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ARTICLES NOS EXPERTS 2017
Page
Un service public plus essentiel que jamais
Sylvain Lafrance, janvier 2017 2
La baladodiffusion : renaissance d’un disrupteur
Pierre C. Bélanger, février 2017 5
Les données au service de la culture
Éric Lefebvre, mars 2017 8
Le pouvoir du contenu
Laurence Beauchemin, avril 2017 11
Médias et données, une influence sur la diffusion et la qualité de l’information ?
Marina Pavlovic-Rivas, mai 2017 15
Legs du 375e : quel héritage pour l’industrie de la culture et du divertissement ?
Alain Gignac, juin 2017 18
L’authenticité, une caractéristique financièrement intéressante
Émilie Tremblay et Danilo C. Dantas, septembre 2017 21
Les données en culture : une mine d’or pour la recherche
Renaud Legoux, octobre 2017 24
Comprendre les interactions dans les médias sociaux pour mieux vendre
Marcelo Vinhal Nepomuceno, novembre 2017 28
Les nouveaux joueurs de l’industrie du cinéma
Renaud Legoux, décembre 2017 31
2
Janvier 2017
UN SERVICE PUBLIC PLUS ESSENTIEL QUE JAMAIS !
« Nous devons essayer plus fort. Cela a été trop facile de rester dans nos propres
bulles, surtout sur nos médias sociaux. Nous sommes devenus tellement en sécurité
dans nos bulles que nous acceptons seulement des informations qui correspondent
à nos opinions, qu’elles soient vraies ou non. » Barack Obama, Janvier 2017
En terminant son mandat et en faisant son « testament » au peuple américain, le
Président des États-Unis n’a pas hésité à reconnaître cette transformation, voire
révolution, dans le rapport du citoyen aux médias.
Oui, le numérique a bouleversé le rapport aux médias par une succession de
changements qui sont aujourd’hui devenus réalités.
D’abord, le numérique a créé une véritable hyper-abondance du contenu. Le
citoyen est aujourd’hui noyé dans une masse incalculable d’informations. Au point
qu’il est aujourd’hui impossible ne serait-ce que de répertorier adéquatement les
infos pour distinguer l’utile de l’accessoire, le vrai du faux. Difficile aussi de
distinguer le simple fait de la propagande.
Et le numérique a donc aussi produit sa propre réponse à ce problème. Pas de
souci ; les algorithmes, ces minirobots qui travaillent en sous-sol dans les
infinitésimales profondeurs de l’internet vous guideront et vous fourniront
les moteurs de recherche essentiels à la création du nouvel ordre informationnel.
Simple comme dire Google !
3
Mais, sur plusieurs plans, ces moteurs ne sont pas neutres. Ils guident le citoyen,
l’usager, selon des critères et des intérêts généralement mal connus. Bien qu’ils
servent l’internaute en lui permettant d’optimiser ses recherches, il est clair que des
intérêts commerciaux ou publicitaires sont au premier chef des « motivations » de
ces outils. Ajoutons à cela un brin de paranoïa, une accélération sans précédent de
la circulation de l’info, et une tendance pour chacun d’entre nous à adhérer à ce qui
vient renforcer ses propres préjugés (ce qu’on appelle parfois le biais de
confirmation), et nous aurons en main toutes les recettes pour créer cette
« balkanisation » des idées citoyennes qui est aux antipodes des promesses de
démocratisation de la planète Internet.
Et pour créer aussi ce qui est sans doute le plus grand niveau de concentration des
médias de l’ère moderne. Car ces grands moteurs de recherche, peu nombreux,
contrôlent aujourd’hui la très grande majorité de ce que vous verrez, lirez et
consulterez.
Le Pôle Média HEC Montréal, en collaboration avec le Collège des Bernardins à
Paris et Sciences Po Lyon organisait à l’automne de 2016, dans le cadre des
Entretiens Jacques-Cartier, une réflexion sur « l’impact des algorithmes sur la
démocratie et la culture », une occasion de faire le point sur cet enjeu majeur qui
concerne les États, les régulateurs, les médias et les citoyens. Et un enjeu qui
interpelle sans doute à plus d’un titre les dirigeants de médias de service public dans
le monde.
Face à cette « crise des faits », les médias de service public doivent agir comme
remparts et comme phares dans un monde surinformé. Comment ?
En revenant à l’essentiel d’abord ; une information de qualité fondée sur une logique
citoyenne. Une information qu’on ne pourra pas soupçonner d’être inféodée aux
intérêts commerciaux ou politiques. Encore faut-il que, plus que jamais, les médias
dits « citoyens » puissent être garants de cette promesse et acceptent de se doter
des outils nécessaires.
Puis, en devenant les principaux outils de « découvrabilité » des contenus nationaux
et des contenus politiques et culturels de grande qualité. Un rôle élargi donc mais
combien essentiel pour que le numérique devienne le complice d’une véritable
démocratisation des savoirs et des échanges. Le service public doit s’imposer
comme un outil de partage, de découverte et de curation pour les contenus
nationaux afin de faire contrepoids à la présence grandissante de joueurs
« mondiaux ».
Enfin, en créant des outils de littératie médiatique. Former les citoyens à
comprendre ces nouveaux « médias » et surtout, comprendre la valeur ou pas des
informations, des recommandations, des contenus qui vous sont livrés. Carpour
4
beaucoup de citoyens, ces moteurs de recherche sont bienveillants et tout à fait
objectifs. Ils sont au-dessus de tout soupçon.
En fait, le travail d’informer dans le service public s’accompagne aujourd’hui d’une
nouvelle responsabilité d’éducation et de guide dans cet univers en mouvement. Et
devenir une norme en matière de qualité d’information, devenir un guide dans ce
vaste océan médiatique, exige un travail constant de recherche, de validation,
d’autocritique et d’ouverture d’esprit.
Si le défi vous paraît simple, c’est que vous l’avez mal compris. C’est un travail
gigantesque et un changement de paradigme majeur auxquels font face aujourd’hui
les diffuseurs publics pour jouer pleinement leur rôle en matière de démocratie et de
culture. Mais c’est sans doute l’un des grands défis de ce siècle trop rapide.
Créer du sens, créer du savoir et approcher de la vérité pour former des citoyens
responsables et présents sur les grands enjeux de cette petite planète !
Un défi gigantesque et stimulant pour aider notre monde !
Sylvain Lafrance
Sylvain Lafrance est professeur associé à HEC Montréal à l’École des dirigeants et
directeur du Pôle médias HEC Montréal. Reconnu comme leader du domaine de la
communication au Canada et à l’international, il agit à titre de consultant dans le
domaine des communications et de la stratégie d’entreprise et est expert en gestion
des médias, en gestion de l’immatériel, en gestion des entreprises créatives et en
communications.
5
Février 2017
LA BALADODIFFUSION : RENAISSANCE D’UN DISRUPTEUR
Comme si son moteur avait calé à la ligne de départ, la balladodiffusion
(ou podcasting en anglais) aura dû effectuer plusieurs tours de piste avant de
rejoindre le peloton de tête.
Dans l’euphorie du phénomène du tout-numérique, apparu au tournant du nouveau
millénaire, il aura fallu qu’Apple ajoute un catalogue de balados (podcasts) à son
service iTunes en 2004 pour que les blogues audio, comme on les appelait alors,
parviennent à acquérir le pouvoir d’attraction nécessaire pour se conforter une place
sous le grand chapiteau du nouvel écosystème sonore.
Les podcasts ont désormais le vent en poupe. Ils ont effectué une des remontées
les plus impressionnantes auxquelles l’univers des médias numériques ait assisté au
cours des 10 dernières années. Marqués par une forte trajectoire ascendante, les
balados ont dépassé le stade de l’épiphénomène transitoire. Les récentes initiatives
déployées par de nombreux médias traditionnels illustrent le potentiel disruptif des
balados sur les pratiques de consommation en matière d’information et de
divertissement auprès de publics de plus en plus différenciés.
6
Pourquoi cette reprise maintenant ?
