Upload
tania-panaite
View
19
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
.
Citation preview
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 1/62
CONSEILDE LâEUROPE COUNCILOF EUROPE
COUR EUROPĂENNE DES DROITS DE LâHOMMEEUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
AFFAIRE VO c. FRANCE
(RequĂȘte no 53924/00)
ARRĂT
STRASBOURG
8 juillet 2004
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 2/62
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 3/62
En lâaffaire Vo c. France,La Cour europĂ©enne des Droits de lâHomme, siĂ©geant en une Grande
Chambre composée de :MM. L. WILDHABER , président ,
C.L. R OZAKIS,J.-P. COSTA,G. R ESS,
Sir Nicolas BRATZA,M. L. CAFLISCH,Mme V. STRAZNICKA,MM. P. LORENZEN,
K. JUNGWIERT,M. FISCHBACH,
J. HEDIGAN,Mme W. THOMASSEN,MM. A.B. BAKA,
K. TRAJA,M. UGREKHELIDZE,
Mme A. MULARONI,M. K. HAJIYEV, juges,
et de M. P.J. MAHONEY, greffier ,AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 décembre 2003 et
2 juin 2004,Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette derniĂšre date :
PROCĂDURE
1. A lâorigine de lâaffaire se trouve une requĂȘte (no 53924/00) dirigĂ©econtre la RĂ©publique française et dont une ressortissante de cet Etat,Mme Thi-Nho Vo (« la requĂ©rante »), a saisi la Cour le 20 dĂ©cembre 1999 envertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de lâHommeet des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me B. Le Griel, avocat à Paris. Legouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent,M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministÚre des AffairesétrangÚres.
3. La requĂ©rante allĂ©guait en particulier la violation de lâarticle 2 de laConvention au motif que lâincrimination dâhomicide involontaire nâavait
pas Ă©tĂ© retenue Ă lâencontre du mĂ©decin responsable de la mort de sonenfant in utero.
4. La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la troisiĂšme section de la Cour (article 52§ 1 du rĂšglement). Au sein de celle-ci, la chambre chargĂ©e dâexaminer
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 4/62
2 ARRĂT VO c. FRANCE
lâaffaire a dĂ©cidĂ©, le 22 mai 2003, de se dessaisir au profit de la GrandeChambre avec effet immĂ©diat, aucune des parties ne sây Ă©tant opposĂ©e
(articles 30 de la Convention et 72 du rĂšglement).5. La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment
aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du rÚglement.6. La requérante et le Gouvernement ont déposé des observations écrites
sur la recevabilitĂ© et le fond de lâaffaire. Par ailleurs, des observations ontĂ©galement Ă©tĂ© reçues du Centre des droits gĂ©nĂ©siques (Center forReproductive Rights) et de lâAssociation pour le planning familial (FamilyPlanning Association), autorisĂ©s par le prĂ©sident Ă intervenir dans la
procĂ©dure Ă©crite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du rĂšglement).7. Une audience consacrĂ©e Ă la recevabilitĂ© et au fond de lâaffaire sâest
dĂ©roulĂ©e en public au Palais des Droits de lâHomme, Ă Strasbourg, le
10 décembre 2003 (article 59 § 3 du rÚglement).
Ont comparu :
â pour le Gouvernement MM. F. ALABRUNE, directeur adjoint des affaires juridiques
au ministÚre des Affaires étrangÚres, agent ,G. DUTERTRE, rédacteur à la sous-direction
des droits de lâhommede la direction des affaires juridiquesdu ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres,
Mme J. VAILHE, rédactrice au service des affaires européenneset internationales du ministÚre de la Justice,
MM. P. PRACHE, direction des affaires criminelles et des grĂącesdu ministĂšre de la Justice,
H. BLONDET, conseiller à la Cour de cassation,Mme V. SAGANT, service des affaires européennes
et internationales du ministĂšre de la Justice, conseils ;
â pour la requĂ©rante Me B. LE GRIEL, avocat au barreau de Paris, conseil .
La Cour a entendu en leurs dĂ©clarations Me Le Griel et M. Alabrune.8. ConformĂ©ment aux dispositions de lâarticle 29 § 3 de la Convention et
de lâarticle 54 A § 3 du rĂšglement, la Cour a dĂ©cidĂ© dâexaminerconjointement la recevabilitĂ© et le fond de la requĂȘte.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 5/62
ARRĂT VO c. FRANCE 3
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
9. La requĂ©rante est nĂ©e en 1967 et rĂ©side Ă Bourg-en-Bresse.10. Le 27 novembre 1991, la requĂ©rante, dâorigine vietnamienne, se
prĂ©senta Ă lâhĂŽpital de lâHĂŽtel-Dieu de Lyon pour y subir la visite mĂ©dicaledu sixiĂšme mois de sa grossesse.
11. Le mĂȘme jour, une autre femme, nommĂ©e Mme Thi Thanh Van Vo,devait se faire enlever un stĂ©rilet dans le mĂȘme Ă©tablissement. Le mĂ©decin,le docteur G., qui devait effectuer cette opĂ©ration appela dans la salledâattente « Madame Vo », appel auquel la requĂ©rante rĂ©pondit.
AprĂšs un bref entretien, le mĂ©decin constata que la requĂ©rante necomprenait pas bien le français. Ayant Ă©tudiĂ© le dossier, il entreprit dâĂŽter lestĂ©rilet sans aucun examen prĂ©alable de la patiente. En cours dâopĂ©ration, lemĂ©decin perça la poche des eaux, entraĂźnant ainsi une importante perte duliquide amniotique.
AprĂšs un examen clinique qui rĂ©vĂ©la lâexistence dâun gros utĂ©rus, lemĂ©decin prescrivit une Ă©chographie. Il apprit alors que celle-ci venait dâĂȘtrefaite et comprit quâune erreur sur la personne avait Ă©tĂ© commise. LarequĂ©rante fut immĂ©diatement hospitalisĂ©e.
Le docteur G. tenta ensuite de procĂ©der Ă lâenlĂšvement du stĂ©rilet sur
M
me
Thi Thanh Van Vo et, nây rĂ©ussissant pas, prescrivit une interventionsous anesthĂ©sie gĂ©nĂ©rale devant avoir lieu le lendemain matin. Une nouvelleerreur Ă©tait alors commise et la requĂ©rante, conduite au bloc opĂ©ratoire Ă la
place de Mme Thi Thanh Van Vo, ne dut quâĂ ses protestations et au faitquâun mĂ©decin anesthĂ©siste la reconnut dâĂ©chapper Ă lâinterventionchirurgicale destinĂ©e Ă son homonyme.
12. La requĂ©rante quitta lâhĂŽpital le 29 novembre 1991. Le 4 dĂ©cembre1991, elle y revint pour la vĂ©rification de lâĂ©volution de sa grossesse ; lesmĂ©decins constatĂšrent que le liquide amniotique ne sâĂ©tait pas reconstituĂ© etque la grossesse ne pouvait plus se poursuivre. Une interruptionthĂ©rapeutique de la grossesse fut effectuĂ©e le 5 dĂ©cembre 1991.
13. Le 11 dĂ©cembre 1991, la requĂ©rante et son compagnon portĂšrent plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires ayantentraĂźnĂ© une incapacitĂ© totale de travail de moins de trois mois commisessur lâintĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur son enfant. A la suite de cette
plainte, trois rapports dâexpertise furent dĂ©posĂ©s.14. Le premier rapport, remis le 16 janvier 1992, conclut que le fĆtus de
sexe fĂ©minin devait se trouver entre vingt et vingt et une semaines depuis laconception, quâil pesait 375 grammes, mesurait 28 centimĂštres, avait un
pĂ©rimĂštre crĂąnien de 17 centimĂštres, et quâil nâavait pas respirĂ© Ă sa sortie.Lâexpertise conclut Ă©galement quâil nây avait aucun signe de violence ou de
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 6/62
4 ARRĂT VO c. FRANCE
malformation et quâaucun constat ne permettait dâattribuer le dĂ©cĂšs Ă unecause morphologique ou Ă une atteinte organique. Par ailleurs, lâautopsie
rĂ©alisĂ©e Ă la suite de lâavortement thĂ©rapeutique et lâanalyse anatomo- pathologique du corps permirent de conclure que le poumon fĆtal prĂ©sentaitun Ăąge de vingt Ă vingt-quatre semaines.
15. Le 3 août 1992, un deuxiÚme rapport fut déposé concernant les blessures commises sur la personne de la requérante :
« a) Il existe une pĂ©riode dâincapacitĂ© temporaire totale du 27 novembre 1991 au13 dĂ©cembre 1991, date dâentrĂ©e Ă la clinique du Tonkin pour une tout autre pathologie (appendicectomie)
b) la date de consolidation peut ĂȘtre fixĂ©e au 13 dĂ©cembre 1991
c) il nâexiste pas de prĂ©judice dâagrĂ©mentd) il nâexiste pas de prĂ©judice esthĂ©tique
e) il nâexiste pas de prĂ©judice professionnel
f) il nâexiste pas dâincapacitĂ© permanente partielle
Il reste Ă Ă©valuer le pretium doloris dĂ» aux rĂ©percussions de cet Ă©vĂ©nement. Ilconviendrait de faire ces Ă©valuations avec un mĂ©decin dâorigine vietnamienne et psychiatre ou psychologue. »
16. Le troisiĂšme rapport, rendu le 29 septembre 1992, fit Ă©tat du
dysfonctionnement du service hospitalier mis en cause et de la négligencedu médecin :
« 1o Lâorganisation des consultations des services des professeurs [T.] et [R.] Ă lâHĂŽtel-Dieu de Lyon nâest pas exempte de reproches, en particulier en ce quiconcerne les risques de confusion dus aux homonymies frĂ©quentes des patientesdâorigine Ă©trangĂšre, risque sĂ»rement augmentĂ© du fait de leur ignorance ou de leurcomprĂ©hension limitĂ©e de notre langue.
2o Une orientation imprĂ©cise des patientes, une dĂ©signation insuffisamment clairedes bureaux mĂ©dicaux et des mĂ©decins y consultant ont favorisĂ© lâinversion des patientes de patronyme voisin et expliquent que le Dr [G.] ayant pris connaissance dudossier mĂ©dical de Mme Thi Thanh Van Vo a vu se prĂ©senter Ă son appel [la
requĂ©rante].3o Le docteur a agi par nĂ©gligence, par omission et il sâest fiĂ© aux seuls examens
para-cliniques. Il nâa pas examinĂ© sa patiente et par un geste malencontreux adĂ©clenchĂ© une interruption de grossesse Ă cinq mois par rupture de la poche des eaux.Ce geste engage sa responsabilitĂ© mais il existe des circonstances attĂ©nuantes. »
17. Le 25 janvier 1993, puis Ă la suite dâun rĂ©quisitoire supplĂ©tif du procureur de la RĂ©publique en date du 26 avril 1994, le docteur G. fut misen examen pour avoir, le 27 novembre 1991, Ă Lyon,
â par maladresse, imprudence, inattention, en lâespĂšce en perforant la pochedes eaux dans laquelle se dĂ©veloppait le fĆtus de la requĂ©rante alors vivant
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 7/62
ARRĂT VO c. FRANCE 5
et viable, involontairement provoquĂ© la mort de cet enfant (faits prĂ©vus etrĂ©primĂ©s par lâarticle 319 du code pĂ©nal ancien â texte applicable Ă la date
des faits â, et Ă ce jour lâarticle 221-6 du code pĂ©nal) ; â par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou manquement Ă une obligation de sĂ©curitĂ© ou de prudence imposĂ©e par la loi ou lesrĂšglements, causĂ© Ă la requĂ©rante une atteinte Ă lâintĂ©gritĂ© de sa personne,suivie dâune incapacitĂ© totale de travail nâexcĂ©dant pas trois mois (faits
prĂ©vus et rĂ©primĂ©s par lâarticle R. 40 4o du code pĂ©nal ancien â texteapplicable Ă la date des faits â, et Ă ce jour les articles R. 625-2 et R. 625-4du code pĂ©nal).
18. Par une ordonnance du 31 aoĂ»t 1995, le docteur G. fut renvoyĂ©devant le tribunal correctionnel de Lyon des chefs dâatteinte involontaire Ă la vie et contravention de blessures involontaires.
19. Par un jugement du 3 juin 1996, le tribunal constata lâamnistie de plein droit de la contravention de blessures involontaires sur la personne dela requĂ©rante conformĂ©ment Ă la loi dâamnistie du 3 aoĂ»t 1995. Sur le dĂ©litdâatteinte involontaire Ă la vie sur le fĆtus, le tribunal sâexprima dans lestermes suivants :
« La question posĂ©e au tribunal est de savoir si lâinfraction dâhomicide involontaireou dâatteinte involontaire Ă la vie est constituĂ©e lorsque lâatteinte Ă la vie concerne lefĆtus, si le fĆtus de 20 Ă 21 semaines constitue une personne humaine (autrui au sensde lâarticle 221-6 du code pĂ©nal).
(...)
Les Ă©lĂ©ments dâexpertise doivent ĂȘtre homologuĂ©s. Le fĆtus avait entre 20 et 21semaines.
â A quel stade de maturitĂ© lâembryon peut-il ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une personnehumaine ?
La loi du 17 janvier 1975 relative Ă lâinterruption volontaire de grossesse Ă©nonce :« la loi garantit le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie. »
La loi du 29 juillet 1994 (article 16 du code civil) Ă©nonce : « la loi assure la primautĂ© de la personne, interdit toute atteinte Ă la dignitĂ© de celle-ci et garantit lerespect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. »
Les lois du 29 juillet 1994 utilisaient expressĂ©ment pour la premiĂšre fois les termes« embryon » et « embryon humain ». Aucun de ces textes ne dĂ©finit cependant cequâest lâembryon humain.
Plusieurs parlementaires (dĂ©putĂ©s ou sĂ©nateurs), dans le cadre de la prĂ©paration de lalĂ©gislation sur la bioĂ©thique, ont voulu dĂ©finir lâembryon. Charles de Courson proposait de le dĂ©finir ainsi : « tout ĂȘtre humain doit ĂȘtre respectĂ© dĂšs lecommencement de la vie, lâembryon humain est un ĂȘtre humain. » Jean-FrançoisMattĂ©i Ă©nonçait : « lâembryon nâest en tout Ă©tat de cause que lâexpressionmorphologique dâune seule et mĂȘme vie qui commence dĂšs la fĂ©condation et se poursuit jusquâĂ la mort en passant par diffĂ©rentes Ă©tapes. En lâĂ©tat actuel des
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 8/62
6 ARRĂT VO c. FRANCE
connaissances on ne sait pas prĂ©cisĂ©ment quand le zygote devient lâembryon,lâembryon fĆtus, le seul fait indiscutable Ă©tant le dĂ©marrage du processus de la vielors de la fĂ©condation. »
Ainsi il apparaĂźt quâaucune rĂšgle juridique ne prĂ©cise la situation juridique delâembryon, depuis sa formation et au fur et Ă mesure de son dĂ©veloppement. Il y a lieu,devant cette absence de dĂ©finition juridique dâen revenir aux connaissances acquises.Il est Ă©tabli que la viabilitĂ© du fĆtus se situe Ă 6 mois, en aucun cas dans lâĂ©tat actueldes connaissances Ă 20 ou 21 semaines.
Le tribunal ne peut que retenir cet Ă©lĂ©ment (viabilitĂ© Ă 6 mois) et ne peut crĂ©er ledroit sur une question que les lĂ©gislateurs nâont pu dĂ©finir encore.
Ainsi le tribunal retient que le fĆtus est viable Ă compter de 6 mois. Quâun fĆtus de20 Ă 21 semaines nâest pas viable et quâil nâest pas une personne humaine ou autrui au
sens des articles 319 ancien du code pénal et 221-6 du code pénal.
Le dĂ©lit dâhomicide involontaire ou atteinte involontaire Ă la vie sur un fĆtus de 20Ă 21 semaines nâest pas Ă©tabli, le fĆtus nâĂ©tant pas une personne humaine ouautrui (...)
Renvoie le Dr G. des fins de la poursuite sans peine ni dépens (...) »
20. Le 10 juin 1996, la requĂ©rante interjeta appel du jugement. Ellesoutint que le docteur G. avait commis une faute personnelle dĂ©tachable dufonctionnement du service public et sollicita lâallocation des sommessuivantes : un million de francs français (FRF) Ă titre de dommages-intĂ©rĂȘtsdont 900 000 FRF pour la mort de lâenfant et 100 000 FRF pour la blessure
par elle subie. Le ministĂšre public, second appelant, requit lâinfirmation du jugement de relaxe en faisant observer que « le prĂ©venu, en omettantdâeffectuer un examen clinique, a commis une faute ayant causĂ© la mort dufĆtus, qui au moment de lâacte dommageable, ĂągĂ© de vingt Ă vingt-quatresemaines, poursuivait normalement et inexorablement, sans aucun doutemĂ©dical sur son avenir, le chemin de vie quâil avait entamĂ© ».
21. Par un arrĂȘt du 13 mars 1997, la cour dâappel de Lyon confirma le jugement en ce quâil avait constatĂ© lâextinction de lâaction publique du chefde la contravention de blessures involontaires et lâinfirma pour le reste endĂ©clarant le mĂ©decin coupable dâhomicide involontaire. Elle le condamna Ă
six mois dâemprisonnement avec sursis et 10 000 FRF dâamende. Elle statuaainsi :
« (...) Attendu quâen lâespĂšce la faute du docteur [G.] est dâautant plus caractĂ©risĂ©eque la patiente, nâayant pas une pratique suffisante de la langue française, nâĂ©tait pas Ă mĂȘme dâexposer ses dolĂ©ances, de rĂ©pondre Ă ses questions, de lui prĂ©ciser la date desderniĂšres rĂšgles, Ă©lĂ©ments qui auraient dĂ» lâinciter dâautant plus Ă pratiquer un examenclinique minutieux ; que lâallĂ©gation selon laquelle il Ă©tait en droit de se fier aux seulsdocuments mĂ©dicaux dĂ©montre que ce jeune mĂ©decin, scientifique accompli,mĂ©connaissait toutefois un aspect essentiel de lâart mĂ©dical constituĂ© par lâĂ©coute, laconnaissance, lâexamen du malade ; que dâailleurs, devant la Cour, le Dr [G.] a prĂ©cisĂ©
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 9/62
ARRĂT VO c. FRANCE 7
que depuis cet accident il avait « lâobsession de la prĂ©caution » Ă prendre avantdâopĂ©rer ;
Attendu que cette faute dâimprudence et de nĂ©gligence prĂ©sente un lien de causalitĂ©certaine avec la perte de lâenfant dont Madame Vo Ă©tait enceinte, le prĂ©venu ayant lui-mĂȘme reconnu, avec une incontestable loyautĂ©, que lâexamen clinique lui aurait permis de constater lâĂ©tat de grossesse de sa patiente et de dĂ©celer lâinterversion de personnes sâĂ©tant produite ;
Attendu que sâagissant de la qualification dâhomicide involontaire il convient dansun premier temps de rappeler les principes juridiques gouvernant la matiĂšre ;
Attendu que diverses dispositions conventionnelles telles que lâarticle 2 de laConvention europĂ©enne de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©sfondamentales, que lâarticle 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques,
que lâarticle 6 de la Convention relative aux droits de lâenfant signĂ©e Ă New York le26 janvier 1990, reconnaissent lâexistence, pour toute personne, et notammentlâenfant, dâun droit Ă la vie protĂ©gĂ© par la loi ;
Attendu quâen droit interne, lâarticle 1er de la loi 75-17 du 17 janvier 1975 relative Ă lâinterruption volontaire de la grossesse a prĂ©cisĂ© que « la loi garantit le respect de toutĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie. (qu)âIl ne saurait ĂȘtre portĂ© atteinte Ă ce principe quâen cas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par la prĂ©sente loi. » ;
Attendu, par ailleurs, que la loi 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect ducorps humain, a rappelĂ© dans lâarticle 16 du code civil que « la loi assure la primautĂ©de la personne, interdit toute atteinte Ă la dignitĂ© de celle-ci et garantit le respect delâĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. » ;
Attendu que ces dispositions lĂ©gislatives ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme desimples dĂ©clarations dâintention, dĂ©pourvues de tout effet juridique, alors quelâarticle 16-9 du code civil indique que les dispositions de lâarticle 16 sont dâordre public ;
Attendu que de son cĂŽtĂ© la Cour de cassation, Chambre criminelle, dans deux arrĂȘtsrendus le 27 novembre 1996, a fait application de ces principes de droit internationalet de droit interne en prĂ©cisant que la loi du 17 janvier 1975 nâadmet quâil soit portĂ©atteinte au principe du respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie,rappelĂ© en son article 1er , quâen cas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions et limitationsquâelle dĂ©finit ;
Quâelle a ajoutĂ© quâeu Ă©gard aux conditions ainsi posĂ©es par le lĂ©gislateur,lâensemble des dispositions issues de cette loi et de celle du 31 dĂ©cembre 1979 relativeĂ lâinterruption volontaire de grossesse nâĂ©taient pas incompatibles avec lesstipulations conventionnelles prĂ©citĂ©es ;
Quâelle a par ailleurs rappelĂ© que lors de la signature Ă New York le 26 janvier 1990de la Convention relative aux droits de lâenfant, la France avait formulĂ© unedĂ©claration interprĂ©tative selon laquelle cette Convention ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©ecomme faisant obstacle Ă lâapplication des dispositions de la lĂ©gislation françaiserelative Ă lâinterruption volontaire de grossesse ; que cette rĂ©serve dĂ©montre a contrario, que ladite Convention Ă©tait susceptible de concerner le fĆtus de moins dedix semaines, dĂ©lai lĂ©gal en France de lâinterruption volontaire de la grossesse ;
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 10/62
8 ARRĂT VO c. FRANCE
Attendu quâil en rĂ©sulte que, sous rĂ©serve des dispositions relatives Ă lâinterruptionvolontaire de la grossesse et de celles relatives Ă lâavortement thĂ©rapeutique, la loiconsacre le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le commencement de la vie, sans quâil soitexigĂ© que lâenfant naisse viable, du moment quâil Ă©tait en vie lors de lâatteinte qui lui aĂ©tĂ© portĂ©e ;
Attendu quâau demeurant la viabilitĂ© constitue une notion scientifiquementcontingente et incertaine comme le reconnaĂźt le prĂ©venu lui-mĂȘme qui, poursuivantactuellement des Ă©tudes aux Etats-Unis, a prĂ©cisĂ© devant la Cour que des fĆtus nĂ©s 23ou 24 semaines aprĂšs la conception avaient pu ĂȘtre maintenus en vie alors quâune tellehypothĂšse Ă©tait totalement exclue quelques annĂ©es auparavant ; que dans laconsultation Ă©tablie par le professeur [T.] et produite par le docteur [G.], il est fait Ă©tatdu rapport du professeur MattĂ©i indiquant que lâembryon nâest que lâexpressionmorphologique dâune seule et mĂȘme vie qui commence dĂšs la fĂ©condation et se poursuit jusquâĂ la mort, en passant par diffĂ©rentes Ă©tapes, sans que lâon sache Ă quel
moment le zygote devient embryon, lâembryon fĆtus, le seul fait indiscutable Ă©tant ledĂ©marrage du processus de vie lors de la fĂ©condation ; (...)
