Upload
edward-tamayo-duque
View
40
Download
1
Tags:
Embed Size (px)
Citation preview
Accademia Editoriale
Aux origines de l'"Oikonomia" grecqueAuthor(s): Raymond DescatSource: Quaderni Urbinati di Cultura Classica, New Series, Vol. 28, No. 1 (1988), pp. 103-119Published by: Fabrizio Serra editoreStable URL: http://www.jstor.org/stable/20546939 .
Accessed: 24/02/2014 19:04
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp
.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].
.
Fabrizio Serra editore and Accademia Editoriale are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extendaccess to Quaderni Urbinati di Cultura Classica.
http://www.jstor.org
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque *
Raymond Descat
Nous assistons depuis quelques ann?es ? un regain d'int?r?t pour la
pens?e ?conomique grecque, stimul? sans aucun doute par les travaux
de M.I. Finley l. Cependant, consid?r?e dans son ensemble, la d?marche
de l'auteur d'Ancient Economy est loin d'?tre uniforme. D'un c?t?, il est
tr?s critique envers le niveau et la port?e de la litt?rature "oikonomique"
grecque, genre o? r?gnent selon lui la routine et la na?vet?, ? tel point
qu'il voit dans l'auteur des Oikonomika attribu?s par tradition ? Aristote
l'un de ces potaches imb?ciles qui encombrent m?me les meilleures ?co
les 2. Mais en m?me temps il juge s?v?rement l'attitude de ceux qui, glo sant continuellement sur la m?diocrit? des r?flexions grecques, se trom
pent en fait de sujet puisque les Grecs ne font pas de l'?conomie mais de
la morale3.
* Une premi?re version de cet article a fait l'objet d'un s?minaire ? l'Universit?
d'Urbino le 31 Janvier 1985. Je remercie B. Gentili et tous les pr?sents pour leurs sugge
stions. 1 On peut noter, depuis la parution d'Ancient Economy en 1973, C. Ampolo, 'Oi
konomia (Tre osservazioni sui rapporti tra la finanza e l'economia greca)', Arch, e storia
ant. 1, 1979, pp. 119-130; S. T. Lowry, 'Recent Literature on Ancient Greek Economie
Thought', journ. Econ. Lit. 17, 1979, pp. 65-86; S. Meikle, 'Aristotle and the Political
Economy of the Polis', journ. Hell. Stud. 99,1979, pp. 57-73; C. Moss?, 'X?nophon ?co
nomiste', in Le Monde Grec. Hommages ? Claire Pr?aux, Bruxelles 1975, pp. 169-176; P.
Musiolek, '?konomische ?berlegungen der Philosophen und Publizisten im 4. Jahrh.', in Hellenische Poleis IV, 1974, pp. 1910-1926; D. Musti, Ueconomia in Grecia, Roma
Bari 1981 (cf. p. 134 sqq.); P. Spahn, 'Die Anf?nge der antiken ?konomik', Chiron 14, 1984, pp. 301-323.
2 Class. Rev. 20, 1970, pp. 315-319.
3 L'?conomie antique, trad, franc. Paris 1975, p. 21.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
104 R. Desca?
Au premier abord cette contradiction n'est pas g?nante parce
qu'elle se fond dans l'effort qu'a accompli Finley pour lutter contre l'in
fluence des interpr?tations trop modernistes. Mais ? terme, elle subsiste, d'autant plus solidement qu' elle r?sulte moins des ?ventuelles erreurs
d'un chercheur que des controverses toujours pr?sentes sur le statut
intellectuel de l'?conomique. Ou bien l'?conomie traite des moyens mat?riels de l'existence ? et Ton pourra ?voquer la faiblesse des remar
ques grecques qui ne sortent gu?re du bon sens courant ? ou bien l'?co
nomie est l'?tude des fins et des moyens de l'action ? et ce qu'on lit des
Grecs n'est pas autre chose qu'une morale simple. Or si aucune de ces perspectives n'est vraiment fausse, aucune non
plus n'est vraiment juste. Les ?conomistes dans leur pratique l'ont tr?s
bien compris: l'?conomie, c'est ce que font les ?conomistes 4, c'est-?-dire
une large ambition formelle r?duite ? un terrain privil?gi?, celui des
quantit?s et des prix. C. Schmidt a r?cemment montr? combien la r?fle
xion ?conomique se fondait sur la lecture et la r??criture des ?conomi
stes pr?c?dents 5. Il y a pour les historiens un enseignement important ?
tirer de cet ?tat de fait. Que Yoikonomia soit diff?rente de la science ?co
nomique moderne est un fait acquis, mais c'est aussi un jugement par d?faut. Il n'en subsiste pas moins un ?v?nement historique: ? une cer
taine ?poque, un nouveau genre ?crit est n?, le logos oikonomikos qui
parlait Yoikonomia. Qu'est-ce que les Grecs voulaient faire r?ellement?
Je ne suis pas du tout convaincu qu'appeler cela une morale soit une
mani?re de r?gler le probl?me. Il faut se demander pourquoi les Grecs
ont emprunt? cette forme de pens?e qui s'impose ? Ath?nes ? partir du
dernier tiers du 5?me s.
Car la pens?e ?conomique grecque a bien une histoire (2) qui com
mence avec la cr?ation d'une litt?rature sp?cialis?e et une pr?histoire (1)
que Ton peut reconstituer ? travers l'usage des termes.
1. Oixovo|io? et oixovop,?(D pr?sentent l'originalit? d'?tre tr?s
rares jusqu'? la fin du 5?me s. (4 occurrences seulement) et de conna?tre
ensuite un succ?s foudroyant ? l'image du genre, puisqu'on recense pour le 4?me s. pr?s d'une dizaine d'ouvrages portant sur Yoikonomia ou sur
4 L'id?e se trouve par exemple chez E. E. Leclair Jr., 'Economic Theory and Eco
nomic Anthropology', Am. Anthrop. 1962, pp. 1179-1203 cit? d'apr?s M. Godelier,
Un domaine contest?: l'anthropologie ?conomique, Paris 1974, p. 128. 5
C. Schmidt, La s?mantique ?conomique en question, Paris 1985.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 105
la richesse ?crits par tous les leaders des grandes ?coles philosophiques 6.
