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  • Emile Benveniste

    L'appareil formel de l'nonciationIn: Langages, 5e anne, n17, 1970. pp. 12-18.

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    Benveniste Emile. L'appareil formel de l'nonciation . In: Langages, 5e anne, n17, 1970. pp. 12-18.

    doi : 10.3406/lgge.1970.2572

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1970_num_5_17_2572

  • EMILE BENVENISTF Collge de France

    L'APPAREIL FORMEL DE L'NONGIATION

    Toutes nos descriptions linguistiques consacrent une place souvent importante 1' emploi des formes . Ce qu'on entend par l est un < ensemble de rgles fixant les conditions syntadiques dans lesquelles les formes peuvent ou doivent normalement apparatre, pour autant qu'elles relvent d'un paradigme qui recense les choix possibles. Ces rgles d'emploi sont articules des rgles de formation pralablement indiques, de manire tablir une certaine corrlation entre les variations morphologiques et leslatitudes combinatoires des signes (accord, slection mutuelle, prpositions et rgimes des noms et des verbes, place et ordre, etc.). Il semble que, les choix tant limits de part et d'autre, on obtienne ainsi un inventaire qui pourrait tre, thoriquement, exhaustif des emplois comme des formes, et en consquence une image au moins approximative de la langue en emploi.

    Nous voudrions cependant introduire ici une distinction dans un fonctionnement qui a t considr sous le seul angle de la nomenclature morphologique et grammaticale. Les conditions d'emploi des formes ne sont pas, notre avis, identiques aux conditions d'emploi de la langue. Ce sont en ralit des mondes diffrents, et il peut tre utile d'insister sur cette diffrence, qui implique une autre manire de voir les mmes choses, une autre manire de les dcrire et de les interprter.

    L'emploi des formes, partie ncessaire de toute description, a donn lieu un grand nombre de modles, aussi varis que les types linguistiques dont ils procdent. La diversit des structures linguistiques, autant que nous savons les analyser, ne se laisse pas rduire un petit nombre de modles qui comprendraient toujours et seulement les lments fondamentaux. Du moins disposons-nous ainsi de certaines reprsentations assez prcises, construites au moyen d'une technique prouve.

    Tout autre chose est l'emploi de la langue. Il s'agit ici d'un mcanisme total et constant qui, d'une manire ou d'une autre, affecte la langue entire. La difficult est de saisir ce grand phnomne, si banal qu'il semble se confondre avec la langue mme, si ncessaire qu'il chappe la vue.

    L'nonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation.

    L

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    Le discours, dira-t-on, qui est produit chaque fois qu'on parle, cette manifestation de renonciation, n'est-ce pas simplement la parole ? II faut prendre garde la condition spcifique de renonciation : c'est l'acte mme de produire un nonc et non le texte de l'nonc qui est notre objet. Cet acte est le fait du locuteur qui mobilise la langue pour son compte. La relation du locuteur la langue dtermine les caractres linguistiques de renonciation. On doit l'envisager comme le fait du locuteur, qui prend la langue pour instrument, et dans les caractres linguistiques qui marquent cette relation.

    Ce grand procs peut tre tudi sous divers aspects. Nous en voyons principalement trois.

    Le plus immdiatement perceptible et le plus direct bien qu'en gnral on ne le mette pas en rapport avec le phnomne gnral de renonciation est la ralisation vocale de la langue. Les sons mis et perus, qu'ils soient tudis dans le cadre d'un idiome particulier ou dans leurs manifestations gnrales, comme procs d'acquisition, de diffusion, d'altration ce sont autant de branches de la phontique procdent toujours d'actes individuels, que le linguiste surprend autant que possible dans une production native, au sein de la parole. Dans la pratique scientifique, on s'efforce d'liminer ou d'attnuer, les traits individuels de renonciation phonique en recourant des sujets diffrents et en multipliant les enregistrements, de manire ibtenir une image moyenne des sons, distincts ou lis. Mais chacun sait que, chez le mme sujet, les mmes sons ne sont jamais reproduits exactement, et que la notion d'identit n'est qu'approximative l mme o l'exprience est rpte dans le dtail. Ces diffrences tiennent la diversit des situations o renonciation est produite.