Attendu quâainsi la viabilitĂ© lors de la naissance, notion scientifiquement incertaine,est de surcroĂźt dĂ©pourvue de toute portĂ©e juridique, la loi nâopĂ©rant aucune distinctionĂ cet Ă©gard ;
Attendu quâen lâespĂšce il est Ă©tabli que lors de lâĂ©chographie effectuĂ©e le27 novembre 1991, suivie le mĂȘme jour de la perte du liquide amniotique, la grossessede [la requĂ©rante] se poursuivait normalement et que lâenfant quâelle portait Ă©tait envie ; que lors de lâavortement thĂ©rapeutique rĂ©alisĂ© le 5 dĂ©cembre 1991, il a Ă©tĂ©constatĂ© que, selon les mensurations de lâenfant comparĂ©es aux tables publiĂ©es, il Ă©tait permis dâattribuer Ă ce fĆtus un Ăąge de 20 Ă 21 semaines, qui pourrait mĂȘme ĂȘtre
supĂ©rieur dans la mesure oĂč il nâest pas certain que ces tables prennent en compte lamorphologie propre aux enfants dâorigine vietnamienne, le docteur [G.], interrogĂ© surce point Ă lâaudience, nâayant pu fournir aucune prĂ©cision supplĂ©mentaire ; quelâexamen anatomo-pathologique avait permis de conclure que le poumon fĆtal prĂ©sentait un Ăąge de 20 Ă 24 semaines ; attendu quâil rĂ©sulte de lâensemble de cesindications que lâĂąge du fĆtus Ă©tait de 20 Ă 24 semaines, ses mensurations incitant plutĂŽt Ă incliner vers la branche basse de lâĂ©valuation ; quâen tout Ă©tat de cause lâĂągede ce fĆtus Ă©tait trĂšs proche de celui de certains fĆtus ayant pu survivre aux Etats-Unis comme lâa prĂ©cisĂ© le docteur [G.] ; que les photographies figurant au dossiersous la cote D 32 montrent un enfant parfaitement formĂ© dont la vie a Ă©tĂ© interrompue par la nĂ©gligence du prĂ©venu ;
Attendu que comme lâavait fait remarquer la cour dâappel de Douai dans son arrĂȘt
du 2 juin 1987, si lâatteinte portĂ©e Ă lâenfant avait provoquĂ© une lĂ©sion nâentraĂźnant pas sa mort, la qualification de blessures involontaires eĂ»t Ă©tĂ© retenue sans hĂ©sitationaucune ; quâĂ plus forte raison, la qualification dâhomicide involontaire doit ĂȘtreretenue sâagissant dâune atteinte ayant provoquĂ© la mort de lâenfant ;
Attendu quâainsi tant lâapplication stricte des principes juridiques que des donnĂ©esacquises de la science que des considĂ©rations dâĂ©lĂ©mentaire bon sens, conduisent Ă retenir la qualification dâhomicide involontaire sâagissant dâune atteinte parimprudence ou nĂ©gligence portĂ©e Ă un fĆtus ĂągĂ© de 20 Ă 24 semaines en parfaite santĂ©,ayant causĂ© la mort de celui-ci ;
Attendu quâen consĂ©quence le jugement dĂ©fĂ©rĂ© doit ĂȘtre infirmĂ© (...) ;
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 11/62
ARRĂT VO c. FRANCE 9
Attendu que si lâaction civile de [la requĂ©rante] est recevable, ne serait-ce que pourcorroborer lâaction publique, la Cour est incompĂ©tente pour statuer sur la demande enrĂ©paration ; quâen effet, la faute dâimprudence et de nĂ©gligence commise par ledocteur [G.], mĂ©decin dans un hĂŽpital public, quoique non dĂ©pourvue de gravitĂ©, ne prĂ©sente pas toutefois le caractĂšre dâune faute personnelle dâune exceptionnellegravitĂ©, traduisant une mĂ©connaissance totale des principes les plus Ă©lĂ©mentaires et desdevoirs de sa mission, la rendant dĂ©tachable du service ;
Attendu en revanche quâil convient de condamner le docteur [G.] Ă payer Ă cette partie civile, une indemnitĂ© de 5 000 francs au titre de lâarticle 475-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale au titre des frais non payĂ©s par lâEtat et exposĂ©s par celle-ci ;
(...) »
22. Sur pourvoi du mĂ©decin, la Cour de cassation, par un arrĂȘt du 30 juin
1999, cassa lâarrĂȘt de la cour dâappel de Lyon et dit nây avoir lieu Ă renvoi :« Vu lâarticle 111-4 du code pĂ©nal ;
Attendu que la loi pĂ©nale est dâinterprĂ©tation stricte ;
(...)
Attendu que, pour dĂ©clarer [le mĂ©decin] coupable dâhomicide involontaire, la juridiction du second degrĂ© relĂšve que lâarticle 2 de la Convention europĂ©enne desauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales et lâarticle 6 du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques reconnaissent lâexistence, pour toute personne, dâun droit Ă la vie protĂ©gĂ© par la loi ; quâelle souligne que la loi du17 janvier 1975, relative Ă lâinterruption volontaire de grossesse, pose le principe durespect de lâĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie, dĂ©sormais rappelĂ© parlâarticle 16 du code civil dans la rĂ©daction issue de la loi du 29 juillet 1994 ;quâensuite elle Ă©nonce quâen intervenant sans examen clinique prĂ©alable, le mĂ©decin acommis une faute dâimprudence et de nĂ©gligence, qui prĂ©sente un lien de causalitĂ©certain avec la mort de lâenfant que portait la patiente ;
Mais attendu quâen statuant ainsi, alors que les faits reprochĂ©s au prĂ©venu nâentrent pas dans les prĂ©visions des articles 319 ancien et 221-6 du code pĂ©nal, la cour dâappela mĂ©connu le texte susvisĂ© ;
(...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code pénal
23. Le texte, applicable au moment des faits, prĂ©voyant et rĂ©primant lesatteintes portĂ©es involontairement Ă la vie Ă©tait, avant le 1er mars 1994,lâarticle 319 du code pĂ©nal, qui se lit comme suit :
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 12/62
10 ARRĂT VO c. FRANCE
« Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou inobservationdes rĂšglements, aura commis involontairement un homicide ou en aura Ă©tĂ©involontairement la cause, sera puni dâun emprisonnement de trois mois Ă deux ans, etdâune amende de 1 000 francs Ă 30 000 francs. »
24. Depuis le 1er mars 1994, lâarticle pertinent est lâarticle 221-6 du code pĂ©nal (modifiĂ© par la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 et lâordonnanceno 2000-916 du 19 septembre 2000) qui figure dans la section II (« Desatteintes involontaires Ă la vie ») du chapitre I (« Des atteintes Ă la vie de la
personne ») du titre II (« Des atteintes Ă la personne humaine ») du livre II(« Des crimes et dĂ©lits contre les personnes »). Lâarticle 221-6 est ainsirĂ©digĂ© :
« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prĂ©vues Ă lâarticle 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, nĂ©gligence ou manquement Ă
une obligation de sĂ©curitĂ© ou de prudence imposĂ©e par la loi ou le rĂšglement, la mortdâautrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans dâemprisonnement et de45 000 euros dâamende.
En cas de violation manifestement dĂ©libĂ©rĂ©e dâune obligation particuliĂšre de sĂ©curitĂ©ou de prudence imposĂ©e par la loi ou le rĂšglement, les peines encourues sont portĂ©es Ă cinq ans dâemprisonnement et Ă 75 000 euros dâamende. »
25. Lâarticle 223-10 du code pĂ©nal, qui concerne lâinterruptionvolontaire de la grossesse dâune femme sans son consentement par un tiers,figure Ă la section V intitulĂ©e « De lâinterruption illĂ©gale de la grossesse »du chapitre III ayant pour titre « De la mise en danger de la personne » du
titre II du livre II, et se lit ainsi :« Lâinterruption de la grossesse sans le consentement de lâintĂ©ressĂ©e est punie de
cinq ans dâemprisonnement et de 75 000 euros dâamende. »
26. La section III intitulĂ©e « De la protection de lâembryon humain » duchapitre I (« Des infractions en matiĂšre dâĂ©thique biomĂ©dicale ») du titre I(« Des infractions en matiĂšre de santĂ© publique ») du livre V (« Des autrescrimes et dĂ©lits ») Ă©nonce plusieurs prohibitions au regard de lâĂ©thiquemĂ©dicale (articles 511-15 Ă 511-25) dont, par exemple, la conceptiondâembryons humains in vitro Ă des fins de recherche ou dâexpĂ©rimentation(article 511-18).
B. Le code de la santé publique
27. A lâĂ©poque des faits, le dĂ©lai de prescription de lâaction enresponsabilitĂ© administrative Ă©tait de quatre ans et la pĂ©riode pendantlaquelle lâinterruption volontaire de grossesse Ă©tait lĂ©gale Ă©tait de dixsemaines Ă partir de la conception.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 13/62
ARRĂT VO c. FRANCE 11
28. Les dispositions du code de la santĂ© publique, telles quâelles sont envigueur, notamment depuis la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du systÚme de santé, se lisent comme suit :
Article L. 1142-1
« Hors le cas oĂč leur responsabilitĂ© est encourue en raison dâun dĂ©faut dâun produitde santĂ©, les professionnels de santĂ© mentionnĂ©s Ă la quatriĂšme partie du prĂ©sent code,ainsi que tout Ă©tablissement, service ou organisme dans lesquels sont rĂ©alisĂ©s des actesindividuels de prĂ©vention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables desconsĂ©quences dommageables dâactes de prĂ©vention, de diagnostic, ou de soins quâencas de faute.
(...) »
Article L. 1142-2
« Les professionnels de santĂ© exerçant Ă titre libĂ©ral, les Ă©tablissements de santĂ©,services de santĂ© et organismes mentionnĂ©s Ă lâarticle L. 1142-1, et toute autre personne morale, autre que lâEtat, exerçant des activitĂ©s de prĂ©vention, de diagnosticou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santĂ©,Ă lâĂ©tat de produits finis, mentionnĂ©s Ă lâarticle L. 5311-1 Ă lâexclusion du 5Âș, sousrĂ©serve des dispositions de lâarticle L. 1222-9, et des 11Âș, 14Âș et 15Âș, utilisĂ©s Ă lâoccasion de ces activitĂ©s, sont tenus de souscrire une assurance destinĂ©e Ă les garantir pour leur responsabilitĂ© civile ou administrative susceptible dâĂȘtre engagĂ©e en raisonde dommages subis par des tiers et rĂ©sultant dâatteintes Ă la personne, survenant dansle cadre de lâensemble de cette activitĂ©.
(...) »
Article L. 1142-28
« Les actions tendant Ă mettre en cause la responsabilitĂ© des professionnels de santĂ©ou des Ă©tablissements de santĂ© publics ou privĂ©s Ă lâoccasion dâactes de prĂ©vention, dediagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans Ă compter de la consolidation dudommage. »
Article L. 2211-1
« Comme il est dit Ă lâarticle 16 du code civil ci-aprĂšs reproduit :
« La loi assure la primautĂ© de la personne, interdit toute atteinte Ă la dignitĂ© de celle-ci et garantit le respect de lâĂȘtre humain dĂšs le commencement de sa vie. »
Article L. 2211-2
« Il ne saurait ĂȘtre portĂ© atteinte au principe mentionnĂ© Ă lâarticle L. 2211-1 quâencas de nĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par le prĂ©sent titre.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 14/62
12 ARRĂT VO c. FRANCE
Lâenseignement de ce principe et de ses consĂ©quences, lâinformation sur les problĂšmes de la vie et de la dĂ©mographie nationale et internationale, lâĂ©ducation Ă laresponsabilitĂ©, lâaccueil de lâenfant dans la sociĂ©tĂ© et la politique familiale sont desobligations nationales. LâEtat, avec le concours des collectivitĂ©s territoriales, exĂ©cuteces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent. »
Article L. 2212-1
« La femme enceinte que son Ă©tat place dans une situation de dĂ©tresse peutdemander Ă un mĂ©decin lâinterruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut ĂȘtre pratiquĂ©e quâavant la fin de la douziĂšme semaine de grossesse. »
Article L. 2213-1
« Lâinterruption volontaire dâune grossesse peut, Ă toute Ă©poque, ĂȘtre pratiquĂ©e sideux mĂ©decins membres dâune Ă©quipe pluridisciplinaire attestent, aprĂšs que cetteĂ©quipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en pĂ©rilgrave la santĂ© de la femme, soit quâil existe une forte probabilitĂ© que lâenfant Ă naĂźtresoit atteint dâune affection dâune particuliĂšre gravitĂ© reconnue comme incurable aumoment du diagnostic.
(...) »
C. La position de la Cour de cassation
29. Par deux fois, et en dĂ©pit de conclusions contraires des avocatsgĂ©nĂ©raux, la Cour de cassation a confirmĂ© sa position prise en lâespĂšce (voir
paragraphe 22 ci-dessus) dans des arrĂȘts des 29 juin 2001 (Cass. ass. plĂ©n., Bull . no 165) et 25 juin 2002 (Cass. crim., Bull. crim. no 144).
1. LâarrĂȘt du 29 juin 2001 de lâassemblĂ©e plĂ©niĂšre
« Sur les deux moyens rĂ©unis du procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la cour dâappel de Metz etde Mme X... :
Attendu que le 29 juillet 1995 un vĂ©hicule conduit par M. Z... a heurtĂ© celui conduit par Mme X..., enceinte de six mois, qui a Ă©tĂ© blessĂ©e et a perdu des suites du choc lefĆtus quâelle portait ; que lâarrĂȘt attaquĂ© (Metz, 3 septembre 1998) a notammentcondamnĂ© M. Z... du chef de blessures involontaires sur la personne de Mme X..., aveccirconstance aggravante de conduite sous lâempire dâun Ă©tat alcoolique, mais lâa relaxĂ©du chef dâatteinte involontaire Ă la vie de lâenfant Ă naĂźtre ;
Attendu quâil est fait grief Ă lâarrĂȘt attaquĂ© dâavoir ainsi statuĂ©, alors que, dâune part,lâarticle 221-6 du Code pĂ©nal rĂ©primant le fait de causer la mort dâautrui nâexclut pasde son champ dâapplication lâenfant Ă naĂźtre et viable, quâen limitant la portĂ©e de cetexte Ă lâenfant dont le cĆur battait Ă la naissance et qui a respirĂ©, la cour dâappel aajoutĂ© une condition non prĂ©vue par la loi, et alors que, dâautre part, le fait de provoquer involontairement la mort dâun enfant Ă naĂźtre constitue le dĂ©lit dâhomicideinvolontaire dĂšs lors que celui-ci Ă©tait viable au moment des faits quand bien mĂȘme il
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 15/62
ARRĂT VO c. FRANCE 13
nâaurait pas respirĂ© lorsquâil a Ă©tĂ© sĂ©parĂ© de la mĂšre, de sorte quâauraient Ă©tĂ© violĂ©s lesarticles 111-3, 111-4 et 221-6 du Code pĂ©nal et 593 du Code de procĂ©dure pĂ©nale ;
Mais attendu que le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines, qui impose uneinterprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale, sâoppose Ă ce que lâincrimination prĂ©vue parlâarticle 221-6 du Code pĂ©nal, rĂ©primant lâhomicide involontaire dâautrui, soit Ă©tendueau cas de lâenfant Ă naĂźtre dont le rĂ©gime juridique relĂšve de textes particuliers surlâembryon ou le fĆtus ;
(...) »
2. LâarrĂȘt du 25 juin 2002 de la chambre criminelle
« (...)
Vu les articles 319 ancien, 221-6 et 111-4 du Code pénal ;
Attendu que le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines, qui impose uneinterprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale, sâoppose Ă ce que lâincrimination dâhomicideinvolontaire sâapplique au cas de lâenfant qui nâest pas nĂ© vivant ;
Attendu quâil rĂ©sulte de lâarrĂȘt attaquĂ© que Z..., dont la grossesse, suivie par X...,Ă©tait venue Ă terme le 10 novembre 1991, est entrĂ©e en clinique en vue de sonaccouchement le 17 novembre ; que, placĂ©e sous surveillance vers 20 heures 30, elle asignalĂ© une anomalie du rythme cardiaque de lâenfant Ă la sage-femme, Y..., laquelle arefusĂ© dâappeler le mĂ©decin ; quâun nouveau contrĂŽle pratiquĂ© le lendemain Ă 7 heuresa rĂ©vĂ©lĂ© la mĂȘme anomalie, puis lâarrĂȘt total des battements du cĆur ; que, vers
8 heures, X... a constatĂ© le dĂ©cĂšs ; quâil a procĂ©dĂ© dans la soirĂ©e Ă lâextraction parcĂ©sarienne dâun enfant mort-nĂ© qui, selon le rapport dâautopsie, ne prĂ©sentait aucunemalformation mais avait souffert dâanoxie ;
Attendu que, pour dĂ©clarer Y... coupable dâhomicide involontaire et X..., qui a Ă©tĂ©relaxĂ© par le tribunal correctionnel, responsable des consĂ©quences civiles de ce dĂ©lit,lâarrĂȘt retient que le dĂ©cĂšs de lâenfant est la consĂ©quence des imprudences etnĂ©gligences commises par eux, le mĂ©decin en sâabstenant dâintensifier la surveillancede la patiente en raison du dĂ©passement du terme, la sage-femme en omettant delâavertir dâune anomalie non Ă©quivoque de lâenregistrement du rythme cardiaque delâenfant ;
Que les juges, aprĂšs avoir relevĂ© que lâenfant mort-nĂ© ne prĂ©sentait aucune lĂ©sion
organique pouvant expliquer le dĂ©cĂšs, Ă©noncent « que cet enfant Ă©tait Ă terme depuis plusieurs jours et que, si les fautes relevĂ©es nâavaient pas Ă©tĂ© commises, il avait lacapacitĂ© de survivre par lui-mĂȘme, disposant dâune humanitĂ© distincte de celle de samĂšre » ;
Mais attendu quâen se prononçant ainsi, la cour dâappel a mĂ©connu les textessusvisĂ©s et les principes ci-dessus rappelĂ©s ;
DâoĂč il suit que la cassation est encourue ; quâelle aura lieu sans renvoi, dĂšs lors queles faits ne sont susceptibles dâaucune qualification pĂ©nale ;
(...) »
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 16/62
14 ARRĂT VO c. FRANCE
30. La chambre criminelle de la Cour de cassation a considĂ©rĂ© que justifie sa dĂ©cision la cour dâappel qui, pour dĂ©clarer le prĂ©venu coupable
dâhomicide involontaire sur un enfant, nĂ© le jour de lâaccident de circulationdans lequel sa mĂšre, enceinte de huit mois, a Ă©tĂ© griĂšvement blessĂ©e, etdĂ©cĂ©dĂ© une heure aprĂšs, retient que le conducteur, par un dĂ©faut de maĂźtrisede son vĂ©hicule, a causĂ© la mort de lâenfant qui a vĂ©cu une heure aprĂšs sanaissance et qui est dĂ©cĂ©dĂ© des suites des lĂ©sions vitales irrĂ©versibles subiesau moment du choc (Cass. crim., 2 dĂ©cembre 2003).
