Asimov,Isaac-[Empire-2]Tyrann(the Stars Like Dust)(1951).French

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    Isaac Asimov

    Tyrann(The stars like dust)

    1951

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    La chambre se parlait doucement elle-mme. Cela faisaitun petit bruit intermittent, peine audible mais nul autre

    pareil, et ce chuchotement signifiait : danger de mort.Ce ne fut pas cela, pourtant, qui tira Biron Farrill dunsommeil lourd et nullement rparateur. Il se tournait et seretournait sur loreiller, dans un combat futile contre le signalsonore qui provenait de la table de chevet.

    Sans ouvrir les yeux, il tendit une main maladroite et tablitle contact.

    All, marmonna-t-il.Un son rauque et puissant sortit instantanment du

    rcepteur, mais Biron neut pas le courage de baisser le volume. Pourrais-je parler Biron Farrill ? disait une voix. Cest moi, dit Biron, la langue pteuse. Qui est

    lappareil ? Pourrais-je parler Biron Farrill ? rpta la voix,

    insistante.Biron ouvrit les yeux sur une obscurit impntrable.

    Simultanment, il prit conscience de deux faits dsagrables : salangue tait sche et rpeuse, et une odeur indfinissablergnait dans la chambre.

    Cest moi, rpta-t-il. Qui mappelle ?Sans tenir compte de la rponse, la voix continua, de plus en

    plus tendue, rsonnant trs fort dans la nuit : Passez-moi Farrill ! Je voudrais parler Biron Farrill !Biron se souleva sur un coude et se tourna en direction du

    visiphone. Au jug, il frappa la touche image , et le minuscule

    cran sanima.

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    Cest moi, rpta-t-il une fois de plus.Il reconnut sur lcran les traits lgrement asymtriques de

    Sander Jonti. Rappelez-moi demain matin, Jonti, demain ! grogna-t-il.

    Il allait mettre fin la communication, lorsque Jonti insistade nouveau.

    All ? All ? Y a-t-il quelquun lappareil ? Je suis bien lUniversit, chambre 526 ? All !

    Biron se rendit brusquement compte que le tmoinlumineux dmission ntait pas allum. Etouffant un juron, ilbrancha le circuit, mais le tmoin resta teint. Lappareil taitdtraqu. Finalement Jonti abandonna, et lcran ne fut plus

    quun petit rectangle vide.Biron lteignit et senfouit de nouveau sous les couvertures.

    Il tait furieux. Pour commencer, personne navait le droit de lerveiller au milieu de la nuit en hurlant. Il jeta un coup dil surles chiffres luminescents de lhorloge murale. Il tait 3 heuresun quart. Encore prs de quatre heures avant que les lumiresne sallument dans lUniversit.

    Par ailleurs, il dtestait se rveiller dans une obscurit

    totale. Depuis quatre ans quil vivait sur Terre, il ne staittoujours pas habitu aux maisons basses, construites en paisbton arm et dpourvues de fentres. Cette tradition millnairedatait de lpoque o les hommes navaient pas encoredcouvert les champs de force pour se dfendre contre la bombeatomique.

    Mais tout cela tait du pass. La guerre atomique avaitravag la Terre, dont la majeure partie tait jamais radioactive

    et inutilisable. Elle navait plus rien perdre, et pourtant, sonarchitecture refltait les peurs anciennes.Biron se souleva de nouveau sur le coude. Ctait trange. Il

    attendit, retenant sa respiration. Ce ntait toujours pas lemurmure menaant de la chambre qui avait attir son attention,mais une anomalie encore plus difficile percevoir etcertainement bien plus dangereuse.

    Son piderme ne sentait plus le lger courant dair auquel il

    tait habitu, signe tangible du constant renouvellement de cedernier. Ds quil en prit conscience, il eut limpression que

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    latmosphre devenait lourde, oppressante. Le systme deventilation tait en panne, et il ne pouvait mme pas utiliser levisiphone pour le signaler !

    Par acquit de conscience, il essaya de nouveau. Le rectangle

    de lumire laiteuse projeta une lueur nacre sur le lit. Lappareilrecevait, mais se refusait mettre. Peu importait, dailleurs.Personne ne viendrait rparer la panne avant le jour.

    Il se frotta les yeux en billant, puis chercha ses pantoufles ttons. Pas de ventilation, hein ? Cela expliquait sans doutecette odeur bizarre. Il huma lair plusieurs fois de suite. En vain.Lodeur tait familire, mais il ne parvenait pas lidentifier.

    Il alla jusqu la salle de bains et leva automatiquement la

    main vers linterrupteur, bien quil net, en fait, pas besoin delumire pour remplir un verre au robinet. Rien ne se passa. Ilessaya linterrupteur plusieurs fois de suite, avec une irritationcroissante. Est-ce que plus rien ne fonctionnait dans cettecambuse ? Aprs avoir bu, il se sentit un peu mieux. Il regagnala chambre et, touffant un billement irrpressible, essayalinterrupteur principal. Rien ne se passa.

    Biron sassit sur le lit, posa ses larges mains sur ses cuisses

    muscles, et rflchit. En temps normal, il aurait vivementprotest auprs du personnel de service. Personne ne sattendait tre servi dans un dortoir duniversit comme dans un htelquatre toiles, mais, nom de lEspace ! on pouvait tout de mmeexiger un minimum defficacit ! Pour lui, toutefois, cela navaitplus grande importance. Il nattendait plus que le rsultat desexamens, auxquels il tait dailleurs sr dtre reu. Dans troisjours, il allait dfinitivement prendre cong de sa chambre, de

    lUniversit et de la Terre oui, de la Terre elle-mme, en fait.Il ferait peut-tre bien de signaler la panne quand mme,mais sans commentaires superflus. Il pouvait toujours allertlphoner dans le couloir. Peut-tre lui fourniraient-ils unclairage de secours, et mme un ventilateur pour quil puissedormir sans cette sensation psychosomatique dtouffement.Sinon, quils aillent lEspace ! Plus que deux nuits...

    A la lueur du visiphone inutilisable, il repra un short, et

    enfila un chandail sur son torse nu. Cela suffirait bien. Il dcidade rester en pantoufles. Etant donn lpaisseur du bton qui

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    lentourait, il aurait pu sortir en chaussures cloutes sanscrainte dveiller quiconque, mais il ne voyait pas lintrt dechanger.

    Arriv la porte, il abaissa la poigne et entendit le dclic

    qui librait le battant. Mais a ne souvrit pas. Il eut beau forcer,cela ne servait rien.

    Il abandonna ses efforts. Ctait par trop ridicule ! Y avait-ilune panne gnrale de courant ? Impossible : lhorloge muralecontinuait fonctionner et le visiphone recevait toujours.

    Et si ctait un coup des autres tudiants ? Que leurs mesfantasques soient bnies ! Infantile, bien sr, mais cela arrivaitparfois. Il avait lui-mme pris part quelques plaisanteries

    stupides du mme genre. Il naurait pas t difficile un de sescopains de se glisser dans sa chambre au cours de la journe.Non. La ventilation et la lumire fonctionnaient quand il taitall se coucher.

    Soit, ils taient donc venus au cours de la nuit. Le hall taitune vieille structure dmode ; pas besoin dtre gnial pourtripoter les circuits lectriques. Ni pour coincer la porte,dailleurs. Sans doute se rgalaient-ils davance en pensant la

    raction de ce brave vieux Biron lorsquil sapercevrait, le matin venu, quil ne pouvait pas sortir de sa chambre ! Ils lelaisseraient sans doute sortir vers midi, en riant comme destordus.

    Ha, ha, ha ! fit Biron mi-voix.Mais il ne trouvait pas cela drle du tout. Pour le moment, il

    ne pouvait que se rsigner, mais il ne laisserait pas passer lecoup. Il fallait trouver un moyen de renverser la situation.

    En revenant vers le lit, il heurta un petit objet qui glissa surle sol avec un bruit mtallique. Il saccroupit et chercha sous lelit, dcrivant un grand arc avec sa main. Lorsquil leut trouv, illapprocha de la lumire du visiphone. (L, ils avaient commisune erreur ; ils auraient carrment d tout dbrancher, au lieude se contenter de couper lmission.)

    Ctait un petit cylindre mtallique, dont le sommet convexetait perc dun trou. Il le renifla. Voil qui expliquait la

    curieuse odeur quil avait remarque. Ctait de lhypnite.

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    Evidemment : il ne fallait pas quil se rveille pendant que lesgars faisaient leur travail.

    Maintenant, Biron comprenait mieux ce qui stait pass. Ilsavaient forc la porte, ce qui ntait pas bien difficile, mais

    dangereux car ils risquaient de le rveiller. Ils avaient dailleurspu la prparer au cours de la journe, pour quelle ne fermepas vraiment. De toute faon, une fois entrouverte, il suffisait deglisser le tube dhypnite lintrieur puis de refermer.Lanesthsique stait chapp progressivement, jusquatteindre la concentration ncessaire. Ensuite, ils navaient pluseu qu entrer, masqus, bien sr, pour ne pas absorberdhypnite. Crnom dEspace ! un mouchoir mouill suffisait

    vous protger pendant un bon quart dheure, ce qui suffisaitamplement pour ce quils avaient faire.

    Cela expliquait aussi larrt de la ventilation. Autrementlhypnite se serait dilue trop rapidement. Ils avaient dcommencer par l. Ensuite, llimination du visiphonelempchait dappeler laide ; le blocage de la porte lempchaitde sortir ; et, pour finir, labsence de lumire tait cense leterroriser. Des petits gars vraiment charmants !

    Biron eut un reniflement de mpris. Evidemment il feraitfigure dinsociable en se montrant trop chatouilleux. Il fallaitprouver quon savait comprendre la plaisanterie, et ainsi desuite. En attendant, il navait quune seule envie : enfoncer laporte et mettre un point final cette histoire ridicule. Lesmuscles bien dvelopps de son torse se raidissaient rien quedy penser, mais cela naurait servi rien. La porte avait tconstruite pour rsister au souffle dune bombe atomique.

    Toujours cette fichue tradition !Il ne pouvait pas les laisser sen tirer comme a. Il devait yavoir une solution. Dabord, il lui fallait de la lumire, quelquechose de mieux que la faible clart du visiphone. Pas deproblme : sa torche lectrique tait dans la penderie.

    Un moment, en abaissant la poigne de la penderie, il sedemanda sils ne lavaient pas coince aussi. Mais la portesouvrit sans heurt. Le contraire let tonn, vrai dire ;

    pourquoi se seraient-ils donn ce mal ? Sans compter quilsnavaient pas d avoir tellement de temps devant eux.

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    Au moment o, la torche lectrique la main, il allaitsloigner de la penderie, toute sa thorie scroulait en uninstant dhorrible angoisse. Il se raidit et retint sa respirationpour mieux couter.

    Pour la premire fois depuis son rveil, il entendit lemurmure de la chambre, pareil une petite conversationsusurrante et crpitante. Et il en reconnut immdiatement lanature.

