploi leve nesemble pas tre systmatiquement associe un degr plus bas derallocation des emplois.

    Cette conclusion, assez surprenante vu leffet de la protection de lemploisur les flux de salaris, est le sujet de recherches en cours (voir lencadr 1).Pour le moment, on peut faire les rflexions suivantes. La conclusion nesemble pas tre due des problmes de mesure. Elle semble reflter un faitrel et essentiel : la protection de lemploi amne les entreprises viter lesembauches dont elles pensent quelles ne seront que temporaires. Mais ellenempche pas les entreprises dajuster lemploi (peut-tre avec un certainretard) si les changements deffectifs dsirs apparaissent permanents. Sicette conclusion se rvle tre confirme par les recherches en cours, elleest importante. Elle rend moins plausible la conclusion selon laquelle laprotection de lemploi est un obstacle majeur lajustement des entreprisesaux changements technologiques, et un obstacle majeur la croissance.

    2.3. Corrlation et causalitLes corrlations entre protection de lemploi, dune part, et flux de sala-

    ris et dure du chmage, dautre part, suggrent mais nimpliquent pas uneffet causal. En effet, on peut facilement penser dautres institutions dumarch du travail qui pourraient tre lies la protection de lemploi et

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    1. Deux faits surprenantsPour analyser la rallocation dans le march du travail, les conomistes ont

    construit deux ensembles de mesures : les premires, appeles flux de salaris , mesurent le nombre de sala-

    ris qui changent de statut pendant un intervalle de temps donn : par exemple,les flux mensuels demploi vers le chmage, diviss par lemploi total (mesureutilise dans le graphique ci-dessus).

    les secondes, appeles flux demplois , se rfrent aux changementsdu nombre demplois dans les entreprises. Deux mesures classiques dans cettecatgorie sont la mesure de crations demploi (dfinie comme la sommedes augmentations du niveau de lemploi dans un intervalle de temps donnpour toutes les entreprises ayant accru leur emploi, divise par lemploi total) ;et la mesure de destructions demploi (dfinie comme la somme des rduc-tions du niveau de lemploi dans un intervalle de temps donn pour toutes lesentreprises ayant rduit leur emploi, divise par lemploi total).

    Nous avons observ ci-dessus que les mesures de flux de salaris ont desniveaux plus faibles dans les pays forte protection de lemploi. Les mesuresbases sur les flux demplois par contre ne donnent pas de diffrences significa-tives entre pays, et donc ne suggrent pas dimpact ngatif de la protection delemploi sur la rallocation des emplois. Trois hypothses alternatives peuventexpliquer ces diffrences entre donnes bases sur les flux de salaris et cellesbases sur les flux demploi :

    erreurs de mesure : les flux de salaris et demplois sont construits par-tir de sources statistiques diffrentes et donc de fiabilits ventuellement diff-rentes. De plus, les mthodes de collecte statistique ne sont pas homognesentre pays. Cependant, il ne semble pas que les erreurs de mesure suffisent expliquer la diffrence ;

    dmissions : les dmissions sont enregistres dans les flux de salaris,mais pas dans les flux demplois si les entreprises remplacent rapidement leurssalaris dmissionnaires. Cette diffrence semble pertinente lorsque lon com-pare le Portugal et les tats-Unis (dont les donnes sont de nature et de qualitcomparables). On peut supposer que la protection de lemploi et la peur conco-mitante dun chmage de longue dure rduisent le nombre de dmissions enles confinant au cas o le salari dmissionnaire possde une garantie demploidans une autre entreprise ;

    temporalit : les mesures de crations et de destructions demploi pro-viennent gnralement de donnes sur les changements demploi sur une p-riode dun an. Par contre, celles relatives aux flux de salaris sont gnralementmensuelles ou trimestrielles. Par consquent, des flux temporaires qui sont in-verss dans le courant de lanne figurent dans les mesures de flux de salaris,mais pas dans celles de flux demplois. Cet effet semble lui aussi pertinent :dans les pays forte protection demploi, les entreprises lissent plus lvolutionde leur main duvre afin de rduire les ajustements temporaires de lemploi.Si cette hypothse savre tre la bonne, limplication importante en est que laprotection de lemploi rduit les ajustements transitoires, mais nempche pas

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  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 17

    les rallocations de plus long terme, qui elles sont cruciales dans le but de per-mettre aux entreprises de faire face aux changements technologiques et de de-mande.

    Ces trois hypothses sont encore prliminaires et lobjet de recherches encours(1). Mais elles montrent bien la complexit du lien entre protection etrallocation de lemploi.

    Le second fait surprenant est de nature macroconomique. On sattendrait ce que la protection de lemploi ralentisse et affaiblisse les fluctuationsde lemploi en rponse aux fluctuations de la production. Si cette relation sem-ble vrifie en moyenne entre pays, il existe des exceptions importantes. Un casfrappant est celui de lEspagne, un pays trs forte protection de lemploi (dumoins mesure par les indices), o la rponse de lemploi agrg la produc-tion agrge est la fois plus importante et plus rapide quaux tats-Unis(2).Nous ne connaissons pas dexplication satisfaisante de ce fait.

    (1) Pour des approfondissements ainsi que dautres hypothses, se rapporter Bertolaet Rogerson (1997) et Boeri (1999).(2) Ceci est le cas mme dans les annes quatre-vingt o les contrats dure dterminejouaient un rle beaucoup plus faible que celui quils jouent actuellement en Espagne :cf. Bentolila et Blanchard (1990).

    affecteraient les flux et la dure du chmage, gnrant une corrlation arti-ficielle entre protection de lemploi et flux ou dure. ce sujet, il est rassu-rant de constater que, si nous nous sommes contents de prsenter ici desrgressions bivaries simples, les rsultats sont plus gnraux : le travailempirique existant suggre que la protection de lemploi rduit les flux etaugmente la dure du chmage mme quand on tient compte, dans des rgres-sions multivaries, dun certain nombre dautres institutions du march dutravail, telles que la gnrosit des allocations chmage et les procduresde ngociations salariales(7). Mais mme les rsultats de ces rgressions nesont pas totalement convaincants dans la mesure o les institutions perti-nentes sont souvent mal mesures ou simplement absentes des rgressions.

    De plus, les institutions du march du travail, dont fait partie la protec-tion de lemploi, ne sont pas exognes. Il est facile de trouver des facteursqui peuvent expliquer la fois une protection forte de lemploi et des fluxfaibles, sans impliquer de causalit entre ces deux dernires variables : parexemple, un march hypothcaire peu dvelopp rduisant la mobilit go-graphique des salaris et participant une demande de la population enfaveur de la protection de lemploi.

    Des rsultats plus convaincants peuvent tre obtenus si lon peut obser-ver les effets de changements de la protection de lemploi au cours du temps

    (7) Cf. par exemple Nickell (1997).

