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Albert Camus Les Justes mise en scène Guy-Pierre Couleau Création les 16, 17, 18, 19 janvier Théâtre La passerelle / Gap DOSSIER PEDAGOGIQUE

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Albert Camus

Les Justes mise en scène Guy-Pierre Couleau

Création les 16, 17, 18, 19 janvier Théâtre La passerelle / Gap

DOSSIER PEDAGOGIQUE

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S O M M A I R E

Page 4 Distribution Page 5 Note d’intention de Guy Pierre Couleau Page 7 L’intrigue du spectacle Page 9 Albert Camus biographie Page 14 Actualités littéraires d’Albert Camus et bibliographie Page 15 Albert Camus toujours moderne Page 16 Albert Camus et le théâtre Page 17 Propos d’Albert Camus Page 19 Thématique de la terreur Page 26 Qu’est ce que le terrorisme par Jürgen Habermas Page 28 Qu’est ce que le terrorisme par Jacques Derrida Page 30 Extraits de l’œuvre de Camus Page 35 Discours de Suède Page 38 Ateliers pour la classe - Les Justes – Lorenzaccio Page 40 Lecture analytique de l’extrait Page 41 Contacts et tournée

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LES JUSTES d’Albert Camus

Mise en scène Guy Pierre Couleau

Dramaturgie Guillaume Clayssen Scénographie Raymond Sarti Costumes Laurianne Scimemi Création sonore Anita Praz Création lumière Laurent Schneegans

avec Jany Gastaldi La Grande Duchesse Anne Le Guernec Dora Sébastien Bravard Stepan Frédéric Cherboeuf Kaliayev Xavier Chevereau Voinov Michel Fouquet Foka François Kergourlay Annenkov Nils Ohlund Skouratov

Production : Cie des Lumières & des Ombres Coproduction : Le Moulin du Roc–Scène nationale de Niort - Théâtre La passerelle–Scène nationale de Gap et des Alpes du sud Avec le soutien de la DRAC Poitou-Charentes Coréalisation : Théâtre Athénée Théâtre Louis Jouvet Prodcution / diffusion : Nadja Leriche 02 33 04 09 46 – 06 74 49 13 33 lumiè[email protected]

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Les Justes

Note d’intention

« Les noces sanglantes de la répression et du terrorisme »

Albert Camus Cf Chroniques Algériennes

« La générosité en lutte avec le désespoir » « Kaliayev et les autres, croient à l’équivalence des vies. C’est la preuve qu’ils ne mettent aucune idée au-dessus de la vie humaine, bien qu’ils tuent pour l’idée. Exactement, ils vivent à la hauteur de l’idée. Ils la justifient, pour finir, en l’incarnant jusqu’à la mort. D’autres hommes viendront, après ceux-là, qui, animés de la même foi dévorante, jugeront cependant ces méthodes sentimentales et refuseront l’opinion que n’importe quelle vie est équivalente à n’importe quelle autre ».

Albert Camus Les meurtriers délicats

L’écriture d’Albert Camus dans Les Justes est stylée, limpide, profonde. Elle est immédiatement théâtrale et impose, au détour de chaque ligne, sa nécessité au lecteur. Nous y entendons la voix de Camus pour ce que nous lui connaissons de sincérité, d’engagement et de clairvoyance. Et si cette voix semble d’une étrange présence à nos oreilles, c’est parce qu’elle est nourrie de prophéties sur son époque et sur la nôtre : que l’on se remémore ses prises de position sur le conflit algérien et ses conséquences, la bombe atomique ou le stalinisme et ses crimes, et nous repensons au présent la pertinence d’un homme qui se voulait artiste avant tout. L’art est le moyen de la révolte selon Camus. Mettre en scène «Les Justes» revient à se positionner sur notre époque. Le projet de Camus pour le théâtre de son époque, pourrait aussi être celui de notre temps. Les absences, les manques et les rêves des hommes de théâtre se ressemblent génération après génération : «(je veux) montrer que le théâtre d’aujourd’hui n’est pas celui de l’alcôve ni du placard. Qu’il n’est pas non plus un tréteau de patronage, moralisant ou politique. Qu’il n’est pas une école de haine mais de réunion. Notre époque a sa grandeur qui peut être celle de notre théâtre. Mais à la condition que nous mettions sur scène de grandes actions où tous puissent se retrouver, que la générosité y soit en lutte avec le désespoir, que s’y affrontent, comme dans toute vraie tragédie, des forces égales en raison et en malheur, que batte enfin sur nos scènes le vrai cœur de l’époque, espérant et déchiré. » Ces paroles ont presque cinquante ans. Albert Camus voulait faire du théâtre pour y être heureux.

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« Les Justes » est une pièce d’amour, une histoire d’amour entre un auteur et ses personnages, entre un homme de théâtre et son auditoire. Elle est une pièce d’acteurs où «le corps est roi». Mais elle est une pièce où règne le combat entre l’amour de la vie et le désir de mort. Kaliayev, Dora, Stepan, Voinov, Annenkov, sont des terroristes. Pourtant Camus écrit aussi des « résistants » à une oppression, une tyrannie, des hommes et des femmes dont il se sent proche, comme un de leurs frères dans la lutte et la révolte. Ils sont asservis et se battent pour une cause. Ils veulent le bonheur du genre humain, en ont le désir et sont sincèrement habités de leur conception du monde, d’une vision plus juste du monde. Pour atteindre leur but, - et c’est le paradoxe - ils ne reculent pas devant le meurtre. Camus ne les sauve ni de leur noirceur ni de leur violence. Ces hommes et ces femmes sont déjà morts. Ils sont seuls et morts à l’amour. Animés, dans le même temps, par la haine de l’oppression et par l’amour de la liberté, nourris du besoin de construire une société idéale pour le futur de leurs semblables, ils tuent aveuglément en regardant l’avenir et s’enferment à jamais dans ces «noces sanglantes de la répression et du terrorisme» Devant ce qu’ils nomment la tyrannie, leur seule arme est la terreur, par tous les moyens. Ils tuent pour que d’autres vivent et ils se tuent pour que naissent des temps meilleurs qu’ils ne verront jamais, en justifiant leurs meurtres par leur propre mort inéluctable. Là est leur désespérance : dans cette image du combat éternellement humain, qui oppose idéal et réel. Là est leur impossible : dans l’irréparable déchirure entre le geste de tuer au nom de la justice et l’idée de sauver la vie pour la Liberté. « Les Justes » font écho à notre temps, aux déflagrations de nos villes et de nos quotidiens. Ils ne disent pas le terrorisme d’aujourd’hui, mais ils l’évoquent et je ne peux m’empêcher, en lisant la pièce de Camus, de penser à ces mains qui, quelque part, aujourd’hui, donnent la mort, à ces ceintures d’explosifs soigneusement fabriquées dans l’espoir idéalisé d’une vie meilleure. Je pense à ces détonateurs qui fauchent l’innocence aveuglément, à ces regards d’enfants méprisés, ignorés, tués. Je pense à cette vie fragile, belle, indispensable, anéantie. Construire est plus difficile que détruire. Respecter la vie est plus grand que semer la mort. Le théâtre est le lieu de la vie. « Les Justes » font, au présent, un détour par hier pour nous faire entrevoir demain.

Guy Pierre Couleau (novembre 06)

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Les justes

L'intrigue

Annenkov, Stepan, Dora, Kaliayev et Voinov établissent un plan afin d'assassiner le grand-duc qui doit se rendre en calèche, un soir, au théâtre. Les cinq personnages font partie d'un groupe de socialistes révolutionnaires soucieux de la libération du peuple russe. Le grand-duc veut faire régner la terreur et la domination sur son territoire. Annenkov, à la tête de cet attentat veut libérer les victimes de la "dictature". Chacun répète son "rôle" et la tâche qu'il doit accomplir (faire le guet, envoyer la bombe...). A l'arrivée du grand-duc dans la ville, alors qu'ils s'apprêtent tous à agir pour le "bien du peuple ", Kaliayev est dans l'impossibilité de commettre ce crime. La présence d'une femme et d'enfants l'en dissuade. Ils décident donc de remettre leur geste meurtrier mais nécessaire à plus tard. Camus homme de théâtre met en scène magistralement la résistance et la révolte dans tous leurs paradoxes. En effet, rêvant d’un monde meilleur et juste, ces "meurtriers délicats" n’inventent que le meurtre et le sacrifice pour atteindre leur idéal. Ils tuent et se tuent pour que d’autres vivent… dans une noire désespérance. Camus, avec une écriture d’une pureté incomparable, y explore la complexité de ce combat, les doutes de l’"homme révolté", ses oscillations entre dévouement et honneur, et donc les limites de la justice. Même s’il ne faut pas confondre les combats d’hier et d’aujourd’hui, Les Justes semblent éminemment une pièce "nécessaire", un singulier écho aux déflagrations de notre temps.

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« En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes appartenant au parti socialiste révolutionnaire organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l’ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous mes personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J’ai seulement tâché à rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai.J’ai même gardé au héros des justes, Kaliayev, le nom qu’il a réellement porté. Je ne l’ai pas fait par paresse d’imagination, mais par respect et admiration pour des hommes et des femmes qui, dans la plus impitoyable des tâches, n’ont pas pu guérir de leur cœur. On a fait des progrès depuis, il est vrai, et la haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu’elles firent pour se mettre d’accord avec le meurtre – et pour dire ainsi où est notre fidélité. »

Albert Camus Préface à la pièce – 1949

Albert Camus a écrit Les Justes en 1949. La pièce fut créée au Théâtre Hébertot par Paul Oettly avec notamment Maria Casarès, Michel Bouquet et Serge Reggiani.

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Albert Camus Biographie

«S’il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu’on a perdus, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d’inhumain qui m’habite aujourd’hui. Un émigrant revient dans sa patrie. Et moi je me souviens.» De son enfance misérable, Camus gardera l’amour silencieux de la mère, la bonté d’un instituteur qui lui permit d’accéder à la culture, la fraternité découverte grâce aux terrains de football et aux scènes de théâtre. Romancier, dramaturge ou penseur, Camus est un écrivain de l’absurde. L’au-delà n’offre pas de réponses à nos angoisses. «Mon royaume tout entier est de ce monde.» Mais le bonheur est précaire. Meursault, «l’étranger», détruit un jour, d’un coup de feu, l’équilibre d’une belle matinée d’été. «Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.» Toujours, chez Camus, l’extase lyrique côtoie le tragique. La guerre a isolé Camus de sa femme et de sa terre natale. Il vit une sorte d’exil, où il conçoit un roman qui s’appelle un temps Les Séparés. Ce sera La Peste, fable où l’épidémie figure l’occupation allemande. Journaliste clandestin pendant les années noires, maître à penser trop souvent confondu avec les « existentialistes », Camus, grâce à La Peste, s’impose aussi dans les années d’après-guerre comme un romancier à succès. Au cœur du sentiment de l’absurde : la nécessité de la révolte. Elle seule donne sa dignité à l’homme et légitime la création artistique. Fruit d’une longue réflexion, L’homme révolté est accueilli comme un pamphlet politique. Camus y dénonce en effet la terreur mise en place par les régimes révolutionnaires, en clair : les camps soviétiques. Camus et Sartre, les amis chahuteurs de Saint-Germain-des-Prés se brouillent à jamais et deviennent les deux pôles de la pensée française. Blessé par les bassesses de ses amis de gauche, culpabilisé par son donjuanisme impénitent, Camus abhorre l’image de « juste » qu’on lui attribue. De ces souffrances mêlées, naît La Chute. Quand il reçoit le prix Nobel, en 1957, la critique laisse entendre que son œuvre est derrière lui. Cet enterrement avant l’heure met un comble à son amertume. Camus se réfugie de plus en plus à Lourmarin. Sa mort accidentelle lui donnera tragiquement une éternité trop vite acquise.