    Il tait impossible de sy tromper. Ctait le chant de mortde la Terre , cette musique invente il y avait mille ans.

    Pour tre plus prcis, ctait le bruit dun compteur deradiations, enregistrant les particules charges et les radiations

    dures qui le traversaient. Ctaient les innombrables impulsionslectroniques qui composaient ce murmure, et ce compteurgrenait la seule chose quil pt grener : la mort !

    *

    Biron recula lentement, sur la pointe des pieds. Parvenu une distance de deux mtres, il claira lintrieur de la penderie

    avec sa torche. Le compteur radiations tait sa place, dansun coin, au fond. Mais cela nexpliquait rien.Le jeune homme lavait plac l lors de sa premire anne

    lUniversit. La plupart des nouveaux venus achetaient uncompteur ds leur premire semaine sur Terre. Ils taientconscients de la radioactivit qui y svissait et ressentaient lebesoin de se protger. En gnral, ils revendaient lappareil aubout de la premire anne, mais Biron avait conserv le sien. Il

    avait tout lieu de sen fliciter, maintenant.Il se tourna vers la table, o il avait pos sa montre-braceletavant de se coucher. Elle tait toujours l. Dune main quitremblait un peu, il dirigea le faisceau de la lampe sur le braceletplastique souple, la texture dune incomparable finesse et lablancheur de lait. Il tait blanc. Il lexamina sous diffrentsangles. Aucun doute : il tait blanc !

    Le bracelet tait galement une acquisition datant de sa

    premire anne sur Terre. Les radiations dures faisaient virer ceblanc au bleu ; sur Terre, le bleu tait devenu la couleur de la

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    mort. Il pouvait trs bien arriver, au cours dune promenade,quon sengage par inadvertance dans une zone o le sol taitradioactif. Evidemment, le gouvernement avait fait clturer laplupart de ces zones, et personne napprochait des vastes

    tendues de mort qui commenaient quelques kilomtres de laville. Mais le bracelet tait une assurance supplmentaire.

    Si jamais le bracelet bleuissait lgrement, il fallaitimmdiatement aller se faire traiter lhpital ; cela ne prtaitpas discussion. Les lments dont il tait compos avaientexactement la mme sensibilit aux radiations que le corpshumain. En mesurant lintensit de la coloration avec lesinstruments photo-lectriques appropris, on pouvait

    dterminer rapidement la gravit de votre cas.Un bleu roi clatant tait le signe de la fin. La couleur tait

    fixe irrversiblement, de mme que les dommages subis par votre corps. Aucun traitement ntait efficace ; ctait sansespoir. Votre agonie durerait de un jour une semaine ; lon nepouvait plus rien pour vous, sinon prendre les derniresdispositions en vue de la crmation.

    Or, le bracelet tait rest blanc ; la panique de Biron

    sapaisa un peu.La radioactivit ntait donc pas forte. Se pouvait-il que celaft partie de la plaisanterie ? Aprs un moment de rflexion,il estima que ctait exclu.Personne ne ferait une chose pareille.Pas sur Terre, de toute faon, o le maniement illgal desubstances radioactives tait un dlit capital. Ils ne prenaientpas la radioactivit la lgre sur cette plante. Et pour cause.Personne, donc, ne ferait une chose pareille sans raison

    majeure.Il nessaya pas dlucider le problme. Quelle raisonmajeure, par exemple ? La volont de le tuer, videmment. Maispourquoi ? Pour quel mobile ? En vingt-trois annes de vie, il nestait pas fait un seul ennemi. Pas un ennemi capable de le tuer,en tout cas.

    Il passa sa main dans ses cheveux coups en brosse. Sespenses taient dlirantes, mais hlas justifies. Il revint

    prcautionneusement vers la penderie. Elle devait contenir unobjet qui mettait des radiations. Un objet qui ne sy trouvait

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    pas quatre heures auparavant. Il le trouva sans la moindredifficult.

    Ctait une petite bote carre, de gure plus de quinzecentimtres de ct. Il nen avait jamais vue auparavant, mais il

    savait ce que ctait. Sa lvre infrieure se mit tremblerimperceptiblement. Il prit le compteur et lemmena dans sachambre. Le petit murmure cessa presque entirement pourreprendre ds que la petite fentre de mica admettant lesradiations tait dirige vers la bote. Il ny avait pas de doute. Labote tait bien une bombe radiations.

    Les radiations quelle mettait actuellement ntaient guredangereuses en elles-mmes ; elles ne constituaient en fait

    quune sorte de dtonateur. Quelque part dans la bote setrouvait une minuscule pile atomique, que des isotopesartificiels rchauffaient progressivement en la bombardantde particules appropries. Et, une fois atteint un certain seuil, lapile ragirait. Pas en explosant, bien sr, bien que la chaleurdgage par la raction ft suffisante pour faire fondre le mtalde la bote, mais en dgageant brutalement une normequantit de radiations mortelles, tuant tout ce qui vivait dans un

    rayon de deux mtres dix kilomtres, selon la puissance de labombe.Il tait absolument impossible de prvoir quand le seuil

    critique serait atteint. Peut-tre pas avant des heures, peut-tredans un instant. Biron resta mobile, indcis, tenant la torchedune main moite et tremblante. Une demi-heure auparavant,lorsquil avait t rveill par le visiphone, il tait heureux et enpaix. Maintenant, il se trouvait brutalement en danger de mort.

    Biron se refusait mourir, mais il tait pris comme un ratdans une cage, et ne pouvait trouver de refuge nulle part.Il connaissait ladisposition du dortoir. Sa chambre tait la

    dernire du couloir ; la chambre voisine tait spare de lasienne par la salle de bains, et il tait douteux quil pt se faireentendre. La chambre du dessus tait exclue, le plafond tanttrop haut. Restait donc la chambre du dessous.

    Le mobilier comprenait deux chaises pliantes. Il en prit une

    et la lana par terre. Elle fit un bruit touff, certainement

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    incapable de traverser le bton. Il la saisit par le ct et frappa lesol avec un des pieds. Le son devint plus net et plus fort.

    Entre chaque srie de coups, il attendait, se demandant silparviendrait gner le dormeur du dessous suffisamment pour

    quil aille se plaindre.Soudain, il entendit un lger bruit, et se figea portant bout

    de bras la chaise dont le bois avait dj clat. Le sonrecommena, comme un cri trs distant. Il venait de la porte.

    Laissant tomber la chaise, il se mit crier son tour. Ilpressa son oreille contre lendroit o la porte sinsrait dans lemur, mais elle tait parfaitement tanche, et le son demeuraittrs lointain.

    Il parvint nanmoins distinguer son nom. Farrill !Farrill ! cria-t-on plusieurs fois, et aussi autre chose, peut-tre : Etes-vous l ? ou : Tout va bien ?

    Il hurla de toute la force de ses poumons : Ouvrez laporte ! trois ou quatre fois de suite. Il clatait dimpatiencefivreuse. La bombe pouvait se dclencher dun instant lautre.

    Il tait presque sr quils lavaient entendu. Enfin, unerponse touffe lui parvint : Attention ! Attention ! Puis

    plusieurs mots inintelligibles, et Pistolet... Il se hta desloigner de la porte.Il entendit successivement deux craquements brutaux et

    sentit littralement, dans tout son corps, les vibrationstransmises par la porte. Puis, avec un bruit de mtal dchir, laporte souvrit vers lintrieur, et la lumire du couloir entra flots.

    Biron se prcipita dehors, cartant largement les bras.

    Nentrez pas ! cria-t-il. Pour lamour de la Terre, nentrezpas ! Il y a une bombe radiations !Il se trouva face deux hommes. Lun deux tait Jonti.

    Lautre, demi-vtu, tait Esbak le surveillant-chef. Il y a une bombe radiations ? bgaya Biron.Mais Jonti demanda froidement : De quelle dimension ?Jonti tenait un pistolet rayons la main ; mme cette

    heure de la nuit, cette arme jurait avec sa tenue dune lgancerecherche.

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    Frapp de stupeur, Biron ne put quindiquer avec ses mainsune dimension approximative.

    Je vois, dit Jonti, parfaitement matre de lui. Vousdevriez faire vacuer les chambres de cette aile, ajouta-t-il

    lintention du surveillant. Si vous avez des feuilles de plombquelque part, faites-les amener pour isoler le couloir. Etinterdisez-en laccs jusquau matin.

    Il se tourna de nouveau vers Biron : Elle doit avoir un rayon daction de quatre six mtres.

    Comment a-t-elle t introduite chez vous ? Je ne sais pas, dit Biron en sessuyant le front du dos de la

    main. Excusez-moi, mais jai besoin de masseoir.

    Il voulut regarder lheure et saperut que sa montre taitreste dans la chambre. Il dut lutter contre une envie subitedaller la chercher.

    Le surveillant-chef navait pas tard suivre les conseils deJonti. Des appariteurs ouvraient les portes et faisaient sortir lestudiants en toute hte.

    Venez, lui dit Jonti. Je pense aussi que vous seriez mieuxassis.

    Comment se fait-il que vous soyez venu ? lui demandaBiron. Ne vous mprenez pas sur le sens de ma question. Vouspensez bien que je vous suis infiniment reconnaissant.

    Je vous avais appel, et vous ne rpondiez pas. Il fallaitabsolument que je vous voie.

    Il fallait que vous me voyiez ? (Il parlait lentement,essayant de contrler les soubresauts de son cur.) Pourquoi ?

    Pour vous prvenir que votre vie tait en danger.

    Biron eut un rire essouffl : Je men suis aperu. Ce ntait quune premire tentative. Ils essaieront de

    nouveau. Qui, Ils ? Pas ici, Farrill, fit Jonti. Quand nous serons seuls. Vous

    tes un homme marqu, et je me suis dj trop expos.

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    Le foyer tait dsert et les lumires teintes. A 4 heures etdemi du matin, cela navait dailleurs rien dtonnant. Pourtant,Jonti hsita un instant devant la porte entrouverte, tendantloreille pour sassurer que personne ne les coutait.

    Non, dit-il voix basse. Nallumez pas. Nous navons pasbesoin de lumire pour parler.

    Aprs la nuit que je viens de passer, javoue que jen ai

    assez de rester dans lobscurit. Nous laisserons la porte entrouverte.Biron tait trop las pour discuter. Il saffala dans le premier

    fauteuil venu et regarda le rectangle de lumire de la portertrcir jusqu ntre plus quun mince filet. Il subissait lecontrecoup de ce quil avait vcu cette nuit. Sil stait laissaller, il aurait trembl de tout son corps.

    Jonti cala le battant laide de la badine qui ne le quittait

    jamais : Voil. Si quelquun passe dans le couloir ou touche laporte, nous en serons immdiatement avertis.

    Je ne suis pas dhumeur jouer aux conspirateurs, ditBiron. Si cela ne vous ennuie pas, je vous serais reconnaissantde me dire rapidement ce que vous avez me dire. Je noubliepas que vous mavez sauv la vie et, ds demain, je vous enremercierai comme il convient. Mais, franchement, tout ce dont

    jai envie pour le moment, cest dun alcool bien tass et dunpeu de sommeil. Je vous comprends, mais le sommeil dfinitif dont vous

    tiez menac a t cart, temporairement du moins. Etjaimerais que ce ne soit pas seulement temporaire. Savez-vousque je connais votre pre ?

