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1 ANTHOLOGIE - LA MEMOIRE QUESTIONS CONTEMPORAINES (2016-2017) DOCUMENT 1 : LES TYPES DE MEMOIRE 2 DOCUMENT 1 BIS : LES TYPES DE MEMOIRE 2 DOCUMENT 2 : PIERRE NORA, PREFACE AU TOME 1 DES « LIEUX DE MEMOIRE, LA REPUBLIQUE », GALLIMARD, 1984 3 DOCUMENT 3 : EXTRAIT DE « LA GUERRE D’ALGERIE : DE LA MEMOIRE A L’HISTOIRE ». 4 DOCUMENT 4 : DISCOURS DU PRESIDENT JACQUES CHIRAC 5 DOCUMENT 5 : MANIFESTE « LIBERTE POUR L’HISTOIRE » PUBLIE PAR LE JOURNAL LIBERATION LE 13 DECEMBRE 2005 7 DOCUMENT 6 : LES LIEUX DE MEMOIRE 8 DOCUMENT 7 : LES CADRES SOCIAUX DE LA MEMOIRE, AVANT-PROPOS. 9 DOCUMENT 8 : PROGRAMME 13 NOVEMBRE 10 DOCUMENT 9 : LES SOCIETES-MEMOIRE 11 DOCUMENT 10 : DONNEES NUMERIQUES : UNE JUNGLE A DEFRICHER 12 DOCUMENT 11 : DROIT A L'OUBLI: GOOGLE, NOUVEAU JUGE DE LA LIBERTE D'EXPRESSION ? 14 DOCUMENT 12 : L’EFFACEMENT COMME STRATEGIE POLITIQUE ET LA RECONSTRUCTION POSSIBLE DE LIEN MEMORIEL PAR LA LITTERATURE 16 DOCUMENT 13 : PARDON ET OUBLI 17 DOCUMENT 14 : LE MYTHE DE TEUTH DANS LE PHEDRE DE PLATON 18 DOCUMENT 15 : COMMENT SE SOUVENIR QUAND ON NE PEUT PAS SE RAPPELER QUOI QUE CE SOIT ? 19

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ANTHOLOGIE - LA MEMOIRE

QUESTIONS CONTEMPORAINES (2016-2017)

DOCUMENT 1 : LES TYPES DE MEMOIRE 2

DOCUMENT 1 BIS : LES TYPES DE MEMOIRE 2

DOCUMENT 2 : PIERRE NORA, PREFACE AU TOME 1 DES « LIEUX DE MEMOIRE, LA REPUBLIQUE », GALLIMARD, 1984 3

DOCUMENT 3 : EXTRAIT DE « LA GUERRE D’ALGERIE : DE LA MEMOIRE A L’HISTOIRE ». 4

DOCUMENT 4 : DISCOURS DU PRESIDENT JACQUES CHIRAC 5

DOCUMENT 5 : MANIFESTE « LIBERTE POUR L’HISTOIRE » PUBLIE PAR LE JOURNAL LIBERATION LE 13 DECEMBRE 2005 7

DOCUMENT 6 : LES LIEUX DE MEMOIRE 8

DOCUMENT 7 : LES CADRES SOCIAUX DE LA MEMOIRE, AVANT-PROPOS. 9

DOCUMENT 8 : PROGRAMME 13 NOVEMBRE 10

DOCUMENT 9 : LES SOCIETES-MEMOIRE 11

DOCUMENT 10 : DONNEES NUMERIQUES : UNE JUNGLE A DEFRICHER 12

DOCUMENT 11 : DROIT A L'OUBLI: GOOGLE, NOUVEAU JUGE DE LA LIBERTE D'EXPRESSION ? 14

DOCUMENT 12 : L’EFFACEMENT COMME STRATEGIE POLITIQUE ET LA RECONSTRUCTION POSSIBLE DE LIEN MEMORIEL PAR LA LITTERATURE 16

DOCUMENT 13 : PARDON ET OUBLI 17

DOCUMENT 14 : LE MYTHE DE TEUTH DANS LE PHEDRE DE PLATON 18

DOCUMENT 15 : COMMENT SE SOUVENIR QUAND ON NE PEUT PAS SE RAPPELER QUOI QUE CE SOIT ? 19

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Document 1 : Les types de mémoire

https://perso.univ-rennes1.fr/francois.tiaho/cours-NBC-2013/NBCG1-2013.pdf

Document 1 bis : les types de mémoire

Vous trouverez à ce lien, une classification simple des différents types de mémoire.

http://www.recall-you.com/comprendre-fonctionnement-memoire.html

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Document 2 : Pierre Nora, Préface au tome 1 des « lieux de mémoire, La république »,

Gallimard, 1984

L’historien Pierre Nora, pionnier de l’histoire de la mémoire, réfléchit ici, à la suite de

Jacques Le Goff et de Paul Ricoeur aux différences entre la mémoire et l’histoire et à la

légitimité en quelque sorte de faire de l’histoire de la mémoire. Il définit bien l’histoire

comme une science, une démarche objectivante, avec ce que cela implique de distance mais

aussi de « vérité »