Pierre-Louis Rey in Camus,

L’homme révolté (Editions Découvertes Gallimard)

"Ce qui m'intéresse, c'est d'être un homme." Albert Camus, in La Peste

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1913 - Naissance, le 13 novembre, d'Albert Camus à Mondovi, près de Bône (Algérie).

1914 - Camus ne connaîtra pas son père : Lucien Camus, mobilisé et blessé à la bataille de la Marne, meurt à l'hôpital militaire de Saint-Brieuc. Albert Camus, élevé par sa mère - une femme de ménage analphabète - et par sa grand-mère, "apprend la misère" dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger.

1923/1924 - A l'école communale, au CM2, un instituteur, Louis Germain (auquel seront dédiés les Discours de Suède, prononcés à l'occasion de la remise du prix Nobel de littérature), distingue l'enfant, s'intéresse à lui, l'aide, et convainc sa famille de présenter le jeune écolier au concours des bourses qui allait lui permettre d'aller au lycée. Reçu, Camus entre au lycée Bugeaud d'Alger en 1924.

1930 - Camus est en classe de philosophie. Premières atteintes de la tuberculose, maladie qui lui fait brutalement prendre conscience de l'injustice faite à l'homme (la mort est le plus grand scandale de la création) et qui aiguise son appétit de vivre dans le seul monde qui nous soit donné.

1932 - Premiers essais, premiers écrits publiés dans la revue Sud.

1931 - Rencontre du professeur et philosophe Jean Grenier.

1933 - Étude de philosophie à la faculté d'Alger.

1934 - Mariage en juin avec Simone Hié. Ils se sépareront l'année suivante.

1935 / 1937 - Adhésion au parti communiste.

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1936 / 1939 - Au Théâtre du Travail, puis au Théâtre de l'Équipe, Camus joue (et adapte) de nombreuses pièces (Le temps du mépris de Malraux, Les bas-fonds de Gorki, Le retour de l'enfant prodigue de Gide, Les frères Karamazov de Dostoïevski, dans l'adaptation de Copeau, etc. ).

1937 - Publication de L'envers et l'endroit, écrit de jeunesse qui témoigne de son enfance, et livre quelques clés essentielles de son univers. Élaboration du premier roman, La mort heureuse.

1938/1939 - Chroniques journalistiques "engagées" dans Alger Républicain.

1940 - Journaliste à Alger, Paris, Clermont-Ferrand et Lyon. Travaille aux "trois Absurdes" : L'étranger, Le mythe de Sisyphe, et Caligula. Le "cycle" est achevé le 21 février 1941. Remariage avec Francine Faure qui lui donnera deux enfants, Catherine et Jean.

1942 - Publication de L'étranger (15 juin) et du Mythe de Sisyphe (16 octobre).

1943 - Rencontre avec Sartre. Camus est journaliste à Combat qui est diffusé clandestinement et devient lecteur chez Gallimard. Publication clandestine des premières Lettres à un ami allemand.

1945 - Première représentation de Caligula, avec Gérard Philipe et Michel Bouquet.

1947 - Publication de La peste (10 juin), roman qui rencontre immédiatement un grand succès auprès du public. Camus quitte la direction de Combat.

1948 - Création par la Cie Madeleine Renaud – Jean-Louis Barrault de l’Etat de Siège, qui est un échec. Voyage en Algérie.

Répétitions de « L’Etat de Siège

(1948) » : à la gauche de Camus

on reconnaît Madeleine Renaud et Maria Casarès,

qui jouera également dans

« Les justes » et fut une des passions

de sa vie. En bas à gauche, Jean-Louis

Barrault.

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1949 - Décembre : première représentation des Justes.

1951 - Publication de L'homme révolté, essai qui suscitera de violentes polémiques et entraînera, en 1952, la rupture de Camus avec la gauche communiste, avec Sartre et sa revue, Les temps modernes.

1953 - Camus revient au théâtre, passion qui dominera toutes les dernières années de sa vie. Il traduit et adapte Les esprits (comédie de Pierre de Larivey), La dévotion à la croix (de Pedro Calderon) qu'il présente au festival d'Angers (juin). En octobre, projetant de mettre en scène Les possédés, il travaille à l'adaptation du grand roman de Dostoïevski.

1954 - Printemps : publication de L'été.

4, 5, 6 octobre : court voyage aux Pays-Bas, unique séjour de Camus dans ce pays qui sert de cadre à La chute. Camus demeura deux jours à Amsterdam ; à la Haye, il visita le célèbre musée Mauritshuis, où il admira plus particulièrement les Rembrandt.

Premier novembre : le FLN ( le Front de libération nationale ) algérien passe à l'attaque ( meurtre de civils arabes et français). Début de la guerre d'Algérie qui fut pour Camus "un malheur personnel".

1955 - Mars : représentation d'Un cas intéressant (adaptation d'une pièce de Dino Buzzati). Avril 1955 : premier voyage de Camus en Grèce, lumineux berceau de la civilisation méditerranéenne, terre de "la pensée de midi" (conclusion de L'homme révolté).

Mai 1955 - février 1956 : Camus écrit dans L'express des chroniques où il traite de la crise algérienne (ces "papiers" seront réunis plus tard et publiés sous le titre d'Actuelles III ).

1956 - 22 janvier : Camus lance un appel pour une trêve civile en Algérie. Appel qui ne rencontre aucun écho. De part et d'autre, les positions se durcissent, les actes de terrorisme se multiplient, le conflit se généralise. Mai : publication de La chute.

22 septembre : première représentation triomphale de Requiem pour une nonne, adaptation de l'œuvre de Faulkner.

1957 - L'exil et le royaume.

- Réflexions sur la guillotine (vibrant plaidoyer contre la violence "légale", contre la peine de mort). - Représentation du Chevalier d'Olmedo (adaptation de la pièce de Lope de Vega) au festival d'Angers (juin).

Décembre : Camus obtient le prix Nobel de littérature "pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes".

1958 - Dépression. Parution de Discours de Suède (reproduit ci-après dans les annexes de ce dossier) et d'Actuelles III. Achète une maison à Lourmarin dans le Lubéron.

1959 - Représentation des Possédés. Camus entreprend de nombreuses démarches pour donner corps à un vieux rêve : fonder sa propre compagnie théâtrale.

Travaille sur un roman, Le premier homme, texte à caractère autobiographique inachevé, et posthume (publication en 1994).

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1960 - 4 janvier : mort d'Albert Camus dans un accident de voiture près de Sens.

Principaux ouvrages

L’Envers et l’Endroit - 1937 Noces - 1938 recueils d’essais et d’impressions Le Mythe de Sisyphe – 1942 L’Etranger – 1942 Caligula – 1944 Le Malentendu – 1944 La Peste – 1947, prix de la critique en 1948 L’Etat de siège – 1948 Lettres à un ami allemand – 1948, sous le pseudonyme de Louis Neuville Les Justes – 1950 L’Homme révolté – 1951 L’Eté – 1954 La Chute – 1956 Réflexions sur la Guillotine – 1947 L’Exil et le royaume – 1947 Le Premier Homme (inachevé, publié par sa fille – 1994, Gallimard) Les Possédés - 1959 ( adaptation au théâtre du roman de Fedor Dostoïevski) Deux romans de Camus figurent parmi les livres les plus achetés en France, 8 millions d’exemplaires pour L’Etranger et 6 millions pour La peste.

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Actualité littéraire de Camus

En 2006, parution de la deuxième édition totalement refondue des Œuvres complètes de Camus dans la Bibliothèque de la Pléiade. Jean Daniel : Avec Camus, comment résister à l’air du temps. Gallimard, Bibliothèque des idées, 2006

Pierre-Louis Rey : Camus, L’homme révolté, biographie , collection Découvertes Gallimard, 2006

Jacqueline Lévy-Valensi : Camus, ou la naissance d’un romancier, Gallimard, les Cahiers de la NRF, 2006

Daniel Rondeau : Camus ou les promesses de la vie, album. Destins- Editions Mengès, 2005

Bibliographie de l’enseignant et de l’étudiant

Etude sur Les Justes, par Alain Beretta, Ed. Résonances, coll. Ellipses – épreuves de français. Profil d’une œuvre n° 47 : Les Justes de Camus, par Madeleine Bouchez. Editions Hatier

Premier chapitre de l’Etranger

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Albert Camus, toujours moderne

Extrait de l’article de Philippe Forest par dans Le Monde des Livres , 5 mai 2006 (…) La question constante d’Albert Camus est celle qui domine de son ombre le siècle passé, la même depuis toujours, et qui nous poursuit dans le nouveau millénaire. Elle se nomme le nihilisme. Dans une langue à la hauteur de laquelle se tiennent peu d’écrivains après lui, l’auteur de Noces chante, à Djamila et Tipasa, la trace extatique des dieux enfuis. Dans l’Etranger et La Peste, il machine des récits qui mesurent les effets dévastateurs de ce défaut de sens propageant partout le règne du crime et au creux silencieux duquel s’invente pourtant la possibilité d’une parole de vérité. Autant que tous ses contemporains et mieux que la plupart d’entre eux, Camus considère le vide et le vertige où s’éveille la conscience moderne. Mais il le fait sans recourir aux faux-fuyants de la philosophie, aux facilités de la fiction, se refusant du même coup à toutes les solutions de sortie que proposent les professionnels de la pensée lorsqu’ils affirment qu’on peut en finir avec le scandale d’exister et verser celui-ci au compte d’une idéologie ou d’une esthétique prétendument rédemptrices. Car ce nihilisme dont L’Homme révolté proposera l’indiscutable généalogie, Camus ne parle pas la langue vide et falsificatrice dont, autour de lui, usent de façon intéressée les penseurs de son siècle – « Il y a toujours, écrit-il, une philosophie pour le manque de courage. ». Ce nihilisme qu’il combat, considérant l’abîme qui s’est concrètement ouvert pour les gens de sa génération, Camus, en témoin concerné de l’horreur, le nomme Auschwitz ou Hiroshima, nazisme et stalinisme. Ce néant qu’il affronte, au lieu d’en faire un concept, en romancier, il l’incarne dans la figure infiniment pathétique, dont après Dostoïevski et Faulkner, il hérite et dont il fait l’insoutenable point d’aporie de toute pensée. Voyez La Peste, voyez Les Justes, voyez Requiem pour une nonne et constatez comment le cadavre même de l’innocence constitue le plus irréfutable démenti de toute parole d’assentiment accordée à l’atrocité du monde. Précisément parce qu’il est moral, le propos est également politique, bien sûr, et il n’a rien perdu de sa pertinence. Tout au contraire. Immédiatement, Camus prend la mesure d’un âge dominé par le régime rationnel d’une Terreur qui justifie l’abject et en diffuse planétairement les effets de masse. (…) C’est pourquoi, à l’encontre de toutes les prophéties présentes qui prédisent et qui programment la disparition du roman, il a tout l’avenir devant lui : « L’injustice et la souffrance demeureront et, si limitées soient-elles, elles ne cesseront pas d’être le scandale. Le ˜Pourquoi ?˜de Dmitri Karamazov continuera de retentir ; l’art et la révolte ne mourront qu’avec le dernier homme. »