    Devant cette question inattendue, Biron haussa les sourcils.Mais, faute de lumire, son interlocuteur ne put le voir.

    Il ne ma jamais parl de vous.

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    Le contraire maurait tonn. Dailleurs, il me connatsous un autre nom. Avez-vous eu de ses nouvelles rcemment ?

    Pourquoi ? Parce quil est en danger. Quoi ?Jonti lui agrippa le bras : Parlez moins fort, pour lamour de lEspace !Biron se rendit soudain compte que, jusqualors, ils

    navaient fait que murmurer. Je vais tre plus prcis, reprit Jonti. Votre pre a t

    arrt. Il est en dtention prventive. Vous comprenez ce quecela signifie ?

    Non. Je ne comprends pas. Absolument pas. Qui la misen prison ? Et o voulez-vous en venir ? Que me voulez-vous ?

    Le sang battait ses tempes. Aprs ce quil venait de subir, ilne se sentait pas de force discuter avec ce dandyimperturbable, qui tait assis si prs de lui que son murmure luisemblait aussi brutal quun cri.

    Quand mme, reprit Jonti, vous devez avoir une ide dutravail que fait votre pre ?

    Puisque vous dites le connatre, vous devez savoir quilest le Rancher de Widemos. Voil son travail. Soit, dit Jonti. Vous navez aucune raison de me faire

    confiance... sinon que je risque ma vie pour vous. Je sais en effetce que vous pourriez me dire : par exemple, que votre pre aconspir contre les Tyranni.

    Je le nie formellement ! Le service que vous mavez renducette nuit ne vous donne pas le droit de formuler de telles

    allgations son sujet. Votre mfiance est stupide, Biron Farrill, et vous mefaites perdre mon temps. Quand vous rendrez-vous compte quela situation est trop grave pour ce genre de duel verbal ? Pourtout rsumer en deux mots, votre pre est prisonnier desTyranni. Peut-tre mme lont-ils dj excut.

    Je ne vous crois pas, dit Biron en faisant mine de se lever. Ma position me permet de le savoir avec certitude.

    Cessons ce petit jeu, Jonti. Je naime pas les mystres. Etje napprcie absolument pas votre tentative de...

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    Il ne sagit pas de jouer ou de faire des mystres. (Le tonde Jonti tait devenu moins mondain, plus direct :) Quest-ceque jai gagner en vous disant tout cela ? Je me permets devous rappeler que ce que je sais et que vous vous refusez

    admettre ma donn la certitude que votre vie tait en danger.Jugez-en par ce qui sest pass, Farrill.

    Daccord, dit Biron. Recommencez par le dbut et soyezclair. Je vous couterai, cette fois.

    Soit. Jimagine, Farrill, que vous vous tes aperu quejtais un de vos compatriotes des Royaumes Nbulaires, bienque je me fasse passer pour un Vgain.

    Jy avais pens cause de votre accent. Mais ce dtail

    mavait sembl sans importance. Il lest pourtant. Je suis ici parce que, comme votre pre,

    je combats les Tyranni. Cela fait cinquante ans quils opprimentnotre peuple. Cest long, cinquante ans.

    Je ne me mle pas de politique.Jonti, irrit, fit claquer sa langue : Je ne suis pas un de leurs agents, Farrill, et je ne cherche

    pas vous attirer dans un pige. Je vous dis la vrit, tout

    simplement. Il y a un an, ils ont failli me prendre, de mmequils ont pris votre pre maintenant. Mais jai russi leurchapper, et jai gagn la Terre, o je pensais tre en scurit enattendant que les choses se tassent. Voil tout ce que vous avezbesoin de savoir mon sujet.

    Je ne vous en demandais pas tant.Biron ne pouvait cacher son antipathie. Larrogance de

    Jonti lui dplaisait trop.

    Je le sais. Mais il tait ncessaire de vous le dire, car cestainsi que jai fait la connaissance de votre pre. Il travaillait avecmoi, ou, plus exactement, je travaillais avec lui. Il meconnaissait, mais pas officiellement, pas en sa qualit de plusgrand Rancher de la plante de Nphlos. Vous me suivez ?

    Oui, fit Biron, en inclinant inutilement la tte dans lenoir.

    Inutile dentrer dans des dtails sur ce point. Mais jai

    conserv mes sources dinformation, mme ici, et je sais quil at emprisonn. Ce nest pas une supposition, mais une

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    certitude. Lattentat contre votre vie est une preuvesupplmentaire du bien-fond de ce que javance.

    Comment cela ? Si les Tyranni tiennent le pre, pensez-vous quils

    laisseront le fils en libert ? Voudriez-vous me faire croire que ce sont les Tyranni qui

    ont mis cette bombe radiations dans ma chambre ? Cestimpossible.

    Pourquoi serait-ce impossible ? Essayez de comprendreleur situation. Les Tyranni gouvernent cinquante mondes, dontles habitants sont cent fois plus nombreux queux. Dans unetelle situation, le simple usage de la force ne suffit pas. Les

    mthodes dtournes, lintrigue, lassassinat, voil leursmthodes. Le filet quils ont tiss travers lespace est immense,et ses mailles sont serres. Je suis tout prt croire quil stendsur cinq cents annes-lumire, jusqu la Terre.

    Biron tait toujours prisonnier de son cauchemar. Au loin,on entendait des ouvriers mettre les plaques de plomb en place.Dans sa chambre, le compteur devait continuer chuchoter.

    Tout a me parat absurde, avoua-t-il. Je retourne

    Nphlos cette semaine, et les Tyranni le savent srement.Pourquoi me tuer ici ? Ils nont qu attendre quelques jourspour me cueillir larrive.

    Il tait soulag davoir trouv une faille dans leraisonnement de Jonti, et ne demandait qu croire en sa proprelogique.

    Jonti sapprocha tellement de Farrill que son souffle luichatouilla loreille :

    Votre pre est trs populaire. Sa mort une foisemprisonn par les Tyranni, son excution est une hypothseque lon ne peut carter sera amrement ressentie par lapopulation, mme si les Tyranni ont russi, ou presque, luidonner une mentalit desclave. Comme vous seriez alors lenouveau Rancher de Widemos, les mcontents serassembleraient autour de vous ; vous excuter votre tourserait trop dangereux. Mais... si vous trouviez la mort par

    accident, dans un monde lointain, cela arrangerait bien lesTyranni.

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    Je ne vous crois pas, dit Biron.Ce refus de croire tait devenu la seule dfense du jeune

    homme. Jonti se leva, ajustant ses gants de peau fine : Vous allez trop loin, Farrill. Votre rle serait plus

    convaincant si vous ne feigniez pas une ignorance aussi totale.Je suppose que, pour vous protger, votre pre vous a cach unepartie de la ralit. Mais je doute que vous nayezrigoureusement pas t influenc par ses convictions. Votrehaine des Tyranni reflte certainement la sienne, au moins dansune certaine mesure. Que vous le vouliez ou non, vous tes prt vous battre contre eux.

    Biron haussa les paules.

    Et maintenant que vous tes adulte, qui sait sil ne vous apas utilis, et si vous ne combinez pas vos tudes avec unemission plus prcise. Et qui sait si les Tyranni ne sont pas prts vous tuer pour que cette mission choue.

    Quel mlodrame ! Ah, vraiment ? Bon, comme vous voudrez. Si je ne peux

    pas vous convaincre, les vnements sen chargeront peut-treplus tard. Vous serez la cible dautres attentats. Et le prochain

    ne sera pas un fiasco, je vous le garantis. Vous tes un hommemort, Biron Farrill.Biron leva la tte : Un moment, sil vous plat ! Quel est votre intrt

    personnel dans cette affaire ? Je suis patriote. Je veux que les Royaumes redeviennent

    libres, et quils se gouvernent comme ils lentendent. Non, Jonti. Votre intrt personnel. En ce qui vous

    concerne, des mobiles idalistes ne me paraissent pas suffisants.Dsol si cela vous offense.Jonti se rassit : Mes terres ont t confisques. Et, avant mon exil, jtais

    oblig dobir aux ordres de ces nabots ! Il est de plus en plusvital que je redevienne lhomme qutait mon grand-pre avantlarrive des Tyranni. Cela vous suffit-il comme raisons personnelles ? Oui, je dsire une rvolution. Et votre pre

    aurait pu la diriger. Ou, son dfaut, vous.

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    Moi ? Je nai que vingt-trois ans, et jignore tout de cesproblmes. Il doit se trouver des hommes plus aptes cettetche.

    Certes, certes, mais aucun ne serait le fils de votre pre.

    Sils le tuent, vous devenez Rancher de Widemos par la seulevertu de ce titre, vous seriez prcieux pour moi, mme si vousaviez douze ans et tiez de plus simple desprit. Jai besoin devous pour la raison mme pour laquelle les Tyranni veulent sedbarrasser de vous. Et si ma raison ne vous convainc pas, laleur vous parat peut-tre plus probante ? Il yavaitune bombe radiations dans votre chambre. Et elle tait destine voustuer. Qui aurait intrt vous tuer, en dehors des Tyranni ?

    Jonti attendit patiemment la rponse, qui vint en unmurmure peine audible :

    Personne... Personne ma connaissance ne pourrait envouloir ma vie. Ce que vous mavez dit sur mon pre est doncvrai !

    Cest vrai... Considrez cela comme... une consquence dela guerre.

    Croyez-vous que cela me console ? Peut-tre lvera-t-on

    un monument sa mmoire, un jour ? Un monument dontlinscription radioactive sera visible dix annes-lumires danslespace ? Cela ne lui rendrait pas la vie...

    Jonti attendit, mais Biron najouta rien. Quavez-vous lintention de faire ? finit-il par lui

    demander. Je rentre chez moi. Vous ne comprenez donc toujours pas votre situation ?

    Jai dit que je rentrais chez moi. Que voulez-vous que jefasse dautre ? Sil est vivant, je le tirerai de l. Et sil est mort,je... je...

    Taisez-vous ! Vous parlez comme un enfant. Vous nepouvez pas aller Nphlos. Allez-vous finir par lecomprendre ? Est-ce que je parle un colier ou un jeunehomme intelligent et sens ?

    Que me conseillez-vous ? marmonna Biron.

    Connaissez-vous le directeur de Rhodia ?

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    Lami des Tyranni ? Oh, je le connais, ou du moins, je saisqui il est. Tout les habitants des Royaumes le savent. Hinrik V,directeur de Rhodia.

    Mais vous ne lavez jamais rencontr personnellement ?

    Non. Vous ne pouvez donc pas savoir qui il est. Eh bien, Hinrik

    est un imbcile, et je parle littralement. Mais, quand le ranchde Widemos sera confisqu par les Tyranni et il le sera,comme mes terres lont t , ils le donneront Hinrik, car ilssavent que l, il sera en de bonnes mains, de leur point de vue.Et cest donc Rhodia que vous devez aller.