Mémoire, histoire : loin d’être synonyme, (…) tout les oppose. La mémoire est la vie,

toujours portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte

à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives,

vulnérables à toutes les utilisations et manipulations, susceptibles de longues latences et de

soudaines revitalisations. L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète

de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu eu présent

éternel ; l’histoire, une représentation du passé. Parce qu’elle est affective et magique, la

mémoire ne s’accommode que de détails qui la confortent : elle se nourrit de souvenirs flous,

téléscopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts,

censure, écrans ou projections. L’histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante,

appelle analyse et discours critique. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire

l’en débusque. La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude, ce qui revient à dire qu’il y a

autant de mémoires que de groupes ; qu’elle est, par nature, multiple ou multipliée, collective,

plurielle et individualisée. L’histoire, au contraire, appartient à tous et à personne, ce qui lui

donne vocation à l’universel. La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste,

l’image et l’objet ? L’histoire ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions et

aux rapports des choses. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le relatif.

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Document 3 : Extrait de « La guerre d’Algérie : de la mémoire à l’Histoire ».

Introduction par Mohamed Harbi et Benjamin Stora de l’ouvrage « La guerre d’Algérie »,

écrit en 2004

Ce texte écrit à quatre mains témoigne des difficultés, sur des sujets très sensibles, d’écrire

l’histoire et de la nécessité de prendre le temps de dépassionner les choses. Il constitue

toutefois un plaidoyer pour l’histoire, seule à même de pouvoir apaiser et sur la nécessité de

transformer les mémoires en objets d’histoire pour dépasser les querelles et les blessures et

aboutir à la réconciliation. Les finalités intellectuelles mais aussi civiques de l’Histoire sont

ainsi mises en évidence.

Plus de cinq millions de personnes dans la France de ce début du XXIème siècle sont

directement concernées par la guerre d’Algérie. Avec des expériences très partielles, très

individualisées, très différentes, où il se révèle difficile de délimiter les souvenirs communs.

(…) Dans la France actuelle, les groupes porteurs d’une mémoire enfouie se sont longtemps

réfugiés dans le non-dit. La France, attentive à célébrer ses gloires, répugne à découvrir ses

blessures. Avec ses ambiguïtés, les contradictions militaro-politiques de son dénouement, la

guerre d’Algérie est longtemps demeurée à demie taboue. Mémoires blessées et hésitantes,

lenteur à prendre du recul, pour écrire une histoire sans complaisance ? Longtemps, la

mémoire des acteurs a pesé lourdement sur l’écriture des événements de cette période.

Les mémoires ont toujours une dimension subjective. Elles fonctionnent comme un discours

de légitimation, de sorte qu’elles sont à la fois rappel d’événements et miroir déformant.

L’historien ne peut ni les dédaigner, ni s’y soumettre. (…)

2004 : cinquante ans après le 1er novembre 1954, par le travail historique, la pluralité des

motivations émerge peu à peu derrière les positions frontales et catégoriques que l’on a

dessinées à grands traits après 1962, entre adversaires et partisans de l’Algérie française. La

guerre tend à s’éloigner des turbulences passionnelles et du traumatisme collectif pour devenir

un objet d’histoire.

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Document 4 : Discours du président Jacques Chirac

Ce célèbre discours du président de la république française est prononcé à l’occasion de la «

Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous

l'autorité de fait dite " gouvernement de l'État français " (1940-1944) », le 16 juillet instaurée

par le décret du 3 février 1993. La date choisie pour cette commémoration correspond à la

date anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver, au cours de laquelle la police française a

arrêté les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 Juifs de la région parisienne dont 4 115 enfants.

Ce discours marque un tournant dans la politique mémorielle en France en reconnaissant la

responsabilité de l’Etat français dans la participation au génocide des Juifs pendant la

Seconde Guerre Mondiale. La dimension mémorielle est fortement visible à travers le ton

employé, la solennité du discours et la dimension affective. Sa portée est toutefois d’ordre

historique puisque c’est la première fois qu’un président français fait un tel geste, qu’il

témoigne de l’intégration de la mémoire juive à la mémoire nationale et donc à l’histoire.

Monsieur le Maire,

Monsieur le Président,

Monsieur l’Ambassadeur,

Monsieur le Grand Rabbin,

Mesdames, Messieurs,

Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait

de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours

trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont

vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par

le souvenir de ces journées de larmes et de honte.

Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre

histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de

l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16

juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient

aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille

hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés

dans les commissariats de police (…)

Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l’enfer.

(…)

La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France,

ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs

bourreaux. Conduites au Vélodrome d’hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours,

dans les conditions terribles que l’on sait, d’être dirigées sur l’un des camps de transit —

Pithiviers ou Beaune-la-Rolande — ouverts par les autorités de Vichy. (…) Suivront d’autres

rafles, d’autres arrestations. À Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers

Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n’en reviendront pas.

Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.