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    et gographiquement. Ici, et peut-tre de faon ironique (car les tats-Unissont souvent considrs comme ayant une protection de lemploi trs fai-ble), les tudes portent sur des donnes amricaines. Sil est vrai quauxtats-Unis, les contraintes administratives sur les licenciements sont limi-tes(8), le systme de bonus-malus ( experience rating ) fait payer auxentreprises une part leve des allocations chmage verses leurs ex-employs(9). La matrise de la conception du systme bonus-malus se si-tuant au niveau des tats et non pas du gouvernement fdral, on disposeainsi dune htrognit spatiale et temporelle importante(10). Cette ht-rognit a t exploite par les chercheurs pour obtenir des estimationsdes effets dun changement du taux de contribution sur diffrentes varia-bles du march du travail.

    Bien entendu, la prudence simpose dans la transposition de ces rsul-tats au niveau dun pays. Du fait de la mobilit gographique importante lintrieur des tats-Unis, laccroissement du taux de contribution dans untat (mais pas dans les autres) a des implications (pour les salaires, les fluxet le chmage) diffrentes de celles quaurait une mme augmentation ap-plique uniformment sur lensemble des tats-Unis. Cependant, certainsrsultats apparaissent clairement et sont pertinents pour notre propos. Parexemple, les estimations dAnderson et Meyer (1998), bases sur la r-forme de 1984 dans ltat de Washington, impliquent quun accroissementdu taux de contribution de 0 1 aurait diminu le taux de licenciementsdenviron 20 % (avec une fourchette allant de 10 33 %). Il est galementintressant de noter quune augmentation du taux de contribution rduit lesfluctuations saisonnires de lemploi (pour un survol de la littrature,cf. Baicker et al., 1997) et accrot lusage du travail temporaire par les en-treprises (Autor, 2001).

    2.4. Limpact des rformes rcentesCes vingt dernires annes, de nombreux pays europens ont essay de

    rduire la protection de lemploi la marge en autorisant les entreprises,sous des conditions bien dfinies, offrir des contrats protection dem-ploi plus limite. Ces contrats sont gnralement de dure maximale courte(et difficiles ou impossibles renouveler) et comportent des restrictions surles types de salari et demploi concerns. En France, ces contrats, les CDD,constituent 70 % des nouvelles embauches et 11 % de lemploi (46 % delemploi pour les 20-24 ans).

    (8) Cf. Autor et al. (2002).(9) Voir lencadr 2 pour plus de dtails.(10) Par exemple, en 1996, les taux de contribution (le paiement par lentreprise ltat lasuite dun licenciement divis par les allocations chmage perues par le salari licenci)variaient de 8 % (Caroline du Nord) 86 % (tat de New York). Les fluctuations temporel-les sont galement importantes : ltat de Washington est pass dun taux de contributionnul un taux de 50 % en 1984.

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    2. Le systme de bonus-malus (experience rating)Contrairement aux entreprises franaises, les entreprises canadiennes et

    amricaines sont responsabilises quant limpact de leurs dcisions de licen-ciement sur les finances de la caisse dassurance chmage (le lecteur trouveradans les articles de Fougre et Margolis, 1999 et 2000 dexcellents comptesrendus des expriences amricaines en la matire). Aux tats-Unis, le systmeen place, cr en 1935, varie selon les tats. La formule la plus courante, celledite du ratio de rserves, adopte par 33 tats, tablit des comptes fictifs pourles entreprises. Les cotisations sont des crdits et les versements dallocationschmage aux ex-employs de lentreprise sont des dbits. Par exemple, unemployeur pour lequel les allocations verses aux salaris licencis dans lepass excdent les cotisations chmage verses a un solde ngatif. Un barmeest alors utilis pour dterminer, chaque anne, la proportion de ce solde quelentreprise doit payer pendant lanne. Si ce facteur de proportionnalit estgal 1 par exemple, alors lentreprise doit payer ses dettes chaque anne, et lescotisations dpendent essentiellement des licenciements de lanne prcdente (ilfaut souligner que les indemnits sur lesquelles les taux de cotisation sont basssont limites dans le temps : en gnral 26 semaines, sauf cas exceptionnels). Lefacteur de proportionnalit est en gnral infrieur 1, et donc les entreprisespaient leurs dettes sur une priode plus longue que dans notre exemple.

    Si lon ignore lactualisation, le fait que les entreprises peuvent faire failliteavant davoir pay le solde, et les diffrents plafonds limitant les cotisations, letaux de contribution thorique est gal un : les entreprises sont supposespayer le cot effectif de leurs licenciements pour la caisse dassurancechmage.

    En pratique, et du fait des trois facteurs qui viennent dtre mentionns, letaux de contribution rel est infrieur 1, de sorte que le risque est en partiemutualis.

    Tout dabord, chaque tat a un taux plancher et un taux plafond de cotisa-tion. Les entreprises qui licencient peu continuent donc payer des cotisationsdassurance chmage non ngligeables, tandis que celles qui ont beaucoup li-cenci font face des pnalits bornes. De plus, une entreprise qui a beaucouplicenci dans le pass et a donc un solde ngatif peut faire faillite et ne jamaispayer ses dettes vis--vis de la caisse dassurance chmage. Sur ce dernier point,notons quun facteur de proportionnalit faible (lentreprise ne paie quune fai-ble partie de son solde chaque anne) ne permet pas pour autant lentreprisedchapper au paiement de ses dettes si lentreprise est solide dans le long terme(et si les intrts sont calculs correctement bien sr) ; cest--dire, si lentre-prise, tout en ayant des hauts et des bas, reste comptitive dans le long terme.Par contre, si les licenciements passs sont un signal de perte de comptitivit(quelle soit lie la gestion de lentreprise, des changements technologiques,ou des mutations de la demande), le choix du facteur de proportionnalitdevient important. Un facteur de proportionnalit plus lev revient exiger unpaiement plus rapide des crances de la caisse dassurance chmage et donc rendre cette dernire plus prioritaire dans la hirarchie des cranciers de len-treprise.

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    Les travaux empiriques montrent que ces contrats temporaires modi-fient profondment la nature du march du travail(11). Ils augmentent lesrotations entre chmage et emploi de ceux qui sont ligibles. Les effets surle chmage et le bien-tre ne sont pas encourageants. Une bonne partie delaugmentation de ces rotations semble reflter une succession demplois productivit faible, sans avenir et sans incitation pour lemployeur ac-crotre le capital humain du salari. Les entreprises prfrent souvent enga-ger un nouveau CDD plutt que de garder un CDD existant dont le contratarrive terme, mme si le salari donne totale satisfaction. Le garder impli-querait de lui donner un CDI, et donc une protection demploi beaucoupplus lourde pour lentreprise. ce jour, en France, leffet principal desCDD semble tre lmergence dun march du travail de plus en plus dualet donc trs ingalitaire.