31. Dans un article intitulĂ© « Violences involontaires sur femme enceinteet dĂ©lit dâhomicide involontaire » ( Recueil Dalloz 2004, p. 449), Ă propos ducommentaire de lâarrĂȘt rendu par la chambre criminelle de la Cour decassation le 2 dĂ©cembre 2003 (paragraphe 30 ci-dessus), il est observĂ© quela jurisprudence de la Cour de cassation prĂ©citĂ©e (paragraphe 29 ci-dessus) a
Ă©tĂ© condamnĂ©e par vingt-huit auteurs sur trente-quatre.Parmi les critiques de la doctrine, lâon peut relever la motivation
laconique des arrĂȘts de la Cour de cassation ou lâincohĂ©rence de la protection : serait passible de sanctions pĂ©nales celui qui cause des blessuresinvolontaires alors que reste impuni celui qui provoque involontairement lamort du fĆtus ; lâenfant qui a vĂ©cu quelques minutes se voit reconnaĂźtre laqualitĂ© de victime et celui mort in utero est ignorĂ© du droit ; la libertĂ© de
procrĂ©er serait moins bien protĂ©gĂ©e que celle dâavorter.
D. Lâamendement Garraud
32. Le 27 novembre 2003, lâAssemblĂ©e nationale a adoptĂ©, en secondelecture, le projet de loi portant adaptation de la justice aux Ă©volutions de lacriminalitĂ© ; il comprenait lâamendement Garraud, du nom du dĂ©putĂ© Ă lâinitiative du texte, qui crĂ©ait le dĂ©lit dâinterruption involontaire degrossesse (IIG).
33. Lâadoption de cet amendement avait soulevĂ© de vives polĂ©miques etle garde des Sceaux, M. Perben, Ă lâissue dâune semaine de consultations,dĂ©clarait le 5 dĂ©cembre 2003 que la proposition du dĂ©putĂ© « pose plus de
problĂšmes quâelle nâen rĂšgle » et penchait en faveur de son abandon. Le23 janvier 2004, le SĂ©nat a supprimĂ©, Ă lâunanimitĂ©, lâamendement. Câest la
seconde fois que les sĂ©nateurs suppriment une telle proposition : en avril2003, ils sây Ă©taient dĂ©jĂ opposĂ©s lors de lâexamen de la loi renforçant lalutte contre la violence routiĂšre adoptĂ©e le 12 juin 2003.
E. Les lois de bioéthique
34. Le 11 dĂ©cembre 2003, lâAssemblĂ©e nationale a adoptĂ© en secondelecture le projet de loi sur la bioĂ©thique en vue de rĂ©viser les lois de 1994relatives au don et Ă lâutilisation des Ă©lĂ©ments et produits du corps humain, Ă lâassistance mĂ©dicale Ă la procrĂ©ation et au diagnostic prĂ©natal,
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 17/62
ARRĂT VO c. FRANCE 15
conformĂ©ment Ă ce quâavait prĂ©vu le lĂ©gislateur dâalors, afin de prendre encompte les progrĂšs scientifiques et mĂ©dicaux intervenus depuis et les
nouvelles questions qui se posent Ă la sociĂ©tĂ©. Le projet renforce lesgaranties en matiĂšre dâinformation ainsi que de recherche et de recueil duconsentement des personnes face Ă lâĂ©volution rapide des techniques,
prohibe des pratiques rendues possibles par la technique (le clonagereproductif) et encadre celles dont lâintĂ©rĂȘt mĂ©dical est avĂ©rĂ© (recherche surlâembryon in vitro). Il met en place une instance dâencadrement et decontrĂŽle (lâAgence de la procrĂ©ation, de lâembryologie et de la gĂ©nĂ©tiquehumaines) qui assurera Ă©galement des fonctions dâaccompagnement, deveille et dâexpertise dans ces domaines (http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/bioethique.asp).
III. LE DROIT EUROPĂEN
A. La Convention dâOviedo sur les droits de lâhomme et labiomĂ©decine
35. La Convention pour la protection des droits de lâhomme et de ladignitĂ© de lâĂȘtre humain Ă lâĂ©gard des applications de la biologie et de lamĂ©decine, dite aussi Convention sur les droits de lâhomme et la
biomédecine, ouverte à la signature le 4 avril 1997 à Oviedo, est entrée en
vigueur le 1er
dĂ©cembre 1999. Dans cette convention, les Etats membres duConseil de lâEurope, les autres Etats et la CommunautĂ© europĂ©ennesignataires,
« (...)
RĂ©solus Ă prendre, dans le domaine des applications de la biologie et de lamĂ©decine, les mesures propres Ă garantir la dignitĂ© de lâĂȘtre humain et les droits etlibertĂ©s fondamentaux de la personne,
Sont convenus de ce qui suit :
Chapitre I â Dispositions gĂ©nĂ©ralesArticle 1 â Objet et finalitĂ©
Les Parties Ă la prĂ©sente Convention protĂšgent lâĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ© et garantissent Ă toute personne, sans discrimination, le respect de son intĂ©gritĂ©et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă lâĂ©gard des applications de la biologie et de la mĂ©decine.
Chaque Partie prend dans son droit interne les mesures nécessaires pour donner effetaux dispositions de la présente Convention.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 18/62
16 ARRĂT VO c. FRANCE
Article 2 â PrimautĂ© de lâĂȘtre humain
LâintĂ©rĂȘt et le bien de lâĂȘtre humain doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ©ou de la science.
(...)
Chapitre V â Recherche scientifique
(...)
Article 18 â Recherche sur les embryons in vitro
1. Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci
assure une protection adĂ©quate de lâembryon.
2. La constitution dâembryons humains aux fins de recherche est interdite.
(...)
Chapitre XI â InterprĂ©tation et suivi de la Convention
Article 29 â InterprĂ©tation de la Convention
La Cour europĂ©enne des Droits de lâHomme peut donner, en dehors de tout litigeconcret se dĂ©roulant devant une juridiction, des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant lâinterprĂ©tation de la prĂ©sente Convention Ă la demande :
â du Gouvernement dâune Partie, aprĂšs en avoir informĂ© les autres Parties ;
â du ComitĂ© instituĂ© par lâarticle 32, dans sa composition restreinte auxReprĂ©sentants des Parties Ă la prĂ©sente Convention, par dĂ©cision prise Ă la majoritĂ© desdeux tiers des voix exprimĂ©es.
(...) »
36. Lâarticle 1 (paragraphes 16 Ă 19) du rapport explicatif Ă cetteconvention est ainsi libellĂ© :
Article 1 â Objet et finalitĂ©
« 16. Cet article dĂ©finit le champ dâapplication de la Convention ainsi que safinalitĂ©.
17. La Convention a pour but de garantir, dans le domaine des applications de la biologie et de la mĂ©decine, les droits et libertĂ©s fondamentales de chaque personne, en particulier son intĂ©gritĂ©, et de garantir la dignitĂ© et lâidentitĂ© de lâĂȘtre humain dans cedomaine.
18. La Convention ne dĂ©finit pas le terme « toute personne » (en anglais« everyone »). Lâutilisation de ces termes comme Ă©quivalents est basĂ©e sur le fait queles deux se trouvent Ă©galement dans les versions française et anglaise de la
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 19/62
ARRĂT VO c. FRANCE 17
Convention europĂ©enne des Droits de lâHomme, qui nâen donne cependant pas unedĂ©finition. En lâabsence dâunanimitĂ©, parmi les Etats membres du Conseil de lâEurope,sur la dĂ©finition de ces termes, il a Ă©tĂ© convenu de laisser au droit interne le soinĂ©ventuel dâapporter les prĂ©cisions pertinentes aux effets de lâapplication de la prĂ©senteConvention.
19. La Convention utilise aussi lâexpression « ĂȘtre humain » en Ă©nonçant lanĂ©cessitĂ© de protĂ©ger lâĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et son identitĂ©. Il a Ă©tĂ© constatĂ©quâil est un principe gĂ©nĂ©ralement acceptĂ© selon lequel la dignitĂ© humaine et lâidentitĂ©de lâespĂšce humaine doivent ĂȘtre respectĂ©es dĂšs le commencement de la vie.
(...) »
B. Le Protocole additionnel Ă la Convention sur les droits de
lâhomme et la biomĂ©decine portant interdiction du clonage dâĂȘtreshumains (12 janvier 1998)
37. Lâarticle 1 de ce protocole est ainsi rĂ©digĂ© :
« 1. Est interdite toute intervention ayant pour but de crĂ©er un ĂȘtre humaingĂ©nĂ©tiquement identique Ă un autre ĂȘtre humain vivant ou mort.
2. Au sens du prĂ©sent article, lâexpression ĂȘtre humain « gĂ©nĂ©tiquement identique Ȉ un autre ĂȘtre humain signifie un ĂȘtre humain ayant en commun avec un autrelâensemble des gĂšnes nuclĂ©aires. »
C. Le Protocole additionnel Ă la Convention sur les droits delâhomme et la biomĂ©decine relatif Ă la recherche biomĂ©dicale
38. Le projet de protocole a Ă©tĂ© approuvĂ© par le ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique le 20 juin 2003. Il a Ă©tĂ© soumis au ComitĂ© des Ministres duConseil de lâEurope. Celui-ci a consultĂ© lâAssemblĂ©e parlementaire qui adonnĂ© un avis favorable le 30 avril 2004 (Avis no 252). Le 30 juin 2004, leComitĂ© des Ministres a adoptĂ© ce texte.
Article 1 â Objet et finalitĂ©
« Les Parties au prĂ©sent Protocole protĂšgent lâĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ©, et garantissent Ă toute personne, sans discrimination, le respect de sonintĂ©gritĂ© et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă lâĂ©gard de toute recherchedans le domaine de la biomĂ©decine impliquant une intervention sur lâĂȘtre humain. »
Article 2 â Champ dâapplication
« 1. Le prĂ©sent Protocole sâapplique Ă lâensemble des activitĂ©s de recherche dans ledomaine de la santĂ© impliquant une intervention sur lâĂȘtre humain.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 20/62
18 ARRĂT VO c. FRANCE
2. Le Protocole ne sâapplique pas Ă la recherche sur les embryons in vitro. Ilsâapplique Ă la recherche sur les fĆtus et les embryons in vivo.
(...) »
Article 3 â PrimautĂ© de lâĂȘtre humain
« LâintĂ©rĂȘt et le bien de lâĂȘtre humain qui participe Ă une recherche doivent prĂ©valoirsur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. »
Article 18 â Recherche pendant la grossesse ou lâallaitement
« 1. Une recherche sur une femme enceinte dont les rĂ©sultats attendus necomportent pas de bĂ©nĂ©fice direct pour sa santĂ©, ou celle de lâembryon, du fĆtus ou de
lâenfant aprĂšs sa naissance, ne peut ĂȘtre entreprise que si les conditionssupplĂ©mentaires suivantes sont rĂ©unies :
i. la recherche a pour objet de contribuer Ă lâobtention, Ă terme, de rĂ©sultats permettant un bĂ©nĂ©fice pour dâautres femmes en relation avec la procrĂ©ation, ou pourdâautres embryons, fĆtus ou enfants ;
(...) »
Le rapport explicatif reprend les termes du rapport explicatif Ă laConvention.
D. Le rapport du Groupe de travail sur la protection de lâembryon etdu fĆtus humains : la protection de lâembryon humain in vitro (2003)
39. Le Groupe de travail sur la protection de lâembryon et du fĆtushumains du ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique a formulĂ© la conclusionsuivante dans un rapport Ă©tabli en 2003 :
« Ce rapport a pour but de prĂ©senter une vue dâensemble des positions actuelles enEurope sur la protection de lâembryon humain in vitro et des arguments qui les sous-tendent.
Il montre un large consensus sur la nĂ©cessitĂ© dâune protection de lâembryon in vitro. NĂ©anmoins, la dĂ©finition du statut de lâembryon reste un domaine oĂč lâon rencontredes diffĂ©rences fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont,dans une large mesure, Ă lâorigine de celles rencontrĂ©es sur les questions ayant trait Ă la protection de lâembryon in vitro.
Toutefois, mĂȘme en lâabsence dâaccord sur le statut de lâembryon, la possibilitĂ© derĂ©examiner certaines questions Ă la lumiĂšre des rĂ©cents dĂ©veloppements dans ledomaine biomĂ©dical et des avancĂ©es thĂ©rapeutiques potentielles, pourrait ĂȘtreenvisagĂ©e. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les choixfondamentaux des diffĂ©rents pays, il semble possible et souhaitable â au regard de lanĂ©cessitĂ© de protĂ©ger lâembryon in vitro reconnue par tous les pays â dâidentifier des
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 21/62
ARRĂT VO c. FRANCE 19
approches communes afin dâassurer des conditions adĂ©quates dâapplication des procĂ©dures impliquant la constitution et lâutilisation dâembryons in vitro. Ce rapport seveut une aide Ă la rĂ©flexion vers cet objectif. »
E. Le Groupe europĂ©en dâĂ©thique des sciences et des nouvelles
technologies auprÚs de la Commission européenne
40. Ce groupe a notamment Ă©mis lâavis suivant sur les aspects Ă©thiquesde la recherche impliquant lâutilisation dâembryons humains dans lecontexte du 5e programme-cadre de recherche (23 novembre 1998) :
« (...)
Contexte juridique
Controverses sur les notions de « débuts de la vie humaine » et de « personnalitéhumaine »
Les lĂ©gislations en vigueur dans les Etats membres diffĂšrent sensiblement quant Ă laquestion de savoir quand commence la vie humaine et Ă partir de quand apparaĂźt la« personnalitĂ© » humaine. Force est de constater quâil nâexiste, en effet, aucunedĂ©finition consensuelle, ni scientifique, ni juridique, des dĂ©buts de la vie.
On distingue cependant deux grandes conceptions du statut moral de lâembryon et par consĂ©quent de la protection juridique dont il doit bĂ©nĂ©ficier :
Dans la premiĂšre conception, lâembryon nâest pas un ĂȘtre humain et ne mĂ©rite doncquâune protection limitĂ©e ;
Dans la seconde, lâembryon jouit du statut moral de tout ĂȘtre humain et doit donc bĂ©nĂ©ficier Ă ce titre dâune protection Ă©tendue.
Ce dĂ©bat, qui a des incidences sur les rĂšgles Ă appliquer Ă la recherche surlâembryon, est loin dâĂȘtre clos. RĂ©cemment encore, lors des nĂ©gociations de laConvention du Conseil de lâEurope sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine, les pays signataires ne sont pas parvenus Ă sâentendre sur le statut juridique de lâembryon,et nâont donc pu trancher la question de lâadmissibilitĂ© de la recherche sur lâembryon.Ils ont donc renvoyĂ© aux lois des Etats le soin de statuer sur cette question. Cependant,lâarticle 18 de la Convention stipule dans son premier alinĂ©a : lorsque la recherche sur
les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adĂ©quate delâembryon.
(...)
DiffĂ©rences dans la dĂ©finition mĂȘme de lâembryon humain
Dans la plupart des Etats membres, il nâexiste aucune dĂ©finition juridique delâembryon humain (Belgique, Danemark, Finlande, France, GrĂšce, Irlande, Italie,Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et SuĂšde).Dans les autres Etats (Allemagne,Autriche, Espagne et Royaume-Uni), la loi retient des notions trĂšs variables quant Ă ladĂ©finition de lâembryon (...)
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 22/62
20 ARRĂT VO c. FRANCE
(...)
Portée variable des législations nationales
La portĂ©e des lĂ©gislations nationales concernant la recherche sur lâembryon estextrĂȘmement variable.
Dans certains Etats, la recherche sur lâembryon humain nâest permise quâau bĂ©nĂ©fice de lâembryon concernĂ© (Allemagne, Autriche). Dans dâautres Etats, elle nâestautorisĂ©e quâĂ titre tout Ă fait exceptionnel (France, SuĂšde) ou Ă de strictes conditions(Danemark, Espagne, Finlande, Royaume-Uni).
(...)
Diversité des points de vue
La diversitĂ© des points de vue quant au caractĂšre moralement acceptable ou non dela recherche sur les embryons humains in vitro traduit des divergences entre principesĂ©thiques, conceptions philosophiques et traditions nationales. Cette diversitĂ© est Ă la base mĂȘme de la culture europĂ©enne. Deux approches sâopposent notamment :lâapproche dĂ©ontologique qui veut que nos devoirs et nos principes conditionnent lafinalitĂ© et les consĂ©quences de nos actions ; lâapproche utilitaire ou « tĂ©lĂ©ologique »qui implique que les actions humaines soient Ă©valuĂ©es en fonction des moyens et desfins poursuivies (ou des consĂ©quences).
(...)
Le groupe Ă©met lâavis suivant :
En prĂ©ambule, il apparaĂźt fondamental de rappeler que le progrĂšs de la connaissanceen sciences de la vie, lequel a une valeur Ă©thique en soi, ne saurait cependant prĂ©valoirsur les droits fondamentaux de lâhomme et sur le respect dĂ» Ă tous les membres de lafamille humaine.
Lâembryon humain, quel que soit le statut moral ou lĂ©gal qui lui est reconnu auregard des diffĂ©rentes cultures et des diffĂ©rentes approches Ă©thiques qui ont cours enEurope, mĂ©rite donc la protection de la loi. Alors mĂȘme quâil existe un continuum dela vie humaine, cette protection doit ĂȘtre renforcĂ©e au fur et Ă mesure dudĂ©veloppement de lâembryon et du fĆtus.
Le TraitĂ© de lâUnion, qui ne prĂ©voit pas de compĂ©tence lĂ©gislative communautaire
dans les domaines de la recherche et de la mĂ©decine, implique quâune telle protectionrelĂšve des lĂ©gislations nationales (comme câest Ă©galement le cas de la procrĂ©ationmĂ©dicalement assistĂ©e et de lâinterruption volontaire de grossesse). Il nâen reste pasmoins cependant que les instances communautaires doivent se prĂ©occuper desquestions Ă©thiques soulevĂ©es par les pratiques mĂ©dicales ou de recherche intĂ©ressantles dĂ©buts de la vie humaine.
Les instances communautaires doivent aborder ces questions Ă©thiques en tenantcompte des divergences morales et philosophiques reflĂ©tĂ©es par lâextrĂȘme diversitĂ© desrĂšgles juridiques applicables Ă la recherche sur lâembryon humain dans les quinzeEtats membres. En effet, il serait non seulement juridiquement dĂ©licat dâimposer en ce
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 23/62
ARRĂT VO c. FRANCE 21
domaine une harmonisation des lĂ©gislations nationales mais, du fait de lâabsence deconsensus, il serait Ă©galement inopportun de vouloir Ă©dicter une morale unique,exclusive de toutes les autres.
Le respect des diffĂ©rences dâapproches philosophiques, morales, voire juridiques, propres Ă chaque culture nationale est consubstantiel Ă la construction de lâEurope.
Dâun point de vue Ă©thique, le caractĂšre multiculturel de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne inviteĂ la tolĂ©rance mutuelle, tant les peuples que les responsables politiques des Nations delâEurope qui ont choisi, de maniĂšre unique, de lier leur destin tout en assurant lerespect mutuel de traditions historiques particuliĂšrement fortes.
Dâun point de vue juridique, ce multiculturalisme a pour base lâarticle 6 du TraitĂ©dâAmsterdam (ex-article F du TraitĂ© de Maastricht) qui fait dĂ©river les droitsfondamentaux, reconnus au niveau de lâUnion, notamment des « traditions
constitutionnelles communes aux Etats membres » et qui proclame, par ailleurs, que« lâUnion respecte lâidentitĂ© nationale de ses Etats membres ».
Il rĂ©sulte des principes ci-dessus dĂ©finis que, dans le cadre des programmes derecherche europĂ©ens, la question de la recherche sur lâembryon humain doit ĂȘtreenvisagĂ©e, tant du point de vue du respect des principes Ă©thiques fondamentauxcommuns Ă tous les Etats membres, quâen tenant compte de la diversitĂ© de conceptions philosophiques et Ă©thiques exprimĂ©es Ă travers les diffĂ©rentes pratiques etrĂ©glementations nationales en vigueur en ce domaine.