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Albert Camus et le théâtre

Très tôt Albert Camus s'est intéressé au théâtre. En 1936, il fonde le Théâtre du Travail à Alger avec de jeunes intellectuels révolutionnaires, étudiants plus ou moins imprégnés de marxisme, mais aussi des artistes et des ouvriers, généralement militants. Après sa rupture avec le Parti Communiste, Albert Camus dissout le Théâtre du Travail qui renaît bientôt sous le nom Théâtre de l'Equipe, dont voici le manifeste : "Le Théâtre de l'Equipe demandera aux œuvres la vérité et la simplicité, la violence dans les sentiments et la cruauté dans l'action. Ainsi se tournera-t-il vers les époques où l'amour de la vie se mêlait au désespoir de vivre : la Grèce antique (Aristophane, Eschyle), l'Angleterre élizabethaine (Forster, Marlowe, Shakespeare), l'Espagne (Fernando de Rojas, Calderón, Cervantes), l'Amérique (Faulkner, Caldwell), notre littérature contemporaine (Claudel, Malraux). Mais d'un autre côté, la liberté la plus grande régnera dans la conception des mises en scène et des sentiments de tous et de tous les temps dans des formes toujours jeunes, c'est à la fois le visage de la vie et l'idéal du bon théâtre. Servir cet idéal et du même coup faire aimer ce visage, c'est le programme du Théâtre de l'Equipe."

Les adaptations

Albert Camus avait déjà effectué des adaptations à l'époque du Théâtre de l'Equipe, mais cette occupation devient plus importante entre 1953 et 1958. On a souvent dit qu'à la suite de l'Homme Révolté, il avait traversé une crise qui l'avait empêché de travailler comme il l'aurait voulu : il a écrit les nouvelles qui constitueront L'Exil et le Royaume et La Chute et a comblé le vide en traduisant et en adaptant des œuvres. Il ne faut pourtant pas croire que le théâtre n'est qu'un pis-aller; il constitue pour Camus une passion et un refuge où il peut se montrer tel qu'il est. Enfin, sa grande préoccupation est le renouveau de la tragédie moderne : il s'exerce en quelque sorte, en traduisant et adaptant, en même temps qu'il offre des rôles à ses amis acteurs et metteurs en scène. C'est dans cet esprit qu'il va de Calderón à Dostoïevski en passant par Faulkner.

Propos de Catherine Sellers, comédienne, sur Camus, homme de théâtre

«Il donnait un minimum d’indications psychologiques, il parlait par images : «imaginez que c’est une spirale qui s’enfonce dans la terre» ou «c’est une bobine qui se déroule jusqu’au dernier fil et à ce moment-là on s’aperçoit que la pelote est encore pleine» ou encore «le tragique c’est comme les anémones, le cœur noir et toutes les couleurs de la vie, il n’y a ni tristesse, ni mélancolie, ni morosité, c’est de l’énergie pure.» «Camus disait souvent : «Le théâtre c’est une histoire de grandeur racontée par des corps». Et sa devise philosophique était un aphorisme de Nietzsche : Il faut se méfier de toute pensée qui ne vient pas de la fête du corps ; le vrai péché contre l’esprit c’est le cul de plomb.»

(Archives radiophoniques)

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Propos de Camus

« Pourquoi je fais du théâtre ? La réponse que je vais faire vous paraîtra d’une décourageante banalité : parce qu’une scène de théâtre est un des lieux au monde où je suis heureux. » « Je m’efforce de me réfugier dans le lieu de mon bonheur : le théâtre… Le théâtre est ainsi pour moi un couvent, un groupe de moines tendu vers un même but. » « Le théâtre s’embarrasse de peu de choses. : pour la pièce il faut des caractères et un langage et la toile pour les décors. » « Je ne sais ce qu’est une pièce philosophique, pour peu qu’on se place aujourd’hui au-dessus du lit, on crie à la métaphysique. » « Il n’y a pas de théâtre sans grand langage et ce but est l’idéal vers lequel nous devons tendre. »

(archives radiophoniques) « Que le théâtre figure la réalisation collective de la pensée d’un seul, voilà qui montre quelle est sa vérité profonde et la réussite qui en est contemporaine. A l’égard de ceux qui l’applaudissent comme envers ceux qui le font vivre, cet art est soumis au suffrage universel. Et les sentiments qu’il illustre doivent, en conséquence, recevoir l’accord de tous. Ce qui compte au théâtre, par suite, c’est l’évidence et l’action. Le côté élémentaire fait, au reste, sa noblesse et si un art se mesure, comme on peut le

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croire, aux difficultés contradictoires qu’il présente, celui-là est un des plus grands, qui demande à l’artiste d’être évident sans être plat, simple sans vulgarité et vivant sans grandiloquence… Ainsi encore, le secret particulier au grand théâtre c’est de se situer un lieu géométrique du familier et de l’inhumain. Car c’est par ce jour exclusif qu’il jette sur des passions bien humaines qu’il s’éloigne le plus de la réalité. Et par un paradoxe émouvant et singulier, c’est avec des matériaux tirés du cœur de l’homme qu’il édifie ce monde à part, ce plateau merveilleux où les dieux, pour quelques heures, surgissent et parlent.

La solitude des grands sentiments, c’est le thème dramatique par excellence. Hamlet et Othello sont des spécialistes de la passion, si l’on entend par là qu’elle est leur exercice exclusif et que rien ne les touche plus de ce qui dans la vie quotidienne distrait l’homme de lui-même : entrer dans un restaurant ou changer de linge. Cette constante caricature de la passion explique peut-être quelques-uns des artifices dramatiques de tous les temps, ceux qui servent à exprimer un sentiment ou un personnage type : le masque grec, la stylisation du « No » japonais, les symboles eschyliens, Iago en face d’Othello ou l’ « invitus invitam » qui résume toute une tragédie. Ainsi le plus élémentaire des arts, par sa simplicité même, peut devenir le plus lointain et le plus nostalgique. Ainsi, par ce jeu des corps et des lumières, cette précipitation d’hommes violemment colorés vers la consommation finale, les tragédies les plus humaines enlèvent le spectateur au-dessus de lui-même. Le corps est ici le serviteur de ses propres passions, l’acteur interprète d’un destin qui appartient à tous et à personne… »

(article de Camus, La lumière, p. 1405-1407, Jean Giraudoux ou Byzance au théâtre, 1940)

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La thématique de la terreur et de sa justification idéologique

étant centrale dans Les Justes,

nous proposons ici un dossier sur la question du terrorisme

Terrorisme

Le terrorisme est une méthode qui consiste à mener des actions violentes (attentats, assassinats, enlèvements, sabotages...) contre un adversaire, en particulier un gouvernement et la population qui assure sa légitimité, de telle sorte que leur retentissement psychologique dépasse largement le cercle des victimes directes pour inclure le groupe qu'elles sont censées représenter. Si un accord existe sur le concept, la délimitation du phénomène terroriste reste complexe. D'un point de vue historique, on peut faire remonter ses usages connus à la secte des Zélotes puis à celle des Assassins. La conceptualisation de la Terreur sera l'œuvre de la Révolution française mais sera aussi revendiquée par Lénine en Russie. Aujourd'hui le terme terrorisme est péjoratif. Ses nombreuses définitions trahissent souvent les intérêts de ceux qui les écrivent. Pour certains le terrorisme ne pourrait être que l'œuvre des opposants à l'ordre établi, pour d'autres (Noam Chomsky par exemple) les états et institutions sont aussi concernés par le recours à cette méthode. Si l'on suit Gérard Chaliand, les actions de terrorisme se confondent parfois à la guerre, la guérilla ou au banditisme. Les tentatives pour élaborer une typologie du recours au terrorisme butent sur l'hétérogénéité des terroristes. Des classifications (action individuelle ou organisée, type de doctrine, moralité du choix des cibles...) existent mais ne suffisent pas à rendre compte du phénomène. Au final, le terrorisme à montré qu'il pouvait parvenir à ses fins dans le cadre des luttes anti-coloniales (Indépendance de l'Irlande) et qu'il pouvait médiatiser des causes méconnues (Palestine). En revanche, à moins d'être couplé à un programme politique cohérent, il n'a jamais permis à un quelconque mouvement terroriste de parvenir au pouvoir.

Étymologie et origines Le mot terrorisme (ainsi que terroriste et terroriser) exprime l'idée d'une terreur imposée à un groupe d'individus. Le mot terreur est apparu pour la première fois au XVIIIe siècle, durant la Révolution française, pendant la régime de la Terreur, lorsque le Comité de Salut Public dirigé par Robespierre exécutait ou emprisonnait toutes les personnes qui étaient considérées comme contre-révolutionnaires.

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Le mot a plus tard évolué pour désigner, au moins depuis la Seconde Guerre mondiale, les actions violentes contre les civils pour répandre la terreur et ainsi faire pression sur un État. Elles visent spécifiquement les populations civiles, faites dans le but de détruire, tuer et de mutiler. Ces attaques ont pour but de promouvoir des messages à caractère politique ou religieux par la peur. Si le mot date du XVIIIe siècle, les méthodes violentes ont toujours existé. Sous l'empire romain, par exemple, des groupements assassinaient les légionnaires aux postes frontières (Mur d'Hadrien et Limes). La résistance se justifie d'une guerre pour mettre fin à une domination étrangère, et se revendique du droit à l'autodétermination des peuples et à sa résistance à l'oppression, tandis que le terrorisme relève du crime. La résistance ou guerre de partisans est utilisé comme un moyen de pression en vue de mettre fin à une occupation ou a une soumission violente. On peut citer quelques exemples de guerre de partisans ou résistance : les différents courants durant la Seconde Guerre mondiale comme les Francs-tireurs et partisans (FTP) qui se regrouperont pour former les Forces françaises de l'intérieur (FFI) que de Gaulle organise en un front uni de résistance à l'occupant nazi et à la France de Vichy, la guerre d'Algérie comme une guerre d'indépendance contre la France (qui connut en son sein des actes de terrorisme des deux parts du conflit (OAS et gouvernement/FLN)), ou plus récemment en Grande-Bretagne avec la lutte de l'Irlande du Nord. Jacques Derrida encore rappelle de manière précise que la définition du terrorisme dépend de la possibilité de distinguer différents types de guerres, d'actions armées et de combattants, conformément aux analyses de Carl Schmitt qui font référence en la matière. Il précise : « Une lecture critique de Carl Schmitt, par exemple, serait fort utile [...] pour prendre en compte, aussi loin qu’il est possible, la différence entre la guerre classique (confrontation directe et déclarée entre deux États ennemis, dans la grande tradition du droit européen), la « guerre civile » et la « guerre des partisans » (dans ses formes modernes, encore qu’elle apparaisse, Schmitt le reconnaît, dès le début du XIXe siècle). » Il est parfois difficile de distinguer entre des actes de résistance et des actes de terrorisme car les différents termes renvoient à une forme de légitimité supposée des objectifs politiques qui justifierait en partie les actes de violence commis. La perception de cette légitimité varie largement selon les protagonistes et observateurs ce qui complique grandement l'établissement d'une définition objective et acceptée universellement de la notion de terrorisme. Un cas d'autant plus complexe qu'il fait partie de l'actualité est celui de l'Irak, où diverses tendances de l'Islam sont en guerre larvée et certains groupuscules armés recourent à des actes violents contre des civils irakiens ou étrangers. Se considérant résistants à l'occupation de leur pays par les États-Unis d'Amérique les auteurs de ses actes prétendent trouver dans ce statut la justification de leurs actions. Si par contre on refuse d'accorder ce statut de résistant, soit par déni de l'objectif politique (ne considérant pas que l'Irak soit occupé) soit parce qu'on considère que la violence extrême utilisée dépasse toute forme de justification, on parlera alors de ces actes de violence comme d'actes de terrorisme. Ainsi, l'appellation de terroriste sous-entend une complète illégitimité de ces actions alors que la définition de résistant sous-entend une légitimité à résister à l'envahisseur. Cette idée serait plus intelligible dans la globalité de la relation entre "terrorisme et propagande".