À l’instar du secteur de la production télévisuelle, où on peine désormais à distinguer
ce qui est télé de ce qui est vidéo, les nouvelles plateformes de distribution se
formalisent peu lorsque vient le moment de faire la promotion de contenus audio sur
demande : les termes radio, audio et podcasts y sont interchangeables. Portant des
noms sémantiquement associés au iPod d’Apple, de nouveaux venus tentent de
briser l’hégémonie du géant américain – par lequel transitent actuellement près des
deux tiers de tous les podcasts téléchargés – en proposant de nouvelles
appellations. C’est ainsi que, chez Amazon, vous devrez choisir votre document
audio à partir de channels, qui sont autant de séries audio à écouter sur demande.
Chez Audible, autre géant de la baladodiffusion, on vous offre des stories. Il est
toutefois peu probable que la multiplication des étiquettes parvienne à déloger la
désignation originelle d’Apple, comme en témoigne la façon dont les SoundCloud,
Stitcher et compagnie nomment les documents de leurs catalogues respectifs.
Si l’écoute de balados est aujourd’hui deux fois plus importante qu’il y a cinq ans,
c’est en grande partie dans la foulée ce qui s’est produit dans le monde de la vidéo.
L’explosion du « sur demande » est venue y ébranler les assises du principal
modèle d’affaires des télédiffuseurs, où l’écoute d’un contenu sélectionné est encore
largement associée à une chaîne et à une heure spécifiques. De son côté, la
renaissance dont profite aujourd’hui la baladodiffusion est le résultat d’un amalgame
de développements qui, de manière incrémentielle, ont permis d’en accroître la
visibilité, la fonctionnalité, la diversité, la qualité et, bien sûr, l’accessibilité.
Parmi les facteurs contributifs au rayonnement actuel des podcasts, il en existe un
qui a instantanément dynamisé leur consommation : l’intégration, en 2014, de
l’application Podcast au tableau de bord des appareils mobiles Apple lors de la mise
en service du nouveau système d’exploitation iOS 8. Les répercussions sont à ce
point conséquentes qu’aujourd’hui, 71 % des amateurs de balados se servent de
leur téléphone mobile pour en écouter, une augmentation de près de 30 % au cours
des trois dernières années. À ceci s’ajoute l’attractivité des des services d’écoute
audio payants tels que Pandora et Spotify, qui ont fait découvrir les vertus du « sur
demande ». Cette tendance est confirmée par les impressionnants volumes
d’abonnés à des services comme Netflix et SiriusXM. Avec l’arrivée imminente des
voitures autonomes au cours des prochaines années, le temps d’écoute disponible
pour des contenus audio spécialisés devrait continuer à progresser.
Le rôle de la promotion
Il serait prématuré et même naïf de penser que les podcasts puissent un jour mettre
en péril la survie des médias traditionnels. Si tel est le cas, ce n’est pas pour
demain. En revanche, pour les podcasts les plus populaires – notamment certaines
7
séries d’enquêtes policières, Revisionist History de Malcolm Gladwell, Invisibilia de
NPR ou les productions d’Alec Baldwin, Shaquille O’Neal et compagnie –, les
grands annonceurs accourent. De grandes marques faisant partie du Fortune
100 dirigent désormais des parts significatives de leur budget marketing vers les
balados à succès. C’est le cas notamment de BMW, Dell, Target, Wells Fargo, etc.
L’ensemble des investissements publicitaires est en croissance continue depuis
2010 et devrait fortement s’accélérer au cours des trois prochaines années, comme
en témoigne le tableau ci-dessous :
Néanmoins, tout positif qu’il puisse être, l’avenir des podcasts demeure largement
tributaire des stratégies de promotion dont il fera l’objet. Les spécialistes s’attendent
à ce que le prochain point d’inflexion soit atteint au moment où les usagers actuels
et futurs seront mieux informés de la richesse des contenus à découvrir et élargiront
leur écoute au-delà des quelques titres qu’ils connaissent déjà. L’exemple du
radiodiffuseur public australien, qui a récemment lancé une campagne de
sensibilisation pour ses podcasts à la télé nationale, va directement dans ce sens.
Pierre C. Bélanger
Pierre C. Bélanger, Ph.D., est professeur titulaire au Département de communication
et membre de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université
d’Ottawa. Ses recherches portent sur divers sujets liés aux médias et au
divertissement tels que la net-amorphose des industries médiatiques canadiennes,
les politiques de radiodiffusion et de télécommunication canadiennes et le modèle
d’affaires des dispositifs de communication mobiles.
8
Mars 2017
LES DONNÉES AU SERVICE DE LA CULTURE
Bien des gens considèrent les données personnelles comme le pétrole de
l’économie numérique. On estime d’ailleurs que le volume de données produites
double tous les deux ans. De prime abord, les expressions big data,« intelligence
artificielle » et « algorithme mathématique » ne semblent avoir qu’un rapport très
éloigné avec la culture. Pourtant, le succès de Netflix, par exemple, est attribuable
non pas à la quantité de films disponibles dans son répertoire en ligne mais bien à
l’algorithme d’analyse qui permet de personnaliser les suggestions de films pour
chacun de ses abonnés. C’est tout aussi vrai pour de nombreux services en ligne
(plateformes musicales, lecture de vidéos, diffusion en continu, médias sociaux,
moteurs de recherche, etc.).
Cependant, le secteur culturel québécois n’a pas encore saisi tout le potentiel que
recèlent les données. Dans le domaine des arts de la scène, c’est encore l’abonné
qui est roi. Une telle situation est compréhensible quand on sait qu’il est possible de
fidéliser le public grâce à une offre de programmation qui le fera se déplacer
plusieurs fois par année. Mais de nos jours, les gens hésitent avant de prendre un
engagement à long terme et de réserver leurs places longtemps d’avance. De plus,
ils ont davantage de choix. En ce mois de mars, par exemple, on pouvait choisir
parmi 528 offres culturelles afin d’agrémenter ses soirées, et ce, uniquement dans le
Quartier des spectacles à Montréal. Depuis quelques années, les organismes de
9
diffusion culturelle se soucient davantage d’offrir un meilleur service et de recueillir
des données sur leur clientèle. Ils organisent ainsi des groupes de consultation afin
d’améliorer leur programmation et de conquérir un plus vaste public.
Chacun de leur côté et en dépit des maigres moyens dont ils disposent, ils font de
leur mieux pour que le public découvre leurs propositions artistiques. Collectivement,
ils totalisent 1,8 million de billets vendus dans le Quartier des spectacles à lui seul,
qui couvre environ 1 km2. Ce nombre représente 26 % de tous les billets de
spectacles vendus au Québec chaque année. C’est ici que l’idée de la mutualisation
des données devient intéressante, et pas seulement pour des questions d’ordre
budgétaire. En effet, grâce à la masse d’information recueillie, on peut réaliser des
analyses détaillées et concevoir des modèles mathématiques et des algorithmes de
recommandations qui permettent de filtrer les informations et de faire des prédictions
selon les intérêts de la clientèle. Le spectateur potentiel pourra ainsi découvrir ce
petit bijou de spectacle présenté par un multi-instrumentiste dans une église dont il
n’aurait jamais entendu parler autrement.
À eux seuls, les organismes culturels ne disposent pas d’assez d’information pour
connaître les intérêts généraux d’un spectateur. Ils peuvent seulement proposer de
filtrer les activités en ayant recours à une formule de mots-clés ou de sondages,
selon leur offre particulière. Par contre, en mutualisant les démarches, il devient
possible d’élaborer des modèles ou des matrices qui permettent de corréler les
caractéristiques d’un spectacle et de les jumeler aux préférences de l’auditoire en
fonction de son historique ou de certaines mesures de similarité. C’est là le principe
de base qui explique à la fois la puissance des moteurs de recherche et le succès
de centaines de sites de réservation de billets d’avion, qui ont regroupé leurs
informations afin d’offrir plus de flexibilité et plus d’offres sur mesure.