(...) »
IV. DROIT COMPARĂ
41. Dans la majoritĂ© des Etats membres du Conseil de lâEurope,lâincrimination dâhomicide involontaire ne sâapplique pas au fĆtus.Cependant, trois pays ont fait le choix dâincriminations spĂ©cifiques. EnItalie, lâarticle 17 de la loi du 22 mai 1978 relative Ă lâavortement prĂ©voit unemprisonnement de trois mois Ă deux ans Ă lâencontre de celui qui cause uneinterruption de grossesse par imprudence. En Espagne, lâarticle 157 du code
pĂ©nal prĂ©voit une incrimination concernant les dommages causĂ©s Ă un fĆtuset lâarticle 146 punit lâavortement provoquĂ© par une « imprudence grave ».En Turquie, lâarticle 456 du code pĂ©nal prĂ©voit que celui qui cause
involontairement un prĂ©judice Ă quiconque sera puni dâune peine desix mois Ă un an dâemprisonnement ; si la victime est une femme enceinte etque le prĂ©judice a provoquĂ© une naissance prĂ©maturĂ©e, le code pĂ©nal prĂ©voitune peine de deux Ă cinq ans dâemprisonnement.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 24/62
22 ARRĂT VO c. FRANCE
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITĂ DE LA REQUĂTE
42. Le Gouvernement soutient principalement que la requĂȘte estincompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention carlâarticle 2 de celle-ci ne sâappliquerait pas Ă lâenfant Ă naĂźtre. Il estime parailleurs que la requĂ©rante disposait dâune voie de droit de nature Ă redresserson grief, Ă savoir obtenir la condamnation du centre hospitalier Ă desdommages-intĂ©rĂȘts par lâintroduction dâun recours devant les juridictionsadministratives. DĂšs lors, elle nâaurait pas Ă©puisĂ© les voies de recoursinternes conformĂ©ment Ă lâarticle 35 § 1 de la Convention. A titresubsidiaire, il considĂšre que la requĂȘte doit ĂȘtre rejetĂ©e pour dĂ©fautmanifeste de fondement.
43. La requĂ©rante dĂ©nonce lâabsence de protection de lâenfant Ă naĂźtre auregard de la loi pĂ©nale française et soutient que lâEtat a manquĂ© Ă sesobligations au regard de lâarticle 2 de la Convention en ne retenant pas laqualification dâhomicide involontaire en cas dâatteinte portĂ©e Ă celui-ci. Parailleurs, elle juge le recours devant les juridictions administratives inefficacecar inapte Ă faire reconnaĂźtre, en tant que tel, lâhomicide commis sur sonenfant. Enfin, la requĂ©rante affirme quâelle disposait dâun choix entre lavoie pĂ©nale et la voie administrative, et que si le choix de la premiĂšre, sans
quâelle ait pu le prĂ©voir, sâest soldĂ© par un Ă©chec, la seconde sâĂ©tait fermĂ©eentre-temps par le jeu de la prescription.44. La Cour constate que lâexamen de la requĂȘte pose la question de
savoir si lâarticle 2 de la Convention est applicable Ă une interruptioninvolontaire de grossesse et, dans lâaffirmative, si cette disposition exigeaitdans les circonstances de lâespĂšce la possibilitĂ© dâun recours de nature
pĂ©nale ou si les exigences de lâarticle 2 se trouvaient satisfaites parlâexistence dâun recours en responsabilitĂ© devant la juridictionadministrative. Ainsi formulĂ©es, les exceptions tirĂ©es de lâincompatibilitĂ©ratione materiae de la requĂȘte avec les dispositions de la Convention et dudĂ©faut dâĂ©puisement des voies de recours internes sont trĂšs Ă©troitement liĂ©es
Ă la substance du grief Ă©noncĂ© par la requĂ©rante sur le terrain de lâarticle 2.Partant, la Cour estime opportun de joindre ces exceptions au fond (voir,notamment, Airey c. Irlande, arrĂȘt du 9 octobre 1979, sĂ©rie A no 32, p. 11,§ 19).
45. La requĂȘte ne saurait dĂšs lors ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable soit commeincompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention soit
pour non-Ă©puisement des voies de recours internes au sens de lâarticle 35§ 1 de la Convention. Par ailleurs, la Cour estime que la requĂȘte soulĂšve desquestions de fait et de droit qui nĂ©cessitent un examen au fond. La Courconclut par consĂ©quent quâelle nâest pas manifestement mal fondĂ©e.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 25/62
ARRĂT VO c. FRANCE 23
Constatant en outre quâelle ne se heurte Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©,la Cour la dĂ©clare recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 2 DE LACONVENTION
46. La requĂ©rante dĂ©nonce le refus des autoritĂ©s de qualifier dâhomicideinvolontaire lâatteinte Ă la vie de lâenfant Ă naĂźtre quâelle portait. Elle se
plaint que lâabsence dâune lĂ©gislation pĂ©nale visant Ă rĂ©primer et sanctionnerune telle atteinte constitue une violation de lâarticle 2 de la Convention,lequel est ainsi libellĂ© :
« 1. Le droit de toute personne Ă la vie est protĂ©gĂ© par la loi. La mort ne peut ĂȘtreinfligĂ©e Ă quiconque intentionnellement, sauf en exĂ©cution dâune sentence capitale prononcĂ©e par un tribunal au cas oĂč le dĂ©lit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort nâest pas considĂ©rĂ©e comme infligĂ©e en violation de cet article dans lescas oĂč elle rĂ©sulterait dâun recours Ă la force rendu absolument nĂ©cessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation rĂ©guliĂšre ou pour empĂȘcher lâĂ©vasion dâune personne rĂ©guliĂšrement dĂ©tenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
A. ThĂšses des parties
1. La requérante
47. La requĂ©rante affirme que le commencement de la vie a un sens etune dĂ©finition universels. MĂȘme si cela est dans la nature des choses, ondĂ©montre aujourdâhui scientifiquement que toute vie commence dĂšs lafĂ©condation. Câest une constatation expĂ©rimentale. Lâenfant conçu et nonencore nĂ© nâest ni un amas de cellules, ni une chose ; il est une personne.Dans le cas contraire, il faudrait conclure quâelle nâa en lâespĂšce rien perdu.
Une telle hypothĂšse nâest pas admissible pour une femme enceinte. Ainsi, leterme « personne » employĂ© Ă lâarticle 2 de la Convention est Ă prendre ausens dâĂȘtre humain et non pas au sens dâindividu revĂȘtant les attributs de la
personnalitĂ© juridique. Câest bien ainsi que lâont compris le Conseil dâEtatet la Cour de cassation qui, acceptant dâapprĂ©cier la compatibilitĂ© de la loisur lâinterruption de grossesse avec lâarticle 2, ont nĂ©cessairement admisque lâenfant Ă naĂźtre relevait, dĂšs les premiers instants de sa vie intra-utĂ©rine, du champ dâapplication de cette disposition (Conseil dâEtat ass.,21 dĂ©cembre 1990, Recueil Lebon, p. 368 ; Cass. crim., 27 novembre 1996,
Bull. crim. no 431).
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 26/62
24 ARRĂT VO c. FRANCE
48. Selon la requĂ©rante, le droit français garantit Ă tout ĂȘtre humain ledroit Ă la vie dĂšs lâinstant de sa conception sous rĂ©serve de certaines
exceptions prĂ©vues par la loi, en matiĂšre dâavortement. A cet Ă©gard, elleajoute quâĂ lâexception de lâavortement thĂ©rapeutique, toute autre formedâavortement est incompatible avec lâarticle 2 de la Convention du fait delâatteinte portĂ©e au droit Ă la vie de lâenfant conçu. MĂȘme dans lâhypothĂšseoĂč lâon admet que les Etats peuvent autoriser, sous certaines conditions, lesfemmes qui le demandent Ă recourir Ă lâavortement, les Etats contractants neseraient pas libres dâexclure lâenfant Ă naĂźtre de la protection de lâarticle 2.Le principe devrait ĂȘtre distinguĂ© de lâexception. Lâarticle 1er de la loi de1975 relative Ă lâinterruption volontaire de grossesse (repris aux articles 16du code civil et L. 2211-1 du code de la santĂ© publique, paragraphe 28 ci-dessus) poserait le principe, Ă savoir le respect de tout ĂȘtre humain dĂšs le
commencement de la vie, et prĂ©voirait ensuite lâexception en cas denĂ©cessitĂ© et selon les conditions dĂ©finies par la loi. Le lĂ©gislateur aurait, parailleurs, implicitement admis que la vie commence dĂšs lâinstant de laconception en posant un certain nombre de rĂšgles protĂ©geant lâembryon invitro dans les lois de bioĂ©thique du 29 juillet 1994 (paragraphe 34 ci-dessus). Ainsi, si la mort pourrait exceptionnellement prĂ©valoir sur la vie,cette derniĂšre resterait la valeur essentielle dĂ©fendue par la Convention.Lâexception ne devrait pas exclure la condamnation dâun tiers qui, par sa
propre imprudence, fait pĂ©rir un enfant Ă naĂźtre. La volontĂ© de la mĂšre nesaurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă lâimprudence dâun tiers. La Cour pourrait doncaffirmer que la loi des Parties contractantes doit assurer la protection delâenfant conçu en rĂ©primant pĂ©nalement lâhomicide involontaire commis Ă son encontre mĂȘme si cette loi autorise par ailleurs le recours Ă lâavortement.
49. La requĂ©rante rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, lesEtats ont « le devoir primordial dâassurer le droit Ă la vie en mettant en
place une lĂ©gislation pĂ©nale concrĂšte dissuadant de commettre des atteintescontre la personne et sâappuyant sur un mĂ©canisme dâapplication conçu pour(...) prĂ©venir, rĂ©primer et sanctionner les violations » (arrĂȘts K ıl ıçc. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III, et Mahmut Kaya c. Turquie,no 22535/93, § 85, CEDH 2000-III). DâaprĂšs elle, lâinflĂ©chissement de la
jurisprudence amorcĂ© par lâarrĂȘt Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC],no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I) selon lequel, dans lâhypothĂšse dâuneatteinte involontaire Ă la vie, le systĂšme judiciaire nâexige pasnĂ©cessairement un recours de nature pĂ©nale, ne peut ĂȘtre suivi en lâespĂšcecar un recours de nature civile « ne permet pas dâexprimer la rĂ©probation
publique face Ă une infraction [aussi] grave (...) quâun homicide » (opinion partiellement dissidente de M. le juge Rozakis, Ă laquelle ont dĂ©clarĂ© serallier M. Bonello et Mme StrĂĄĆŸnickĂĄ, juges, dans lâarrĂȘt Calvelli et Ciglio
prĂ©citĂ©). La protection du droit Ă la vie garanti par lâarticle 2 sâen trouveraitdĂ©prĂ©ciĂ©e. Câest la raison pour laquelle la requĂ©rante considĂšre que la
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 27/62
ARRĂT VO c. FRANCE 25
crĂ©ation du dĂ©lit dâinterruption involontaire de grossesse rĂ©pond au videcrĂ©Ă© par la Cour de cassation et comble la carence de lâEtat relative Ă son
devoir de protection de lâĂȘtre humain dans sa forme la plus jeune(paragraphe 32 ci-dessus).
50. La requĂ©rante fait valoir quâelle disposait dâune option entre lesvoies pĂ©nale et administrative et quâelle pouvait choisir entre les deuxordres de juridictions. Elle explique quâelle a choisi la premiĂšre parce que,dâune part, celle-ci Ă©tait la seule apte Ă faire reconnaĂźtre, en tant que tel,lâhomicide involontaire commis sur son enfant et que, dâautre part,lâinstruction pĂ©nale facilitait la dĂ©termination des responsabilitĂ©s. A sonavis, rien ne laissait prĂ©sager que la voie pĂ©nale serait vouĂ©e Ă lâĂ©chec, la
position de la Cour de cassation prise en lâespĂšce en 1999, confirmĂ©eensuite en 2001 et 2002, semblant loin dâĂȘtre acquise eu Ă©gard Ă la
jurisprudence rĂ©sistante des cours dâappel et Ă la critique quasi unanime dela doctrine (paragraphe 31 ci-dessus). Ainsi, dans un arrĂȘt du 3 fĂ©vrier 2000(cour dâappel (CA) de Reims, Dalloz 2000, jurisp., p. 873), la cour dâappel acondamnĂ© pour homicide involontaire un automobiliste qui avait percutĂ© unvĂ©hicule blessant griĂšvement la conductrice enceinte de huit mois et causant
par la suite le dĂ©cĂšs du bĂ©bĂ© (voir Ă©galement CA Versailles, 19 janvier2000, inĂ©dit). La requĂ©rante conclut quâelle nâavait a priori aucune raisonde saisir les juridictions administratives et soutient quâelle nâaurait pu lesavoir quâaprĂšs la relaxe du docteur G., prononcĂ©e par le tribunalcorrectionnel. Cependant, Ă cette date, lâaction contre lâadministration Ă©taitdĂ©jĂ prescrite. Câest pourquoi le recours devant les juridictionsadministratives ne saurait passer pour efficace au sens de lâarticle 35 § 1 dela Convention.
2. Le Gouvernement
51. AprĂšs avoir soulignĂ© que ni la mĂ©taphysique ni la mĂ©decine nedonnent de rĂ©ponse dĂ©finitive Ă la question de savoir si, et Ă partir de quelmoment, le fĆtus est un ĂȘtre humain, le Gouvernement affirme que sur le
plan juridique lâarticle 2 de la Convention ne protĂšge pas le droit Ă la vie dufĆtus en qualitĂ© de personne. Lâexpression « toute personne » contenue Ă lâarticle 2 mais Ă©galement aux articles 5, 6, 8 Ă 11 et 13 de la Convention
serait utilisĂ©e de telle maniĂšre quâelle ne pourrait sâappliquer quâaprĂšs lanaissance ( X c. Royaume-Uni, no 8416/79, dĂ©cision de la Commission du13 mai 1980, DĂ©cisions et rapports (DR) 19, p. 244). Lâarticle 2, prisisolĂ©ment, conduirait Ă la mĂȘme observation car les limitations apportĂ©es audroit Ă la vie de « toute personne » prĂ©vues au paragraphe 2 concernenttoutes, de par leur nature, les personnes dĂ©jĂ nĂ©es.
52. Quant au « droit Ă la vie », visĂ© dans le mĂȘme article, il ne pourraitdavantage ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme sâappliquant au fĆtus et concerneraituniquement la vie de personnes dĂ©jĂ nĂ©es vivantes car il ne serait nicohĂ©rent ni justifiĂ© de dissocier ce droit du sujet auquel il se rattache, en
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 28/62
26 ARRĂT VO c. FRANCE
lâoccurrence la personne. A la diffĂ©rence de lâarticle 4 § 1 de la ConventionamĂ©ricaine relative aux droits de lâhomme de 1969 selon lequel « Toute
personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ© par la loi, eten gĂ©nĂ©ral Ă partir de la conception », les Etats signataires de la Conventionnâauraient pas envisagĂ© une telle extension de lâarticle 2 de la Conventionau motif que, dĂ©jĂ en 1950, la quasi-totalitĂ© des Parties contractantesautorisaient lâavortement dans certaines circonstances. ReconnaĂźtre que lefĆtus bĂ©nĂ©ficie du droit Ă la vie au sens de lâarticle 2 place sur un pieddâĂ©galitĂ© la vie de la mĂšre et celle du fĆtus. Par ailleurs, privilĂ©gier lasauvegarde de la vie du second ou la mettre en balance avec lâunique risqueĂ la fois grave, immĂ©diat et insurmontable pour la vie de la mĂšreconstituerait une rĂ©gression historique et sociale ainsi quâune remise encause des lĂ©gislations en vigueur dans de nombreux Etats parties Ă la
Convention.53. Le Gouvernement rappelle que la Commission sâest interrogĂ©e sur le
point de savoir sâil Ă©tait opportun dâaccorder au fĆtus un droit Ă la vieassorti de certaines limitations tenant Ă la protection de la vie et de la santĂ©de la mĂšre ( X c. Royaume-Uni, dĂ©cision prĂ©citĂ©e). Il estime quâune tellelimitation ne permettrait pas de lĂ©gitimer lâavortement fondĂ© sur desconsidĂ©rations thĂ©rapeutiques, morales ou sociales comme plusieurslĂ©gislations nationales lâautorisaient pourtant dĂ©jĂ au moment de lanĂ©gociation de la Convention. Cela reviendrait Ă sanctionner des Etats ayantfait le choix du droit Ă lâavortement en tant quâexpression et application dudroit des femmes Ă disposer de leur corps et Ă maĂźtriser leur maternitĂ©. Orles Etats parties nâont pas voulu confĂ©rer Ă lâexpression « droit Ă la vie » unsens couvrant le fĆtus, de maniĂšre manifestement contraire Ă leur droitinterne.
54. Eu Ă©gard Ă ce qui prĂ©cĂšde, le Gouvernement considĂšre que laConvention nâest pas adaptĂ©e au cas du fĆtus et que si les Etats europĂ©ensavaient la volontĂ© de protĂ©ger efficacement le droit Ă la vie de celui-ci untexte distinct de lâarticle 2 devrait ĂȘtre Ă©laborĂ©. Une interprĂ©tation delâarticle 2 selon laquelle le droit Ă la vie admettrait des exceptions implicitesne serait conforme ni Ă sa lettre ni Ă son esprit. Dâune part, les exceptionsvisĂ©es constitueraient une liste limitative et il ne saurait en ĂȘtre autrement Ă
lâĂ©gard dâun droit aussi fondamental : le Gouvernement se rĂ©fĂšre Ă lâaffaire Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, § 37, CEDH 2002-III), oĂč la Cour a ditque lâarticle 2 « dĂ©finit les circonstances limitĂ©es dans lesquelles il est
permis dâinfliger intentionnellement la mort ». Dâautre part, ces exceptionsdoivent ĂȘtre comprises strictement et interprĂ©tĂ©es de façon Ă©troite (Ăcalanc. Turquie, no 46221/99, § 201, 12 mars 2003).
55. Le Gouvernement observe quâen lâespĂšce lâavortement thĂ©rapeutiquede la requĂ©rante a pour origine des actes commis par le mĂ©decin au-delĂ dela pĂ©riode lĂ©gale dâavortement qui Ă©tait Ă lâĂ©poque de dix semaines et qui estactuellement de douze semaines (paragraphes 27-28 ci-dessus). Toutefois, si
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 29/62
ARRĂT VO c. FRANCE 27
la Cour devait estimer que cette circonstance autorise lâapplication delâarticle 2 â le fĆtus devant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une personne protĂ©gĂ©e
par cette disposition â il rappelle que, dans plusieurs Etats europĂ©ens, ledĂ©lai lĂ©gal dâavortement atteint parfois plus de vingt semaines, comme auxPays-Bas ou en Angleterre (oĂč lâavortement peut ĂȘtre pratiquĂ© jusquâĂ vingt-quatre semaines). Sauf Ă remettre en cause les lĂ©gislations nationaleset la marge dâapprĂ©ciation dont les autoritĂ©s nationales jouissent dans cedomaine, lâarticle 2 ne saurait dĂšs lors ĂȘtre applicable Ă lâenfant Ă naĂźtre.Câest aussi la raison pour laquelle, selon le Gouvernement, la question de laviabilitĂ© du fĆtus en lâespĂšce nâest pas pertinente. Il serait paradoxal que lesEtats disposent dâune marge dâapprĂ©ciation leur permettant dâexclure lefĆtus de la protection de lâarticle 2 dans le cas oĂč un arrĂȘt de grossesse estintentionnellement pratiquĂ© avec le consentement de la mĂšre et parfois Ă
cette seule condition, sans quâil leur soit reconnu la mĂȘme margedâapprĂ©ciation pour exclure du champ dâapplication de cette disposition lefĆtus dans lâhypothĂšse dâune grossesse interrompue Ă cause dâune fauteinvolontaire.
56. A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle quâen droit français lefĆtus bĂ©nĂ©ficie dâune protection indirecte Ă travers le corps de la femmeenceinte dont il est lâextension. Il en est ainsi lorsque lâavortement est
provoquĂ© intentionnellement hors les cas limitativement Ă©numĂ©rĂ©s par la loi(article 223-10 du code pĂ©nal, paragraphe 25 ci-dessus) ou Ă la suite dâunaccident. Dans cette derniĂšre hypothĂšse, les mĂ©canismes classiques de laresponsabilitĂ© civile auraient vocation Ă sâappliquer : la mĂšre peut ĂȘtreindemnisĂ©e pour son prĂ©judice personnel, matĂ©riel, moral, qui prendnĂ©cessairement en compte le fait de la grossesse. Par ailleurs, au plan pĂ©nal,si une personne quelconque provoque par maladresse une interruption degrossesse, elle pourra ĂȘtre poursuivie pour blessures involontaires, ladestruction du fĆtus sâanalysant comme une altĂ©ration des organes de lafemme.