La Thora fait à chaque juif devoir de se souvenir. (…) Cinquante ans après, fidèle à sa loi,

mais sans esprit de haine ou de vengeance, la Communauté juive se souvient, et toute la

France avec elle. Pour que vivent les six millions de martyrs de la Shoah. Pour que de telles

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atrocités ne se reproduisent jamais plus. Pour que le sang de l’holocauste devienne, selon le

mot de Samuel Pisar, le « sang de l’espoir ». (…)

Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et

encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des

heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa

liberté et de sa dignité. (…) Les plus jeunes d’entre nous, j’en suis heureux, sont sensibles à

tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus

de Français décidés à regarder bien en face leur passé. (…)

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Document 5 : Manifeste « Liberté pour l’Histoire » publié par le journal Libération le

13 décembre 2005

Cet appel est un « manifeste », c’est-à-dire une prise de position publique, d’un collectif

d’historiens en réaction aux politiques mémorielles menées depuis les années 1990 et

notamment la création de lois, restreignant la liberté des historiens qui travaillent sur des

questions socialement vives comme la mémoire de la Shoah, de l’esclavage, de la

colonisation, de la guerre d’Algérie. Ce collectif demande la suppression des lois

mémorielles, y compris la loi Gayssot, au nom de l’indépendance de l’Histoire. Ce manifeste

exprime de façon claire, voire brutale la différence mais aussi les liens entre l’histoire et la

mémoire.

Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l'appréciation des

événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs,

nous tenons à rappeler les principes suivants :

L'histoire n'est pas une religion. L'historien n'accepte aucun dogme, ne respecte aucun

interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.

L'histoire n'est pas la morale. L'historien n'a pas pour rôle d'exalter ou de condamner, il

explique.

L'histoire n'est pas l'esclave de l'actualité. L'historien ne plaque pas sur le passé des schémas

idéologiques contemporains et n'introduit pas dans les événements d'autrefois la sensibilité

d'aujourd'hui.

L'histoire n'est pas la mémoire. L'historien, dans une démarche scientifique, recueille les

souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux

traces, et établit les faits. L'histoire tient compte de la mémoire, elle ne s'y réduit pas.

L'histoire n'est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement ni à

l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l'Etat, même animée des

meilleures intentions, n'est pas la politique de l'histoire.

C'est en violation de ces principes que des articles de lois successives notamment lois du 13

juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 ont restreint la liberté de

l'historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu'il doit chercher et ce qu'il doit trouver, lui

ont prescrit des méthodes et posé des limites.

Nous demandons l'abrogation de ces dispositions législatives indignes d'un régime

démocratique.

Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain

Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf,

Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul

Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock

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Document 6 : Les lieux de mémoire

La République opère un redoublement de mémoire, elle n’est pas un simple fragment de notre

mémoire nationale, mais sa redéfinition synthétique et son aboutissement. La République se

confond pratiquement avec sa mémoire, elle est comme le sujet dans le sujet. C’est pourquoi

il a paru légitime d’en présenter la tradition centrale et indivisible, sans s’encombrer des

répliques multiples qui la composent. Légitime aussi de mettre l’accent sur la troisième des

républiques, la vraie sinon la seule pour tous les Français, et particulièrement sur sa période

fondatrice, qui se dote d’une véritable stratégie de la mémoire au détriment de deux autres

cibles : en amont la période révolutionnaire, en aval celle qui va du Front Populaire à la

Résistance. Légitime encore d’insister, en son cœur, sur les instruments sa pédagogie, puisque

la République tout entière est un apprentissage et que son histoire est celle d’une

acculturation. Si l’école, les manuels et les instituteurs ont fait depuis vingt ans l’objet d’une

étude abondante, ce n’est que récemment qu’on étudie la République au village et la descente

de la politique vers les masses, pour se lancer ensuite dans l’imagerie et l’allégorie

républicaine, en particulier celle de Marianne ; tout récemment qu’on a souligné l’intérêt

d’une étude des fêtes républicaines analogues à ce qu’a été La fête révolutionnaire ; plus

récemment encore qu’à été tentée une histoire critique de l’Idée républicaine et qu’à paru

possible une synthèse de La vie politique sous la Troisième République conçu comme une

culture (…)

Extrait de la présentation de Les lieux de mémoire, sous la direction de P. Nora, Quarto

Gallimard, 2013, page 17

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Document 7 : Les cadres sociaux de la mémoire, avant-propos.

Dans cet extrait des avant-propos de son ouvrage majeur, le sociologue Maurice Halbwachs

pose les fondements de sa pensée sur la mémoire. A travers une histoire dont il avoue ne pas

savoir si elle est vraie ou non, le sociologue invite le lecteur à replacer leurs souvenirs dans

leur contexte social. Ce faisant, il montre que la mémoire est intimement liée aux rapports

que nous entretenons avec notre entourage.