    Pourquoi ?

    Parce que Hinrik, et cest l son bon ct, a une certaineinfluence sur les Tyranni, autant du moins quune marionnetteservile peut en avoir. Il pourrait vous faire rendre votredomaine.

    Je ne vois pas pourquoi. Il me parat bien plus probablequil me livrera eux.

    Cest probable, en effet, mais tant prvenu, vous avezune chance de pouvoir lviter. Par ailleurs, ne vous y mprenez

    pas : le titre que vous portez a une grande valeur, mais en lui-mme, il ne suffit pas. Il faut avant tout tre pratique. Parsentiment patriotique, et par respect pour votre nom, deshommes se rallieront vous mais, pour que la conspirationrussisse, et pour les tenir, il vous faudra de largent.

    Biron rflchit un moment : Il me faut du temps pour prendre ma dcision. Impossible. Depuis que cette bombe a t place dans

    votre chambre, les heures vous sont comptes. Le moment est venu de passer laction. Je peux vous donner une lettredintroduction pour Hinrik de Rhodia.

    Cest un ami vous ? Vos soupons ne sendorment pas facilement, hein ?

    LAutarque de Lingane mavait une fois charg dune missionauprs de Hinrik. Il est probablement trop gteux pour sesouvenir de moi, mais il nosera pas le montrer. Cette lettre

    servira donc dintroduction auprs de lui ; ensuite, ce sera vous dimproviser. Un vaisseau part pour Rhodia midi. Je

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    moccupe du billet. Je pars galement, mais par un autreitinraire. Toutes vos affaires sont rgles, ici ?

    Sauf la remise officielle du diplme. Un bout de parchemin. Cela vous importe tellement ?

    Plus maintenant. Avez-vous de largent ? Suffisamment. Bien. Il vaut mieux ne pas en avoir trop, cela risque

    dveiller les soupons.Il regarda attentivement le jeune homme, puis sexclama

    brutalement : Farrill !

    Cela arracha Biron ltat de stupeur dans lequel il taitretomb.

    Oui ? Retournez avec les autres. Ne dites personne que vous

    partez. Ils lapprendront bien assez tt.Sans un mot, Biron fit un signe dassentiment. Dans un

    lointain recoin de son esprit, il avait conscience quil navait pasaccompli sa mission et que, l aussi, il stait montr indigne de

    la confiance de son pre de son pre, qui allait peut-tremourir. Il tait tortur par une amertume futile. On aurait d luien dire davantage. On aurait moins d le protger contre lesdangers de cette entreprise. On naurait pas d le laisser dansune telle ignorance.

    Et maintenant quil avait appris la vrit, ou du moins unepartie de la vrit, sur ltendue du rle de son pre, ilcomprenait mieux limportance du document quon lavait

    charg de se procurer dans les archives terrestres. Mais il taittrop tard. Trop tard pour aller prendre le document. Trop tardpour sauver son pre. Trop tard pour vivre, peut-tre.

    Soit, Jonti, dit-il. Je ferai ce que vous mavez dit.

    *

    Arriv sur le perron du dortoir, Sander Jonti embrassa du

    regard le campus universitaire. Et son regard ntait certes pasadmiratif.

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    En descendant lalle pave de briques qui serpentait sanssubtilit dans ce cadre pseudo-champtre caractristique desuniversits depuis lAntiquit, il pouvait voir, juste devant lui, lalueur de lunique artre importante de la ville, et, au loin,

    lternelle radiation bleue, invisible le jour, tmoin muet desguerres prhistoriques.

    Jonti leva les yeux sur le ciel toil. Plus de cinquante ansstaient couls depuis que larrive des Tyranni avaitbrutalement mis fin lexistence indpendante dune douzainedEtats prospres et en pleine expansion, l-bas, au del de laNbuleuse. Et ce qui les menaait maintenant, ctait la paix parltouffement.

    Lorage qui avait brusquement fondu sur eux avait une telleampleur quils ne sen taient toujours pas relevs. De temps entemps, par-ci, par-l, un monde sagitait spasmodiquement,comme un membre malade. Organiser ces agitations, lestransformer en un soulvement cohrent et puissant, tait unetche difficile, et de longue haleine. En tout cas, cela faisaitsuffisamment longtemps quil sattardait sur Terre. Il taittemps de rentrer.

    En ce moment mme, sans doute, ses allis essayaient-ils derentrer en contact avec lui.Il pressa lgrement le pas.

    *

    Ds quil ft entr dans sa chambre, il capta le rayon. Ctaitun rayon personnalis, impossible intercepter, offrant une

    scurit totale. Pour recevoir linfime flux dlectrons qui avaittravers lhyperespace, depuis un monde situ un demi-millierdannes-lumire, il ny avait pas besoin dantenne ni dercepteur, de machines ni de mtal.

    Dans la chambre de Jonti, lespace lui-mme tait polariset structur dune certaine faon. Lon ne pouvait dtecter cettepolarisation quen recevant les missions et, dans cet espacecirconscrit, seul son propre cerveau pouvait agir en tant que

    rcepteur ; ses cellules nerveuses, et elles seules, pouvaient

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    entrer en contact avec les vibrations spcifiques de londeporteuse.

    Le message lui-mme tait dun caractre aussi unique queles caractristiques de ses ondes crbrales ; dans cet univers

    peupl de quatrillions dtres humains, les chances pour quelonde personnelle dun homme soit accidentellement captepar un autre taient de lordre de une chance sur un un suivide vingt zros.

    Lesprit de Jonti frmit en percevant lappel qui latteignait travers linconcevable vide de lhyper-espace.

    ... appelons... appelons... appelons... appelons... Emettre tait loin dtre aussi simple pour lhomme-

    rcepteur que recevoir. Pour envoyer la rponse jusqu laNbuleuse, sur une onde aussi spcifique que celle quil recevait,il ne pouvait se passer dun artifice mcanique. Ce dernier taitcontenu dans le bouton ornemental quil portait sur lpauledroite.

    Il entrait automatiquement en fonction ds quil se trouvaitdans ce volume despace polaris, et Jonti navait plus qupenser de faon persistante et concentre, en chassant de son

    esprit toute pense parasite. Je suis l ! Aucune autre identification ntaitncessaire.

    La rptition monotone du signal dappel cessa, cdant laplace des mots qui se formrent dans son esprit.

    Nous vous saluons. Widemos a t excut. La nouvellena, bien entendu, pas encore t rendue publique.

    Cela ne me surprend pas. Qui dautre a t impliqu ?

    Personne. Le Rancher na pas parl. Ctait un hommecourageux et loyal. Oui. Mais le courage et la loyaut ne suffisent pas.

    Autrement, il ne se serait pas fait prendre. Un peu plus delchet et t utile. Quimporte ! Je suis entr en rapport avecson fils, le nouveau Rancher, qui a dj failli se faire tuer. Il vaservir.

    Peut-on savoir de quelle faon ?

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    Laissons aux vnements le soin de rpondre cettequestion. Il est trop tt pour faire des prdictions. Demain, ilpart pour se rendre chez Hinrik de Rhodia.

    Hinrik ! Cest lui faire courir un terrible danger ! Ce jeune

    homme sait-il que... Je lui ai dit tout ce que je devais lui dire, rpondit Jonti,

    schement. Nous ne pouvons pas lui faire entirementconfiance avant quil ait fait ses preuves. Dans les circonstancesactuelles, nous devons le considrer comme un homme quireprsente un risque, comme tout autre homme. Et il estremplaable,parfaitementremplaable. Ne me rappelez pas ici,car je quitte la Terre.

    Et, dune dcision mentale sans rplique, Jonti coupa lacommunication.

    Puis il sassit, et passa mthodiquement en revue lesvnements de la nuit, un un. Bientt, un sourire se forma surses lvres. Tout tait parfaitement en place ; le rideau pouvait selever, et le drame commencer se drouler.

    Rien navait t laiss au hasard.

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    Lorsquun vaisseau spatial sarrache lesclavage plantaire,la premire heure est la plus prosaque.

    Dabord, il y a la confusion du dpart, qui ne diffre sansdoute pas tellement de celle qui accompagne le lancement dupremier tronc darbre vid sur un fleuve de la fortprimordiale. Il faut trouver sa cabine, vrifier si tous les bagagessont l ; puis, vient le premier moment dattente inquite,quand lon se retrouve seul aprs les dernires embrassadeshtives. Le silence revient, les tympans sentent la compressionde lair lorsque les sas se ferment, et lon est enferm dans un

    vase clos, coup de lunivers. Le silence devient menaant, et

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    dans chaque cabine, un panneau rouge clignote, pressant : Mettez vos combinaisons Mettez vos combinaisons... Mettezvos combinaisons.

    Les stewards courent dans les couloirs, frappent brivement

    la porte, passent la tte : Excusez-moi, monsieur.Combinaison, sil vous plat.

    Vous vous battez avec la combinaison, froide, troite,inconfortable, mais qui, grce un systme hydraulique,compensera la violente acclration du dpart.

    Vous ressentez la lointaine vibration des moteursatomiques, fonctionnant faible puissance pour manuvrerdans latmosphre, et vous vous enfoncez, infiniment loin, dans

    le matelas dhuile inerte qui vous protge. Puis, au fur et mesure que lacclration diminue, vous vous sentez revenir,avec une extrme lenteur. Si vous navez pas la nause au coursde cette priode, il est probable que vous ne connatrez pas lemal de lespace de tout le voyage.

    Pendant les trois heures qui suivaient le dpart, la salle taitferme aux passagers. Maintenant que, loin de latmosphreterrestre, les grandes portes taient prtes souvrir, une longue

    file dattente stait forme. Etaient prsents non seulementtous ceux dont ctait le premier voyage dans lespace, maisaussi une bonne partie des voyageurs plus expriments.

    Avoir vu la Terre de lespace est, aprs tout, une obligationpour tout touriste qui se respecte.

    La salle panoramique tait une bulle sur la peau du vaisseau une norme bulle de plastique transparent, durcomme lacier et pais de cinquante centimtres. Le

    couvercle en alliage diridium qui le protgeait dufrottement atmosphrique et des particules de poussire staitescamot. La galerie dobservation tait bourre ; malgrlabsence dclairage lon distinguait nettement les traits descurieux, tant le clair de terre tait fort.

    La plante Terre tait suspendue, devant eux plutt quesous eux, gigantesque ballon lumineux orange, bleu et blanc.Lhmisphre visible tait presque entirement clair par le

    soleil ; entre les nuages, apparaissaient les continents, orangecomme le dsert, traverss de minces lignes vertes parpilles

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    au hasard. Les mers dun bleu cru se dtachaient avec violencesur le noir de lespace. Et tout autour, dans le noir profond, il yavait les toiles.

    Tous attendaient, patiemment.