Ce n'est pas pour autant une famille "savante" et son origine est
ancienne puisque d?j? dans l'expression hom?rique JtaxQ ta Jtavxa
v?|iT]ai on devine le th?me qui sera celui de Yoikonomos: pouvoir utiliser
toutes les ressources de Yoikos qu'on a re?u en "partage", en h?ritage 7.
L'?vocation complaisamment rapport?e dans l'?pop?e des buts de cette
"gestion" ?
boire, manger ?
peut pr?ter ? sourire, mais c'est ? tort
qu'on n?gligerait son int?r?t historique. Car l'appropriation priv?e de la
terre ? qui sera toujours le fondement de Yoikos ? n'est pas encore une
banalit?, comme le montre bien le conseil d'H?siode "Ayez d'abord un
oikos..." (Trav. 405). Il est d'ailleurs frappant de constater que le moyen
v?|i8o6at est alors plut?t associ? aux temenoi royaux re?us en apanage
(cf. II. 12, 313; Od. 11, 185; Trav. 119) qui constituent probablement l'une des formes les plus anciennes de l'appropriation personnelle de la
terre.
La jouissance de Yoikos refl?te bien ? ses origines un r?le social
qu'on retrouve fortement exprim? dans le fragment de Phocylide qui donne la plus ancienne mention d'oikonomos, ? l'int?rieur d'un Catalo
gue des femmes 8. Phocylide s'est certainement inspir? de S?monide, mais je ne pense pas qu'il agisse par conformisme en r?duisant le mes
sage de son pr?d?cesseur9. Car le ton est pour la premi?re fois nette
ment politique. La femme-cavale, premi?re nomm?e, est Yariste, puis viennent deux "races" sauvages, celle de la truie, ni kake ni esthle et celle
de la chienne, agrios. Eloign?e ? la fois de cette sauvagerie et de cette
rusticit? et diff?rente de la noble arrive Yoikonomos la femme-abeille, c'est-?-dire la citoyenne, Y ?ste:
?QLOTT) out'... xaxf| f
<-oixovo^io?--> otY6L??
ou??... ?oQXr\
6 Voir la liste nn. 27, 28 et 29. 7 Od. 20, 336-337. 8
Phocylide, fr. 2 Gent. - Pr.
9 N. Loraux, Les enfants d'Ath?na, Paris 1981, pp. 94-113.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
106 R. Descat
Les autres exemples d'oikonomos au 5?me s. vont dans le m?me
sens. Le passage le plus r?aliste concerne la femme d'un client de Lysias c. 403-400. Ses responsabilit?s ?'oikonomos ont ?t? acquises apr?s une
p?riode d'essai, qui suivit le mariage, o? elle donna enti?re satisfaction ?
son mari. Elle prend alors compl?tement en charge Yoikos et montre
pleinement ses qualit?s depheidolos (Lys. 1, 7). Dans Y Agamemnon d'E
schyle, Yoikonomos est Mfjvi? ? en fait Clytemnestre
? qui est quali
fi?e de |iv??KDV, de "m?moire" de l'?tat de Yoikos, ? l'image d'une fon
ction qui existe dans les cit?s 10.
L'occurrence d'oixovojx qui renvoie chez Sophocle {El. 192) ?
une autre femme-m?moire de Yoikos, Electre, se situe dans un voisinage
s?mantique int?ressant, pas toujours bien compris. P. Mazon traduit par
"je suis servante au palais de mon p?re" et laisse ainsi entendre qu' oixo
vo\i(b peut ?tre d?s cette ?poque attach? ? une fonction subalterne dans
Yoikos. Ce n'est pas possible car contraire ? la tradition antique; la Souda
glose en effet olxovo|I?) par ?iaixa "j'habite, je r?side", sens qui pa ra?t un peu faible ? premi?re vue, mais qui trouve un ?cho dans le con
cept de r?sidence cher aux ethnologues et qui d?signe non pas la locali
sation g?ographique, mais la place sociale dans une famille n. Or Electre
n'a pr?cis?ment pas la place qui lui revient; elle est seulement une epoi kos (compris par la Souda comme metoikos), terme de la colonisation qui
correspond g?n?ralement aux nouveaux arrivants, aux colons suppl? mentaires dont le statut est inf?rieur et certainement provisoire 12. "Mais c'est vraiment comme une ?trang?re
? sans marque de dignit? ?
que je r?side au palais de mon p?re".
Malgr? leur petit nombre, ces t?moignages sont suffisamment con
cordants pour permettre de tracer ? la fin du si?cle l'image de Yoikono mos. C'est une fonction sociale qui comprend trois aspects:
a) avoir re?u un oikos. La fonction est toujours attribu?e ? la
despoina.
b) utiliser sagement ses ressources.
c) conserver Yoikos dans la m?moire comme dans la r?alit?.
10 Eschyle, Agam. 155. Pour l'institution voir en Cr?te l'inscription de Spensithios
(cf. L. Jeffery-A. Morpurgo-Davies, Kadmos 9, 1970) et ? Halicarnasse (Syll.3 45; Meiggs-Lewis 32).
11 Dir. M. Auge, Les domaines de la parent?, Paris 1975 p. 36.
12 Sur ?poikos voir B. Virgilio, Studi class, or. 32, 1982, pp. 139-140.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 107
2. D?s le d?but du 4?me s., un changement brutal s'impose: il n'y a
plus de femme oikonomos, c'est d?sormais une affaire d'hommes et cela
le restera, signe de l'importance sociale croissante de la notion. C'est
alors qu' apparaissent de nouveaux termes comme oikonomia ou oiko
nomikos 13. C'est enfin ? partir de ce moment-l? que nous constatons un
?largissement de l'emploi de cette famille de mots dans deux directions:
? le domaine public; l'usage est attest? dans le dernier quart du
si?cle avec un passage de Dinarque et le Ps.-Aristote, mais doit certaine
ment ?tre plus ancien 14.