Comme nous feuilletions, dernièrement, un ancien volume : du Magasin pittoresque, nous

y avons lu une histoire singulière, celle d'une jeune fille de 9 ou 10 ans qui fut trouvée dans

les bois, près de Chalons, en 1731. On ne put savoir où elle était, née, ni d'où elle venait. Elle

n'avait gardé aucun souvenir de son enfance. En rapprochant les détails donnés par elle aux

diverses époques de sa vie, on supposa qu'elle était née dans le nord de l'Europe et

probablement chez les Esquimaux, que de là elle avait été transportée aux Antilles, et enfin en

France. Elle assurait qu'elle avait deux fois traversé de larges étendues de mer, et paraissait

émue quand on lui montrait des images qui représentaient soit des huttes et des barques du

pays des Esquimaux, soit des phoques, soit des cannes à sucre et d'autres produits des îles

d'Amérique. Elle croyait se rappeler assez clairement qu'elle avait appartenu comme esclave à

une maîtresse qui l'aimait beaucoup, mais que le maître, ne pouvant la souffrir, l'avait fait

embarquer.

Si nous reproduisons ce récit, dont nous ne savons s'il est authentique, et que nous ne

connaissons que de seconde main, c'est parce qu'il permet de comprendre en quel sens on peut

dire que la mémoire dépend de l'entourage social. À 9 ou 10 ans, un enfant possède beaucoup

de souvenirs, récents et même assez anciens. Que lui en resterait-il, s'il était brusquement

séparé des siens, transporté dans un pays où on ne parle pas sa langue, où ni dans l'aspect des

gens et des lieux, ni dans les coutumes, il ne retrouverait rien de ce qui lui était familier

jusqu'à ce moment ? L'enfant a quitté une société pour passer dans une autre. Il semble que,

du même coup, il ait perdu la faculté de se souvenir dans la seconde de tout ce qu'il a fait, de

tout ce qui l'a impressionné, et qu'il se rappelait sans peine, dans la première. Pour que

quelques souvenirs incertains et incomplets reparaissent, il faut que, dans la société où il se

trouve à présent, on lui montre tout au moins des images qui reconstituent un moment autour

de lui le groupe et le milieu d'où il a été arraché.

Cet exemple n'est qu'un cas limite. Mais si nous examinions d'un peu plus près de quelle

façon nous nous souvenons, nous reconnaîtrions que, très certainement, le plus grand nombre

de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos amis, ou d'autres hommes nous les

rappellent. On est assez étonné lorsqu'on lit les traités de psychologie où il est traité de la

mémoire, que l'homme y soit considéré comme un être isolé. Il semble que, pour comprendre

nos opérations mentales, il soit nécessaire de s'en tenir à l'individu, et de sectionner d'abord

tous les liens qui le rattachent à la société, de ses semblables. Cependant c'est dans la société

que, normalement, l'homme acquiert ses souvenirs, qu'il se les rappelle, et, comme on dit,

qu'il les reconnaît et les localise. Comptons, dans une journée, le nombre de souvenirs que

nous avons évoqués à l'occasion de nos rapports directs et indirects avec d'autres hommes.

Nous verrons que, le plus souvent, nous ne faisons appel à notre mémoire que pour répondre

à des questions que les autres nous posent, ou que nous supposons qu'ils pourraient nous

poser, et que d'ailleurs, pour y répondre, nous nous plaçons à leur point de vue, et nous nous

envisageons comme faisant partie du même groupe ou des mêmes groupes qu'eux. Mais

pourquoi ce qui est vrai d'un grand nombre de nos souvenirs ne le serait-il pas de tous ? Le

plus souvent, si je me souviens, c'est que les autres m'incitent à me souvenir, que leur

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mémoire vient au secours de la mienne, que la mienne s'appuie sur la leur. Dans ces cas au

moins, le rappel des souvenirs n'a rien de mystérieux. Il n'y a pas à chercher où ils sont, où ils

se conservent, dans mon cerveau, ou dans quelque réduit de mon esprit où j'aurais seul accès,

puisqu'ils me sont rappelés du dehors, et que les groupes dont je fais partie m'offrent à chaque

instant les moyens de les reconstruire, à condition que je me tourne vers eux et que j'adopte

au moins temporairement leurs façons de penser. Mais pourquoi n'en serait-il pas ainsi dans

tous les cas ?

C'est en ce sens qu'il existerait une mémoire collective et des cadres sociaux de la

mémoire, et c'est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et

participe à cette mémoire qu'elle serait capable de se souvenir.

Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, 1925

Document 8 : Programme 13 Novembre

Ces différents liens vous invitent à prendre davantage connaissance du programme 13

Novembre, programme de recherche transdisciplinaire visant à étudier les interactions entre

mémoire individuelle et collective.

https://www.youtube.com/watch?v=Eu3DnHCTxLk

http://www.memoire13novembre.fr/

https://www.facebook.com/programme13novembre/?fref=ts

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Document 9 : Les sociétés-mémoire

Il s’agit d’évoquer ici des sociétés qui depuis longtemps, ont fondé leur identité sur la

mémoire historique, avant le règne de la mémoire généralisée. J’entends par là des groupes

ayant une mémoire vivante, autour d’événements fondateurs évoqués dans différents lieux de

sociabilité souvent devenus en même temps lieux de mémoire. (…)

La répartition de ces sociétés-mémoire privilégie normalement l’espace euro-méditerranéen,

et pour cause : celui-ci y est préparé par une longue imprégnation de la tradition judéo-

chrétienne qui incite les fidèles à « faire mémoire ». Pour les juifs, il s’agit de faire mémoire

de la sortie d’Egypte à travers le livre de l’Exode : « Qu’on se souvienne de ce jour où vous