    Ce ntait pas lhmisphre diurne qui les intressait. Le vaisseau maintenait une insensible acclration latrale quilloignait de lcliptique. Lentement, la calotte polaire, blanche,blouissante, apparut ; puis, lombre nocturne gagna du terrain,et limmense tendue merge de lAfro-Eurasie prit peu peutoute la place, le nord vers le bas .

    Son sol mort et malade cachait son horreur sous un jeu dejoyaux lumineux. La radioactivit du sol formait une vaste mer

    dun bleu iridescent, avec dtranges festons tincelants auxendroits o, jadis, les bombes nuclaires avaient explos, unegnration avant que linvention des champs de forcenempche les autres mondes de se suicider de la mme faon.

    Les spectateurs fascins continurent regarder jusqu ceque, des heures plus tard, la Terre ne ft plus quune brillantepetite pice de monnaie dans les tnbres sans fin.

    Parmi les spectateurs se trouvait Biron Farrill. Il tait assis

    au premier rang, songeur et mlancolique. Ce ntait pas ainsiquil avait compt quitter la Terre. Il partait le mauvais jour, parle mauvais vaisseau, pour une mauvaise destination...

    Il se frotta automatiquement le menton et se sentit coupablede ne pas stre ras ce matin. Il eut envie de regagner sa cabinepour rparer cette omission, mais il hsita. Ici, il tait entourde gens. Dans sa cabine, il se retrouverait seul.

    Ou bien tait-ce prcisment une raison pour partir ?

    Il naimait pas ce sentiment quil prouvait pour la premirefois, celui dtre pourchass, et dtre seul, sans amis.Lamiti nexistait plus pour lui. Toute notion de ce genre

    tait devenue secondaire depuis que, vingt-quatre heures plustt, le visiphone lavait rveill dans sa chambre.

    Il se souvenait aussi de cette scne embarrassante, justeaprs sa conversation avec Jonti. Le vieil Esbak stait prcipitsur lui, trs agit, la voix suraigu :

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    Oh, vous voil Farrill ! Je vous cherchais, pour que nousparlions de ce regrettable incident. Oui, vraiment dplorable. Jeny comprends rien. Avez-vous une explication ?

    Non ! (Il criait presque). Aucune explication. Quand

    pourrais-je aller chercher mes affaires dans ma chambre ? Dans le courant de la matine. Oui, oui. Certainement.

    Les appareils de mesure sont arrivs. La radioactivit estapparemment retombe la normale. Vous avez eu beaucoupde chance. Ctait sans doute une question de minutes.

    Daccord, daccord, mais je vous prie de mexcuser. Il fautabsolument que jaille me reposer.

    Vous pouvez disposer de ma chambre pour le moment ;

    ds ce soir, nous vous en trouverons une autre. Euh... excusez-moi Farrill, mais jaurais aim vous parler dun autre problme.

    Oui ? dit Biron avec lassitude. A en juger par la politesseexagre dEsbak, ce problme devait tre bien dlicat.

    Connaissez-vous quelquun qui aurait eu des raisons devous... euh... brimer ?

    De me brimer de cette faon ?Certes pas. Que comptez-vous faire, alors ? Il serait extrmement

    fcheux quune publicit prjudiciable lUniversit vntentourer cet incident.Il ne cessait den parler comme dun incident ! Je comprends parfaitement, dit Biron schement. Mais

    nayez crainte. Je nai pas lintention dalerter la police. Je quittela Terre dans quelques jours, et a membterait davoir modifier mes plans. Je ne porterai donc pas plainte. Aprs tout,je suis toujours en vie.

    Le soulagement dEsbak lui avait paru indcent. Tout leurtait gal, pourvu quils naient pas d histoire et que cet incident tombe rapidement dans loubli.

    Au dbut de la matine, il avait pu revenir dans sonancienne chambre. Elle tait silencieuse ; aucun murmure neprovenait de la penderie. La bombe avait disparu, de mme quele compteur. Esbak avait sans doute t les jeter dans le lac.Dtruire ainsi des pices conviction constituait une infraction,

    mais ctait leur affaire, pas la sienne. Il avait mis ses affairesdans une valise, puis appel le standard pour quon lui indique

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    sa nouvelle chambre. Il avait remarqu que la lumirefonctionnait nouveau, de mme que, bien entendu, levisiphone. La porte tordue, la serrure fondue, tmoignait seuledes vnements de la nuit.

    Il avait ensuite gagn sa nouvelle chambre, preuve, si jamaiscela intressait quelquun, quil avait lintention de rester surTerre. Puis en tlphonant de la cabine du couloir, il avaitappel un arotaxi. Pour autant quil avait pu sen rendrecompte, personne navait remarqu son dpart. QuEsbak et lesautres se cassent la tte pour expliquer sa disparition ! Peu luiimportait.

    Au spatioport, il avait soudain aperu Jonti. A peine sils

    avaient chang un regard, en se bousculant dans la foule. Et ilstait retrouv avec, dans la main, une petite boule noire, quitait une capsule personnelle, et un billet aller pour Rhodia.

    Il avait examin la capsule ; elle ntait pas scelle. Plustard, dans sa cabine, il avait lu le message. Une simple lettredintroduction, sans mots inutiles.

    En regardant la Terre diminuer au loin, Biron repensalonguement Sander Jonti. Avant son entre dvastatrice dans

    sa vie, dabord pour la lui sauver, ensuite, pour la mettre sur une voie nouvelle et inconnue, il ne le connaissait que trssuperficiellement. Ils avaient t prsents, se saluaient de latte lorsquils se rencontraient et, en deux ou trois occasions,avaient chang quelques formules de politesse. Jonti ne luiavait jamais t sympathique ; il tait trop froid, tropflegmatique, shabillait avec trop de recherche et cultivait sesmanirismes de faon exasprante. Mais tout cela tait devenu

    parfaitement secondaire.Biron passa la main sur ses cheveux coups en brosse etsoupira. Il se prit regretter pourtant que Jonti ne ft pas l.Ctait un homme daction, au moins ; un homme qui dominaitles vnements. Il avait su quoi faire, avait su le lui dire et leconvaincre de la ncessit de le faire. Et maintenant, Biron taitseul, et il se sentait trs jeune, trs dmuni, trs solitaire etlgrement angoiss.

    Mais il vitait soigneusement de penser son pre ; celanaurait servi rien.

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    *

    Monsieur Malaine ?

    Le nom fut rpt trois fois avant que Biron ne levt la tte. Monsieur Malaine, rpta une quatrime fois le robot-

    messager, sur un ton respectueux.Biron se souvint enfin que ctait son nouveau nom, celui

    qui figurait sur le billet que lui avait donn Jonti. Oui, quy a-t-il ? Je suis M. Malaine.Dune voix lgrement sifflante, le robot donna son

    message :

    On ma charg de vous informer que lon vous a changde cabine. Vos bagages ont dj t transfrs. Le commissairede bord vous remettra la clef de votre nouvelle cabine. Nousesprons que cela ne vous causera aucun inconvnient.

    Quest-ce que cest que cette histoire ? semporta Biron,faisant se retourner plusieurs autres passagers.

    Il tait stupide, bien entendu, de discuter avec une machinequi ne faisait que remplir sa fonction. Le messager, dailleurs,

    stait dj silencieusement clips aprs lavoir salu eninclinant le torse , le visage fig en un doux sourire presquehumain.

    Biron sortit en coup de vent et se prcipita sur le premierofficier quil vit, lui disant, avec une vhmence peut-treinutile :

    Je veux voir le capitaine ! Immdiatement !Lofficier ne manifesta aucune surprise.

    Cest pour une raison importante, monsieur ? Et comment ! On vient de me changer de cabine sansmme demander mon autorisation, et jaimerais savoir ce quecela signifie !

    Biron sentait bien que sa colre tait disproportionne ;mais il avait accumul trop de rancurs. Il avait failli se fairetuer ; il tait oblig de fuir la Terre comme un criminel, et allaitDieu sait o pour faire Dieu sait quoi. Et maintenant, cette

    histoire de cabine qui faisait dborder le vase.

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    Il prouvait le sentiment dsagrable que, sa place, Jontiaurait agi diffremment, avec plus de sagesse sans doute. Mais ilntait pas Jonti, voil tout.

    Je vais appeler le commissaire de bord, dit lofficier.

    Non, je tiens voir le capitaine, insista Biron. Comme vous dsirez. (Aprs une courte conversation par

    linterphone, lofficier lui dit, fort courtoisement :) On va vousappeler. Si vous voulez bien prendre un sige en attendant.

    *

    Le capitaine Hirm Gordell tait un homme trapu, plutt

    petit. A lentre de Farrill, il se leva et lui tendit la main. Monsieur Malaine, dit-il, nous sommes vraiment dsols

    de vous avoir incommod.Un sourire de politesse ne quittait jamais son visage

    rectangulaire orn dune moustache gris fer impeccablementtaille. Ses cheveux taient de la mme couleur, mais dunenuance plus claire.

    Moi aussi, dit Biron. Cette cabine tait rserve mon

    nom, et personne, mme pas vous, si vous me permettez de ledire, navait le droit de lattribuer quelquun dautre sans monautorisation.

    Vous avez parfaitement raison, monsieur Malaine, maiscomprenez notre position. Un passager de dernire minute, unepersonnalit importante, insistait pour obtenir une cabine plusproche du centre de gravit du vaisseau. Il souffre dunemaladie cardiaque, et il tait important de lui viter une trop

    forte gravit. Nous navions pas le choix. Soit, mais pourquoi moi ? Il fallait bien que ce ft quelquun. Vous voyagez seul.

    Vous tes jeune, et la gravit un peu plus forte ne vous causeravraisemblablement aucune gne. (Automatiquement, il soupesadu regard son athltique et jeune visiteur.) Je pense, dailleurs,que vous serez agrablement surpris par votre nouvelle cabine.Je vous assure que vous ne perdrez rien au change.

    Le capitaine se leva et savana vers lui.

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    Puis-je me permettre de vous la montrerpersonnellement ?

    Biron tait sur le point doublier son ressentiment. Tout celasemblait parfaitement normal, somme toute, mais, dun autre

    ct...Aprs lui avoir fait visiter sa suite le mot cabine ne

    convenait vraiment pas , le capitaine lui dit : Si vous voulez me faire le plaisir dtre mon hte dner,

    demain soir ? Notre premier saut est prvu pour le courant de lasoire, dailleurs.

    Merci infiniment. Ce sera un honneur pour moi,sentendit rpondre Biron.

    Pourtant, cette invitation avait quelque chose dtrange.Certes, le capitaine essayait de lapaiser, mais Biron avaitlimpression quil allait vraiment trop loin.

    *

    La table du capitaine tenait toute la longueur du salon.Biron se trouva plac presque au centre, une place dhonneur

    que rien ne justifiait. Mais il y avait trouv une carte son nomet le steward lui avait affirm quil ny avait pas eu derreur.Ce ntait pas que Biron ft particulirement modeste ;

    tant le fils du Rancher de Widemos, il navait pas prislhabitude de seffacer. Nanmoins ici, bord, il tait BironMalaine, citoyen parfaitement ordinaire et ne mritait pas tantdgards.