57. Le Gouvernement soutient que la requĂ©rante pouvait obtenir lacondamnation du centre hospitalier pour la faute du mĂ©decin dans le dĂ©laide prescription quadriennale de lâaction en responsabilitĂ© administrative. Ilexplique que les victimes des dommages causĂ©s par les agents publics de
lâadministration bĂ©nĂ©ficient de deux voies de recours distinctes. Si la faute Ă lâorigine de leur prĂ©judice est une faute personnelle de lâagent, dĂ©tachablede lâexercice de ses fonctions, la victime pourra en obtenir rĂ©paration enattrayant ledit agent devant une juridiction judiciaire ; si la faute gĂ©nĂ©ratricedu dommage rĂ©vĂšle un dysfonctionnement de lâadministration, il sâagiradâune faute de service qui tombe dans la compĂ©tence du juge administratif.Le Gouvernement fait valoir que, dans lâarrĂȘt Epoux V. (CE, 10 avril 1992),le Conseil dâEtat a abandonnĂ© lâexigence dâune faute lourde pour engager laresponsabilitĂ© du service hospitalier. En outre, est considĂ©rĂ©e comme uneexception Ă la responsabilitĂ© de lâhĂŽpital en cas de faute mĂ©dicale la faute
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 30/62
28 ARRĂT VO c. FRANCE
personnelle dĂ©tachable du service qui est soit purement personnelle, câest-Ă -dire dĂ©pourvue de tout lien avec le service, ce qui nâĂ©tait pas le cas en
lâespĂšce, soit intentionnelle ou dâune exceptionnelle gravitĂ©, ce qui sâentenddâune faute professionnelle inexcusable dont la gravitĂ© lui fait perdre soncaractĂšre indissociable du service Ă lâoccasion duquel elle a Ă©tĂ© commise.En rĂ©alitĂ©, le Gouvernement explique que la faute personnelle de lâagent etla faute de service sont le plus souvent mĂȘlĂ©es, notamment en matiĂšre de
blessures ou dâhomicide involontaires. Câest la raison pour laquelle leConseil dâEtat a trĂšs vite admis que la responsabilitĂ© personnelle de lâagentnâest pas exclusive de celle de son administration de rattachement (CE,Epoux Lemonnier, 1918). Pour le Gouvernement, la requĂ©rante disposaitdonc de la possibilitĂ© de demander rĂ©paration de son prĂ©judice devant le
juge administratif dÚs la réalisation de ce préjudice, sans devoir attendre
lâissue de la procĂ©dure pĂ©nale. Son action aurait eu dâautant plus de chancesde succĂšs que la mise en cause de la responsabilitĂ© de lâadministrationhospitaliĂšre implique uniquement la dĂ©monstration dâune faute simple et lesexpertises judiciaires relevaient prĂ©cisĂ©ment des problĂšmes dâorganisationdu service hospitalier. On peut donc lĂ©gitimement penser que les
juridictions administratives en seraient venues Ă la mĂȘme conclusion.58. Le Gouvernement affirme que ce recours Ă©tait efficace et suffisant au
regard des obligations positives dĂ©coulant de lâarticle 2 de la Convention(Calvelli et Ciglio, prĂ©citĂ©) et que la requĂ©rante sâest privĂ©e par son inactionou sa propre nĂ©gligence dâune voie de recours qui lui Ă©tait pourtant ouverte
pendant quatre ans Ă compter de la survenance du dommage et pour laquelleelle pouvait bĂ©nĂ©ficier des conseils de ses avocats. Dans lâaffaire Calvelli etCiglio, lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 de la Convention Ă un nouveau-nĂ© nefaisait pas de doute. Dans le cas dâespĂšce, oĂč lâapplication de lâarticle 2 estcontestable, il y aurait donc des raisons supplĂ©mentaires pour estimer que la
possibilitĂ© de mettre en Ćuvre les mĂ©canismes de responsabilitĂ© civile ouadministrative est suffisante. Pour le Gouvernement, cette action enresponsabilitĂ© aurait pu se fonder sur lâatteinte Ă la vie de lâenfant que
portait la requĂ©rante car la jurisprudence des juridictions administratives enla matiĂšre ne semble pas exclure, Ă ce jour, la possibilitĂ© de faire bĂ©nĂ©ficierles embryons de la protection Ă©noncĂ©e Ă lâarticle 2 de la Convention
(CE ass., ConfĂ©dĂ©ration nationale des associations familiales catholiques etautres, arrĂȘt prĂ©citĂ© du 21 dĂ©cembre 1990 â paragraphe 47 ci-dessus). Aumoment des faits, la question nâĂ©tait en tout cas pas clairement tranchĂ©e parle Conseil dâEtat.
59. En conclusion, le Gouvernement considĂšre que, Ă supposer mĂȘmeque lâarticle 2 soit applicable en lâespĂšce, cette disposition nâimposerait pas,sâagissant dâune faute involontaire, que la vie du fĆtus soit protĂ©gĂ©e par ledroit pĂ©nal, ainsi que cela prĂ©vaut dans bon nombre de pays europĂ©ens.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 31/62
ARRĂT VO c. FRANCE 29
B. Les tierces interventions
1. Le Centre des droits génésiques60. Selon le Centre des droits génésiques (ci-aprÚs « CCR », pour
« Center for Reproductive Rights »), reconnaĂźtre au fĆtus Ă naĂźtre la qualitĂ©de sujet de droit et donc de « personne » au sens de lâarticle 2 de laConvention nâest pas possible faute de fondement juridique pour le fairedâune part (i), et en raison de lâatteinte quâune telle reconnaissance porteraitaux droits fondamentaux des femmes dâautre part (ii). Il conclut au caractĂšre
peu opportun de lâextension de droits au fĆtus car la perte dâun fĆtus dĂ©sirĂ©reprĂ©sente un dommage subi par la future mĂšre (iii).
61. (i) Lâaffirmation selon laquelle le fĆtus est une personne irait Ă lâencontre de la jurisprudence des organes de la Convention, de celle deslĂ©gislations des Etats membres du Conseil de lâEurope, des normesinternationales et de la jurisprudence des tribunaux du monde entier.Sâappuyant sur les dĂ©cisions X c. Royaume-Uni (dĂ©cision de la Commission
prĂ©citĂ©e), H. c. NorvĂšge (no 17004/90, dĂ©cision de la Commission du 19 mai1992, DR 73, p. 155) et plus rĂ©cemment Boso c. Italie (no 50490/99, CEDH2002-VII), par lesquelles Commission et Cour ont considĂ©rĂ© que lâoctroi aufĆtus des mĂȘmes droits quâaux personnes entraĂźnerait des restrictionsabusives aux droits reconnus par lâarticle 2 aux personnes dĂ©jĂ nĂ©es, le CCRne voit pas de raison de sâen dĂ©partir sauf Ă remettre en cause le droit Ă lâavortement dans tous les Etats membres du Conseil de lâEurope.
62. Les lĂ©gislations europĂ©ennes, pas plus que leur interprĂ©tation par les juridictions nationales, ne font du fĆtus une personne. Le CCR rappelle la position constante de la Cour de cassation (paragraphe 29 ci-dessus) quiserait conforme Ă la distinction Ă©tablie par le droit français entre les notionsdâ« ĂȘtre humain » et de « personne », la premiĂšre Ă©tant une notion
biologique, la seconde un concept juridique attaché à une catégorie juridique dont les droits prennent effet et sont acquis à la naissance bienque, dans certaines circonstances, les droits acquis à la naissance puissent
prendre effet rĂ©troactivement Ă la conception. Les juridictions nationales ont par ailleurs abordĂ© la question du statut juridique de la personne dans lecadre de lâavortement. Ainsi, les Cours constitutionnelles autrichienne et
nĂ©erlandaise ont considĂ©rĂ© quâil ne fallait pas interprĂ©ter lâarticle 2 comme protĂ©geant lâenfant Ă naĂźtre, et le Conseil constitutionnel français a estimĂ©quâil nây avait pas de conflit entre la lĂ©gislation sur lâinterruption volontairede grossesse et la protection constitutionnelle du droit Ă la santĂ© de lâenfant(dĂ©cision no 74-54 du 15 janvier 1975). Cette interprĂ©tation est conformeaux lĂ©gislations en la matiĂšre dans toute lâEurope : Ă lâexception dâAndorre,de lâIrlande, du Liechtenstein, de Malte, de la Pologne et de Saint-Marin quiont maintenu des restrictions sĂ©vĂšres Ă lâavortement (avec uniquement desexceptions thĂ©rapeutiques trĂšs Ă©troites), trente-neuf Etats membres duConseil de lâEurope permettent Ă une femme de mettre un terme Ă sa
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 32/62
30 ARRĂT VO c. FRANCE
grossesse sans restriction pendant le premier trimestre ou pour des motifsthérapeutiques trÚs larges.
63. Sâagissant des normes internationales et rĂ©gionales, le CCR observeque le Pacte international relatif aux droits civils et politiques nâindique passi le droit Ă la vie sâapplique au fĆtus. Cela Ă©tant, il prĂ©cise que le ComitĂ©des droits de lâhomme a constamment soulignĂ© la menace pour la vie desfemmes que reprĂ©sentent les avortements pratiquĂ©s dans lâillĂ©galitĂ©. Il en estde mĂȘme de la Convention relative aux droits de lâenfant et delâinterprĂ©tation par le ComitĂ© des droits de lâenfant de lâarticle 6 selonlequel « tout enfant a un droit inhĂ©rent Ă la vie ». A plusieurs occasions, lecomitĂ© sâest prĂ©occupĂ© de la difficultĂ© des adolescentes Ă bĂ©nĂ©ficierdâinterruption de grossesse dans de bonnes conditions de sĂ©curitĂ© et aexprimĂ© sa crainte quant Ă lâincidence dâune lĂ©gislation rĂ©pressive sur les
taux de mortalitĂ© maternelle. La jurisprudence du systĂšme rĂ©gionalamĂ©ricain, nonobstant lâarticle 4 de la Convention amĂ©ricaine relative auxdroits de lâhomme (paragraphe 52 ci-dessus), nâoffre pas une protectionabsolue au fĆtus avant la naissance. La Commission interamĂ©ricaine aestimĂ© en effet, dans lâaffaire « Baby boy » (1981), que lâarticle 4 prĂ©citĂ© nefaisait pas obstacle Ă la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale libĂ©rale sur lâinterruptionvolontaire de grossesse. Quant Ă lâOrganisation de lâUnion africaine, elle aadoptĂ© le Protocole relatif aux droits des femmes le 11 juillet 2003, en vuede complĂ©ter la Charte africaine des droits de lâhomme et des peuples du27 juin 1981, qui Ă©largit la protection garantie au droit des femmes demettre un terme Ă leur grossesse.
64. Enfin, parmi les Etats non europĂ©ens, le CCR note que les CourssuprĂȘmes du Canada et des Etats-Unis se sont refusĂ©es Ă traiter les fĆtus Ă naĂźtre comme des sujets de droits (affaires Winnipeg Child Family Servicesv. G. (1997) et Roe v. Wade (1973)). La seconde a rĂ©itĂ©rĂ© cette
jurisprudence, dans une affaire rĂ©cente en lâan 2000 (Stenberg v. Carhart ),dans laquelle elle a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle une loi dâun Etat fĂ©dĂ©rĂ© quiinterdisait certaines mĂ©thodes dâavortement et ne prĂ©voyait aucune
protection pour la santĂ© des femmes. De mĂȘme, en Afrique du Sud, se prononçant sur une demande contestant la constitutionnalitĂ© de la loirĂ©cemment adoptĂ©e sur lâinterruption volontaire de grossesse, qui autorisait
lâavortement, sans restriction pendant le premier trimestre et pour de largesmotifs aux stades ultĂ©rieurs de la grossesse, la High Court sud-africaine aconsidĂ©rĂ© que le fĆtus nâavait pas de personnalitĂ© juridique (affaireChristian Lawyers Association of South Africa and Others v. Minister of
Health and Others, 1998).65. (ii) Selon le CCR, la reconnaissance de droits au fĆtus porte
notamment atteinte aux droits fondamentaux de la femme Ă la vie privĂ©e.Dans lâaffaire BrĂŒggemann et Scheuten c. Allemagne (no 6959/75, rapportde la Commission du 12 juillet 1977, DR 10, p. 123), la Commission auraitimplicitement admis quâune interdiction absolue de lâavortement reprĂ©sente
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 33/62
ARRĂT VO c. FRANCE 31
une atteinte prohibĂ©e au droit Ă la vie privĂ©e sur le terrain de lâarticle 8 de laConvention. Par la suite, tout en rejetant lâidĂ©e que lâarticle 2 protĂšge le
droit Ă la vie des fĆtus, les organes de la Convention auraient en outrereconnu que le droit au respect de la vie privĂ©e garanti Ă la femme enceinte,en tant que personne essentiellement concernĂ©e par la grossesse, sa
poursuite ou son interruption, primait sur les droits du pĂšre (paragraphe 61ci-dessus). En plus de ce respect, câest la prĂ©servation de la vie et de la santĂ©dâune femme enceinte qui prĂ©vaut ; en considĂ©rant que des restrictions auxĂ©changes dâinformations sur lâavortement crĂ©aient un risque pour la santĂ©des femmes dont les grossesses menaçaient la vie, la Cour a conclu quelâinjonction Ă©tait « disproportionnĂ©e aux objectifs poursuivis » et que, dĂšslors, lâintĂ©rĂȘt prĂ©sentĂ© par la santĂ© dâune femme dĂ©passait lâintĂ©rĂȘt moraldĂ©clarĂ© dâun Etat Ă protĂ©ger les droits du fĆtus (Open Door et Dublin Well
Woman c. Irlande, arrĂȘt du 29 octobre 1992, sĂ©rie A no 246-A). 66. (iii) De lâavis du CCR, le fait de ne pas reconnaĂźtre le fĆtus comme
une personne au regard de lâarticle 2 nâempĂȘche pas de trouver un recours pour les dommages tels que celui qui a donnĂ© lieu Ă la prĂ©sente affaire. La perte dâun fĆtus dĂ©sirĂ© est un prĂ©judice subi par la future mĂšre. EnconsĂ©quence, les droits qui peuvent ĂȘtre dĂ©fendus dans cette affaire sontceux de la requĂ©rante et non ceux du fĆtus quâelle a perdu. Il relĂšve du
pouvoir lĂ©gislatif de chacun des Etats membres du Conseil de lâEurope derĂ©primer au regard tant du droit civil que du droit pĂ©nal les infractionscommises par des individus qui causent un dommage Ă une femme en
provoquant la fin dâune grossesse dĂ©sirĂ©e.
2. LâAssociation pour le planning familial
67. LâAssociation pour le planning familial (ci-aprĂšs « FPA », pour« Family Planning Association ») cherche essentiellement Ă faire valoir quele droit Ă la vie consacrĂ© par lâarticle 2 de la Convention ne doit passâinterprĂ©ter comme concernant aussi lâenfant Ă naĂźtre (i). A lâappui de sathĂšse, la FPA prĂ©sente Ă la Cour des Ă©lĂ©ments montrant quelle est Ă lâheureactuelle la situation juridique en matiĂšre dâavortement dans les Etatsmembres du Conseil de lâEurope (ii) et un rĂ©sumĂ© sur le statut juridique delâenfant Ă naĂźtre en droit britannique (iii).
68. (i) La FPA rappelle que lâarticle 2 est rĂ©digĂ© de maniĂšre Ă nâautoriserquâun trĂšs petit nombre dâexceptions Ă lâinterdiction quâil Ă©nonce dâinfligerintentionnellement la mort. Lâinterruption volontaire de grossesse ne fait pas
partie des exceptions prĂ©vues, lesquelles ne sauraient pas non plus ĂȘtreinterprĂ©tĂ©es comme englobant cette pratique. Les Ă©lĂ©ments rĂ©cents montrentque lâinterruption volontaire de grossesse sur demande au cours du premiertrimestre est dĂ©sormais couramment admise dans toute lâEurope et quelâinterruption volontaire de grossesse pour certains motifs au cours dudeuxiĂšme trimestre lâest aussi trĂšs largement. Si elle devait considĂ©rer quelâarticle 2 sâapplique Ă lâenfant Ă naĂźtre dĂšs la conception, ainsi que la
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 34/62
32 ARRĂT VO c. FRANCE
requĂ©rante le soutient, la Cour remettrait en question les lois surlâavortement adoptĂ©es par la plupart des Etats contractants. Par ailleurs, cela
ferait tomber dans lâillĂ©galitĂ© la majoritĂ© des mĂ©thodes de contraceptionactuellement utilisĂ©es dans toute lâEurope du fait quâelles agissent ou
peuvent agir aprĂšs la conception pour empĂȘcher la nidation. Cela auraitdonc des consĂ©quences dĂ©sastreuses tant sur les choix et la vie de chacunque sur la politique sociale. La High Court anglaise a rĂ©cemment admis quetelle serait la consĂ©quence indĂ©sirable qui se produirait si elle souscrivait Ă lâargument de la Society for the Protection of Unborn Children selon lequelles contraceptifs hormonaux dâurgence sont des abortifs au motif que lagrossesse commence Ă la conception : voir Society for the Protection ofUnborn Children v. Secretary of State for Health, High Court ,
Administrative Court (England and Wales) 2002, p. 610.
69. Il y aurait Ă©galement lieu de rejeter la possibilitĂ© que lâarticle 2sâapplique au fĆtus moyennant certaines limitations implicites, par exempleau-delĂ dâun seuil critique (viabilitĂ© ou autre critĂšre liĂ© Ă la durĂ©e de lagrossesse). Les Ă©lĂ©ments rĂ©cents montrent que, en dehors du large consensusqui vient dâĂȘtre Ă©voquĂ©, il nâexiste pas la moindre norme gĂ©nĂ©ralementreconnue quant au nombre de semaines de grossesse pendant lequellâavortement est autorisĂ©, aux motifs pour lesquels lâavortement peut ĂȘtre
pratiquĂ© aprĂšs un tel dĂ©lai, ou aux conditions devant ĂȘtre respectĂ©es.70. (ii) Il existe des Ă©tudes rĂ©centes ( International Planned Parenthood
Federation, Abortion Legislation in Europe, IPPF European Network , juillet 2002, et Abortion Policies : A Global Review, Division de la population de lâONU, juin 2002) sur la situation juridique en matiĂšredâavortement dans les Etats membres du Conseil de lâEurope, Ă lâexceptionde la Serbie-MontĂ©nĂ©gro. Ces Ă©tudes montrent que quatre Etats interdisentquasi totalement lâavortement, sauf lorsque la vie de la femme enceinte esten danger (Andorre, Liechtenstein, Saint-Marin, Irlande), alors que lagrande majoritĂ© des Etats membres autorisent un recours bien plus large Ă lâavortement. La possibilitĂ©, attestĂ©e par ces Ă©tudes, de pratiquer celui-cidans toute lâEurope concorde avec la tendance gĂ©nĂ©rale Ă la libĂ©ralisation dela lĂ©gislation sur lâavortement. Il ne ressort de la pratique des Etats membresaucun accord gĂ©nĂ©ral quant Ă la pĂ©riode pendant laquelle lâavortement est
autorisĂ© aprĂšs le premier trimestre, ou quant aux conditions Ă satisfaire pour pouvoir accĂ©der Ă lâavortement aux stades ultĂ©rieurs de la grossesse. Lesmotifs pour lesquels lâavortement est permis sans quâil soit fait mentiondâun dĂ©lai sont par ailleurs nombreux et variĂ©s. En consĂ©quence, la FPAsoutient que si lâarticle 2 Ă©tait interprĂ©tĂ© comme sâappliquant Ă lâenfant Ă naĂźtre Ă partir dâun certain moment, cela remettrait en question la position
juridique adoptĂ©e par plusieurs Etats au sein desquels lâinterruption degrossesse est possible pour certains motifs Ă un stade ultĂ©rieur Ă celui que laCour viendrait Ă dĂ©terminer.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 35/62
ARRĂT VO c. FRANCE 33
71. (iii) Selon un principe général de la common law désormais établi, la personnalité juridique au Royaume-Uni se concrétise à la naissance. Avant
ce stade, lâenfant Ă naĂźtre nâa aucune personnalitĂ© juridique autonome parrapport Ă celle de la femme enceinte. NĂ©anmoins, malgrĂ© cette absence de
personnalitĂ© juridique, les intĂ©rĂȘts de lâenfant Ă naĂźtre sont souvent protĂ©gĂ©s pendant quâil est dans le ventre de sa mĂšre, mĂȘme sâils ne peuvent sâimposercomme des droits susceptibles dâĂȘtre sanctionnĂ©s devant la justice tant quâilnây a pas eu acquisition de la personnalitĂ© juridique, Ă la naissance.
72. En droit civil, cela signifie spĂ©cifiquement quâavant la naissancelâenfant Ă naĂźtre nâa pas qualitĂ© pour entamer une action en rĂ©paration oufaire usage dâautres recours juridictionnels Ă raison dâun prĂ©judice ou dâuneatteinte subis in utero, et quâaucune plainte ne peut ĂȘtre prĂ©sentĂ©e en sonnom (affaire Paton v. British Pregnancy Advisory Service Trustees, Queenâs
Bench Reports, 1979, p. 276). Des efforts ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s dans cette affaireet les dĂ©cisions postĂ©rieures pour convaincre la juridiction saisie que selonle droit successoral lâenfant Ă naĂźtre peut ĂȘtre rĂ©putĂ© « nĂ© » ou « personneexistante » ( person in being ) dĂšs lors que ses intĂ©rĂȘts lâexigent. NĂ©anmoins,lâaffaire Burton confirme que ce principe est Ă©galement subordonnĂ© Ă lacondition que lâenfant soit nĂ© vivant (Queenâs Bench Reports, 1993,
pp. 204, 227).73. En droit pĂ©nal, il est bien Ă©tabli que lâenfant Ă naĂźtre nâest pas traitĂ©
comme une personne juridique sous lâangle des rĂšgles de la common law surlâhomicide volontaire ou involontaire. Dans Attorney-Generalâs Reference(no 3, 1994), la House of Lords a conclu que les dommages corporels subis
par lâenfant Ă naĂźtre lorsque celui-ci ne naĂźt pas vivant ne pouvaient aboutirĂ une condamnation pour meurtre, homicide involontaire ou autre crimeviolent. Les droits de lâenfant Ă naĂźtre sont Ă©galement protĂ©gĂ©s par lesdispositions du droit pĂ©nal se rapportant Ă lâavortement. Les articles 58 et 59de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences againstthe Person Act 1861) ont Ă©rigĂ© en infraction le fait de provoquer unavortement et de fournir les moyens dâen provoquer un. De mĂȘme, en vertude lâarticle 1 de la loi de 1929 sur la protection de la vie des nouveau-nĂ©s( Infant Life (Preservation) Act 1929), la suppression de lâenfant Ă naĂźtre,lorsque celui-ci est viable Ă la naissance, constitue une infraction grave. Ces
lois sont toujours en vigueur. Lâavortement et la suppression dâun enfantdemeurent illĂ©gaux, sous rĂ©serve de lâapplication de la loi de 1967 surlâinterruption volontaire de grossesse ( Abortion Act 1967 ).
C. Appréciation de la Cour
74. La requĂ©rante se plaint de lâimpossibilitĂ© dâobtenir la condamnation pĂ©nale du mĂ©decin ayant commis une erreur mĂ©dicale Ă la suite de laquelleelle a dĂ» subir un avortement thĂ©rapeutique. Il nâa pas Ă©tĂ© mis en doute queMme Vo entendait mener sa grossesse Ă terme et que son enfant Ă©tait en
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 36/62
34 ARRĂT VO c. FRANCE
bonne santé. A la suite des faits, la requérante et son compagnon portÚrent plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires
commises sur lâintĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur lâenfant quâelle portait. Les juridictions ont estimĂ© que lâaction publique Ă©tait Ă©teinte en cequi concerne la contravention de blessures involontaires sur la personne dela requĂ©rante et, cassant lâarrĂȘt de la cour dâappel sur le second point, laCour de cassation a estimĂ© que, au regard du principe selon lequel la loi
pĂ©nale est dâinterprĂ©tation stricte, le fĆtus ne pouvait ĂȘtre victime dâunhomicide involontaire. La question principale posĂ©e par la requĂ©rante estdonc celle de savoir si lâabsence de recours de nature pĂ©nale en droitfrançais pour rĂ©primer la suppression involontaire dâun fĆtus constitue unmanquement par lâEtat Ă son obligation de « protĂ©ger par la loi » le droit detoute personne Ă la vie, garanti par lâarticle 2 de la Convention.
1. Etat de la jurisprudence
75. Contrairement Ă lâarticle 4 de la Convention amĂ©ricaine relative auxdroits de lâhomme qui Ă©nonce que le droit Ă la vie doit ĂȘtre protĂ©gĂ© « engĂ©nĂ©ral Ă partir de la conception », lâarticle 2 de la Convention estsilencieux sur les limites temporelles du droit Ă la vie et, en particulier, il nedĂ©finit pas qui est la « personne » dont « la vie » est protĂ©gĂ©e par laConvention. A ce jour, la Cour nâa pas encore tranchĂ© la question ducommencement du droit « de toute personne Ă la vie », au sens de cettedisposition, ni celle de savoir si lâenfant Ă naĂźtre en est titulaire.
Cette question nâa Ă©tĂ© soulevĂ©e pour lâinstant quâĂ travers les lĂ©gislationssur lâinterruption volontaire de grossesse. Celle-ci ne constitue pas uneexception au nombre de celles Ă©numĂ©rĂ©es explicitement au paragraphe 2 dela Convention, mais elle est compatible avec lâarticle 2 § 1, premiĂšre phrase,selon lâancienne Commission, au nom de la protection de la vie et de lasantĂ© de la mĂšre, parce que « si lâon admet que cette disposition sâapplique Ă la phase initiale de la grossesse, lâavortement se trouve couvert par unelimitation implicite du « droit Ă la vie » du fĆtus pour, Ă ce stade, protĂ©gerla vie et la santĂ© de la femme » ( X c. Royaume-Uni, dĂ©cision de laCommission prĂ©citĂ©e, p. 262).
76. AprĂšs avoir refusĂ©, dans un premier temps, dâexaminer in abstracto
la compatibilitĂ© de lois concernant lâinterruption volontaire de grossesseavec lâarticle 2 de la Convention ( X c. NorvĂšge, no 867/60, dĂ©cision de laCommission du 29 mai 1961, Recueil des dĂ©cisions, vol. 6, p. 34 ;
X c. Autriche, no 7045/75, dĂ©cision de la Commission du 10 dĂ©cembre 1976,DR 7, p. 87), la Commission a reconnu, dans lâaffaire BrĂŒggemann etScheuten (rapport de la Commission prĂ©citĂ©), la qualitĂ© de victime Ă desfemmes se plaignant, au regard de lâarticle 8 de la Convention, de ladĂ©cision de la Cour constitutionnelle limitant le recours Ă lâinterruption degrossesse. Elle a prĂ©cisĂ© Ă cette occasion que lâ« on ne saurait dire que lagrossesse relĂšve uniquement du domaine de la vie privĂ©e. Lorsquâune
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 37/62
ARRĂT VO c. FRANCE 35
femme est enceinte, sa vie privĂ©e devient Ă©troitement associĂ©e au fĆtus quise dĂ©veloppe » (p. 138, § 59). Toutefois, la Commission nâa pas estimĂ©
« nĂ©cessaire dâexaminer, Ă ce propos, si lâenfant Ă naĂźtre doit ĂȘtre considĂ©rĂ©comme une « vie » au sens de lâarticle 2 de la Convention, ou sâil doit ĂȘtreconsidĂ©rĂ© comme une entitĂ© qui puisse, sur le plan de lâarticle 8 § 2, justifierune ingĂ©rence pour la protection dâautrui » (p. 138, § 60). Elle a conclu Ă lâabsence de violation de lâarticle 8 de la Convention car « touterĂ©glementation de lâinterruption des grossesses non dĂ©sirĂ©es ne constitue pasune ingĂ©rence dans le droit au respect de la vie privĂ©e de la mĂšre » (pp. 138-139, § 61), tout en soulignant que « rien ne prouve que les Parties Ă laConvention entendaient sâengager pour telle ou telle solution » (p. 140,§ 64).
77. Dans sa dĂ©cision X c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©e, la Commission sâest
penchĂ©e sur la requĂȘte dâun mari qui se plaignait de lâautorisation accordĂ©eĂ sa femme en vue dâun avortement thĂ©rapeutique. Tout en considĂ©rant le
pĂšre potentiel comme « victime » dâune violation du droit Ă la vie, elle aestimĂ©, Ă propos du terme « toute personne », employĂ© dans plusieursarticles de la Convention, quâil ne pouvait sâappliquer avant la naissancetout en prĂ©cisant quâon « ne saurait (...) exclure une telle application dans uncas rare, par exemple pour lâapplication de lâarticle 6 § 1 » (p. 259, § 7, etvoir, pour une telle application sous lâangle de lâaccĂšs au tribunal, Reevec. Royaume-Uni, no 24844/94, dĂ©cision de la Commission du 30 novembre1994, DR 79-B, p. 146). La Commission a ajoutĂ© que lâenfant Ă naĂźtre nâest
pas une « personne » au vu de lâusage gĂ©nĂ©ralement attribuĂ© Ă ce terme etdu contexte dans lequel il est employĂ© dans la disposition conventionnelle.Quant au terme « vie », et en particulier le dĂ©but de la vie, il existe des« divergences de points de vue sur la question du moment oĂč [elle]commence (...). Dâaucuns estiment quâelle commence dĂšs la conceptionalors que dâautres ont tendance Ă insister sur le moment de la nidation, surcelui oĂč le fĆtus devient « viable » ou encore sur celui oĂč il naĂźt vivant »( X c. Royaume-Uni, p. 260, § 12).
La Commission sâest ensuite interrogĂ©e sur le point de savoir si« lâarticle 2 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© : comme ne concernant pas (...) le fĆtus ;comme reconnaissant au fĆtus un « droit Ă la vie » assorti de certaines
limitations implicites ; ou comme reconnaissant au fĆtus un « droit Ă lavie » de caractĂšre absolu » (ibidem, p. 261, § 17). Tout en ne se prononçant pas sur les deux premiĂšres hypothĂšses, elle a alors exclu catĂ©goriquement laderniĂšre interprĂ©tation eu Ă©gard Ă la protection nĂ©cessaire de la vie de lamĂšre indissociable de celle de lâenfant Ă naĂźtre : « la « vie » du fĆtus estintimement liĂ©e Ă la vie de la femme qui le porte et ne saurait ĂȘtreconsidĂ©rĂ©e isolĂ©ment. Si lâon dĂ©clarait que la portĂ©e de lâarticle 2 sâĂ©tend aufĆtus et que la protection accordĂ©e par cet article devait, en lâabsence delimitation expresse, ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme absolue, il faudrait en dĂ©duirequâun avortement est interdit, mĂȘme lorsque la poursuite de la grossesse
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 38/62
36 ARRĂT VO c. FRANCE
mettrait gravement en danger la vie de la future mĂšre. Cela signifierait quela vie Ă naĂźtre du fĆtus serait considĂ©rĂ©e comme plus prĂ©cieuse que celle de
la femme enceinte » (ibidem, pp. 261-262, § 19). Cette solution fut retenue par la Commission alors que, dĂšs 1950, quasiment toutes les Partiescontractantes « autorisaient lâavortement lorsquâil Ă©tait nĂ©cessaire poursauver la vie de la mĂšre et que, depuis lors, les lĂ©gislations nationales surlâinterruption de la grossesse ont eu tendance Ă se libĂ©raliser » (ibidem,
p. 262, § 20).78. Dans lâaffaire H. c. NorvĂšge (dĂ©cision de la Commission prĂ©citĂ©e)
concernant un avortement non thĂ©rapeutique pratiquĂ© contre la volontĂ© du pĂšre, la Commission a ajoutĂ© que lâarticle 2 enjoint Ă lâEtat non seulementde sâabstenir de donner la mort intentionnellement mais aussi de prendre lesmesures nĂ©cessaires Ă la protection de la vie (pp. 180-181). Elle a estimĂ©
« nâavoir pas Ă dĂ©cider du point de savoir si le fĆtus peut bĂ©nĂ©ficier dâunecertaine protection au regard de la premiĂšre phrase de lâarticle 2 », sansexclure que « dans certaines conditions, cela puisse ĂȘtre le cas, mĂȘme sâilexiste dans les Etats contractants des divergences considĂ©rables quant au
point de savoir si et dans quelle mesure lâarticle 2 protĂšge la vie de lâenfantĂ naĂźtre » (p. 181). Elle a par ailleurs relevĂ© que, dans un domaine aussidĂ©licat, les Etats doivent jouir dâun certain pouvoir discrĂ©tionnaire et aconclu que le choix de la mĂšre, opĂ©rĂ© conformĂ©ment Ă la lĂ©gislationnorvĂ©gienne, cadrait avec celui-ci (p. 182).
79. La Cour nâa eu que peu dâoccasions de se prononcer sur la questionde lâapplication de lâarticle 2 au fĆtus. Dans lâarrĂȘt Open Door et DublinWell Woman, dĂ©jĂ citĂ©, le gouvernement irlandais invoquait la protection dela vie de lâenfant Ă naĂźtre pour justifier sa lĂ©gislation relative Ă lâinterdictionde diffuser des informations concernant lâinterruption volontaire degrossesse pratiquĂ©e Ă lâĂ©tranger. Seule reçut une rĂ©ponse la question desavoir si les restrictions Ă la libertĂ© de communiquer ou de recevoir lesinformations en cause Ă©taient nĂ©cessaires dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, ausens du paragraphe 2 de lâarticle 10 de la Convention, au « but lĂ©gitime de
protĂ©ger la morale, dont la dĂ©fense en Irlande du droit Ă la vie (...) constitueun aspect » (arrĂȘt prĂ©citĂ©, pp. 27-28, § 63), car la Cour nâa pas considĂ©rĂ©
pertinent de dĂ©terminer « si la Convention garantit un droit Ă lâavortement
ou si le droit Ă la vie, reconnu par lâarticle 2, vaut Ă©galement pour le fĆtus »(ibidem, p. 28, § 66). RĂ©cemment, dans des circonstances similaires Ă cellesde lâaffaire H. c. NorvĂšge prĂ©citĂ©e, Ă propos de la dĂ©cision dâune femmedâinterrompre sa grossesse et de lâopposition du pĂšre Ă un tel acte, la Cour afait valoir quâelle nâa pas « Ă dĂ©cider du point de savoir si le fĆtus peut
bĂ©nĂ©ficier dâune protection au regard de la premiĂšre phrase de lâarticle 2telle quâinterprĂ©tĂ©e » par la jurisprudence relative aux obligations positivesdu devoir de protection de la vie car « Ă supposer mĂȘme que, dans certainescirconstances, le fĆtus puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme titulaire de droitsgarantis par lâarticle 2 de la Convention, (...) dans la prĂ©sente affaire, (...)
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 39/62
ARRĂT VO c. FRANCE 37
lâinterruption (...) de grossesse a Ă©tĂ© pratiquĂ©e conformĂ©ment Ă lâarticle 5 dela loi no 194 de 1978 », celle-ci mĂ©nageant un juste Ă©quilibre entre les
intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© dâassurer la protection du fĆtus(dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e).
80. Il ressort de ce rappel jurisprudentiel que dans les circonstancesexaminĂ©es par les organes de la Convention Ă ce jour, Ă savoir leslĂ©gislations rĂ©gissant lâavortement, lâenfant Ă naĂźtre nâest pas considĂ©rĂ©comme une « personne » directement bĂ©nĂ©ficiaire de lâarticle 2 de laConvention et que son « droit » Ă la « vie », sâil existe, se trouveimplicitement limitĂ© par les droits et les intĂ©rĂȘts de sa mĂšre. Les organes dela Convention nâexcluent toutefois pas que, dans certaines circonstances,des garanties puissent ĂȘtre admises au bĂ©nĂ©fice de lâenfant non encore nĂ© ;câest ce que paraĂźt avoir envisagĂ© la Commission lorsquâelle a considĂ©rĂ© que
« lâarticle 8 § 1 ne peut sâinterprĂ©ter comme signifiant que la grossesse etson interruption relĂšvent, par principe, exclusivement de la vie privĂ©e de lamĂšre » ( BrĂŒggemann et Scheuten prĂ©citĂ©, pp. 138-139, § 61), ainsi que laCour dans la dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e. Il rĂ©sulte, par ailleurs, de lâexamen deces affaires que la solution donnĂ©e procĂšde toujours de la confrontation dediffĂ©rents droits ou libertĂ©s, parfois contradictoires, revendiquĂ©s par unefemme, une mĂšre ou un pĂšre, entre eux, ou vis-Ă -vis de lâenfant Ă naĂźtre.
2. Approche en lâespĂšce
81. La singularité de la présente affaire place le débat sur un autre plan.
La Cour est en prĂ©sence dâune femme qui entendait mener sa grossesse Ă terme et dont lâenfant Ă naĂźtre Ă©tait pronostiquĂ© viable, Ă tout le moins en bonne santĂ©. Cette grossesse a dĂ» ĂȘtre interrompue Ă la suite dâune fautecommise par un mĂ©decin et la requĂ©rante a donc subi un avortementthĂ©rapeutique Ă cause de la nĂ©gligence dâun tiers. La question est dĂšs lors desavoir si, hors de la volontĂ© de la mĂšre agissant dans le cas dâuneinterruption volontaire de grossesse, lâatteinte au fĆtus doit ĂȘtre pĂ©nalementsanctionnĂ©e au regard de lâarticle 2 de la Convention, en vue de protĂ©ger lefĆtus au titre de cet article. Elle suppose au prĂ©alable de se pencher surlâopportunitĂ© pour la Cour de sâimmiscer dans le dĂ©bat liĂ© Ă la dĂ©terminationde ce quâest une personne et quand commence la vie, dans la mesure oĂč cet
article dispose que la loi protÚge « le droit de toute personne à la vie ».82. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus,
lâinterprĂ©tation de lâarticle 2 Ă cet Ă©gard sâest faite dans un souci Ă©videntdâĂ©quilibre, et la position des organes de la Convention, au regard desdimensions juridiques, mĂ©dicales, philosophiques, Ă©thiques ou religieusesde la dĂ©finition de la personne humaine, a pris en considĂ©ration lesdiffĂ©rentes approches nationales du problĂšme. Ce choix sâest traduit par la
prise en compte de la diversitĂ© des conceptions quant au point de dĂ©part dela vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux,laissant place Ă un large pouvoir discrĂ©tionnaire de lâEtat en la matiĂšre
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 40/62
38 ARRĂT VO c. FRANCE
quâexprime fort bien lâavis du Groupe europĂ©en dâĂ©thique des sciences etdes nouvelles technologies auprĂšs de la Commission europĂ©enne : « Les
instances communautaires doivent aborder ces questions Ă©thiques en tenantcompte des divergences morales et philosophiques reflĂ©tĂ©es par lâextrĂȘmediversitĂ© des rĂšgles juridiques applicables Ă la recherche sur lâembryonhumain (...). Il serait non seulement juridiquement dĂ©licat dâimposer en cedomaine une harmonisation des lĂ©gislations nationales mais, du fait delâabsence de consensus, il serait Ă©galement inopportun de vouloir Ă©dicterune morale unique, exclusive de toutes les autres » (paragraphe 40 ci-dessus).
Il en rĂ©sulte que le point de dĂ©part du droit Ă la vie relĂšve de la margedâapprĂ©ciation des Etats dont la Cour tend Ă considĂ©rer quâelle doit leur ĂȘtrereconnue dans ce domaine, mĂȘme dans le cadre dâune interprĂ©tation
Ă©volutive de la Convention, qui est « un instrument vivant, Ă interprĂ©ter Ă lalumiĂšre des conditions de vie actuelles » (voir lâarrĂȘt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, sĂ©rie A no 26, pp. 15-16, § 31, et la jurisprudenceultĂ©rieure). Les raisons qui la poussent Ă ce constat sont, dâune part, que lasolution Ă donner Ă ladite protection nâest pas arrĂȘtĂ©e au sein de la majoritĂ©
des Etats contractants, et en France en particulier, oĂč la question donne lieuĂ dĂ©bat (paragraphe 83 ci-dessous), et, dâautre part, quâaucun consensuseuropĂ©en nâexiste sur la dĂ©finition scientifique et juridique des dĂ©buts de lavie (paragraphe 84 ci-dessous).
83. La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrĂȘtsconsĂ©cutifs rendus en 1999, 2001 et 2002 (paragraphes 22 et 29 ci-dessus), aconsidĂ©rĂ© que le principe de la lĂ©galitĂ© des peines et des dĂ©lits â qui imposeune interprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale â empĂȘche que les faits reprochĂ©sen cas dâatteinte mortelle au fĆtus puissent entrer dans les prĂ©visions delâarticle 221-6 du code pĂ©nal rĂ©primant lâhomicide involontaire « dâautrui ».En revanche, si Ă la suite dâune faute involontaire la mĂšre accouche dâunenfant vivant qui dĂ©cĂšde peu de temps aprĂšs sa naissance, lâauteur pourraĂȘtre condamnĂ© pour homicide involontaire sur la personne du nouveau-nĂ©(paragraphe 30 ci-dessus). La premiĂšre solution, en contradiction avec cellede plusieurs cours dâappel (paragraphes 21 et 50 ci-dessus), fut interprĂ©tĂ©ecomme une invitation faite au lĂ©gislateur Ă combler un vide juridique ; ce
fut Ă©galement la position du tribunal correctionnel en lâespĂšce : « Letribunal (...) ne peut crĂ©er le droit sur une question que [le lĂ©gislateur nâa] pudĂ©finir encore ». Le lĂ©gislateur français a esquissĂ© une telle dĂ©finition, en
proposant la crĂ©ation dâun dĂ©lit dâinterruption involontaire de grossesse(paragraphe 32 ci-dessus), proposition de loi qui a Ă©chouĂ© face aux crainteset incertitudes quâune telle incrimination pouvait susciter Ă lâĂ©gard de ladĂ©termination du dĂ©but de la vie, et aux inconvĂ©nients jugĂ©s supĂ©rieurs auxavantages de cette nouvelle incrimination (paragraphe 33 ci-dessus). Parailleurs, la Cour note que, simultanĂ©ment au constat rĂ©pĂ©tĂ© de la haute
juridiction selon lequel lâarticle 221-6 du code pĂ©nal nâest pas applicable au
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 41/62
ARRĂT VO c. FRANCE 39
fĆtus, le lĂ©gislateur français est en passe de rĂ©viser les lois de bioĂ©thiquede 1994, qui avaient insĂ©rĂ© dans le code pĂ©nal des dispositions relatives Ă la
protection de lâembryon humain (paragraphe 25 ci-dessus), et quinĂ©cessitaient un nouvel examen face aux progrĂšs de la science et destechniques (paragraphe 34 ci-dessus). De cet aperçu, il ressort quâen Francela nature et le statut juridique de lâembryon et/ou du fĆtus ne sont pasdĂ©finis actuellement et que la façon dâassurer leur protection dĂ©pend de
positions fort variées au sein de la société française.84. Au plan européen, la Cour observe que la question de la nature et du
statut de lâembryon et/ou du fĆtus ne fait pas lâobjet dâun consensus(paragraphes 39 et 40 ci-dessus), mĂȘme si on voit apparaĂźtre des Ă©lĂ©ments de
protection de ce/ces dernier(s), au regard des progrÚs scientifiques et desconséquences futures de la recherche sur les manipulations génétiques, les
procrĂ©ations mĂ©dicalement assistĂ©es ou les expĂ©rimentations sur lâembryon.Tout au plus peut-on trouver comme dĂ©nominateur commun aux Etatslâappartenance Ă lâespĂšce humaine ; câest la potentialitĂ© de cet ĂȘtre et sacapacitĂ© Ă devenir une personne, laquelle est dâailleurs protĂ©gĂ©e par le droitcivil dans bon nombre dâEtats comme en France, en matiĂšre de successionou de libĂ©ralitĂ©s, mais aussi au Royaume-Uni (paragraphe 72 ci-dessus), quidoivent ĂȘtre protĂ©gĂ©es au nom de la dignitĂ© humaine sans pour autant enfaire une « personne » qui aurait un « droit Ă la vie » au sens de lâarticle 2.La Convention dâOviedo sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine segarde dâailleurs de dĂ©finir le terme de personne et le rapport explicatifindique que, faute dâunanimitĂ© sur la dĂ©finition, les Etats membres ontchoisi de laisser au droit interne le soin dâapporter les prĂ©cisions pertinentesaux effets de lâapplication de cette convention (paragraphe 36 ci-dessus). Ilen est de mĂȘme du Protocole additionnel prohibant le clonage humain et duProtocole relatif Ă la recherche biomĂ©dicale qui ne dĂ©finissent pas le conceptdâĂȘtre humain (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Il nâest pas enfin sansintĂ©rĂȘt de noter la possibilitĂ© pour la Cour dâĂȘtre saisie en application delâarticle 29 de la Convention dâOviedo pour donner des avis relatifs Ă lâinterprĂ©tation de cette convention.
85. Quant Ă ce qui prĂ©cĂšde, la Cour est convaincue quâil nâest nisouhaitable ni mĂȘme possible actuellement de rĂ©pondre dans lâabstrait Ă la
question de savoir si lâenfant Ă naĂźtre est une « personne » au sens delâarticle 2 de la Convention. Quant au cas dâespĂšce, elle considĂšre quâilnâest pas nĂ©cessaire dâexaminer le point de savoir si la fin brutale de lagrossesse de Mme Vo entre ou non dans le champ dâapplication delâarticle 2, dans la mesure oĂč, Ă supposer mĂȘme que celui-ci sâappliquerait,les exigences liĂ©es Ă la prĂ©servation de la vie dans le domaine de la santĂ©
publique nâont pas Ă©tĂ© mĂ©connues par lâEtat dĂ©fendeur. La Cour sâest eneffet demandĂ© si la protection juridique offerte par la France Ă la requĂ©rante,
par rapport Ă la perte de lâenfant Ă naĂźtre quâelle portait, satisfaisait auxexigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă lâarticle 2 de la Convention.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 42/62
40 ARRĂT VO c. FRANCE
86. A cet Ă©gard, elle observe quâen lâabsence de statut juridique clair delâenfant Ă naĂźtre, celui-ci nâest pas pour autant privĂ© de toute protection en
droit français. Toutefois, dans les circonstances de lâespĂšce, la vie du fĆtusĂ©tait intimement liĂ©e Ă celle de sa mĂšre et sa protection pouvait se faire autravers dâelle. Il en allait particuliĂšrement ainsi dĂšs lors quâaucun conflit dedroit nâexistait entre la mĂšre et le pĂšre, pas plus quâentre lâenfant Ă naĂźtre etses parents, mais que la perte du fĆtus rĂ©sultait de la nĂ©gligenceinvolontaire dâun tiers.
87. Dans la dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e, la Cour a estimĂ© que, Ă supposermĂȘme que le fĆtus puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant titulaire de droits
protĂ©gĂ©s par lâarticle 2 de la Convention (paragraphe 79 ci-dessus), la loiitalienne relative Ă lâinterruption volontaire de grossesse mĂ©nageait un justeĂ©quilibre entre les intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© dâassurer la protection
de lâenfant Ă naĂźtre. En lâespĂšce, lâobjet du litige concerne lâatteinte mortelleinvolontaire de lâenfant Ă naĂźtre, contre la volontĂ© de la mĂšre, et au prixdâune souffrance toute particuliĂšre de celle-ci ; force est de constater queleurs intĂ©rĂȘts se confondaient. DĂšs lors, il appartient Ă la Cour dâexaminer,sous lâangle de la question du caractĂšre adĂ©quat des voies de recoursexistantes, la protection dont la requĂ©rante disposait pour faire valoir laresponsabilitĂ© du mĂ©decin dans la perte de son enfant in utero et pourobtenir rĂ©paration de lâinterruption de sa grossesse quâil lui a fallu subir. LarequĂ©rante allĂšgue que seul un recours de nature pĂ©nale eĂ»t Ă©tĂ© Ă mĂȘme desatisfaire aux exigences de lâarticle 2 de la Convention. La Cour ne partage
pas ce point de vue pour les raisons suivantes.88. La Cour rappelle que la premiĂšre phrase de lâarticle 2, qui se place
parmi les articles primordiaux de la Convention en ce quâil consacre lâunedes valeurs fondamentales des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques qui forment leConseil de lâEurope ( McCann et autres c. Royaume-Uni, arrĂȘt du27 septembre 1995, sĂ©rie A no 324, pp. 45-46, § 147), impose Ă lâEtat nonseulement de sâabstenir de donner la mort « intentionnellement », mais ausside prendre les mesures nĂ©cessaires Ă la protection de la vie des personnesrelevant de sa juridiction (voir par exemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrĂȘt du9 juin 1998, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-III, p. 1403, § 36).
89. Ces principes sâappliquent aussi dans le domaine de la santĂ©
publique. Les obligations positives impliquent la mise en place par lâEtatdâun cadre rĂ©glementaire imposant aux hĂŽpitaux, quâils soient privĂ©s ou publics, lâadoption de mesures propres Ă assurer la protection de la vie des malades. Il sâagit Ă©galement dâinstaurer un systĂšme judiciaire efficace etindĂ©pendant permettant dâĂ©tablir la cause du dĂ©cĂšs dâun individu se trouvantsous la responsabilitĂ© de professionnels de la santĂ©, tant ceux agissant dansle cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privĂ©es, etle cas Ă©chĂ©ant dâobliger ceux-ci Ă rĂ©pondre de leurs actes ( Powellc. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 45305/99, CEDH 2000-V ; Calvelli et Ciglio,arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 49).
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 43/62
ARRĂT VO c. FRANCE 41
90. Si le droit de faire poursuivre ou condamner pĂ©nalement des tiers nesaurait ĂȘtre admis en soi (arrĂȘt Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70,
CEDH 2004-I), la Cour a maintes fois affirmĂ© quâun systĂšme judiciaireefficace tel quâil est exigĂ© par lâarticle 2 peut comporter, et dans certainescirconstances doit comporter, un mĂ©canisme de rĂ©pression pĂ©nale.Toutefois, si lâatteinte au droit Ă la vie ou Ă lâintĂ©gritĂ© physique nâest pasvolontaire, lâobligation positive dĂ©coulant de lâarticle 2 de mettre en placeun systĂšme judiciaire efficace nâexige pas nĂ©cessairement dans tous les casun recours de nature pĂ©nale. Dans le contexte spĂ©cifique des nĂ©gligencesmĂ©dicales, « pareille obligation peut ĂȘtre remplie aussi, par exemple, si lesystĂšme juridique en cause offre aux intĂ©ressĂ©s un recours devant les
juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pĂ©nales, aux fins dâĂ©tablir la responsabilitĂ© des mĂ©decins en
cause et, le cas Ă©chĂ©ant, dâobtenir lâapplication de toute sanction civileappropriĂ©e, tels le versement de dommages-intĂ©rĂȘts et la publication delâarrĂȘt. Des mesures disciplinaires peuvent Ă©galement ĂȘtre envisagĂ©es »(Calvelli et Ciglio prĂ©citĂ©, § 51 ; Lazzarini et Ghiacci c. Italie (dĂ©c.),no 53749/00, 7 novembre 2002 ; voir Ă©galement lâarrĂȘt Mastromatteoc. Italie [GC], no 37703/97, § 90, CEDH 2002-VIII).
91. En lâespĂšce, en plus de la poursuite du mĂ©decin pour blessuresinvolontaires sur la personne de la requĂ©rante qui se solda certes parlâamnistie de la contravention, dont la requĂ©rante ne se plaint pas, celle-cidisposait de la possibilitĂ© dâengager une action en responsabilitĂ© contrelâadministration Ă raison de la faute allĂ©guĂ©e du mĂ©decin hospitalier (voir
Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 14 et suivants, CEDH 2001-VI). Parce moyen, la requĂ©rante aurait eu droit Ă une audience contradictoire sur lefond de ses allĂ©gations de faute ( Powell , dĂ©cision prĂ©citĂ©e, p. 459) et Ă obtenir, le cas Ă©chĂ©ant, rĂ©paration de son prĂ©judice. Une demandedâindemnisation au juge administratif avait des chances sĂ©rieuses de succĂšset la requĂ©rante aurait pu obtenir la condamnation du centre hospitalier auversement de dommages-intĂ©rĂȘts. Cela rĂ©sulte du constat clair auquelavaient abouti les expertises judiciaires (paragraphe 16 ci-dessus) en 1992,soit avant que lâaction ne soit prescrite, sur le dysfonctionnement du servicehospitalier en cause et la nĂ©gligence grave du mĂ©decin, laquelle selon la
cour dâappel (paragraphe 21 ci-dessus) ne traduisait cependant pas unemĂ©connaissance totale des principes les plus Ă©lĂ©mentaires et des devoirs desa mission qui lâaurait rendue dĂ©tachable du service.
92. Lâargument de la prescription de lâaction en responsabilitĂ©administrative invoquĂ© par la requĂ©rante ne saurait prospĂ©rer aux yeux de laCour. A cet Ă©gard, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle le « droit Ă un tribunal », dont le droit dâaccĂšs constitue un aspect particulier, nâest pasabsolu et se prĂȘte Ă des limitations implicitement admises, notamment quantaux conditions de recevabilitĂ© dâun recours, car il appelle de par sa naturemĂȘme une rĂ©glementation par lâEtat, lequel jouit Ă cet Ă©gard dâune certaine
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 44/62
42 ARRĂT VO c. FRANCE
marge dâapprĂ©ciation (voir, parmi dâautres, lâarrĂȘt Brualla GĂłmez de laTorre c. Espagne du 19 dĂ©cembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2955, § 33).
Parmi ces restrictions lĂ©gitimes, figurent les dĂ©lais lĂ©gaux de prescriptionqui, selon la Cour, dans les affaires dâatteinte Ă lâintĂ©gritĂ© de la personne,ont « plusieurs finalitĂ©s importantes, Ă savoir garantir la sĂ©curitĂ© juridiqueen fixant un terme aux actions, mettre les dĂ©fendeurs potentiels Ă lâabri de
plaintes tardives peut-ĂȘtre difficiles Ă contrer, et empĂȘcher lâinjustice qui pourrait se produire si les tribunaux Ă©taient appelĂ©s Ă se prononcer sur desĂ©vĂ©nements survenus loin dans le passĂ© Ă partir dâĂ©lĂ©ments de preuveauxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raisondu temps Ă©coulĂ© » (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 octobre1996, Recueil 1996-IV, pp. 1502-1503, § 51).
93. En lâespĂšce, un dĂ©lai de prescription de quatre ans ne lui semble pas,
en tant que tel, excessivement court et ce dâautant plus ici, vu la gravitĂ© dudommage ressenti par la requĂ©rante et sa volontĂ© immĂ©diate de poursuivrele mĂ©decin. Cependant, il ressort du dossier que le choix de la requĂ©rante se
porta dĂ©libĂ©rĂ©ment vers la juridiction pĂ©nale sans quâelle fĂ»t, semble-t-il, jamais Ă©clairĂ©e sur la possibilitĂ© de saisir la juridiction administrative.Certes, le lĂ©gislateur a Ă©tendu rĂ©cemment ce dĂ©lai Ă dix ans dans le cadre dela loi du 4 mars 2002 (paragraphe 28 ci-dessus). Il lâa fait dans le butdâunifier les dĂ©lais de prescription des actions en rĂ©paration quelle que soitla juridiction compĂ©tente, administrative ou judiciaire. Cela permet de tenircompte de lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale dâun systĂšme de plus en plus favorable auxvictimes de fautes mĂ©dicales dont la voie administrative apparaĂźt Ă mĂȘme derĂ©pondre au souci dâĂ©quilibre entre la prise en considĂ©ration du dommagequâil faut rĂ©parer et la « judiciarisation » Ă outrance des responsabilitĂ©s
pesant sur le corps mĂ©dical. La Cour nâestime cependant pas que cettenouvelle rĂ©glementation puisse faire regarder lâancien dĂ©lai de quatre anscomme trop bref.
94. En conclusion, la Cour dit que, dans les circonstances de lâespĂšce,lâaction en responsabilitĂ© pouvait passer pour un recours efficace Ă ladisposition de la requĂ©rante. Ce recours, quâelle nâa pas en lâoccurrenceengagĂ© auprĂšs des juridictions administratives, aurait permis dâĂ©tablir lafaute mĂ©dicale dont elle se plaignait et de garantir dans lâensemble la
rĂ©paration du dommage causĂ© par la faute du mĂ©decin, et les poursuites pĂ©nales ne sâimposaient donc pas en lâespĂšce.95. Partant, Ă supposer mĂȘme que lâarticle 2 de la Convention trouve
application en lâespĂšce (paragraphe 85 ci-dessus), la Cour conclut quâil nâya pas eu violation de lâarticle 2 de la Convention.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 45/62
ARRĂT VO c. FRANCE 43
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Joint au fond , Ă lâunanimitĂ©, les exceptions du Gouvernement tirĂ©es delâincompatibilitĂ© ratione materiae de la requĂȘte avec les dispositions dela Convention et du dĂ©faut dâĂ©puisement des voies de recours internes etles rejette ;
2. DĂ©clare, Ă lâunanimitĂ©, la requĂȘte recevable ;
3. Dit , par quatorze voix contre trois, quâil nây a pas eu violation delâarticle 2 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au
Palais des Droits de lâHomme, Ă Strasbourg, le 8 juillet 2004.
Luzius WILDHABER Président
Paul MAHONEY Greffier
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de laConvention et 74 § 2 du rĂšglement, lâexposĂ© des opinions suivantes :
â opinion sĂ©parĂ©e de M. Rozakis, Ă laquelle se joignent M. Caflisch,M. Fischbach, M. Lorenzen et Mme Thomassen ; â opinion sĂ©parĂ©e de M. Costa, Ă laquelle se rallie M. Traja ; â opinion dissidente de M. Ress ; â opinion dissidente de Mme Mularoni, Ă laquelle dĂ©clare se rallier
Mme StrĂĄĆŸnickĂĄ.
L.W.P.J.M.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 46/62
OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE ROZAKIS,Ă LAQUELLE SE JOIGNENT M. CAFLISCH,
M. FISCHBACH, M. LORENZEN ET Mme THOMASSEN,JUGES
(Traduction)
Jâai votĂ© avec la majoritĂ© pour le constat de non-violation de lâarticle 2de la Convention en lâespĂšce. Etant donnĂ© toutefois que ma dĂ©marchediffĂšre Ă certains Ă©gards de celle adoptĂ©e par la Grande Chambre, jâaisouhaitĂ© joindre Ă lâarrĂȘt la prĂ©sente opinion sĂ©parĂ©e, qui expose les pointssur lesquels mon apprĂ©ciation du droit sâĂ©carte de celle de la majoritĂ©.
La Cour souligne Ă juste titre quâil ressort dâun aperçu du droit internefrançais que la nature et le statut juridique de lâembryon et/ou du fĆtus nesont pas dĂ©finis actuellement en France et que la façon dâassurer leur
protection dĂ©pend de positions fort variĂ©es au sein de la sociĂ©tĂ© française(paragraphe 83 in fine de lâarrĂȘt). Elle observe Ă©galement â il sâagit lĂ pourelle dâun argument de poids â que la question de la nature et du statut delâembryon et/ou du fĆtus ne fait pas lâobjet dâun consensus au planeuropĂ©en : « Tout au plus peut-on trouver comme dĂ©nominateur communaux Etats lâappartenance Ă lâespĂšce humaine ; câest la potentialitĂ© de cet ĂȘtreet sa capacitĂ© Ă devenir une personne, laquelle est dâailleurs protĂ©gĂ©e par ledroit civil dans bon nombre dâEtats comme en France, en matiĂšre de
succession ou de libĂ©ralitĂ©s, mais aussi au Royaume-Uni (...), qui doiventĂȘtre protĂ©gĂ©es au nom de la dignitĂ© humaine sans pour autant en faire une« personne » qui aurait un « droit Ă la vie » au sens de lâarticle 2 »(paragraphe 84 de lâarrĂȘt).
MalgrĂ© ces constats, auxquels je souscris volontiers, la Cour refuse detirer la conclusion qui sâimpose, Ă savoir quâau stade actuel de lâĂ©volutionde la science, du droit et de la morale, tant en France quâen Europe, le droitĂ la vie de lâenfant Ă naĂźtre nâest pas encore garanti. MĂȘme si lâon admet quela vie commence avant la naissance, cela ne revient pas Ă confĂ©rerautomatiquement et inconditionnellement Ă cette forme de vie humaine undroit Ă la vie Ă©quivalent au droit correspondant dâun enfant aprĂšs la
naissance. Cela ne signifie pas que la sociĂ©tĂ© nâoffre aucune protection Ă lâenfant Ă naĂźtre : ainsi quâen attestent la lĂ©gislation applicable dans les EtatseuropĂ©ens et les accords et autres documents europĂ©ens pertinents, la vie delâenfant Ă naĂźtre est dĂ©jĂ considĂ©rĂ©e comme devant ĂȘtre protĂ©gĂ©e. MaisdâaprĂšs mon interprĂ©tation des instruments juridiques pertinents, cette
protection, tout en Ă©tant confĂ©rĂ©e Ă un ĂȘtre regardĂ© comme en Ă©tant digne,est, comme je viens de le dire, diffĂ©rente de celle qui est accordĂ©e Ă unenfant aprĂšs la naissance, et bien moins ample. Il apparaĂźt donc quâau stadeactuel de lâĂ©volution du droit et de la morale en Europe la vie de lâenfant Ă naĂźtre, bien que protĂ©gĂ©e dans certains de ses aspects, ne peut ĂȘtre assimilĂ©e
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 47/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION SEPAREE 45
Ă la vie post-natale et, dĂšs lors, ne bĂ©nĂ©ficie pas dâun droit, au sens du« droit Ă la vie » que protĂšge lâarticle 2 de la Convention. Partant, il se pose
un problĂšme dâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 dans les circonstances de lâespĂšce.Au lieu de parvenir Ă cette conclusion inĂ©vitable, dictĂ©e par le
raisonnement mĂȘme de lâarrĂȘt, la majoritĂ© de la Grande Chambre opte pourune position neutre en dĂ©clarant : « la Cour est convaincue quâil nâest nisouhaitable ni mĂȘme possible actuellement de rĂ©pondre dans lâabstrait Ă laquestion de savoir si lâenfant Ă naĂźtre est une « personne » au sens delâarticle 2 de la Convention » (paragraphe 85 de lâarrĂȘt).