êtes sortis d’Égypte, dit Moïse à son peuple » (13-3). Chaque famille s’en souvient à travers la

fête du Seder, la Pâque juive, commémorée chaque année. Les chrétiens font mémoire de la

dernière Cène (repas) à travers le texte célèbre de Luc 22, 19-20 : « Puis il (Jésus) prit du pain

puis après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant : « Ceci est mon corps,

donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. » Cène commémorée chaque année, le Jeudi

saint, et chaque fois qu’un prêtre dit la messe au moment de la consécration (…). Pour tous

les chrétiens il s’agit de rendre le passé présent. Pages 79-80

Philippe Joutard, Histoire et mémoires, conflits et alliance, 2013

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Document 10 : Données numériques : une jungle à défricher

Cet article du journal du CNRS évoque le traitement et l’analyse des données numériques que

la société en général et la science en particulier génèrent. Quels moyens employés pour faire

face à l’afflux de données ?

Aujourd’hui, si les chiffres correspondant aux informations numériques disponibles ont de

quoi donner le tournis, ils soulèvent aussi une question essentielle : celle de la difficile

analyse de ces masses de données considérables et en perpétuelle expansion. Professeur

d’informatique et membre du Laboratoire d’informatique de Grenoble (LIG), Marie-Christine

Rousset appartient à cette communauté de scientifiques qui tente de structurer le flot

ininterrompu de données circulant sur la Toile : « Les pages que nous consultons tous les

jours appartiennent au Web textuel qui regroupe des milliards de documents reliés entre eux,

explique-t-elle. Pour autant, ces pages ne peuvent pas être exploitées comme une véritable

base de connaissances, car elles ont été conçues pour être lisibles par des êtres humains et

non par des machines. » Autrement dit, un moteur de recherche comme Google, dans lequel

nous formulons une requête, se contente de proposer une liste de milliers de documents

correspondant à cette demande. Il laisse ensuite à l’usager le fastidieux travail d’investigation

destiné à identifier la réponse la plus pertinente à sa requête.

L’évolution vers un Web des données

Or, face à l’accroissement vertigineux des documents disponibles sur le Net, de tels modèles

risquent d’être rapidement submergés par le flot d’informations à gérer. Quelle est

l’alternative ? Faire évoluer le réseau actuel vers un Web des données : « Cette approche se

fonde sur l’association de métadonnées aux adresses URL qui identifient les pages Web. Elle

vise à casser la complexité du Web actuel en structurant l’information sur Internet de

manière à pouvoir accéder plus simplement à la connaissance », résume Marie-Christine

Rousset.

Cette évolution est déjà en marche au travers du W3C, le consortium international qui veille

au respect des normes sur le Web. Certains embryons de ce Web, qualifié de sémantique car il

permet aux machines de comprendre la signification de l’information circulant sur la Toile,

existent déjà. Mais faire du Web sémantique un modèle universel reste une tâche ardue.

« Greffer des algorithmes d’interrogation sur une base de données centralisée est une chose,

commente la scientifique du LIG, mais y parvenir à l’échelle de cette gigantesque entité

décentralisée qu’est le Web ne relève pas d’un simple problème d’amélioration

technologique ! »

Comment fédérer et exploiter les données

Ces dernières années, un domaine scientifique a vu ses pratiques complètement bouleversées

par les avancées technologiques : la recherche biomédicale. « Le volume d’information

provenant de l’imagerie biomédicale s’est considérablement accru avec le passage au tout-

numérique au cours des dix dernières années », témoigne Johan Montagnat, directeur de

recherche CNRS au laboratoire Informatique, signaux systèmes de Sophia Antipolis (I3S)

« La stratégie consistant à centraliser des masses de données médicales sera tôt ou tard

limitée par les capacités de stockage disponible, signale Johan Montagnat. De plus, la

multiplication des instruments d’acquisition de données au sein des établissements

hospitaliers rend inévitable la distribution de celles-ci sur différents sites de stockage. »

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Pour éviter la noyade dans l’océan numérique des grandes masses de données, il faut recourir

à des experts : les spécialistes en fouilles de données. Partant des bases de données à l’état

brut, ils sont chargés de faire remonter à la surface les connaissances qu’elles renferment.

« Ce travail algorithmiquement difficile revient à parcourir un damier constitué de millions

de lignes et de colonnes pour y repérer une poignée de motifs répétés », explique Jean-

François Boulicaut, chercheur du Laboratoire d’informatique en images et systèmes

d’information (Liris) de Villeurbanne.

Des données convoitées par les entreprises

Avec son équipe, cet expert met à contribution son savoir-faire dans le cadre du projet

Mastodons sur l’analyse de masse de données de l’urbain et de l’environnement (projet

Amadouer). Il s’agit ici d’explorer les bases de données de l’agglomération lyonnaise pour y

recueillir les informations sur la pollution environnementale et le flux de circulation

automobile. Le traitement de ces données doit aider à élaborer une nouvelle politique des

transports en centre-ville. À l’aide de simulations mathématiques, l’objectif est de concevoir

un modèle dans lequel la voiture n’aurait plus qu’une place limitée.