? par m?thaphore ailleurs que dans l'?conomie proprement
dite, l? o? peuvent s'exprimer les m?mes qualit?s intellectuelles. L'e
xemple le plus ancien est un passage du corpus hippocratique qui traite
de Yoikonomia du m?decin face au malade, c'est-?-dire des dispositions ? prendre pour bien "g?rer" une situation dont il est le ma?tre 15.
Ces nouveaut?s importantes ne peuvent pas ?tre consid?r?es
comme une ?volution "naturelle" dans l'histoire du concept. On doit les
rattacher ? la naissance ? et au succ?s ? du logos oikonomikos. Et
pourtant le peu que l'on connaisse du contenu des logoine plaide pas en
apparence en faveur d'une innovation; ils ne parlent que de Yoikos.
Pour mieux comprendre les choses, il faudrait restituer l'histoire du
genre. On ne peut seulement proposer que quelques rep?res. Il est n?
selon toutes probabilit?s dans le cercle socratique et on peut penser que le premier auteur d'un logos oikonomikos est Antisth?ne 16. On a con
serv? le titre d'un ouvrage intitul? jieqi vixr)? otxovo^ixo? "Sur la vic
toire (ouvrage) ?conomique" qui, dans le catalogue de Diog?ne La?rce
suit un JC8QNi ?jtiTQOJtou et pr?c?de les livres sur Cyrus 17. La date en est
inconnue mais a toutes les chances d'?tre ant?rieure ? la composition de
YEconomique de X?nophon m?me dans sa partie ancienne 18.
13 Sur les emplois Yoikonomia voir C. Ampolo, art. cit. p. 120 sqq.
14 Dinarque, C. D?mosth?ne 97.
15 Epid. 6, 2, 24 qu'on peut dater de peu apr?s 399, cf. K. Deichgr?ber, Die Epide
mien und das Corpus Hippocraticum, Berlin 1971, p. 15. Emploi aussi chez Platon, Apol. 36b6 (c. 396).
16 P. Spahn, art. cit. p. 314.
17 Diog. La?rce 6, 16; cf. Antisthenis Fragmenta coll. F. D. Caizzi 1966.
18 Qui daterait de c. 381 selon E. Delebecque, Essai sur la vie de X?nophon, Paris
1957, p.235.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
108 R. Desca?
De nombreux indices, ?tudi?s avec soin il y a longtemps d?j? par K.
Jo?l, montrent en effet que X?nophon a suivi Antisth?ne tant dans YEco
nomique que dans certains passages des M?morables 19. Le titre de l'ou
vrage d'Antisth?ne est un peu d?routant mais se comprend parfaitement si on le rapproche du livre III des M?morables qui voit Socrate conseiller
? Nichomachid?s, le bien-nomm?, qui r?ve d'?tre ?lu strat?ge, de deve
nir pour cela un bon oikonomos, c'est-?-dire un oikonomikos (un "?co
nomiste" et non plus seulement un "?conome") au grand ?tonnement de
son interlocuteur20. Toute l'argumentation repose sur le lien ?troit entre
les deux fonctions: un oikonomikos sait commander, il conna?t ses res
sources, sait ce qu'il peut en faire, ce qui lui est le plus avantageux et de
ce fait sur le champ de bataille, livr? ? lui-m?me sans moyens suffisants, il
n'engagera pas le combat. On doit y voir une imitation du p?ri nikes
d'Antisth?ne, o? les conseils pratiques existaient21.
La premi?re caract?ristique du genre est donc le lien ?troit ?tabli
entre la bonne gestion de Yoikos et la conduite des affaires publiques, ainsi dans M?morables 3,4, 12 "si quelqu'un sait ce qu'il faut et se le pro
cure, il sera un excellent prostates d'un choeur, d'un oikos, d'une cit? ou
d'une arm?e". Il n'y a pas de diff?rence de nature, mais seulement de
dimension (jtXf|08i) entre les affaires du patrimoine et les affaires publi
ques. On reconna?t l? une id?e tr?s ch?re au groupe socratique et ? Pla
ton, ? laquelle s'opposera Aristote22.
Ce lien entre Yoikos et la cit?, s'il permet de comprendre la raison
de l'extension du genre et le "passage" de la femme ? l'homme, ne peut
cependant pas en soi ?tre consid?r? comme un fait vraiment neuf. D?j? dans la parabole de la femme-abeille chez Phocylide, le vocabulaire poli
tique ?tait dominant et la conservation de Yoikos fondamentale pour la
cit? toute enti?re. Aussi la nouveaut? est-elle ailleurs. Dans la conception
traditionnelle, l'accent ?tait mis sur une fonction et son r?sultat (conser ver Yoikos intact dans et pour la communaut? civique). C'est pourquoi la
femme est "privil?gi?e" car elle est toujours plus que l'homme d?finie
par ses t?ches: elle "sait" les travaux, dit toujours Phocylide qui reprend ainsi ce vocabulaire intellectualiste caract?ristique de l'?pop?e et qui