Selon le Droit

Plusieurs tentatives de définition du terrorisme ont été faites à l'ONU, mais aucune n'a abouti. La France soutient la définition proposée par le Groupe de personnalités de haut niveau et le Secrétaire général de l'ONU en 2004, selon laquelle le terrorisme serait « toute action […] qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d'un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d'intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s'en abstenir ». Cependant, le terme de terrorisme, même s’il ne donne pas lieu à une définition unique et universelle est très fréquemment employé en droit international et par les institutions internationales.

Le philosophe Jacques Derrida rappelle la base qui fait selon lui consensus: "Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales du terrorisme, qu’y trouve-t-on ? La référence à un crime contre la vie humaine en violation des lois (nationales ou internationales) y implique à la fois la distinction entre civil et

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militaire (les victimes du terrorisme sont supposées être civiles) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant sa population civile)". Il souligne également le caractère confus de la notion de « terrorisme international » qui sert davantage à des intérêts politiques qu'elle ne correspond à une définition juridiquement acceptable. C'est sur cette expression que plusieurs Etats, à l'ONU, émettent des réserves. Soit des "réserves sur la clarté de ce concept de terrorisme international et des critères qui permettent de l’identifier". Non sur la notion de terrorisme proprement dit. Dans le cadre d'une guerre conventionnelle un cadre juridique clair existe, où la guerre est régie par le droit de la guerre. Les actes violant le droit de la guerre sont alors qualifiés de crimes de guerre. Les notions de terrorisme et d'acte terroriste servent donc à qualifier des actes en dehors du cadre bien défini de guerre conventionnelle et du droit de la guerre, même si leur définition précise n'est pas bien établie d'un point de vue strictement juridique, ou plus exactement, même si un usage peut en être fait à des fins d'intérêts politiques. Les actes de terrorisme sont contraires au droit de la guerre et aux Droits de l'Homme et de ce fait hors la loi. Tout ceci implique et renvoie à une définition de la guerre, et au droit de la guerre qui impose d’épargner les civils (voir les textes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui exposent les principes du droit humanitaire, eux-mêmes dépendant du droit de la guerre qu'ils complètent. L'article 33 de la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 précise que « Les peines collectives, de même que toute mesure d'intimidation ou de terrorisme, sont interdites. [ainsi que] le pillage... et les mesures de représailles ». Ces textes de droit L’article 13 des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève concernant la Protection de la population civile stipule que : 1. « La population civile et les personnes civiles jouissent d'une protection générale contre les dangers résultant d'opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes seront observées en toutes circonstances. » 2. « Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l'objet d'attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. » 3. « Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par le présent Titre, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation » Les conventions de l'ONU pour la répression du terrorisme donnent un cadre précis pour réprimer certains actes communément considérés comme des actes de terrorisme, tels que les détournement d'avions, la prise d'otage, ou les attentats à l'explosif, sans toutefois qualifier explicitement aucune de ces actions d' "acte de terrorisme" dans les textes.

Les différents types de terrorisme

Il existe quatre grands types de terrorisme : Le terrorisme individuel Le terrorisme individuel est une pratique qui se développera à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce terrorisme sera pratiqué par quelques anarchistes, comme Ravachol vengeant la Répression de Fourmies en 1891 et Santo Geronimo Caserio, vengeant la répression exercée sur les anarchistes en assassinant en 1894 le Président Sadi Carnot ou autrement par des nihilistes dans divers pays (Russie, France, Espagne, Italie, etc.). Les attentats des nihilistes ou des anarchistes visaient (souvent pour venger la mort d'un de leurs anciens camarades due à la répression) des personnalités de la sphère politique ou proche (le riche, le militaire, le prêtre, le policier, l'homme politique, etc.) ayant participé à réprimer la population ou d'un de leurs camarades. L'idée étant qu'une fois supprimés les acteurs de cette répression, celle-ci s'estomperait dû à la peur des autres acteurs de la sphère politique répressive. Ce terrorisme avait un caractère spontané, et une base sociale. Le terrorisme organisé Lorsqu'il est pratiqué par un groupe de personnes ne représentant pas un gouvernement, on le nomme simplement terrorisme. Dans les années 1960 et 1970, le terrorisme d'extrême gauche et d'extrême droite était le

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plus important, ayant des buts politiques différents, menant à une lutte directe ou indirecte avec l'État, dans le but (pour l'extrême gauche) de radicaliser politiquement la société vers des questions sociales, ou (pour l'extrême droite) d'imposer le débat nationaliste et/ou, dans une stratégie de tension, de créer une situation amenant l'État à faire descendre la police ou l'armée dans les rues. Le type de terrorisme d'extrême gauche est souvent appelé lutte armée par ceux qui le pratiquent. Les membres des groupes terroristes s'appellent eux-mêmes généralement des résistants — ou des combattants —, car ils considèrent qu'ils résistent à l'oppression du pouvoir politique en place, où qu'ils mènent des actions de libération, qu'ils comparent à celles menées par les Résistants à l'occupation nazie en Europe durant la Seconde Guerre mondiale ou plus généralement aux nombreuses invasions de pays royalistes ou plus généralement d'extrême droite depuis les premières révolutions républicaines et démocratiques du siècle des Lumières. Les terroristes se réclamant de l'islamisme se considèrent quant à eux plutôt comme des combattants de Dieu, menant une guerre sainte (traduction littérale qui ne fait référence qu'à la lutte physique incluse dans le terme Djihad, terme possédant d'autres significations). Depuis les années 1990, le terrorisme islamiste a pris une place croissante sur la scène internationale, en réponse à une répression croissante ou les recolonisations de la part de certains pays comme Israël (Palestine), les États-Unis (Irak), ou d'autres grandes puissances économiques. Les terrorisme d'extrême droite, comme l'OAS en France ou le Ku Klux Klan et le Wasp aux États-Unis d'Amérique, menant un terrorisme constant contre la population noire, ou bien d'autres groupements comme les auteurs des attentats des jeux d'Atlanta. Le terrorisme d'État pratiqué par des services secrets à des fins politiques, comme le dynamitage du bateau de l'organisation Greenpeace nommé Rainbow Warrior en Nouvelle-Zélande par les services secrets Français ou bien l'avion civil cubain transportant des athlètes olympiques dynamité par la CIA dans les années 1970. On pourrait également y ajouter les actes terroristes des Cagoulards, organisation contrôlée par l'Etat français dans la première moitié du XXe siècle. Le terrorisme pacifiste, comme les "attentats pâtissiers" par exemple, qui consistent à jeter une tarte à la crème sur des personnalités que les "terroristes" veulent dénoncer. Ce sont les adversaires de ces groupes ou factions qui utilisent le terme terrorisme pour désigner ces actions souvent meurtrières. Il faut donc être prudent car aucun groupe ne s'est abstenu de taxer ses adversaires de terroristes.

Le terrorisme d'État On parle de terrorisme d'État dans le cas où des actions terroristes ont été mises en œuvre, commanditées, manipulées ou complaisamment ignorées par un État (i.e. pas de mesure pour le stopper). Les méthodes employées sont strictement les méthodes du terrorisme (enlèvement, séquestration et assassinat) mais, sous couvert d'une raison d'Etat "supérieure", les agents de l'Etat impliqués bénéficient de la part de ses autorités de l'assentiment nécessaire à outrepasser le droit et du support logistique et/ou financier nécessaire à leurs actions. Cette absence de cadre légal représente donc une menace même aux fondements de la démocratie, quels que soient les objectifs recherchés. Un exemple de terrorisme d'Etat est la "guerre sale" conduite par des services de l'Etat Espagnol à l'encontre du groupe armé nationaliste basque ETA. Le GAL - Groupe Antiterroriste de Libération - fut impliqué dans l'élimination physique de 37 personnes considérées comme appartenant ou soutenant l'ETA. L'affaire impliqua le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez dont le ministre de l'intérieur José Barrionuevo Peña et d'autres responsables furent finalement jugés et reconnus coupables dans le cadre de l'affaire "Marey" (du nom d'un citoyen franco-espagnol séquestré par erreur par le GAL). En dépit de cette décision initiale, ces commanditaires d'actions terroristes bénéficièrent d'une relative clémence de l'appareil judiciaire, comparativement aux membres de l'ETA qui arrivent en fin de peine initiale et dont la justice espagnole cherche actuellement à prolonger les condamnations. L'expression « terrorisme d'État » est parfois utilisée pour décrire des agressions ouvertement commises par un État contre un groupe particulier. La terreur à la source du «terrorisme d'État » (des faits) peut aussi relever du «crime contre l'humanité» (un jugement). Une certaine attention doit être de mise pour différencier les actes de violences conduites par des agents de l'état, et qui ne sont pas commandités par l'état. Ainsi, un meurtre commis par un policier ou un militaire lorsqu'il n'est pas commandité par l'état, ne peut pas, par exemple, être considéré comme du terrorisme d'état.

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Les buts recherchés Beaucoup de grandes idées politiques ont été, à un moment ou un autre, instrumentalisées par des groupes terroristes afin de justifier leurs actions. C'est ainsi qu'il existe des groupes terroristes dans toutes sortes d'idéologies...