    Le mcanisme de cette production est un autre aspect majeur, du mme problme. L'nonciation suppose la conversion individuelle de la langue en discours. Ici la question trs difficile et peu tudie encore est de voir comment le sens se forme en mots , dans quelle mesure on peut distinguer entre les deux notions et dans quels termes dcrire leur interaction. C'est la smantisation de la langue qui est au centre de cet aspect de renonciation, et elle conduit la thorie du signe et l'analyse de la signifiance K Sous la mme considration nous rangerons les procds par lesquels les formes linguistiques de renonciation se diversifient et s'engendrent. La grammaire transformationnelle vise les codifier et les formaliser pour en dgager im cadre permanent, et, d'une thorie de la syntaxe universelle, propose de remonter une thorie du fonctionnement de l'esprit.

    On peut enfin envisager une autre approche, qui consisterait dfinir renonciation dans le cadre formel de sa ralisation. C'est l'objet propre de ces pages. Nous tentons d'esquisser, l'intrieur de la langue, les caractres formels de renonciation partir de la manifestation individuelle qu'elle actualise. Ces caractres sont les uns ncessaires et permanents, les autres incidents et lis la particularit de l'idiome choisi. Pour la commodit, les donnes utilises ici sont tires du franais usuel et de la langue de la conversation .

    1. Nous en traitons particulirement dans une tude publie par la revue Semio- tica, I, 1969.

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    Dans renonciation, nous considrons successivement l'acte mme, les situations o il se ralise, les instruments de l'accomplissement.

    L'acte individuel par lequel on utilise la langue introduit d'abord le locuteur comme paramtre dans les conditions ncessaires renonciation. Avant renonciation, la langue n'est que la possibilit de la langue. Aprs renonciation, la langue est effectue en une instance de discours, qui mane d'un locuteur, forme sonore qui atteint un auditeur et qui suscite une autre nonciation en retour.

    En tant que ralisation individuelle, renonciation peut se dfinir, par rapport la langue, comme un procs d'appropriation. Le locuteur s'approprie l'appareil formel de la langue et il nonce sa position de locuteur par des indices spcifiques, d'une part, et au moyen de procds accessoires, de l'autre.

    Mais immdiatement, ds qu'il se dclare locuteur et assume la langue, il implante Vautre en face de lui, quel que soit le degr de prsence qu'il attribue cet autre. Toute nonciation est, explicite ou implicite, une allocution, elle postule un allocutaire.

    Enfin, dans renonciation, la langue se trouve employe l'expression d'un certain rapport au monde. La condition mme de cette mobilisation et de cette appropriation de la langue est, chez le locuteur, le besoin de rfrer par le discours, et, chez l'autre, la possibilit de co-rfrer identiquement, dans le consensus pragmatique qui fait de chaque locuteur un co-locuteur. La rfrence est partie intgrante de renonciation.

    Ces conditions initiales vont rgir tout le mcanisme de la rfrence dans le procs d'nonciation, en crant une situation trs singulire et dont on ne prend gure conscience.

    L'acte individuel d'appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. C'est l une donne constitutive de renonciation. La prsence du locuteur son nonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de rfrence interne. Cette situation va se manifester par un jeu de formes spcifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et ncessaire avec son nonciation.

    Cette description un peu abstraite s'applique un phnomne linguistique familier dans l'usage, mais dont l'analyse thorique commence seulement. C'est d'abord l'mergence des indices de personne (le rapport je-ti) qui ne se produit que dans et par renonciation : le terme je dnotant l'individu qui profre renonciation, le terme tu, l'individu- qui y est prsent comme allocutaire. .

    De mme nature et se rapportant la mme structure d'nonciation sont les indices nombreux de Yostension (type ce, ici, etc.), termes qui impliquent un geste dsignant l'objet en mme temps qu'est prononce l'instance du terme. .