19 K. Jo?l, Der echte und der xenophontische Sokrates, Paris 1893-1901.
20 X?n. M?m. 3, 4. Le strat?ge choisi est pr?cis?ment un Antisth?ne qui ne sait rien
d'autre que s'occuper des chr?mata (3,4, 1). 21
Fr. 104 Caizzi. 22
Arist. Polit. 1,1,2.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 109
r?sume un individu par la fonction qu'il doit remplir23. C'est bien le cas
des exemples de la Trag?die o? les femmes accomplissent une t?che envers et contre tous. D?sormais dans le logos, un d?placement se pro
duit; ce n'est plus une fonction, mais un comportement qui est mis en
valeur et qui est l'objet d'une v?ritable analyse. L'action en elle-m?me va
servir de mod?le et peut ?tre utilis?e dans d'autres domaines. C'est parce
qu'elle conserve Yoikos que la femme est utile ? la communaut?, mais elle ne peut sortir de ses responsabilit?s. Maintenant, par d?finition, Yoiko
nomia est ouverte sur les interventions dans la vie publique. Avant, elle
correspondait ? un cadre particulier, maintenant elle devient un aspect du comportement global de l'homme dans la cit?. Il n'est donc pas ?ton
nant de constater que des sens "d?riv?s" d'oikonomia ? comme en
m?decine ? puissent se rencontrer tr?s t?t. L'analyse en d?gage les
composantes: th?me de la ma?trise d'une situation, utilisation et conser
vation des moyens disponibles, valables d?sormais pour toutes situa
tions. Quant au ton assez r?p?titif, semble-t-il, de ces logoi, il faut le met
tre en rapport avec cette logique de Yexemplum qui met en valeur un
personnage, comme Cyrus le roi perse. On ne peut n?gliger non plus l'influence d'Antisth?ne sur ce point qui passait pour l'un des ma?tres de
l'enseignement all?gorique24. Cette mutation effectu?e d'une fonction ?Yoikonomos ? un compor
tement est un fait capital, mais qui ne doit pas ?tre isol? de son contexte.
Je veux dire que l'usage plus "abstrait" ?Yoikonomia 25 n'a pas abouti ?
une logique g?n?rale de l'action ?conomique ni m?me ? une ?tude cir
constanci?e des oikonomiai possibles. Non, soulignent les d?tracteurs
du genre, les Grecs ont seulement parl? de Yoikos. Mais ce n'est pas par
traditionnalisme, car en r?alit? parler de Yoikos de cette fa?on-l?, c'est
parler d'un sujet neuf.
3. On devine cette nouveaut? ? la fa?on dont est pos? dans nos tex
tes un probl?me capital de d?finition: qu'est-ce que Yoikonomia^ est-ce
?une techno La r?ponse s'?labore peu ? peu: Yoikonomia est un savoir
(X?n. Econ. 1, 1), ce qui n'est pas contradictoire avec la techne (Econ. 1,
23 Cf. E.R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, trad, franc. Paris 1965, pp. 28-29.
24 Cf. Diog. La?rce 6, 15-18 pour les ?tudes d'all?gorie hom?rique. 25
La fin du 5?me s. voit un d?veloppement des concepts abstraits, cf. A. Parry in
Yale French Stud. 45, 1970, pp. 3-20.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
110 R. Desca?
4), mais un savoir qui s'exprime dans une atmosph?re de non-sp?ciali ste. X?nophon s'oppose vigoureusement ? un courant technique (16, 1)
qui existe alors en Gr?ce. On sait par Columelle (11,3,2) que D?mocrite
a publi? un trait? d'agronomie. Mais X?nophon ne se pr?occupe pas de
cela; lui qui a fait des trait?s techniques sur la chasse et sur le cheval,
aurait pu, s'il l'avait voulu, en faire un sur l'agriculture. Voikonomia,
c'est autre chose, ce n'est pas une techne productrice de biens, une tech
ne chrematopoios {Econ. 20, 15) comme l'agriculture ou les m?tiers, elle
a seulement besoin de ces technai (? partir de la fin du livre III X?no
phon les passe en revue et choisit l'agriculture). Il faut en conna?tre au
moins une pour pouvoir ?tre un oikonomos, mais cela ne suffit pas
(Econ. 2, 18). Le but de Yoikonomia est de devenir un chrematistes
{Econ. 2,17-18), un homme d'affaires si Ton veut, mais plus pr?cis?ment un "professionnel" de la gestion du patrimoine. Or cette activit? est
d?crite avec des termes qui reviennent souvent comme gnome, akribeia,
epimeleia. La difficult? de comprendre ces termes vient de ce qu'ils ont
une histoire, et qu'? l'image de Y epimeleia ? tellement r?pandu dans
l'Economique de X?nophon qu'on peut dire qu'il s'agit d'un trait? de
Y epimeleia ? ils ont une connotation morale tellement forte qu'elle sert
surtout ? symboliser l'aspect non-?conomique de Yoikonomia. C'est
oublier que Y epimeleia au d?but du IV?me s. renvoie ? une situation pr? cise. Dans le document le plus riche que nous ayons sur une entreprise
ath?nienne, celle du p?re de D?mosth?ne, Y epimeleia est toujours atta
ch?e au responsable des ergasteria (cf. D?m. 27, 19, 31). Ce "z?le" est
donc orient? dans un but pr?cis. C'est ce que souligne X?nophon en
conclusion de son trait? (? 20) dans un passage tr?s significatif: com
ment-se fait-il qu'? connaissance technique ?gale, certains r?ussissent et
d'autres pas, c'est-?-dire que certains s'enrichissent et que d'autres s'en
dettent? X?nophon mentionne c?te ? c?te cultivateurs, commer?ants et
ma?ons qui tous vendent leurs produits et insiste sur le point commun,
Y epimeleia, qui a pour origine l'int?r?t personnel, l'amour du profit,
T"oph?limit?" (20, 29) "tous aiment naturellement ce dont ils pensent tirer profit"26.
26 N?ologisme emprunt? ? G. Nenci, 'Economie et soci?t? chez H?rodote', in
IX?me Congr?s G. Bud? I, Rome 1975, p. 140. D?j? chez V. Pareto, Corso di economia
pol?tica I, Turin 1942, p. 11. Rapports ?troits entre le chrematistes et la vente cf. Platon,
Resp. 345 c-d.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 111
On ne d?forme d'aucune fa?on la r?alit? en disant que Yoikonomia
est une science du profit. A condition de pr?ciser aussit?t la port?e de
certains mots. C'est dans ce domaine, pour se d?gager des id?e re?ues, encore plus utile qu'ailleurs. Traduire l'id?e d'"oph?limit?" par profit
pr?sente un danger, mais sauve d'un autre, celui de n?gliger compl?te ment l'effort fait alors dans les logoi pour d?crire des concepts dont on a
besoin et pour faire comprendre les r?alit?s nouvelles avec des mots for
c?ment anciens.