Exemples de terrorisme Voici une liste non-exhaustive d'actes terroristes :

• Terrorisme d'État

* Terreur au cours de la Révolution française : arrestation et supression des suspects, massacres, censure, etc. * Tentative d'assassinat à Rome du pape Jean-Paul II par Mehmet Ali Agca en 1981, que l'on pense commandité par le KGB. * Dépôts de mines dans les ports et organisation d'une lutte armée de para-militaires ("Contras") par les États-Unis au Nicaragua entre 1982 et 1988. * Les bombes posées par les Iraniens dans Paris en 1986 en représailles à la livraison de missiles Exocet avec l'accord de François Mitterrand par la France au régime de Saddam Hussein en Irak. Ces attentats ont fait de nombreux morts à Paris ; * Destruction d'un avion de ligne Sud Coréen par les services secrets de la Corée du Nord le 29 novembre 1987.

• Terrorisme politique

* Attentat royaliste contre Napoléon Bonaparte le 24 décembre 1800 dans la rue Saint-Nicaise. * Attentats et assassinats de la Fraction Armée Rouge en Allemagne * Attentats et assassinats de ETA en Espagne * Attentats d'Action directe en France * Attentats des Brigades rouges en Italie * Attentat de la Piazza Fontana (décembre 1969; mis sur le dos des Brigades Rouges, il s'agissait en fait d'un attentat false flag perpétré par les réseaux Gladio dans le cadre de la stratégie de la tension; voir aussi l'attentat de Bologne de 1980) * Attentats des Cellules communistes combattantes en Belgique * Mitraillage à l'aéroport de Lod en Israël par trois terroristes de l'Armée Rouge Japonaise, le 30 mai 1972, faisant 26 morts et 76 blessés. * Détournement le 13 octobre 1977 d'un Boeing de la Lufthansa par Wadie Haddad, assaut réussi du GSG-9 pour libérer les otages * Mort de Alfred Herrhausen, président de la Deustche Bank dans l'explosion de sa voiture le 30 novembre 1989 revendiqué par la Fraction Armée Rouge * Attentats et assassinats de Sheikh Ahamad Yassine en Palestine * Attentats et assassinats de Abdel Aziz Rantissi en Palestine * Attentat à la voiture piégée au Liban contre Rafiq Hariri en février 2005. * Détournement du vol AF 8969 en provenance d'Alger, en décembre 1994. * Attentats du GIA en Algérie ; * Attentat de Jamaa Islamiya à Louxor en 1997, 62 morts. Cet évènement a fait l'objet d'un travail de bande dessinée par J.- C. Menu dans le livre « l'Association en Égypte » ; * Attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center. * Attentats à Madrid du 11 mars 2004 ; * Attentats du 23 juillet 2005 à Charm el-Cheikh

• Terrorisme religieux ou raciste

* L'attentat de la rue des Rosiers à Paris en 1982 * La série d'attentas contre La Dernière tentation du Christ, culminant avec l'incendie de l'Espace Saint Michel en 1988 * L'attaque au gaz sarin dans le métro de T!ky! par la secte bouddhiste Aum Shinrikyo en 1995 * Les attentats dans le métro parisien en 1995 par les membres du Groupe islamique armé (GIA) ; * L'attentat contre la synagogue de Jerba en Tunisie en 2002

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* Attentat de Bali en Octobre 2002, on dénombre un peu plus de 200 morts ; * Attentats à Casablanca du 16 mai 2003 * Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres * Attentats du 1 octobre 2005 à Bali, 26 morts

Terrorisme séparatiste ou d'indépendance

* Assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche en 1914. * Le 22 juillet 1946, attentat à la bombe au Q.G anglais, installé dans l'hôtel King David à Jérusalem, perpétré par l'Irgoun de Begin et le groupe Stern. * Terrorisme sioniste * Les attentats des Tigres Tamouls au Sri Lanka ; * l'IRA, le séparatisme basque, corse, breton, au Cachemire, en Nouvelle Calédonie. * La prise d'otages à l'opéra de Moscou puis à l'école de Beslan par des terroristes tchétchènes. * Les attentats-suicides palestiniens en Israël depuis les accords d'Oslo jusqu'à nos jours ;

Méthodes terroristes Si le terrorisme se définit par sa finalité, il peut aussi se caractériser par des modes opératoires qui lui sont propres. C'est ainsi que les objectifs d'un attentat est avant tout de marquer les esprits et non d'offrir un avantage stratégique comme lors d'opérations militaires dans une guerre "traditionnelle". Voici quelques exemples d'attentats revenant assez souvent :

* destruction d'avions ou de monuments ; * attentats-suicides ; * prises d'otages, comme lors de détournements d'avions

Psychologie du terroriste Il existe plusieurs pistes qui permettant d'expliquer pourquoi une personne est prête à adopter une existence clandestine, à affronter les organes de sécurité, voire à donner sa vie :

* facteurs personnels (complexes, violence, échecs...) * environnement social et culturel * manipulation (propagande, technique de recrutement...) * effets de groupe (autarcie, repli sectaire...)

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Bibliographie * Histoire du terrorisme : De l'Antiquité à al-Qaida ouvrage collectif sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin. * Encyclopédie des terrorismes et Violences politiques de Jacques Baud. * La Guerre asymétrique ou la Défaite du vainqueur de Jacques Baud. * Histoire du Terrorisme, de Dominique Venner, 2002, ISBN 2-85704-749-5 * La guerre sans visage, de Waddi Haddad à Oussama Ben Laden, de Claude Moniquet, 2002 * La scène terroriste, Cahiers de médiologie n°13,Gallimard 2002 téléchargeable sur le site médiologie.org [6] * La défense européenne contre le terrorisme, Raphaël Mathieu, Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, 2005 * "Écran/ennemi. Terrorismes et guerres de l'information", François-Bernard Huyghe, Editions 00H00.com, téléchargeable

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Le Pentagone après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001

Qu’est-ce que le terrorisme ?

Par Jürgen Habermas

Giovanna Borradori – Qu’entendez-vous au juste par terrorisme ? Peut-on sensément distinguer un terrorisme national d’un terrorisme global ?

J. H. – Dans une certaine mesure, le terrorisme des Palestiniens reste un peu un terrorisme à l’ancienne. Ici, il s’agit de tuer, d’assassiner ; le but est d’annihiler de manière aveugle des ennemis, femmes et enfants compris. C’est la vie contre la vie. Il est différent à cet égard du terrorisme pratiqué sous la forme paramilitaire de la guérilla, qui a déterminé le visage de nombreux mouvements de libération dans la seconde partie du XXè siècle, et qui marque encore aujourd’hui, par exemple, la lutte d’indépendance des Tchétchènes. Face à cela, le terrorisme global, qui a culminé dans l’attentat du 11 septembre 2001, porte les traits anarchistes d’une révolte impuissante en ce qu’il est dirigé contre un ennemi qui, dans les termes pragmatiques d’une action obéissant à une finalité, ne peut absolument pas être vaincu. Le seul effet possible est d’instaurer dans la population et auprès des gouvernements un sentiment de choc et d’inquiétude. D’un point de vue technique, la grande sensibilité à la destructivité de nos sociétés complexes offre des occasions idéales à une rupture ponctuelle des activités courantes, capable d’entraîner à moindres frais des dégâts considérables. Le terrorisme global pousse à l’extrême deux aspects : l’absence de buts réalistes et la capacité à tirer son profit de la vulnérabilité des systèmes complexes.

G. B. – Doit-on distinguer le terrorisme des crimes habituels et des autres formes de recours à la violence ?

J. H. – Oui et non. Du point de vue moral, un acte terroriste, quels que soient ses mobiles et quelle que soit la situation dans laquelle il est perpétré, ne peut être excusé en aucune façon. Rien n’autorise qu’on « tienne compte » des finalités que quelqu’un s’est données pour lui-même pour ensuite justifier la mort et la souffrance d’autrui. Toute mort provoquée est une mort de trop. Mais, d’un point de vue historique, le terrorisme entre dans des contextes bien différents de ceux dont relèvent les crimes auxquels a affaire le juge pénal. Il mérite, à la différence du crime privé, un intérêt public et requiert un autre type d’analyse que le crime passionnel. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, nous ne mènerions pas cet entretien.

La différence entre le terrorisme politique et le crime habituel est particulièrement évidente lors de certains changements de régime qui portent au pouvoir les terroristes d’hier et en font des représentants respectés de leur pays. Il reste qu’une telle transformation politique ne peut être escomptée que pour des terroristes qui, d’une manière générale, poursuivent avec réalisme des buts politiques compréhensibles et qui, eu égard à leurs actes criminels, peuvent tirer de la nécessité dans laquelle ils étaient de sortir d’une situation d’injustice manifeste, une certaine légitimation. Or, je ne peux aujourd’hui imaginer aucun contexte qui permettrait de faire un jour du crime monstrueux du 11 septembre un acte politique aussi peu compréhensible que ce soit, et qui puisse être, à un titre ou à un autre, revendiqué.

G.B.–Croyez-vous que ce fut une bonne chose d’interpréter cet acte comme une déclaration de guerre ?

J. H. – Même si le mot « guerre » est moins sujet à quiproquo et, d’un point de vue moral, moins sujet à contestation que le discours évoquant la « croisade », la décision de Bush d’en appeler à une « guerre contre le terrorisme » m’apparaît être une lourde erreur, tant du point de vue normatif que du point de vue pragmatique. Du point de vue normatif, en effet, il élève ces criminels au rang de guerriers ennemis et, du point de vue pragmatique, il est impossible de faire la guerre – si tant est

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qu’on doive conserver à ce terme un quelconque sens défini – à un « réseau » qu’on a toutes les peines du monde à identifier.

G. B. – S’il est vrai que l’Occident doit développer dans son rapport aux autres civilisations une sensibilité plus grande et qu’il doit se montrer plus autocritique, comment devrait-il s’y prendre ? Vous parlez, à cet égard, de « traduction » et de la recherche d’un « langage commun ». Qu’entendez-vous par là ?

J. H. – Depuis le 11 septembre, je ne cesse de me demander si, au regard d’événements d’une telle violence, toute ma conception de l’activité orientée vers l’entente – celle que je développe depuis la Théorie de l’agir communicationnel – n’est pas en train de sombrer dans le ridicule. Certes, même au sein des sociétés plutôt riches et paisibles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), nous vivons aussi confrontés à une certaine violence structurelle – à laquelle d’ailleurs nous nous sommes habitués et qui est faite d’inégalités sociales humiliantes, de discriminations dégradantes, de paupérisation et de marginalisation. Or, précisément, dans la mesure même où nos relations sociales sont traversées par la violence, par l’activité stratégique et par la manipulation, nous ne devrions pas laisser échapper deux autres faits.

Il y a, d’une part, que les pratiques qui constituent notre vie avec d’autres, au quotidien, reposent sur le socle solide d’un fonds commun de convictions, d’éléments que nous percevons comme des évidences culturelles, et d’attentes réciproques. Dans ce contexte, nous coordonnons nos actions à la fois en recourant aux jeux du langage ordinaire, et en élevant les uns à l’égard des autres des exigences de validité que nous reconnaissons au moins de manière implicite – c’est ce qui constitue l’espace public des raisons bonnes ou moins bonnes. Or cela explique, d’autre part, un second fait : lorsque la communication est perturbée, lorsque la compréhension ne se réalise pas ou mal, ou lorsque la duplicité ou la duperie s’en mêlent, des conflits apparaissent qui, si leurs conséquences sont suffisamment douloureuses, sont déjà tels qu’ils atterrissent chez le thérapeute ou devant le tribunal.