Un des plus gros enjeux réside dans le fait que dans ces mégabases de données, la
culture locale, la musique francophone et les produits de notre communauté
artistique sont souvent noyés, bien cachés ou tout simplement absents. En plus de
répondre aux intérêts et aux goûts des spectateurs, on souhaite s’assurer que les
prochaines innovations technologiques dans le domaine culturel soient québécoises
ou puissent à tout le moins prendre en compte notre spécificité culturelle à partir de
bases de données solides et fiables.
Les 21 et 22 mars, grâce à l’appui de la société Aimia et de l’Institut de valorisation
des données – et ce, pour la toute première fois –, 24 organismes culturels du
Quartier des spectacles ont franchi ensemble une première étape de mise en
commun de plusieurs millions de données afin de faire progresser cette démarche et
de définir des modèles de mise en marché communs en saisissant mieux les
synergies potentielles et l’appréciation de l’offre culturelle.
10
Éric Lefebvre
Éric Lefebvre est directeur du développement au sein du Partenariat du Quartier des
spectacles, un organisme à but non lucratif qui permet aux principaux acteurs du
territoire de concerter leurs efforts pour intervenir ensemble. Le Partenariat du
Quartier des spectacles a pour mission de contribuer activement, avec les pouvoirs
publics et les divers acteurs intervenant sur son territoire, au développement et à la
mise en valeur culturels du Quartier des spectacles, en intégrant à toutes ses
actions les dimensions urbaine, touristique, sociale et économique.
11
Avril 2017
LE POUVOIR DU CONTENU
Nous le savons : les consommateurs d’aujourd’hui sont extrêmement sollicités. Les
messages et les écrans se multiplient… mais l’attention des auditoires diminue. On
se répète aussi que l’industrie des médias a changé. La réalité, c’est qu’elle change
tous les jours et qu’elle n’est pas la seule à devoir s’adapter. Les entreprises
culturelles doivent elles aussi faire face au changement. Avec la saison des festivals
à nos portes, je vous propose un tour d’horizon de cette adaptation au numérique
par différents acteurs de la scène culturelle montréalaise.
Chez L’Équipe Spectra, qui gère, entre autres, le Festival International de Jazz de
Montréal, les FrancoFolies de Montréal et Montréal en Lumière, l’arrivée le
numérique et le marketing de contenu est d’abord venue d’un désir de faire face à
cette industrie en pleine mutation.
« Les temps changent… Les relations de presse également ! En moins de cinq ans,
les médias se sont complètement métamorphosés. Si certains médias ont su bien
évoluer avec Internet, d’autres n’ont toutefois pas été en mesure de rivaliser avec ce
géant de l’information. Les conséquences ont été désastreuses pour certains. Moins
de visibilité = moins de revenus = moins de journalistes = moins d’espace pour les
sections culturelles. Ainsi, sans exception, tous les attachés de presse œuvrant
dans le domaine fragile des arts et de la culture n’ont guère eu le choix d’investir
12
temps et argent dans les médias sociaux. Et la majorité en sort gagnante ! Grâce à
une conseillère en communications numériques, nous pouvons enfin mieux contrôler
nos messages clés, rejoindre beaucoup plus rapidement notre clientèle cible et, en
tant qu’employeur, utiliser davantage la créativité de nos ressources à l’interne, car
nous avons désormais beaucoup plus de marge de manœuvre qu’avec les médias
traditionnels. Un – grand – bien pour un mal, diront certains ! » – Greg Kitzler,
directeur, relations de presse et médias sociaux, L’Équipe Spectra
Pour les entreprises du milieu du divertissement qui souhaitent créer un sentiment
d’appartenance auprès de leurs clients potentiels et prolonger le cycle de leur
événement, qu’il s’agisse de la diffusion d’une émission de télévision ou d’un concert
extérieur pendant un festival, une stratégie de communication intégrée est
essentielle. Même si son offre est unique et alléchante, tant en matière de
programmation que d’installations, chaque festival ou manifestation culturelle a
besoin d’une stratégie pour faire sa place et perdurer : une marque forte, des
équipes de publicité et de relations de presse chevronnées… et du contenu de
qualité qui dure, qui fait vivre l’événement avec plus d’ardeur, qui transforme chaque
expérience en souvenir durable.
« Aujourd’hui, Il est primordial d’apprendre à bien communiquer dans les médias
sociaux : élaborer de nouvelles stratégies fréquemment pour s’assurer de toujours
être en avance sur les algorithmes, produire du contenu original et interagir avec les
fans sont nos priorités sur chacune de nos plateformes. Il faut constamment rappeler
aux fans que nous sommes là avec des concerts, des festivals et des événements
qu’ils ne doivent pas manquer ! » – Philip Vanden Brande, gestionnaire, relations de
presse et médias sociaux, evenko
Nous sommes en effet à l’ère du marketing de contenu. Aujourd’hui, il est quasi
impossible d’imaginer une activité d’envergure sans volet numérique. On n’a qu’à
consulter les derniers chiffres du CEFRIO pour savoir que le mobile et la vidéo sont
en progression fulgurante. Les entreprises se doivent d’utiliser les plateformes
numériques et tout ce qu’elles ont à offrir non pas en marge mais bien au cœur
d’une stratégie de communication intégrée.
« Igloofest et Piknic Électronik sont des événements dont les stratégies marketing
sont essentiellement basées sur le numérique et sur le développement de contenus
spécifiques. Au cours des 15 dernières années, nous avons concentré toutes nos
stratégies sur l’utilisation efficace du numérique et des médias sociaux afin de
rejoindre notre clientèle, principalement composée de 18-35 ans. Nous avons bâti
des communautés fortes et impliquées autour de nos marques en misant sur du
contenu de qualité, adapté et ciblé, destiné à un segment de population pour lequel
les médias traditionnels ne sont plus des référents et qui cherche à se retrouver
dans les médias sociaux en fonction de ses centres d’intérêt. Aujourd’hui plus que
jamais, nos stratégies ont comme axes centraux la création de contenu et le
13
marketing numérique. » – Maripierre D’Amour, directrice des communications et du
marketing, Igloofest et Piknic Électronik
Ce type de marketing est avant tout, comme le terme l’indique lui-même, axé sur le
contenu. Heureusement, les grandes manifestations culturelles offrent des
occasions inestimables de générer du contenu original qui peut créer de
l’engagement auprès des festivaliers, susciter un sentiment d’appartenance et de
communauté et prolonger le cycle de vie de l’événement.
Il est important pour un festival que sa programmation et ses activités à venir soient
présentées dans une perspective de vente de billets et d’achalandage, mais pour ce
faire, il faut aussi élargir son contenu.
« Par exemple, la TOHU et Montréal complètement cirque ont créé le blogue Le
Circassien, qui a pour mission de faire découvrir l’univers du cirque au plus grand
nombre. Visant à présenter l’étendue et la diversité de la culture circassienne à
Montréal et dans le monde entier, ce blogue offre des reportages, des entrevues et
des articles de fond sur ce qui se passe sur et derrière la piste, et ce, avec la
collaboration des compagnies et organismes circassiens d’ici. » – Annie Leclerc
Casavant, responsable des communications, Montréal complètement cirque
Plusieurs festivals musicaux, notamment les FrancoFolies de Montréal, font à
longueur d’année la promotion de la musique ou alors font appel à nos souvenirs
avec des extraits de spectacles passés pour susciter un sentiment de nostalgie.
Après tout, comme on aime se le rappeler dans l’industrie, on ne sauve pas des vies
mais on crée du bonheur. Pourquoi ne pas faire durer le plaisir ?
Le hic ?
L’étude Meaningful Brands menée par la firme Havas en 2016 dans 33 pays révèle
que 84 % des gens s’attendent à ce que les marques produisent du contenu.
Pourtant, ce contenu est en majorité considéré comme pauvre et dénué de
pertinence.