Revers de la médaille : ce type de données intéresse de très près certains groupes industriels

qui souhaitent se les approprier à des fins commerciales, parfois au détriment de la

communauté scientifique. « Il y a une vingtaine d’années, une société a voulu racheter les

droits sur les photos numériques détenues par les musées de France, rappelle Jean-François

Boulicaut. Or, comme la qualité du procédé était à l’époque loin d’égaler celle de

l’argentique, le ministère de la Culture avait failli signer cet accord, avant de faire machine

arrière. » Espérons que les décideurs politiques sauront faire preuve de la même clairvoyance

dans l’eldorado de la recherche sur des grandes masses de données.

Grégory Fléchet in CNRS, le journal, 29/01/2014

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Document 11 : Droit à l'oubli: Google, nouveau juge de la liberté d'expression ?

Alors que Google questionne les internautes sur le droit à l'oubli et que les CNIL

européennes préparent de leur côté des lignes directrices sur le droit à l'oubli, La

Quadrature du Net, association de défense des libertés numériques, invite l'ensemble des

acteurs à revenir aux enjeux fondamentaux de l'arrêt de la CJUE sur le « droit à l'oubli » :

le risque d'extra-judiciarisation du droit à l'oubli.

« Comment trouver un équilibre entre le droit à l'oubli d'une personne et le droit à

l'information du public ? » Depuis la publication du désormais fameux arrêt de la Cour de

Justice de l'Union européenne sur le droit à l'oubli, cette question absolument légitime et au

cœur d'un sujet épineux fait l'objet d'un débat très animé. Celle-ci pose cependant un

problème majeur, car elle n'est formulée ni par le législateur, ni par une autorité

administrative, mais par Google, acteur privé, chargé de fait de cette mission de justice par la

décision de la Cour.

Contraint d’opérer cet arbitrage, le colosse américain a ainsi lancé une consultation publique

et annoncé la mise en place d'un comité d'experts en charge notamment de l'élaboration de

lignes directrices visant à orienter les pratiques internes à l'entreprise. Google souhaiterait en

effet que « les conclusions du comité consultatif [soient] utiles à d'autres personnes qui

pourraient être touchées par la décision de la Cour ». Pour ce faire, ce comité « pourra […]

solliciter des contributions de la part de gouvernements, entreprises, médias, établissements

universitaires, du secteur de la technologie, des organisations travaillant sur la protection des

données et d'autres structures ayant un intérêt particulier dans ce domaine ».

Autrement dit, nous assistons à l'appropriation par un acteur privé des prérogatives d'une

autorité publique ou législative, et ce en raison de la décision de la Cour de justice de confier

à une entreprise privée le rôle d'arbitrer entre les droits à la vie privée et à la liberté

d'expression sans créer des garde-fous qui auraient évité ce genre de dérives.

Avec la mise en place de ce comité par l'entreprise américaine, les gouvernements et les

législateurs nationaux ne semblent plus avoir de rôle à jouer, et sont désormais relégués au

rang d'acteurs secondaires. Cette privatisation de la mise en œuvre du droit à l'oubli risque de

se généraliser, puisque la décision de la Cour de justice ne concerne pas uniquement les

parties au litige – Google dans ce cas – mais au-delà tous les exploitants de moteurs de

recherche.

Conscientes des problèmes soulevés par l'arrêt, les autorités de protection de données

européennes, réunies à Bruxelles le 24 juillet dernier, ont commencé à recueillir des

informations auprès de Google, Microsoft et Yahoo. Les CNIL européennes souhaitent en

effet édicter des lignes directrices qui seront censées s'imposer aux moteurs de recherche.

Mais là encore, il y a un risque d'excès de pouvoir. En effet, en l'état du droit, ni la loi

française « informatique et libertés » de 1978, ni la directive de 1995, ni la jurisprudence de la

CJUE ne permettent de poser les principes qui doivent régir l'équilibre entre le droit à la vie

privée et la liberté d'expression. En l'absence d'une base légale suffisamment claire, ces lignes

directrices seront donc une pure création des CNIL européennes, tranchant des questions

extrêmement sensibles. Or, s'il est dangereux de confier à un acteur privé le soin de

déterminer les modalités d'application du droit à l'oubli, le fait que des autorités

administratives puissent se substituer au législateur et au juge est également problématique. Et

ce d'autant plus que, dans ce débat, les CNIL, en tant qu'autorités de protection du droit à la

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vie privée, risquent de faire trop peu de cas du droit à l'information et de la liberté

d'expression, n'ayant pas de compétences spécifiques en la matière.

À défaut d'un moratoire sur l'application de l'arrêt de la CJUE, ces lignes directrices pourront

jouer un rôle transitoire. Mais face à ce risque d'excès de pouvoir, les législateurs européens et

nationaux doivent urgemment prendre leurs responsabilités et amorcer des travaux sur

l'équilibre à trouver entre ces deux droits fondamentaux. Une telle clarification législative

devra également replacer le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, au cœur du

dispositif, à rebours de la tendance générale à l'extra-judiciarisation de la liberté d'expression.