    Pour commencer, le capitaine navait nullement exagr

    propos de sa nouvelle cabine. Son billet lui donnait droit unecabine un lit, seconde classe ; et il se retrouvait dans unecabine de luxe, premire classe, prvue pour deuxpersonnes avec, bien entendu, une salle de bains privequipe dune douche spare et dun schoir air chaud.

    Elle tait proche du quartier des officiers ; dans les couloirs,il y avait des uniformes partout. On lui avait servi le djeunerdans sa cabine, dans un service en argent. Peu avant le dner, un

    coiffeur y avait fait apparition. Ctait sans doute normal quand

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    on voyageait en premire classe sur un paquebot spatial de luxe,mais ctait vraiment trop beau pour Biron Malaine.

    Vraiment trop beau, oui. Juste avant larrive du coiffeur, eneffet, Biron venait de faire un tour dans le vaisseau, explorant

    les couloirs au hasard, mais dans un but prcis. Partout, il taittomb sur des membres de lquipage polis, mais tenaces. Ilparvint quand mme les semer au moment o il arrivait dansles parages de son ancienne cabine, la 140 D.

    Il sarrta pour allumer une cigarette, attendant que le seulpassager en vue disparaisse au coin du couloir. Puis il sonna ; ilny eut pas de rponse.

    Peu importait : on avait oubli de lui rclamer son ancienne

    clef. Simple omission, sans doute. Il insra la mince tige demtal dans la fente prvue cet effet, et le complexe rseau deplomb opaque contenu dans la gaine daluminium activa lacellule sensible. La porte souvrit.

    Il nalla pas plus loin que le pas de la porte : du premiercoup dil, il avait vu tout ce quil voulait savoir. Son anciennecabine ntait occupe ni par un personnage important au curfragile ni par qui que ce soit dautre. Il ny avait pas de bagages,

    pas darticles de toilette, et lon navait visiblement pas dormidans le lit. Latmosphre elle-mme tait celle dun lieuinhabit.

    Le luxe dont on lentourait avait donc pour unique but delempcher dinsister pour quon lui rende sa cabine primitive.On lachetait, en quelque sorte, pour quil y renonce. Pourquoi ?Etait-ce la cabine qui les intressait, ou lui-mme ?

    Et maintenant, la table du capitaine, toutes ces questions

    sans rponse se bousculant dans son esprit, il se leva avec lesautres lorsque le capitaine fit son entre et, dun pas solennelgagna sa place.

    Pourquoilavait-on chang de cabine ?

    *

    Il y avait de la musique, et la cloison sparant la salle

    manger du salon panoramique stait escamote. Les lumires,discrtes, taient dun rouge orang. Le lger mal de lespace

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    dont certains passagers avaient pu souffrir aprs lacclrationdu dpart ou cause des diffrences de gravit entre les diversesparties du vaisseau stait dissip, et le salon tait comble.

    Le capitaine se pencha lgrement vers Biron.

    Bonsoir, monsieur Malaine. Comment trouvez-vous votrenouvelle cabine ?

    Presque trop satisfaisante, capitaine. Un peu tropluxueuse pour mon style de vie.

    Il avait parl sur un ton neutre, avec une nuance descheresse, et il crut voir passer une ombre sur le visage ducapitaine.

    Aprs le dessert, les lumires steignirent et la bulle

    panoramique fut dbarrasse de son enveloppe protectrice. Surle velours noir de lespace, ni le soleil ni aucune plante dusystme solaire ntaient en vue. Ils se trouvaient face laGalaxie vue dans le sens de la longueur ce que lon a coutumedappeler la Voie lacte , longue diagonale lumineuseoblitrant les toiles la lumire dure et crue.

    Les conversations staient tues. La musique ntait plusquun lger murmure. Tous les convives staient tourns vers

    les toiles.Une voix claire, douce et prcise la fois, se fit entendredans les haut-parleurs :

    Mesdames, messieurs ! Dans quelques minutes, nousallons effectuer notre premier Saut. La plupart dentre voussavent, thoriquement du moins, ce quest un saut. Maisnombreux sont ceux ici, qui nen ont jamais vcu un plus de lamoiti des passagers, en fait. Aussi est-ce tout particulirement

    ces derniers que je madresse. Le Saut est trs exactement ce que son nom implique.Dans la trame de lespace-temps il est, nous le savons,impossible de voyager plus vite que la lumire. Cest une des loisde lunivers, dcouverte par un Ancien, sans doute cet Einstein,dont la tradition nous parle et auquel on attribue tant dedcouvertes. Et mme la vitesse de la lumire, il faudrait desannes de notre temps pour atteindre les toiles.

    Il faut, par consquent, quitter cette trame spatio-temporelle pour pntrer dans le domaine peu connu de

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    lhyperespace, o les notions de temps et de distance ont perdutoute signification. Cest comme si lon sengageait dans unisthme troit pour passer dun ocan un autre, au lieu decontourner tout un continent pour parvenir au mme point.

    Pntrer dans cet espace dans lespace , comme on lenomme parfois, exige bien entendu une dpense dnergieconsidrable, sans compter des calculs dune extrmecomplexit pour que la rentre dans lespace-temps normal sefasse au point dsir. Le rsultat de cette dpense dnergie etdintelligence est quil devient possible de parcourir dimmensesdistances dune faon absolument instantane. Sans le Saut, lesvoyages interstellaires seraient impossibles.

    Nous allons effectuer notre premier Saut dans environ dixminutes. Vous serez avertis du moment prcis. Vousnprouverez quune lgre gne passagre, et nous vousdemandons tous de conserver votre calme. Merci de votreattention.

    Face aux toiles blouissantes, lattente parut longue auxpassagers. Enfin, une voix sche annona :

    Le Saut sera effectu dans exactement une minute.

    Cinquante secondes... quarante... trente... vingt... dix... cinq...quatre... trois... deux... une...Lexistence mme semblait subir une brusque discontinuit.

    Il en rsultait une secousse ressentie jusquau plus profond desos.

    En quelques centimes de seconde, ils avaient enjamb centannes-lumire, et le vaisseau tait pass des abords du systmesolaire aux profondeurs de lespace interstellaire.

    Regardez les toiles ! sexclama soudain un passagerdune voix qui tremblait dmotion.Repris par les autres passagers, le murmure samplifia,

    tantt admiratif, tantt empli de crainte : Les toiles !Regardez !

    En cette mme fraction infinitsimale de seconde, la vueavait totalement chang. Ils staient rapprochs du centre de laGalaxie qui, dune extrmit lautre, stendait sur trente mille

    annes-lumire. Les toiles innombrables formaient

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    maintenant une poussire dense, dont se dtachaient les clairsaveuglants de quelques astres plus proches.

    Biron se surprit murmurer le dbut dun pome quil avaitcrit lge sentimental de dix-neuf ans, au cours de son

    premier voyage spatial alors quil gagnait la Terre, cette Terrequil venait de quitter :

    Une poussire dtoiles mencercleBrume de lumire vivante ;Et tout lespace mest rvlDans lexplosion dun instant.

    Les lumires se rallumrent, arrachant brutalement Biron cette magie. Il se retrouvait dans le salon dun paquebot spatial, loccasion dun dner tirant sur sa fin, tandis quautour de luiles conversations retrouvaient leur niveau prosaque.

    Il consulta rapidement sa montre-bracelet, puis, lentement,releva le poignet et la fixa une longue minute durant. Ctait lamontre quil avait laisse dans sa chambre, cette nuit-l ; elleavait rsist aux radiations meurtrires de la bombe, et le matin

    venu, il lavait rcupre en mme temps que ses autrespossessions. Combien de fois lavait-il regarde depuis, poursassurer de lheure, en ngligeant lautre information quelle luidonnait, une information vitale, dune vidence criante ?

    Le bracelet de plastique tait encore et toujours blanc. Ilntait pas bleu, mais blanc !

    Lentement, tous les vnements de cette nuit sordonnrenten un ensemble cohrent. Curieux, comme une seule pice

    manquante empche de voir le tout !*

    Il se leva brusquement, en marmonnant une vague excuse.Il tait contraire ltiquette de quitter la table avant lecapitaine, mais peu lui importait.

    Il se hta vers sa cabine, prfrant monter la longue rampe

    pied plutt que dattendre lascenseur. Aprs avoir verrouillla porte derrire lui, il regarda dans larmoire murale et dans la

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    salle de bains. Il navait gure despoir de surprendre quelquun,dailleurs. Il y avait longtemps quils avaient d faire leur travail.

    Il vrifia soigneusement ses bagages. Ils avaient fait preuvede soin et de mthode. Rien ne paraissait avoir t drang,

    mais il manquait plusieurs objets, et non des moindres : sespapiers didentit, un paquet de lettres de son pre, et mme lacapsule contenant lintroduction Hinrik de Rhodia.

    Voil pourquoi on lavait chang de cabine ; ce ntait nilancienne ni la nouvelle, qui les intressait ; mais le fait mmedu dmnagement, qui leur donnait loccasion de soccuper deses bagages, de faon parfaitement lgitime.Lgitime !

    Biron sallongea sur le grand lit et rflchit rageusement. En

    vain ; le pige tait parfait. Ils avaient tout prvu. Sil navaitpas, par un hasard absolument imprvisible, laiss sa montredans sa chambre la nuit de lattentat, il ne se serait jamais dout quel point les mailles du filet que les Tyranni avaient tiss travers lespace taient serres.

    On sonna la porte, et il se leva pour ouvrir. Ctait lesteward, dune politesse presque obsquieuse.

    Le capitaine dsire savoir sil peut faire quelque chose

    pour vous. Vous paraissiez indispos en quittant la table. Je vais parfaitement bien, rpondit-il schement.Comme ils le surveillaient ! Il comprit alors que la situation

    tait sans issue. Le vaisseau lemportait, poliment maissrement, vers la mort.

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    Sander Jonti soutint avec froideur le regard de soninterlocuteur.

    Disparu, dites-vous ?Rizzett passa sa main sur son visage haut en couleurs.

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    Quelque chose a disparu, en tout cas. Et il est possibleque ce soit le document qui nous intresse. Nous ne savonspresque rien son sujet, dailleurs, sinon quil remonte unedate quelconque entre le XVe et le XXIe sicle, selon le

    calendrier terrestre primitif, et quil est dangereux. Avez-vous une raison prcise pour croire que le

    document manquant est bien celui-l ? Rien de plus quun raisonnement circonstanciel. Le

    Gouvernement de la Terre le faisait jalousement surveiller. Cela ne prouve rien. Les Terriens ont une vnration

    superstitieuse pour tout ce qui date de lpoque pr-galactique. Ce document a t vol, mais le fait na jamais t rendu

    public. Pourquoi continuent-ils surveiller une vitrine vide ? Je les vois trs bien le faire, au contraire, plutt que de se

    rsoudre admettre quune sainte relique leur a t vole. Maisje me refuse croire que le jeune Farrill ait pu sen emparer.Vous le faisiez surveiller, si je ne mabuse ?