    (11) Voir le symposium sur ce sujet dans Economic Journal (2002), en particulier Doladoet al. sur lEspagne (le pays avec la plus forte proportion de CDD) et Blanchard et Landierpour la France.

    En pratique, la mutualisation est considrable, principalement du fait dufaible niveau des taux plafonds. En moyenne, 40 % des cots des allocationschmage ont t mutualiss entre 1988 et 1996, mme si cette proportion taitbeaucoup plus faible, 14 17 %, dans certains tats (comme ltat de NewYork, le New Hampshire, lIllinois, voir Fougre et Margolis, 1999 et 2000).

    Bien que pour plusieurs raisons (discutes en sections 6 et 7) ces chiffres nesoient que moyennement pertinents pour la France, il est intressant de noterque le degr de responsabilisation des entreprises par le systme de bonus-malus est peu corrl avec le taux de disparition des entreprises entre tatsamricains. Lon aurait pu croire quune responsabilisation accrue pourrait parun effet boule de neige augmenter le nombre de faillites : une entreprise endifficult, qui licencie une partie de ses travailleurs, augmente ses dettes en yajoutant celle la caisse dassurance chmage. Il est cependant difficile dinter-prter cette corrlation de manire causale, comme le soulignent Fougre etMargolis (1999). Tout dabord, les entreprises fort risque de licenciementspeuvent sinstaller dans les tats mutualisation forte et celles probabilit defaillite leve dans ceux dcalage temporel lev, de sorte quelles ne paientquune petite partie de leur d en cas de faillite. Inversement les tats peuventadapter leur lgislation en la matire en fonction de leur parc dactivits. Enfin,une analyse complte doit inclure une tude des changements de la structurefinancire de lentreprise (capitalisation, dette court et long termes, lignes decrdit) en fonction du rgime de responsabilisation.

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    3. La responsabilisation des entreprisesChacun saccorde sur le fait que les entreprises doivent bnficier dune

    flexibilit en matire demploi afin de pouvoir ragir aux fluctuations de lademande et aux changements de technologie. Il est indniable galementque les salaris font face des risques considrables en labsence de pro-tection demploi et dassurance chmage. Comment rconcilier les deuxdemandes lgitimes : flexibilit et protection ? La rponse de base de lco-nomiste est que lon doit mettre lentreprise face aux consquences de sesactes : elle doit payer le cot que ses licenciements imposent la collec-tivit. Une telle internalisation est la ranon, ou plutt la condi-tion sine qua non de la flexibilit. Une fois lentreprise responsabilise, onpeut alors lui laisser prendre la dcision quant lopportunit dune rduc-tion deffectifs (notons que ce principe sapplique, que les cots du ch-mage soient purement montaires ou quils incluent galement des aspectsnon montaires, condition que les versements de lentreprise couvrent latotalit des cots).

    En ce sens, le principe dun tel versement, cest--dire dune taxe delicenciement , est incontestable. Il rpond la mme logique que leprincipe du pollueur-payeur , et plus gnralement que tous les disposi-tifs incitatifs dont sont dotes nos conomies modernes. De plus, un telversement rpond un autre objectif que celui, purement incitatif, de forcerlentreprise prendre en compte limpact social de ses rductions deffec-tifs. Ce versement peut galement jouer un rle crucial dans le financementdes allocations chmage. Il est utile de rappeler ce sujet quen France,une entreprise qui licencie plus quune autre ne paie pas plus que lautre la caisse dassurance chmage. Ceci a une double consquence : toutdabord, lentreprise ninternalise pas le cot quelle fait subir cette caisselorsquelle dcide de licencier le salari (certes elle lui verse des indem-nits de licenciement, et supporte des cots administratifs non ngligeablessur lesquels nous reviendrons par la suite, mais elle est dresponsabilisequant limpact du licenciement sur les comptes de lUNEDIC). En lab-sence dautres mesures, ceci conduit trop de licenciements. De plus, lesallocations chmage doivent tre finances dune autre manire, en loc-currence par une ponction sur les actifs (les cotisations patronales et sala-riales). Ceci augmente le cot du travail et donc les incitations de lentre-prise licencier.

    Comme nous le verrons, le principe de responsabilisation, qui veut quelentreprise supporte exactement le cot social du licenciement est trop sim-pliste, mais il reprsente un point de dpart important pour lapprhensiondune ralit plus complexe. Avant danalyser les facteurs qui justifient desdviations par rapport un taux de contribution unitaire, notons deux pointscomplmentaires.

    Rle de ltat : ce stade de notre argument, nous navons pas encoretabli la ncessit dune intervention publique. Une entreprise cherchant attirer des salaris et anticipant que la demande pour ses produits pourradiminuer ou que des changements technologiques ncessiteront des licen-

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    ciements, peut trs bien offrir delle mme des indemnits de licenciements,ou bien cotiser au nom de ses salaris une caisse prive dassurance ch-mage. Une telle offre, au lieu daugmenter le cot du travail peut trs bienle diminuer. Au mme titre que des assurances maladie complmentaires,des plans dpargne retraite ou autres avantages sociaux, un systme das-surance chmage rend les salaris prts accepter des salaires plus bas encontrepartie. Lentreprise empoche les gains sociaux de lassurance quellemet en place, et donc a intrt mettre elle-mme un systme de compensa-tion et de responsabilisation en place. Ceci semble bien sr irraliste, maisil est important de bien comprendre pourquoi. Nous y reviendrons par la suite.

    Mme si les entreprises taient disposes mettre delles-mmes en placeun systme de protection de lemploi, ltat aurait sans doute encore unrle central jouer. De fait, seul ltat a linfrastructure ncessaire poursuivre le statut des chmeurs (vrifier sils sont au chmage, sils sont larecherche dun emploi) et leur verser les allocations chmage. Ceci nim-plique nullement que la responsabilit de lassurance chmage doit incom-ber ltat seul. Mais il est clair que ltat doit tre partenaire dans toutsystme dassurance chmage.

    Forme du versement : du point de vue de lentreprise, la somme totaleverse en cas de licenciement compte, mais pas lallocation de cette sommeentre indemnits de licenciement verses au salari et versement la caissedassurance chmage. videmment il en va autrement pour le salari. Uneindemnit de licenciement, en elle-mme, est un instrument trs imparfaitdassurance. Supposons par exemple quelle couvre en moyenne le cot duchmage par le salari, qui par ailleurs ne toucherait aucune allocation ch-mage. Lindemnit de licenciement serait alors beaucoup trop forte si lesalari retrouvait un travail dans le mois suivant, et beaucoup trop faible sila priode de chmage tait de deux ans.