Plusieurs entreprises se tournent vers le contenu… parce qu’elles sentent qu’elles
doivent le faire, tout simplement : sans stratégie, sans déterminer quelles
plateformes privilégier ou ce qu’il faut promouvoir, en mettant souvent l’accent sur la
quantité au détriment de la qualité. Du contenu de qualité est nécessairement
divertissant, intéressant ou utile. Surtout, ce contenu doit être divertissant,
intéressant ou utile pour son auditoire, pas seulement pour l’entreprise, ses
employés et ses dirigeants. Souvent, le contenu le plus populaire auprès des
festivaliers n’est pas celui auquel on s’attendait.
« Internet est un vaste terrain de jeu, mais encore faut-il bien connaître le terrain !
C’est pourquoi la présence dans notre équipe d’une personne qualifiée en la matière
est primordiale. Car les règles sur Internet changent constamment. Non seulement il
14
faut toujours être alerte quant aux tendances afin de mieux se démarquer, mais il
faut aussi maîtriser l’art de bien répondre aux clients et d’ainsi contrôler les
messages négatifs qui pourraient nuire à l’entreprise et à son rayonnement futur. » –
Greg Kitzler, directeur, relations de presse et médias sociaux, L’Équipe Spectra
À quoi peut-on s’attendre ?
La saison des festivals approche à grands pas. Que peut-on espérer de nos festivals
montréalais favoris ? Dans le cas des FrancoFolies et du Festival de jazz, il y aura
de la vidéo, de la vidéo et de la vidéo : du contenu vidéo unique, du contenu en
direct et aussi, bien entendu, beaucoup de photos, ainsi que du contenu éditorial
mettant le festivalier et ses besoins à l’avant-plan.
Pourquoi mettre à ce point l’accent sur la vidéo ? Un mot : polyvalence. On peut
avoir recours à la polyvalence pour dresser un bilan, faire découvrir de nouveaux
artistes, mieux faire connaître au public les coulisses d’un événement… Elle est à la
fois pratique, efficace et divertissante pour le consommateur. Le marketing vidéo est
polyvalent et hautement partageable. Sur les plateformes sociales du festival
Montréal en lumière, par exemple, le contenu vidéo est de loin le plus populaire et le
plus partagé.
Laurence Beauchemin
Laurence Beauchemin est conseillère en communications numériques pour L’Équipe
Spectra (Festival International de Jazz de Montréal, Francos de Montréal, Montréal
en Lumière), où elle est responsable de la stratégie médias sociaux et de la
production vidéo. Passionnée de communications numériques, Laurence
Beauchemin met aussi son expertise au service de la fondation evenko et du Pôle
médias HEC Montréal.
Collaborateurs :
Annie Leclerc Casavant, responsable des communications, Montréal complètement
cirque
Greg Kitzler, directeur, relations de presse et médias sociaux, L’Équipe Spectra
Maripierre D’Amour, directrice des communications et du marketing, Igloofest et
Piknic Électronik
Mylène Sénécal, responsable des communications, TOHU
Philip Vanden Brande, gestionnaire, relations de presse et médias sociaux, evenko
15
Mai 2017
MÉDIAS ET DONNÉES, UNE INFLUENCE SUR LA DIFFUSION ET
LA QUALITÉ DE L’INFORMATION ?
Les médias d’information se trouvent bien malgré eux au cœur des bouleversements
causés par l’avènement du secteur numérique et de ses géants, qui carburent aux
données massives générées par leurs utilisateurs. Depuis lors, les mégadonnées
représentent à la fois des menaces et des possibilités pour les entreprises de
presse, dont les modèles d’affaires ont été bousculés et dont les publics se sont
dispersés.
La nature des actions mises en œuvre ou non par les salles de rédaction en ce qui
concerne l’emploi des données influence déjà la diffusion et la qualité de
l’information accessible aux citoyens ainsi que les moyens dont ceux-ci disposent
pour se positionner par rapport à ce qui les entoure.
La circulation de l’information durant la campagne électorale présidentielle de 2016
aux États-Unis illustre une facette de cette dynamique. Tant sur Facebook que sur
d’autres plateformes, nos voisins américains ont assisté à une propagation explosive
de fausses nouvelles, un phénomène auquel nous n’échappons pas. À la suite de
pressions répétées, le média social Facebook a annoncé en décembre dernier qu’il
luttera contre la désinformation en externalisant la vérification des faits à des
institutions comme le Washington Post. Même si ce fléau est loin d’être enrayé, cela
suggère que l’expertise éditoriale peut être compatible avec les rouages
algorithmiques et que le « quatrième pouvoir » peut susciter un développement plus
éthique des modèles statistiques qui ont de véritables effets sur nos vies.
De menace à ressource
Au-delà du rôle de chien de garde que jouent les médias d’information, les enjeux
s’étendent à leur propre utilisation des données. La disponibilité grandissante des
données et des techniques pour les exploiter, combinées aux difficultés accrues
pour atteindre, mobiliser et fidéliser les publics, a conduit plusieurs salles de
rédaction à intégrer l’analyse de données dans leur processus de production et de
diffusion du contenu journalistique. Cette tendance – qui va assurément s’intensifier
– implique des changements technologiques, structurels et culturels majeurs pour
les médias qui ne sont pas issus de l’ère du numérique. Ces transformations sont
loin d’être purement d’ordre pratique. Comme elles orientent l’information rendue
accessible, l’utilisation de la science des données doit être intimement liée à la
mission que chaque média souhaite remplir.
L’exploitation de données – massives ou non – et de techniques comme
l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle ne relève plus de la fiction dans
les salles de rédaction. D’une part, les données servent de matière première aux
16
rares journalistes qui savent les analyser. Il aurait par exemple été surhumain, sans
ces compétences, de décortiquer les 11,5 millions de documents confidentiels
rendus publics dans l’affaire des Panama Papers et de dévoiler les noms de
centaines de milliers de sociétés établies dans des paradis fiscaux ainsi que ceux de
leurs actionnaires, parmi lesquels figuraient des chefs d’État. D’autre part, une autre
utilisation des données en journalisme, cette fois-ci plus délicate, consiste à soutenir
des décisions éditoriales en s’appuyant sur une compréhension profonde des
auditoires. Dans ce cas précis, les obstacles ne sont pas liés à la taille ou à la
composition des données. Le premier défi se trouve à un stade plus rudimentaire.
Information sur mesure
Dans un contexte de mutations continuelles, la définition d’objectifs clairs et, surtout,
de moyens d’évaluer si les stratégies adoptées permettent de les atteindre est
essentielle. Il faut donc déterminer ce qui sera quantifié. La difficulté de cet exercice
réside dans le fait que ce qui est le plus facile à calculer n’est pas nécessairement
ce qui traduit le plus adéquatement les objectifs fondamentaux du journalisme. Le
« clic » fait partie des nombreuses mesures d’audience qui ne peuvent expliquer à
elles seules si un reportage a de la valeur ou non ; leur accorder une importance
disproportionnée, même de manière inconsciente, n’est pas sans conséquences.
La sélection d’indicateurs de performance peut avoir un effet considérable sur la
répartition interne des ressources et sur les orientations que prennent les
professionnels de l’information. D’ailleurs, si cet effet n’était pas souhaitable, il serait
insensé qu’ils consultent fréquemment de tels chiffres. La définition précise du
concept de performance par les médias est donc une étape décisive, puisqu’elle
influe sur l’information que nous recevons.
Les décisions que les gestionnaires de salles de rédaction devront prendre pour
traiter et diffuser chaque nouvelle ne deviendront que plus nombreuses et plus
complexes. Les choix en ce qui concerne les affectations, la segmentation des
publics, le ton, les formats, les plateformes et les moments de diffusion en font entre
autres partie. Par ailleurs, comme c’est le cas dans plusieurs autres secteurs
d’activité, les médias d’information voient les possibilités d’automatisation et de
personnalisation croître et se raffiner avec la quantité de données accessibles.
Auriez-vous par exemple des réticences à recevoir des contenus courts et
schématiques si vous aviez montré un penchant pour ce type de format, tandis que
d’autres utilisateurs recevraient des contenus plus détaillés et plus visuels ?