4. Ce qui le montre le mieux est l'?volution des centres d'int?r?t
des logoi. Dans les premiers temps "socratiques" nous voyons appara?tre les sujets qui vont constituer la trame de la r?flexion "oikonomique":
jteQL 8Jti?ieX,??ac;; ne?i xov ZQya?eoQai; jteqi to? (b^eXi^iou; jteqi
XQr]|i?T?)v; jteqi c|)iX,oxeq?ou?27. Nous ne savons malheureusement
rien du contenu de ces trait?s ? YHipparque except?
? mais la lecture
des titres montre qu'il s'agit des concepts de base de Yoikonomia qui vont ?tre ?tudi?s ? ce moment-l? comme ils ne le seront jamais plus. Nous devons rapprocher de ce courant d'id?es ce que dit sur Yepimeleia o?xeudv xai jroXixix v P?ricl?s (Thuc. 2, 40, 2), dont la figure de pre
mier oikonomikos est bien d?crite chez Plutarque ? travers une sorte de
jteqi axQi?eiac. Il existe donc un moment d?cisif o? s'?tablissent les normes d'un
nouveau comportement que l'on retrouve au centre des synth?ses jteqi
oixovo|jiicx?28. Il est en effet ? noter que le genre se transforme tr?s vite
et que la forme dominante en deviendra les jteqi jtXoutou qui, ? l'excep tion de l'oeuvre de Diog?ne le Cynique, n'apparaissent gu?re avant le
milieu du si?cle et sont tr?s r?pandues ? l'?poque hell?nistique en parti culier chez les Cyniques et les Epicuriens 29. Mais comme le note juste
ment P. Thillet ? propos des fragments d'Aristote le ton est d?sormais
27 Simon (D. La?rce 2,122); Simmias (D.L. 2,124); X?nocrate (D.L. 4,12); Piaton
(D.L. 3, 59). On peut y ajouter le Jteoi xov JtX?ov ?xeiv de Criton (D.L. 2, 121). 28
X?nocrate (D.L. 4, 12); Aristote (D.L. 5, 22); et les deux ouvrages que nous
avons conserv?s de X?nophon et du Ps.-Aristote. Plus tard Philod?me (cf. C. Jensen,
Leipzig 1906). 29
Diog?ne (D.L. 6, 80); Speusippe (D.L. 4, 4); Aristote (D.L. 5, 22); Th?ophraste (D.L. 5, 47); Sphairos (D.L. 7, 178); M?trodore (D.L. 10, 24); VEryxias "platonicien" (D.L. 3, 59).
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
112 R. Desca?
plus moralisant30. La richesse est-elle une bonne chose? Peut-on ?tre
riche et heureux? Comment faire bon usage de la richesse? Ce sont l?
probablement les questions trait?es dans les jteqi jtXoutou. Au 5?me s., ? l'origine du logos oikonomikos, on se demande plut?t comment faire
pour devenir, ou plus exactement pour rester, riche.
Pour justifier cette opinion, nous avons heureusement quelques t?moins. Et en premier lieu YHipparque, un exemple de jteqi (JhXoxeq
?o?? qu'on reconna?t g?n?ralement, sinon platonicien, au moins socrati
que 31 et qu'on peut rapprocher d'Antisth?ne et de X?nophon, ne serait
ce que par l'?vocation encore une fois de l'agriculteur (225b, 226a) et du
strat?ge (226c).
UHipparque traite d'un probl?me central de Yoikonomia, celui du
kerdos, et le r?soud d'une mani?re nouvelle. Le kerdos, c'est le profit que l'on retire d'une relation avec autrui et non directement du travail. Le
revenu d'une terre s'appelle le jtqooo?o? mais le profit que l'on va tirer
de ce revenu en le vendant ou en le donnant ? quelqu'un est le kerdos.
C'est pour cela que les pratiques d'oikonomia sont valables pour tout ce
qui touche aux relations, comme le m?decin avec ses malades ou le stra
t?ge avec ses soldats. Le kerdos est une notion inscrite au coeur m?me de
la soci?t? et qui ne pr?sente pas de connotation p?jorative. Vivre dans
une soci?t? suppose avoir des relations avec les autres et y trouver quel
que avantage. La relation va fonctionner parce qu'on a besoin d'un ker dos que l'autre va nous donner. Il est important de remarquer que dans
la conception grecque ce n'est pas nous qui avons le kerdos, mais c'est
l'autre qui va nous le donner 32. D'o? l'int?r?t et la n?cessit? de la rela
tion. Il est bien ?vident que personne ne peut engager un lien les "mains
vides" et qu'il faut donc donner d'abord pour pouvoir recevoir le kerdos
souhait?. Donner, c'est cr?er la relation et provoquer ? terme le kerdos.
L'?change ne peut vraiment fonctionner si l'un des partenaires garde pour lui le kerdos qu'il r?serve ? l'autre. En ce cas c'est une malhonn?
tet?, comme le dit Alkinoos ? Ulysse (Od. 8, 544) apr?s avoir offert les cadeaux qui engagent d?sormais les deux hommes. C'est pourquoi le
kerdos peut devenir tromperie et ruse. Alors l'effet est ?vident, la rela
tion s'interrompt et ne reprend pas.