    Le caractre forfaitaire (cest--dire non contingent la dure du ch-mage) des indemnits de licenciement ne peut gure se justifier que dedeux manires. Premirement, et contrairement des allocations chmagenon dgressives, elles ne constituent pas une dsincitation rechercher ac-tivement du travail en priode de chmage. Mais, mme dans ce cas, ilparat prfrable de rendre les allocations chmage dgressives. Deuxi-mement, lon peut concevoir que lindemnit de licenciement soit une com-pensation pour le cot de devenir chmeur, sparment du cot dtre ch-meur, qui lui est dtermin par la dure effective du chmage. Ces deuxcots sont bien sr difficilement dissociables empiriquement, puisquunsalari licenci peroit par anticipation les cots futurs de la condition dechmeur. Mais lon peut voir les cots de devenir chmeur comme descots de perte dun environnement de travail familier, damis, ou didenti-fication lentreprise. Un tel cot est difficile chiffrer, et varie sans doutebeaucoup selon les situations et les individus. On peut raisonnablementsupposer quil est plus lev pour des salaris jouissant dune plus grandeanciennet dans lentreprise, et donc ceci peut justifier des indemnits delicenciement augmentant (comme cest le cas aujourdhui en France) aveclanciennet.

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    Dans cette logique, le versement par lentreprise lors dun licenciementpeut donc tre dcompos : dune part, une indemnit de licenciement ver-se au salari titre de compensation pour les cots psychologiques deperte demploi (encore une fois : pas ceux lis au statut de chmeur) et,dautre part, un versement (sans doute beaucoup plus important) la caissedassurance chmage qui prend alors en charge le salari.

    4. Difficults financires des entreprises,dtermination des salaireset assurance chmage partielle

    Lanalyse de la section 3 et le principe de linternalisation des cotssociaux dvelopp dans cette section suggrent un taux de contributionunitaire : lentreprise doit payer la caisse dassurance chmage le cotdes allocations chmage verses aux employs quelle a licencis. La ra-lit, comme toujours, est plus complique. Lobjet des deux sections quisuivent est daffiner lanalyse de la section 3 en introduisant diffrents fac-teurs qui, chacun, suggrent des dviations par rapport cette rgle de con-tribution unitaire.

    4.1. Difficults financires de lentrepriseLes licenciements sont souvent associs de mauvaises nouvelles quant

    la profitabilit de lentreprise. Prlever une taxe sur lentreprise quandelle licencie des salaris peut en consquence tre particulirement co-teux dans deux types de situation :

    celle dune petite entreprise dont le dirigeant (lentrepreneur, le pro-pritaire) possde une part importante de lentreprise et est, comme sessalaris, averse au risque . Le manque de diversification de lactionna-riat implique alors que le propritaire subit une double perte en cas dvo-lution technologique ou de demande dfavorable : la perte de profitabilitdonnant naissance des licenciements, et les taxes de licenciement qui sen-suivent. Ces pertes lui sont dautant plus coteuses que son aversion aurisque est leve ;

    celle dune entreprise plus importante, mais que son manque de diver-sification expose des problmes de liquidit. Dans ce cas aussi, la combi-naison dune perte de profitabilit et de taxes de licenciement risque alorsdinduire de nouvelles fermetures de sites, ou de limiter les crations dem-ploi, et donc de crer un effet boule de neige(12).

    (12) Techniquement, dans le premier cas, le cot provient de laversion pour le risque delentrepreneur, tandis que, dans le second, le cot vient dune quasi-aversion pour le risquedes entreprises gnre par les difficults de refinancement en cas de pertes financires (voirpar exemple Holmstrm et Tirole 1998). Le prix fictif de la taxe de licenciement est alorssuprieur 1, car elle intervient dans des tats de la nature o lentreprise a du mal trouverdes capitaux.

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    Dans les deux cas, on pourrait esprer que le systme financier permette lentreprise dviter ces problmes de liquidit. En pratique, ceci peutprendre diffrentes formes : lmission dactions et de dette de long termepeut relcher la pression que fait peser la ncessit constante de rembourse-ment de la dette de court terme ; un allongement de la maturit des titresmis par lentreprise peut lui donner un rpit et, par l, une forme dassu-rance, face des chocs dfavorables ; lentreprise peut obtenir des banqueset autres intermdiaires financiers des lignes de crdit, qui sont de facto desengagements de refinancer lentreprise en cas de difficult. Enfin, si elleest suffisamment grande, lentreprise peut recourir la panoplie des instru-ments de gestion du risque afin de rduire celui-ci(13). Dans le cas qui nousoccupe, on peut certainement supposer que la liquidit dont dispose len-treprise puisse tre de fait, partiellement endogne et dpende du niveau deresponsabilisation. Dans ce cas, si ltat augmente les taxes de licencie-ment, on peut imaginer que lentreprise fera en sorte davoir un plus grandaccs au crdit en cas de licenciement de faon pouvoir payer ces taxes.Mais, si le systme financier ne rsout pas totalement le problme de liqui-dit de lentreprise, ltat peut alors jouer deux rles :

    il peut sparer le calendrier des paiements de taxes de celui des licencie-ments. En talant dans le temps le paiement des contributions dune entre-prise, il lui permet de payer plus tard, et donc, moins que les choses aillentde mal en pis pour lentreprise, de payer un moment plus favorable pourelle. Cest cet argument qui sous-tend le systme en place aux tats-Unis(dcrit dans lencadr 2), un systme qui fait payer les entreprises au coursdu temps sur la base de leur comportement de licenciement dans le pass.

    si cet talement dans le temps ne rsout que partiellement les probl-mes des entreprises, ltat peut alors apporter une assurance supplmen-taire lentreprise en diminuant le taux de contribution en dessous du ni-veau unitaire prescrit en section 3. La double peine occasionne par unetaxe sur les licenciements (les mauvaises nouvelles en matire de profitabilitet le paiement de contributions associes aux licenciements) peut tre ainsiallge, au dtriment bien sr dune dresponsabilisation partielle de len-treprise vis--vis de ses dcisions de licenciement.

    Lintroduction de dlais de paiement peut cependant exacerber un pro-blme que nous navons pas trait jusqu maintenant, la possibilit dva-sion des taxes de licenciement par les entreprises. Supposons, par exemple,que les taxes de licenciement ne fassent lobjet daucune garantie, sretou possibilit de recours contre tierce partie. Et considrons un systmedexperience rating dans lequel lentreprise paie ces taxes avec des dlaisplus ou moins longs, ceci dpendant du coefficient de proportionnalit quiest appliqu chaque anne. Dans un tel environnement, lentreprise ne paiera

    (13) Il faut reconnatre cependant que si ces instruments permettent de sassurer contre cer-taines fluctuations macroconomiques telles que celles portant sur les taux de change et lestaux dintrt, obtenir de lassurance contre les chocs sectoriels sur les marchs OTC (overthe counter) est plus difficile.