La spirale de la violence commence par une spirale de la communication perturbée qui, via la spirale de la défiance réciproque incontrôlée, conduit à la rupture de la communication. Si, donc, la violence commence par des perturbations dans la communication, une fois qu’elle a éclaté on peut savoir ce qui est allé de travers et ce qui doit être réparé.

C’est un point de vue trivial ; il me semble, pourtant, qu’on peut l’adapter aux conflits dont vous parlez. L’affaire est certes plus compliquée parce que les nations, les formes de vie et les civilisations sont d’entrée de jeu plus éloignées les unes des autres et tendent à rester étrangères les unes aux autres. Elles ne se rencontrent pas comme les membres d’un cercle, d’un groupe, d’un parti ou d’une famille qui ne peuvent être rendus étrangers les uns aux autres que si la communication est systématiquement déformée.

Dans les relations internationales, en outre, le médium du droit, dont la fonction est de contenir la violence, ne joue, comparativement, qu’un rôle secondaire. Et dans les relations interculturelles, il ne sert au mieux qu’à créer des cadres institutionnels visant à accompagner formellement les recherches d’entente – par exemple, la conférence de Vienne sur les droits de l’homme organisée par les Nations unies. Ces rencontres formelles – aussi importante que soit la discussion interculturelle qui se mène à divers niveaux à propos de l’interprétation disputée des droits de l’homme – ne peuvent pas à elles seules interrompre la machine à fabriquer les stéréotypes.

Faire qu’une mentalité s’ouvre est une affaire qui passe plutôt par la libéralisation des relations et par une levée objective de l’angoisse et de la pression. Dans la pratique quotidienne de communication, il faut que se constitue un capital-confiance. Cela est nécessaire en préalable pour que les explications raisonnées et à grande échelle soient relayées dans les médias, les écoles et les familles. Il faut aussi qu’elles portent sur les prémisses de la culture politique concernée.

En ce qui nous concerne, la représentation normative que nous avons de nous-mêmes eu égard aux autres cultures est également, dans ce contexte, un élément important. Si l’Occident entreprenait de réviser l’image qu’il a de lui-même, il pourrait, par exemple, apprendre ce qu’il faut modifier dans sa politique pour que celle-ci puisse être perçue comme un pouvoir capable de donner forme à une démarche civilisatrice. Si l’on ne dompte pas politiquement le capitalisme, qui n’a plus aujourd’hui ni limites ni frontières, il sera impossible d’avoir prise sur la stratification dévastatrice de l’économie mondiale.

Il faudrait au moins contrebalancer dans ses conséquences les plus destructrices – je pense à l’avilissement et à la paupérisation auxquels sont soumis des régions et des continents entiers – la disparité entraînée par la dynamique du développement économique. Ce qu’il y a derrière cela, ce n’est pas seulement, par rapport aux autres cultures, la discrimination, l’humiliation et la dégradation. Derrière le thème du « choc des civilisations », ce que l’on cache, ce sont les intérêts matériels manifestes de l’Occident (par exemple, celui de continuer à disposer des ressources pétrolières et à garantir son approvisionnement énergétique).

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Qu’est-ce que le terrorisme ?

Par Jacques Derrida Philosophe et écrivain (1930-2004).

Giovanna Borradori. – Que le 11 septembre soit ou non un événement d’importance majeure, quel rôle assignez-vous à la philosophie ? Est-ce que la philosophie peut nous aider à comprendre ce qui s’est passé ?

J. D. – Sans doute un tel « événement » requiert-il une réponse philosophique. Mieux, une réponse qui remette en question, dans leur plus grande radicalité, les présuppositions conceptuelles les mieux ancrées dans le discours philosophique. Les concepts dans lesquels on a le plus souvent décrit, nommé, catégorisé cet « événement » relèvent d’un « sommeil dogmatique » dont ne peut nous réveiller qu’une nouvelle réflexion philosophique, une réflexion sur la philosophie, notamment sur la philosophie politique et sur son héritage. Le discours courant, celui des médias et de la rhétorique officielle, se fie trop facilement à des concepts comme celui de « guerre » ou de « terrorisme » (national ou international).

Une lecture critique de Carl Schmitt, par exemple, serait fort utile. D’une part, pour prendre en compte, aussi loin qu’il est possible, la différence entre la guerre classique (confrontation directe et déclarée entre deux Etats ennemis, dans la grande tradition du droit européen), la « guerre civile » et la « guerre des partisans » (dans ses formes modernes, encore qu’elle apparaisse, Schmitt le reconnaît, dès le début du XIXè siècle).

Mais, d’autre part, il nous faut aussi reconnaître, contre Schmitt, que la violence qui se déchaîne maintenant ne relève pas de la guerre (l’expression « guerre contre le terrorisme » est des plus confuses, et il faut analyser la confusion et les intérêts que cet abus rhétorique prétend servir). Bush parle de « guerre », mais il est bien incapable de déterminer l’ennemi auquel il déclare qu’il a déclaré la guerre. L’Afghanistan, sa population civile et ses armées ne sont pas les ennemis des Américains, et on n’a même jamais cessé de le répéter.

A supposer que « Ben Laden » soit ici le décideur souverain, tout le monde sait que cet homme n’est pas afghan, qu’il est rejeté par son pays (par tous les « pays » et par tous les Etats presque sans exception d’ailleurs), que sa formation doit tant aux Etats-Unis et surtout qu’il n’est pas seul. Les Etats qui l’aident indirectement ne le font pas en tant qu’Etats. Aucun Etat comme tel ne le soutient publiquement. Quant aux Etats qui hébergent (harbour) les réseaux « terroristes », il est difficile de les identifier comme tels.

Les Etats-Unis et l’Europe, Londres et Berlin sont aussi des sanctuaires, des lieux de formation et d’information pour tous les « terroristes » du monde. Aucune géographie, aucune assignation « territoriale » n’est donc plus pertinente, depuis longtemps, pour localiser l’assise de ces nouvelles technologies de transmission ou d’agression. (Soit dit trop vite et en passant, pour prolonger et préciser ce que je disais plus haut d’une menace absolue d’origine anonyme et non étatique, les agressions de type « terroriste » n’auraient déjà plus besoin d’avions, de bombes, de kamikazes : il suffit de s’introduire dans un système informatique à valeur stratégique, d’y installer un virus ou quelque perturbation grave pour paralyser les ressources économiques, militaires et politiques d’un pays ou d’un continent. Cela peut être tenté de n’importe où sur la terre, à un coût et avec des moyens réduits.)

Le rapport entre la terre, le territoire et la terreur a changé, et il faut savoir que cela tient au savoir, c’est-à-dire à la techno-science. C’est la techno-science qui brouille la distinction entre guerre et terrorisme. A cet égard, comparé aux possibilités de destruction et de désordre chaotique qui sont en réserve, pour l’avenir, dans les réseaux informatisés du monde, le « 11 septembre » relève encore du théâtre archaïque de la violence destinée à frapper l’imagination. On pourra faire bien pire demain, invisiblement, en silence, beaucoup plus vite, de façon non sanglante, en attaquant les networks informatiques dont dépend toute la vie (sociale, économique, militaire, etc.) d’un « grand pays », de la plus grande puissance du monde.

Un jour, on dira : le « 11 septembre », c’était le (« bon ») vieux temps de la dernière guerre. C’était encore de l’ordre du gigantesque : visible et énorme ! Quelle taille, quelle hauteur ! Il y a eu pire depuis, les nanotechnologies en tous genres sont tellement plus puissantes et invisibles, imprenables, elles s’insinuent partout. Elles rivalisent dans le micrologique avec les microbes et les bactéries. Mais notre inconscient y est déjà sensible, il le sait déjà et c’est ce qui fait peur.

Si cette violence n’est pas une « guerre » interétatique, elle ne relève pas non plus de la « guerre civile » ou de la « guerre des partisans », au sens défini par Schmitt, dans la mesure où elle ne consiste pas, comme la plupart des « guerres de partisans », en une insurrection nationale, voire en un mouvement de libération destiné à prendre le pouvoir sur le sol d’un Etat-nation (même si l’une des visées, latérale ou centrale, des réseaux « Ben Laden », c’est de déstabiliser l’Arabie

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saoudite, alliée ambiguë des Etats-Unis, et d’y installer un nouveau pouvoir d’Etat). Si même on persistait à parler de terrorisme, cette appellation couvre un nouveau concept et de nouvelles distinctions.

G. B. – Vous croyez qu’on peut marquer ces distinctions ?

J. D. – C’est plus difficile que jamais. Si on veut ne pas se fier aveuglément au langage courant, qui reste le plus souvent docile aux rhétoriques des médias ou aux gesticulations verbales du pouvoir politique dominant, il faut être très prudent quand on se sert des mots « terrorisme » et surtout « terrorisme international ». Qu’est-ce que la terreur, en premier lieu ? Qu’est-ce qui la distingue de la peur, de l’angoisse, de la panique ? Tout à l’heure, en suggérant que l’événement du 11 septembre n’était major que dans la mesure où le traumatisme qu’il a infligé aux consciences et aux inconscients ne tenait pas à ce qui s’était passé mais à la menace indéterminée d’un avenir plus dangereux que la guerre froide, est-ce que je parlais de terreur, de peur, de panique ou d’angoisse ?

La terreur organisée, provoquée, instrumentalisée, en quoi diffère-t-elle de cette peur que toute une tradition, de Hobbes à Schmitt et même à Benjamin, tient pour la condition de l’autorité de la loi et de l’exercice souverain du pouvoir, pour la condition du politique même et de l’Etat ? Dans le Léviathan, Hobbes ne parle pas seulement de « fear » mais de « terrour ». Benjamin dit de l’Etat qu’il tend à s’approprier, par la menace, précisément, le monopole de la violence. On dira, certes, que toute expérience de la terreur, même si elle a une spécificité, n’est pas nécessairement l’effet d’un terrorisme. Sans doute, mais l’histoire politique du mot « terrorisme » dérive largement de la référence à la Terreur révolutionnaire française, qui fut exercée au nom de l’Etat et qui supposait justement le monopole légal de la violence.

Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales du terrorisme, qu’y trouve-t-on ? La référence à un crime contre la vie humaine en violation des lois (nationales ou internationales) y implique à la fois la distinction entre civil et militaire (les victimes du terrorisme sont supposées être civiles) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant sa population civile). Ces définitions n’excluent donc pas le « terrorisme d’Etat ». Tous les terroristes du monde prétendent répliquer, pour se défendre, à un terrorisme d’Etat antérieur qui, ne disant pas son nom, se couvre de toutes sortes de justifications plus ou moins crédibles. (…)

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EXTRAITS DE L’ŒUVRE DE CAMUS EN RESONANCE AVEC LES JUSTES

ACTUELLES I (Chroniques 1944-48)

« S’il y a beaucoup d’hommes aujourd’hui qui, dans le secret de leur cœur, maudissent la violence et la tuerie, il n’y en a pas beaucoup qui veuillent reconnaître que cela les force à reconsidérer leur pensée ou leur action. Pour ceux qui voudront faire cet effort cependant, ils y trouveront une espérance raisonnable et la règle d’une action… Il est bien évident qu’il ne s’agirait pas d’édifier une nouvelle idéologie. Il s’agirait seulement de rechercher un style de vie. » (Chroniques 1944-48, p. 348)

« Le vrai désespoir ne naît pas devant une adversité obstinée, ni dans l’épuisement d’une lutte inégale. Il vient de ce qu’on ne connaît plus ses raisons de lutter et si, justement, il faut lutter. Les pages qui suivent disent simplement que, si la lutte est difficile, les raisons de lutter, elles du moins, restent toujours claires. » (Chroniques 1944-48, p. 251, avant-propos)

ACTUELLES II (Chroniques 1948-53)

« Ecrivant sur la violence et le meurtre, j’ai essayé de définir la limite où le meurtre devait s’arrêter. L’exemple de Kaliayev et de ses camarades m’a amené à conclure qu’on ne pouvait tuer qu’à la condition de mourir soi-même, que nul n’avait le droit d’attenter à l’existence d’un être sans accepter immédiatement sa propre disparition et qu’enfin, dans tous les cas où on se laissait entraîner à cette limite extrême, il fallait payer une vie par une vie. » (Chroniques 1948-53, p. 747)

« Le problème n’est pas de savoir si, comme vous dites, on peut tuer le gardien de la prison alors qu’il a des enfants, et pour s’évader soi-même, mais s’il est utile de tuer aussi les enfants du gardien pour libérer tous les détenus. La nuance n’est pas mince. Notre époque ne répond ni oui ni non. Quoique, pratiquement, elle l’ait déjà résolu, elle fait comme si le problème ne se posait pas, ce qui est plus confortable. Je ne l’ai pas, moi, posé. Mais j’ai choisi de faire revivre des gens qui se le posaient, et je les ais servis en m’effaçant derrière eux, que je respectais. Il est bien certain cependant que leur réponse n’est pas : « Il faut rester chez soi. » Elle est : 1. Il y a des limites. Les enfants sont une limite (il en est d’autres) 2. On peut tuer le gardien, exceptionnellement, au nom de la justice 3. Mais il faut accepter de mourir soi-même. La réponse de notre époque (réponse implicite) est au contraire : 1. Il n’y a pas de limites. Les enfants, bien sûr, mais en somme… 2. Tuons tout le monde au nom de la justice pour tous 3. Mais réclamons en même temps la Légion d’honneur. Ça peut servir. Les socialistes révolutionnaires de 1905 n’étaient pas des enfants de chœur. Et leur exigence de justice était autrement sérieuse que celle qui s’exhibe aujourd’hui, avec une sorte d’obscénité, dans toutes les œuvres et dans tous les journaux. Mais c’était parce que l’amour de la justice était brûlant chez eux qu’ils ne pouvaient se résoudre à devenir de répugnants bourreaux. Ils avaient choisi l’action et la

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terreur pour servir la justice, mais ils avaient choisi en même temps de mourir, de payer une vie par une vie, pour que la justice demeure vivante. Le raisonnement « moderne », comme on dit, consiste à trancher : « Puisque vous ne voulez pas être des bourreaux, vous êtes des enfants de chœur » et inversement. Ce raisonnement ne figure rien d’autre qu’une bassesse. Kaliayev, Dora Brillant et leurs camarades réfutent cette bassesse par-dessus cinquante années et nous disent au contraire qu’il y a une justice morte et une justice vivante. Et que la justice meurt dès l’instant où elle devient un confort, où elle cesse d’être une brûlure, et un effort sur soi-même. Nous ne savons plus voir cela parce que le monde où nous vivons est encombré de justes. En 1905, il n’y en avait qu’une poignée. Mais c’est qu’alors il s’agissait de mourir et il fallait des apôtres, espèce rare. Aujourd’hui, il ne faut plus que des bigots et les voilà légion. Mais quand on lit ce qu’on est contraint en ce moment de lire, quand on voit la face mercantile et bassement cruelle de nos derniers justes, qu’ils soient de droite ou de gauche, on ne peut s’empêcher de penser que la justice, comme la charité, a ses pharisiens. » (Chroniques 1948-53, p. 720)

CAHIERS « Tous les révoltés agissent pourtant comme s’ils croyaient à l’achèvement de l’histoire… Caractère insensé du sacrifice : le type qui meurt pour quelque chose qu’il ne verra pas. » (Cahier janv. 42-sept. 45, p. 1015) « La grande pureté du terroriste style Kaliayev c’est que pour lui le meurtre coïncide avec le suicide (cf. Savinkov). Une vie est payée par une vie. Le raisonnement est faux, mais respectable (une vie ravie ne vaut pas une vie donnée). Aujourd’hui le meurtre par procuration. Personne ne paye. 1905 Kaliayev : le sacrifice du corps. 1930 : le sacrifice de l’esprit. » (Cahier sept. 45-avril 48, p. 1083) « Le seul problème moral vraiment sérieux c’est le meurtre. Le reste vient après. Mais de savoir si je puis tuer cet autre devant moi, ou consentir à ce qu’il soit tué, savoir que je ne sais rien avant de savoir si je puis donner la mort, voilà ce qu’il faut apprendre. » (Cahier sept. 45-avril 48, p. 1065) « Pour qu’une pensée change le monde, il faut d’abord qu’elle change la vie de celui qui la porte. Il faut qu’elle se change en exemple. » (Cahier sept. 45-avril 48, p. 1040) « Révolte. Les passions collectives prennent le pas sur les passions individuelles. Les hommes ne savent plus aimer. Ce qui les intéresse aujourd’hui c’est la condition humaine et non plus les destins individuels. » (Cahier sept. 45-avril 48, p. 1032) « Esthétique de la révolte. Si le classicisme se définit par la domination des passions, une époque classique est celle dont l’art met en formes et formules les passions des contemporains. Aujourd’hui où les passions collectives ont pris le pas sur les passions individuelles, ce n’est plus l’amour qu’il s’agit de dominer par l’art mais la politique dans son sens le plus pur. L’homme s’est pris de passion, porteuse d’espoir ou destructrice, pour sa condition. Mais combien la tâche est plus difficile : 1. parce que, s’il faut vivre les passions avant de les formuler, la passion collective dévore tout le temps de l’artiste 2. parce que les chances de mort y sont plus grandes. » (Cahier sept. 45-avril 48, p. 1028)

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L’HOMME REVOLTE (1951)

« Le révolté a chassé Dieu de son ciel, mais, l’esprit de révolte métaphysique rejoignant alors franchement le mouvement révolutionnaire, la revendication irrationnelle de la liberté va prendre paradoxalement pour arme la raison, seul pouvoir de conquête qui lui semble purement humain. Dieu mort, restent les hommes, c’est-à-dire l’histoire qu’il faut comprendre et bâtir. Le nihilisme, qui, au sein de la révolte, submerge alors la force de création, ajoute seulement qu’on peut la bâtir par tous les moyens. Aux cimes de l’irrationnel, l’homme, sur une terre qu’il sait désormais solitaire, va joindre les crimes de la raison en marche vers l’empire des hommes. Au « je me révolte, donc nous sommes », il ajoute, méditant de prodigieux desseins et la mort même de la révolte : “Et nous sommes seuls. ” »

(L’Homme révolté, p. 135)

« Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur… La conscience vient au jour avec la révolte… L’esprit de révolte n’est possible que dans les groupes où une égalité théorique recouvre de grandes inégalités de fait. Le problème de la révolte n’a donc de sens qu’à l’intérieur de notre société occidentale… Si, dans le monde sacré, on ne trouve pas le problème de la révolte, c’est qu’en vérité on n’y trouve aucune problématique réelle, toutes les réponses étant données en une fois… Mais avant que l’homme entre dans le sacré, et pour qu’il y entre aussi, ou dès qu’il en sort, et pour qu’il en sorte aussi bien, il est interrogation et révolte. L’homme révolté est l’homme situé avant ou après le sacré, et appliqué à revendiquer un ordre humain où toutes les réponses soient humaines, c’est-à-dire raisonnablement formulées… L’actualité du problème de la révolte tient seulement au fait que des sociétés entières ont voulu prendre aujourd’hui leur distance par rapport au sacré. Nous vivons dans une histoire désacralisée… Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le « cogito » dans l’ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes. »

(L’Homme révolté, p. 28-39)

« S’il tue lui-même, enfin, il acceptera la mort. Fidèle à ses origines, le révolté démontre dans le sacrifice que sa vraie liberté n’est pas à l’égard du meurtre, mais à l’égard de sa propre mort. Il découvre en même temps l’honneur métaphysique. Kaliayev se place alors sous la potence et désigne visiblement, à tous ses frères, la limite exacte où commence et finit l’honneur des hommes. »

(L’Homme révolté, p. 357)

« Bakounine voulait certes la liberté totale. Mais il la cherchait à travers une totale destruction. Tout détruire, c’est se vouer à construire sans fondations ; il faut ensuite tenir les murs debout, à bout de bras. Celui qui rejette tout le passé sans en rien garder de ce qui peut servir à vivifier la révolution, celui-là se condamne à ne trouver de justification que dans l’avenir et, en attendant, charge la police de justifier le provisoire. »

(L’Homme révolté, p. 205)

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« Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu’au bout de leur destin et il n’est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu’à l’extrémité de leur passion, Kirilov et Stavroguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves. C’est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n’achevons jamais. »

(L’Homme révolté, p. 328)

« Nécessaire et inexcusable, c’est ainsi que le meurtre leur apparaissait. Des cœurs médiocres, confrontés avec ce terrible problème, peuvent se reposer dans l’oubli de l’un des termes…Kaliayev, Voinarovski et les autres croient à l’équivalence des vies. Ils ne mettent donc aucune idée au-dessus de la vie humaine, bien qu’ils tuent pour l’idée. Exactement, ils vivent à la hauteur de l’idée. Ils la justifient, pour finir, en l’incarnant jusqu’à la mort. Nous sommes encore en face d’une conception, sinon religieuse, du moins métaphysique de la révolte. »

(L’Homme révolté, p. 217)

« Kaliayev écrit : « A partir du moment où je me suis trouvé derrière les barreaux, je n’ai pas eu un moment le désir de rester d’une façon quelconque en vie. »… 1905, grâce à eux, marque le plus haut sommet de l’élan révolutionnaire. A cette date, une déchéance a commencé. Les martyrs ne font pas les Eglises : ils en sont le ciment, ou l’alibi. Ensuite viennent les prêtres et les bigots. Les révolutionnaires qui viendront n’exigeront pas l’échange des vies. Ils consentiront au risque de la mort, mais accepteront aussi de se garder le plus possible pour la révolution et son service. Ils accepteront donc, pour eux-mêmes, la culpabilité totale. Le consentement à l’humiliation, telle est la vraie caractéristique des révolutionnaires du XXème siècle, qui placent la révolution et l’Eglise des hommes au-dessus d’eux-mêmes. Kaliayev prouve, au contraire, que la révolution, moyen nécessaire, n’est pas une fin suffisante… Kaliayev a douté jusqu’à la fin et ce doute ne l’a pas empêché d’agir ; c’est en cela qu’il est l’image la plus pure de la révolte. Celui qui accepte de mourir, de payer une vie par une vie, quelles que soient ses négations, affirme du même coup une valeur qui le dépasse lui-même en tant qu’individu historique…Kaliayev et ses frères triomphaient du nihilisme. »