    Lhomme sourit. Il ne sen estpas empar. Comment le savez-vous ?

    Lagent de Jonti se fit un visible plaisir de lui rpondre : Parce que le document en question a disparu depuis vingtans.

    Que dites-vous ? Personne ne la vu depuis vingt ans. Il doit sagir dun autre document. Le Rancher na appris

    son existence que depuis six mois. Dans ce cas, cest que quelquun la battu de dix-neuf ans

    et demi ! Peu importe, dit Jonti aprs avoir rflchi un instant.Cela doit tre sans importance, tout bien pes.

    Pourquoi cela ? Je suis sur Terre depuis des mois. Avant, jtais tout prt

    croire que la plante recelait une information de valeur. Maismaintenant... Suivez-moi bien. Lorsque la Terre tait la seuleplante habite de la Galaxie, sa technologie, militaire en

    particulier, tait extrmement primitive. La seule arme digne dece nom quils eussent jamais invente tait une grossire bombe

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    nuclaire, contre laquelle ils navaient mme pas trouv dedfense efficace.

    Il tendit les bras dans une geste loquent, embrassantlhorizon la maladive luminosit bleute.

    Je vois tout cela trs clairement, maintenant, reprit-il. Ilest stupide de simaginer quune socit aussi peu volue aitquoi que ce soit nous offrir sur le plan militaire. Je sais, je sais,les techniques et les arts perdus dans la nuit des temps sont trs la mode ; il y a toujours eu des adorateurs du primitivisme quiont un vritable culte pour la civilisation terrestre prhistorique.

    Et pourtant, le Rancher tait un homme dune grandesagesse, dit Rizzett. Il nous a affirm quil sagissait du

    document le plus dangereux qui existt. Je peux mme vousciter ses propres paroles : Il signifiera la mort des Tyranni, etla ntre aussi ; mais pour la Galaxie, ce sera lveil unenouvelle vie.

    Aucun homme nest infaillible. Le Rancher a pu setromper.

    Noubliez pas que nous ignorons tout de la nature de cedocument. Il peut sagir, par exemple, des notes indites dun

    savant. Dune dcouverte dont les Terriens navaient jamaiscompris limportance militaire, que sais-je... Vous dites des btises, indignes dun soldat comme vous.

    Sil est une science o lhomme na jamais relch ses efforts,cest celle de la technologie militaire. Aucune arme ne dormiraitdans des tiroirs pendant dix mille ans. Je pense, Rizzett, quilest temps de retourner Lingane.

    Rizzett haussa les paules, nullement convaincu.

    Jonti ne ltait pas davantage, dailleurs. Si cerenseignement avait t vol, ctait quil mritait de ltre !Mais vol par qui ? Il pouvait se trouver nimporte o dans laGalaxie.

    A contrecur, il en vint penser que le document setrouvait peut-tre en la possession des Tyranni. Si seulement leRancher navait pas t aussi vague. Il avait dit que ce documenttait porteur de mort, et aussi que ctait une arme deux

    tranchants. Limbcile, avec ses allusions imprcises ! Etmaintenant, les Tyranni lavaient tu.

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    Et si Aratap tait en possession de cesecret, quel quil ft ?Aratap ! Le seul homme, maintenant que le Rancher ntaitplus, dont il ft impossible de prvoir les actions. Le plusdangereux de tous les Tyranni.

    *

    Simok Aratap tait un petit homme aux jambes lgrementarques, aux yeux enfoncs, avec lallure lourde et massivetypique des Tyranni. Mais les habitants des mondes assujettisne lintimidaient pas, aussi grands et muscls quils fussent. Iltait, en effet, le descendant ( la seconde gnration) de ceux

    qui avait abandonn leur monde strile et balay par les vents,pour capturer et rduire en servitude les plantes riches etpeuples de la Nbuleuse.

    Son pre dirigeait une escadrille de petits vaisseauxmaniables et rapides ; ils avaient frapp pour disparatreaussitt, puis frapp de nouveau, jusqu dtruire entirementles engins gigantesques mais lourds qui sopposaient eux.

    Les mondes Nbulaires se battaient dune faon

    traditionnelle, mais les Tyranni avaient adopt une tactiquenouvelle. Au lieu de faire front ladversaire, en dchargeantmassivement leurs rserves dnergie, les conqurantsmettaient laccent sur la rapidit et la coordination. LesRoyaumes tombrent les uns aprs les autres ; loin desentraider, chacun attendait avec joie la dfaite de ses voisins,se croyant en scurit derrire les remparts dacier de sesvaisseaux.

    Mais le tour du privilgi venait, invitablement.Il y avait dj cinquante annes de cela. Les Royaumes de laNbuleuse taient devenus des Satrapies ; ladministration desTyranni tait en place, depuis longtemps, les impts rentraientrgulirement... Il y avait des mondes conqurir, alors,songeait Aratap avec mlancolie, tandis que maintenant, on nese battait plus que contre quelques hommes isols.

    Il observa le jeune homme qui lui faisait face. Il tait trs

    jeune, en ralit. Et grand, avec de larges paules ; son visagegrave et ardent tait malheureusement enlaidi par une ridicule

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    coiffure en brosse, sans doute un snobisme dtudiant. Aratapne put sempcher de ressentir une certaine piti pour lui, tant iltait vident quil avait peur.

    Biron et t surpris sil avait su ce que pensait Aratap ; sil

    avait d, lui, qualifier le sentiment quil prouvait, il aurait dit tension . Depuis sa naissance, il avait t habitu considrer les Tyranni comme une race de matres. Mme sonpre, malgr sa force et son autorit, libre dagir comme illentendait dans le cadre de ses domaines, se montrait prudentet presque soumis en prsence des Tyranni.

    Ils venaient parfois Widemos, se montraientimperturbables et polis, se dplaant presque toujours pour

    lever le tribut quils appelaient impt annuel . Le Rancher deWidemos tait responsable de la perception de ces impts pourtoute la plante Nphlos, et les Tyranni vrifiaient parfois sescomptes, mais jamais fond.

    Le Rancher en personne venait les accueillir la descente deleurs petits vaisseaux. Lors des repas, ils avaient droit la placedhonneur, et taient servis les premiers. Lorsquils parlaient,les autres convives se taisaient instantanment.

    Enfant, Biron stonnait que des hommes aussi petits etaussi laids eussent droit tant dgards ; en grandissant, ilcomprit quils taient son pre ce que son pre tait ungaron vacher. Il finit par apprendre leur tmoigner le respectqui leur tait apparemment d, et ne leur adresser la parolequen leur disant Excellence .

    Il lavait si bien appris que mme maintenant, en prsencede ce Tyranni, il tait tellement tendu quil en tremblait.

    Le vaisseau quil en tait venu considrer comme uneprison tait officiellement devenu tel ds latterrissage Rhodia.Aprs avoir sonn, deux solides membres de lquipage taiententrs dans sa cabine et avaient encadr Biron. Le capitainetait arriv immdiatement aprs, et lui avait annonc, dunevoix parfaitement neutre :

    Biron Farrill, en vertu des pouvoirs dont je dispose entant que capitaine de ce vaisseau, je vous mets en tat

    darrestation provisoire en vue de votre interrogatoire par lecommissaire du Grand Roi.

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    Le commissaire tait ce petit Tyrannien qui lui faisait face,apparemment indiffrent et perdu dans ses penses. Le GrandRoi , ctait, bien entendu, le Khan des Tyranni, qui vivait dansson lgendaire palais de pierre sur la plante dorigine de son

    peuple.Biron regarda furtivement ce qui lentourait. Physiquement,

    rien nentravait ses mouvements, mais quatre gardes enuniforme bleu ardoise de la Police Extrieure Tyrannienne letenaient deux de chaque ct. Ils taient arms. Uncinquime, en uniforme de commandant, tait assis ct ducommissaire Aratap.

    Ce dernier lui adressa la parole pour la premire fois.

    Comme vous le savez peut-tre... (Sa voix tait frle etdun timbre aigu), votre pre, lancien Rancher de Widemos, at excut pour haute trahison.

    Ses yeux dlavs, apparemment toute douceur, retinrent leregard de Biron.

    Biron demeura impassible. Son impuissance le torturait. Ilaurait t tellement satisfait de hurler, de le couvrir dinjures...mais cela naurait pas rendu la vie son pre. Il crut sentir que

    cette brusque entre en matire tait destine le briser, linciter se trahir Eh bien, il ne leur ferait pas ce plaisir. Je suis Biron Malaine, Terrien, dit-il dune voix

    impassible. Si vous mettez mon identit en doute, jaimeraisentrer en communication avec mon consulat.

    Je comprends, je comprends, mais nous en sommes unstade purement officieux. Vous tes Biron Malaine, Terrien,dites-vous. Et pourtant... (Aratap dsigne les papiers tals

    devant lui :) voici des lettres crites par Widemos son fils,ainsi quune carte dtudiant et un reu dinscriptionuniversitaire, tous au nom de Biron Farrill. On les a trouvsdans vos bagages.

    Biron tait dsespr, mais il le cacha de son mieux : Mes bagages ont t fouills illgalement. Je nie par

    consquent la valeur juridique de ces preuves. Vous ne vous trouvez pas devant un tribunal, monsieur

    Farrill ou Malaine. Avez-vous une explication me fournir ?

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    Si ces documents ont t trouvs dans mes bagages, cestque quelquun les y avait placs mon insu.

    Au grand tonnement de Biron, le commissaire laissapasser, sans faire de commentaires, ces explications pourtant

    stupides et cousues de fil blanc. Il se contenta de tapoter dudoigt la petite capsule noire.

    Et cette introduction auprs du directeur de Rhodia ? Ellene vous appartient pas davantage ?

    Si, cela mappartient. (Biron avait prpar sa rponsedepuis longtemps ; le message ne mentionnait pas son nom.) Ilexiste un complot qui a pour but dassassiner le directeur...

    Il se tut, pouvant par sa propre maladresse. Tout en

    parlant, la stupidit de ses paroles lui tait pleinement apparue.Srement, le commissaire devait le regarder avec un souriredapitoiement cynique ?

    Mais non. Avec un petit soupir, Aratap retira habilement seslentilles de contact et les plaa dans une coupe contenant unesolution saline. Ses yeux larmoyaient lgrement.

    Cela fait, il daigna parler : Et vous tes au courant de ce complot ? Alors que vous

    vous trouviez sur Terre, cinq cents annes-lumire dici ?Alors que notre propre police, ici Rhodia, nen a jamais euvent ?

    Votre police est ici. Les auteurs du complot se trouventsur Terre.

    Je vois. Et vous tes leur envoy ? Ou bien venez-vousmettre Hinrik en garde contre ce danger ?

    Le mettre en garde, bien entendu.

    Vraiment ? Peut-on savoir pourquoi ? A cause de la rcompense substantielle que jespreobtenir.

    Aratap se permit un sourire. Voil au moins qui sonne vrai et rend plus plausibles vos

    autres dclarations. Et quels sont les dtails de ce complot ? Je ne puis les dvoiler quau directeur lui-mme.Aprs une lgre hsitation, Aratap haussa les paules.