    Les formes appeles traditionnellement pronoms .personnels , dmonstratifs nous apparaissent maintenant comme une classe d' individus linguistiques , de formes qui renvoient toujours et seulement des individus , qu'il s'agisse de personnes, de moments, de lieux, par opposition aux termes nominaux qui renvoient toujours et seulement des concepts. Or le statut de ces individus linguistiques tient au fait qu'ils naissent d'une nonciation, qu'ils sont produits par cet vnement individuel et, si l'on peut dire, semel-natif . Ils sont engendrs nouveau chaque fois

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    qu'une nonciation est profre, et chaque fois ils dsignent neuf. Une troisime srie de termes affrents renonciation est constitue

    par le paradigme entier souvent vaste et complexe des formes temporelles, qui se dterminent par rapport I'ego, centre de renonciation. Les a temps verbaux dont la forme axiale, le prsent , concide avec le moment de renonciation, font partie de cet appareil ncessaire 2.

    Cette relation au temps mrite qu'on s'y arrte, qu'on en mdite la ncessit, et qu'on s'interroge sur ce qui la fonde. On pourrait croire que la temporalit est un cadre inn de la pense. Elle est produite en ralit dans et par renonciation. De renonciation procde l'instauration de la - catgorie du prsent, et de la catgorie du prsent nat la catgorie du temps. Le prsent est proprement la source du temps. Il est cette prsence au monde que l'acte d'nonciation rend seul possible, car, qu'on veuille bien y rflchir, l'homme ne dispose d'aucun autre moyen de vivre le maintenant ' et de le faire actuel que de le raliser par l'insertion. du discours dans le monde. On pourrait montrer par des analyses de systmes temporels en diverses langues la position centrale du prsent. Le prsent formel ne fait qu'expliciter le prsent inhrent renonciation, qui se renouvelle avec chaque production de discours, et partir de ce prsent continu, coextensif notre prsence propre, s'imprime dans la conscience le sentiment d'une continuit que nous appelons ' temps '; continuit et temporalit s'engendrant dans le prsent incessant de renonciation qui est le prsent de l'tre mme, et se dlimitant, par rfrence interne, entre ce qui va devenir prsent et ce qui vient de ne l'tre plus.

    Ainsi renonciation est directement responsable de certaines classes de signes qu'elle promeut littralement l'existence. Car ils ne pourraient prendre naissance ni trouver emploi dans l'usage cognitif de la langue. Il faut donc distinguer les entits qui ont dans la langue leur statut plein et permanent et celles qui, manant de renonciation, n'existent que dans le rseau d' individus que renonciation cre et par rapport 1' ici- maintenant du locuteur. Par exemple; le je , le cela, le demain de la description grammaticale ne sont que les noms mtalinguistiques de je, cela, demain produits dans renonciation.

    Outre les formes qu'elle commande, renonciation donne les conditions ncessaires aux grandes fonctions syntaxiques. Ds lors que l'non- ciateur se sert de la langue pour influencer en quelque manire le comportement de l'allocutaire, il dispose cette fin d'un appareil de fonctions^ C'est, d'abord, . l'interrogation, qui est une nonciation construite pour susciter, une rponse , par un procs linguistique qui est en mme temps un procs de comportement double entre. Toutes les formes lexicales et syntaxiques de l'interrogation, particules, pronoms, squence, intonation, etc., relvent de cet aspect de renonciation.

    On y attribuera pareillement les termes ou formes que nous appelons d'intimation : ordres, appels conus dans des catgories comme l'impratif, le vocatif, impliquant un rapport vivant et immdiat de l'noncia- teur l'autre dans une rfrence ncessaire au temps de renonciation.

    Moins vidente, peut-tre, mais tout aussi certaine est l'appartenance

    2. Le dtail des faits de langue que nous embrassons ici d'une vue synthtique est expos dans plusieurs chapitres de nos Problmes de linguistique gnrale (Paris, 1966), ce qui nous dispense d'y insister.

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    de l'assertion ce mme rpertoire. Dans son tour syntaxique comme dans son intonation, l'assertion vise communiquer une certitude, elle est la manifestation la plus commune de la prsence du locuteur dans renonciation, elle a mme des instruments spcifiques qui l'expriment ou l'impliquent, les mots oui et non assertant positivement ou ngativement une proposition. La ngation comme opration logique est indpendante de renonciation, elle a sa forme propre, qui est ne... pas. Mais la particule assertive non, substitut d'une proposition, se classe comme la particule oui, dont elle partage le statut, dans les formes qui relvent de renonciation.