30 P. Thillet in P.M. Schuhl, Aristote fragments et t?moignages, Paris 1968, pp. 43
44. 31 Cf. J. Souilh? in Platon XIII2, Paris 1930, pp. 52-58. 32
Voir R. Descat, L'acte et Veffort, Besan?on 1986, chap. 3,2.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 113
Au V?me si?cle le philokerdes est pr?cis?ment celui qui garde pour lui au lieu de donner, soit pour l'essentiel le riche qui ne fait pas de ?a
Jtavr| sociale. De ce fait il s'enrichit hors du cadre de la communaut?; sans dapane il n'y a ni po?me (ce que rappelle Pindare) ni vie civique (ce
qu'?voque Aristophane, Ploutos 591). C'est ce philokerdes bien typ? en
apparence qui est ? l'origine de la r?flexion de YHipparque. On s'attend
donc ? une d?finition pr?cise que donne effectivement l'interlocuteur de
Socrate, mais cette d?finition ?volue vite: le philokerdes est celui qui tire
profit de choses sans valeur (225a), puis de tout (225b), puis de choses
qui ont peu de valeur (226d), enfin de choses dont les honn?tes gens n'o
sent pas tirer profit (227d). Au bout du compte il sera admis que tous les
hommes sont philokerdeis. L'?volution de la d?finition, bien dans le style
socratique, est ici tout ? fait remarquable car elle d?note un profond
changement social: les actions se placent dans une logique mon?taire et
marchande (231c-d). La relation d'?change, m?me traditionnelle, ne
repose pas sur une ?galit? stricte. Il y a certes l'?quivalent de ce dont on a
besoin mais aussi un "quelque chose" en plus que Ton donne pour que le
partenaire soit en situation de dette et veuille continuer l'?change. "Me
sure exactement ce que tu empruntes ? ton voisin, et rends-le lui exacte
ment, ? mesure ?gale et plus large encore, si tu peux, afin qu'en cas de
besoin tu sois assur? de son aide" (H?siode, Trav. 349-351). Ce "plus"
qui est le v?ritable noyau du profit fonctionne comme une cr?ance (qui
avantage traditionnellement celui qui se d?place)33: c'est la personne
qu'on ach?te plut?t que l'objet. Or dans l'?change mon?taire le profit
qui ?tait donn? est automatiquement per?u. Si on donne plus, trop
(c'est-?-dire si on d?pense trop), c'est une perte; alors qu'autrefois don
ner plus pouvait ?tre un gage de s?curit?, ce n'est plus le cas. Ce que Ton
donnait, il faut le conserver, d'o? la sensation de monde renvers? (avco ... x?xco) qu'a l'interlocuteur de Socrate (228a). Mais l'id?e qui vient
justifier ce nouveau comportement est la suivante: il n'y a pas de diff?
rence de nature entre le kerdos traditionnel et le "plus" que Ton donnait, tous les deux concernent la m?me utilit?, li?e ? la valeur du produit.
L'int?r?t n'est plus dans les personnes mais dans les biens ?chang?s. Le premier exemple connu de cet oikonomo-philokerdes est Peri
cles qui g?re ses d?penses avec exactitude (axQi?eia) et c'est l? qu'il
33 C'est une remarque de M. Sahlins, Age de pierre, age d'abondance. L'?conomie des
soci?t?s primitives, Paris 1976, p. 327.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
114 R. Desca?
rencontre dans son oikos le plus d'opposition 34. G?rer ses d?penses, cela veut dire vendre, c'est ce que fait aussi P?ricl?s et c'est la conclusion
de Y Economique de X?nophon: le but est de d?velopper un syst?me o? les ventes se succ?dent. L'int?r?t de tous est de recommencer {Econ. 20,
26), de faire que ce syst?me de vente soit aussi "perp?tuel" que pouvait l'?tre l'ancien syst?me d'?change.
5. L}oikos dont traite le logos oikonomikos est aux prises avec un
probl?me nouveau provoqu? par l'extension de l'usage de la monnaie
qui est d'abord une raison de d?pense et qui doit devenir aussi l'essentiel
du gain. C'est une erreur de penser que le logos oikonomikos n'est
qu'une redite pure et simple des comportements anciens de Yoikos, pui
squ'il est au contraire une r?flexion sur les aspects qui ont le plus ?volu?.
Il ne faut pas pour autant oublier ses limites.
La plus importante, ? mon sens, est que le logos oikonomikos ne
s'int?resse fondamentalement qu'au gain de l'?change, mais cet ?change n'est pas associ? ? la production. Le profit dont il est question est celui
qui na?t de l'?change, non celui qui na?t de la production, de la producti vit?. Ce n'est qu'en assemblant les deux aspects qu'une pens?e ?conomi
que compl?te peut se d?velopper et poser le probl?me du prix. Il y a ?
cela une raison, l'inspiration pratique dont ne se d?gage jamais Yoikono
mia qui est issue des probl?mes r?els du propri?taire di oikos impliqu? dans des op?rations de vente et d'achat et non d'une r?flexion de syn th?se sur la logique m?me de l'action. Du coup dans la r?flexion "socra
tique" qui donne naissance ? Yoikonomia c'est le profit commercial qui est le point de r?f?rence. C'est contre cette tendance r?ductrice que lut
tera Aristote 35, mais son effort pour remettre l'?change commercial ? sa
place dans l'ensemble du circuit de production aboutira ? justifier intel
lectuellement une s?paration entre le domaine du travail et celui du gain
d'?change. Il y avait pourtant des pistes possibles ? partir du moment o? on
admettait dans Yoikonomia que les m?mes qualit?s ? comme Yepimeleia
? pr?sidaient ? tous les moments de la vie de Yoikos, tant pour le soin
apport? ? la production que pour celui apport? ? la gestion financi?re.
Mais on sait que tous les trait?s d'oikonomia choisissaient syst?matique
34 Plut. Perte. 16. 35
C'est le sens des passages de Y Ethique ? Nicomaque que je me propose d'?tudier
par ailleurs.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 115
ment l'agriculture comme techne chrematopoios. S'il est bien certain que
l'agriculture joue un r?le fondamental dans l'?conomie grecque et
occupe la grande majorit? de la population active, il n'en reste pas moins
que les arguments utilis?s sont ? nos yeux tr?s fragiles. L'agriculture est
choisie parce qu'elle est la plus facile des technai et la plus convenable. Il
est temps de s'interroger sur les raisons profondes de ce choix que est
souvent pr?sent? comme le symbole m?me d'une mentalit? "anti-?cono
mique".
6. La justification est donn?e de mani?re d?finitive dans deux pas
sages bien connus de Y Economique de X?nophon (4,2 et 6,5, 8): le tra vail artisanal est m?pris? parce que les artisans sont mous, "ch?tifs", oi>
c|hX,oi et ne peuvent pas ?tre de bons citoyens. La georgia s'oppose point
par point ? cette image. Elle est facile, alors que l'apprentissage d'une
techne artisanale est difficile, elle est ouverte ? tous alors que la connais
sance du m?tier est initiatique et secr?te, Tartisan vit dans un espace clos
? la diff?rence du paysan et travaille sans ponos> sans l'effort qui est la va
lorisation indispensable du travail dans la repr?sentation grecque (tout un courant le montre de Pindare ? Antisth?ne avec ses h?ros philoponoi sans compter les ?pitaphes qui glorifient le ponos des paysans)36.