    Soit. Nous nintervenons jamais dans ces questions depolitique locale ; cela ne nous intresse pas. Dsirant

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    nanmoins contribuer la scurit du directeur, nous nouschargerons de vous introduire auprs de lui. Vous resterez avecnos hommes en attendant que vos bagages arrivent. Ensuite,vous serez libre de partir. Emmenez-le.

    L-dessus, il remit ses lentilles, ce qui effaainstantanment la douce expression de myope qui le faisaitparatre incomptent, sinon stupide. Biron sortit avec les quatrehommes arms.

    *

    Aratap sadressa au commandant, qui tait rest dans la

    salle. Je pense quil serait bon de surveiller de prs le jeune

    Farrill. Certes ! approuva nergiquement lofficier. Un moment,

    je mtais demand si vous naviez pas mordu son histoire.Personnellement, je la trouve parfaitement incohrente.

    Cest vident, mais cela nous permettra de le manuvrerquelque temps. Cest facile, avec ces jeunes imbciles qui

    regardent trop les missions despionnage la vido. Cest le filsde lex-Rancher, bien entendu.Cette fois, le commandant hsita : En tes-vous certain ? Les preuves que nous possdons

    sont bien fragiles. Vous pensez quon les aurait effectivement caches dans

    ses bagages ? Dans quel but ? Peut-tre pour distraire notre attention du vrai Biron

    Farrill, qui se trouverait, qui sait, mille annes-lumire dici. Non, impossible. Du mauvais thtre, rien de plus. Nouspossdons un photocube du jeune Rancher. Voulez-vous levoir ?

    Certainement.Aratap souleva le presse-papiers pos devant lui, un simple

    cube de verre de dix centimtres de ct, noir et opaque. Le cas chant, javais lintention de confronter le jeune

    homme avec son portrait. Cest une invention amusante,rcemment mise au point dans les mondes intrieurs. En

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    apparence, cest un photocube ordinaire mais si on le pose lenvers, il devient totalement opaque. Simple question derestructuration molculaire.

    Il tourna le cube dans lautre sens. Lentement, lopacit se

    dissipa, comme un brouillard qui se lve, et le cube devint duneclart cristalline. Un jeune visage souriant apparut, dans toutesa fracheur, instant de vie solidifi jamais.

    Cet objet faisait partie des possessions de lex-Rancher.Que vous en semble ?

    Cest lui, sans lombre dun doute. Nest-ce pas ? (Le Tyranni regarda songeusement le

    portrait.) On devrait pouvoir fixer six portraits dans un mme

    cube, toujours en utilisant le mme procd. Le cube a six cts,ce qui permet six positions et donc six rorientationsmolculaires diffrentes, se mlangeant au gr des mouvementsquon leur imprime, ce qui transformerait cette forme dartstatique en un art dynamique. Quel renouveau ! Ne pensez-vouspas, commandant ?

    Mais lofficier ne suivant plus Aratap, ce dernier dit,coupant court son commentaire sur lart :

    Vous comptez donc faire surveiller Farrill ? Certainement, commissaire. Faites de mme avec Hinrik. Hinrik ? Bien sr. A quoi bon librer le jeune homme, autrement ?

    Jaimerais connatre la rponse plusieurs questions. PourquoiFarrill veut-il voir Hinrik ? Quel est leur lien rel ? Le feuRancher nagissait pas seul. Il y avait certainement une

    organisation derrire lui, et nous nen connaissons toujours pasle fonctionnement. Hinrik ne faisait srement pas partie de la conspiration,

    voyons, commissaire. Mme sil en avait eu le courage, ce dontje doute, il est bien trop bte.

    Soit, mais cest peut-tre cause de sa btise mme quilsse servaient de lui. Nous ne pouvons pas ngliger cettepossibilit, ce serait une faille dans notre dispositif de scurit.

    Aratap congdia lofficier dun geste vague. Il pensait dj autre chose. Le commandant salua et sortit.

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    Aratap soupira et reposa le cube, regardant la noirceurdencre effacer progressivement limage souriante.

    Du temps de son pre, la vie tait plus simple. Ecraser uneplante avait une certaine grandeur cruelle. Tandis que le jeu

    auquel ils se livraient avec ce jeune innocent tait toutsimplement cruel.

    Et pourtant, ctait ncessaire.

    5

    Compar la terre, le directorat de Rhodia est un habitatrcent pour lhomo sapiens. Mme les mondes de Sirius ou duCentaure sont habits depuis plus longtemps. Les plantesdArturus, par exemple, taient peuples depuis deux cents ansdj lorsque les premiers vaisseaux explorrent la Nbuleuse dela Tte de Cheval. Ils y trouvrent, dcouverte sensationnelle,un nid dune centaine de plantes du type eau-oxygne.Dcouverte sensationnelle car, bien que des plantes infestentlespace, rares sont celles qui remplissent les conditionsncessaires la viehumaine.

    La Galaxie comprend entre cent et deux cents milliardsdtoiles, et quelque cinq cents milliards de plantes. Une bonnepartie de ces dernires ont une gravit suprieure 120 % de lagravit terrestre, ou infrieure 60 % de celle-ci, et se rvlentinhabitables la longue. Dautres sont trop chaudes, ou tropfroides. Dautres encore ont une atmosphre vnneuse lesatmosphres composes de non, dammonium, de mthane, dechlore, ou mme de ttrafluorure desilicium, ne sont pas rares.Il y a des plantes sans eau, et des plantes couvertes docansdoxyde sulfureux. Il y en a aussi qui manquent totalement decarbone.

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    En bref, peine une plante sur mille est habitable ce quilaisse nanmoins un total estim de quatre millions de mondesconvenant lorganisme humain.

    Le nombre exact de ceux qui sont effectivement habits

    nest pas connu avec certitude. Selon lAlmanach Galactique,Rhodia tait le 1098e monde colonis par lhomme.

    Lvolution historique des mondes de la rgiontransnbulaire ressemble tristement celle de tous les pays envoie dexpansion. Les rpubliques plantaires stablirent ensuccession rapide, chacune vivant dans un isolement presquetotal. Consquence de lexpansion conomique, des plantes voisines furent colonises et intgres la socit mre. De

    vritables petits empires stablirent de la sorte et, commelon pouvait sy attendre, ils se heurtrent.

    Selon les fortunes de la guerre et de la politique, de vastesrgions changrent ainsi de mains, parfois plusieurs fois.

    Seule, Rhodia parvint maintenir sa stabilit pendant unelongue priode, sous la sage direction de la dynastie desHinriades. Et, si les Tyranni ntaient pas venus, ils auraientsans doute fini par crer une vaste confdration

    transnbulaire.La surprise avait t totale. Jusqualors, les hommes deTyrann avaient tout juste russi maintenir une prcaireautonomie : leur monde tait pauvre, principalement parce quiltait en majeure partie compos de dserts.

    Nanmoins, le directorat de Rhodia avait survcu larrivedes Tyranni ; il stait mme agrandi. La popularit desHinriades permettait aux conqurants de mieux contrler les

    populations conquises. Peu importait aux Tyranni qui lonacclamait, du moment quils empochaient les impts.Certes, les directeurs actuels ntaient pas comparables aux

    Hinriades de jadis. Sans tenir compte de la filiation directe, ilsavaient toujours dsign pour la succession les plus aptes et lesplus intelligents, allant mme jusqu encourager des adoptions.

    Mais maintenant, les Tyranni influenaient les lections, etctait eux, non sans de bonnes raisons, qui avaient fait lire

    Hinrik, cinquime du nom.

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    Lors de son accession au pouvoir, Hinrik tait un homme de belle prestance, et il faisait toujours impression lorsquilapparaissait en public. Ses cheveux staient teints dun grisargent mais son paisse moustache tait, fait surprenant,

    reste aussi noire que les yeux de sa fille.Il se trouvait justement en train de discuter avec elle. Elle

    tait peine plus petite que son pre, qui mesurait prs de unmtre quatre-vingts. Sous un extrieur calme, elle cachait unenature passionne, et ses yeux lanaient des flammes tandisquelle rptait pour la quatrime fois :

    Non ! Je ny consentirai pas ! Voyons, Arta, dit Hinrik, il faut tre raisonnable. Que

    veux-tu que je fasse ? Mets-toi ma place. Dans ma position, jenai pas le choix.

    Si maman tait encore en vie, elle trouverait unesolution !

    Ce disant elle tapa du pied. Elle sappelait Artmisia, nomroyal port par au moins une fille dans chaque gnration.

    Je nen doute pas. Elle russissait en tout ! Parfois, jailimpression que tu lui ressembles entirement, sans rien de

    moi. Mais coute, Arta, donne au moins une chance cetype...il a certainement des... qualits ? Lesquelles, si lon peut savoir ? Eh bien, par exemple...Il fit un geste vague, rflchit un moment, puis abandonna.

    Il sapprocha de sa fille et voulut pos la main sur son paule,mais elle se dgagea vivement, faisant voltiger ses cheveux noirset les plis de sa robe carlate.

    Jai pass une soire avec lui, dit-elle avec amertume, et ila essay de membrasser. Ctait dgotant ! Mais tous les hommes embrassent, chrie. Nous ne

    vivons plus au temps de ta sainte grand-mre. Un baiser, Arta,ce nest rien. Lardeur de la jeunesse...

    Ardeur de la jeunesse ! Tu veux rire ! Cet horrible petithomme ne doit avoir dardeur que lorsquil sassied sur unpole ! Te rends-tu compte quil a vingt centimtres de moins

    que moi, papa ? Et tu voudrais que je me montre en public aveccepygme ?

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    Cest un homme important. Trs important ! Cela najoute pas un centimtre sa taille. De plus, il a les

    jambes torses, et son haleine sent mauvais ! Son haleine sent mauvais ?

    Artmisia plissa le nez. Parfaitement ; il a une odeur dplaisante. Cela me

    rpugne et je ne le lui cache pas.Hinrik ouvrit de gros yeux, puis dit, la gorge noue : Tu ne le lui caches pas ? Tu oses insinuer quune haute

    personnalit de la Cour Royale de Tyrann a une caractristiquepersonnelle dplaisante ?

    Mais cest vrai ! Jai le nez fin, tu sais. Quand il sest

    approch demoi, je lai juste repouss en arrire, et il est tombles quatre fers en lair ! Ah, il avait lair fin !

    Elle avait illustr son rcit de gestes loquents. En pureperte : aprs avoir pouss un gmissement, Hinrik stait cachle visage dans les mains. La tte basse, il la regarda travers sesdoigts carts.

    Comment peux-tu te comporter de la sorte ! Que va-t-il sepasser, maintenant ?

    Le pire, cest que a ne ma servi rien. Sais-tu ce quilma dit ?Ctait la goutte deau qui fait dborder le vase ! Aprscela, je naurais plus pu le supporter mme sil avait senti larose.

    Mais... mais... qua-t-il dit, enfin ? On aurait cru que cela sortait dun mauvais film vi