(L’Homme révolté, p. 220)

« Deux races d’hommes. L’un tue une seule fois et paie de sa vie. L’autre justifie des milliers de crimes et accepte de se payer d’honneurs. »

(L’Homme révolté, p. 220) LE MYTHE DE SISYPHE « Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d’où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine. C’est pendant ce retour, cette pause que Sisyphe m’intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même !..Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s’enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher. Si ce mythe est tragique, c’est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l’espoir de réussir le soutenait ?... La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Si la descente ainsi se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie… Le bonheur et l’absurde sont deux fils de la même terre… l’homme absurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. Dans l’univers soudain rendu à son silence, les mille petites voix émerveillées de la terre s’élèvent. Appels inconscients et secrets, invitations de tous les

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visages, ils sont l’envers nécessaire et le prix de la victoire. Il n’y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit. L’homme absurde dit oui et son effort n’aura plus de cesse… A cet instant subtil où l’homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d’actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l’origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n’a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore… Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

(Mythe de Sisyphe, p. 196)

Extraits de l’œuvre choisis par Guillaume Clayssen

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ALBERT CAMUS, DISCOURS DE SUÈDE

Albert Camus reçoit à 44 ans le Prix Nobel de Littérature « pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes ». Il prononce le 10 décembre 1957 à Stockholm le discours suivant :

En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l’heure où, en Europe, d’autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?

J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu, dans les circonstances les plus contraires, tout au long de ma vie : l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle.

Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.

Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art.

Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule

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condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir — le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.

Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.

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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.

Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.

Ramené ainsi a ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer, pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.

[10 Décembre 1957]

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Atelier pour la classe : parallèles entre Les justes et Lorenzaccio

Extrait : Lorenzaccio Alfred de Musset L'action se passe à Florence en janvier 1537. Le pouvoir est entre les mains du duc Alexandre de Médicis, issu d'une des vieilles familles de la cité.

Le duc est jeune et mène une vie débauche. Il règne sur la ville par la terreur, ne tenant compte ni du peuple, ni des autres grandes familles de Florence. On le déteste, mais pas autant que son cousin, son âme damnée : Lorenzo de Médicis, méchamment surnommé Lorenzaccio.

Acte III , Scène 3

Une rue

Alors qu'ils se rendent chez les Pazzi, Pierre et Thomas sont arrêtés par un officier allemand et conduits en prison. Alexandre de Médicis a décidé de faire comparaître devant le tribunal les deux fils Strozzi. Leur père se lamente de l'iniquité de la justice qui va condamner les fils d'une honorable famille républicaine. Lorenzo arrive. Et a une longue discussion avec Philippe Strozzi. LORENZO. Je te fais une gageure. Je vais tuer Alexandre ; une fois mon coup fait, si les républicains se comportent comme ils le doivent, il leur sera facile d'établir une république, la plus belle qui ait jamais fleuri sur la terre. Qu'ils aient pour eux le peuple, et tout est dit. je te gage que ni eux ni le peuple ne feront rien. Tout ce que je te demande, c'est de ne pas t'en mêler ; parle, si tu le veux, mais prends garde à tes paroles ; et encore plus à tes actions. Laisse-moi faire mon coup ; tu as les mains pures, et moi, je n'ai rien à perdre. PHILIPPE. Fais-le, et tu verras. LORENZO. Soit, - mais souviens-toi de ceci. Vois-tu dans cette petite maison cette famille assemblée autour d'une table ? ne dirait-on pas des hommes? Ils ont un corps, et une âme dans ce corps. Cependant, s'il me prenait envie d'entrer chez eux, tout seul, comme me voilà, et de poignarder leur fils aîné au milieu d'eux, Il n'y aurait pas un couteau de levé sur moi. PHILIPPE. Tu me fais horreur. Comment le coeur peut-il rester grand avec des mains comme les tiennes? LORENZO. Viens, rentrons à ton palais, et tâchons de délivrer tes enfants. PHILIPPE Mais pourquoi tueras-tu le duc, si tu as des idées pareilles? LORENZO Pourquoi ? tu le demandes ? PHILIPPE Si tu crois que c'est un meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? LORENZO Tu me demandes cela en face ? regarde-moi un peu. j'ai été beau, tranquille et vertueux.

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PHILIPPE. Quel abîme ! quel abîme tu m'ouvres ! LORENZO. Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que je m'empoisonne, ou que je saute dans l'Arno? veux-tu donc que je sois un spectre, et qu'en frappant sur ce squelette (il frappe sa poitrine), il n'en sorte aucun son ? Si je suis l'ombre de moi-même, veux-tu donc que je m'arrache le seul fil qui rattache aujourd'hui mon coeur à quelques fibres de mon coeur d'autrefois ? Songes-tu que ce meurtre, c'est tout ce qui me reste de ma vertu? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d'herbe où j'aie pu cramponner mes ongles? Crois-tu donc que je n'aie plus d'orgueil, parce que je n'ai plus de honte ? et veux-tu que je laisse mourir en silence l'énigme de ma vie ? Oui, cela est certain, si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s'évanouir, j'épargnerais peut-être ce conducteur de boeufs. Mais j'aime le vin, le jeu et les filles ; comprends-tu cela ? Si tu honores en moi quelque chose, toi qui me parles, c'est mon meurtre que tu honores, peut-être justement parce que tu ne le ferais pas. Voilà assez longtemps, vois-tu, que les républicains me couvrent de boue et d'infamie ; voilà assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l'exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche ; j'en ai assez de me voir conspué par des lâches sans nom qui m'accablent d'injures pour se dispenser de m'assommer, comme ils le devraient, j'en ai assez d'entendre brailler en plein vent le bavardage humain ; il faut que le monde sache un peu qui je suis et qui il est. Dieu merci, c'est peut-être demain que je tue Alexandre ; dans deux jours j'aurai fini. Ceux qui tournent autour de moi avec des yeux louches, comme autour d'une curiosité monstrueuse apportée d'Amérique, pourront satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles. Que les hommes me comprennent ou non, qu'ils agissent ou n'agissent pas, j'aurai dit aussi ce que j'ai à dire; je leur ferai tailler leurs plumes si je ne leur fais pas nettoyer leurs piques, et l'humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang. Qu'ils m'appellent comme ils voudront, Brutus ou Erostrate, il ne me plaît pas qu'ils m'oublient. Ma vie entière est au bout de ma dague, et que la Providence retourne ou non la tête, en m'entendant frapper, je jette la nature humaine à pile ou face sur la tombe d'Alexandre ; dans deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté. PHILIPPE. Tout cela m'étonne, et il y a dans tout ce que tu m'as dit des choses qui me l'ont peine, et d'autres qui me font plaisir. Mais Pierre et Thomas sont en prison, et je ne saurais là-dessus m'en lier à personne qu'à moi-même. C'est en vain que ma colère voudrait ronger son frein ; mes entrailles sont émues trop vivement ; tu peux avoir raison, mais il faut que j'agisse ; je vais rassembler mes parents. LORENZO. Comme tu voudras ; mais prends garde à toi. Garde-moi le secret, même avec tes amis, c'est tout ce que je demande. (ils sortent)

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Lecture analytique de l’extrait. Peut-on comparer Kaliayev à Lorenzo ?

Consignes

Dans cet extrait Lorenzo confie son projet à Philippe . Quel est ce projet ? 1. Relevez tout ce qui révèle sa détermination. 2. A qui pourrait profiter la mort du tyran ? Sous quelle réserve ? Comment Lorenzo exprime-t-il son scepticisme ? 3. Etudiez l’argumentation de Lorenzo : relevez les raisons qui l’ont amené à ce projet . Que peut-on en conclure ? 4. Synthèse : les points communs et les différences entre les personnages.

1 Détermination

• Répétitions • Temps verbaux : futur • Les formes syntaxiques : interrogatives

Synthèse : La détermination du personnage se mesure grâce aux procédés de rhétorique : répétitions, fausses interrogations, et l’emploi du présent et du futur qui souligne l’imminence du geste. 2 Scepticisme :

• Doute • Les figures de style : métaphores • Ceux à qui profiterait le crime

Synthèse : Le scepticisme de Lorenzo et ses doutes quant à la réaction du peuple se manifestent dans l’utilisation du champ lexical du pari et dans le recours aux métaphores. Celles-ci sont péjoratives car elles assimilent le peuple à des lâches et des animaux.

3 Les raisons pour lesquelles Lorenzo tue Alexandre

Synthèse : Les motivations de Lorenzo sont personnelles comme le montre l’utilisation du pronom Je et des adjectifs possessifs de la première personne. Toute sa motivation repose sur des sentiments : la honte, l’orgueil, la vertu, l’honneur et son désir de réhabilitation ou de notoriété. Donc, ce n’est plus un crime politique, même s’il s’agit d’éliminer un tyran, c’est un projet égoïste, la recherche d’une rédemption.

Les points communs et les différences entre les deux personnages (Lorenzo et Kaliayev)

Les points communs

• L’acte : abattre un tyran • La détermination • La jeunesse • Le danger encouru et accepté

Les différences

• L pour lui-même, K pour le bien de l’humanité • L : un acte dont il n’est pas sûr de l’utilité ; K : foi en un avenir meilleur pour les autres et donc le bien fondé de ses

idées ;

Autre parallèle à étudier : Les Mains sales, de Jean-Paul Sartre, Sixième tableau, scène 2. (Hugo – Hoederer)

Proposition formulée sur le site internet de l’Académie Metz-Nancy

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Contacts Théâtre La passerelle :

Corinne Donio chargée des relations avec le public 04 92 52 52 57 Floriane Tesson chargée de la médiation culturelle 04 92 52 52 58

Théâtre Le Cadran : Rémi Sabran chargé de l’action culturelle 04 92 25 52 51 Claire Odet chargée des relations avec le public 04 92 25 52 60

Tournée du spectacle

Création les 16, 17, 18, 19 janvier 2007 Théâtre La passerelle, Scène nationale de Gap et des Alpes du sud (05)

137 bd Georges Pompidou 05010 Gap

Tél 04 92 52 52 52

23, 24 janvier 2007 Moulin du Roc à Niort

25 janvier 2007

Théâtre de Poitiers

30 et 31 janvier 2007 Théâtre de La Coupe d’Or à Rochefort

8 février 2007

Carré Magique à Lannion

16 mars 2007 Théâtre Jean Vilar à Suresnes

20 mars 2007

Théâtre de Perpignan

22 mars 2007 l’Arc, Scène nationale du Creusot

3 avril 2007

Théâtre de l’Olivier à Istres

5 avril 2007 Saint Raphaël

12 avril 2007

Centre Albert Camus à Issoudun

du 26 avril au 26 mai 2007 Théâtre de l’Athénée - Louis Jouvet