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    rien en cas de faillite immdiate, paiera peu en cas de faillite diffre etpourra, de plus, chapper la taxe en dlocalisant ses activits. Un tel sys-tme est clairement dsincitatif et pnalise les entreprises vertueuses audtriment de celles qui le sont moins.

    Le problme peut-il tre vit ? Ltat peut bien sr demander treprioritaire dans lchancier des cranciers de lentreprise, mais ceci nestpas en soi une solution complte au problme :

    tout dabord, ltat ainsi que les salaris ont dautres crances sur lentre-prise (charges sociales et impts impays) et dautres dus (comme les arrirsde taxes daroport, comme dans le cas de la compagnie arienne Air Lib, oulardoise de la dpollution, comme dans le cas rcent de laffaire MetalEurop). Ceci peut compromettre le paiement de la taxe de licenciement ;

    ensuite et surtout, les entreprises fort risque de licenciement risquentde sorganiser de faon chapper au paiement. Elles feront par exempleappel des sous-traitants peu capitaliss, ou bien sarrangeront pour viderlentreprise de tous ses actifs avant de licencier le personnel, laissant une coquille vide (une entreprise dite judgment proof en droit amri-cain), mettant ainsi de fait ltat au rang de crancier non prioritaire ;

    au-del de la dimension lgale relative la possibilit pour ltat depercevoir son d, se posent la dimension politique et la volont de ltat depercevoir ce d. Comme on le sait dj en matire de fiscalitenvironnementale, de cotisation sociale, dimpt sur les socits, ou autresprlvements publics ou parapublics sur les entreprises, ltat est souventperu par lopinion publique comme tant le responsable de la faillite et deslicenciements dune entreprise dont il rclame les crances. Ce fait rendltat extrmement faible et peu crdible comme crancier prioritaire, commeon la bien vu par exemple dans laffaire Air Lib. Il ny a aucune raison pourque les choses se passent diffremment en matire de taxe de licenciement.

    Ltat doit-il donc accepter cet tat de fait, et passer aprs les financiersprivs dans la liste des cranciers? Nous ne le croyons pas, et ceci pourdeux raisons :

    tout dabord, et comme nous lavons dj soulign plusieurs fois, lenon-paiement de la taxe de licenciement dresponsabilise lentreprise (ausens large, ce qui inclut ses investisseurs) ;

    ensuite, les financiers privs semblent mieux mme que ltat devrifier que lentreprise ne joue pas le jeu de la coquille vide et de met-tre en place un gouvernement dentreprise donnant un espoir aux cran-ciers de rcuprer leurs crances.

    Il apparat donc logique pour ltat de rclamer au moins une garantiepartielle de ses crances potentielles, sous la forme de collatral physiqueou financier, sous forme de garantie bancaire, ou encore de par la possibi-lit de recours vis--vis de tierces parties. Ceci nest pas sans cot : il sepeut quexiger une garantie pour que ltat puisse recouvrer ses crancesmette trop de pression sur lentreprise, en particulier pour les petites entre-

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    prises faisant face des marchs du crdit peu dvelopps(14), et donc nuise la cration demplois. Une formule de paiement plus souple, de typeexperience rating mais avec certaines garanties pour ltat en cas de faillite,serait alors plus approprie. Le sujet est comme on le voit complexe, etnous navons pas de rponse toute prte, ni quant au niveau ni quant laforme de cette collatralisation, mais nous jugeons le problme suffisam-ment important pour le soulever (ces problmes sont largement similairesaux problmes poss par les risques environnementaux. Lencadr 3 r-sume ce que lon a fait et appris dans ce domaine).

    4.2. Problmes de ngociation salarialeComme nous lavons mentionn brivement en section 3, une entreprise

    qui offrirait spontanment ses salaris une meilleure assurance chmage(sous la forme de paiements en cas de licenciements une caisse dassu-rance chmage, et de paiements dallocations chmage par la caisse das-surance aux salaris licencies) pourrait en principe changer cette meilleureassurance contre une modration salariale et donc abaisser son cot total dutravail.

    Ceci ncessite cependant que la modration salariale correspondantesoit respecte. Il y a des raisons den douter. En effet, une entreprise quioffre un tel systme dassurance chmage ses employs augmente leurpouvoir de marchandage, et ceci pour deux raisons. En cas de dsaccord etdonc de licenciement, lassurance chmage diminue le cot financier duchmage pour le salari licenci ; et les cots de licenciement rendent leslicenciements plus coteux pour lentreprise. Si ce pouvoir de marchan-dage accru se traduit par une augmentation plutt que par une diminutiondes salaires, ce systme dassurance chmage amnera donc une augmen-tation plutt qu une diminution du cot du travail. Un tel systme dassu-rance ne sera donc pas propos spontanment par lentreprise.

    Pour comprendre le problme, il est utile de comparer les salaires dansle secteur public et dans le secteur priv. On aurait pu penser que lavan-tage dune quasi-garantie demploi vie serait reflt par des salaires plusfaibles dans le secteur public que dans le secteur priv. Comme on le sait,ceci nest pas en gnral le cas. De fait, les salaris du secteur public( lexception de quelques groupes dfavoriss) jouissent souvent dun sa-laire et davantages en nature quivalents ceux du priv.

    En quoi la possibilit de rengociation salariale aprs la mise en placedun systme de protection de lemploi affecte-t-elle le taux de contribu-tion dsirable ? Le danger principal est quune entreprise fortement res-ponsabilise par rapport au cot de ses suppressions demploi voit son cot

    (14) Dun autre ct, ce sont plus souvent les petites entreprises qui risquent de fermer enlaissant une ardoise ltat.

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    3. Le risque dvasion :lexprience en matire denvironnement

    En matire denvironnement, les entreprises font parfois face des pnali-ts considrables lorsque la justice constate une responsabilit au regard deproblmes de sant (amiante, tabac, cancers, malformations congnitales...) oude pollution (pollution ptrolifre, contamination de sites terrestres...). La ten-tation est alors forte pour les entreprises disoler les activits risque au seindes petites entreprises sous-traitantes et peu capitalises. Cest exactement cequont observ empiriquement Ringleb et Wiggins (1990). Ils montrent que lerenforcement des lois sur la responsabilit environnementale des entreprisesaux tats-Unis au dbut des annes soixante-dix gnra jusquen 1980 une en-tre massive de petites entreprises dans les secteurs risque.