On retrouve d?j? le th?me chez H?rodote (2,167) dans un passage o? l'historien compare sur ce point les usages grecs et barbares. En
apparence la situation faite aux technitai est semblable: ils sont d?consi
d?r?s ? la fois chez tous les peuples barbares et chez les Grecs. En appa rence seulement, car en r?alit?, H?rodote nous dit autre chose, la diff?
rence entre monde grec et monde barbare. Chez les Barbares les techni
tai sont inf?rieurs en time aux nobles, ? ceux qui gouvernent et qui font
la guerre. Le point de d?part de la remarque est l'existence de 7 gene en
Egypte, v?ritables castes. Or en Gr?ce rien de tel sauf ? Sparte. En Gr?ce
c'est une situation plus floue, qui n'est pas officialis?e, qui va de \iaki oxa ? r\KiOTa, du plus au moins, parce qu'en Gr?ce pr?cis?ment il peut
y avoir confusion. Chez les Barbares la fonction de technites est inf?
rieure ? celle du noble; en Gr?ce on est oblig? de rappeler qu'elle est
incompatible avec la fonction de citoyen, d'o? cette critique des hommes
de m?tier, parce que justement ils peuvent ?tre citoyens et acc?der au
36 Sur tous ces aspects voir R. Descat, 'La vie professionnelle dans la cit? grecque.
Sociabilit? et conflits', in Actes du Colloque de Rouen sur la sociabilit?, 1987, pp. 289-300.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
116 R. Desca?
pouvoir. Nous touchons l? la raison de cette critique de l'artisanat, plus sensible ? Ath?nes que dans d'autres cit?s. En soulignant que c'est ?
Corinthe que le m?pris des artisans est le moins sensible H?rodote veut
surtout nous dire que ce n'est pas ? Ath?nes. Or Corinthe est une aristo
cratie traditionnelle, dont on conna?t tr?s mal l'histoire int?rieure au
5?me s., probablement parce que le r?gime est tr?s stable 37. C'est l'?vo
lution d?mocratique ? Ath?nes qui a pr?cipit? les choses.
Le probl?me est expos? par Platon (Lois 846d) : on ne peut ?tre ? la
fois citoyen et artisan parce qu'?tre citoyen c'est d?j? une techne, un
?m?tier? et qu'on ne peut faire bien deux m?tiers ? la fois. On aura com
pris que cette incompatibilit? n'est pas une affaire d'emploi du temps ?
et n'est pas r?aliste ? mais est la forme nouvelle depuis l'apparition de la
d?mocratie de l'id?ologie ancienne des rapports entre l'artisan et le
citoyen, c'est-?-dire l'homme au pouvoir. Les rapports sont profonds et
assez compliqu?s, mais soulign?s avec ?vidence par la langue. Le m?me
mot ancien ?t]|jILOUQYO? est valable ? la fois pour l'artisan et pour le
corps des citoyens qui gouvernent, le corps des citoyens "actifs" ? l'int?
rieur desquels sont pris les magistrats 38. Pendant longtemps la double
signification de "d?miurge" a pos? probl?me parce qu'on reportait
implicitement la situation r?cente ?voqu?e dans nos sources classiques sur les ?poques ant?rieures. Or dans la conscience grecque il existe un
point commun essentiel entre l'artisan et l'homme de pouvoir: le r?sultat
de leur action qui est de produire un effet, un acte efficace. Dans sa
nature Y ergon du d?miurge-artisan est semblable aux actes qui manife
stent le pouvoir du d?miurge-citoyen. D?s l'origine le d?miurge produit un acte efficace qui entra?ne prestige et autorit?; l'artisan partage avec le
pouvoir la metis qui lui permet de triompher des obstacles rencontr?s.
Le r?sultat des actes est, comme le dit Pindare (Isthm. 1, 47), le misthos.
Loin d'?tre m?taphorique le jugement du po?te montre bien cette con
science commune, ? laquelle il est tr?s attach?, pour soutenir que son
propre misthos est le signe, la manifestation d'une valeur et non la r?tri
bution d'un service, d'un lien 39. Au d?but de la d?mocratie, le misthos
qui est donn? non pas ? tous les citoyens de la communaut? mais ? ceux
37 En dernier lieu J.B. Salmon, Wealthy Corinth 1984, pp. 404-406. 38 C. Vatin, ordres et classes dans les institutions delphiques', in Recherches sur les
structures sociales dans l'antiquit? classique, Paris 1970, p. 260. 39
Pind. Vita Amhr. I 3, 20-22 Drachm.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 117
qui, comme les d?miurges d'autrefois ou d'ailleurs, ont l'exercice du
pouvoir, refl?te le m?me ?tat d'esprit. Or l'extension de la circulation mon?taire va transformer rapide
ment et simultan?ment la r?alit? et sa signification id?ologique: au
moment m?me o? P?ricl?s institue le misthos, ce dernier est d?j? com
pris d'une mani?re diff?rente et c'est pourquoi Pindare d?fend tant son
misthos pour le diff?rencier d'un service marchand. S'installe une confu
sion car se superposent une conscience ancienne o? le misthos est la
r?compense, le prix d'une valeur, d'une capacit? et une conscience nou
velle o? le misthos est la preuve d'un lien, d'un engagement de type mar
chand. On ne peut en rester l? et pour redonner au citoyen une nouvelle
conscience, un nouveau mod?le id?ologique se b?tit sur les d?combres
de l'ancien, la metis est remplac?e par un mod?le rationnel incarn? dans
Y epimeleia, la pronoia et la gnome. On sait qu'il s'agit l? d'une des muta
tions les plus importantes de l'histoire de la culture grecque 40. En ce
sens la critique des m?tiers est indispensable, elle joue dans le discours
"oikonomique" un r?le de catharsis et, rassembl?e et construite, elle
devient un mythe fondateur. Car c'est ainsi que le logos peut affirmer
clairement ce qu'il est: science du riche, il est aussi science du citoyen.