Évidemment, renforcer les « bulles de filtres » ne contribuerait pas à une démocratie
saine. Le potentiel des données réside dans le fait qu’elles peuvent soutenir les
décisions éditoriales et non les remplacer. Pour arriver à rejoindre un public avec
une offre pertinente et une expérience qui se démarque, la mise à profit des
données peut agir comme support à l’innovation. Les médias d’information doivent
faire preuve d’audace pour saisir ces occasions et bâtir des liens solides avec une
17
population submergée par des contenus de toute sorte. Ultimement, leur réussite ou
leur échec influencera la façon dont nous comprenons le monde où nous évoluons.
Marina Pavlovic-Rivas, M. Sc.
Diplômée en intelligence d’Affaires, Marina Pavlovic-Rivas est consultante en
analytique numérique pour la Banque de développement du Canada (BDC)
et collabore au Pôle médias HEC Montréal.
*Cet article est paru dans le dossier spécial « Faites parler les mégadonnées » de la
revue Gestion, printemps 2017.
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Juin 2017
LEGS DU 375E : QUEL HÉRITAGE POUR L’INDUSTRIE DE LA
CULTURE ET DU DIVERTISSEMENT ?
Tout au long de notre travail de conception des célébrations du 375e anniversaire de
Montréal, nous avons eu pour objectif de réaliser des projets qui iraient au-delà de
2017.
Nous voulions changer les choses de façon durable, notamment pour l’industrie de
la culture et du divertissement. Voici comment nous avons tout mis en œuvre pour y
parvenir.
Dès l’étape de la planification, il était clair pour nous que nous devions réfléchir en
ayant la pérennité à l’esprit. Ainsi, chaque fois que nous avons créé une activité ou
que nous en avons coproduit une, nous avons demandé aux organisateurs
d’imaginer à quoi celle-ci ressemblerait l’année d’après et les trois années suivantes.
Nous leur avons demandé une programmation pluriannuelle. C’est la façon de
penser que nous avons tenté d’inculquer aux promoteurs et aux producteurs, et
nous croyons que cela a eu un effet très positif.
En ce qui concerne nos choix de programmation, nous avons pris des risques et fait
des tests qui, au final, ont réussi à enrichir l’offre montréalaise en matière de
tourisme, de culture et de divertissement.
19
Nous avons par exemple été les instigateurs des Hivernales et de la Classique
Montréalaise, le tournoi de hockey en plein air au parc Jean-Drapeau. Près de 1 000
joueurs ont participé au premier tournoi, l’hiver dernier, et il y a déjà une liste
d’attente pour l’année prochaine. Pour ce qui est de l’engouement et de la pérennité,
nous croyons donc que c’est un succès !
De la même manière, à l’occasion du 375e, l’Igloofest 2017 a augmenté de 30 % sa
durée et son achalandage. Il a vraiment fait des petits, au point où les propriétaires
du concept sont en train de développer leur produit afin de l’exporter dans le monde
entier.
Ces deux legs constituent un héritage considérable du 375e pour l’industrie du
divertissement et auront des retombées bien au-delà du 2017.
Au cours de la période estivale, nous testons également la formule du théâtre d’été.
Traditionnellement, les troupes de théâtre ne jouent pas l’été : c’est la période des
vacances. Sauf que l’été est aussi la plus grosse période d’affluence touristique de
l’année à Montréal. Nous essayons donc de créer ce créneau avec À nous la
scène, un festival durant lequel seront présentés 11 spectacles en salle sur
différentes scènes de Montréal. À nous la rue !, le plus grand événement de théâtre
de rue jamais tenu en Amérique du Nord, présentera par ailleurs quelque 800
prestations extérieures gratuites. Cela permettra à certaines troupes du Québec de
se développer, de se faire connaître et sans doute de rayonner pour arriver à
s’exporter. Toutes ces activités pourraient bien représenter des legs de premier plan
pour le secteur culturel montréalais.
Le pont avec les générations futures
Quels seront les principaux legs pour l’industrie de la culture et du divertissement à
Montréal ? Il y a bien sûr l’illumination du pont Jacques-Cartier. C’est un héritage qui
sera encore visible dans 10, 15 ou 20 ans, voire 50 ans. En fait, j’ai l’impression que
ce sera là pour toujours ! C’est un bel exemple d’intégration des nouvelles
technologies dans un produit de divertissement qui crée un nouvel attrait touristique
de calibre mondial.
Dans le même ordre d’idées, je pense aussi à la Biosphère, un élément phare de
l’identité de la ville un peu délaissé que nous avons en quelque sorte ressuscité en y
installant un éclairage multicolore. Ancien pavillon des États-Unis durant Expo 67,
c’est ce bâtiment qui a été le plus fréquenté à l’époque avec 5,3 millions de visiteurs.
C’est donc une façon de redonner un peu de fierté à l’Exposition universelle de
1967, un événement culturel capital qui célèbre cette année son 50e anniversaire, et
de faire de cet édifice unique un legs aux Montréalais pour les 20 prochaines
années.
Faire sa place au cœur de Montréal
20
Mon espoir, pour tous ces legs, est non seulement qu’ils existent le plus longtemps
possible mais aussi, bien sûr, qu’ils soient rentables. Je souhaite qu’il y ait un grand
nombre de gens qui participent à toutes ces activités, de sorte qu’elles finissent par
faire partie de l’ADN de Montréal.
Dans ce contexte, un legs réussi, pour moi, doit avant tout servir à rendre hommage
aux racines montréalaises. Il doit être pertinent, résonner et rayonner. Le musée
Pointe-à-Callière, créé en 1992 pour le 350e anniversaire de Montréal, est un bon
exemple de legs culturel réussi. C’est un élément qui a bien vieilli et qui fait partie
des traits caractéristiques de notre ville.
Serons-nous capables de recréer un tel succès pour le 375e ? Je ne suis pas devin,
mais si les Montréalais retiennent quelque chose des festivités de cette année, j’ai
l’impression que ce sera le pont Jacques-Cartier illuminé. C’est une réalisation qui a
certainement permis de transformer le travail d’équipe, mis en vedette une facette
du merveilleux talent créatif montréalais, qui a frappé l’imaginaire des citoyens et
des visiteurs ainsi que de faire rayonner Montréal partout sur la planète.
Alain Gignac
Alain Gignac est directeur général de la Société des célébrations du 375e
anniversaire de Montréal, un organisme à but non lucratif qui a pour mandat
d’organiser les festivités et contributions socio-économiques qui marqueront le
375e anniversaire de Montréal en 2017.
Article écrit en collaboration avec Simon Lord.
21
Septembre 2017
L’AUTHENTICITÉ, UNE CARACTÉRISTIQUE FINANCIÈREMENT
INTÉRESSANTE
Pour les artistes de l’industrie musicale, l’acquisition et le maintien d’une notoriété ne
représentent plus le principal défi de nos jours. Au contraire, deux grands
phénomènes semblent avoir des répercussions sur leurs valeurs et changer la façon
dont ils produisent leur art : la culture du « restez vous-mêmes » (« keep it real »),
qui s’impose comme un élément essentiel du marketing des artistes, ainsi que la
transformation des habitudes de consommation musicale du public.
Le premier phénomène fait référence aux artistes qui réussissent à rester
authentiques et fidèles à eux-mêmes et qui ne renient pas leur intégrité dans le seul
but de générer des profits, et ce, malgré le fait qu’ils évoluent dans une industrie où
l’entretien d’une certaine image est à la base du succès (Hracs et al., 2016). Ainsi
que l’a affirmé Katonah Rafter, vice-présidente marketing de l’agence américaine
Fame House, « il est essentiel […] de ne jamais sous-estimer le facteur de
l’authenticité. Nous essayons donc de susciter des liens avec les fans qui soient
fondés sur des émotions profondes et sincères » (cité dans Etlinger, 2016). Par
conséquent, dans le domaine artistique, nous définissons l’authenticité de la façon
suivante : perception selon laquelle un artiste fait preuve d’un talent et d’une
originalité qui reflètent son vrai soi et agit en fonction de motivations intrinsèques, de
22
façon cohérente avec ses valeurs profondément ancrées et non dans le seul but de
plaire au marché, d’attirer l’attention ou de générer des profits, le tout de façon
stable et continue dans le temps (Armstrong, 2004 ; Ilicic et Webster, 2016 ;
Mattsson et al., 2010 ; Moulard et al., 2015 ; Moulard et al., 2014 ; Preece, 2015).