    Pour faire face ce problme (et dautres), le lgislateur amricain fit adop-ter une loi en 1980, le Comprehensive Environmental Response, Compensa-tion, and Liability Act (CERCLA). Cette loi crait un fonds, le Superfund ,permettant de financer des dcontaminations de sites lorsquaucun responsable(solvable) ne peut tre trouv ou que la solvabilit est trop faible pour assurertoute la dpollution du site. Et surtout, le CERCLA tendait la responsabilitlgale aux potentially responsible parties (PRP). Le concept est flou, etcontinue tre sujet des prcisions de jurisprudence. Disons simplement quepeuvent tre dclars responsables (pour la totalit du cot ventuellement !)les prteurs, les nouveaux propritaires du site (les obligeant ainsi un auditenvironnemental approfondi au moment de lachat) et, plus gnralement, tousceux qui peuvent driver un gain de la relation avec lentreprise en cause (four-nisseurs, clients, etc.). Bien entendu, certaines exemptions sont prvues, parexemple, labsence de participation la gestion dune entreprise pour des fi-nanciers (le niveau de cette participation tant encore mal dfini), ou une ana-lyse scrupuleuse de la proprit au moment de lachat par le nouveau propri-taire ( innocent landowner defense ).

    Le CERCLA a lavantage de responsabiliser srieusement les entreprises enmatire denvironnement, soit directement, soit indirectement de par la sur-veillance quil induit des partenaires industriels et financiers de lentreprise.Cette loi a cependant des inconvnients. trop responsabiliser les partenairesde lentreprise, lon risque fort de multiplier les cots de cette dernire qui doitcompenser ses diffrents partenaires pour le cot de leur vigilance. Ou bien onrisque de dcourager ces partenaires de simpliquer de manire mme minimedans la gestion et la gouvernance de lentreprise.

    On en sait assez peu, dun point de vue thorique comme empirique, sur lesmrites comparatifs des diffrentes mthodes de recours de ltat des tiercesparties, que ce soit ex ante sous la forme de garantie apporte par une institu-tion financire, ou ex post sous la forme de (menaces de) poursuite judiciairecomme dans le CERCLA.

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    salarial augmenter, compromettant ainsi la cration demploi(15). Intuitive-ment, et lanalyse le confirme, le taux de contribution dsirable doit main-tenant tre infrieur lunit. Le choix de ce taux rsulte dun compromisentre distorsion du niveau de licenciements, et distorsion du nombre decrations demploi(16) :

    un taux de contribution gal lunit responsabilise les entreprisesvis--vis du cot social des licenciements, et les amne donc prendre desdcisions de licenciement socialement appropries. Mais, en augmentantles cots des entreprises, il diminue les incitations crer de nouveauxemplois. Ceci risque de se traduire par une dure du chmage trop leve ;

    un taux de contribution infrieure lunit (et donc une mutualisationpartielle des contributions des entreprises la caisse dallocation chmage)amne un niveau de licenciement suprieur ce qui serait socialementdsirable. Mais en mme temps, il rduit les cots des entreprises, aug-mente la cration demplois, et donc se traduit par une dure du chmagemoins leve.

    La mutualisation peut rester modre (cest--dire, le taux de contribu-tion peut rester proche de lunit) si :

    les salaris ont un faible pouvoir de marchandage ; ces salaris acceptent des positions initialement sous-payes avant

    daccder la scurit demploi. Dans ce cas, les salaires plus levs quandles salaris sont protgs sont partiellement compenss par les salairesmoindres avant protection, un phnomne que la littrature anglo-saxonneappelle bonding ;

    un surcot salarial ne pnalise pas trop la cration demploi (cest--dire, la marge de cration nest pas trop lastique, une condition qui a defait peu de chance dtre satisfaite dans un monde o les entreprises peu-vent se dlocaliser facilement ou font face une concurrence internationaleintense).

    (15) Les conomistes analysent souvent le cas extrme o les salaris ne peuvent pas payer lavance pour les bnfices futurs lis la protection de lemploi ( no bonding ) et loffrede capital est parfaitement lastique, disons parce que le rendement du capital est dterminau niveau mondial (cf. par exemple, Pissarides, 2000). Un rsultat fort et dprimant merge alors : le cot individuel, en termes dutilit du chmage, dfinicomme la diffrence de bien-tre du salari quand il a un emploi et quand il nen a pas, nepeut tre chang par la politique de ltat. Ce que les chmeurs gagnent, disons grce desallocations chmage plus gnreuses, ils le perdent du fait dun accroissement de la dure duchmage (sinon, les salaires seraient trop levs et les profits trop bas pour gnrer descrations demploi). Ce rsultat est bien sr extrme, mais il sert davertissement ceux quioublieraient trop rapidement les effets dquilibre gnral.(16) En principe, ltat pourrait viter ce compromis en gardant un taux de contributionunitaire et en mettant en place un systme de subventions la cration demploi (voirMortensen et Pissarides, 2001). Nous reviendrons par la suite sur ces subventions, maisnotons ds maintenant quelles doivent tre finances dune manire ou dune autre. Descotisations prleves sur les actifs ont linconvnient dencourager les licenciements.

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4128

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    La rponse dpend probablement des secteurs, des entreprises et dessalaris que lon examine. Il est donc impossible, dans ltat actuel desconnaissances, de dterminer avec beaucoup de confiance ce que devraienttre le taux de contribution et le degr de mutualisation. Le point centralreste cependant clair. Comme les considrations de difficults financiresdes entreprises discutes auparavant, les considrations de rengociationsalariale suggrent un taux de contribution infrieur lunit, et donc unemutualisation partielle des contributions des entreprises la caisse dassu-rance chmage.

    4.3. Imperfections de lassurance chmageLa section 3 mettait laccent sur lexternalit exerce par lentreprise

    licenciant ses salaris sur la caisse dassurance chmage. En pratique, cesalari nest quimparfaitement assur contre le cot du chmage, et cecipour deux raisons :

    cots psychologiques : mme si le salaire de lemploy tait maintenudurant toute la dure du chmage, la fois la perte de lemploi et le ch-mage qui sensuit engendrent souvent un cot psychologique. La perte dunemploi peut impliquer la perte damis lis au travail, la perte de routinejournalire, ou la diminution de la confiance en soi. Ces risques augmen-tent probablement avec lanciennet du salari dans lentreprise. Le ch-mage peut avoir des effets similaires : le capital humain du salari risque dese dprcier, son moral et sa capacit sintgrer au milieu du travail dediminuer. Ces risques augmentent probablement avec la dure du chmageet sont particulirement visibles chez les chmeurs de longue dure ;

    incitations : une assurance chmage trop gnreuse diminue et peutmme liminer les incitations rechercher un emploi. Les rformes rcen-tes tentent de combiner assurance et incitations chercher et accepter unemploi. Mais en pratique, lassurance chmage ne peut tre que partielle,de faon encourager les chmeurs rechercher du travail. Un argumentsymtrique sapplique la dtermination des salaires choisis par les entre-prises. Une entreprise qui verserait un salaire gal aux allocations chmageque peuvent recevoir ses employs aurait du mal les garder et les moti-ver. Pour cette raison, les entreprises offrent souvent un salaire allant au-del de ce que le salari toucherait en cas de chmage, afin par exemple delui donner des incitations conserver son emploi(17) (dans le cas des salarisau bas de lchelle salariale, une autre raison est bien entendu lexistencedun salaire minimum). Ceci implique, l encore, qu lquilibre, lalloca-tion chmage doit tre infrieure au salaire.