7. Science du citoyen qui conna?t un dernier d?tour qui nous ren
voie encore une fois ? Antisth?ne. L'Economique de X?nophon a une
curiosit?, il nous parle beaucoup des Perses et de Cyrus. Ce trait vient
s?rement d'Antisth?ne qui a sinon introduit, au moins popularis? la
figure de Cyrus dans la culture grecque. Dans le catalogue de Diog?ne
La?rce, le Jte?i v?xtj? est suivi d'un premier Koqo?. Antisth?ne va faire
de Cyrus, avec H?racl?s, l'un des deux h?ros cyniques, figures de philo
ponoi qui servent bien le contraste avec les artisans aponoi. Il me para?t ?
peu pr?s ?vident que le h?ros du p?ri nikes ?tait Cyrus, comme c'est le
cas de la premi?re partie de YEconomique de X?nophon (dite aussi Econ.
de Critobule) qui se termine par l'?vocation de Cyrus (et de Cyrus le
Jeune) comme couronnement du raisonnement. Cyrus est l'exemple
parfait de Y oikonomikos-. son empire tout entier est assimil? par les
Grecs ? un oikos41. Il participe lui-m?me aux travaux de la terre, il est un
40 Sur l'effacement de la notion de m?tis voir M. Detienne-J.P. Vernant, Les ruses de
Vintelligence, Paris 1974, p. 10. 41 P. Carlier 'L'id?e de monarchie imp?riale dans la Cyrop?die', Ktema 3, 1978, p.
157. Sur l'image de Cyrus R. H?istad, Cynic Her and Cynic King, Uppsala 1948.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
118 R. Desca?
roi-jardinier, un roi planteur42. D'autre part Cyrus est le conqu?rant, le
chef victorieux. La Cyrop?die (8, 1, 14) insiste sur le mod?le militaire choisi pour les oikonomika et X?nophon fait ici r?f?rence au syst?me
d'exploitation tributaire du territoire avec le r?le des gazophylakes, des
garnisons-entrep?ts. On peut donc parler dans la constitution du genre "oikonomique"
d'un mod?le oriental qui a le double avantage 1) de faire passer dans la .
communication l'enseignement all?gorique 2) de r?pondre aux besoins
sp?cifiques de la soci?t? grecque. Il ne faut pas n?gliger cette attirance
des auteurs du 4?me s. pour le syst?me perse qui fonctionne comme
mod?le ?conomique. Chez le Pseudo-Aristote cela aboutira ? une com
paraison des oikonomiai et ? une ?tude fine du syst?me royal et satrapi
que. La raison de cet int?r?t renvoie aux nouveaut?s de la vie ?conomi
que du moment et ? l'id?al du revenu qui devient le pr?l?vement sur le
travail de la terre ou des ateliers fait en particulier par les esclaves. C'est
le mod?le d'Ischomaque et retenons que le revenu du propri?taire est
parfois appel? apophora 43, ce qui ne nous ?loigne gu?re du phoros du
Grand Roi.
Dans la culture grecque classique, Yoikonomia fait figure de
parente pauvre, ni genre litt?raire ni discipline intellectuelle. Or ce qui est en cause est moins sa personnalit? floue qu'une originalit? mal com
prise. Il faut redonner au logos oikonomikos toute sa dimension d'?v?ne ment historique. Il a des traits caract?ristiques et r?pond ? une situation
donn?e. Il a une histoire qu' il faut pr?ciser et des origines que nous
avons essay? d'?clairer.
Ce qui a contribu? ? renforcer cette id?e est l'angle d'approche trop ?videmment "comparatiste" de cette discipline ? qui l'on va reprocher ses "manques" par rapport ? la r?flexion moderne. St?rile quand elle
devient un syst?me de pens?e (qui aboutit ? se demander si oui ou non
les Grecs voulaient le profit et avaient envie de gagner de l'argent) la
comparaison ne peut cependant manquer de faire r?fl?chir pour savoir, comme le demande Finley "s'il ne s'agit que d'un accident, un ?chec
intellectuel, un probl?me pos? par l'histoire des id?es au sens ?troit, ou
42 Sur l'id?ologie monarchique ach?m?nide et ses rapports avec l'?conomie voir les
?tudes de P. Briant rassembl?es dans Rois, tributes et paysans, Paris 1982. 43
Ex.:Ps.X?n. 1, 2; Esch. 1,97.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Aux origines de Yoikonomia grecque 119
s'il faut y voir plut?t la cons?quence de la structure de la soci?t? anti
que" 44. La r?ponse ? donner tient bien ?videmment des deux, mais je me contenterai pour l'instant d'une rapide conclusion sur le premier
point. Voikonomia s'est constitu?e ? la fin du 5?me s. en objet d'?tude,
tout comme la science ?conomique ? partir des 18?me/19?me s. mais elle
se heurte ? un obstacle ?pist?mologique majeur, celui de ne pas avoir
d?gag? une cat?gorie de l'agent. Pour qu'il y ait une th?orie ?conomique, il faut qu'il y ait une conception de Y agent ?conomique dans sa situation, ses choix et ses moyens de d?cision. Cette cat?gorie de l'agent, la pens?e
grecque n'en dispose pas v?ritablement. Ce sont les rapports entre l'in
dividu et Tordre d'ensemble qui sont primordiaux. \Joikonomia na?t
quand Tune des formes traditionnelles de cet ordre est ?branl?e par les
nouveaut?s ?conomiques. Voikonomia n'a pas donn? naissance ? la
science ?conomique, mais sachons reconna?tre ? l'?conomie toute sa
place dans la cr?ation d'un nouvel ordre politique, celui de Y oikonomi
kos.
Universit? de Bordeaux 3
44 M.L Finley, op. cit. p. 21.
This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions