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7/21/2019 AïŹ€aire Vo c. France http://slidepdf.com/reader/full/aïŹ€aire-vo-c-france 1/62 CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS  AFFAIRE VO c. FRANCE (RequĂȘte n o  53924/00) ARRÊT STRASBOURG 8 juillet 2004

Affaire Vo c. France

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CONSEILDE L’EUROPE COUNCILOF EUROPE

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMMEEUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS  

AFFAIRE VO c. FRANCE

(RequĂȘte no 53924/00)

ARRÊT

STRASBOURG

8 juillet 2004

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En l’affaire Vo c. France,La Cour europĂ©enne des Droits de l’Homme, siĂ©geant en une Grande

Chambre composĂ©e de :MM. L. WILDHABER , prĂ©sident ,

C.L. R OZAKIS,J.-P. COSTA,G. R ESS,

Sir Nicolas BRATZA,M. L. CAFLISCH,Mme  V. STRAZNICKA,MM. P. LORENZEN,

K. JUNGWIERT,M. FISCHBACH,

J. HEDIGAN,Mme  W. THOMASSEN,MM. A.B. BAKA,

K. TRAJA,M. UGREKHELIDZE,

Mme  A. MULARONI,M. K. HAJIYEV, juges,

et de M. P.J. MAHONEY, greffier ,AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil les 10 dĂ©cembre 2003 et

2 juin 2004,Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no  53924/00) dirigĂ©econtre la RĂ©publique française et dont une ressortissante de cet Etat,Mme Thi-Nho Vo (« la requĂ©rante »), a saisi la Cour le 20 dĂ©cembre 1999 envertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Hommeet des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention »).

2. La requĂ©rante est reprĂ©sentĂ©e par Me B. Le Griel, avocat Ă  Paris. Legouvernement français (« le Gouvernement ») est reprĂ©sentĂ© par son agent,M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministĂšre des AffairesĂ©trangĂšres.

3. La requĂ©rante allĂ©guait en particulier la violation de l’article 2 de laConvention au motif que l’incrimination d’homicide involontaire n’avait

 pas Ă©tĂ© retenue Ă  l’encontre du mĂ©decin responsable de la mort de sonenfant in utero. 

4. La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la troisiĂšme section de la Cour (article 52§ 1 du rĂšglement). Au sein de celle-ci, la chambre chargĂ©e d’examiner

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l’affaire a dĂ©cidĂ©, le 22 mai 2003, de se dessaisir au profit de la GrandeChambre avec effet immĂ©diat, aucune des parties ne s’y Ă©tant opposĂ©e

(articles 30 de la Convention et 72 du rĂšglement).5. La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment

aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du rÚglement.6. La requérante et le Gouvernement ont déposé des observations écrites

sur la recevabilitĂ© et le fond de l’affaire. Par ailleurs, des observations ontĂ©galement Ă©tĂ© reçues du Centre des droits gĂ©nĂ©siques (Center forReproductive Rights) et de l’Association pour le planning familial (FamilyPlanning Association), autorisĂ©s par le prĂ©sident Ă  intervenir dans la

 procĂ©dure Ă©crite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du rĂšglement).7. Une audience consacrĂ©e Ă  la recevabilitĂ© et au fond de l’affaire s’est

dĂ©roulĂ©e en public au Palais des Droits de l’Homme, Ă  Strasbourg, le

10 décembre 2003 (article 59 § 3 du rÚglement).

Ont comparu :

 â€“  pour le Gouvernement  MM. F. ALABRUNE, directeur adjoint des affaires juridiques

au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, agent ,G. DUTERTRE, rĂ©dacteur Ă  la sous-direction

des droits de l’hommede la direction des affaires juridiquesdu ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres,

Mme  J. VAILHE, rĂ©dactrice au service des affaires europĂ©enneset internationales du ministĂšre de la Justice,

MM. P. PRACHE, direction des affaires criminelles et des grĂącesdu ministĂšre de la Justice,

H. BLONDET, conseiller Ă  la Cour de cassation,Mme  V. SAGANT, service des affaires europĂ©ennes

et internationales du ministĂšre de la Justice, conseils ;

 â€“  pour la requĂ©rante Me  B. LE GRIEL, avocat au barreau de Paris, conseil .

La Cour a entendu en leurs dĂ©clarations Me Le Griel et M. Alabrune.8. ConformĂ©ment aux dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention et

de l’article 54 A § 3 du rĂšglement, la Cour a dĂ©cidĂ© d’examinerconjointement la recevabilitĂ© et le fond de la requĂȘte.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 3

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. La requĂ©rante est nĂ©e en 1967 et rĂ©side Ă  Bourg-en-Bresse.10. Le 27 novembre 1991, la requĂ©rante, d’origine vietnamienne, se

 prĂ©senta Ă  l’hĂŽpital de l’HĂŽtel-Dieu de Lyon pour y subir la visite mĂ©dicaledu sixiĂšme mois de sa grossesse.

11. Le mĂȘme jour, une autre femme, nommĂ©e Mme Thi Thanh Van Vo,devait se faire enlever un stĂ©rilet dans le mĂȘme Ă©tablissement. Le mĂ©decin,le docteur G., qui devait effectuer cette opĂ©ration appela dans la salled’attente « Madame Vo », appel auquel la requĂ©rante rĂ©pondit.

AprĂšs un bref entretien, le mĂ©decin constata que la requĂ©rante necomprenait pas bien le français. Ayant Ă©tudiĂ© le dossier, il entreprit d’îter lestĂ©rilet sans aucun examen prĂ©alable de la patiente. En cours d’opĂ©ration, lemĂ©decin perça la poche des eaux, entraĂźnant ainsi une importante perte duliquide amniotique.

AprĂšs un examen clinique qui rĂ©vĂ©la l’existence d’un gros utĂ©rus, lemĂ©decin prescrivit une Ă©chographie. Il apprit alors que celle-ci venait d’ĂȘtrefaite et comprit qu’une erreur sur la personne avait Ă©tĂ© commise. LarequĂ©rante fut immĂ©diatement hospitalisĂ©e.

Le docteur G. tenta ensuite de procĂ©der Ă  l’enlĂšvement du stĂ©rilet sur

M

me

 Thi Thanh Van Vo et, n’y rĂ©ussissant pas, prescrivit une interventionsous anesthĂ©sie gĂ©nĂ©rale devant avoir lieu le lendemain matin. Une nouvelleerreur Ă©tait alors commise et la requĂ©rante, conduite au bloc opĂ©ratoire Ă  la

 place de Mme Thi Thanh Van Vo, ne dut qu’à ses protestations et au faitqu’un mĂ©decin anesthĂ©siste la reconnut d’échapper Ă  l’interventionchirurgicale destinĂ©e Ă  son homonyme.

12. La requĂ©rante quitta l’hĂŽpital le 29 novembre 1991. Le 4 dĂ©cembre1991, elle y revint pour la vĂ©rification de l’évolution de sa grossesse ; lesmĂ©decins constatĂšrent que le liquide amniotique ne s’était pas reconstituĂ© etque la grossesse ne pouvait plus se poursuivre. Une interruptionthĂ©rapeutique de la grossesse fut effectuĂ©e le 5 dĂ©cembre 1991.

13. Le 11 dĂ©cembre 1991, la requĂ©rante et son compagnon portĂšrent plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires ayantentraĂźnĂ© une incapacitĂ© totale de travail de moins de trois mois commisessur l’intĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur son enfant. A la suite de cette

 plainte, trois rapports d’expertise furent dĂ©posĂ©s.14. Le premier rapport, remis le 16 janvier 1992, conclut que le fƓtus de

sexe fĂ©minin devait se trouver entre vingt et vingt et une semaines depuis laconception, qu’il pesait 375 grammes, mesurait 28 centimĂštres, avait un

 pĂ©rimĂštre crĂąnien de 17 centimĂštres, et qu’il n’avait pas respirĂ© Ă  sa sortie.L’expertise conclut Ă©galement qu’il n’y avait aucun signe de violence ou de

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malformation et qu’aucun constat ne permettait d’attribuer le dĂ©cĂšs Ă  unecause morphologique ou Ă  une atteinte organique. Par ailleurs, l’autopsie

rĂ©alisĂ©e Ă  la suite de l’avortement thĂ©rapeutique et l’analyse anatomo- pathologique du corps permirent de conclure que le poumon fƓtal prĂ©sentaitun Ăąge de vingt Ă  vingt-quatre semaines.

15. Le 3 aoĂ»t 1992, un deuxiĂšme rapport fut dĂ©posĂ© concernant les blessures commises sur la personne de la requĂ©rante :

« a) Il existe une pĂ©riode d’incapacitĂ© temporaire totale du 27 novembre 1991 au13 dĂ©cembre 1991, date d’entrĂ©e Ă  la clinique du Tonkin pour une tout autre pathologie (appendicectomie)

 b) la date de consolidation peut ĂȘtre fixĂ©e au 13 dĂ©cembre 1991

c) il n’existe pas de prĂ©judice d’agrĂ©mentd) il n’existe pas de prĂ©judice esthĂ©tique

e) il n’existe pas de prĂ©judice professionnel

f) il n’existe pas d’incapacitĂ© permanente partielle

Il reste Ă  Ă©valuer le  pretium doloris  dĂ» aux rĂ©percussions de cet Ă©vĂ©nement. Ilconviendrait de faire ces Ă©valuations avec un mĂ©decin d’origine vietnamienne et psychiatre ou psychologue. »

16. Le troisiĂšme rapport, rendu le 29 septembre 1992, fit Ă©tat du

dysfonctionnement du service hospitalier mis en cause et de la négligencedu médecin :

« 1o  L’organisation des consultations des services des professeurs [T.] et [R.] Ă l’HĂŽtel-Dieu de Lyon n’est pas exempte de reproches, en particulier en ce quiconcerne les risques de confusion dus aux homonymies frĂ©quentes des patientesd’origine Ă©trangĂšre, risque sĂ»rement augmentĂ© du fait de leur ignorance ou de leurcomprĂ©hension limitĂ©e de notre langue.

2o Une orientation imprĂ©cise des patientes, une dĂ©signation insuffisamment clairedes bureaux mĂ©dicaux et des mĂ©decins y consultant ont favorisĂ© l’inversion des patientes de patronyme voisin et expliquent que le Dr [G.] ayant pris connaissance dudossier mĂ©dical de Mme  Thi Thanh Van Vo a vu se prĂ©senter Ă  son appel [la

requĂ©rante].3o Le docteur a agi par nĂ©gligence, par omission et il s’est fiĂ© aux seuls examens

 para-cliniques. Il n’a pas examinĂ© sa patiente et par un geste malencontreux adĂ©clenchĂ© une interruption de grossesse Ă  cinq mois par rupture de la poche des eaux.Ce geste engage sa responsabilitĂ© mais il existe des circonstances attĂ©nuantes. »

17. Le 25 janvier 1993, puis Ă  la suite d’un rĂ©quisitoire supplĂ©tif du procureur de la RĂ©publique en date du 26 avril 1994, le docteur G. fut misen examen pour avoir, le 27 novembre 1991, Ă  Lyon,

 â€“ par maladresse, imprudence, inattention, en l’espĂšce en perforant la pochedes eaux dans laquelle se dĂ©veloppait le fƓtus de la requĂ©rante alors vivant

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et viable, involontairement provoquĂ© la mort de cet enfant (faits prĂ©vus etrĂ©primĂ©s par l’article 319 du code pĂ©nal ancien – texte applicable Ă  la date

des faits –, et Ă  ce jour l’article 221-6 du code pĂ©nal) ; â€“ par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou manquement Ă une obligation de sĂ©curitĂ© ou de prudence imposĂ©e par la loi ou lesrĂšglements, causĂ© Ă  la requĂ©rante une atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© de sa personne,suivie d’une incapacitĂ© totale de travail n’excĂ©dant pas trois mois (faits

 prĂ©vus et rĂ©primĂ©s par l’article R. 40 4o  du code pĂ©nal ancien – texteapplicable Ă  la date des faits –, et Ă  ce jour les articles R. 625-2 et R. 625-4du code pĂ©nal).

18. Par une ordonnance du 31 aoĂ»t 1995, le docteur G. fut renvoyĂ©devant le tribunal correctionnel de Lyon des chefs d’atteinte involontaire Ă la vie et contravention de blessures involontaires.

19. Par un jugement du 3 juin 1996, le tribunal constata l’amnistie de plein droit de la contravention de blessures involontaires sur la personne dela requĂ©rante conformĂ©ment Ă  la loi d’amnistie du 3 aoĂ»t 1995. Sur le dĂ©litd’atteinte involontaire Ă  la vie sur le fƓtus, le tribunal s’exprima dans lestermes suivants :

« La question posĂ©e au tribunal est de savoir si l’infraction d’homicide involontaireou d’atteinte involontaire Ă  la vie est constituĂ©e lorsque l’atteinte Ă  la vie concerne lefƓtus, si le fƓtus de 20 Ă  21 semaines constitue une personne humaine (autrui au sensde l’article 221-6 du code pĂ©nal).

(...)

Les Ă©lĂ©ments d’expertise doivent ĂȘtre homologuĂ©s. Le fƓtus avait entre 20 et 21semaines.

 â€“ A quel stade de maturitĂ© l’embryon peut-il ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une personnehumaine ?

La loi du 17 janvier 1975 relative Ă  l’interruption volontaire de grossesse Ă©nonce :« la loi garantit le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie. »

La loi du 29 juillet 1994 (article 16 du code civil) Ă©nonce : « la loi assure la primautĂ© de la personne, interdit toute atteinte Ă  la dignitĂ© de celle-ci et garantit lerespect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. »

Les lois du 29 juillet 1994 utilisaient expressĂ©ment pour la premiĂšre fois les termes« embryon » et « embryon humain ». Aucun de ces textes ne dĂ©finit cependant cequ’est l’embryon humain.

Plusieurs parlementaires (dĂ©putĂ©s ou sĂ©nateurs), dans le cadre de la prĂ©paration de lalĂ©gislation sur la bioĂ©thique, ont voulu dĂ©finir l’embryon. Charles de Courson proposait de le dĂ©finir ainsi : « tout ĂȘtre humain doit ĂȘtre respectĂ© dĂšs lecommencement de la vie, l’embryon humain est un ĂȘtre humain. » Jean-FrançoisMattĂ©i Ă©nonçait : « l’embryon n’est en tout Ă©tat de cause que l’expressionmorphologique d’une seule et mĂȘme vie qui commence dĂšs la fĂ©condation et se poursuit jusqu’à la mort en passant par diffĂ©rentes Ă©tapes. En l’état actuel des

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connaissances on ne sait pas prĂ©cisĂ©ment quand le zygote devient l’embryon,l’embryon fƓtus, le seul fait indiscutable Ă©tant le dĂ©marrage du processus de la vielors de la fĂ©condation. »

Ainsi il apparaĂźt qu’aucune rĂšgle juridique ne prĂ©cise la situation juridique del’embryon, depuis sa formation et au fur et Ă  mesure de son dĂ©veloppement. Il y a lieu,devant cette absence de dĂ©finition juridique d’en revenir aux connaissances acquises.Il est Ă©tabli que la viabilitĂ© du fƓtus se situe Ă  6 mois, en aucun cas dans l’état actueldes connaissances Ă  20 ou 21 semaines.

Le tribunal ne peut que retenir cet Ă©lĂ©ment (viabilitĂ© Ă  6 mois) et ne peut crĂ©er ledroit sur une question que les lĂ©gislateurs n’ont pu dĂ©finir encore.

Ainsi le tribunal retient que le fƓtus est viable à compter de 6 mois. Qu’un fƓtus de20 à 21 semaines n’est pas viable et qu’il n’est pas une personne humaine ou autrui au

sens des articles 319 ancien du code pénal et 221-6 du code pénal.

Le dĂ©lit d’homicide involontaire ou atteinte involontaire Ă  la vie sur un fƓtus de 20Ă  21 semaines n’est pas Ă©tabli, le fƓtus n’étant pas une personne humaine ouautrui (...)

Renvoie le Dr G. des fins de la poursuite sans peine ni dépens (...) »

20. Le 10 juin 1996, la requĂ©rante interjeta appel du jugement. Ellesoutint que le docteur G. avait commis une faute personnelle dĂ©tachable dufonctionnement du service public et sollicita l’allocation des sommessuivantes : un million de francs français (FRF) Ă  titre de dommages-intĂ©rĂȘtsdont 900 000 FRF pour la mort de l’enfant et 100 000 FRF pour la blessure

 par elle subie. Le ministĂšre public, second appelant, requit l’infirmation du jugement de relaxe en faisant observer que « le prĂ©venu, en omettantd’effectuer un examen clinique, a commis une faute ayant causĂ© la mort dufƓtus, qui au moment de l’acte dommageable, ĂągĂ© de vingt Ă  vingt-quatresemaines, poursuivait normalement et inexorablement, sans aucun doutemĂ©dical sur son avenir, le chemin de vie qu’il avait entamĂ© ».

21. Par un arrĂȘt du 13 mars 1997, la cour d’appel de Lyon confirma le jugement en ce qu’il avait constatĂ© l’extinction de l’action publique du chefde la contravention de blessures involontaires et l’infirma pour le reste endĂ©clarant le mĂ©decin coupable d’homicide involontaire. Elle le condamna Ă 

six mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 FRF d’amende. Elle statuaainsi :

« (...) Attendu qu’en l’espĂšce la faute du docteur [G.] est d’autant plus caractĂ©risĂ©eque la patiente, n’ayant pas une pratique suffisante de la langue française, n’était pas Ă mĂȘme d’exposer ses dolĂ©ances, de rĂ©pondre Ă  ses questions, de lui prĂ©ciser la date desderniĂšres rĂšgles, Ă©lĂ©ments qui auraient dĂ» l’inciter d’autant plus Ă  pratiquer un examenclinique minutieux ; que l’allĂ©gation selon laquelle il Ă©tait en droit de se fier aux seulsdocuments mĂ©dicaux dĂ©montre que ce jeune mĂ©decin, scientifique accompli,mĂ©connaissait toutefois un aspect essentiel de l’art mĂ©dical constituĂ© par l’écoute, laconnaissance, l’examen du malade ; que d’ailleurs, devant la Cour, le Dr [G.] a prĂ©cisĂ©

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  ARRÊT VO c. FRANCE 7

que depuis cet accident il avait « l’obsession de la prĂ©caution » Ă  prendre avantd’opĂ©rer ;

Attendu que cette faute d’imprudence et de nĂ©gligence prĂ©sente un lien de causalitĂ©certaine avec la perte de l’enfant dont Madame Vo Ă©tait enceinte, le prĂ©venu ayant lui-mĂȘme reconnu, avec une incontestable loyautĂ©, que l’examen clinique lui aurait permis de constater l’état de grossesse de sa patiente et de dĂ©celer l’interversion de personnes s’étant produite ;

Attendu que s’agissant de la qualification d’homicide involontaire il convient dansun premier temps de rappeler les principes juridiques gouvernant la matiùre ;

Attendu que diverses dispositions conventionnelles telles que l’article 2 de laConvention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©sfondamentales, que l’article 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques,

que l’article 6 de la Convention relative aux droits de l’enfant signĂ©e Ă  New York le26 janvier 1990, reconnaissent l’existence, pour toute personne, et notammentl’enfant, d’un droit Ă  la vie protĂ©gĂ© par la loi ;

Attendu qu’en droit interne, l’article 1er  de la loi 75-17 du 17 janvier 1975 relative Ă l’interruption volontaire de la grossesse a prĂ©cisĂ© que « la loi garantit le respect de toutĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie. (qu)’Il ne saurait ĂȘtre portĂ© atteinte Ă  ce principe qu’en cas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par la prĂ©sente loi. » ;

Attendu, par ailleurs, que la loi 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect ducorps humain, a rappelĂ© dans l’article 16 du code civil que « la loi assure la primautĂ©de la personne, interdit toute atteinte Ă  la dignitĂ© de celle-ci et garantit le respect del’ĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. » ;

Attendu que ces dispositions lĂ©gislatives ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme desimples dĂ©clarations d’intention, dĂ©pourvues de tout effet juridique, alors quel’article 16-9 du code civil indique que les dispositions de l’article 16 sont d’ordre public ;

Attendu que de son cĂŽtĂ© la Cour de cassation, Chambre criminelle, dans deux arrĂȘtsrendus le 27 novembre 1996, a fait application de ces principes de droit internationalet de droit interne en prĂ©cisant que la loi du 17 janvier 1975 n’admet qu’il soit portĂ©atteinte au principe du respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie,rappelĂ© en son article 1er , qu’en cas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions et limitationsqu’elle dĂ©finit ;

Qu’elle a ajoutĂ© qu’eu Ă©gard aux conditions ainsi posĂ©es par le lĂ©gislateur,l’ensemble des dispositions issues de cette loi et de celle du 31 dĂ©cembre 1979 relativeĂ  l’interruption volontaire de grossesse n’étaient pas incompatibles avec lesstipulations conventionnelles prĂ©citĂ©es ;

Qu’elle a par ailleurs rappelĂ© que lors de la signature Ă  New York le 26 janvier 1990de la Convention relative aux droits de l’enfant, la France avait formulĂ© unedĂ©claration interprĂ©tative selon laquelle cette Convention ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©ecomme faisant obstacle Ă  l’application des dispositions de la lĂ©gislation françaiserelative Ă  l’interruption volontaire de grossesse ; que cette rĂ©serve dĂ©montre a contrario, que ladite Convention Ă©tait susceptible de concerner le fƓtus de moins dedix semaines, dĂ©lai lĂ©gal en France de l’interruption volontaire de la grossesse ;

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8 ARRÊT VO c. FRANCE

Attendu qu’il en rĂ©sulte que, sous rĂ©serve des dispositions relatives Ă  l’interruptionvolontaire de la grossesse et de celles relatives Ă  l’avortement thĂ©rapeutique, la loiconsacre le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie, sans qu’il soitexigĂ© que l’enfant naisse viable, du moment qu’il Ă©tait en vie lors de l’atteinte qui lui aĂ©tĂ© portĂ©e ;

Attendu qu’au demeurant la viabilitĂ© constitue une notion scientifiquementcontingente et incertaine comme le reconnaĂźt le prĂ©venu lui-mĂȘme qui, poursuivantactuellement des Ă©tudes aux Etats-Unis, a prĂ©cisĂ© devant la Cour que des fƓtus nĂ©s 23ou 24 semaines aprĂšs la conception avaient pu ĂȘtre maintenus en vie alors qu’une tellehypothĂšse Ă©tait totalement exclue quelques annĂ©es auparavant ; que dans laconsultation Ă©tablie par le professeur [T.] et produite par le docteur [G.], il est fait Ă©tatdu rapport du professeur MattĂ©i indiquant que l’embryon n’est que l’expressionmorphologique d’une seule et mĂȘme vie qui commence dĂšs la fĂ©condation et se poursuit jusqu’à la mort, en passant par diffĂ©rentes Ă©tapes, sans que l’on sache Ă  quel

moment le zygote devient embryon, l’embryon fƓtus, le seul fait indiscutable Ă©tant ledĂ©marrage du processus de vie lors de la fĂ©condation ; (...)

Attendu qu’ainsi la viabilitĂ© lors de la naissance, notion scientifiquement incertaine,est de surcroĂźt dĂ©pourvue de toute portĂ©e juridique, la loi n’opĂ©rant aucune distinctionĂ  cet Ă©gard ;

Attendu qu’en l’espĂšce il est Ă©tabli que lors de l’échographie effectuĂ©e le27 novembre 1991, suivie le mĂȘme jour de la perte du liquide amniotique, la grossessede [la requĂ©rante] se poursuivait normalement et que l’enfant qu’elle portait Ă©tait envie ; que lors de l’avortement thĂ©rapeutique rĂ©alisĂ© le 5 dĂ©cembre 1991, il a Ă©tĂ©constatĂ© que, selon les mensurations de l’enfant comparĂ©es aux tables publiĂ©es, il Ă©tait permis d’attribuer Ă  ce fƓtus un Ăąge de 20 Ă  21 semaines, qui pourrait mĂȘme ĂȘtre

supĂ©rieur dans la mesure oĂč il n’est pas certain que ces tables prennent en compte lamorphologie propre aux enfants d’origine vietnamienne, le docteur [G.], interrogĂ© surce point Ă  l’audience, n’ayant pu fournir aucune prĂ©cision supplĂ©mentaire ; quel’examen anatomo-pathologique avait permis de conclure que le poumon fƓtal prĂ©sentait un Ăąge de 20 Ă  24 semaines ; attendu qu’il rĂ©sulte de l’ensemble de cesindications que l’ñge du fƓtus Ă©tait de 20 Ă  24 semaines, ses mensurations incitant plutĂŽt Ă  incliner vers la branche basse de l’évaluation ; qu’en tout Ă©tat de cause l’ñgede ce fƓtus Ă©tait trĂšs proche de celui de certains fƓtus ayant pu survivre aux Etats-Unis comme l’a prĂ©cisĂ© le docteur [G.] ; que les photographies figurant au dossiersous la cote D 32 montrent un enfant parfaitement formĂ© dont la vie a Ă©tĂ© interrompue par la nĂ©gligence du prĂ©venu ;

Attendu que comme l’avait fait remarquer la cour d’appel de Douai dans son arrĂȘt

du 2 juin 1987, si l’atteinte portĂ©e Ă  l’enfant avait provoquĂ© une lĂ©sion n’entraĂźnant pas sa mort, la qualification de blessures involontaires eĂ»t Ă©tĂ© retenue sans hĂ©sitationaucune ; qu’à plus forte raison, la qualification d’homicide involontaire doit ĂȘtreretenue s’agissant d’une atteinte ayant provoquĂ© la mort de l’enfant ;

Attendu qu’ainsi tant l’application stricte des principes juridiques que des donnĂ©esacquises de la science que des considĂ©rations d’élĂ©mentaire bon sens, conduisent Ă retenir la qualification d’homicide involontaire s’agissant d’une atteinte parimprudence ou nĂ©gligence portĂ©e Ă  un fƓtus ĂągĂ© de 20 Ă  24 semaines en parfaite santĂ©,ayant causĂ© la mort de celui-ci ;

Attendu qu’en consĂ©quence le jugement dĂ©fĂ©rĂ© doit ĂȘtre infirmĂ© (...) ;

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  ARRÊT VO c. FRANCE 9

Attendu que si l’action civile de [la requĂ©rante] est recevable, ne serait-ce que pourcorroborer l’action publique, la Cour est incompĂ©tente pour statuer sur la demande enrĂ©paration ; qu’en effet, la faute d’imprudence et de nĂ©gligence commise par ledocteur [G.], mĂ©decin dans un hĂŽpital public, quoique non dĂ©pourvue de gravitĂ©, ne prĂ©sente pas toutefois le caractĂšre d’une faute personnelle d’une exceptionnellegravitĂ©, traduisant une mĂ©connaissance totale des principes les plus Ă©lĂ©mentaires et desdevoirs de sa mission, la rendant dĂ©tachable du service ;

Attendu en revanche qu’il convient de condamner le docteur [G.] Ă  payer Ă  cette partie civile, une indemnitĂ© de 5 000 francs au titre de l’article 475-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale au titre des frais non payĂ©s par l’Etat et exposĂ©s par celle-ci ;

(...) »

22. Sur pourvoi du mĂ©decin, la Cour de cassation, par un arrĂȘt du 30 juin

1999, cassa l’arrĂȘt de la cour d’appel de Lyon et dit n’y avoir lieu Ă  renvoi :« Vu l’article 111-4 du code pĂ©nal ;

Attendu que la loi pĂ©nale est d’interprĂ©tation stricte ;

(...)

Attendu que, pour dĂ©clarer [le mĂ©decin] coupable d’homicide involontaire, la juridiction du second degrĂ© relĂšve que l’article 2 de la Convention europĂ©enne desauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales et l’article 6 du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques reconnaissent l’existence, pour toute personne, d’un droit Ă  la vie protĂ©gĂ© par la loi ; qu’elle souligne que la loi du17 janvier 1975, relative Ă  l’interruption volontaire de grossesse, pose le principe durespect de l’ĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie, dĂ©sormais rappelĂ© parl’article 16 du code civil dans la rĂ©daction issue de la loi du 29 juillet 1994 ;qu’ensuite elle Ă©nonce qu’en intervenant sans examen clinique prĂ©alable, le mĂ©decin acommis une faute d’imprudence et de nĂ©gligence, qui prĂ©sente un lien de causalitĂ©certain avec la mort de l’enfant que portait la patiente ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les faits reprochĂ©s au prĂ©venu n’entrent pas dans les prĂ©visions des articles 319 ancien et 221-6 du code pĂ©nal, la cour d’appela mĂ©connu le texte susvisĂ© ;

(...) »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code pénal

23. Le texte, applicable au moment des faits, prĂ©voyant et rĂ©primant lesatteintes portĂ©es involontairement Ă  la vie Ă©tait, avant le 1er   mars 1994,l’article 319 du code pĂ©nal, qui se lit comme suit :

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10 ARRÊT VO c. FRANCE

« Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou inobservationdes rĂšglements, aura commis involontairement un homicide ou en aura Ă©tĂ©involontairement la cause, sera puni d’un emprisonnement de trois mois Ă  deux ans, etd’une amende de 1 000 francs Ă  30 000 francs. »

24. Depuis le 1er  mars 1994, l’article pertinent est l’article 221-6 du code pĂ©nal (modifiĂ© par la loi no  2000-647 du 10 juillet 2000 et l’ordonnanceno  2000-916 du 19 septembre 2000) qui figure dans la section II (« Desatteintes involontaires Ă  la vie ») du chapitre I (« Des atteintes Ă  la vie de la

 personne ») du titre II (« Des atteintes Ă  la personne humaine ») du livre II(« Des crimes et dĂ©lits contre les personnes »). L’article 221-6 est ainsirĂ©digĂ© :

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prĂ©vues Ă l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou manquement Ă 

une obligation de sĂ©curitĂ© ou de prudence imposĂ©e par la loi ou le rĂšglement, la mortd’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de45 000 euros d’amende.

En cas de violation manifestement dĂ©libĂ©rĂ©e d’une obligation particuliĂšre de sĂ©curitĂ©ou de prudence imposĂ©e par la loi ou le rĂšglement, les peines encourues sont portĂ©es Ă cinq ans d’emprisonnement et Ă  75 000 euros d’amende. »

25. L’article 223-10 du code pĂ©nal, qui concerne l’interruptionvolontaire de la grossesse d’une femme sans son consentement par un tiers,figure Ă  la section V intitulĂ©e « De l’interruption illĂ©gale de la grossesse »du chapitre III ayant pour titre « De la mise en danger de la personne » du

titre II du livre II, et se lit ainsi :« L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intĂ©ressĂ©e est punie de

cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

26. La section III intitulĂ©e « De la protection de l’embryon humain » duchapitre I (« Des infractions en matiĂšre d’éthique biomĂ©dicale ») du titre I(« Des infractions en matiĂšre de santĂ© publique ») du livre V (« Des autrescrimes et dĂ©lits ») Ă©nonce plusieurs prohibitions au regard de l’éthiquemĂ©dicale (articles 511-15 Ă  511-25) dont, par exemple, la conceptiond’embryons humains in vitro Ă  des fins de recherche ou d’expĂ©rimentation(article 511-18).

B. Le code de la santé publique

27. A l’époque des faits, le dĂ©lai de prescription de l’action enresponsabilitĂ© administrative Ă©tait de quatre ans et la pĂ©riode pendantlaquelle l’interruption volontaire de grossesse Ă©tait lĂ©gale Ă©tait de dixsemaines Ă  partir de la conception.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 11

28. Les dispositions du code de la santĂ© publique, telles qu’elles sont envigueur, notamment depuis la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux

droits des malades et Ă  la qualitĂ© du systĂšme de santĂ©, se lisent comme suit : 

Article L. 1142-1

« Hors le cas oĂč leur responsabilitĂ© est encourue en raison d’un dĂ©faut d’un produitde santĂ©, les professionnels de santĂ© mentionnĂ©s Ă  la quatriĂšme partie du prĂ©sent code,ainsi que tout Ă©tablissement, service ou organisme dans lesquels sont rĂ©alisĂ©s des actesindividuels de prĂ©vention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables desconsĂ©quences dommageables d’actes de prĂ©vention, de diagnostic, ou de soins qu’encas de faute.

(...) »

Article L. 1142-2 

« Les professionnels de santĂ© exerçant Ă  titre libĂ©ral, les Ă©tablissements de santĂ©,services de santĂ© et organismes mentionnĂ©s Ă  l’article L. 1142-1, et toute autre personne morale, autre que l’Etat, exerçant des activitĂ©s de prĂ©vention, de diagnosticou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santĂ©,Ă  l’état de produits finis, mentionnĂ©s Ă  l’article L. 5311-1 Ă  l’exclusion du 5Âș, sousrĂ©serve des dispositions de l’article L. 1222-9, et des 11Âș, 14Âș et 15Âș, utilisĂ©s Ă l’occasion de ces activitĂ©s, sont tenus de souscrire une assurance destinĂ©e Ă  les garantir pour leur responsabilitĂ© civile ou administrative susceptible d’ĂȘtre engagĂ©e en raisonde dommages subis par des tiers et rĂ©sultant d’atteintes Ă  la personne, survenant dansle cadre de l’ensemble de cette activitĂ©.

(...) »

Article L. 1142-28

« Les actions tendant Ă  mettre en cause la responsabilitĂ© des professionnels de santĂ©ou des Ă©tablissements de santĂ© publics ou privĂ©s Ă  l’occasion d’actes de prĂ©vention, dediagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans Ă  compter de la consolidation dudommage. »

Article L. 2211-1

« Comme il est dit Ă  l’article 16 du code civil ci-aprĂšs reproduit :

« La loi assure la primautĂ© de la personne, interdit toute atteinte Ă  la dignitĂ© de celle-ci et garantit le respect de l’ĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. »

Article L. 2211-2

« Il ne saurait ĂȘtre portĂ© atteinte au principe mentionnĂ© Ă  l’article L. 2211-1 qu’encas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par le prĂ©sent titre.

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12 ARRÊT VO c. FRANCE

L’enseignement de ce principe et de ses consĂ©quences, l’information sur les problĂšmes de la vie et de la dĂ©mographie nationale et internationale, l’éducation Ă  laresponsabilitĂ©, l’accueil de l’enfant dans la sociĂ©tĂ© et la politique familiale sont desobligations nationales. L’Etat, avec le concours des collectivitĂ©s territoriales, exĂ©cuteces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent. »

Article L. 2212-1

« La femme enceinte que son Ă©tat place dans une situation de dĂ©tresse peutdemander Ă  un mĂ©decin l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut ĂȘtre pratiquĂ©e qu’avant la fin de la douziĂšme semaine de grossesse. »

Article L. 2213-1

« L’interruption volontaire d’une grossesse peut, Ă  toute Ă©poque, ĂȘtre pratiquĂ©e sideux mĂ©decins membres d’une Ă©quipe pluridisciplinaire attestent, aprĂšs que cetteĂ©quipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en pĂ©rilgrave la santĂ© de la femme, soit qu’il existe une forte probabilitĂ© que l’enfant Ă  naĂźtresoit atteint d’une affection d’une particuliĂšre gravitĂ© reconnue comme incurable aumoment du diagnostic.

(...) »

C. La position de la Cour de cassation

29. Par deux fois, et en dĂ©pit de conclusions contraires des avocatsgĂ©nĂ©raux, la Cour de cassation a confirmĂ© sa position prise en l’espĂšce (voir

 paragraphe 22 ci-dessus) dans des arrĂȘts des 29 juin 2001 (Cass. ass. plĂ©n., Bull . no 165) et 25 juin 2002 (Cass. crim., Bull. crim. no 144).

1. L’arrĂȘt du 29 juin 2001 de l’assemblĂ©e plĂ©niĂšre

« Sur les deux moyens rĂ©unis du procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la cour d’appel de Metz etde Mme X... : 

Attendu que le 29 juillet 1995 un vĂ©hicule conduit par M. Z... a heurtĂ© celui conduit par Mme X..., enceinte de six mois, qui a Ă©tĂ© blessĂ©e et a perdu des suites du choc lefƓtus qu’elle portait ; que l’arrĂȘt attaquĂ© (Metz, 3 septembre 1998) a notammentcondamnĂ© M. Z... du chef de blessures involontaires sur la personne de Mme X..., aveccirconstance aggravante de conduite sous l’empire d’un Ă©tat alcoolique, mais l’a relaxĂ©du chef d’atteinte involontaire Ă  la vie de l’enfant Ă  naĂźtre ; 

Attendu qu’il est fait grief Ă  l’arrĂȘt attaquĂ© d’avoir ainsi statuĂ©, alors que, d’une part,l’article 221-6 du Code pĂ©nal rĂ©primant le fait de causer la mort d’autrui n’exclut pasde son champ d’application l’enfant Ă  naĂźtre et viable, qu’en limitant la portĂ©e de cetexte Ă  l’enfant dont le cƓur battait Ă  la naissance et qui a respirĂ©, la cour d’appel aajoutĂ© une condition non prĂ©vue par la loi, et alors que, d’autre part, le fait de provoquer involontairement la mort d’un enfant Ă  naĂźtre constitue le dĂ©lit d’homicideinvolontaire dĂšs lors que celui-ci Ă©tait viable au moment des faits quand bien mĂȘme il

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  ARRÊT VO c. FRANCE 13

n’aurait pas respirĂ© lorsqu’il a Ă©tĂ© sĂ©parĂ© de la mĂšre, de sorte qu’auraient Ă©tĂ© violĂ©s lesarticles 111-3, 111-4 et 221-6 du Code pĂ©nal et 593 du Code de procĂ©dure pĂ©nale ; 

Mais attendu que le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines, qui impose uneinterprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale, s’oppose Ă  ce que l’incrimination prĂ©vue parl’article 221-6 du Code pĂ©nal, rĂ©primant l’homicide involontaire d’autrui, soit Ă©tendueau cas de l’enfant Ă  naĂźtre dont le rĂ©gime juridique relĂšve de textes particuliers surl’embryon ou le fƓtus ; 

(...) » 

2. L’arrĂȘt du 25 juin 2002 de la chambre criminelle

« (...)

Vu les articles 319 ancien, 221-6 et 111-4 du Code pĂ©nal ; 

Attendu que le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines, qui impose uneinterprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale, s’oppose Ă  ce que l’incrimination d’homicideinvolontaire s’applique au cas de l’enfant qui n’est pas nĂ© vivant ; 

Attendu qu’il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© que Z..., dont la grossesse, suivie par X...,Ă©tait venue Ă  terme le 10 novembre 1991, est entrĂ©e en clinique en vue de sonaccouchement le 17 novembre ; que, placĂ©e sous surveillance vers 20 heures 30, elle asignalĂ© une anomalie du rythme cardiaque de l’enfant Ă  la sage-femme, Y..., laquelle arefusĂ© d’appeler le mĂ©decin ; qu’un nouveau contrĂŽle pratiquĂ© le lendemain Ă  7 heuresa rĂ©vĂ©lĂ© la mĂȘme anomalie, puis l’arrĂȘt total des battements du cƓur ; que, vers

8 heures, X... a constatĂ© le dĂ©cĂšs ; qu’il a procĂ©dĂ© dans la soirĂ©e Ă  l’extraction parcĂ©sarienne d’un enfant mort-nĂ© qui, selon le rapport d’autopsie, ne prĂ©sentait aucunemalformation mais avait souffert d’anoxie ; 

Attendu que, pour dĂ©clarer Y... coupable d’homicide involontaire et X..., qui a Ă©tĂ©relaxĂ© par le tribunal correctionnel, responsable des consĂ©quences civiles de ce dĂ©lit,l’arrĂȘt retient que le dĂ©cĂšs de l’enfant est la consĂ©quence des imprudences etnĂ©gligences commises par eux, le mĂ©decin en s’abstenant d’intensifier la surveillancede la patiente en raison du dĂ©passement du terme, la sage-femme en omettant del’avertir d’une anomalie non Ă©quivoque de l’enregistrement du rythme cardiaque del’enfant ; 

Que les juges, aprĂšs avoir relevĂ© que l’enfant mort-nĂ© ne prĂ©sentait aucune lĂ©sion

organique pouvant expliquer le dĂ©cĂšs, Ă©noncent « que cet enfant Ă©tait Ă  terme depuis plusieurs jours et que, si les fautes relevĂ©es n’avaient pas Ă©tĂ© commises, il avait lacapacitĂ© de survivre par lui-mĂȘme, disposant d’une humanitĂ© distincte de celle de samĂšre » ; 

Mais attendu qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel a mĂ©connu les textessusvisĂ©s et les principes ci-dessus rappelĂ©s ; 

D’oĂč il suit que la cassation est encourue ; qu’elle aura lieu sans renvoi, dĂšs lors queles faits ne sont susceptibles d’aucune qualification pĂ©nale ;

(...) »

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14 ARRÊT VO c. FRANCE

30. La chambre criminelle de la Cour de cassation a considĂ©rĂ© que justifie sa dĂ©cision la cour d’appel qui, pour dĂ©clarer le prĂ©venu coupable

d’homicide involontaire sur un enfant, nĂ© le jour de l’accident de circulationdans lequel sa mĂšre, enceinte de huit mois, a Ă©tĂ© griĂšvement blessĂ©e, etdĂ©cĂ©dĂ© une heure aprĂšs, retient que le conducteur, par un dĂ©faut de maĂźtrisede son vĂ©hicule, a causĂ© la mort de l’enfant qui a vĂ©cu une heure aprĂšs sanaissance et qui est dĂ©cĂ©dĂ© des suites des lĂ©sions vitales irrĂ©versibles subiesau moment du choc (Cass. crim., 2 dĂ©cembre 2003).

31. Dans un article intitulĂ© « Violences involontaires sur femme enceinteet dĂ©lit d’homicide involontaire » ( Recueil Dalloz 2004, p. 449), Ă  propos ducommentaire de l’arrĂȘt rendu par la chambre criminelle de la Cour decassation le 2 dĂ©cembre 2003 (paragraphe 30 ci-dessus), il est observĂ© quela jurisprudence de la Cour de cassation prĂ©citĂ©e (paragraphe 29 ci-dessus) a

Ă©tĂ© condamnĂ©e par vingt-huit auteurs sur trente-quatre.Parmi les critiques de la doctrine, l’on peut relever la motivation

laconique des arrĂȘts de la Cour de cassation ou l’incohĂ©rence de la protection : serait passible de sanctions pĂ©nales celui qui cause des blessuresinvolontaires alors que reste impuni celui qui provoque involontairement lamort du fƓtus ; l’enfant qui a vĂ©cu quelques minutes se voit reconnaĂźtre laqualitĂ© de victime et celui mort in utero est ignorĂ© du droit ; la libertĂ© de

 procrĂ©er serait moins bien protĂ©gĂ©e que celle d’avorter.

D. L’amendement Garraud

32. Le 27 novembre 2003, l’AssemblĂ©e nationale a adoptĂ©, en secondelecture, le projet de loi portant adaptation de la justice aux Ă©volutions de lacriminalitĂ© ; il comprenait l’amendement Garraud, du nom du dĂ©putĂ© Ă l’initiative du texte, qui crĂ©ait le dĂ©lit d’interruption involontaire degrossesse (IIG).

33. L’adoption de cet amendement avait soulevĂ© de vives polĂ©miques etle garde des Sceaux, M. Perben, Ă  l’issue d’une semaine de consultations,dĂ©clarait le 5 dĂ©cembre 2003 que la proposition du dĂ©putĂ© « pose plus de

 problĂšmes qu’elle n’en rĂšgle » et penchait en faveur de son abandon. Le23 janvier 2004, le SĂ©nat a supprimĂ©, Ă  l’unanimitĂ©, l’amendement. C’est la

seconde fois que les sĂ©nateurs suppriment une telle proposition : en avril2003, ils s’y Ă©taient dĂ©jĂ  opposĂ©s lors de l’examen de la loi renforçant lalutte contre la violence routiĂšre adoptĂ©e le 12 juin 2003.

E. Les lois de bioéthique

34. Le 11 dĂ©cembre 2003, l’AssemblĂ©e nationale a adoptĂ© en secondelecture le projet de loi sur la bioĂ©thique en vue de rĂ©viser les lois de 1994relatives au don et Ă  l’utilisation des Ă©lĂ©ments et produits du corps humain, Ă l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et au diagnostic prĂ©natal,

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  ARRÊT VO c. FRANCE 15

conformĂ©ment Ă  ce qu’avait prĂ©vu le lĂ©gislateur d’alors, afin de prendre encompte les progrĂšs scientifiques et mĂ©dicaux intervenus depuis et les

nouvelles questions qui se posent Ă  la sociĂ©tĂ©. Le projet renforce lesgaranties en matiĂšre d’information ainsi que de recherche et de recueil duconsentement des personnes face Ă  l’évolution rapide des techniques,

 prohibe des pratiques rendues possibles par la technique (le clonagereproductif) et encadre celles dont l’intĂ©rĂȘt mĂ©dical est avĂ©rĂ© (recherche surl’embryon in vitro). Il met en place une instance d’encadrement et decontrĂŽle (l’Agence de la procrĂ©ation, de l’embryologie et de la gĂ©nĂ©tiquehumaines) qui assurera Ă©galement des fonctions d’accompagnement, deveille et d’expertise dans ces domaines (http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/bioethique.asp).

III. LE DROIT EUROPÉEN

A. La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et labiomĂ©decine

35. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de ladignitĂ© de l’ĂȘtre humain Ă  l’égard des applications de la biologie et de lamĂ©decine, dite aussi Convention sur les droits de l’homme et la

 biomĂ©decine, ouverte Ă  la signature le 4 avril 1997 Ă  Oviedo, est entrĂ©e en

vigueur le 1er 

 dĂ©cembre 1999. Dans cette convention, les Etats membres duConseil de l’Europe, les autres Etats et la CommunautĂ© europĂ©ennesignataires,

« (...)

RĂ©solus Ă  prendre, dans le domaine des applications de la biologie et de lamĂ©decine, les mesures propres Ă  garantir la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain et les droits etlibertĂ©s fondamentaux de la personne,

Sont convenus de ce qui suit :

Chapitre I – Dispositions gĂ©nĂ©ralesArticle 1 – Objet et finalitĂ©

Les Parties Ă  la prĂ©sente Convention protĂšgent l’ĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ© et garantissent Ă  toute personne, sans discrimination, le respect de son intĂ©gritĂ©et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă  l’égard des applications de la biologie et de la mĂ©decine.

Chaque Partie prend dans son droit interne les mesures nécessaires pour donner effetaux dispositions de la présente Convention.

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16 ARRÊT VO c. FRANCE

Article 2 – PrimautĂ© de l’ĂȘtre humain

L’intĂ©rĂȘt et le bien de l’ĂȘtre humain doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ©ou de la science.

(...)

Chapitre V – Recherche scientifique

(...)

Article 18 – Recherche sur les embryons in vitro 

1. Lorsque la recherche sur les embryons in vitro  est admise par la loi, celle-ci

assure une protection adĂ©quate de l’embryon.

2. La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite.

(...)

Chapitre XI – InterprĂ©tation et suivi de la Convention

Article 29 – InterprĂ©tation de la Convention

La Cour europĂ©enne des Droits de l’Homme peut donner, en dehors de tout litigeconcret se dĂ©roulant devant une juridiction, des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprĂ©tation de la prĂ©sente Convention Ă  la demande :

 â€“ du Gouvernement d’une Partie, aprĂšs en avoir informĂ© les autres Parties ;

 â€“ du ComitĂ© instituĂ© par l’article 32, dans sa composition restreinte auxReprĂ©sentants des Parties Ă  la prĂ©sente Convention, par dĂ©cision prise Ă  la majoritĂ© desdeux tiers des voix exprimĂ©es.

(...) »

36. L’article 1 (paragraphes 16 Ă  19) du rapport explicatif Ă  cetteconvention est ainsi libellĂ© :

Article 1 – Objet et finalitĂ©

« 16. Cet article dĂ©finit le champ d’application de la Convention ainsi que safinalitĂ©.

17. La Convention a pour but de garantir, dans le domaine des applications de la biologie et de la mĂ©decine, les droits et libertĂ©s fondamentales de chaque personne, en particulier son intĂ©gritĂ©, et de garantir la dignitĂ© et l’identitĂ© de l’ĂȘtre humain dans cedomaine.

18. La Convention ne dĂ©finit pas le terme « toute personne » (en anglais« everyone Â»). L’utilisation de ces termes comme Ă©quivalents est basĂ©e sur le fait queles deux se trouvent Ă©galement dans les versions française et anglaise de la

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  ARRÊT VO c. FRANCE 17

Convention europĂ©enne des Droits de l’Homme, qui n’en donne cependant pas unedĂ©finition. En l’absence d’unanimitĂ©, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe,sur la dĂ©finition de ces termes, il a Ă©tĂ© convenu de laisser au droit interne le soinĂ©ventuel d’apporter les prĂ©cisions pertinentes aux effets de l’application de la prĂ©senteConvention.

19. La Convention utilise aussi l’expression « ĂȘtre humain » en Ă©nonçant lanĂ©cessitĂ© de protĂ©ger l’ĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et son identitĂ©. Il a Ă©tĂ© constatĂ©qu’il est un principe gĂ©nĂ©ralement acceptĂ© selon lequel la dignitĂ© humaine et l’identitĂ©de l’espĂšce humaine doivent ĂȘtre respectĂ©es dĂšs le commencement de la vie.

(...) »

B. Le Protocole additionnel Ă  la Convention sur les droits de

l’homme et la biomĂ©decine portant interdiction du clonage d’ĂȘtreshumains (12 janvier 1998)

37. L’article 1 de ce protocole est ainsi rĂ©digĂ© : 

« 1. Est interdite toute intervention ayant pour but de crĂ©er un ĂȘtre humaingĂ©nĂ©tiquement identique Ă  un autre ĂȘtre humain vivant ou mort.

2. Au sens du prĂ©sent article, l’expression ĂȘtre humain « gĂ©nĂ©tiquement identique Ȉ un autre ĂȘtre humain signifie un ĂȘtre humain ayant en commun avec un autrel’ensemble des gĂšnes nuclĂ©aires. »

C. Le Protocole additionnel Ă  la Convention sur les droits del’homme et la biomĂ©decine relatif Ă  la recherche biomĂ©dicale

38. Le projet de protocole a Ă©tĂ© approuvĂ© par le ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique le 20 juin 2003. Il a Ă©tĂ© soumis au ComitĂ© des Ministres duConseil de l’Europe. Celui-ci a consultĂ© l’AssemblĂ©e parlementaire qui adonnĂ© un avis favorable le 30 avril 2004 (Avis no 252). Le 30 juin 2004, leComitĂ© des Ministres a adoptĂ© ce texte.

Article 1 – Objet et finalitĂ©

« Les Parties au prĂ©sent Protocole protĂšgent l’ĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ©, et garantissent Ă  toute personne, sans discrimination, le respect de sonintĂ©gritĂ© et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă  l’égard de toute recherchedans le domaine de la biomĂ©decine impliquant une intervention sur l’ĂȘtre humain. »

Article 2 – Champ d’application

« 1. Le prĂ©sent Protocole s’applique Ă  l’ensemble des activitĂ©s de recherche dans ledomaine de la santĂ© impliquant une intervention sur l’ĂȘtre humain.

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18 ARRÊT VO c. FRANCE

2. Le Protocole ne s’applique pas à la recherche sur les embryons in vitro. Ils’applique à la recherche sur les fƓtus et les embryons in vivo.

(...) »

Article 3 – PrimautĂ© de l’ĂȘtre humain

« L’intĂ©rĂȘt et le bien de l’ĂȘtre humain qui participe Ă  une recherche doivent prĂ©valoirsur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. »

Article 18 – Recherche pendant la grossesse ou l’allaitement

« 1. Une recherche sur une femme enceinte dont les rĂ©sultats attendus necomportent pas de bĂ©nĂ©fice direct pour sa santĂ©, ou celle de l’embryon, du fƓtus ou de

l’enfant aprĂšs sa naissance, ne peut ĂȘtre entreprise que si les conditionssupplĂ©mentaires suivantes sont rĂ©unies :

i. la recherche a pour objet de contribuer Ă  l’obtention, Ă  terme, de rĂ©sultats permettant un bĂ©nĂ©fice pour d’autres femmes en relation avec la procrĂ©ation, ou pourd’autres embryons, fƓtus ou enfants ;

(...) »

Le rapport explicatif reprend les termes du rapport explicatif Ă  laConvention.

D. Le rapport du Groupe de travail sur la protection de l’embryon etdu fƓtus humains : la protection de l’embryon humain in vitro (2003)

39. Le Groupe de travail sur la protection de l’embryon et du fƓtushumains du ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique a formulĂ© la conclusionsuivante dans un rapport Ă©tabli en 2003 :

« Ce rapport a pour but de prĂ©senter une vue d’ensemble des positions actuelles enEurope sur la protection de l’embryon humain in vitro et des arguments qui les sous-tendent.

Il montre un large consensus sur la nĂ©cessitĂ© d’une protection de l’embryon in vitro. NĂ©anmoins, la dĂ©finition du statut de l’embryon reste un domaine oĂč l’on rencontredes diffĂ©rences fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont,dans une large mesure, Ă  l’origine de celles rencontrĂ©es sur les questions ayant trait Ă la protection de l’embryon in vitro.

Toutefois, mĂȘme en l’absence d’accord sur le statut de l’embryon, la possibilitĂ© derĂ©examiner certaines questions Ă  la lumiĂšre des rĂ©cents dĂ©veloppements dans ledomaine biomĂ©dical et des avancĂ©es thĂ©rapeutiques potentielles, pourrait ĂȘtreenvisagĂ©e. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les choixfondamentaux des diffĂ©rents pays, il semble possible et souhaitable – au regard de lanĂ©cessitĂ© de protĂ©ger l’embryon in vitro reconnue par tous les pays – d’identifier des

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approches communes afin d’assurer des conditions adĂ©quates d’application des procĂ©dures impliquant la constitution et l’utilisation d’embryons in vitro. Ce rapport seveut une aide Ă  la rĂ©flexion vers cet objectif. »

E. Le Groupe europĂ©en d’éthique des sciences et des nouvelles

technologies auprÚs de la Commission européenne

40. Ce groupe a notamment Ă©mis l’avis suivant sur les aspects Ă©thiquesde la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans lecontexte du 5e programme-cadre de recherche (23 novembre 1998) :

« (...)

Contexte juridique 

Controverses sur les notions de « débuts de la vie humaine » et de « personnalitéhumaine »

Les lĂ©gislations en vigueur dans les Etats membres diffĂšrent sensiblement quant Ă  laquestion de savoir quand commence la vie humaine et Ă  partir de quand apparaĂźt la« personnalitĂ© » humaine. Force est de constater qu’il n’existe, en effet, aucunedĂ©finition consensuelle, ni scientifique, ni juridique, des dĂ©buts de la vie.

On distingue cependant deux grandes conceptions du statut moral de l’embryon et par consĂ©quent de la protection juridique dont il doit bĂ©nĂ©ficier :

Dans la premiĂšre conception, l’embryon n’est pas un ĂȘtre humain et ne mĂ©rite doncqu’une protection limitĂ©e ;

Dans la seconde, l’embryon jouit du statut moral de tout ĂȘtre humain et doit donc bĂ©nĂ©ficier Ă  ce titre d’une protection Ă©tendue.

Ce dĂ©bat, qui a des incidences sur les rĂšgles Ă  appliquer Ă  la recherche surl’embryon, est loin d’ĂȘtre clos. RĂ©cemment encore, lors des nĂ©gociations de laConvention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine, les pays signataires ne sont pas parvenus Ă  s’entendre sur le statut juridique de l’embryon,et n’ont donc pu trancher la question de l’admissibilitĂ© de la recherche sur l’embryon.Ils ont donc renvoyĂ© aux lois des Etats le soin de statuer sur cette question. Cependant,l’article 18 de la Convention stipule dans son premier alinĂ©a : lorsque la recherche sur

les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adĂ©quate del’embryon.

(...)

 DiffĂ©rences dans la dĂ©finition mĂȘme de l’embryon humain

Dans la plupart des Etats membres, il n’existe aucune dĂ©finition juridique del’embryon humain (Belgique, Danemark, Finlande, France, GrĂšce, Irlande, Italie,Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et SuĂšde).Dans les autres Etats (Allemagne,Autriche, Espagne et Royaume-Uni), la loi retient des notions trĂšs variables quant Ă  ladĂ©finition de l’embryon (...)

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20 ARRÊT VO c. FRANCE

(...)

 PortĂ©e variable des lĂ©gislations nationales

La portĂ©e des lĂ©gislations nationales concernant la recherche sur l’embryon estextrĂȘmement variable.

Dans certains Etats, la recherche sur l’embryon humain n’est permise qu’au bĂ©nĂ©fice de l’embryon concernĂ© (Allemagne, Autriche). Dans d’autres Etats, elle n’estautorisĂ©e qu’à titre tout Ă  fait exceptionnel (France, SuĂšde) ou Ă  de strictes conditions(Danemark, Espagne, Finlande, Royaume-Uni).

(...)

 DiversitĂ© des points de vue

La diversitĂ© des points de vue quant au caractĂšre moralement acceptable ou non dela recherche sur les embryons humains in vitro traduit des divergences entre principesĂ©thiques, conceptions philosophiques et traditions nationales. Cette diversitĂ© est Ă  la base mĂȘme de la culture europĂ©enne. Deux approches s’opposent notamment :l’approche dĂ©ontologique qui veut que nos devoirs et nos principes conditionnent lafinalitĂ© et les consĂ©quences de nos actions ; l’approche utilitaire ou « tĂ©lĂ©ologique »qui implique que les actions humaines soient Ă©valuĂ©es en fonction des moyens et desfins poursuivies (ou des consĂ©quences).

(...)

Le groupe Ă©met l’avis suivant :

En prĂ©ambule, il apparaĂźt fondamental de rappeler que le progrĂšs de la connaissanceen sciences de la vie, lequel a une valeur Ă©thique en soi, ne saurait cependant prĂ©valoirsur les droits fondamentaux de l’homme et sur le respect dĂ» Ă  tous les membres de lafamille humaine.

L’embryon humain, quel que soit le statut moral ou lĂ©gal qui lui est reconnu auregard des diffĂ©rentes cultures et des diffĂ©rentes approches Ă©thiques qui ont cours enEurope, mĂ©rite donc la protection de la loi. Alors mĂȘme qu’il existe un continuum dela vie humaine, cette protection doit ĂȘtre renforcĂ©e au fur et Ă  mesure dudĂ©veloppement de l’embryon et du fƓtus.

Le TraitĂ© de l’Union, qui ne prĂ©voit pas de compĂ©tence lĂ©gislative communautaire

dans les domaines de la recherche et de la mĂ©decine, implique qu’une telle protectionrelĂšve des lĂ©gislations nationales (comme c’est Ă©galement le cas de la procrĂ©ationmĂ©dicalement assistĂ©e et de l’interruption volontaire de grossesse). Il n’en reste pasmoins cependant que les instances communautaires doivent se prĂ©occuper desquestions Ă©thiques soulevĂ©es par les pratiques mĂ©dicales ou de recherche intĂ©ressantles dĂ©buts de la vie humaine.

Les instances communautaires doivent aborder ces questions Ă©thiques en tenantcompte des divergences morales et philosophiques reflĂ©tĂ©es par l’extrĂȘme diversitĂ© desrĂšgles juridiques applicables Ă  la recherche sur l’embryon humain dans les quinzeEtats membres. En effet, il serait non seulement juridiquement dĂ©licat d’imposer en ce

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domaine une harmonisation des lĂ©gislations nationales mais, du fait de l’absence deconsensus, il serait Ă©galement inopportun de vouloir Ă©dicter une morale unique,exclusive de toutes les autres.

Le respect des diffĂ©rences d’approches philosophiques, morales, voire juridiques, propres Ă  chaque culture nationale est consubstantiel Ă  la construction de l’Europe.

D’un point de vue Ă©thique, le caractĂšre multiculturel de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne inviteĂ  la tolĂ©rance mutuelle, tant les peuples que les responsables politiques des Nations del’Europe qui ont choisi, de maniĂšre unique, de lier leur destin tout en assurant lerespect mutuel de traditions historiques particuliĂšrement fortes.

D’un point de vue juridique, ce multiculturalisme a pour base l’article 6 du TraitĂ©d’Amsterdam (ex-article F du TraitĂ© de Maastricht) qui fait dĂ©river les droitsfondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, notamment des « traditions

constitutionnelles communes aux Etats membres » et qui proclame, par ailleurs, que« l’Union respecte l’identitĂ© nationale de ses Etats membres ».

Il rĂ©sulte des principes ci-dessus dĂ©finis que, dans le cadre des programmes derecherche europĂ©ens, la question de la recherche sur l’embryon humain doit ĂȘtreenvisagĂ©e, tant du point de vue du respect des principes Ă©thiques fondamentauxcommuns Ă  tous les Etats membres, qu’en tenant compte de la diversitĂ© de conceptions philosophiques et Ă©thiques exprimĂ©es Ă  travers les diffĂ©rentes pratiques etrĂ©glementations nationales en vigueur en ce domaine.

(...) »

IV. DROIT COMPARÉ

41. Dans la majoritĂ© des Etats membres du Conseil de l’Europe,l’incrimination d’homicide involontaire ne s’applique pas au fƓtus.Cependant, trois pays ont fait le choix d’incriminations spĂ©cifiques. EnItalie, l’article 17 de la loi du 22 mai 1978 relative Ă  l’avortement prĂ©voit unemprisonnement de trois mois Ă  deux ans Ă  l’encontre de celui qui cause uneinterruption de grossesse par imprudence. En Espagne, l’article 157 du code

 pĂ©nal prĂ©voit une incrimination concernant les dommages causĂ©s Ă  un fƓtuset l’article 146 punit l’avortement provoquĂ© par une « imprudence grave ».En Turquie, l’article 456 du code pĂ©nal prĂ©voit que celui qui cause

involontairement un prĂ©judice Ă  quiconque sera puni d’une peine desix mois Ă  un an d’emprisonnement ; si la victime est une femme enceinte etque le prĂ©judice a provoquĂ© une naissance prĂ©maturĂ©e, le code pĂ©nal prĂ©voitune peine de deux Ă  cinq ans d’emprisonnement.

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22 ARRÊT VO c. FRANCE

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE

42. Le Gouvernement soutient principalement que la requĂȘte estincompatible ratione materiae  avec les dispositions de la Convention carl’article 2 de celle-ci ne s’appliquerait pas Ă  l’enfant Ă  naĂźtre. Il estime parailleurs que la requĂ©rante disposait d’une voie de droit de nature Ă  redresserson grief, Ă  savoir obtenir la condamnation du centre hospitalier Ă  desdommages-intĂ©rĂȘts par l’introduction d’un recours devant les juridictionsadministratives. DĂšs lors, elle n’aurait pas Ă©puisĂ© les voies de recoursinternes conformĂ©ment Ă  l’article 35 § 1 de la Convention. A titresubsidiaire, il considĂšre que la requĂȘte doit ĂȘtre rejetĂ©e pour dĂ©fautmanifeste de fondement.

43. La requĂ©rante dĂ©nonce l’absence de protection de l’enfant Ă  naĂźtre auregard de la loi pĂ©nale française et soutient que l’Etat a manquĂ© Ă  sesobligations au regard de l’article 2 de la Convention en ne retenant pas laqualification d’homicide involontaire en cas d’atteinte portĂ©e Ă  celui-ci. Parailleurs, elle juge le recours devant les juridictions administratives inefficacecar inapte Ă  faire reconnaĂźtre, en tant que tel, l’homicide commis sur sonenfant. Enfin, la requĂ©rante affirme qu’elle disposait d’un choix entre lavoie pĂ©nale et la voie administrative, et que si le choix de la premiĂšre, sans

qu’elle ait pu le prĂ©voir, s’est soldĂ© par un Ă©chec, la seconde s’était fermĂ©eentre-temps par le jeu de la prescription.44. La Cour constate que l’examen de la requĂȘte pose la question de

savoir si l’article 2 de la Convention est applicable Ă  une interruptioninvolontaire de grossesse et, dans l’affirmative, si cette disposition exigeaitdans les circonstances de l’espĂšce la possibilitĂ© d’un recours de nature

 pĂ©nale ou si les exigences de l’article 2 se trouvaient satisfaites parl’existence d’un recours en responsabilitĂ© devant la juridictionadministrative. Ainsi formulĂ©es, les exceptions tirĂ©es de l’incompatibilitĂ©ratione materiae de la requĂȘte avec les dispositions de la Convention et dudĂ©faut d’épuisement des voies de recours internes sont trĂšs Ă©troitement liĂ©es

Ă  la substance du grief Ă©noncĂ© par la requĂ©rante sur le terrain de l’article 2.Partant, la Cour estime opportun de joindre ces exceptions au fond (voir,notamment, Airey c. Irlande, arrĂȘt du 9 octobre 1979, sĂ©rie A no 32, p. 11,§ 19).

45. La requĂȘte ne saurait dĂšs lors ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable soit commeincompatible ratione materiae  avec les dispositions de la Convention soit

 pour non-Ă©puisement des voies de recours internes au sens de l’article 35§ 1 de la Convention. Par ailleurs, la Cour estime que la requĂȘte soulĂšve desquestions de fait et de droit qui nĂ©cessitent un examen au fond. La Courconclut par consĂ©quent qu’elle n’est pas manifestement mal fondĂ©e.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 23

Constatant en outre qu’elle ne se heurte Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©,la Cour la dĂ©clare recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LACONVENTION

46. La requĂ©rante dĂ©nonce le refus des autoritĂ©s de qualifier d’homicideinvolontaire l’atteinte Ă  la vie de l’enfant Ă  naĂźtre qu’elle portait. Elle se

 plaint que l’absence d’une lĂ©gislation pĂ©nale visant Ă  rĂ©primer et sanctionnerune telle atteinte constitue une violation de l’article 2 de la Convention,lequel est ainsi libellĂ© :

« 1. Le droit de toute personne Ă  la vie est protĂ©gĂ© par la loi. La mort ne peut ĂȘtreinfligĂ©e Ă  quiconque intentionnellement, sauf en exĂ©cution d’une sentence capitale prononcĂ©e par un tribunal au cas oĂč le dĂ©lit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considĂ©rĂ©e comme infligĂ©e en violation de cet article dans lescas oĂč elle rĂ©sulterait d’un recours Ă  la force rendu absolument nĂ©cessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

 b) pour effectuer une arrestation rĂ©guliĂšre ou pour empĂȘcher l’évasion d’une personne rĂ©guliĂšrement dĂ©tenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A. ThĂšses des parties

1. La requérante

47. La requĂ©rante affirme que le commencement de la vie a un sens etune dĂ©finition universels. MĂȘme si cela est dans la nature des choses, ondĂ©montre aujourd’hui scientifiquement que toute vie commence dĂšs lafĂ©condation. C’est une constatation expĂ©rimentale. L’enfant conçu et nonencore nĂ© n’est ni un amas de cellules, ni une chose ; il est une personne.Dans le cas contraire, il faudrait conclure qu’elle n’a en l’espĂšce rien perdu.

Une telle hypothĂšse n’est pas admissible pour une femme enceinte. Ainsi, leterme « personne » employĂ© Ă  l’article 2 de la Convention est Ă  prendre ausens d’ĂȘtre humain et non pas au sens d’individu revĂȘtant les attributs de la

 personnalitĂ© juridique. C’est bien ainsi que l’ont compris le Conseil d’Etatet la Cour de cassation qui, acceptant d’apprĂ©cier la compatibilitĂ© de la loisur l’interruption de grossesse avec l’article 2, ont nĂ©cessairement admisque l’enfant Ă  naĂźtre relevait, dĂšs les premiers instants de sa vie intra-utĂ©rine, du champ d’application de cette disposition (Conseil d’Etat ass.,21 dĂ©cembre 1990, Recueil Lebon, p. 368 ; Cass. crim., 27 novembre 1996,

 Bull. crim. no 431).

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24 ARRÊT VO c. FRANCE

48. Selon la requĂ©rante, le droit français garantit Ă  tout ĂȘtre humain ledroit Ă  la vie dĂšs l’instant de sa conception sous rĂ©serve de certaines

exceptions prĂ©vues par la loi, en matiĂšre d’avortement. A cet Ă©gard, elleajoute qu’à l’exception de l’avortement thĂ©rapeutique, toute autre formed’avortement est incompatible avec l’article 2 de la Convention du fait del’atteinte portĂ©e au droit Ă  la vie de l’enfant conçu. MĂȘme dans l’hypothĂšseoĂč l’on admet que les Etats peuvent autoriser, sous certaines conditions, lesfemmes qui le demandent Ă  recourir Ă  l’avortement, les Etats contractants neseraient pas libres d’exclure l’enfant Ă  naĂźtre de la protection de l’article 2.Le principe devrait ĂȘtre distinguĂ© de l’exception. L’article 1er   de la loi de1975 relative Ă  l’interruption volontaire de grossesse (repris aux articles 16du code civil et L. 2211-1 du code de la santĂ© publique, paragraphe 28 ci-dessus) poserait le principe, Ă  savoir le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le

commencement de la vie, et prĂ©voirait ensuite l’exception en cas denĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par la loi. Le lĂ©gislateur aurait, parailleurs, implicitement admis que la vie commence dĂšs l’instant de laconception en posant un certain nombre de rĂšgles protĂ©geant l’embryon invitro  dans les lois de bioĂ©thique du 29 juillet 1994 (paragraphe 34 ci-dessus). Ainsi, si la mort pourrait exceptionnellement prĂ©valoir sur la vie,cette derniĂšre resterait la valeur essentielle dĂ©fendue par la Convention.L’exception ne devrait pas exclure la condamnation d’un tiers qui, par sa

 propre imprudence, fait pĂ©rir un enfant Ă  naĂźtre. La volontĂ© de la mĂšre nesaurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă  l’imprudence d’un tiers. La Cour pourrait doncaffirmer que la loi des Parties contractantes doit assurer la protection del’enfant conçu en rĂ©primant pĂ©nalement l’homicide involontaire commis Ă son encontre mĂȘme si cette loi autorise par ailleurs le recours Ă l’avortement.

49. La requĂ©rante rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, lesEtats ont « le devoir primordial d’assurer le droit Ă  la vie en mettant en

 place une lĂ©gislation pĂ©nale concrĂšte dissuadant de commettre des atteintescontre la personne et s’appuyant sur un mĂ©canisme d’application conçu pour(...) prĂ©venir, rĂ©primer et sanctionner les violations » (arrĂȘts  K Ä±l Ä±Ă§c. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III, et Mahmut Kaya c. Turquie,no  22535/93, § 85, CEDH 2000-III). D’aprĂšs elle, l’inflĂ©chissement de la

 jurisprudence amorcĂ© par l’arrĂȘt Calvelli et Ciglio c. Italie  ([GC],no  32967/96, § 51, CEDH 2002-I) selon lequel, dans l’hypothĂšse d’uneatteinte involontaire Ă  la vie, le systĂšme judiciaire n’exige pasnĂ©cessairement un recours de nature pĂ©nale, ne peut ĂȘtre suivi en l’espĂšcecar un recours de nature civile « ne permet pas d’exprimer la rĂ©probation

 publique face Ă  une infraction [aussi] grave (...) qu’un homicide » (opinion partiellement dissidente de M. le juge Rozakis, Ă  laquelle ont dĂ©clarĂ© serallier M. Bonello et Mme StrĂĄĆŸnickĂĄ, juges, dans l’arrĂȘt Calvelli et Ciglio 

 prĂ©citĂ©). La protection du droit Ă  la vie garanti par l’article 2 s’en trouveraitdĂ©prĂ©ciĂ©e. C’est la raison pour laquelle la requĂ©rante considĂšre que la

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  ARRÊT VO c. FRANCE 25

crĂ©ation du dĂ©lit d’interruption involontaire de grossesse rĂ©pond au videcrĂ©Ă© par la Cour de cassation et comble la carence de l’Etat relative Ă  son

devoir de protection de l’ĂȘtre humain dans sa forme la plus jeune(paragraphe 32 ci-dessus).

50. La requĂ©rante fait valoir qu’elle disposait d’une option entre lesvoies pĂ©nale et administrative et qu’elle pouvait choisir entre les deuxordres de juridictions. Elle explique qu’elle a choisi la premiĂšre parce que,d’une part, celle-ci Ă©tait la seule apte Ă  faire reconnaĂźtre, en tant que tel,l’homicide involontaire commis sur son enfant et que, d’autre part,l’instruction pĂ©nale facilitait la dĂ©termination des responsabilitĂ©s. A sonavis, rien ne laissait prĂ©sager que la voie pĂ©nale serait vouĂ©e Ă  l’échec, la

 position de la Cour de cassation prise en l’espĂšce en 1999, confirmĂ©eensuite en 2001 et 2002, semblant loin d’ĂȘtre acquise eu Ă©gard Ă  la

 jurisprudence rĂ©sistante des cours d’appel et Ă  la critique quasi unanime dela doctrine (paragraphe 31 ci-dessus). Ainsi, dans un arrĂȘt du 3 fĂ©vrier 2000(cour d’appel (CA) de Reims, Dalloz 2000, jurisp., p. 873), la cour d’appel acondamnĂ© pour homicide involontaire un automobiliste qui avait percutĂ© unvĂ©hicule blessant griĂšvement la conductrice enceinte de huit mois et causant

 par la suite le dĂ©cĂšs du bĂ©bĂ© (voir Ă©galement CA Versailles, 19 janvier2000, inĂ©dit). La requĂ©rante conclut qu’elle n’avait a priori aucune raisonde saisir les juridictions administratives et soutient qu’elle n’aurait pu lesavoir qu’aprĂšs la relaxe du docteur G., prononcĂ©e par le tribunalcorrectionnel. Cependant, Ă  cette date, l’action contre l’administration Ă©taitdĂ©jĂ  prescrite. C’est pourquoi le recours devant les juridictionsadministratives ne saurait passer pour efficace au sens de l’article 35 § 1 dela Convention.

2. Le Gouvernement

51. AprĂšs avoir soulignĂ© que ni la mĂ©taphysique ni la mĂ©decine nedonnent de rĂ©ponse dĂ©finitive Ă  la question de savoir si, et Ă  partir de quelmoment, le fƓtus est un ĂȘtre humain, le Gouvernement affirme que sur le

 plan juridique l’article 2 de la Convention ne protĂšge pas le droit Ă  la vie dufƓtus en qualitĂ© de personne. L’expression « toute personne » contenue Ă l’article 2 mais Ă©galement aux articles 5, 6, 8 Ă  11 et 13 de la Convention

serait utilisĂ©e de telle maniĂšre qu’elle ne pourrait s’appliquer qu’aprĂšs lanaissance ( X c. Royaume-Uni, no  8416/79, dĂ©cision de la Commission du13 mai 1980, DĂ©cisions et rapports (DR) 19, p. 244). L’article 2, prisisolĂ©ment, conduirait Ă  la mĂȘme observation car les limitations apportĂ©es audroit Ă  la vie de « toute personne » prĂ©vues au paragraphe 2 concernenttoutes, de par leur nature, les personnes dĂ©jĂ  nĂ©es.

52. Quant au « droit Ă  la vie », visĂ© dans le mĂȘme article, il ne pourraitdavantage ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme s’appliquant au fƓtus et concerneraituniquement la vie de personnes dĂ©jĂ  nĂ©es vivantes car il ne serait nicohĂ©rent ni justifiĂ© de dissocier ce droit du sujet auquel il se rattache, en

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26 ARRÊT VO c. FRANCE

l’occurrence la personne. A la diffĂ©rence de l’article 4 § 1 de la ConventionamĂ©ricaine relative aux droits de l’homme de 1969 selon lequel « Toute

 personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ© par la loi, eten gĂ©nĂ©ral Ă  partir de la conception », les Etats signataires de la Conventionn’auraient pas envisagĂ© une telle extension de l’article 2 de la Conventionau motif que, dĂ©jĂ  en 1950, la quasi-totalitĂ© des Parties contractantesautorisaient l’avortement dans certaines circonstances. ReconnaĂźtre que lefƓtus bĂ©nĂ©ficie du droit Ă  la vie au sens de l’article 2 place sur un piedd’égalitĂ© la vie de la mĂšre et celle du fƓtus. Par ailleurs, privilĂ©gier lasauvegarde de la vie du second ou la mettre en balance avec l’unique risqueĂ  la fois grave, immĂ©diat et insurmontable pour la vie de la mĂšreconstituerait une rĂ©gression historique et sociale ainsi qu’une remise encause des lĂ©gislations en vigueur dans de nombreux Etats parties Ă  la

Convention.53. Le Gouvernement rappelle que la Commission s’est interrogĂ©e sur le

 point de savoir s’il Ă©tait opportun d’accorder au fƓtus un droit Ă  la vieassorti de certaines limitations tenant Ă  la protection de la vie et de la santĂ©de la mĂšre ( X c. Royaume-Uni, dĂ©cision prĂ©citĂ©e). Il estime qu’une tellelimitation ne permettrait pas de lĂ©gitimer l’avortement fondĂ© sur desconsidĂ©rations thĂ©rapeutiques, morales ou sociales comme plusieurslĂ©gislations nationales l’autorisaient pourtant dĂ©jĂ  au moment de lanĂ©gociation de la Convention. Cela reviendrait Ă  sanctionner des Etats ayantfait le choix du droit Ă  l’avortement en tant qu’expression et application dudroit des femmes Ă  disposer de leur corps et Ă  maĂźtriser leur maternitĂ©. Orles Etats parties n’ont pas voulu confĂ©rer Ă  l’expression « droit Ă  la vie » unsens couvrant le fƓtus, de maniĂšre manifestement contraire Ă  leur droitinterne.

54. Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, le Gouvernement considĂšre que laConvention n’est pas adaptĂ©e au cas du fƓtus et que si les Etats europĂ©ensavaient la volontĂ© de protĂ©ger efficacement le droit Ă  la vie de celui-ci untexte distinct de l’article 2 devrait ĂȘtre Ă©laborĂ©. Une interprĂ©tation del’article 2 selon laquelle le droit Ă  la vie admettrait des exceptions implicitesne serait conforme ni Ă  sa lettre ni Ă  son esprit. D’une part, les exceptionsvisĂ©es constitueraient une liste limitative et il ne saurait en ĂȘtre autrement Ă 

l’égard d’un droit aussi fondamental : le Gouvernement se rĂ©fĂšre Ă  l’affaire Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, § 37, CEDH 2002-III), oĂč la Cour a ditque l’article 2 « dĂ©finit les circonstances limitĂ©es dans lesquelles il est

 permis d’infliger intentionnellement la mort ». D’autre part, ces exceptionsdoivent ĂȘtre comprises strictement et interprĂ©tĂ©es de façon Ă©troite (Öcalanc. Turquie, no 46221/99, § 201, 12 mars 2003).

55. Le Gouvernement observe qu’en l’espĂšce l’avortement thĂ©rapeutiquede la requĂ©rante a pour origine des actes commis par le mĂ©decin au-delĂ  dela pĂ©riode lĂ©gale d’avortement qui Ă©tait Ă  l’époque de dix semaines et qui estactuellement de douze semaines (paragraphes 27-28 ci-dessus). Toutefois, si

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  ARRÊT VO c. FRANCE 27

la Cour devait estimer que cette circonstance autorise l’application del’article 2 – le fƓtus devant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une personne protĂ©gĂ©e

 par cette disposition – il rappelle que, dans plusieurs Etats europĂ©ens, ledĂ©lai lĂ©gal d’avortement atteint parfois plus de vingt semaines, comme auxPays-Bas ou en Angleterre (oĂč l’avortement peut ĂȘtre pratiquĂ© jusqu’àvingt-quatre semaines). Sauf Ă  remettre en cause les lĂ©gislations nationaleset la marge d’apprĂ©ciation dont les autoritĂ©s nationales jouissent dans cedomaine, l’article 2 ne saurait dĂšs lors ĂȘtre applicable Ă  l’enfant Ă  naĂźtre.C’est aussi la raison pour laquelle, selon le Gouvernement, la question de laviabilitĂ© du fƓtus en l’espĂšce n’est pas pertinente. Il serait paradoxal que lesEtats disposent d’une marge d’apprĂ©ciation leur permettant d’exclure lefƓtus de la protection de l’article 2 dans le cas oĂč un arrĂȘt de grossesse estintentionnellement pratiquĂ© avec le consentement de la mĂšre et parfois Ă 

cette seule condition, sans qu’il leur soit reconnu la mĂȘme marged’apprĂ©ciation pour exclure du champ d’application de cette disposition lefƓtus dans l’hypothĂšse d’une grossesse interrompue Ă  cause d’une fauteinvolontaire.

56. A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle qu’en droit français lefƓtus bĂ©nĂ©ficie d’une protection indirecte Ă  travers le corps de la femmeenceinte dont il est l’extension. Il en est ainsi lorsque l’avortement est

 provoquĂ© intentionnellement hors les cas limitativement Ă©numĂ©rĂ©s par la loi(article 223-10 du code pĂ©nal, paragraphe 25 ci-dessus) ou Ă  la suite d’unaccident. Dans cette derniĂšre hypothĂšse, les mĂ©canismes classiques de laresponsabilitĂ© civile auraient vocation Ă  s’appliquer : la mĂšre peut ĂȘtreindemnisĂ©e pour son prĂ©judice personnel, matĂ©riel, moral, qui prendnĂ©cessairement en compte le fait de la grossesse. Par ailleurs, au plan pĂ©nal,si une personne quelconque provoque par maladresse une interruption degrossesse, elle pourra ĂȘtre poursuivie pour blessures involontaires, ladestruction du fƓtus s’analysant comme une altĂ©ration des organes de lafemme.

57. Le Gouvernement soutient que la requĂ©rante pouvait obtenir lacondamnation du centre hospitalier pour la faute du mĂ©decin dans le dĂ©laide prescription quadriennale de l’action en responsabilitĂ© administrative. Ilexplique que les victimes des dommages causĂ©s par les agents publics de

l’administration bĂ©nĂ©ficient de deux voies de recours distinctes. Si la faute Ă l’origine de leur prĂ©judice est une faute personnelle de l’agent, dĂ©tachablede l’exercice de ses fonctions, la victime pourra en obtenir rĂ©paration enattrayant ledit agent devant une juridiction judiciaire ; si la faute gĂ©nĂ©ratricedu dommage rĂ©vĂšle un dysfonctionnement de l’administration, il s’agirad’une faute de service qui tombe dans la compĂ©tence du juge administratif.Le Gouvernement fait valoir que, dans l’arrĂȘt Epoux V. (CE, 10 avril 1992),le Conseil d’Etat a abandonnĂ© l’exigence d’une faute lourde pour engager laresponsabilitĂ© du service hospitalier. En outre, est considĂ©rĂ©e comme uneexception Ă  la responsabilitĂ© de l’hĂŽpital en cas de faute mĂ©dicale la faute

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28 ARRÊT VO c. FRANCE

 personnelle dĂ©tachable du service qui est soit purement personnelle, c’est-Ă -dire dĂ©pourvue de tout lien avec le service, ce qui n’était pas le cas en

l’espĂšce, soit intentionnelle ou d’une exceptionnelle gravitĂ©, ce qui s’entendd’une faute professionnelle inexcusable dont la gravitĂ© lui fait perdre soncaractĂšre indissociable du service Ă  l’occasion duquel elle a Ă©tĂ© commise.En rĂ©alitĂ©, le Gouvernement explique que la faute personnelle de l’agent etla faute de service sont le plus souvent mĂȘlĂ©es, notamment en matiĂšre de

 blessures ou d’homicide involontaires. C’est la raison pour laquelle leConseil d’Etat a trĂšs vite admis que la responsabilitĂ© personnelle de l’agentn’est pas exclusive de celle de son administration de rattachement (CE,Epoux Lemonnier, 1918). Pour le Gouvernement, la requĂ©rante disposaitdonc de la possibilitĂ© de demander rĂ©paration de son prĂ©judice devant le

 juge administratif dĂšs la rĂ©alisation de ce prĂ©judice, sans devoir attendre

l’issue de la procĂ©dure pĂ©nale. Son action aurait eu d’autant plus de chancesde succĂšs que la mise en cause de la responsabilitĂ© de l’administrationhospitaliĂšre implique uniquement la dĂ©monstration d’une faute simple et lesexpertises judiciaires relevaient prĂ©cisĂ©ment des problĂšmes d’organisationdu service hospitalier. On peut donc lĂ©gitimement penser que les

 juridictions administratives en seraient venues Ă  la mĂȘme conclusion.58. Le Gouvernement affirme que ce recours Ă©tait efficace et suffisant au

regard des obligations positives dĂ©coulant de l’article 2 de la Convention(Calvelli et Ciglio, prĂ©citĂ©) et que la requĂ©rante s’est privĂ©e par son inactionou sa propre nĂ©gligence d’une voie de recours qui lui Ă©tait pourtant ouverte

 pendant quatre ans Ă  compter de la survenance du dommage et pour laquelleelle pouvait bĂ©nĂ©ficier des conseils de ses avocats. Dans l’affaire Calvelli etCiglio, l’applicabilitĂ© de l’article 2 de la Convention Ă  un nouveau-nĂ© nefaisait pas de doute. Dans le cas d’espĂšce, oĂč l’application de l’article 2 estcontestable, il y aurait donc des raisons supplĂ©mentaires pour estimer que la

 possibilitĂ© de mettre en Ɠuvre les mĂ©canismes de responsabilitĂ© civile ouadministrative est suffisante. Pour le Gouvernement, cette action enresponsabilitĂ© aurait pu se fonder sur l’atteinte Ă  la vie de l’enfant que

 portait la requĂ©rante car la jurisprudence des juridictions administratives enla matiĂšre ne semble pas exclure, Ă  ce jour, la possibilitĂ© de faire bĂ©nĂ©ficierles embryons de la protection Ă©noncĂ©e Ă  l’article 2 de la Convention

(CE ass., ConfĂ©dĂ©ration nationale des associations familiales catholiques etautres, arrĂȘt prĂ©citĂ© du 21 dĂ©cembre 1990 – paragraphe 47 ci-dessus). Aumoment des faits, la question n’était en tout cas pas clairement tranchĂ©e parle Conseil d’Etat.

59. En conclusion, le Gouvernement considĂšre que, Ă  supposer mĂȘmeque l’article 2 soit applicable en l’espĂšce, cette disposition n’imposerait pas,s’agissant d’une faute involontaire, que la vie du fƓtus soit protĂ©gĂ©e par ledroit pĂ©nal, ainsi que cela prĂ©vaut dans bon nombre de pays europĂ©ens.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 29

B. Les tierces interventions

1. Le Centre des droits génésiques60. Selon le Centre des droits génésiques (ci-aprÚs « CCR », pour

« Center for Reproductive Rights »), reconnaĂźtre au fƓtus Ă  naĂźtre la qualitĂ©de sujet de droit et donc de « personne » au sens de l’article 2 de laConvention n’est pas possible faute de fondement juridique pour le faired’une part (i), et en raison de l’atteinte qu’une telle reconnaissance porteraitaux droits fondamentaux des femmes d’autre part (ii). Il conclut au caractĂšre

 peu opportun de l’extension de droits au fƓtus car la perte d’un fƓtus dĂ©sirĂ©reprĂ©sente un dommage subi par la future mĂšre (iii).

61. (i) L’affirmation selon laquelle le fƓtus est une personne irait Ă l’encontre de la jurisprudence des organes de la Convention, de celle deslĂ©gislations des Etats membres du Conseil de l’Europe, des normesinternationales et de la jurisprudence des tribunaux du monde entier.S’appuyant sur les dĂ©cisions X c. Royaume-Uni (dĂ©cision de la Commission

 prĂ©citĂ©e), H. c. NorvĂšge (no 17004/90, dĂ©cision de la Commission du 19 mai1992, DR 73, p. 155) et plus rĂ©cemment  Boso c. Italie (no 50490/99, CEDH2002-VII), par lesquelles Commission et Cour ont considĂ©rĂ© que l’octroi aufƓtus des mĂȘmes droits qu’aux personnes entraĂźnerait des restrictionsabusives aux droits reconnus par l’article 2 aux personnes dĂ©jĂ  nĂ©es, le CCRne voit pas de raison de s’en dĂ©partir sauf Ă  remettre en cause le droit Ă l’avortement dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

62. Les lĂ©gislations europĂ©ennes, pas plus que leur interprĂ©tation par les juridictions nationales, ne font du fƓtus une personne. Le CCR rappelle la position constante de la Cour de cassation (paragraphe 29 ci-dessus) quiserait conforme Ă  la distinction Ă©tablie par le droit français entre les notionsd’« ĂȘtre humain » et de « personne », la premiĂšre Ă©tant une notion

 biologique, la seconde un concept juridique attachĂ© Ă  une catĂ©gorie juridique dont les droits prennent effet et sont acquis Ă  la naissance bienque, dans certaines circonstances, les droits acquis Ă  la naissance puissent

 prendre effet rĂ©troactivement Ă  la conception. Les juridictions nationales ont par ailleurs abordĂ© la question du statut juridique de la personne dans lecadre de l’avortement. Ainsi, les Cours constitutionnelles autrichienne et

nĂ©erlandaise ont considĂ©rĂ© qu’il ne fallait pas interprĂ©ter l’article 2 comme protĂ©geant l’enfant Ă  naĂźtre, et le Conseil constitutionnel français a estimĂ©qu’il n’y avait pas de conflit entre la lĂ©gislation sur l’interruption volontairede grossesse et la protection constitutionnelle du droit Ă  la santĂ© de l’enfant(dĂ©cision no  74-54 du 15 janvier 1975). Cette interprĂ©tation est conformeaux lĂ©gislations en la matiĂšre dans toute l’Europe : Ă  l’exception d’Andorre,de l’Irlande, du Liechtenstein, de Malte, de la Pologne et de Saint-Marin quiont maintenu des restrictions sĂ©vĂšres Ă  l’avortement (avec uniquement desexceptions thĂ©rapeutiques trĂšs Ă©troites), trente-neuf Etats membres duConseil de l’Europe permettent Ă  une femme de mettre un terme Ă  sa

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grossesse sans restriction pendant le premier trimestre ou pour des motifsthérapeutiques trÚs larges.

63. S’agissant des normes internationales et rĂ©gionales, le CCR observeque le Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’indique passi le droit Ă  la vie s’applique au fƓtus. Cela Ă©tant, il prĂ©cise que le ComitĂ©des droits de l’homme a constamment soulignĂ© la menace pour la vie desfemmes que reprĂ©sentent les avortements pratiquĂ©s dans l’illĂ©galitĂ©. Il en estde mĂȘme de la Convention relative aux droits de l’enfant et del’interprĂ©tation par le ComitĂ© des droits de l’enfant de l’article 6 selonlequel « tout enfant a un droit inhĂ©rent Ă  la vie ». A plusieurs occasions, lecomitĂ© s’est prĂ©occupĂ© de la difficultĂ© des adolescentes Ă  bĂ©nĂ©ficierd’interruption de grossesse dans de bonnes conditions de sĂ©curitĂ© et aexprimĂ© sa crainte quant Ă  l’incidence d’une lĂ©gislation rĂ©pressive sur les

taux de mortalitĂ© maternelle. La jurisprudence du systĂšme rĂ©gionalamĂ©ricain, nonobstant l’article 4 de la Convention amĂ©ricaine relative auxdroits de l’homme (paragraphe 52 ci-dessus), n’offre pas une protectionabsolue au fƓtus avant la naissance. La Commission interamĂ©ricaine aestimĂ© en effet, dans l’affaire « Baby boy Â» (1981), que l’article 4 prĂ©citĂ© nefaisait pas obstacle Ă  la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale libĂ©rale sur l’interruptionvolontaire de grossesse. Quant Ă  l’Organisation de l’Union africaine, elle aadoptĂ© le Protocole relatif aux droits des femmes le 11 juillet 2003, en vuede complĂ©ter la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du27 juin 1981, qui Ă©largit la protection garantie au droit des femmes demettre un terme Ă  leur grossesse.

64. Enfin, parmi les Etats non europĂ©ens, le CCR note que les CourssuprĂȘmes du Canada et des Etats-Unis se sont refusĂ©es Ă  traiter les fƓtus Ă naĂźtre comme des sujets de droits (affaires Winnipeg Child Family Servicesv. G. (1997) et  Roe v. Wade  (1973)). La seconde a rĂ©itĂ©rĂ© cette

 jurisprudence, dans une affaire rĂ©cente en l’an 2000 (Stenberg v. Carhart ),dans laquelle elle a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle une loi d’un Etat fĂ©dĂ©rĂ© quiinterdisait certaines mĂ©thodes d’avortement et ne prĂ©voyait aucune

 protection pour la santĂ© des femmes. De mĂȘme, en Afrique du Sud, se prononçant sur une demande contestant la constitutionnalitĂ© de la loirĂ©cemment adoptĂ©e sur l’interruption volontaire de grossesse, qui autorisait

l’avortement, sans restriction pendant le premier trimestre et pour de largesmotifs aux stades ultĂ©rieurs de la grossesse, la  High Court  sud-africaine aconsidĂ©rĂ© que le fƓtus n’avait pas de personnalitĂ© juridique (affaireChristian Lawyers Association of South Africa and Others v. Minister of

 Health and Others, 1998).65. (ii) Selon le CCR, la reconnaissance de droits au fƓtus porte

notamment atteinte aux droits fondamentaux de la femme Ă  la vie privĂ©e.Dans l’affaire  BrĂŒggemann et Scheuten c. Allemagne  (no 6959/75, rapportde la Commission du 12 juillet 1977, DR 10, p. 123), la Commission auraitimplicitement admis qu’une interdiction absolue de l’avortement reprĂ©sente

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  ARRÊT VO c. FRANCE 31

une atteinte prohibĂ©e au droit Ă  la vie privĂ©e sur le terrain de l’article 8 de laConvention. Par la suite, tout en rejetant l’idĂ©e que l’article 2 protĂšge le

droit Ă  la vie des fƓtus, les organes de la Convention auraient en outrereconnu que le droit au respect de la vie privĂ©e garanti Ă  la femme enceinte,en tant que personne essentiellement concernĂ©e par la grossesse, sa

 poursuite ou son interruption, primait sur les droits du pĂšre (paragraphe 61ci-dessus). En plus de ce respect, c’est la prĂ©servation de la vie et de la santĂ©d’une femme enceinte qui prĂ©vaut ; en considĂ©rant que des restrictions auxĂ©changes d’informations sur l’avortement crĂ©aient un risque pour la santĂ©des femmes dont les grossesses menaçaient la vie, la Cour a conclu quel’injonction Ă©tait « disproportionnĂ©e aux objectifs poursuivis » et que, dĂšslors, l’intĂ©rĂȘt prĂ©sentĂ© par la santĂ© d’une femme dĂ©passait l’intĂ©rĂȘt moraldĂ©clarĂ© d’un Etat Ă  protĂ©ger les droits du fƓtus (Open Door et Dublin Well

Woman c. Irlande, arrĂȘt du 29 octobre 1992, sĂ©rie A no 246-A). 66. (iii) De l’avis du CCR, le fait de ne pas reconnaĂźtre le fƓtus comme

une personne au regard de l’article 2 n’empĂȘche pas de trouver un recours pour les dommages tels que celui qui a donnĂ© lieu Ă  la prĂ©sente affaire. La perte d’un fƓtus dĂ©sirĂ© est un prĂ©judice subi par la future mĂšre. EnconsĂ©quence, les droits qui peuvent ĂȘtre dĂ©fendus dans cette affaire sontceux de la requĂ©rante et non ceux du fƓtus qu’elle a perdu. Il relĂšve du

 pouvoir lĂ©gislatif de chacun des Etats membres du Conseil de l’Europe derĂ©primer au regard tant du droit civil que du droit pĂ©nal les infractionscommises par des individus qui causent un dommage Ă  une femme en

 provoquant la fin d’une grossesse dĂ©sirĂ©e.

2. L’Association pour le planning familial

67. L’Association pour le planning familial (ci-aprĂšs « FPA », pour« Family Planning Association ») cherche essentiellement Ă  faire valoir quele droit Ă  la vie consacrĂ© par l’article 2 de la Convention ne doit pass’interprĂ©ter comme concernant aussi l’enfant Ă  naĂźtre (i). A l’appui de sathĂšse, la FPA prĂ©sente Ă  la Cour des Ă©lĂ©ments montrant quelle est Ă  l’heureactuelle la situation juridique en matiĂšre d’avortement dans les Etatsmembres du Conseil de l’Europe (ii) et un rĂ©sumĂ© sur le statut juridique del’enfant Ă  naĂźtre en droit britannique (iii).

68. (i) La FPA rappelle que l’article 2 est rĂ©digĂ© de maniĂšre Ă  n’autoriserqu’un trĂšs petit nombre d’exceptions Ă  l’interdiction qu’il Ă©nonce d’infligerintentionnellement la mort. L’interruption volontaire de grossesse ne fait pas

 partie des exceptions prĂ©vues, lesquelles ne sauraient pas non plus ĂȘtreinterprĂ©tĂ©es comme englobant cette pratique. Les Ă©lĂ©ments rĂ©cents montrentque l’interruption volontaire de grossesse sur demande au cours du premiertrimestre est dĂ©sormais couramment admise dans toute l’Europe et quel’interruption volontaire de grossesse pour certains motifs au cours dudeuxiĂšme trimestre l’est aussi trĂšs largement. Si elle devait considĂ©rer quel’article 2 s’applique Ă  l’enfant Ă  naĂźtre dĂšs la conception, ainsi que la

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32 ARRÊT VO c. FRANCE

requĂ©rante le soutient, la Cour remettrait en question les lois surl’avortement adoptĂ©es par la plupart des Etats contractants. Par ailleurs, cela

ferait tomber dans l’illĂ©galitĂ© la majoritĂ© des mĂ©thodes de contraceptionactuellement utilisĂ©es dans toute l’Europe du fait qu’elles agissent ou

 peuvent agir aprĂšs la conception pour empĂȘcher la nidation. Cela auraitdonc des consĂ©quences dĂ©sastreuses tant sur les choix et la vie de chacunque sur la politique sociale. La High Court  anglaise a rĂ©cemment admis quetelle serait la consĂ©quence indĂ©sirable qui se produirait si elle souscrivait Ă l’argument de la Society for the Protection of Unborn Children selon lequelles contraceptifs hormonaux d’urgence sont des abortifs au motif que lagrossesse commence Ă  la conception : voir Society for the Protection ofUnborn Children v. Secretary of State for Health,  High Court ,

 Administrative Court (England and Wales) 2002, p. 610.

69. Il y aurait Ă©galement lieu de rejeter la possibilitĂ© que l’article 2s’applique au fƓtus moyennant certaines limitations implicites, par exempleau-delĂ  d’un seuil critique (viabilitĂ© ou autre critĂšre liĂ© Ă  la durĂ©e de lagrossesse). Les Ă©lĂ©ments rĂ©cents montrent que, en dehors du large consensusqui vient d’ĂȘtre Ă©voquĂ©, il n’existe pas la moindre norme gĂ©nĂ©ralementreconnue quant au nombre de semaines de grossesse pendant lequell’avortement est autorisĂ©, aux motifs pour lesquels l’avortement peut ĂȘtre

 pratiquĂ© aprĂšs un tel dĂ©lai, ou aux conditions devant ĂȘtre respectĂ©es.70. (ii) Il existe des Ă©tudes rĂ©centes ( International Planned Parenthood

 Federation, Abortion Legislation in Europe,  IPPF European Network , juillet 2002, et  Abortion Policies : A Global Review, Division de la population de l’ONU, juin 2002) sur la situation juridique en matiĂšred’avortement dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, Ă  l’exceptionde la Serbie-MontĂ©nĂ©gro. Ces Ă©tudes montrent que quatre Etats interdisentquasi totalement l’avortement, sauf lorsque la vie de la femme enceinte esten danger (Andorre, Liechtenstein, Saint-Marin, Irlande), alors que lagrande majoritĂ© des Etats membres autorisent un recours bien plus large Ă l’avortement. La possibilitĂ©, attestĂ©e par ces Ă©tudes, de pratiquer celui-cidans toute l’Europe concorde avec la tendance gĂ©nĂ©rale Ă  la libĂ©ralisation dela lĂ©gislation sur l’avortement. Il ne ressort de la pratique des Etats membresaucun accord gĂ©nĂ©ral quant Ă  la pĂ©riode pendant laquelle l’avortement est

autorisĂ© aprĂšs le premier trimestre, ou quant aux conditions Ă  satisfaire pour pouvoir accĂ©der Ă  l’avortement aux stades ultĂ©rieurs de la grossesse. Lesmotifs pour lesquels l’avortement est permis sans qu’il soit fait mentiond’un dĂ©lai sont par ailleurs nombreux et variĂ©s. En consĂ©quence, la FPAsoutient que si l’article 2 Ă©tait interprĂ©tĂ© comme s’appliquant Ă  l’enfant Ă naĂźtre Ă  partir d’un certain moment, cela remettrait en question la position

 juridique adoptĂ©e par plusieurs Etats au sein desquels l’interruption degrossesse est possible pour certains motifs Ă  un stade ultĂ©rieur Ă  celui que laCour viendrait Ă  dĂ©terminer.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 33

71. (iii) Selon un principe gĂ©nĂ©ral de la common law dĂ©sormais Ă©tabli, la personnalitĂ© juridique au Royaume-Uni se concrĂ©tise Ă  la naissance. Avant

ce stade, l’enfant Ă  naĂźtre n’a aucune personnalitĂ© juridique autonome parrapport Ă  celle de la femme enceinte. NĂ©anmoins, malgrĂ© cette absence de

 personnalitĂ© juridique, les intĂ©rĂȘts de l’enfant Ă  naĂźtre sont souvent protĂ©gĂ©s pendant qu’il est dans le ventre de sa mĂšre, mĂȘme s’ils ne peuvent s’imposercomme des droits susceptibles d’ĂȘtre sanctionnĂ©s devant la justice tant qu’iln’y a pas eu acquisition de la personnalitĂ© juridique, Ă  la naissance.

72. En droit civil, cela signifie spĂ©cifiquement qu’avant la naissancel’enfant Ă  naĂźtre n’a pas qualitĂ© pour entamer une action en rĂ©paration oufaire usage d’autres recours juridictionnels Ă  raison d’un prĂ©judice ou d’uneatteinte  subis in utero, et qu’aucune plainte ne peut ĂȘtre prĂ©sentĂ©e en sonnom (affaire Paton v. British Pregnancy Advisory Service Trustees, Queen’s

 Bench Reports, 1979, p. 276). Des efforts ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s dans cette affaireet les dĂ©cisions postĂ©rieures pour convaincre la juridiction saisie que selonle droit successoral l’enfant Ă  naĂźtre peut ĂȘtre rĂ©putĂ© « nĂ© » ou « personneexistante » ( person in being ) dĂšs lors que ses intĂ©rĂȘts l’exigent. NĂ©anmoins,l’affaire  Burton  confirme que ce principe est Ă©galement subordonnĂ© Ă  lacondition que l’enfant soit nĂ© vivant (Queen’s Bench Reports, 1993,

 pp. 204, 227).73. En droit pĂ©nal, il est bien Ă©tabli que l’enfant Ă  naĂźtre n’est pas traitĂ©

comme une personne juridique sous l’angle des rĂšgles de la common law surl’homicide volontaire ou involontaire. Dans  Attorney-General’s Reference(no 3, 1994), la House of Lords a conclu que les dommages corporels subis

 par l’enfant Ă  naĂźtre lorsque celui-ci ne naĂźt pas vivant ne pouvaient aboutirĂ  une condamnation pour meurtre, homicide involontaire ou autre crimeviolent. Les droits de l’enfant Ă  naĂźtre sont Ă©galement protĂ©gĂ©s par lesdispositions du droit pĂ©nal se rapportant Ă  l’avortement. Les articles 58 et 59de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences againstthe Person Act 1861) ont Ă©rigĂ© en infraction le fait de provoquer unavortement et de fournir les moyens d’en provoquer un. De mĂȘme, en vertude l’article 1 de la loi de 1929 sur la protection de la vie des nouveau-nĂ©s( Infant Life (Preservation) Act 1929), la suppression de l’enfant Ă  naĂźtre,lorsque celui-ci est viable Ă  la naissance, constitue une infraction grave. Ces

lois sont toujours en vigueur. L’avortement et la suppression d’un enfantdemeurent illĂ©gaux, sous rĂ©serve de l’application de la loi de 1967 surl’interruption volontaire de grossesse ( Abortion Act 1967 ).

C. Appréciation de la Cour

74. La requĂ©rante se plaint de l’impossibilitĂ© d’obtenir la condamnation pĂ©nale du mĂ©decin ayant commis une erreur mĂ©dicale Ă  la suite de laquelleelle a dĂ» subir un avortement thĂ©rapeutique. Il n’a pas Ă©tĂ© mis en doute queMme  Vo entendait mener sa grossesse Ă  terme et que son enfant Ă©tait en

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34 ARRÊT VO c. FRANCE

 bonne santĂ©. A la suite des faits, la requĂ©rante et son compagnon portĂšrent plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires

commises sur l’intĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur l’enfant qu’elle portait. Les juridictions ont estimĂ© que l’action publique Ă©tait Ă©teinte en cequi concerne la contravention de blessures involontaires sur la personne dela requĂ©rante et, cassant l’arrĂȘt de la cour d’appel sur le second point, laCour de cassation a estimĂ© que, au regard du principe selon lequel la loi

 pĂ©nale est d’interprĂ©tation stricte, le fƓtus ne pouvait ĂȘtre victime d’unhomicide involontaire. La question principale posĂ©e par la requĂ©rante estdonc celle de savoir si l’absence de recours de nature pĂ©nale en droitfrançais pour rĂ©primer la suppression involontaire d’un fƓtus constitue unmanquement par l’Etat Ă  son obligation de « protĂ©ger par la loi » le droit detoute personne Ă  la vie, garanti par l’article 2 de la Convention.

1. Etat de la jurisprudence

75. Contrairement Ă  l’article 4 de la Convention amĂ©ricaine relative auxdroits de l’homme qui Ă©nonce que le droit Ă  la vie doit ĂȘtre protĂ©gĂ© « engĂ©nĂ©ral Ă  partir de la conception », l’article 2 de la Convention estsilencieux sur les limites temporelles du droit Ă  la vie et, en particulier, il nedĂ©finit pas qui est la « personne » dont « la vie » est protĂ©gĂ©e par laConvention. A ce jour, la Cour n’a pas encore tranchĂ© la question ducommencement du droit « de toute personne Ă  la vie », au sens de cettedisposition, ni celle de savoir si l’enfant Ă  naĂźtre en est titulaire.

Cette question n’a Ă©tĂ© soulevĂ©e pour l’instant qu’à travers les lĂ©gislationssur l’interruption volontaire de grossesse. Celle-ci ne constitue  pas uneexception au nombre de celles Ă©numĂ©rĂ©es explicitement au paragraphe 2 dela Convention, mais elle est compatible avec l’article 2 § 1, premiĂšre phrase,selon l’ancienne Commission, au nom de la protection de la vie et de lasantĂ© de la mĂšre, parce que « si l’on admet que cette disposition s’applique Ă la phase initiale de la grossesse, l’avortement se trouve couvert par unelimitation implicite du « droit Ă  la vie » du fƓtus pour, Ă  ce stade, protĂ©gerla vie et la santĂ© de la femme » ( X c. Royaume-Uni, dĂ©cision de laCommission prĂ©citĂ©e, p. 262).

76. AprĂšs avoir refusĂ©, dans un premier temps, d’examiner in abstracto

la compatibilitĂ© de lois concernant l’interruption volontaire de grossesseavec l’article 2 de la Convention ( X c. NorvĂšge, no 867/60, dĂ©cision de laCommission du 29 mai 1961,  Recueil des dĂ©cisions, vol.  6, p. 34 ;

 X c. Autriche, no 7045/75, dĂ©cision de la Commission du 10 dĂ©cembre 1976,DR 7, p. 87), la Commission a reconnu, dans l’affaire  BrĂŒggemann etScheuten  (rapport de la Commission prĂ©citĂ©), la qualitĂ© de victime Ă  desfemmes se plaignant, au regard de l’article 8 de la Convention, de ladĂ©cision de la Cour constitutionnelle limitant le recours Ă  l’interruption degrossesse. Elle a prĂ©cisĂ© Ă  cette occasion que l’« on ne saurait dire que lagrossesse relĂšve uniquement du domaine de la vie privĂ©e. Lorsqu’une

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femme est enceinte, sa vie privĂ©e devient Ă©troitement associĂ©e au fƓtus quise dĂ©veloppe » (p. 138, § 59). Toutefois, la Commission n’a pas estimĂ©

« nĂ©cessaire d’examiner, Ă  ce propos, si l’enfant Ă  naĂźtre doit ĂȘtre considĂ©rĂ©comme une « vie » au sens de l’article 2 de la Convention, ou s’il doit ĂȘtreconsidĂ©rĂ© comme une entitĂ© qui puisse, sur le plan de l’article 8 § 2, justifierune ingĂ©rence pour la protection d’autrui » (p. 138, § 60). Elle a conclu Ă l’absence de violation de l’article 8 de la Convention  car « touterĂ©glementation de l’interruption des grossesses non dĂ©sirĂ©es ne constitue pasune ingĂ©rence dans le droit au respect de la vie privĂ©e de la mĂšre » (pp. 138-139, § 61), tout en soulignant que « rien ne prouve que les Parties Ă  laConvention entendaient s’engager pour telle ou telle solution » (p. 140,§ 64).

77. Dans sa dĂ©cision  X c. Royaume-Uni,  prĂ©citĂ©e, la Commission s’est

 penchĂ©e sur la requĂȘte d’un mari qui se plaignait de l’autorisation accordĂ©eĂ  sa femme en vue d’un avortement thĂ©rapeutique. Tout en considĂ©rant le

 pĂšre potentiel comme « victime » d’une violation du droit Ă  la vie, elle aestimĂ©, Ă  propos du terme « toute personne », employĂ© dans plusieursarticles de la Convention, qu’il ne pouvait s’appliquer avant la naissancetout en prĂ©cisant qu’on « ne saurait (...) exclure une telle application dans uncas rare, par exemple pour l’application de l’article 6 § 1 » (p. 259, § 7, etvoir, pour une telle application sous l’angle de l’accĂšs au tribunal,  Reevec. Royaume-Uni, no 24844/94, dĂ©cision de la Commission du 30 novembre1994, DR 79-B, p. 146). La Commission a ajoutĂ© que l’enfant Ă  naĂźtre n’est

 pas une « personne » au vu de l’usage gĂ©nĂ©ralement attribuĂ© Ă  ce terme etdu contexte dans lequel il est employĂ© dans la disposition conventionnelle.Quant au terme « vie », et en particulier le dĂ©but de la vie, il existe des« divergences de points de vue sur la question du moment oĂč [elle]commence (...). D’aucuns estiment qu’elle commence dĂšs la conceptionalors que d’autres ont tendance Ă  insister sur le moment de la nidation, surcelui oĂč le fƓtus devient « viable » ou encore sur celui oĂč il naĂźt vivant »( X c. Royaume-Uni, p. 260, § 12).

La Commission s’est ensuite interrogĂ©e sur le point de savoir si« l’article 2 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© : comme ne concernant pas (...) le fƓtus ;comme reconnaissant au fƓtus un « droit Ă  la vie » assorti de certaines

limitations implicites ; ou comme reconnaissant au fƓtus un « droit Ă  lavie » de caractĂšre absolu » (ibidem, p. 261, § 17). Tout en ne se prononçant pas sur les deux premiĂšres hypothĂšses, elle a alors exclu catĂ©goriquement laderniĂšre interprĂ©tation eu Ă©gard Ă  la protection nĂ©cessaire de la vie de lamĂšre indissociable de celle de l’enfant Ă  naĂźtre : « la « vie » du fƓtus estintimement liĂ©e Ă  la vie de la femme qui le porte et ne saurait ĂȘtreconsidĂ©rĂ©e isolĂ©ment. Si l’on dĂ©clarait que la portĂ©e de l’article 2 s’étend aufƓtus et que la protection accordĂ©e par cet article devait, en l’absence delimitation expresse, ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme absolue, il faudrait en dĂ©duirequ’un avortement est interdit, mĂȘme lorsque la poursuite de la grossesse

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mettrait gravement en danger la vie de la future mĂšre. Cela signifierait quela vie Ă  naĂźtre du fƓtus serait considĂ©rĂ©e comme plus prĂ©cieuse que celle de

la femme enceinte » (ibidem, pp. 261-262, § 19). Cette solution fut retenue par la Commission alors que, dĂšs 1950, quasiment toutes les Partiescontractantes « autorisaient l’avortement lorsqu’il Ă©tait nĂ©cessaire poursauver la vie de la mĂšre et que, depuis lors, les lĂ©gislations nationales surl’interruption de la grossesse ont eu tendance Ă  se libĂ©raliser » (ibidem,

 p. 262, § 20).78. Dans l’affaire  H. c. NorvĂšge  (dĂ©cision de la Commission prĂ©citĂ©e)

concernant un avortement non thĂ©rapeutique pratiquĂ© contre la volontĂ© du pĂšre, la Commission a ajoutĂ© que l’article 2 enjoint Ă  l’Etat non seulementde s’abstenir de donner la mort intentionnellement mais aussi de prendre lesmesures nĂ©cessaires Ă  la protection de la vie (pp. 180-181). Elle a estimĂ©

« n’avoir pas Ă  dĂ©cider du point de savoir si le fƓtus peut bĂ©nĂ©ficier d’unecertaine protection au regard de la premiĂšre phrase de l’article 2 », sansexclure que « dans certaines conditions, cela puisse ĂȘtre le cas, mĂȘme s’ilexiste dans les Etats contractants des divergences considĂ©rables quant au

 point de savoir si et dans quelle mesure l’article 2 protĂšge la vie de l’enfantĂ  naĂźtre » (p. 181). Elle a par ailleurs relevĂ© que, dans un domaine aussidĂ©licat, les Etats doivent jouir d’un certain pouvoir discrĂ©tionnaire et aconclu que le choix de la mĂšre, opĂ©rĂ© conformĂ©ment Ă  la lĂ©gislationnorvĂ©gienne, cadrait avec celui-ci (p. 182).

79. La Cour n’a eu que peu d’occasions de se prononcer sur la questionde l’application de l’article 2 au fƓtus. Dans l’arrĂȘt Open Door et DublinWell Woman, dĂ©jĂ  citĂ©, le gouvernement irlandais invoquait la protection dela vie de l’enfant Ă  naĂźtre pour justifier sa lĂ©gislation relative Ă  l’interdictionde diffuser des informations concernant l’interruption volontaire degrossesse pratiquĂ©e Ă  l’étranger. Seule reçut une rĂ©ponse la question desavoir si les restrictions Ă  la libertĂ© de communiquer ou de recevoir lesinformations en cause Ă©taient nĂ©cessaires dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, ausens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, au « but lĂ©gitime de

 protĂ©ger la morale, dont la dĂ©fense en Irlande du droit Ă  la vie (...) constitueun aspect » (arrĂȘt prĂ©citĂ©, pp. 27-28, § 63), car la Cour n’a pas considĂ©rĂ©

 pertinent de dĂ©terminer « si la Convention garantit un droit Ă  l’avortement

ou si le droit Ă  la vie, reconnu par l’article 2, vaut Ă©galement pour le fƓtus »(ibidem, p. 28, § 66). RĂ©cemment, dans des circonstances similaires Ă  cellesde l’affaire  H. c. NorvĂšge  prĂ©citĂ©e, Ă  propos de la dĂ©cision d’une femmed’interrompre sa grossesse et de l’opposition du pĂšre Ă  un tel acte, la Cour afait valoir qu’elle n’a pas « Ă  dĂ©cider du point de savoir si le fƓtus peut

 bĂ©nĂ©ficier d’une protection au regard de la premiĂšre phrase de l’article 2telle qu’interprĂ©tĂ©e » par la jurisprudence relative aux obligations positivesdu devoir de protection de la vie car « Ă  supposer mĂȘme que, dans certainescirconstances, le fƓtus puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme titulaire de droitsgarantis par l’article 2 de la Convention, (...) dans la prĂ©sente affaire, (...)

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  ARRÊT VO c. FRANCE 37

l’interruption (...) de grossesse a Ă©tĂ© pratiquĂ©e conformĂ©ment Ă  l’article 5 dela loi no  194 de 1978 », celle-ci mĂ©nageant un juste Ă©quilibre entre les

intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© d’assurer la protection du fƓtus(dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e).

80. Il ressort de ce rappel jurisprudentiel que dans les circonstancesexaminĂ©es par les organes de la Convention Ă  ce jour, Ă  savoir leslĂ©gislations rĂ©gissant l’avortement, l’enfant Ă  naĂźtre n’est pas considĂ©rĂ©comme une « personne » directement bĂ©nĂ©ficiaire de l’article 2 de laConvention et que son « droit » Ă  la « vie », s’il existe, se trouveimplicitement limitĂ© par les droits et les intĂ©rĂȘts de sa mĂšre. Les organes dela Convention n’excluent toutefois pas que, dans certaines circonstances,des garanties puissent ĂȘtre admises au bĂ©nĂ©fice de l’enfant non encore nĂ© ;c’est ce que paraĂźt avoir envisagĂ© la Commission lorsqu’elle a considĂ©rĂ© que

« l’article 8 § 1 ne peut s’interprĂ©ter comme signifiant que la grossesse etson interruption relĂšvent, par principe, exclusivement de la vie privĂ©e de lamĂšre » ( BrĂŒggemann et Scheuten prĂ©citĂ©, pp. 138-139, § 61), ainsi que laCour dans la dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e. Il rĂ©sulte, par ailleurs, de l’examen deces affaires que la solution donnĂ©e procĂšde toujours de la confrontation dediffĂ©rents droits ou libertĂ©s, parfois contradictoires, revendiquĂ©s par unefemme, une mĂšre ou un pĂšre, entre eux, ou vis-Ă -vis de l’enfant Ă  naĂźtre.

2. Approche en l’espùce

81. La singularité de la présente affaire place le débat sur un autre plan.

La Cour est en prĂ©sence d’une femme qui entendait mener sa grossesse Ă terme et dont l’enfant Ă  naĂźtre Ă©tait pronostiquĂ© viable, Ă  tout le moins en bonne santĂ©. Cette grossesse a dĂ» ĂȘtre interrompue Ă  la suite d’une fautecommise par un mĂ©decin et la requĂ©rante a donc subi un avortementthĂ©rapeutique Ă  cause de la nĂ©gligence d’un tiers. La question est dĂšs lors desavoir si, hors de la volontĂ© de la mĂšre agissant dans le cas d’uneinterruption volontaire de grossesse, l’atteinte au fƓtus doit ĂȘtre pĂ©nalementsanctionnĂ©e au regard de l’article 2 de la Convention, en vue de protĂ©ger lefƓtus au titre de cet article. Elle suppose au prĂ©alable de se pencher surl’opportunitĂ© pour la Cour de s’immiscer dans le dĂ©bat liĂ© Ă  la dĂ©terminationde ce qu’est une personne et quand commence la vie, dans la mesure oĂč cet

article dispose que la loi protÚge « le droit de toute personne à la vie ».82. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus,

l’interprĂ©tation de l’article 2 Ă  cet Ă©gard s’est faite dans un souci Ă©videntd’équilibre, et la position des organes de la Convention, au regard desdimensions juridiques, mĂ©dicales, philosophiques, Ă©thiques ou religieusesde la dĂ©finition de la personne humaine, a pris en considĂ©ration lesdiffĂ©rentes approches nationales du problĂšme. Ce choix s’est traduit par la

 prise en compte de la diversitĂ© des conceptions quant au point de dĂ©part dela vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux,laissant place Ă  un large pouvoir discrĂ©tionnaire de l’Etat en la matiĂšre

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38 ARRÊT VO c. FRANCE

qu’exprime fort bien l’avis du Groupe europĂ©en d’éthique des sciences etdes nouvelles technologies auprĂšs de la Commission europĂ©enne : « Les

instances communautaires doivent aborder ces questions Ă©thiques en tenantcompte des divergences morales et philosophiques reflĂ©tĂ©es par l’extrĂȘmediversitĂ© des rĂšgles juridiques applicables Ă  la recherche sur l’embryonhumain (...). Il serait non seulement juridiquement dĂ©licat d’imposer en cedomaine une harmonisation des lĂ©gislations nationales mais, du fait del’absence de consensus, il serait Ă©galement inopportun de vouloir Ă©dicterune morale unique, exclusive de toutes les autres » (paragraphe 40 ci-dessus).

Il en rĂ©sulte que le  point de dĂ©part du droit Ă  la vie relĂšve de la marged’apprĂ©ciation des Etats dont la Cour tend Ă  considĂ©rer qu’elle doit leur ĂȘtrereconnue dans ce domaine, mĂȘme dans le cadre d’une interprĂ©tation

Ă©volutive de la Convention, qui est « un instrument vivant, Ă  interprĂ©ter Ă  lalumiĂšre des conditions de vie actuelles » (voir l’arrĂȘt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, sĂ©rie A no  26, pp. 15-16, § 31, et la jurisprudenceultĂ©rieure). Les raisons qui la poussent Ă  ce constat sont, d’une part, que lasolution Ă  donner Ă  ladite protection n’est pas arrĂȘtĂ©e au sein de la majoritĂ© 

des Etats contractants, et en France en particulier, oĂč la question donne lieuĂ  dĂ©bat (paragraphe 83 ci-dessous), et, d’autre part, qu’aucun consensuseuropĂ©en n’existe sur la dĂ©finition scientifique et juridique des dĂ©buts de lavie (paragraphe 84 ci-dessous).

83. La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrĂȘtsconsĂ©cutifs rendus en 1999, 2001 et 2002 (paragraphes 22 et 29 ci-dessus), aconsidĂ©rĂ© que le principe de la lĂ©galitĂ© des peines et des dĂ©lits – qui imposeune interprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale – empĂȘche que les faits reprochĂ©sen cas d’atteinte mortelle au fƓtus puissent entrer dans les prĂ©visions del’article 221-6 du code pĂ©nal rĂ©primant l’homicide involontaire « d’autrui ».En revanche, si Ă  la suite d’une faute involontaire la mĂšre accouche d’unenfant vivant qui dĂ©cĂšde peu de temps aprĂšs sa naissance, l’auteur pourraĂȘtre condamnĂ© pour homicide involontaire sur la personne du nouveau-nĂ©(paragraphe 30 ci-dessus). La premiĂšre solution, en contradiction avec cellede plusieurs cours d’appel (paragraphes 21 et 50 ci-dessus), fut interprĂ©tĂ©ecomme une invitation faite au lĂ©gislateur Ă  combler un vide juridique ; ce

fut Ă©galement la position du tribunal correctionnel en l’espĂšce : « Letribunal (...) ne peut crĂ©er le droit sur une question que [le lĂ©gislateur n’a] pudĂ©finir encore ». Le lĂ©gislateur français a esquissĂ© une telle dĂ©finition, en

 proposant la crĂ©ation d’un dĂ©lit d’interruption involontaire de grossesse(paragraphe 32 ci-dessus), proposition de loi qui a Ă©chouĂ© face aux crainteset incertitudes qu’une telle incrimination pouvait susciter Ă  l’égard de ladĂ©termination du dĂ©but de la vie, et aux inconvĂ©nients jugĂ©s supĂ©rieurs auxavantages de cette nouvelle incrimination (paragraphe 33 ci-dessus). Parailleurs, la Cour note que, simultanĂ©ment au constat rĂ©pĂ©tĂ© de la haute

 juridiction selon lequel l’article 221-6 du code pĂ©nal n’est pas applicable au

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  ARRÊT VO c. FRANCE 39

fƓtus, le lĂ©gislateur français est en passe de rĂ©viser les lois de bioĂ©thiquede 1994, qui avaient insĂ©rĂ© dans le code pĂ©nal des dispositions relatives Ă  la

 protection de l’embryon humain (paragraphe 25 ci-dessus), et quinĂ©cessitaient un nouvel examen face aux progrĂšs de la science et destechniques (paragraphe 34 ci-dessus). De cet aperçu, il ressort qu’en Francela nature et  le statut juridique de l’embryon et/ou du fƓtus ne sont pasdĂ©finis actuellement et que la façon d’assurer leur protection dĂ©pend de

 positions fort variĂ©es au sein de la sociĂ©tĂ© française.84. Au plan europĂ©en, la Cour observe que la question de la nature et du

statut de l’embryon et/ou du fƓtus ne fait pas l’objet d’un consensus(paragraphes 39 et 40 ci-dessus), mĂȘme si on voit apparaĂźtre des Ă©lĂ©ments de

 protection de ce/ces dernier(s),  au regard des progrĂšs scientifiques et desconsĂ©quences futures de la recherche sur les manipulations gĂ©nĂ©tiques, les

 procrĂ©ations mĂ©dicalement assistĂ©es ou les expĂ©rimentations sur l’embryon.Tout au plus peut-on trouver comme dĂ©nominateur commun aux Etatsl’appartenance Ă  l’espĂšce humaine ; c’est la potentialitĂ© de cet ĂȘtre et sacapacitĂ© Ă  devenir une personne, laquelle est d’ailleurs protĂ©gĂ©e par le droitcivil dans bon nombre d’Etats comme en France, en matiĂšre de successionou de libĂ©ralitĂ©s, mais aussi au Royaume-Uni (paragraphe 72 ci-dessus), quidoivent ĂȘtre protĂ©gĂ©es au nom de la dignitĂ© humaine sans pour autant enfaire une « personne » qui aurait un « droit Ă  la vie » au sens de l’article 2.La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine segarde d’ailleurs de dĂ©finir le terme de personne et le rapport explicatifindique que, faute d’unanimitĂ© sur la dĂ©finition, les Etats membres ontchoisi de laisser au droit interne le soin d’apporter les prĂ©cisions pertinentesaux effets de l’application de cette convention (paragraphe 36 ci-dessus). Ilen est de mĂȘme du Protocole additionnel prohibant le clonage humain et duProtocole relatif Ă  la recherche biomĂ©dicale qui ne dĂ©finissent pas le conceptd’ĂȘtre humain (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Il n’est pas enfin sansintĂ©rĂȘt de noter la possibilitĂ© pour la Cour d’ĂȘtre saisie en application del’article 29 de la Convention d’Oviedo pour donner des avis relatifs Ă l’interprĂ©tation de cette convention.

85. Quant Ă  ce qui prĂ©cĂšde, la Cour est convaincue qu’il n’est nisouhaitable ni mĂȘme possible actuellement de rĂ©pondre dans l’abstrait Ă  la

question de savoir si l’enfant Ă  naĂźtre est une « personne » au sens del’article 2 de la Convention. Quant au cas d’espĂšce, elle considĂšre qu’iln’est pas nĂ©cessaire d’examiner le point de savoir si la fin brutale de lagrossesse de Mme  Vo entre ou non dans le champ d’application del’article 2, dans la mesure oĂč, Ă  supposer mĂȘme que celui-ci s’appliquerait,les exigences liĂ©es Ă  la prĂ©servation de la vie dans le domaine de la santĂ©

 publique n’ont pas Ă©tĂ© mĂ©connues par l’Etat dĂ©fendeur. La Cour s’est eneffet demandĂ© si la protection juridique offerte par la France Ă  la requĂ©rante,

 par rapport Ă  la perte de l’enfant Ă  naĂźtre qu’elle portait, satisfaisait auxexigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă  l’article 2 de la Convention.

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86. A cet Ă©gard, elle observe qu’en l’absence de statut juridique clair del’enfant Ă  naĂźtre, celui-ci n’est pas pour autant privĂ© de toute protection en

droit français. Toutefois, dans les circonstances de l’espĂšce, la vie du fƓtusĂ©tait intimement liĂ©e Ă  celle de sa mĂšre et sa protection pouvait se faire autravers d’elle. Il en allait particuliĂšrement ainsi dĂšs lors qu’aucun conflit dedroit n’existait entre la mĂšre et le pĂšre, pas plus qu’entre l’enfant Ă  naĂźtre etses parents, mais que la perte du fƓtus rĂ©sultait de la nĂ©gligenceinvolontaire d’un tiers.

87. Dans la dĂ©cision  Boso  prĂ©citĂ©e, la Cour a estimĂ© que, Ă  supposermĂȘme que le fƓtus puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant titulaire de droits

 protĂ©gĂ©s par l’article 2 de la Convention (paragraphe 79 ci-dessus), la loiitalienne relative Ă  l’interruption volontaire de grossesse mĂ©nageait un justeĂ©quilibre entre les intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© d’assurer la protection

de l’enfant Ă  naĂźtre. En l’espĂšce, l’objet du litige concerne l’atteinte mortelleinvolontaire de l’enfant Ă  naĂźtre, contre la volontĂ© de la mĂšre, et au prixd’une souffrance toute particuliĂšre de celle-ci ; force est de constater queleurs intĂ©rĂȘts se confondaient. DĂšs lors, il appartient Ă  la Cour d’examiner,sous l’angle de la question du caractĂšre adĂ©quat des voies de recoursexistantes, la protection dont  la requĂ©rante disposait pour faire valoir laresponsabilitĂ© du mĂ©decin dans la perte de son enfant in utero  et pourobtenir rĂ©paration de l’interruption de sa grossesse qu’il lui a fallu subir. LarequĂ©rante allĂšgue que seul un recours de nature pĂ©nale eĂ»t Ă©tĂ© Ă  mĂȘme desatisfaire aux exigences de l’article 2 de la Convention. La Cour ne partage

 pas ce point de vue pour les raisons suivantes.88. La Cour rappelle que la premiĂšre phrase de l’article 2, qui se place

 parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’unedes valeurs fondamentales des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques qui forment leConseil de l’Europe ( McCann et autres c. Royaume-Uni, arrĂȘt du27 septembre 1995, sĂ©rie A no 324, pp. 45-46, § 147), impose Ă  l’Etat nonseulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement », mais ausside prendre les mesures nĂ©cessaires Ă  la protection de la vie des personnesrelevant de sa juridiction (voir par exemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrĂȘt du9 juin 1998, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-III, p. 1403, § 36).

89. Ces principes s’appliquent aussi dans le domaine de la santĂ©

 publique. Les obligations positives impliquent la mise en place par l’Etatd’un cadre rĂ©glementaire imposant aux hĂŽpitaux, qu’ils soient privĂ©s ou publics, l’adoption de mesures propres Ă  assurer la protection de la vie des malades. Il s’agit Ă©galement d’instaurer un systĂšme judiciaire efficace etindĂ©pendant permettant d’établir la cause du dĂ©cĂšs d’un individu se trouvantsous la responsabilitĂ© de professionnels de la santĂ©, tant ceux agissant dansle cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privĂ©es, etle cas Ă©chĂ©ant d’obliger ceux-ci Ă  rĂ©pondre de leurs actes ( Powellc. Royaume-Uni  (dĂ©c.), no  45305/99, CEDH 2000-V ; Calvelli et Ciglio,arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 49).

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  ARRÊT VO c. FRANCE 41

90. Si le droit de faire poursuivre ou condamner pĂ©nalement des tiers nesaurait ĂȘtre admis en soi (arrĂȘt  Perez c. France  [GC], no 47287/99, § 70,

CEDH 2004-I), la Cour a maintes fois affirmĂ© qu’un systĂšme judiciaireefficace tel qu’il est exigĂ© par l’article 2 peut comporter, et dans certainescirconstances doit comporter, un mĂ©canisme de rĂ©pression pĂ©nale.Toutefois, si l’atteinte au droit Ă  la vie ou Ă  l’intĂ©gritĂ© physique n’est pasvolontaire, l’obligation positive dĂ©coulant de l’article 2 de mettre en placeun systĂšme judiciaire efficace n’exige pas nĂ©cessairement dans tous les casun recours de nature pĂ©nale. Dans le contexte spĂ©cifique des nĂ©gligencesmĂ©dicales, « pareille obligation peut ĂȘtre remplie aussi, par exemple, si lesystĂšme juridique en cause offre aux intĂ©ressĂ©s un recours devant les

 juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pĂ©nales, aux fins d’établir la responsabilitĂ© des mĂ©decins en

cause et, le cas Ă©chĂ©ant, d’obtenir l’application de toute sanction civileappropriĂ©e, tels le versement de dommages-intĂ©rĂȘts et la publication del’arrĂȘt. Des mesures disciplinaires peuvent Ă©galement ĂȘtre envisagĂ©es »(Calvelli et Ciglio  prĂ©citĂ©, § 51 ;  Lazzarini et Ghiacci c. Italie (dĂ©c.),no 53749/00, 7 novembre 2002 ; voir Ă©galement l’arrĂȘt  Mastromatteoc. Italie [GC], no 37703/97, § 90, CEDH 2002-VIII).

91. En l’espĂšce, en plus de la poursuite du mĂ©decin pour blessuresinvolontaires sur la personne de la requĂ©rante qui se solda certes parl’amnistie de la contravention, dont la requĂ©rante ne se plaint pas, celle-cidisposait de la possibilitĂ© d’engager une action en responsabilitĂ© contrel’administration Ă  raison de la faute allĂ©guĂ©e du mĂ©decin hospitalier (voir

 Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 14 et suivants, CEDH 2001-VI). Parce moyen, la requĂ©rante aurait eu droit Ă  une audience contradictoire sur lefond de ses allĂ©gations de faute ( Powell , dĂ©cision prĂ©citĂ©e, p. 459) et Ă obtenir, le cas Ă©chĂ©ant, rĂ©paration de son prĂ©judice. Une demanded’indemnisation au juge administratif avait des chances sĂ©rieuses de succĂšset la requĂ©rante aurait pu obtenir la condamnation du centre hospitalier auversement de dommages-intĂ©rĂȘts. Cela rĂ©sulte du constat clair auquelavaient abouti les expertises judiciaires (paragraphe 16 ci-dessus) en 1992,soit avant que l’action ne soit prescrite, sur le dysfonctionnement du servicehospitalier en cause et la nĂ©gligence grave du mĂ©decin, laquelle selon la

cour d’appel (paragraphe 21 ci-dessus) ne traduisait cependant pas unemĂ©connaissance totale des principes les plus Ă©lĂ©mentaires et des devoirs desa mission qui l’aurait rendue dĂ©tachable du service.

92. L’argument de la prescription de l’action en responsabilitĂ©administrative invoquĂ© par la requĂ©rante ne saurait prospĂ©rer aux yeux de laCour. A cet Ă©gard, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle le « droit Ă un tribunal », dont le droit d’accĂšs constitue un aspect particulier, n’est pasabsolu et se prĂȘte Ă  des limitations implicitement admises, notamment quantaux conditions de recevabilitĂ© d’un recours, car il appelle de par sa naturemĂȘme une rĂ©glementation par l’Etat, lequel jouit Ă  cet Ă©gard d’une certaine

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42 ARRÊT VO c. FRANCE

marge d’apprĂ©ciation (voir, parmi d’autres, l’arrĂȘt  Brualla GĂłmez de laTorre c. Espagne du 19 dĂ©cembre 1997, Recueil  1997-VIII, p. 2955, § 33).

Parmi ces restrictions lĂ©gitimes, figurent les dĂ©lais lĂ©gaux de prescriptionqui, selon la Cour, dans les affaires d’atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© de la personne,ont « plusieurs finalitĂ©s importantes, Ă  savoir garantir la sĂ©curitĂ© juridiqueen fixant un terme aux actions, mettre les dĂ©fendeurs potentiels Ă  l’abri de

 plaintes tardives peut-ĂȘtre difficiles Ă  contrer, et empĂȘcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux Ă©taient appelĂ©s Ă  se prononcer sur desĂ©vĂ©nements survenus loin dans le passĂ© Ă  partir d’élĂ©ments de preuveauxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raisondu temps Ă©coulĂ© » (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 octobre1996, Recueil  1996-IV, pp. 1502-1503, § 51).

93. En l’espĂšce, un dĂ©lai de prescription de quatre ans ne lui semble pas,

en tant que tel, excessivement court et ce d’autant plus ici, vu la gravitĂ© dudommage ressenti par la requĂ©rante et sa volontĂ© immĂ©diate de poursuivrele mĂ©decin. Cependant, il ressort du dossier que le choix de la requĂ©rante se

 porta dĂ©libĂ©rĂ©ment vers la juridiction pĂ©nale sans qu’elle fĂ»t, semble-t-il, jamais Ă©clairĂ©e sur la possibilitĂ© de saisir la juridiction administrative.Certes, le lĂ©gislateur a Ă©tendu rĂ©cemment ce dĂ©lai Ă  dix ans dans le cadre dela loi du 4 mars 2002 (paragraphe 28 ci-dessus). Il l’a fait dans le butd’unifier les dĂ©lais de prescription des actions en rĂ©paration quelle que soitla juridiction compĂ©tente, administrative ou judiciaire. Cela permet de tenircompte de l’évolution gĂ©nĂ©rale d’un systĂšme de plus en plus favorable auxvictimes de fautes mĂ©dicales dont la voie administrative apparaĂźt Ă  mĂȘme derĂ©pondre au souci d’équilibre entre la prise en considĂ©ration du dommagequ’il faut rĂ©parer et la « judiciarisation » Ă  outrance des responsabilitĂ©s

 pesant sur le corps mĂ©dical. La Cour n’estime cependant pas que cettenouvelle rĂ©glementation puisse faire regarder l’ancien dĂ©lai de quatre anscomme trop bref.

94. En conclusion, la Cour dit que, dans les circonstances de l’espĂšce,l’action en responsabilitĂ© pouvait passer pour un recours efficace Ă  ladisposition de la requĂ©rante. Ce recours, qu’elle n’a pas en l’occurrenceengagĂ© auprĂšs des juridictions administratives, aurait permis d’établir lafaute mĂ©dicale dont elle se plaignait et de garantir dans l’ensemble la

rĂ©paration du dommage causĂ© par la faute du mĂ©decin, et les poursuites pĂ©nales ne s’imposaient donc pas en l’espĂšce.95. Partant, Ă  supposer mĂȘme que l’article 2 de la Convention trouve

application en l’espùce (paragraphe 85 ci-dessus), la Cour conclut qu’il n’ya pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 43

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Joint au fond , Ă  l’unanimitĂ©, les exceptions du Gouvernement tirĂ©es del’incompatibilitĂ© ratione materiae de la requĂȘte avec les dispositions dela Convention et du dĂ©faut d’épuisement des voies de recours internes etles rejette ;

2.  DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, la requĂȘte recevable ;

3.  Dit , par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation del’article 2 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au

Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 8 juillet 2004.

Luzius WILDHABER  PrĂ©sident

Paul MAHONEY Greffier

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de laConvention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© des opinions suivantes :

 â€“ opinion sĂ©parĂ©e de M. Rozakis, Ă  laquelle se joignent M. Caflisch,M. Fischbach, M. Lorenzen et Mme Thomassen ; â€“ opinion sĂ©parĂ©e de M. Costa, Ă  laquelle se rallie M. Traja ; â€“ opinion dissidente de M. Ress ; â€“ opinion dissidente de Mme  Mularoni, Ă  laquelle dĂ©clare se rallier

Mme StrĂĄĆŸnickĂĄ.

L.W.P.J.M.

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OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE ROZAKIS,À LAQUELLE SE JOIGNENT M. CAFLISCH,

M. FISCHBACH, M. LORENZEN ET Mme THOMASSEN,JUGES 

(Traduction)

J’ai votĂ© avec la majoritĂ© pour le constat de non-violation de l’article 2de la Convention en l’espĂšce. Etant donnĂ© toutefois que ma dĂ©marchediffĂšre Ă  certains Ă©gards de celle adoptĂ©e par la Grande Chambre, j’aisouhaitĂ© joindre Ă  l’arrĂȘt la prĂ©sente opinion sĂ©parĂ©e, qui expose les pointssur lesquels mon apprĂ©ciation du droit s’écarte de celle de la majoritĂ©.

La Cour souligne Ă  juste titre qu’il ressort d’un aperçu du droit internefrançais que la nature et le statut juridique de l’embryon et/ou du fƓtus nesont pas dĂ©finis actuellement en France et que la façon d’assurer leur

 protection dĂ©pend de positions fort variĂ©es au sein de la sociĂ©tĂ© française(paragraphe 83 in fine de l’arrĂȘt). Elle observe Ă©galement – il s’agit lĂ  pourelle d’un argument de poids – que la question de la nature et du statut del’embryon et/ou du fƓtus ne fait pas l’objet d’un consensus au planeuropĂ©en : « Tout au plus peut-on trouver comme dĂ©nominateur communaux Etats l’appartenance Ă  l’espĂšce humaine ; c’est la potentialitĂ© de cet ĂȘtreet sa capacitĂ© Ă  devenir une personne, laquelle est d’ailleurs protĂ©gĂ©e par ledroit civil dans bon nombre d’Etats comme en France, en matiĂšre de

succession ou de libĂ©ralitĂ©s, mais aussi au Royaume-Uni (...), qui doiventĂȘtre protĂ©gĂ©es au nom de la dignitĂ© humaine sans pour autant en faire une« personne » qui aurait un « droit Ă  la vie » au sens de l’article 2 »(paragraphe 84 de l’arrĂȘt).

MalgrĂ© ces constats, auxquels je souscris volontiers, la Cour refuse detirer la conclusion qui s’impose, Ă  savoir qu’au stade actuel de l’évolutionde la science, du droit et de la morale, tant en France qu’en Europe, le droitĂ  la vie de l’enfant Ă  naĂźtre n’est pas encore garanti. MĂȘme si l’on admet quela vie commence avant la naissance, cela ne revient pas Ă  confĂ©rerautomatiquement et inconditionnellement Ă  cette forme de vie humaine undroit Ă  la vie Ă©quivalent au droit correspondant d’un enfant aprĂšs la

naissance. Cela ne signifie pas que la sociĂ©tĂ© n’offre aucune protection Ă l’enfant Ă  naĂźtre : ainsi qu’en attestent la lĂ©gislation applicable dans les EtatseuropĂ©ens et les accords et autres documents europĂ©ens pertinents, la vie del’enfant Ă  naĂźtre est dĂ©jĂ  considĂ©rĂ©e comme devant ĂȘtre protĂ©gĂ©e. Maisd’aprĂšs mon interprĂ©tation des instruments juridiques pertinents, cette

 protection, tout en Ă©tant confĂ©rĂ©e Ă  un ĂȘtre regardĂ© comme en Ă©tant digne,est, comme je viens de le dire, diffĂ©rente de celle qui est accordĂ©e Ă  unenfant aprĂšs la naissance, et bien moins ample. Il apparaĂźt donc qu’au stadeactuel de l’évolution du droit et de la morale en Europe la vie de l’enfant Ă naĂźtre, bien que protĂ©gĂ©e dans certains de ses aspects, ne peut ĂȘtre assimilĂ©e

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION SEPAREE 45

Ă  la vie post-natale et, dĂšs lors, ne bĂ©nĂ©ficie pas d’un droit, au sens du« droit Ă  la vie » que protĂšge l’article 2 de la Convention. Partant, il se pose

un problĂšme d’applicabilitĂ© de l’article 2 dans les circonstances de l’espĂšce.Au lieu de parvenir Ă  cette conclusion inĂ©vitable, dictĂ©e par le

raisonnement mĂȘme de l’arrĂȘt, la majoritĂ© de la Grande Chambre opte pourune position neutre en dĂ©clarant : « la Cour est convaincue qu’il n’est nisouhaitable ni mĂȘme possible actuellement de rĂ©pondre dans l’abstrait Ă  laquestion de savoir si l’enfant Ă  naĂźtre est une « personne » au sens del’article 2 de la Convention » (paragraphe 85 de l’arrĂȘt).

Un autre aspect me paraĂźt problĂ©matique dans le raisonnement de lamajoritĂ© : malgrĂ© ses doutes manifestes ou, en tout cas, son hĂ©sitation Ă admettre l’applicabilitĂ© de l’article 2 en l’espĂšce, elle abandonne finalementsa position neutre et fonde son constat de non-violation sur l’argument selon

lequel les exigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă  la protection de l’article 2 dela Convention ont Ă©tĂ© satisfaites dans la prĂ©sente affaire. En employant laformule « Ă  supposer mĂȘme » relativement Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 2 eten liant la vie du fƓtus Ă  celle de la mĂšre (« la vie du fƓtus Ă©tait intimementliĂ©e Ă  celle de sa mĂšre et sa protection pouvait se faire au travers d’elle(...) » – paragraphe 86 de l’arrĂȘt), la majoritĂ© fait subrepticement passerl’aspect matĂ©riel de l’article 2 de la Convention au premier plan de l’affaire.On peut, me semble-t-il, lĂ©gitimement interprĂ©ter de cette façon la positionde la majoritĂ©, surtout si l’on tient compte, d’une part, de ce que l’examendu respect des garanties procĂ©durales de l’article 2 pour dĂ©terminer s’il y aeu ou non violation prĂ©suppose l’applicabilitĂ© apparente de cette disposition(et le recours Ă  la formule « Ă  supposer mĂȘme » ne change rien au problĂšmesi, en fin de compte, le seul vrai motif sous-jacent aux conclusions de laCour rĂ©side dans l’hypothĂšse introduite par la formule) et, d’autre part, dece que les faits de la cause ne font pas apparaĂźtre la moindre menace pour ledroit Ă  la vie de la mĂšre justifiant de faire jouer les garanties procĂ©durales del’article 2 de la Convention.

Pour les motifs exposĂ©s ci-dessus, je ne puis suivre le raisonnement de lamajoritĂ© et conclus qu’eu Ă©gard Ă  l’état actuel des choses l’article 2 estinapplicable en l’espĂšce.

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46 ARRÊT VO c. FRANCE

OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE COSTA,À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA

1. Dans cette affaire oĂč une grossesse de presque six mois a Ă©tĂ©interrompue contre la volontĂ© de la femme portant l’enfant Ă  naĂźtre, par suited’une faute commise par un mĂ©decin, notre Cour a conclu que l’article 2 dela Convention n’a pas Ă©tĂ© violĂ©.

2. Le raisonnement de l’arrĂȘt est cependant prudent : il n’est pasnĂ©cessaire, dit-on, de trancher la question de l’applicabilitĂ© de cet article car,Ă  le supposer applicable, dans les circonstances de l’espĂšce il n’a pas Ă©tĂ©mĂ©connu.

3. J’ai votĂ© en faveur de la non-violation de l’article 2, mais j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© que l’on dĂźt que l’article 2 s’appliquait, mĂȘme si cela ne va pas desoi. Comme je vais essayer de l’expliquer, une telle position eĂ»t peut-ĂȘtreĂ©tĂ© plus claire, et elle n’aurait guĂšre d’inconvĂ©nients Ă  mes yeux, du pointde vue de la portĂ©e de l’arrĂȘt.

4. Il me semble d’abord que la Cour collĂ©gialement  â€“ et je pense qu’ellea rĂ©ussi avec cet arrĂȘt Ă  Ă©viter ce piĂšge – n’a pas Ă  se placer sur un plan

 principalement Ă©thique ou philosophique. Elle doit s’efforcer de rester sur leterrain qui est le sien, le terrain juridique, mĂȘme si le droit n’est pasdĂ©sincarnĂ© et n’est pas une substance chimiquement pure, indĂ©pendante deconsidĂ©rations morales ou sociĂ©tales. Les opinions individuelles des juges,qu’ils les exposent ou non, comme ils en ont le droit (mais non l’obligation)en vertu de l’article 45 de la Convention, ne sont pas tenues Ă  mon avis Ă  lamĂȘme contrainte. La prĂ©sente affaire touche de prĂšs Ă  des convictions

 personnelles profondes, et j’ai cru quant Ă  moi nĂ©cessaire, et peut-ĂȘtre utile,de faire part de ma position ; celle-ci, on l’a dĂ©jĂ  compris, est un peudiffĂ©rente de celle qu’a adoptĂ©e la majoritĂ©.

5. Sur le plan Ă©thique, la façon la plus naturelle d’essayer d’interprĂ©terl’article 2 de la Convention (« le droit de toute personne Ă  la vie est protĂ©gĂ©

 par la loi », en langue anglaise, « everyone’s right to life shall be protectedby law Â») est de se demander ce qu’est une personne (ou « everyone Â») et

quand commence la vie. Or il est trĂšs difficile, sur ce plan, d’avoir unerĂ©ponse unanime ou commune, l’éthique Ă©tant par trop dĂ©pendante del’idĂ©ologie de chacun. En France, le ComitĂ© consultatif national, qui mĂšnedepuis vingt ans de remarquables travaux, et qui a consacrĂ© de nombreuxavis Ă  l’embryon humain (il prĂ©fĂšre en gĂ©nĂ©ral parler d’embryon, Ă n’importe quel stade, que de fƓtus), n’a pas pu trancher dĂ©finitivement cesquestions. C’est normal, notamment Ă  raison de sa composition, qui a Ă©tĂ©voulue pluraliste par le prĂ©sident Mitterrand lorsqu’il a crĂ©Ă© le comitĂ©. Direque « l’embryon doit ĂȘtre reconnu comme  une personne humaine

 potentielle  » (premier avis du comitĂ© en 1984, confirmĂ© par la suite) ne

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE COSTA, 47À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA

rĂ©sout pas le problĂšme, car un ĂȘtre reconnu comme potentiel n’est pasnĂ©cessairement un ĂȘtre, et peut-ĂȘtre, a contrario, n’en est pas un. Quant Ă  la

vie, et donc Ă  son commencement, chacun s’en fait sa propre conception(voir l’avis no 5 du comitĂ©, de 1985). On pourrait seulement dĂ©duire de cette

 position qu’il y a peut-ĂȘtre un droit d’une personne potentielle Ă  une vie potentielle, mais de la potentialitĂ© Ă  l’effectivitĂ© il y a, pour le juriste, un pasimportant.

6. Ce qui est vrai pour les instances Ă©thiques d’un Etat comme l’EtatdĂ©fendeur est vrai aussi au plan international. L’arrĂȘt rappelle Ă  juste titreque la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine(Ă©laborĂ©e dans le cadre du Conseil de l’Europe et signĂ©e en 1997) ne dĂ©finit

 pas ce qu’est une personne. On peut ajouter que la Convention d’Oviedo nedonne pas davantage une dĂ©finition de l’ĂȘtre humain, dont elle consacre

 pourtant la dignitĂ©, l’identitĂ©, la primautĂ©, l’intĂ©rĂȘt, le bien. Et elle ne parle pas des dĂ©buts de la vie.

7. Que l’éthique soit impuissante en l’état actuel Ă  dĂ©gager un consensussur les termes de personne et de droit Ă  la vie, cela empĂȘche-t-il que le droitles dĂ©finisse ? Je ne le pense pas. Le travail du juriste, en particulier du juge,et singuliĂšrement d’un juge des droits de l’homme, implique de dĂ©gager desnotions  – notions autonomes s’il le faut, notre Cour ne s’en est jamais

 privĂ©e – qui correspondent Ă  des mots ou expressions figurant dans le textede rĂ©fĂ©rence (pour elle, la Convention et ses Protocoles). Ce que la Cour,dĂšs le dĂ©but, a fait pour les « droits et obligations de caractĂšre civil », la« matiĂšre pĂ©nale », le « tribunal », pourquoi ne le ferait-elle pas pour la« personne » ou le « droit Ă  la vie » (que la Convention europĂ©enne desDroits de l’Homme ne dĂ©finit pas), mĂȘme s’il s’agit de concepts

 philosophiques et non techniques ?8. Et d’ailleurs, dans le domaine de l’article 2, elle l’a dĂ©jĂ  fait, au moins

 pour le droit Ă  la vie. Par exemple en imposant aux Etats des obligations positives de protection de la vie humaine. Ou bien en considĂ©rant que, dansdes circonstances exceptionnelles, des actes potentiellement meurtriers de la

 part d’agents de l’Etat peuvent conduire au constat de violation del’article 2. La jurisprudence a donc Ă©tendu, sinon la notion de vie, du moinscelles de droit Ă  la vie ou d’atteinte Ă  la vie.

9. Par contre, on ne peut pas, je crois, s’en tirer par l’échappatoirecommode selon laquelle Mme Vo, qui est une personne, avait un droit Ă  lavie (de son enfant Ă  naĂźtre). Il est vrai que la jurisprudence a Ă©largi la notionde victime, par exemple en admettant qu’un neveu est recevable Ă  allĂ©guerque l’article 2 a Ă©tĂ© violĂ© Ă  raison du meurtre de son oncle (arrĂȘt Ya ĆŸac. Turquie du 2 septembre 1998,  Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-VI).Mais ici il s’agit du droit invoquĂ© Ă  la vie d’un enfant non nĂ©, et ce type de

 prĂ©cĂ©dents ne peut s’appliquer au cas de la requĂ©rante que si on admet quel’enfant non nĂ© a lui-mĂȘme un droit Ă  la vie : pour qu’elle soit victime au

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48 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE COSTA,À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA

sens de l’article 34 de la Convention, encore faut-il que Mme Vo le soit de laviolation d’un droit reconnu par celle-ci, quod est demonstrandum.

10. Il me semble prĂ©cisĂ©ment que la Commission et la Cour se sont dĂ©jĂ  placĂ©es dans l’hypothĂšse oĂč l’article 2 est applicable Ă  l’enfant Ă  naĂźtre (sansavoir affirmĂ© pour autant que l’enfant Ă  naĂźtre est  une personne). Elles onten effet conclu, Ă  plusieurs reprises, que, mĂȘme si elles n’avaient pas Ă trancher cette question d’applicabilitĂ©, il n’y avait de toute façon pas enl’espĂšce de violation de l’article 2, par exemple dans un cas d’interruptionde grossesse conforme Ă  la loi, « celle-ci mĂ©nageant un juste Ă©quilibre entreles intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© d’assurer la  protection du fƓtus »(voir la dĂ©cision  Boso c. Italie, no 50490/99, CEDH 2002-VII, citĂ©e dansl’arrĂȘt, mais aussi, en des termes moins nets, la dĂ©cision de la Commissiondu 19 mai 1992 dans l’affaire, Ă©galement citĂ©e, H. c. NorvĂšge, no 17004/90,

DĂ©cisions et rapports 73). Si l’article 2 avait Ă©tĂ© jugĂ© radicalementinapplicable, il aurait Ă©tĂ© inutile – et c’est vrai aussi en l’espĂšce – de se

 poser la question de la protection du fƓtus et de la violation de l’article 2 ;et de motiver de cette façon la non-violation de cette disposition.

11. On peut se tourner vers le droit de l’Etat dĂ©fendeur, non qu’il soit unmodĂšle Ă  imposer aux autres, mais parce qu’il est directement en cause dansla prĂ©sente affaire. Or le Conseil d’Etat, dĂšs 1990, a jugĂ© que la loi françaiserelative Ă  l’interruption volontaire de grossesse (IVG) (que le Conseilconstitutionnel, par sa dĂ©cision no  74-54 DC du 15 janvier 1975, avaitdĂ©clarĂ©e non contraire Ă  la Constitution, tout en considĂ©rant qu’il ne luiappartenait pas d’examiner sa conformitĂ© Ă  la Convention) n’était pasincompatible avec l’article 2 de la Convention, pas plus qu’avec l’article 6du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (qui stipule : « Ledroit Ă  la vie est inhĂ©rent Ă  la personne humaine. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ©

 par la loi... ») ; surtout, le Conseil d’Etat a ainsi admis sans ambiguĂŻtĂ©, fĂ»t-ce de façon implicite, que cette loi entrait dans le champ d’application del’article 2 (voir sa dĂ©cision du 21 dĂ©cembre 1990, ConfĂ©dĂ©ration nationaledes associations familiales catholiques, publiĂ©e au Recueil, p. 369, avec lesconclusions de Bernard Stirn, qui l’éclairent).

12. Soit dit en passant, cette jurisprudence, qui Ă©mane de la plus haute juridiction administrative française, montre bien, me semble-t-il, qu’une

dĂ©cision de notre Cour affirmant sans ambages que la « fin de vie » d’unenfant Ă  naĂźtre ressortit au champ de l’article 2 de la Convention nemenacerait en rien, au moins dans leur principe, les lĂ©gislations nationalesqui, dans de trĂšs nombreux pays d’Europe, admettent, sous certainesconditions bien entendu, la licĂ©itĂ© de l’interruption volontaire de grossesse.Dans de nombreux Etats europĂ©ens, ces lĂ©gislations ont d’ailleurs Ă©tĂ© jugĂ©esconformes Ă  la Constitution nationale, voire Ă  l’article 2 de la Convention.C’est ainsi ce qu’a jugĂ© en 1983 la Cour suprĂȘme de NorvĂšge. La Courconstitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande et le Tribunal constitutionnel espagnolont Ă©galement admis que le droit Ă  la vie, tel qu’il est protĂ©gĂ© par l’article 2

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE COSTA, 49À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA

de la Convention, peut s’appliquer Ă  l’embryon ou au fƓtus (la question desavoir si c’est un droit absolu Ă©tant diffĂ©rente). VoilĂ  donc des exemples de

hautes juridictions pour lesquelles le droit Ă  la vie, qu’il soit Ă©noncĂ© par laConvention europĂ©enne des Droits de l’Homme en son article 2 ou qu’ilrĂ©sulte de principes constitutionnels nationaux ayant le mĂȘme contenu et lamĂȘme portĂ©e,  s’applique  au fƓtus, sans ĂȘtre pour autant un droit absolu.Pourquoi notre Cour devrait-elle ĂȘtre plus timide, elle qui revendique le rĂŽled’une cour constitutionnelle dans l’ordre europĂ©en des droits de l’homme ?

13. Evidemment, en affirmant l’applicabilitĂ© de l’article 2, Ă  la lettre ouen substance, on est conduit Ă  se poser en toute hypothĂšse  (et non commeavec le prĂ©sent arrĂȘt seulement dans le cas d’espĂšce) la question de sonrespect ou de sa mĂ©connaissance. Mais, lĂ  encore, cela ne devrait paseffrayer notre Cour. Dans la dĂ©cision  Boso  prĂ©citĂ©e, elle a mesurĂ© la loi

critiquĂ©e Ă  l’aune du « juste Ă©quilibre ». Cela veut bien dire qu’elle serait parvenue Ă  une conclusion opposĂ©e si l’application d’une lĂ©gislation autrelui Ă©tait apparue comme ne mĂ©nageant pas un Ă©quilibre juste entre la

 protection du fƓtus et les intĂ©rĂȘts de sa mĂšre. Potentiellement, elle contrĂŽledonc le respect de l’article 2 dans tous les cas oĂč la « vie » du fƓtus estatteinte.

14. De mĂȘme on pourra observer que l’article 2 Ă©tant non dĂ©rogeable ausens de l’article 15 de la Convention il serait saugrenu que la Cour admĂźtqu’il n’est pas absolu ; ou qu’il pĂ»t souffrir des limitations implicites endehors des cas limitativement Ă©noncĂ©s au second alinĂ©a de l’article 2. Celamiliterait en faveur d’une inapplicabilitĂ© de cet article au cas de l’enfant Ă naĂźtre (cas qui n’est nullement envisagĂ© au second alinĂ©a). Mais je ne suis

 pas convaincu par ce double argument. La non-dĂ©rogeabilitĂ© interditseulement aux Etats parties, qui peuvent en vertu de l’article 15 se prĂ©valoird’un Ă©tat de guerre ou d’un autre danger public menaçant la vie de la nation

 pour prendre des mesures dĂ©rogeant Ă  la Convention, de mĂ©connaĂźtre dansce cas l’article 2 : mais l’hypothĂšse de l’atteinte portĂ©e Ă  l’enfant Ă  naĂźtre n’aĂ  l’évidence rien Ă  voir avec ce type de situations, et de circonstancesexceptionnelles. Plus troublant sur le plan logique est le raisonnement fondĂ©sur la lettre mĂȘme de l’article 2. Mais, outre que la Cour a dĂ©jĂ  franchi le

 pas (sans conteste, par sa dĂ©cision  Boso), on ne peut pas dĂ©duire avec

certitude de cette lettre qu’elle prohibe clairement toute interruption degrossesse volontaire, ne serait-ce que parce que plusieurs Etats contractantsont ratifiĂ© sans problĂšmes apparents la Convention alors que leurslĂ©gislations admettaient dĂ©jĂ , dans certains cas, une telle interruption. A plusforte raison faut-il tenir compte, dans le cadre d’une interprĂ©tation Ă©volutivede l’article 2, du grand nombre de pays europĂ©ens qui, dans les annĂ©es 70,ont adoptĂ© des lois tolĂ©rant l’IVG tout en l’encadrant strictement.

15. Sur le plan des effets potentiels de l’applicabilitĂ© de l’article 2, on pourra peut-ĂȘtre objecter Ă  l’inverse que la prĂ©sente hypothĂšse se distinguede l’IVG, et qu’une atteinte fatale au fƓtus rĂ©sultant d’une faute mĂ©dicale,

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50 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE COSTA,À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA

ou de toute autre nĂ©gligence ou imprudence, est diffĂ©rente d’une cessationde la grossesse voulue par la mĂšre elle-mĂȘme, placĂ©e dans une situation de

dĂ©tresse. Autrement dit, ceux et celles qui, au nom de la libertĂ© de la femme,dĂ©fendent le principe de l’IVG pourraient craindre que la reconnaissance del’applicabilitĂ© de l’article 2 ne menace indirectement ces lĂ©gislations. Il estexact que l’« amendement Garraud » mentionnĂ© dans l’arrĂȘt, finalementretirĂ© du dĂ©bat au Parlement, a suscitĂ© en France une vive opposition, en

 particulier (mais pas seulement) de la part des partisans de la loi sur l’IVG, justement pour cette raison (car il visait Ă  instituer un dĂ©lit d’interruptioninvolontaire de grossesse).

16. Mais je ne crois pas que ces craintes soient légitimement justifiées,ne serait-ce que parce que, précisément, une femme qui perd son enfant ànaßtre contre sa volonté et contre ses espérances de maternité est dans une

situation radicalement diffĂ©rente de celle qui se rĂ©signe – fĂ»t-ce, pour elleaussi, dans la souffrance et dans le deuil – Ă  demander que l’on mette fin Ă sa grossesse. De toute façon, ce n’est pas une dĂ©cision juridique(l’applicabilitĂ©, ou non, de l’article 2 de la Convention) qui rĂ©soudra lescontroverses Ă©thiques, et encore moins qui justifiera des choix politiques desociĂ©tĂ©. En outre, dans la mesure oĂč l’arrĂȘt Vo c. France n’exige pas – et jesuis d’accord – une protection  pĂ©nale contre le risque de perte du fƓtus, ilne plaide pas, en tout Ă©tat de cause, en faveur de la pĂ©nalisation del’interruption involontaire de grossesse.

17. Bref, je ne vois aucune raison convaincante en droit, ni aucuneconsidĂ©ration dĂ©cisive d’opportunitĂ©, qui puisse me conduire Ă  penser quel’article 2, ici, devrait ne pas s’appliquer. Sur un plan gĂ©nĂ©ral, je crois(comme plusieurs hautes juridictions en Europe) qu’il y a bien une vie avantla naissance, au sens de l’article 2, que la loi doit donc la protĂ©ger, et que sile lĂ©gislateur national considĂšre que cette protection ne peut pas ĂȘtreabsolue, il ne peut y dĂ©roger, particuliĂšrement en cas d’interruptionvolontaire de grossesse, qu’en encadrant cette dĂ©rogation et en lui donnantune portĂ©e restrictive. Quant au cas concret de Mme Vo, les circonstancesmilitent a fortiori  en faveur de l’applicabilitĂ© de l’article 2, puisque lagrossesse Ă©tait de six mois (faut-il rappeler – Ă  titre purement indicatif –qu’aux yeux de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande la vie

commence au bout de quatorze jours de gestation ?), que le fƓtus avait defortes chances de naĂźtre viable et qu’enfin c’est manifestement une faute quia mis fin Ă  la grossesse, contre la volontĂ© de la requĂ©rante.

18. Je n’ai rien d’autre Ă  dire, car pour ce qui est de la non-violation del’article 2, l’arrĂȘt, avec quelques nuances mineures, exprime une opinionque je partage.

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  ARRÊT VO c. FRANCE 51

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS

1. L’obligation positive de la France de protĂ©ger la vie des enfants Ă naĂźtre contre des homicides involontaires, c’est-Ă -dire des actions parnĂ©gligence qui peuvent causer la mort de l’enfant, ne sera remplie que s’il ya dans le droit français des procĂ©dures effectives permettant de prĂ©venir larĂ©pĂ©tition de telles nĂ©gligences. Sur ce point je ne peux pas suivre lamajoritĂ© selon laquelle une seule action en responsabilitĂ© administrativedevant le juge administratif (faute allĂ©guĂ©e du mĂ©decin hospitalier) offreune protection effective et suffisante Ă  l’enfant Ă  naĂźtre contre desnĂ©gligences mĂ©dicales. Comme cela a Ă©tĂ© soulignĂ© dans l’opinion

 partiellement dissidente des juges Rozakis, Bonello et StrĂĄĆŸnickĂĄ dansl’affaire Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, CEDH 2002-I), desactions pour dommages matĂ©riels et mĂȘme moraux ne correspondent pasdans toutes les circonstances aux intĂ©rĂȘts de protection de la vie dansl’hypothĂšse d’une atteinte involontaire, surtout, comme en l’espĂšce, dans lecas d’une mĂšre qui a perdu son enfant Ă  cause de la nĂ©gligence d’unmĂ©decin. MĂȘme si j’ai admis le rĂ©sultat dans l’affaire Calvelli et Ciglio, quireposait sur le fait que les requĂ©rants avaient acceptĂ© une indemnitĂ© par unrĂšglement amiable, il y avait lĂ  quand mĂȘme une procĂ©dure pĂ©nale qui ne fut

 pas continuĂ©e en raison de la prescription du dĂ©lit.Ce n’est pas une question de vengeance qui fait penser Ă  la protection

 pĂ©nale, mais plutĂŽt la question de la prĂ©vention. C’est en gĂ©nĂ©ral par le droit pĂ©nal que la sociĂ©tĂ© met en garde de la façon la plus explicite et stricte lesmembres de la sociĂ©tĂ© et qu’elle souligne les valeurs Ă  protĂ©ger

 principalement. La vie, qui est une des valeurs sinon la valeur principale dela Convention (Streletz, Kessler et   Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96,35532/97 et 44801/98, §§ 92-94, CEDH 2001-II, et  McCann et autresc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 27 septembre 1995, sĂ©rie A no  324, pp. 45-46,§ 147), demande en principe une protection pĂ©nale pour ĂȘtre suffisammentassurĂ©e et protĂ©gĂ©e. Des responsabilitĂ©s pĂ©cuniaires par la voie del’indemnisation n’entrent qu’en deuxiĂšme ligne dans cette Ă©chelle de

 protection. En outre, les hĂŽpitaux et les mĂ©decins sont normalement assurĂ©scontre de tels risques, ce qui diminue encore plus la « pression » sur eux.2. On pourrait penser qu’une sanction disciplinaire contre un mĂ©decin

 peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©quivalant Ă  une sanction pĂ©nale dans certainessituations. Des mesures disciplinaires ont Ă©tĂ© envisagĂ©es comme une autresolution pour prĂ©venir ces nĂ©gligences dans l’affaire Calvelli et Ciglio (arrĂȘt

 prĂ©citĂ©, § 51). Mais il est Ă©galement clair qu’une sanction disciplinaire, aussi pĂ©nible qu’elle puisse ĂȘtre sur le plan professionnel, n’équivaut pas Ă  unedĂ©valorisation gĂ©nĂ©rale (Unwerturteil ). Elle est soumise Ă  des conditionstout Ă  fait spĂ©cifiques de la profession (contrĂŽle interne professionnel) et ne

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52 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS

remplit pas en général les conditions de la prévention nécessaire pour unevaleur aussi importante que la vie. Néanmoins, on doit se demander si dans

la présente affaire une sanction disciplinaire pour une faute aussi graveaurait pu se révéler suffisante pour cette prévention. Car justement le

 problĂšme est lĂ , parce que les autoritĂ©s n’ont jamais introduit une telle procĂ©dure disciplinaire contre le mĂ©decin. Pour une faute aussi grave quecelle du docteur G., au moins une telle procĂ©dure disciplinaire avec unemesure adĂ©quate aurait pu donner au corps mĂ©dical le signal voulu pour

 prĂ©venir la rĂ©pĂ©tition de tels Ă©vĂ©nements tragiques. Il ne me semble pasnĂ©cessaire de dire qu’il faut une loi pĂ©nale en France. Mais il faut en toutcas une pratique disciplinaire stricte afin de remplir les exigences d’une

 protection effective de la vie des enfants Ă  naĂźtre. A mon avis il n’y avaitdonc pas une protection effective.

3. Pour arriver Ă  cette conclusion il me semble devoir constater quel’article 2 s’applique Ă  la vie de l’enfant Ă  naĂźtre. Je suis disposĂ© Ă  accepterqu’il y a des diffĂ©rences admissibles du niveau de protection entrel’embryon et l’enfant nĂ©. Mais cela ne mĂšne nĂ©anmoins pas Ă  la conclusion(voir le paragraphe 85 de l’arrĂȘt) qu’il n’est pas possible de rĂ©pondre inabstracto Ă  la question de savoir si l’embryon Ă  naĂźtre est une personne auxfins de l’article 2 de la Convention. Toute la jurisprudence de la Courcomme les dĂ©cisions de la Commission (voir les paragraphes 75-80)reposent sur un argument « supposant que » (in eventu). DĂ©sormais, ce n’est

 plus une question d’économie de procĂ©dure qui nĂ©cessite d’éviter unerĂ©ponse claire. En plus, le problĂšme de la protection de l’embryon dans lecadre de la Convention ne peut pas ĂȘtre rĂ©solu seulement Ă  travers la

 protection de la vie de la mĂšre. L’embryon et la mĂšre Ă©tant deux « ĂȘtreshumains » diffĂ©rents, comme le montre cette affaire, ils ont besoin d’ĂȘtre

 protĂ©gĂ©s chacun sĂ©parĂ©ment.4. La Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s (article 31 § 1)

demande de prendre comme base d’interprĂ©tation le sens ordinaire Ă attribuer aux termes du traitĂ© dans le contexte et Ă  la lumiĂšre de son objet etde son but. Le sens ordinaire ne peut ĂȘtre compris que dans l’ensemble dutexte. La notion de « toute personne » (everyone) a Ă©tĂ© perçue dans l’histoire

 juridique comme englobant aussi l’ĂȘtre humain dans la phase antĂ©rieure Ă  la

naissance et, surtout, la notion de « vie » s’étend Ă  toute vie humaine quicommence avec la conception, c’est-Ă -dire avec le moment oĂč se dĂ©veloppeune existence indĂ©pendante, et qui finit avec la mort, la naissance n’étantqu’une Ă©tape de ce dĂ©veloppement.

La structure de l’article 2 et, en particulier, les exceptions du second paragraphe semblent indiquer que seules les personnes dĂ©jĂ  nĂ©es sont visĂ©eset qu’en plus seules ces personnes peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme

 porteuses des droits de la Convention. Dans le « but » de la Conventiond’assurer une protection Ă©tendue, une telle argumentation ne semble pascontraignante. D’abord le fƓtus peut ĂȘtre visĂ© comme objet de protection,

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS 53

surtout dans le cadre de l’article 8 § 2 (voir l’arrĂȘt OdiĂšvre c. France [GC],no 42326/98, § 45, CEDH 2003-III). En plus, la pratique de la Commission

et de la Cour contient des indications selon lesquelles l’article 2 estapplicable Ă  l’enfant Ă  naĂźtre. Dans toutes les affaires oĂč cette question a Ă©tĂ©tranchĂ©e, la Commission et la Cour ont dĂ©veloppĂ© une conception delimitation implicite ou de juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts de la sociĂ©tĂ© etceux de l’individu, soit de la mĂšre soit de l’enfant Ă  naĂźtre. Certes, cesconsidĂ©rations ont Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©es en relation avec des rĂ©glementationsconcernant l’interruption volontaire de grossesse et non l’interruptioninvolontaire. Mais il est clair que toutes ces considĂ©rations n’auraient pasĂ©tĂ© nĂ©cessaires si les organes de la Convention avaient dĂšs le dĂ©but Ă©tĂ©d’avis que l’article 2 ne pourrait pas s’appliquer Ă  l’enfant Ă  naĂźtre. MĂȘme siformellement la Commission et la Cour ont laissĂ© la question ouverte, un tel

Ă©difice juridique prouve que les deux institutions Ă©taient enclines Ă  suivre lesens ordinaire de la « vie humaine » et aussi de « toute personne » plutĂŽtque l’autre sens.

De mĂȘme, la pratique des Etats contractants, qui ont eu quasiment tousdes problĂšmes constitutionnels avec leur rĂ©glementation de l’avortement,c’est-Ă -dire de l’interruption volontaire de grossesse, montre bien que la

 protection de la vie humaine s’étend en principe aussi au fƓtus. Les rĂšglesspĂ©cifiques pour l’avortement volontaire n’auraient pas Ă©tĂ© nĂ©cessaires si lefƓtus n’avait pas eu de vie Ă  protĂ©ger et Ă©tait soumis complĂštement jusqu’àla naissance Ă  la volontĂ© illimitĂ©e de la femme enceinte. Presque tous lesEtats contractants ont eu des problĂšmes parce que, en principe, d’aprĂšs leurdroit constitutionnel la protection de la vie s’étend aussi Ă  la phaseantĂ©rieure Ă  la naissance.

5. Il est Ă©vident que les discussions sur la protection gĂ©nĂ©tique dans plusieurs des conventions rĂ©centes et aussi l’interdiction du clonagereproductif des « ĂȘtres humains » dans la Charte des droits fondamentaux del’Union europĂ©enne (article 3 § 2, dernier alinĂ©a) partent de l’idĂ©e que la

 protection de la vie s’étend Ă  l’ĂȘtre humain dans sa phase initiale. LaConvention, conçue comme un instrument vivant qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©selon les conditions actuelles de la sociĂ©tĂ©, doit prendre en considĂ©ration untel dĂ©veloppement qui ne peut que confirmer le sens ordinaire d’aprĂšs

l’article 32 de la Convention de Vienne.MĂȘme si on suppose que le sens ordinaire de la « vie humaine » dansl’article 2 de la Convention n’est pas tout Ă  fait clair et se prĂȘte Ă  desinterprĂ©tations divergentes, les exigences de protection de la vie humainedemandent une protection plus Ă©tendue surtout en vue des moyens demanipulation gĂ©nĂ©tique et de la production illimitĂ©e d’embryons pour des

 buts divers. L’interprĂ©tation de l’article 2 doit Ă©voluer selon cesdĂ©veloppements et exigences et permettre de rĂ©pondre aux vrais dangersactuels pour la vie humaine. Une limite d’une telle interprĂ©tation dynamiquedoit prendre en considĂ©ration la relation entre la vie nĂ©e et la vie pas encore

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54 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS

nĂ©e, c’est-Ă -dire qu’il ne serait pas admissible de protĂ©ger le fƓtus audĂ©triment de sa mĂšre.

6. Le fait que plusieurs articles de la Convention contiennent desgaranties qui par leur nature ne peuvent s’étendre qu’à des personnes dĂ©jĂ nĂ©es n’est pas un argument susceptible de mettre en cause ce rĂ©sultat. Eneffet, si le champ d’application de ces articles par leur nature ne peuts’étendre qu’à des personnes physiques ou morales, ou Ă  des personnes

 physiques dĂ©jĂ  nĂ©es ou adultes, il n’est pas exclu que d’autres dispositionscomme la premiĂšre phrase de l’article 2 ne puissent pas inclure une

 protection de la vie dans la phase initiale de l’ĂȘtre humain.7. Il faut souligner que la prĂ©sente affaire n’a rien Ă  voir avec la

rĂ©glementation de l’interruption volontaire de grossesse. Il s’agit lĂ  d’uneautre question qui se distingue fondamentalement de toutes les ingĂ©rences

contre la volontĂ© de la mĂšre dans la vie et le bien-ĂȘtre de son enfant. Notreaffaire concerne des infractions commises par des tiers contre la vie dufƓtus, sinon celle de la mĂšre, tandis que l’avortement volontaire concerneuniquement les relations entre l’enfant et la mĂšre et la question de la

 protection des deux par l’Etat. L’applicabilitĂ© de l’article 2 Ă  la vie humaineavant la naissance peut, certes, avoir des rĂ©percussions sur la rĂ©glementationde l’interruption volontaire de grossesse, mais ces consĂ©quences ne donnent

 pas un argument contre l’applicabilitĂ© de l’article 2. Au contraire.En plus, il n’est pas nĂ©cessaire dans cette affaire de statuer sur la

question de savoir quand la vie commence. On a constatĂ© que le fƓtus de lavingt et uniĂšme semaine Ă©tait viable, bien que je croie que la notion de laviabilitĂ© ne peut pas limiter l’obligation positive de l’Etat de protĂ©gerl’enfant Ă  naĂźtre contre les ingĂ©rences et les nĂ©gligences des mĂ©decins.

8. Il ne peut pas exister une marge d’apprĂ©ciation pour rĂ©pondre Ă  laquestion de savoir si l’article 2 est applicable. Une certaine latitude est Ă mon avis possible dans le cadre des mesures prises pour remplir l’obligation

 positive dĂ©coulant de l’applicabilitĂ© de l’article 2, mais on ne peut pasrestreindre l’applicabilitĂ© de cet article par rĂ©fĂ©rence Ă  une marged’apprĂ©ciation. La question de l’interprĂ©tation ou de l’applicabilitĂ© del’article 2 (droit absolu) ne peut pas dĂ©pendre d’une marge d’apprĂ©ciation.S’il est applicable, seule la consĂ©quence peut ĂȘtre rĂ©gie par une telle marge.

9. Etant donnĂ© que l’article 2 est applicable Ă  l’ĂȘtre humain dĂšs avant sanaissance, interprĂ©tation qui me semble aussi conforme au dĂ©veloppementde la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, et Ă©tant donnĂ©que la protection du fƓtus contre des ingĂ©rences de tiers par nĂ©gligencen’est pas suffisante en France, j’arrive Ă  la conclusion qu’il y a eu violationde l’article 2 de la Convention. Quant aux mesures spĂ©cifiques pour remplircette obligation positive, il revient Ă  l’Etat dĂ©fendeur de les prendre, soit enadoptant des mesures disciplinaires strictes, soit en prĂ©voyant une protection

 pĂ©nale (homicide involontaire).

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  ARRÊT VO c. FRANCE 55

OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER

Mme LA JUGE STRĂĆœNICKÁ

Je ne peux pas me rallier Ă  la conclusion de la majoritĂ©, lorsqu’elleestime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention, larequĂ©rante ayant disposĂ© de la possibilitĂ© d’engager une action enresponsabilitĂ© contre l’administration Ă  raison du fait imputĂ© au mĂ©decinhospitalier (paragraphe 91 de l’arrĂȘt). Faute pour elle d’avoir engagĂ© unetelle action, il n’y aurait donc pas eu violation de l’article 2.

Je suis d’accord avec la majoritĂ© quand elle soutient qu’il faut sedemander « si la protection juridique offerte par la France Ă  la requĂ©rante,

 par rapport Ă  la perte de l’enfant Ă  naĂźtre qu’elle portait, satisfaisait auxexigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă  l’article 2 de la Convention »(paragraphe 85 de l’arrĂȘt) et quand elle rappelle que « la premiĂšre phrase del’article 2, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention ence qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociĂ©tĂ©sdĂ©mocratiques qui forment le Conseil de l’Europe ( McCann et autresc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 27 septembre 1995, sĂ©rie A no  324, pp. 45-46,§ 147), impose Ă  l’Etat non seulement de s’abstenir de donner la mort« intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nĂ©cessaires Ă  la

 protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (voir parexemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 9 juin 1998, Recueil des arrĂȘts etdĂ©cisions 1998-III, p. 1403, § 36) » (paragraphe 88 de l’arrĂȘt).

Cependant, je parviens Ă  des conclusions tout Ă  fait diffĂ©rentes.Je constate qu’en dĂ©cembre 1991, date Ă  laquelle la requĂ©rante et son

compagnon portĂšrent plainte en se constituant partie civile pour blessuresinvolontaires ayant entraĂźnĂ© une incapacitĂ© totale de travail de moins detrois mois commises sur l’intĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur sonenfant, le Conseil d’Etat n’avait pas encore abandonnĂ© l’exigence d’unefaute lourde pour engager la responsabilitĂ© du service hospitalier(paragraphe 57 de l’arrĂȘt, observations du Gouvernement).

Certes, comme le relĂšve la majoritĂ©, la requĂ©rante aurait pu essayerd’engager une action en responsabilitĂ© contre l’administration avant la prescription de celle-ci. Mais je me demande si la Cour n’exige pas trop decette requĂ©rante, dans la mesure oĂč la solution adoptĂ©e par la Cour decassation dans son arrĂȘt du 30 juin 1999, confirmĂ©e ensuite dans ses arrĂȘtsdu 29 juin 2001 (assemblĂ©e plĂ©niĂšre) et du 25 juin 2002 (paragraphe 29 del’arrĂȘt), Ă©tait loin d’ĂȘtre acquise, comme en tĂ©moignent la jurisprudence ensens contraire des cours d’appel, la position des avocats gĂ©nĂ©raux prĂšs laCour de cassation et, enfin, la critique quasi unanime de la doctrine(paragraphe 31 de l’arrĂȘt). La requĂ©rante a choisi la voie pĂ©nale en

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56 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKÁ

invoquant les deux seuls articles susceptibles d’ĂȘtre invoquĂ©s, la possibilitĂ©d’obtenir gain de cause devant le juge administratif Ă©tant douteuse. Elle

nous dit qu’elle a choisi cette voie car l’instruction pĂ©nale facilite ladĂ©termination des responsabilitĂ©s (paragraphe 50 de l’arrĂȘt). Une telleexplication est tout Ă  fait logique : c’est exactement ce que font le plussouvent les justiciables dans tous les pays qui offrent la possibilitĂ© dechoisir entre la voie pĂ©nale et la voie civile ou administrative.

On pourrait soutenir que le systĂšme juridique français n’offrait Ă  larequĂ©rante, quand les tristes faits se sont dĂ©roulĂ©s, aucune voie de recours« effective ».

Admettons nĂ©anmoins que la requĂ©rante disposait d’une option entre lavoie pĂ©nale et la voie administrative. Etant entendu que la victime ne peut

 pas prĂ©tendre Ă  une double indemnisation du dommage subi, il me

semblerait disproportionné de reprocher à la requérante le fait de ne pasavoir simultanément engagé les deux recours. De surcroßt, cela ne serait pasconforme à notre jurisprudence.

Selon la jurisprudence des organes de Strasbourg, lorsque le requĂ©rant ala possibilitĂ© de choisir entre plusieurs voies de recours, l’article 35 doit ĂȘtreappliquĂ© d’une maniĂšre correspondant Ă  la rĂ©alitĂ© de la situation del’intĂ©ressĂ©, afin de lui garantir une protection efficace des droits et libertĂ©sinscrits dans la Convention ( Allgemeine Gold- und Silberscheideanstalt

 A.G. c. Royaume-Uni, no  9118/80, dĂ©cision de la Commission du 9 mars1983, DĂ©cisions et rapports (DR) 32, p. 172). Le requĂ©rant doit avoir fait unusage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants.Lorsqu’une voie de recours a Ă©tĂ© empruntĂ©e, l’usage d’une autre voie dontle but est pratiquement le mĂȘme n’est pas exigĂ© (WĂłjcik c. Pologne,no 26757/95, dĂ©cision de la Commission du 7 juillet 1997, DR 90-B, p. 28 ;GĂŒnaydin c. Turquie  (dĂ©c.), no 27526/95, 25 avril 2002 ;  Anagnostopoulosc. GrĂšce, no  54589/00, § 32, 3 avril 2003). Par ailleurs, le plaignant doitavoir uniquement utilisĂ© les recours Ă  la fois accessibles et adĂ©quats, c’est-Ă -dire de nature Ă  porter remĂšde Ă  ses griefs ( Airey c. Irlande, arrĂȘt du9 octobre 1979, sĂ©rie A no 32, p. 11, § 19 ;  Deweer c. Belgique, arrĂȘt du27 fĂ©vrier 1980, sĂ©rie A no 35, p. 16, § 29).

Et je me permets de rappeler que, dans l’affaire  Anagnostopoulos

 prĂ©citĂ©e, l’enjeu du litige Ă©tait un montant de 15 000 drachmes (soit environ44 euros), alors qu’il portait sur un enfant Ă  naĂźtre dans la prĂ©sente affaire.La majoritĂ© se rĂ©fĂšre souvent Ă  l’arrĂȘt Calvelli et Ciglio c. Italie  ([GC],

no 32967/96, CEDH 2002-I). Dans cet arrĂȘt, la Cour a dit que « si l’atteinteau droit Ă  la vie ou Ă  l’intĂ©gritĂ© physique n’est pas volontaire, l’obligation

 positive dĂ©coulant de l’article 2 de mettre en place un systĂšme judiciaireefficace n’exige pas nĂ©cessairement dans tous les cas un recours de nature

 pĂ©nale ». Elle a ajoutĂ© que « dans le contexte spĂ©cifique des nĂ©gligencesmĂ©dicales, pareille obligation peut ĂȘtre remplie aussi, par exemple, si lesystĂšme juridique en question offre aux intĂ©ressĂ©s un recours devant les

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI, 57À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKÁ

 juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pĂ©nales, aux fins d’établir la responsabilitĂ© des mĂ©decins en

cause et, le cas Ă©chĂ©ant, d’obtenir l’application de toute sanction civileappropriĂ©e, tels le versement des dommages-intĂ©rĂȘts et la publication del’arrĂȘt. Des mesures disciplinaires peuvent Ă©galement ĂȘtre envisagĂ©es »(§ 51).

J’estime que les diffĂ©rences entre les solutions offertes par les deuxsystĂšmes juridiques nationaux doivent l’emporter sur les similitudes. Dansl’affaire Calvelli et Ciglio, les requĂ©rants, respectivement pĂšre et mĂšre d’unnouveau-nĂ© dĂ©cĂ©dĂ© deux jours aprĂšs sa naissance, avaient entamĂ© une action

 pĂ©nale qui prit fin avec la prescription du dĂ©lit d’homicide par imprudencereprochĂ© au mĂ©decin accoucheur. Mais les requĂ©rants avaient pu citer cedernier devant le tribunal civil aprĂšs le jugement de condamnation du

tribunal pĂ©nal de premiĂšre instance intervenu sept ans aprĂšs le dĂ©cĂšs dunouveau-nĂ© et, le procĂšs civil pendant, ils avaient conclu un rĂšglement avecles assureurs du mĂ©decin et de la clinique au titre du dommage subi. LaCour a reconnu que le systĂšme juridique italien prĂ©voyait des moyenseffectifs de protection des intĂ©rĂȘts des requĂ©rants alternatifs Ă  la voie pĂ©nale(arrĂȘt prĂ©citĂ©, §§ 54-55), permettant ainsi Ă  l’Etat dĂ©fendeur de s’acquitterde ses obligations positives dĂ©coulant de l’article 2 de la Convention, ce qui,Ă  mon avis, n’est pas le cas dans cette affaire.

Je dois avouer que, si j’avais siĂ©gĂ© dans l’affaire Calvelli et Ciglio  prĂ©citĂ©e, j’aurais sans doute partagĂ© l’opinion partiellement dissidente des juges Rozakis, Bonello et StrĂĄĆŸnickĂĄ. A supposer que j’eusse suivi lamajoritĂ©, sa conclusion ne me paraĂźt pas pour autant transposable enl’espĂšce. Dans l’affaire Vo, le dĂ©lai de prescription de l’action devant letribunal administratif, Ă  l’époque de quatre ans Ă  compter de laconsolidation du dommage, Ă©tait Ă©chu quand le procĂšs pĂ©nal a pris fin. LarequĂ©rante n’a obtenu aucune rĂ©paration pour le prĂ©judice subi, y comprisen ce qui concerne la contravention de blessures involontaires commises sursa personne, cette infraction ayant Ă©tĂ© amnistiĂ©e par une loi du 3 aoĂ»t 1995.

J’en conclus que la protection juridique offerte par la France Ă  larequĂ©rante, eu Ă©gard Ă  la perte de l’enfant qu’elle portait, ne satisfaisait pasaux exigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă  l’article 2 de la Convention.

Il est Ă©vident que, n’acceptant pas le raisonnement de la majoritĂ© quiconsidĂšre que l’article 2 n’a pas Ă©tĂ© violĂ© pour une raison procĂ©durale etqu’il n’est donc pas nĂ©cessaire de dire si cet article est applicable, je doisexpliquer le raisonnement qui me conduit Ă  estimer que l’article 2 estapplicable et qu’il a Ă©tĂ© violĂ©.

Jusqu’à prĂ©sent, si les organes de la Convention ont Ă©vitĂ© de trancher laquestion de l’applicabilitĂ© ou non de l’article 2 aux enfants Ă  naĂźtre (voir les

 paragraphes 75-80 de l’arrĂȘt), ils n’ont pas exclu que le fƓtus puisse bĂ©nĂ©ficier d’une certaine protection au regard de la premiĂšre phrase del’article 2 ( H. c. NorvĂšge, no  17004/90, dĂ©cision de la Commission du

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58 ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKÁ

19 mai 1992, DR 73, p. 181 ;  Boso c. Italie  (dĂ©c.), no  50490/99, CEDH2002-VII).

En premier lieu, il convient de se rappeler que le travail des juges, auniveau national ou international, n’est pas toujours facile, surtout quand lesinterprĂ©tations possibles des textes peuvent aller dans deux sens opposĂ©s.

Les travaux prĂ©paratoires de la Convention sont muets quant Ă  l’étenduedes termes « personnes » et « vie » et quant Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 2avant la naissance.

Or je constate que, depuis les annĂ©es 50, les progrĂšs de la science, de la biologie et de la mĂ©decine ont Ă©tĂ© considĂ©rables, y compris en ce quiconcerne la phase antĂ©rieure Ă  la naissance.

De son cĂŽtĂ©, la communautĂ© politique s’interroge au niveau national etinternational sur la façon la plus appropriĂ©e de protĂ©ger, mĂȘme avant la

naissance, les droits de l’homme et la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain de certainesapplications de la biologie et de la mĂ©decine.

J’estime que l’on ne peut pas ignorer le grand dĂ©bat menĂ© ces derniĂšresannĂ©es au sein des parlements nationaux sur la bioĂ©thique et surl’opportunitĂ© de la rĂ©vision ou de l’introduction de lois sur l’assistancemĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et au diagnostic prĂ©natal, en renforçant lesgaranties, en prohibant des techniques telles que le clonage reproductif desĂȘtres humains et en encadrant strictement celles dont l’intĂ©rĂȘt mĂ©dical estavĂ©rĂ©.

La Convention sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine, ouverte Ă  lasignature Ă  Oviedo le 4 avril 1997 et entrĂ©e en vigueur le 1er  dĂ©cembre 1999,a, quant Ă  elle, pour but de protĂ©ger l’ĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ© et de garantir Ă  toute personne, sans discrimination, le respect deson intĂ©gritĂ© et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă  l’égard desapplications de la biologie et de la mĂ©decine. Elle protĂšge la dignitĂ© de toute

 personne mĂȘme avant la naissance et a pour souci principal d’éviterqu’aucune forme de recherche ou d’intervention ne puisse ĂȘtre entreprise enviolation de la dignitĂ© et de l’identitĂ© de l’ĂȘtre humain. Cette convention,

 bien que trĂšs rĂ©cente, ne dĂ©finit pas non plus le terme de « personne » etdistingue entre « personne » et « ĂȘtre humain », dont, Ă  l’article 2, elleaffirme la primautĂ© comme suit : « L’intĂ©rĂȘt et le bien de l’ĂȘtre humain

doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. » Quant au problĂšme de la dĂ©finition du terme de « personne », le rapport explicatif dela Direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe indique, au

 paragraphe 18, qu’« en l’absence d’unanimitĂ©, parmi les Etats membres duConseil de l’Europe, sur la dĂ©finition de [ce terme], il a Ă©tĂ© convenu delaisser au droit interne le soin Ă©ventuel d’apporter les prĂ©cisions pertinentesaux effets de l’application de la prĂ©sente Convention ».

Par ailleurs, j’observe que, dans cette convention, il y a sans doute desdispositions concernant la phase d’avant naissance (voir par exemple lechapitre IV – GĂ©nome humain). Notre Cour peut ĂȘtre saisie en application

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  ARRÊT VO c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI, 59À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKÁ

de l’article 29 de cette convention pour donner des avis consultatifs sur desquestions juridiques relatives Ă  son interprĂ©tation. Aucune restriction Ă  cette

facultĂ© n’a Ă©tĂ© prĂ©vue par les Etats contractants de façon Ă  limiter lacompĂ©tence de notre Cour aux questions portant uniquement sur les faits quise dĂ©roulent aprĂšs la naissance.

En prĂ©sence d’une sĂ©rie de silences ou bien de renvois, il faut tout demĂȘme donner une rĂ©ponse Ă  la requĂ©rante.

En deuxiĂšme lieu, je tiens Ă  souligner que les juges doivent rendre unedĂ©cision sur l’affaire concrĂšte qui leur est prĂ©sentĂ©e. La requĂȘte a pour objetune interruption de grossesse provoquĂ©e par la faute d’un mĂ©decin sur unfƓtus qui avait entre vingt et vingt-quatre semaines, contre la volontĂ© de lamĂšre.

A ce propos, j’estime que l’on ne peut pas ignorer le fait que l’ñge du

fƓtus, dans le cas d’espĂšce, Ă©tait trĂšs proche de celui de certains fƓtus ayant pu survivre, mais Ă©galement le fait qu’aujourd’hui, grĂące aux progrĂšsscientifiques, on connaĂźt presque tout d’un fƓtus de cet Ăąge : son poids, sonsexe, ses dimensions exactes, ses Ă©ventuels malformations ou problĂšmes.S’il n’a pas encore d’existence indĂ©pendante de celle de la mĂšre (mais dansles premiĂšres annĂ©es de vie un enfant ne peut non plus survivre de façonautonome, sans l’aide de quelqu’un qui s’occupe de lui), je considĂšre qu’ilest un ĂȘtre distinct de sa mĂšre.

Si la personnalitĂ© juridique n’apparaĂźt qu’à la naissance, cela ne signifienullement, Ă  mon avis, que « le droit de toute personne Ă  la vie » ne doit pasĂȘtre reconnu et protĂ©gĂ© avant la naissance. Cela me paraĂźt d’ailleurs ĂȘtre un

 principe partagĂ© par tous les pays membres du Conseil de l’Europe : les loisadoptĂ©es au niveau national afin de permettre l’interruption volontaire degrossesse n’auraient pas Ă©tĂ© nĂ©cessaires si le fƓtus n’avait pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ©comme une vie Ă  protĂ©ger. Elles reprĂ©sentent donc une exception Ă  la rĂšglede la protection de la vie des personnes, et ce mĂȘme avant la naissance.

Je rappelle que de toute façon cette affaire n’a rien Ă  voir avec larĂ©glementation, par les lois nationales, de l’interruption volontaire degrossesse, qui a Ă©tĂ© depuis longtemps l’objet de requĂȘtes devant les organesde Strasbourg et qui a Ă©tĂ© jugĂ©e conforme Ă  la Convention (paragraphes 75-80 de l’arrĂȘt).

J’estime que, comme les autres articles de la Convention, l’article 2 doitĂȘtre interprĂ©tĂ© de façon Ă©volutive afin de permettre aussi de rĂ©pondre auxgrands dangers actuels pour la vie humaine. Les moyens des manipulationsgĂ©nĂ©tiques et la possibilitĂ© d’une utilisation des rĂ©sultats scientifiques enviolation de la dignitĂ© et de l’identitĂ© de l’ĂȘtre humain l’imposent. La Coura, de plus, souvent affirmĂ© que la Convention est un instrument vivant, Ă interprĂ©ter Ă  la lumiĂšre des conditions actuelles (voir, par exemple, Tyrerc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 25 avril 1978, sĂ©rie A no  26, pp. 15-16, § 31 ;

 Loizidou c. Turquie  (exceptions prĂ©liminaires), arrĂȘt du 23 mars 1995,

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sĂ©rie A no 310, p. 26, § 71 ;  Mazurek c. France, no 34406/97, § 49, CEDH2000-II).

J’en conclus donc que l’article 2 de la Convention est applicable enl’espĂšce et qu’il a Ă©tĂ© violĂ©, dans la mesure oĂč le droit Ă  la vie n’a pas Ă©tĂ©

 protĂ©gĂ© par la loi de l’Etat dĂ©fendeur.