    Plus largement encore, quoique d'une manire moins catgorisable, se rangent ici toutes sortes de modalits formelles, les unes appartenant aux verbes comme les modes (optatif, subjonctif) nonant des attitudes de l'nonciateur l'gard de ce qu'il nonce (attente, souhait, apprhension), les autres la phrasologie ( peut-tre , sans doute , probablement ) et indiquant incertitude, possibilit, indcision, etc., ou, dlibrment, refus d'assertion.

    Ce qui en gnral caractrise renonciation est l'accentuation de la relation discursive au partenaire, que celui-ci soit rel ou imagin, individuel ou collectif.

    Cette caractristique pose par ncessit ce qu'on peut appeler le cadre figuratif de renonciation. Comme forme de discours, renonciation pose deux figures galement ncessaires, l'une source, l'autre but de renonciation. C'est la structure du dialogue. Deux figures en position de partenaires sont alternativement protagonistes de renonciation. Ce cadre est donn ncessairement avec la dfinition de renonciation.

    On pourrait objecter qu'il y peut y avoir dialogue hors de renonciation ou nonciation sans dialogue. Les deux cas doivent tre examins.

    Dans la joute verbale pratique chez diffrents peuples et dont une varit typique est le hain-teny des Merinas, il ne s'agit en ralit ni de dialogue ni d'nonciation. Aucun des deux partenaires ne s'nonce : tout consiste en proverbes cits et en contre-proverbes contre-cits. Il n'y a pas une seule rfrence explicite l'objet du dbat. Celui des deux jouteurs qui dispose du plus grand stock de proverbes, ou qui en fait l'usage le plus adroit, le plus malicieux, le moins prvu met l'autre quia et il est proclam vainqueur. Ce jeu n'a que les dehors d'un dialogue.

    A l'inverse, le monologue procde bien de renonciation. Il doit tre pos, malgr l'apparence, comme une varit du dialogue, structure fondamentale. Le monologue est un dialogue intrioris, formul en langage intrieur , entre un moi locuteur et un moi couteur. Parfois le moi locuteur est seul parler; le moi couteur reste nanmoins prsent; sa prsence est ncessaire et suffisante pour rendre signifiante renonciation du moi locuteur. Parfois aussi le moi couteur intervient par une objection, une question, un doute, une insulte. La forme linguistique que prend cette intervention diffre selon les idiomes, mais c'est toujours une forme personnelle . Tantt le moi couteur se substitue au moi locuteur et s'nonce donc comme premire personne ; ainsi en franais o le monologue sera coup de remarques ou d'injonctions telles que : Non, je suis idiot, j'ai oubli de lui dire que... Tantt le moi couteur

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    interpelle la deuxime personne le moi locuteur : Non, tu n'aurais pas d lui dire que... II y aurait une intressante typologie de ces relations tablir; en certaines langues on verrait prdominer le moi auditeur comme substitut du locuteur et se posant son tour comme je (franais, anglais), ou en d'autres, se donnant comme partenaire de dialogue et employant tu (allemand, russe). Cette transposition du dialogue en monologue o ego tantt se scinde en deux, tantt assume deux rles, prte des figurations ou transpositions psychodramatiques : conflits du moi profond et de la conscience , ddoublements provoqus par l' inspiration , etc. La possibilit en est fournie par l'appareil linguistique de renonciation sui-rflexive qui comprend un jeu d'oppositions du pronom et de l'antonyme (je/me/moi) 3.

    Ces situations appelleraient une double description, de forme linguistique et de condition figurative. On se contente trop facilement d'invoquer la frquence et l'utilit pratiques de la communication entre les individus pour admettre la situation de dialogue comme rsultant d'une ncessit et se dispenser d'en analyser les multiples varits. L'une d'elles se prsente dans une condition sociale des plus banales d'apparence, des moins connues en fait. B. Malinowski l'a signale sous le nom de communion phatique, la qualifiant ainsi comme phnomne psycho-social fonctionnement linguistique. Il en a dessin la configuration en partant du rle qu'y joue le langage. C'est un procs o le discours, sous la forme d'un dialogue, fonde un rapport entre les individus. Il vaut la peine de citer quelques passages de cette analyse 4 :

    Le cas du langage employ dans des rapports sociaux libres, sans but, mrite une considration spciale. Quand des gens s'assoient ensemble auprs d'un feu de village aprs avoir achev leur tche quotidienne ou quand ils causent pour se dlasser du travail, ou quand ils accompagnent un travail simplement manuel d'un bavardage sans rapport avec ce qu'ils font, il est clair qu'ici nous avons affaire une autre manire d'employer la langue, avec un autre type de fonction du discours. Ici la langue ne dpend pas de ce qui arrive ce moment, elle semble mme prive de tout contexte de situation. Le" sens de chaque nonc ne peut tre reli avec le comportement du locuteur ou de l'auditeur, avec l'intention de ce qu'ils font.

    Une simple phrase de politesse, employe aussi bien parmi les tribus sauvages que dans un salon europen, remplit une fonction laquelle le sens de ses mots est presque compltement indiffrent. Questions sur l'tat de sant, remarques sur le temps, affirmation d'un tat de choses absolument vident, tous ces propos sont changs non pour informer, non dans ce cas pour relier des gens en action, certainement pas pour exprimer une pense...

    On ne peut douter que nous ayons ici un nouveau type d'emploi de la langue que, pouss par le dmon de l'invention terminologique, je suis tent d'appeler communion phatique, un type de discours dans lequel les liens de l'union sont crs par un simple change de mots... Les mots dans la communion phatique sont-ils employs princi-

    3. Voir un article du Bulletin de la Socit de Linguistique, t. 60, 1965, p. 71 et suiv.

    4. Nous traduisons ici quelques passages de l'article de B. Malinowski publi chez Ogden et Richards, The meaning of meaning, 1923, p. 313 sq.

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    paiement pour transmettre une signification, la signification qui est symboliquement la leur? Certainement pas. Ils remplissent une fonction sociale et c'est leur principal but, mais ils ne sont pas le rsultat d'une rflexion intellectuelle et ils ne suscitent pas ncessairement une rflexion chez l'auditeur. Une fois encore nous pourrons dire que la langue ne fonctionne pas ici comme un moyen de transmission de la pense.

    Mais pouvons-nous la considrer comme un mode d'action? Et dans quel rapport se trouve-t-elle avec notre concept crucial de contexte de situation? Il est vident que la situation extrieure n'entre pas directement dans la technique de la parole. Mais que peut-on considrer comme situation quand nombre de gens bavardent ensemble sans but? Elle consiste simplement en cette atmosphre de sociabilit et dans le fait de la communion personnelle de ces gens. Mais celle-ci est en fait accomplie par la parole, et la situation en tous ces cas est cre par l'change de mots, par les sentiments spcifiques qui forment la gr- garit conviviale, par le va-et-vient des propos qui composent le bavardage ordinaire. La situation entire consiste en vnements linguistiques. Chaque nonciation est un acte visant directement lier l'auditeur au locuteur par le lien de quelque sentiment, social ou autre. Une fois de plus le langage en cette fonction ne nous apparat pas comme un instrument de rflexion, mais comme un mode d'action.

    On est ici la limite du dialogue . Une relation personnelle cre, entretenue, par une forme conventionnelle d'nonciation. revenant sur elle-mme, se satisfaisant de son accomplissement, ne comportant ni objet, ni but, ni message, pure nonciation de paroles convenues, rpte par chaque nonciateur. L'analyse formelle de cette forme d'change linguistique rest faire 5.

    Bien d'autres dveloppements seraient tudier dans le contexte de renonciation. Il y aurait considrer les changements lexicaux que renonciation dtermine, la phrasologie qui est la marque frquente, peut-tre ncessaire, de l' oralit . Il faudrait aussi distinguer renonciation parle de renonciation crite. Celle-ci se meut sur deux plans : l'crivain s'nonce en crivant et, l'intrieur de son criture, il fait des individus s'noncer. De longues perspectives s'ouvrent l'analyse des formes complexes du discours, partir du cadre formel esquiss ici.

    5. Elle n'a encore fait l'objet que de quelques rfrences, par exemple chez Grace de Laguna, Speech, its function and development, 1927, p. 244 n.; R. Jakobson, Essais de linguistique gnrale, trad. N. Ruwet, 1963, p. 217.

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