Le second phénomène, pas nouveau mais toujours actuel, concerne les
changements constants des comportements qu’adopte le public en matière de
consommation de musique, notamment le piratage et l’utilisation de plateformes
de streaming (IFPI, 2015). Puisque les ventes d’albums ne représentent plus la
principale source de revenus pour les artistes, ceux-ci doivent se tourner vers
d’autres moyens, par exemple les concerts ou les contrats publicitaires. Ainsi, notre
étude avait pour objectif principal de saisir les effets de l’authenticité perçue d’un
artiste sur certaines variables, parmi lesquelles la volonté de payer pour se procurer
un billet de concert ou un produit dont cet artiste aurait fait la promotion, l’intention
de pirater sa musique ainsi que la qualité perçue de son œuvre musicale.
Afin de vérifier notre hypothèse, nous avons créé de toute pièce un nouvel artiste,
Hugo Miller, et avons élaboré des scénarios le présentant de façon faiblement et
fortement authentique. À titre d’exemple, un artiste faiblement authentique modifie
sa voix en ayant recours à des artifices électroniques, suit les tendances, dit ce que
le public veut entendre et cherche à attirer l’attention, alors qu’un artiste fortement
authentique est tout le contraire. Par ailleurs, nous avons présenté une chanson
intitulée Inside Your Mind de Gypsy & The Cat, un groupe émergent australien,
puisque celle-ci était inconnue du public cible et qu’il était donc possible de faire
croire qu’il s’agissait d’une chanson de Hugo Miller. Au total, plus de 80 participants
(résidant aux États-Unis et âgés de 25 à 34 ans) ont répondu à notre questionnaire
portant sur les éléments suivants : Hugo Miller lui-même, la qualité de la musique de
cet artiste (fictif), leur volonté de payer pour assister à un de ses concerts ou pour
acheter une paire d’écouteurs dont il aurait fait la promotion ainsi que leur intention
de pirater sa musique.
Les résultats obtenus indiquent que les participants ont attribué un score moyen de
4,32 sur 7 à la qualité de la musique de Hugo Miller lorsque celui-ci était présenté de
façon inauthentique, alors que ce score augmentait à 5,21 sur 7 dans le scénario de
l’authenticité. De la même façon, ils étaient prêts à payer jusqu’à 22,15 $ US pour
assister à un concert de cet artiste dans le premier cas et 33,05 $US dans le
second, ce qui représente une augmentation de 49,2 %. En ce qui concerne le
produit promu, ils avaient l’intention de payer seulement 36,07 $ US pour acheter la
paire d’écouteurs dans le cadre du premier scénario, mais ce prix augmentait à
52,03 $ US dans le second. Toutefois, contrairement à nos prévisions, les
participants avaient davantage l’intention de pirater la musique de Hugo Miller
lorsqu’il était présenté et considéré comme étant fortement authentique. En
revanche, cela pourrait tout simplement signifier qu’ils avaient davantage l’intention
23
de consommer sa musique, le piratage étant pratiqué par plus de 66 % des
participants (Moulard et al., 2014).
En somme, les résultats de nos travaux indiquent que des caractéristiques
abstraites comme l’originalité, la discrétion et l’affirmation de valeurs en lesquelles
l’artiste croit profondément ont des conséquences directes sur ses revenus ainsi que
sur ceux des marques auxquelles il s’associe. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’il est
important de ne pas négliger cet attribut dans le management d’une image de
marque.
Afin d’aller un peu plus loin dans votre réflexion sur le thème exploré, cliquez ici pour
consultez le court rapport d’expertise des auteurs sur l’impact de l’authenticité
perçue d’un artiste sur le comportement financier des consommateurs.
Émilie Tremblay et Danilo C. Dantas
Émilie Tremblay est titulaire d’une maîtrise en marketing de HEC Montréal et Danilo
C. Dantas est professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.
Ce texte basé sur les travaux de recherche d’Émilie Tremblay et de Danilo Dantas.
Sources:
Armstrong, E. G., « Eminem’s Construction of Authenticity », Popular Music and Society, vol. 27,
n° 3, 2004, p. 335-355.
Etlinger, S., The Data-Driven Business: How Industry Leaders Use Data to Create Value (rapport
de recherche),Altimeter, A Prophet Company, 2016, 31 p.
Hracs, B. J., M. Seman et T. E. Virani, The Production and Consumption of Music in the Digital
Age, New York, Routledge, 2016, 278 p.
International Federation of the Phonographic Industry, IFPI Digital Music Report 2015, 44 p.
Ilicic, J. et C. M. Webster, « Being True to Oneself: Investigating Celebrity Brand
Authenticity », Psychology & Marketing, vol. 33, n° 6, juin 2016, p. 410-420.
Mattsson, J. T., M. Peltoniemi et P. M. T. Parvinen, « Genre-deviating artist entry: the role of
authenticity and fuzziness », Management Decision, vol. 48, n° 9, 2010, p. 1355-1364.
Moulard, J. G., C. P. Garrity et D. H. Rice, « What Makes a Human Brand Authentic? Identifying
the Antecedents of Celebrity Authenticity », Psychology & Marketing, vol. 32, n° 2, 2015, p. 173-
186.
Moulard, J. G., D. H. Rice, C. P. Garrity et S. M. Mangus, « Artist Authenticity: How Artists’
Passion and Commitment Shape Consumers’ Perceptions and Behavioral Intentions across
Genders », Psychology & Marketing, vol. 31, n° 8, 2014, p. 576-590.
Preece, C., « The authentic celebrity brand: Unpacking Ai Weiwei’s Celebritised Selves », Journal
of Marketing Management, vol. 31, n° 5, 2015, p. 616.
24
Octobre 2017
LES DONNÉES EN CULTURE : UNE MINE D’OR POUR LA
RECHERCHE
Les organismes culturels contribuent à l’avancement accéléré de la recherche en
marketing de données en raison notamment de leur grand intérêt à partager leurs
informations. Ce faisant, non seulement ils font progresser le savoir, ils s’assurent
également d’intensifier leur rayonnement. Voici comment.
Il existe actuellement trois grands axes de recherche en marketing de données. Le
premier porte sur les organisations ainsi que sur leurs façons de fonctionner et de
prendre des décisions. Le deuxième a pour objectif de déchiffrer le comportement
du consommateur, c’est-à-dire, ici, le spectateur ou le public. Le troisième se penche
sur les œuvres elles-mêmes dans le but de comprendre, par exemple, les
déterminants de leur performance économique.
Avec mes collègues, j’ai notamment réalisé deux études qui suivent ces axes de
recherche.
Le premier article, en collaboration avec mes collègues Denis Larocque et Sandra
Laporte ainsi que deux étudiants, Soraya Belmati et Thomas Boquet, a été publié
l’an dernier*. Il visait à vérifier si la critique avait un effet commercial sur les films
seulement en raison de son influence sur le consommateur. Nous avons donc
analysé des données massives de Cinéac sur les entrées au cinéma, par film et par
25
semaine, depuis le début des années 2000. Notre conclusion ? Les films qui
reçoivent d’excellentes critiques restent à l’écran plus longtemps, même en tenant
compte de leur performance au cours des semaines précédentes. Cela suggère que
la critique influence la décision des propriétaires de salles de cinéma à continuer à
offrir un film ou pas. La critique influence donc le succès commercial d’une œuvre en
raison de son effet non seulement sur les décisions des consommateurs mais aussi
sur celles des intermédiaires.
Le deuxième article, co-écrit avec Tara McGrath et Sylvain Sénécal, doit paraître
sous peu dans le Journal of Cultural Economics**. Dans ce texte, mes collègues et
moi voulions étudier les enjeux et les problématiques du financement des orchestres
canadiens. Rien de tel n’avait été fait au pays auparavant. La littérature traitait
surtout des organismes américains et nous avions l’intuition que la situation était
différente ici. Au final, nous avons scruté les données de 44 orchestres du Canada
sur une période de sept ans. Nous avons découvert que les orchestres canadiens
sont plus disciplinés financièrement que leurs vis-à-vis américains et que cette saine
gestion est attribuable notamment aux règles et exigences des divers bailleurs de
fonds publics, qui les financent à la hauteur de 30 ou 40 %. Une étude comme celle-
ci profite naturellement aux orchestres eux-mêmes puisque leurs gestionnaires
savent maintenant ce qu’ils font de bien. Ils peuvent donc utiliser ces faits avérés
pour documenter leur bonne gestion, attirer davantage de fonds et assurer leur
pérennité.
Un milieu enthousiaste
Comparativement à d’autres industries ou secteurs d’activité, le domaine de la
culture est un terreau très fertile pour faire progresser la littérature scientifique
portant sur le marketing de données. En effet, les acteurs du milieu culturel sont
ouverts et enthousiastes à l’idée de collaborer avec le milieu universitaire pour faire
avancer la recherche, et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les gens du milieu artistique sont naturellement passionnés. S’ils ont
choisi la culture, c’est parce qu’ils y croient vraiment. On ne choisit par l’art pour
l’argent. Les gestionnaires sont donc curieux, allumés, mobilisés et impliqués. Ils
veulent savoir. Ils ont envie de connaître les dynamiques de leurs organisations et
de leur marché. Quand on leur donne un coup de fil pour leur dire qu’un de nos
étudiants à la maîtrise aimerait avoir accès à leurs données dans le cadre de son
mémoire, ils nous rappellent toujours. L’intérêt est tangible.
Ensuite, on observe que le milieu des arts vivants éprouve le besoin de s’ouvrir au
phénomène des données. On sait qu’il faut pouvoir mieux connaître le public afin de
s’assurer qu’il ne déserte pas les salles pour consommer plutôt de la culture à la
maison par d’autres moyens, comme Netflix. Les données constituent un solide
26
levier économique qui permet aux organisations de répondre aux défis qui les
attendent et d’assurer leur rayonnement.
Enfin, le milieu culturel ne baigne pas dans l’argent. Ainsi, l’expertise technique
nécessaire à l’analyse des données est parfois au-delà de ses moyens. Lorsque se
présente une occasion de laisser le milieu universitaire exploiter ses données pour
ensuite lui livrer un savoir potentiellement très utile, le domaine culturel est
généralement emballé.
Une recherche féconde et pratique
La mutualisation des données, c’est-à-dire la mise en commun des données de
plusieurs organismes du domaine culturel, est porteuse de grandes promesses.
C’est d’ailleurs ce qu’ont fait en mars dernier 19 organismes culturels du Quartier
des spectacles en collaboration avec l’entreprise Aimia. L’Institut de valorisation des
données, une organisation à laquelle est associée HEC Montréal et qui a pour
vocation de regrouper des professionnels et des chercheurs afin de développer
l’expertise notamment dans les sciences des données, était aussi de la partie.
Grâce à cette collaboration, les organismes culturels savent maintenant, par
exemple, que les gens qui achètent des billets de concert le font plutôt le midi et que
le public qui achète des billets d’opéra le fait plutôt vers l’heure du souper. Cette
première expérience de mutualisation des données a mené à la création du
Carrefour de philanthropie des données, que je dirige avec mon collègue Marc
Fredette, professeur titulaire au Département de sciences de la décision de HEC
Montréal. Ce carrefour vise à mettre en rapport les organismes à but non lucratif
(OBNL), les universités et les entreprises dans une optique de formation et de
transfert de connaissances dans le domaine de la science des données.
On peut affirmer que ce ne sont pas les occasions de recherche qui manquent pour
l’instant. Il y a tellement de données et si peu de recherche effectuée à ce jour qu’il
devient même difficile de décider quel chemin suivre.
Comment choisir la voie à emprunter, le sujet à étudier ? Je pense qu’il faut avant
tout s’assurer d’être pertinent pour le gestionnaire. Nos conclusions doivent être
utiles aux organismes culturels. Personnellement, j’étudie le milieu de la culture
parce que j’aime les arts. Il est donc important pour moi d’aider les gestionnaires à
bien mener leur entreprise.
Un organisme culturel bien géré est un organisme prêt à rayonner.
27
Renaud Legoux
Renaud Legoux est professeur agrégé au Département de marketing de HEC
Montréal.
Article écrit en collaboration avec Simon Lord, journaliste
Sources:
* Legoux, Renaud, Larocque, Denis, Laporte, Sandra, Belmati, Soraya, et Boquet, Thomas,
« The effect of critical reviews on exhibitors’ decisions: Do reviews affect the survival of a movie
on screen? », International Journal of Research in Marketing, vol. 33, no 2, 2016, p. 357-374.
** McGrath, Tara, Legoux, Renaud, et Sénécal, Sylvain, « Balancing the score: the financial
impact of resource dependence on symphony orchestras », Journal of Cultural Economics, 2016,
p. 1-19 (statut : en ligne).
28
Novembre 2017
COMPRENDRE LES INTERACTIONS DANS LES MÉDIAS SOCIAUX
POUR MIEUX VENDRE
Les médias sociaux sont au cœur de la stratégie marketing de bien des entreprises,
mais peu d’entre elles savent vraiment ce qu’elles devraient publier afin de
maximiser leurs retombées. Quel type de contenu génère le plus fort engagement –
et le plus de ventes – auprès des clients ?
Ce sont les questions auxquelles mes collègues Luca M. Visconti, Michael Haenlein
et Tolga Cenesizoglu ainsi que moi-même avons tenté de répondre dans l’article
« Marketer-Generated Content, Commercial Performance, and Engagement in
Online Communities », à paraître sous peu. Pour y arriver, nous avons construit un
modèle théorique destiné à expliquer les ventes d’une entreprise en fonction des
caractéristiques du contenu publié dans les médias sociaux.
Plus précisément, ce modèle devait nous servir à évaluer l’effet de ces
caractéristiques en nous penchant sur quatre dimensions. La première était
l’intention ou non de générer, grâce au contenu publié, des interactions, voire un
attachement social ou émotionnel, entre le public du média social et la marque ou le
produit présenté. La deuxième était l’intention ou non de démontrer la qualité du
produit. La troisième était simplement une description du contenu : s’agissait-il d’une
publication longue, moyenne, courte ? Y avait-il des images ou des vidéos ? Des
29
hyperliens ? La quatrième dimension permettait d’établir si le contenu avait pour
objectif ou non de vendre quelque chose.
Nous avons ensuite tenté d’estimer empiriquement dans quelle mesure ces
caractéristiques pouvaient permettre de prédire les ventes. Nous avons réalisé deux
analyses sur cette question.
La première analyse portait sur le contenu publié sur Facebook par l’industrie de la
musique. Plus précisément, nous avons focalisé notre attention sur l’écoute de
musique diffusée en continu (streaming) et sur les ventes de chansons en format
numérique. Nos résultats ? Les caractéristiques mentionnées ci-dessus peuvent à
elles seules expliquer de 40 à 60 % des ventes dans ce cas précis.
La deuxième analyse portait quant à elle sur l’industrie du jeu vidéo. Nous avons
donc évalué les caractéristiques du contenu publié par une grande entreprise, dont
le nom doit rester confidentiel, sur son propre site web ainsi que sur Facebook,
Instagram, Twitter et Twitch. Nous avons ensuite mis à l’épreuve notre modèle pour
enfin découvrir que les caractéristiques du contenu pouvaient expliquer 68 % des
ventes de jeux et de marchandises connexes.
Ces résultats sont incroyables. Il s’agit d’un coup de circuit, d’une vraie mine d’or. Il
est très rare de parvenir à expliquer si solidement un phénomène social avec un
modèle théorique. Au cours de ma carrière, je n’avais pas encore réussi à construire
un modèle qui soit capable d’expliquer si bien la réalité. Dans mes recherches sur
l’influence de la culture sur le comportement des consommateurs, par exemple, les
modèles théoriques que je mets au point arrivent rarement à expliquer plus de 5 ou
10 % d’un comportement observé.