« Ces réactions diverses et difformes mettent en lumière le manque de coordination et

d'indications claires sur la mise en œuvre de l'arrêt de la CJUE. Pour cette raison, il est

nécessaire de procéder à une clarification législative afin de rétablir l'État de droit et de

restituer au juge les compétences qui lui sont propres dans l'équilibre entre le droit à la vie

privée d'un côté, et le droit à l'information et à la liberté d'expression de l'autre. Bien que son

action soit volontairement trop zélée, la politique mise en œuvre par Google a le mérite de

mettre en exergue les dangers liés à la privatisation de la justice. Le législateur doit prendre

conscience de l'ampleur des enjeux et agir pour mettre en place un cadre clair sur la

conciliation entre la liberté d'expression et les autres droits » déclare Miriam Artino, en

charge de l'analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.

www.laquadraturenet.fr, Août 2014

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Document 12 : L’effacement comme stratégie politique et la reconstruction possible de

lien mémoriel par la littérature

Je dispose d’autres renseignements concernant mes parents ; je sais qu’ils ne me seront

d’aucun secours pour dire ce que je voudrais en dire.

Quinze ans après la rédaction de ces deux textes, il me semble toujours que je ne pourrais

que les répéter : quelle que soit la précision des détails vrais ou faux que je pourrais y

ajouter, l’ironie, l’émotion la sécheresse ou la passion dont je pourrais les enrober, les

fantasmes auxquels je pourrais donner libre cours, les fabulations que je pourrais

développer, quels que soient, aussi, les progrès que j’ai pu faire depuis quinze ans dans

l’exercice de l’écriture, il me semble que je ne parviendrai qu’à un ressassement sans

issue. (…)

Ce n’est pas, comme je l’ai longtemps avancé, l’effet d’une alternative sans fin entre la

sincérité d’une parole à trouver et l’artifice d’une écriture exclusivement préoccupée de

dresser ses remparts : c’est lié à la chose écrite elle-même, au projet de l’écriture comme

au projet du souvenir.

Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais pas si ce que

j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est indicible (l’indicible n’est pas tapi dans

l’écriture, il est ce qui l’a bien avant déclenchée) ; je sais que ce que je dis est blanc, est

neutre, est singe une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes.

C’est cela que je dis, c’est cela que j’écris et c’est cela seulement qui se trouve dans les

mots que je trace, et dans les lignes que ces mots dessinent, et dans les blancs que laisse

apparaître l’intervalle entre ces lignes ; j’aurai beau traquer mes lapsus (…) ou rêvasser

pendant deux heures (…) je ne retrouverai jamais, dans mon resserrement même que

l’ultime reflet d’une parole absente à l’écriture, le scandale de leur silence et de mon

silence : je n’écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n’écris pas pour dire que je n’ai

rien à dire. J’écris : j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été parmi

eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps ; j’écris parce qu’ils ont

laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort

à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.

Extrait de G. Pérec, W

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Document 13 : Pardon et oubli

Le philosophe Français Vladimir Jankélévitch fustige ici le pardon à tous prix. Pour lui, le

pardon fait naître l’oubli des mémoires et ne peut être suffisant pour continuer le vivre

ensemble.

« Comme ils sont superficiels et vains ceux qui proclament : “À défaut de pardon, laisse

venir l’oubli”. Ou, tout l’inverse, la formule qui revient à chaque commémoration des

hécatombes : “Nous voulons bien pardonner, mais oublier, jamais”. Piètres rhétoriqueurs,

dont l’éloquence est à la fois si évidente et si creuse ! Qu’est-ce donc cet oubli sans

pardon, que la cendre du temps qui submerge la morsure toujours présente, enfouie mais

dont la rouille creuse sous une apparente peinture, et détruit le métal dont bientôt ne

restera plus rien ? Qu’est-ce donc ce pardon qui ne sait pas effacer de nos mémoires le mal

infligé, et quelle réconciliation, quelle amitié peut se fonder maintenant quand le déni de

justice est toujours ravivé par ces artificielles cérémonies du “souvenir” ? De quoi se

souvenir ? Quoi rappeler ? Le mal que l’autre a fait ? La vendetta perpétuelle ? S’il y a

pardon, il y a effacement de nos mémoires. Le pardon et l’oubli vont de pair s’ils sont

fondés, et non pas seulement illusion sur soi-même, théâtres d’ombres que l’on se joue. Ils

sont la condition réciproque de notre possibilité de vivre ensemble. »

Vladimir Jankélévitch, Le Pardon, Paris, Éd. Montaigne, 1967

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Document 14 : Le mythe de Teuth dans le Phèdre de Platon

Le mythe évoqué ici par Platon évoque l’impact de l’invention de l’écriture sur la mémoire.

Le roi Thamous affirme ici que l’écriture empêchera les hommes d’accéder à leurs souvenirs

par leurs propres moyens, préférant se reposer sur un outil extérieur. Ce mythe antique reste

contemporain avec l’évènement des nouveaux outils de stockage mémoriel.

SOCRATE

Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité. Si nous

pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions des hommes ?