    (17) Nous faisons ici allusion la thorie du salaire defficience (par exemple, celle deShapiro et Stiglitz, 1984). Les salaires defficience peuvent provenir dautres facteurs, commelanti-slection.

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4129

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    Comme nous en avons discut dans la section 3, les cots psychologi-ques lis la perte de lemploi peuvent en principe faire lobjet dune in-demnit de licenciement verse directement au salari(18). Il parat logiquede faire crotre cette indemnit avec lanciennet pour la raison voqueprcdemment.

    Par contre, lassurance imparfaite du revenu, dans la mesure o elle estmotive par la cration dincitations la recherche dun emploi, ne peutpas, par dfinition, tre limin par un versement direct ou indirect au sala-ri. Dans ce cas, lentreprise qui licencie impose non seulement un cot lacaisse dassurance chmage, mais aussi un cot vis--vis du salari quellelicencie.

    Ceci suggre, et lanalyse le confirme, que limperfection de lassurancechmage implique un taux de contribution dfini de nouveau comme leversement de lentreprise divis par le cot occasionn par le licenciementpour la caisse dassurance chmage suprieur 1, pour tenir compte ducot directement support par le salari licenci. Cet effet va donc dans ladirection oppose des deux effets que nous avons discut prcdemment.Notre sentiment, fond davantage sur notre intuition que sur un raison-nement quantitatif prcis, est que, dans des pays comme la France o las-surance chmage est assez gnreuse, les deux premiers effets dominent.Mais il est clair que beaucoup dincertitudes subsistent sur le taux de con-tribution dsirable quand ces imperfections sont prises en compte.

    5. Htrognit des entreprises et des salaris,dparts volontaires et licenciements5.1. Problmes poss par lhtrognit des entrepriseset des salaris

    Les entreprises font face des situations diffrentes. Certaines entrepri-ses oprent dans des environnements plus volatils ou plus risqus, et ontdonc un taux de licenciement moyen plus lev. Certaines entreprises ontune assise financire solide, et dautres pas. Enfin, limpact du chmageoccasionn par les licenciements varie beaucoup selon la localisation, lac-tivit ou le type de main duvre employe par lentreprise. Doit-on doncmoduler le taux de contribution en fonction de ces circonstances diff-rentes ? La thorie suggre que la rponse varie selon les cas.

    (18) Dun point de vue thorique ! En pratique, les cots psychologiques sont trs difficiles apprhender et de plus varient normment selon lindividu et la situation.

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4130

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    5.1.1. Diffrentiel de risqueLes entreprises fort taux de licenciement seraient bien entendu les

    premires concernes par une responsabilisation. Pour linstant, ces entre-prises bnficient beaucoup du systme de mutualisation, qui opre au d-triment des entreprises plus vertueuses. Lintroduction dun taux de contri-bution pnalisera ces entreprises, et nous avons peu de doute sur le fait queces entreprises formeront certainement un lobby puissant cherchant pr-venir toute forme de responsabilisation. Cette pnalisation est cependantjustifie, car ces entreprises doivent supporter le cot social quelles impo-sent la socit(19).

    5.1.2. Solidit financire frquences de licenciement gales, certaines entreprises, plus con-

    traintes financirement, auront plus de difficults que dautres payer lestaxes de licenciement. Ces mmes entreprises sont gnralement celles quiont aussi le plus de difficults mettre en place un financement pour lin-vestissement et la cration demploi, et qui pour pouvoir accder ce finan-cement, devront faire des concessions leurs investisseurs. Une de ces con-cessions standard est une liquidit limite (dette de court terme substan-tielle, faibles lignes de crdit, etc.), pouvant mener des fermetures dta-blissement et des licenciements. Les entreprises fragiles financirementsont aussi celles qui sont le plus pnalises par une responsabilisation.

    Lhtrognit des entreprises en matire daccs au financement peutdonc justifier une certaine mutualisation (un taux de contribution en des-sous de lunit)(20). En effet, en donnant un coup de pouce aux entrepri-ses les plus fragiles travers un taux de contribution infrieur un, ltatencourage la cration demplois par ces dernires (qui reprsentent de factola marge de cration en jargon conomique) ; ceci se fait bien sr auxdpens de lefficacit ex post, car la mutualisation encourage les licencie-ments. Mais une mutualisation partielle peut tre bnfique.

    5.1.3. Impact diffrenci du chmageLe licenciement dun informaticien de 25 ans en rgion parisienne na

    videmment pas le mme impact conomique et social que celui dun sala-ri non qualifi de 50 ans en Arige. Ceci suggre donc une certaine modu-lation des taxes de licenciement. Une telle modulation existe de fait dansles systmes bonus-malus o les paiements de lentreprise la caisse dal-location chmage sont lis aux allocations effectivement touches par les

    (19) De nouveau, une analogie avec lenvironnement peut tre utile. On trouve aujourdhuinormal que les entreprises non polluantes ne subventionnent pas par une mutualisation descots de dpollution (ou labsence de fiscalit environnementale) celles qui polluent. Il enva de mme en matire demploi.(20) Pour plus de dtails, voir Blanchard et Tirole (2003).

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4131

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    ex-employs de lentreprise. Elle se retrouve galement, en France, dansles contributions Delalande qui pnalisent lentreprise pour les licen-ciements de salaris gs(21).

    Bien quune telle modulation permette une bonne internalisation parlentreprise du cot de ses licenciements, elle pose dautresproblmes srieux : elle augmente le cot pour lentreprise dembaucherou de garder(22) des employs non qualifis de 50 ans et voulant vivre enArige. Ces cots pourraient en principe tre compenss par une modra-tion salariale correspondante des catgories demploys perus par les en-treprises comme plus risqus. Cette modration peut, cependant, ntre nipossible, ni souhaitable. Elle peut tre impossible pour les raisons de mar-chandage ex post discutes dans la section 4.2 ; on ne peut pas observer lamodration salariale, condition sine qua non pour que les entreprises res-ponsabilises embauchent des salaris cot de chmage lev. La mod-ration salariale peut aussi se heurter des contraintes telles que le salaireminimum. Ceci amne la seconde considration, la dsirabilit dunetelle modration : ltat peut trs bien estimer que, pour des raisons dedistribution de revenus ou bien damnagement du territoire, ces catgoriesne doivent pas recevoir des salaires plus faibles que les autres. Cest--direque la modulation amne lefficacit, mais cre de lingalit entre salaris.