Du contenu sur mesure
Maintenant, en quoi ces résultats sont-ils utiles ?
Ils sont utiles parce qu’ils montrent que notre modèle permet aux entreprises de
mieux déterminer les types de contenu qu’ils doivent créer s’ils désirent générer un
maximum d’interactions, d’engagement et de ventes.
Déterminer le bon contenu à publier s’avère souvent difficile, puisque les
caractéristiques des publications qui génèrent le plus de ventes diffèrent selon le
secteur d’activité, le produit et le public visé. Sans modèle théorique, décider du
meilleur contenu à publier devient en effet une question d’intuition, et les résultats
sont beaucoup plus aléatoires.
Dans les deux industries que nous avons étudiées, par exemple, la dimension liée à
la création d’interactions et de liens émotionnels est celle qui explique le plus
fortement les ventes. Mais dans une autre industrie ou avec un autre public cible, ce
résultat pourrait être très différent.
30
Pour un gestionnaire d’entreprise, l’utilisation d’un tel modèle afin de déterminer les
caractéristiques les plus souhaitables des contenus à publier dans les médias
sociaux devient donc très intéressante. Non seulement la recette est personnalisée
dans le but de maximiser l’effet sur les ventes d’une entreprise spécifique, mais
cette information ne peut en aucun cas être utilisée par un concurrent.
Intelligence artificielle… et insuffisante
L’intelligence artificielle et l’apprentissage machine sont actuellement porteurs de
grandes promesses. C’est du moins ce qu’on entend dire. Grâce à des techniques
sophistiquées, les ordinateurs peuvent ainsi découvrir des liens entre les données.
Le hic, c’est que ces liens sont souvent superficiels et pas nécessairement utiles. La
recherche scientifique reste donc plus pertinente que jamais : notre étude le
démontre.
Nos résultats sont solides parce que l’analyse est plus profonde. C’est pourquoi
nous avons réussi à montrer avec beaucoup de certitude qu’il était important de bien
comprendre les caractéristiques des contenus dans les médias sociaux si on désire,
au final, maximiser l’engagement et les ventes.
Marcelo Vinhal Nepomuceno
Marcelo Vinhal Nepomuceno est professeur agrégé au Département de marketing
de HEC Montréal.
Article écrit en collaboration avec Simon Lord
31
Décembre 2017
LES NOUVEAUX JOUEURS DE L’INDUSTRIE DU CINÉMA
Depuis quelques années, Netflix bouscule la vieille garde de l’industrie
cinématographique – sans parler des gouvernements – dans une trame narrative
fortement teintée d’enjeux de distribution. Au même moment, d’autres nouveaux
joueurs émergent et les anciens se renouvellent. Que se passe-t-il donc dans
l’industrie du cinéma ?
Ce à quoi nous assistons est un ensemble de phénomènes assez classiques qui ont
touché bien d’autres secteurs d’activité. Je pense notamment à la désintermédiation
et à la réintermédiation dans le domaine de la distribution de films. Toutefois, la
dynamique la plus importante est sans doute l’intégration verticale, soit la tendance
d’un acteur de l’industrie à jouer un rôle préalablement occupé par plusieurs
intermédiaires de distribution. On le voit avec Netflix : c’est un intégrateur redoutable
qui fait complètement exploser les catégories classiques. Non seulement il distribue
des films et des émissions de télé, mais il programme et produit aussi du contenu,
en plus de diffuser le contenu des autres.
Toutefois, ce rôle de perturbateur de l’industrie rend parfois la vie compliquée à
Netflix. Cette entreprise s’est par exemple fait huer au printemps dernier au Festival
de Cannes, principalement par les vieux joueurs du cinéma. Elle se retrouve
32
également au cœur de débats partout dans le monde au sujet de la taxation de son
service, notamment au Québec avec ce qu’on appelle la taxe Netflix.
Cette entreprise est exceptionnelle parce qu’elle a changé de modèle d’affaires trois
fois, un exploit que même Google et Microsoft n’ont jamais réussi complètement. À
ses débuts, Netflix expédiait par courrier des DVD que les consommateurs lui
retournaient ensuite de la même façon. C’était alors une entreprise de logistique.
Quand la diffusion en continu sur Internet, ou streaming, est devenue plus populaire,
l’entreprise a mis à la porte ses logisticiens pour les remplacer par des
programmeurs et a commencé à diffuser du contenu en ligne. Elle adoptait ainsi son
deuxième modèle d’affaires. Se sentant menacée, l’industrie s’est alors mise à lui
fournir de moins en moins de contenu de qualité. En réponse, Netflix s’est
transformée une nouvelle fois et a commencé à produire son propre contenu :
troisième modèle d’affaires. L’an prochain, elle devrait dépenser huit milliards de
dollars en production de contenu.
Pour le consommateur québécois, il y a un risque de voir moins d’œuvres qui lui
ressemblent. Il est vrai que Netflix, compte tenu de son statut de géant mondial
du streaming, peut prendre davantage de risques et offrir des produits nichés :
séries sur l’histoire, documentaires à caractère social, moyens métrages, etc. Mais
la culture est un vecteur d’identité, et un gros joueur comme Netflix est plutôt
réfractaire à l’idée d’un marché local ou d’un grand nombre de marchés locaux. En
d’autres mots, Netflix a peu à faire de l’identité canadienne et québécoise.
Les autres acteurs
Plusieurs acteurs ont jusqu’à présent tenté de trouver un filon intéressant dans cette
industrie changeante. Certains ont plus de succès que d’autres. Shomi, par
exemple, le service de vidéo en continu de Rogers et de Shaw qui voulait
concurrencer Netflix sur le marché canadien, n’a pas fonctionné : il a fermé en
novembre 2016. Mais Roku, qui vend des boîtiers Internet pour téléviseurs, se
débrouille bien. YouTube prévoit bonifier sa programmation et Amazon produit de
bonnes séries télévisuelles. Tout le monde cherche un modèle pour profiter des
nouveaux modes de diffusion. Tout le monde veut se différencier. Même les vieux
joueurs se transforment en offrant de nouveaux services.
Les cinémas, par exemple, ont perdu leur fenêtre de distribution exclusive et doivent
donc déterminer ce qui les rend particuliers. Leur avantage concurrentiel peut être,
bien entendu, la taille de l’écran : certains films sont tout simplement meilleurs au
cinéma. Blade Runner 2049, par exemple, est hypnotisant lorsqu’on le voit en salle.
Même chose pour Arrival, un autre film de Denis Villeneuve : je l’ai vu au cinéma et
aussi sur une télévision, et ce n’est absolument pas la même expérience.
Le Cinéma Dollar, lui, se distingue en étant très abordable. À l’autre extrémité du
spectre, les cinémas VIP misent sur une clientèle de 18 ans et plus qui peut
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commander de l’alcool, qui désire profiter d’un siège confortable et qui préfère éviter
les planchers collants. Mais le prix est plus élevé. Plusieurs cinémas diffusent des
manifestations sportives ou des manifestations artistiques, comme les spectacles du
Metropolitan Opera. D’autres salles, souvent en région, ont décidé d’opter pour
l’événementiel et de jouer de nouveau un rôle central dans leur communauté. En
moyenne, un cinéma est occupé à moins de 20 % de sa capacité, un chiffre qui
cache la réalité suivante : une salle de cinéma est souvent pleine le samedi soir
mais vide le mercredi après-midi, une plage horaire qui convient bien à diverses
activités d’entreprises.
Le monde du cinéma et de la télé n’a donc pas fini de se transformer. Netflix
s’emparera-t-elle de l’ensemble du marché ? Quelle sera l’issue des combats entre
les différents acteurs de l’industrie ? Quels joueurs sortiront vainqueurs ? C’est à
suivre.
Renaud Legoux
Renaud Legoux est professeur agrégé au Département de marketing de HEC
Montréal.
Article écrit en collaboration avec Simon Lord.