PHÈDRE

Quelle plaisante question ! Mais dis-moi ce que tu prétends avoir entendu raconter.

SOCRATE

J'ai donc ouï dire qu'il existait près de Naucratis, en Égypte, un des antiques dieux de ce pays,

et qu'à ce dieu les Égyptiens consacrèrent l'oiseau qu'ils appelaient ibis. Ce dieu se nommait

Theuth. C'est lui qui le premier inventa la science des nombres, le calcul, la géométrie,

l'astronomie, le trictrac, les dés, et enfin l'écriture (grammata). Le roi Thamous régnait alors

sur toute la contrée ; il habitait la grande ville de la Haute-Égypte que les Grecs appellent

Thèbes l'égyptienne, comme ils nomment Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc

trouver ce roi pour lui montrer les arts qu'il avait inventés, et il lui dit qu'il fallait les

répandre parmi les Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité serait chacun des arts. Le

dieu le renseigna ; et, selon qu'il les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait ou

blâmait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d'observations pour et contre chaque art.

Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on en vint à l'écriture : « Roi, lui dit Theuth,

cette science rendra les Égyptiens plus savants et facilitera l’art de se souvenir, car j'ai trouvé

un remède (pharmakon) pour soulager la science (sophia) et la mémoire. »

Et le roi répondit :

- Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de

juger quel lot d'utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. Et c'est ainsi

que toi, père de l'écriture (patêr ôn grammatôn), tu lui attribues, par bienveillance, tout le

contraire de ce qu'elle peut apporter. Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l'oubli

de ce qu'elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu'ils auront foi dans l'écriture,

c'est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d'eux-

mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le remède (pharmakon),

non point pour enrichir la mémoire, mais pour conserver les souvenirs qu'elle a. Tu donnes à

tes disciples la présomption qu'ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront,

en effet, beaucoup appris sans maître, ils s'imagineront devenus très savants, et ils ne seront

pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires

(doxosophoi) au lieu de vrais savants.

Platon, Phèdre, -274/-275

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Document 15 : Comment se souvenir quand on ne peut pas se rappeler quoi que ce soit ?

Cet article du web-magazine slate.fr évoque les apports des nouveaux outils technologiques

en termes de mémoire. Un jeune américain devenu amnésique suite à un accident utilise ainsi

les réseaux sociaux pour reconstituer ses souvenirs. Il est allé jusqu’à créer sa propre

application lui servant de mémoire digitale. Vous pourrez trouver davantage d’informations à

ce sujet en visitant la page web dédiée : http://www.yourdigitalmemory.com/

Thomas Dixon est incapable de se souvenir de ce qu’il a fait hier, ou avant-hier, ou même le

week-end précédent. « Dixon, 32 ans, souffre de troubles de la mémoire épisodique, une

variante de l’amnésie qu’il doit à un accident, qui l’a laissé avec un grave traumatisme

crânien il y a six ans, raconte BuzzFeed. S’il parvient à déterminer logiquement les

événements de ces derniers jours – “Je n’étais certainement pas en Chine”– et se souvient de

détails essentiels comme l’aménagement de sa maison, il n’a aucun souvenir immédiat de ce

qu’il s’est passé depuis l’accident. »

Il a donc fallu qu’il soit inventif. Pendant longtemps, Thomas Dixon a utilisé Twitter pour se

souvenir de ce qu’il faisait jour après jour, comme l’expliquait Fast Company en octobre 2014

: « Il utilise Twitter toute la journée pour y inscrire des détails dont il ne se souviendra

probablement pas demain: de quoi parlait ce qu’il lisait, quel type de café il a commandé, à

qui il a parlé. Même les détails de sa vie sexuelle, qu’il tweete en coréen pour éviter des

moments embarrassants avec des personnes qui liraient par-dessus son épaule. Tout ça finit

sur son compte Twitter, qu’il a paramétré en privé, et sur lequel il pourra s’appuyer plus

tard, pour y faire des recherches et l’analyser. »

Mais, visiblement, Twitter ne répondait pas à tous ses problèmes (tout comme le journal

intime papier qu’il avait tenu avant de basculer sur Twitter). Thomas Dixon a expliqué à

BuzzFeed qu’il a finalement abandonné son compte et ses 29.000 tweets, « parce qu’il

trouvait les capacités de recherche de Twitter [...] limitées », délaissant le réseau social pour

une app qu’il a lui-même créée : Me.Mory.

Une façon de procéder certes hors du commun, mais, comme l’explique à Buzzfeed Tomás

Ryan, un chercheur au MIT qui travaille sur la façon dont on se souvient et dont on oublie

certaines choses, ce n’est pas parce que l’on a des smartphones que l’on s’appuie sur la

technologie pour se souvenir de certaines choses : « Depuis que l’on sait écrire, on

externalise nos souvenirs. »

Le chercheur ajoute que, si internet peut aider, il ne pourra jamais vraiment remplacer les

souvenirs que l’on a en tête : « Ces notes et vidéos ou tout autre enregistrement n’incluent pas

votre état émotionnel à ce moment-là, ni ce à quoi vous prêtiez attention à ce moment-là. »

Gregor Brandy, slate.fr, 11/07/2016