    Il est illusoire de demander au secteur priv de remplir les objectifs(lgitimes) de ltat en la matire. Deux solutions se prsentent alors :

    soit renoncer une partie de la modulation en basant par exemple lestaxes de licenciement sur le nombre de licencis plutt que sur le cot deslicenciements pour la caisse dassurance chmage. Cette approche rsoutle problme de la discrimination contre les salaris dure de chmageleve ; mais elle ne rsout pas la discrimination base sur lhtrognitdes probabilits de licenciement ;

    soit (et malgr les fortes rserves que nous mettrons en section 5.1)procder des subventions la cration et au maintien demploi ciblesvers les catgories de personnel et les rgions concernes.

    Aucune des deux solutions ntant parfaite, peut-tre faut-il faire un peudes deux. Ce qui est certain est quune augmentation de la responsabilisationdes entreprises cre des dangers de discrimination sur le march du travail.Il est important den limiter ces effets, et ceci mrite une rflexion plusapprofondie.

    (21) La contribution Delalande est une pnalit destine protger les salaris gs du licen-ciement. En cas de rupture du contrat de travail dun salari de plus de 50 ans, lentreprisedoit verser aux ASSEDIC une cotisation variable selon lge du salari.(22) Par exemple, des contributions importantes pour les licenciements demploys de plusde 50 ans incite les licencier 45 ou 48 ans.

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4132

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    5.2. Dparts volontaires et licenciements : reclassificationsconcertes au dtriment de la caisse dassurance chmage

    Nous avons port jusquici notre attention sur un seul type de sparation :les licenciements pour raison conomique (provenant dune faible produc-tivit pour lentreprise du poste ou du salari affect ce poste licen-ciement conomique). Les sparations peuvent avoir dautres causes, etpour les besoins de notre analyse, il est utile de distinguer entre :

    licenciement pour raison conomique (le cas considr jusqu main-tenant) ;

    licenciement pour faute du salari ; dmission motive par la perspective dun autre emploi plus attractif

    pour le salari ( dmission vers un autre emploi ) ; dmission non motive par une telle perspective, mais lie dautres

    raisons personnelles du salari, telles que le changement de localisation dutravail du conjoint ( dmission vers une recherche demploi ) ;

    sparation la fin dun emploi dure dtermine (CDD).En France, si on laisse de ct les CDD, les licenciements ne reprsen-

    tent quun tiers des dparts, les dmissions reprsentant les deux autrestiers(23).

    Cette classification des sparations est importante, car les diffrents ty-pes de dparts (licenciements pour raison conomique, licenciements pourfaute, dmissions vers un autre emploi, et dmissions vers une recherchedemploi) doivent tre traits de faon diffrente :

    dans le cas du licenciement conomique, il est normal que lentreprisepaie la fois taxes de licenciement la caisse dassurance chmage et in-demnits de licenciement, et que le salari licenci reoive des allocationschmage. Cest le cas que nous avons considr jusqu maintenant ;

    dans le cas du licenciement pour faute, il est clair que lentreprise nedoit payer ni taxes, ni indemnits de licenciement. Il semble galementnormal que le salari licenci ne reoive pas dallocations chmage ; toutceci bien sr, sous lhypothse que la faute est bien relle, un problmeauquel nous reviendrons plus bas (la lgislation franaise est de fait plusgnreuse en la matire, dans la mesure o les salaris mme licencis pourfaute ont droit aux allocations chmage) ;

    dans le cas de la dmission, lentreprise nest pas responsable du d-part de lemploy et il est donc clair que lentreprise ne doit payer ni taxes,ni indemnits de licenciement. En ce qui concerne les allocations chmage,la question ne se pose que peu ou pas du tout en cas de dmission vers unautre emploi : le salari ne passe pas par le chmage, ou sinon seulementpour une trs courte priode. La question se pose, et de faon complexe, en

    (23) Goux et Maurin (2000).

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4133

  • CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE34

    cas de dmission vers la recherche dun emploi. Dune part, si la dmissionest vraiment motive par des considrations exognes (lobligation de d-mnager par exemple), louverture de droits aux allocations chmage pa-rat tout fait justifie ; par contre, on veut prvenir des abus du type d-mission pour convenance personnelle encourage par laccs aux alloca-tions(24). Notons que la lgislation franaise est stricte en la matire : unedmission nouvre droit aux allocations chmage que dans des cas bienprcis.

    La dcomposition des sparations de CDI en quatre grandes catgories,avec droits et devoirs diffrents pour entreprises et salaris, allie la diffi-cult pour ltat de vrifier la cause exacte du dpart, soulve deux probl-mes : tout dabord, lentreprise et le salari peuvent sentendre pourreclassifier la cause de dpart, et ceci au dtriment de la caisse dassurancechmage. Ensuite, lentreprise et le salari peuvent essayer de se renvoyerla responsabilit de la sparation. Nous considrons la premire forme demanipulation (la collusion) dans cette sous-section et la seconde (le trans-fert de responsabilit) dans la prochaine.

    Les incitations quant des manipulations concertes contre la caissedassurance chmage (classifiant un licenciement comme une dmissionou une dmission comme un licenciement) dpendent beaucoup des insti-tutions en vigueur :

    absence de responsabilisation : dans un systme (tel que celui actuel-lement en vigueur en France) o le taux de contribution des entreprises estbas ou gal zro, lincitation est plutt de reclassifier les dparts volontai-res (vers une recherche demploi) en licenciements. En effet, le licencie-ment ne cote rien lentreprise sil nest pas contest et si le salari re-nonce ses indemnits de licenciement (ou si ces dernires sont faibles) etil permet au salari de bnficier de lassurance chmage. Ces licencie-ments lamiable ou de complaisance existent en France, mme silest difficile den apprhender limportance dun point de vue statistique ;

    responsabilisation de lentreprise : si au contraire le taux de contribu-tion des entreprises la caisse dassurance chmage est lev (comme nousle prconisons) lincitation au licenciement de complaisance diminue net-tement : le salari y gagne laccs aux allocations chmage, mais lentre-prise doit payer ces allocations chmage (en partie, si le taux de contribu-tion est infrieur lunit).

    Cette responsabilisation introduit-elle linverse une incitation reclassifier des licenciements en dparts volontaires ? De nouveau, linci-tation reclassification est faible : lentreprise conomise le versement lacaisse dassurance chmage, mais le salari perd ses droits aux allocations.En consquence, nous pensons que les incitations la reclassification nedevraient pas poser de problme majeur dans un systme de responsabi-lisation des entreprises.

    (24) Et bien sr, il est en gnral difficile de faire la part des choses entre ces deux situations.

    Rap. CAE 44.p65 24/09/2003, 17:4134

  • PROTECTION DE LEMPLOI ET PROCDURES DE LICENCIEMENT 35

    5.3. Report de responsabilit : licenciements abusifs et pour fauteLa reclassification peut tre recherche de faon unilatrale (adversariale)

    plutt que de faon concerte comme tudie prcdemment. Considronsen particulier un systme de responsabilisation de lentreprise :

    lentreprise prfrerait quun licenciement soit classifi soit commeune