Un autre aspect me paraĂźt problĂ©matique dans le raisonnement de lamajoritĂ© : malgrĂ© ses doutes manifestes ou, en tout cas, son hĂ©sitation Ă admettre lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 en lâespĂšce, elle abandonne finalementsa position neutre et fonde son constat de non-violation sur lâargument selon
lequel les exigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă la protection de lâarticle 2 dela Convention ont Ă©tĂ© satisfaites dans la prĂ©sente affaire. En employant laformule « Ă supposer mĂȘme » relativement Ă lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 eten liant la vie du fĆtus Ă celle de la mĂšre (« la vie du fĆtus Ă©tait intimementliĂ©e Ă celle de sa mĂšre et sa protection pouvait se faire au travers dâelle(...) » â paragraphe 86 de lâarrĂȘt), la majoritĂ© fait subrepticement passerlâaspect matĂ©riel de lâarticle 2 de la Convention au premier plan de lâaffaire.On peut, me semble-t-il, lĂ©gitimement interprĂ©ter de cette façon la positionde la majoritĂ©, surtout si lâon tient compte, dâune part, de ce que lâexamendu respect des garanties procĂ©durales de lâarticle 2 pour dĂ©terminer sâil y aeu ou non violation prĂ©suppose lâapplicabilitĂ© apparente de cette disposition(et le recours Ă la formule « Ă supposer mĂȘme » ne change rien au problĂšmesi, en fin de compte, le seul vrai motif sous-jacent aux conclusions de laCour rĂ©side dans lâhypothĂšse introduite par la formule) et, dâautre part, dece que les faits de la cause ne font pas apparaĂźtre la moindre menace pour ledroit Ă la vie de la mĂšre justifiant de faire jouer les garanties procĂ©durales delâarticle 2 de la Convention.
Pour les motifs exposĂ©s ci-dessus, je ne puis suivre le raisonnement de lamajoritĂ© et conclus quâeu Ă©gard Ă lâĂ©tat actuel des choses lâarticle 2 estinapplicable en lâespĂšce.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 48/62
46 ARRĂT VO c. FRANCE
OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE COSTA,Ă LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA
1. Dans cette affaire oĂč une grossesse de presque six mois a Ă©tĂ©interrompue contre la volontĂ© de la femme portant lâenfant Ă naĂźtre, par suitedâune faute commise par un mĂ©decin, notre Cour a conclu que lâarticle 2 dela Convention nâa pas Ă©tĂ© violĂ©.
2. Le raisonnement de lâarrĂȘt est cependant prudent : il nâest pasnĂ©cessaire, dit-on, de trancher la question de lâapplicabilitĂ© de cet article car,Ă le supposer applicable, dans les circonstances de lâespĂšce il nâa pas Ă©tĂ©mĂ©connu.
3. Jâai votĂ© en faveur de la non-violation de lâarticle 2, mais jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© que lâon dĂźt que lâarticle 2 sâappliquait, mĂȘme si cela ne va pas desoi. Comme je vais essayer de lâexpliquer, une telle position eĂ»t peut-ĂȘtreĂ©tĂ© plus claire, et elle nâaurait guĂšre dâinconvĂ©nients Ă mes yeux, du pointde vue de la portĂ©e de lâarrĂȘt.
4. Il me semble dâabord que la Cour collĂ©gialement â et je pense quâellea rĂ©ussi avec cet arrĂȘt Ă Ă©viter ce piĂšge â nâa pas Ă se placer sur un plan
principalement Ă©thique ou philosophique. Elle doit sâefforcer de rester sur leterrain qui est le sien, le terrain juridique, mĂȘme si le droit nâest pasdĂ©sincarnĂ© et nâest pas une substance chimiquement pure, indĂ©pendante deconsidĂ©rations morales ou sociĂ©tales. Les opinions individuelles des juges,quâils les exposent ou non, comme ils en ont le droit (mais non lâobligation)en vertu de lâarticle 45 de la Convention, ne sont pas tenues Ă mon avis Ă lamĂȘme contrainte. La prĂ©sente affaire touche de prĂšs Ă des convictions
personnelles profondes, et jâai cru quant Ă moi nĂ©cessaire, et peut-ĂȘtre utile,de faire part de ma position ; celle-ci, on lâa dĂ©jĂ compris, est un peudiffĂ©rente de celle quâa adoptĂ©e la majoritĂ©.
5. Sur le plan Ă©thique, la façon la plus naturelle dâessayer dâinterprĂ©terlâarticle 2 de la Convention (« le droit de toute personne Ă la vie est protĂ©gĂ©
par la loi », en langue anglaise, « everyoneâs right to life shall be protectedby law ») est de se demander ce quâest une personne (ou « everyone ») et
quand commence la vie. Or il est trĂšs difficile, sur ce plan, dâavoir unerĂ©ponse unanime ou commune, lâĂ©thique Ă©tant par trop dĂ©pendante delâidĂ©ologie de chacun. En France, le ComitĂ© consultatif national, qui mĂšnedepuis vingt ans de remarquables travaux, et qui a consacrĂ© de nombreuxavis Ă lâembryon humain (il prĂ©fĂšre en gĂ©nĂ©ral parler dâembryon, Ă nâimporte quel stade, que de fĆtus), nâa pas pu trancher dĂ©finitivement cesquestions. Câest normal, notamment Ă raison de sa composition, qui a Ă©tĂ©voulue pluraliste par le prĂ©sident Mitterrand lorsquâil a crĂ©Ă© le comitĂ©. Direque « lâembryon doit ĂȘtre reconnu comme une personne humaine
potentielle » (premier avis du comité en 1984, confirmé par la suite) ne
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 49/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE COSTA, 47Ă LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA
rĂ©sout pas le problĂšme, car un ĂȘtre reconnu comme potentiel nâest pasnĂ©cessairement un ĂȘtre, et peut-ĂȘtre, a contrario, nâen est pas un. Quant Ă la
vie, et donc Ă son commencement, chacun sâen fait sa propre conception(voir lâavis no 5 du comitĂ©, de 1985). On pourrait seulement dĂ©duire de cette
position quâil y a peut-ĂȘtre un droit dâune personne potentielle Ă une vie potentielle, mais de la potentialitĂ© Ă lâeffectivitĂ© il y a, pour le juriste, un pasimportant.
6. Ce qui est vrai pour les instances Ă©thiques dâun Etat comme lâEtatdĂ©fendeur est vrai aussi au plan international. LâarrĂȘt rappelle Ă juste titreque la Convention dâOviedo sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine(Ă©laborĂ©e dans le cadre du Conseil de lâEurope et signĂ©e en 1997) ne dĂ©finit
pas ce quâest une personne. On peut ajouter que la Convention dâOviedo nedonne pas davantage une dĂ©finition de lâĂȘtre humain, dont elle consacre
pourtant la dignitĂ©, lâidentitĂ©, la primautĂ©, lâintĂ©rĂȘt, le bien. Et elle ne parle pas des dĂ©buts de la vie.
7. Que lâĂ©thique soit impuissante en lâĂ©tat actuel Ă dĂ©gager un consensussur les termes de personne et de droit Ă la vie, cela empĂȘche-t-il que le droitles dĂ©finisse ? Je ne le pense pas. Le travail du juriste, en particulier du juge,et singuliĂšrement dâun juge des droits de lâhomme, implique de dĂ©gager desnotions â notions autonomes sâil le faut, notre Cour ne sâen est jamais
privĂ©e â qui correspondent Ă des mots ou expressions figurant dans le textede rĂ©fĂ©rence (pour elle, la Convention et ses Protocoles). Ce que la Cour,dĂšs le dĂ©but, a fait pour les « droits et obligations de caractĂšre civil », la« matiĂšre pĂ©nale », le « tribunal », pourquoi ne le ferait-elle pas pour la« personne » ou le « droit Ă la vie » (que la Convention europĂ©enne desDroits de lâHomme ne dĂ©finit pas), mĂȘme sâil sâagit de concepts
philosophiques et non techniques ?8. Et dâailleurs, dans le domaine de lâarticle 2, elle lâa dĂ©jĂ fait, au moins
pour le droit à la vie. Par exemple en imposant aux Etats des obligations positives de protection de la vie humaine. Ou bien en considérant que, dansdes circonstances exceptionnelles, des actes potentiellement meurtriers de la
part dâagents de lâEtat peuvent conduire au constat de violation delâarticle 2. La jurisprudence a donc Ă©tendu, sinon la notion de vie, du moinscelles de droit Ă la vie ou dâatteinte Ă la vie.
9. Par contre, on ne peut pas, je crois, sâen tirer par lâĂ©chappatoirecommode selon laquelle Mme Vo, qui est une personne, avait un droit Ă lavie (de son enfant Ă naĂźtre). Il est vrai que la jurisprudence a Ă©largi la notionde victime, par exemple en admettant quâun neveu est recevable Ă allĂ©guerque lâarticle 2 a Ă©tĂ© violĂ© Ă raison du meurtre de son oncle (arrĂȘt Ya Ćac. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-VI).Mais ici il sâagit du droit invoquĂ© Ă la vie dâun enfant non nĂ©, et ce type de
prĂ©cĂ©dents ne peut sâappliquer au cas de la requĂ©rante que si on admet quelâenfant non nĂ© a lui-mĂȘme un droit Ă la vie : pour quâelle soit victime au
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 50/62
48 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE COSTA,Ă LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA
sens de lâarticle 34 de la Convention, encore faut-il que Mme Vo le soit de laviolation dâun droit reconnu par celle-ci, quod est demonstrandum.
10. Il me semble prĂ©cisĂ©ment que la Commission et la Cour se sont dĂ©jĂ placĂ©es dans lâhypothĂšse oĂč lâarticle 2 est applicable Ă lâenfant Ă naĂźtre (sansavoir affirmĂ© pour autant que lâenfant Ă naĂźtre est une personne). Elles onten effet conclu, Ă plusieurs reprises, que, mĂȘme si elles nâavaient pas Ă trancher cette question dâapplicabilitĂ©, il nây avait de toute façon pas enlâespĂšce de violation de lâarticle 2, par exemple dans un cas dâinterruptionde grossesse conforme Ă la loi, « celle-ci mĂ©nageant un juste Ă©quilibre entreles intĂ©rĂȘts de la femme et la nĂ©cessitĂ© dâassurer la protection du fĆtus »(voir la dĂ©cision Boso c. Italie, no 50490/99, CEDH 2002-VII, citĂ©e danslâarrĂȘt, mais aussi, en des termes moins nets, la dĂ©cision de la Commissiondu 19 mai 1992 dans lâaffaire, Ă©galement citĂ©e, H. c. NorvĂšge, no 17004/90,
DĂ©cisions et rapports 73). Si lâarticle 2 avait Ă©tĂ© jugĂ© radicalementinapplicable, il aurait Ă©tĂ© inutile â et câest vrai aussi en lâespĂšce â de se
poser la question de la protection du fĆtus et de la violation de lâarticle 2 ;et de motiver de cette façon la non-violation de cette disposition.
11. On peut se tourner vers le droit de lâEtat dĂ©fendeur, non quâil soit unmodĂšle Ă imposer aux autres, mais parce quâil est directement en cause dansla prĂ©sente affaire. Or le Conseil dâEtat, dĂšs 1990, a jugĂ© que la loi françaiserelative Ă lâinterruption volontaire de grossesse (IVG) (que le Conseilconstitutionnel, par sa dĂ©cision no 74-54 DC du 15 janvier 1975, avaitdĂ©clarĂ©e non contraire Ă la Constitution, tout en considĂ©rant quâil ne luiappartenait pas dâexaminer sa conformitĂ© Ă la Convention) nâĂ©tait pasincompatible avec lâarticle 2 de la Convention, pas plus quâavec lâarticle 6du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (qui stipule : « Ledroit Ă la vie est inhĂ©rent Ă la personne humaine. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ©
par la loi... ») ; surtout, le Conseil dâEtat a ainsi admis sans ambiguĂŻtĂ©, fĂ»t-ce de façon implicite, que cette loi entrait dans le champ dâapplication delâarticle 2 (voir sa dĂ©cision du 21 dĂ©cembre 1990, ConfĂ©dĂ©ration nationaledes associations familiales catholiques, publiĂ©e au Recueil, p. 369, avec lesconclusions de Bernard Stirn, qui lâĂ©clairent).
12. Soit dit en passant, cette jurisprudence, qui Ă©mane de la plus haute juridiction administrative française, montre bien, me semble-t-il, quâune
dĂ©cision de notre Cour affirmant sans ambages que la « fin de vie » dâunenfant Ă naĂźtre ressortit au champ de lâarticle 2 de la Convention nemenacerait en rien, au moins dans leur principe, les lĂ©gislations nationalesqui, dans de trĂšs nombreux pays dâEurope, admettent, sous certainesconditions bien entendu, la licĂ©itĂ© de lâinterruption volontaire de grossesse.Dans de nombreux Etats europĂ©ens, ces lĂ©gislations ont dâailleurs Ă©tĂ© jugĂ©esconformes Ă la Constitution nationale, voire Ă lâarticle 2 de la Convention.Câest ainsi ce quâa jugĂ© en 1983 la Cour suprĂȘme de NorvĂšge. La Courconstitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande et le Tribunal constitutionnel espagnolont Ă©galement admis que le droit Ă la vie, tel quâil est protĂ©gĂ© par lâarticle 2
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 51/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE COSTA, 49Ă LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA
de la Convention, peut sâappliquer Ă lâembryon ou au fĆtus (la question desavoir si câest un droit absolu Ă©tant diffĂ©rente). VoilĂ donc des exemples de
hautes juridictions pour lesquelles le droit Ă la vie, quâil soit Ă©noncĂ© par laConvention europĂ©enne des Droits de lâHomme en son article 2 ou quâilrĂ©sulte de principes constitutionnels nationaux ayant le mĂȘme contenu et lamĂȘme portĂ©e, sâapplique au fĆtus, sans ĂȘtre pour autant un droit absolu.Pourquoi notre Cour devrait-elle ĂȘtre plus timide, elle qui revendique le rĂŽledâune cour constitutionnelle dans lâordre europĂ©en des droits de lâhomme ?
13. Evidemment, en affirmant lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2, Ă la lettre ouen substance, on est conduit Ă se poser en toute hypothĂšse (et non commeavec le prĂ©sent arrĂȘt seulement dans le cas dâespĂšce) la question de sonrespect ou de sa mĂ©connaissance. Mais, lĂ encore, cela ne devrait paseffrayer notre Cour. Dans la dĂ©cision Boso prĂ©citĂ©e, elle a mesurĂ© la loi
critiquĂ©e Ă lâaune du « juste Ă©quilibre ». Cela veut bien dire quâelle serait parvenue Ă une conclusion opposĂ©e si lâapplication dâune lĂ©gislation autrelui Ă©tait apparue comme ne mĂ©nageant pas un Ă©quilibre juste entre la
protection du fĆtus et les intĂ©rĂȘts de sa mĂšre. Potentiellement, elle contrĂŽledonc le respect de lâarticle 2 dans tous les cas oĂč la « vie » du fĆtus estatteinte.
14. De mĂȘme on pourra observer que lâarticle 2 Ă©tant non dĂ©rogeable ausens de lâarticle 15 de la Convention il serait saugrenu que la Cour admĂźtquâil nâest pas absolu ; ou quâil pĂ»t souffrir des limitations implicites endehors des cas limitativement Ă©noncĂ©s au second alinĂ©a de lâarticle 2. Celamiliterait en faveur dâune inapplicabilitĂ© de cet article au cas de lâenfant Ă naĂźtre (cas qui nâest nullement envisagĂ© au second alinĂ©a). Mais je ne suis
pas convaincu par ce double argument. La non-dĂ©rogeabilitĂ© interditseulement aux Etats parties, qui peuvent en vertu de lâarticle 15 se prĂ©valoirdâun Ă©tat de guerre ou dâun autre danger public menaçant la vie de la nation
pour prendre des mesures dĂ©rogeant Ă la Convention, de mĂ©connaĂźtre dansce cas lâarticle 2 : mais lâhypothĂšse de lâatteinte portĂ©e Ă lâenfant Ă naĂźtre nâaĂ lâĂ©vidence rien Ă voir avec ce type de situations, et de circonstancesexceptionnelles. Plus troublant sur le plan logique est le raisonnement fondĂ©sur la lettre mĂȘme de lâarticle 2. Mais, outre que la Cour a dĂ©jĂ franchi le
pas (sans conteste, par sa décision Boso), on ne peut pas déduire avec
certitude de cette lettre quâelle prohibe clairement toute interruption degrossesse volontaire, ne serait-ce que parce que plusieurs Etats contractantsont ratifiĂ© sans problĂšmes apparents la Convention alors que leurslĂ©gislations admettaient dĂ©jĂ , dans certains cas, une telle interruption. A plusforte raison faut-il tenir compte, dans le cadre dâune interprĂ©tation Ă©volutivede lâarticle 2, du grand nombre de pays europĂ©ens qui, dans les annĂ©es 70,ont adoptĂ© des lois tolĂ©rant lâIVG tout en lâencadrant strictement.
15. Sur le plan des effets potentiels de lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2, on pourra peut-ĂȘtre objecter Ă lâinverse que la prĂ©sente hypothĂšse se distinguede lâIVG, et quâune atteinte fatale au fĆtus rĂ©sultant dâune faute mĂ©dicale,
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 52/62
50 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION SĂPARĂE DE M. LE JUGE COSTA,Ă LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE TRAJA
ou de toute autre nĂ©gligence ou imprudence, est diffĂ©rente dâune cessationde la grossesse voulue par la mĂšre elle-mĂȘme, placĂ©e dans une situation de
dĂ©tresse. Autrement dit, ceux et celles qui, au nom de la libertĂ© de la femme,dĂ©fendent le principe de lâIVG pourraient craindre que la reconnaissance delâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 ne menace indirectement ces lĂ©gislations. Il estexact que lâ« amendement Garraud » mentionnĂ© dans lâarrĂȘt, finalementretirĂ© du dĂ©bat au Parlement, a suscitĂ© en France une vive opposition, en
particulier (mais pas seulement) de la part des partisans de la loi sur lâIVG, justement pour cette raison (car il visait Ă instituer un dĂ©lit dâinterruptioninvolontaire de grossesse).
16. Mais je ne crois pas que ces craintes soient légitimement justifiées,ne serait-ce que parce que, précisément, une femme qui perd son enfant à naßtre contre sa volonté et contre ses espérances de maternité est dans une
situation radicalement diffĂ©rente de celle qui se rĂ©signe â fĂ»t-ce, pour elleaussi, dans la souffrance et dans le deuil â Ă demander que lâon mette fin Ă sa grossesse. De toute façon, ce nâest pas une dĂ©cision juridique(lâapplicabilitĂ©, ou non, de lâarticle 2 de la Convention) qui rĂ©soudra lescontroverses Ă©thiques, et encore moins qui justifiera des choix politiques desociĂ©tĂ©. En outre, dans la mesure oĂč lâarrĂȘt Vo c. France nâexige pas â et jesuis dâaccord â une protection pĂ©nale contre le risque de perte du fĆtus, ilne plaide pas, en tout Ă©tat de cause, en faveur de la pĂ©nalisation delâinterruption involontaire de grossesse.
17. Bref, je ne vois aucune raison convaincante en droit, ni aucuneconsidĂ©ration dĂ©cisive dâopportunitĂ©, qui puisse me conduire Ă penser quelâarticle 2, ici, devrait ne pas sâappliquer. Sur un plan gĂ©nĂ©ral, je crois(comme plusieurs hautes juridictions en Europe) quâil y a bien une vie avantla naissance, au sens de lâarticle 2, que la loi doit donc la protĂ©ger, et que sile lĂ©gislateur national considĂšre que cette protection ne peut pas ĂȘtreabsolue, il ne peut y dĂ©roger, particuliĂšrement en cas dâinterruptionvolontaire de grossesse, quâen encadrant cette dĂ©rogation et en lui donnantune portĂ©e restrictive. Quant au cas concret de Mme Vo, les circonstancesmilitent a fortiori en faveur de lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2, puisque lagrossesse Ă©tait de six mois (faut-il rappeler â Ă titre purement indicatif âquâaux yeux de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande la vie
commence au bout de quatorze jours de gestation ?), que le fĆtus avait defortes chances de naĂźtre viable et quâenfin câest manifestement une faute quia mis fin Ă la grossesse, contre la volontĂ© de la requĂ©rante.
18. Je nâai rien dâautre Ă dire, car pour ce qui est de la non-violation delâarticle 2, lâarrĂȘt, avec quelques nuances mineures, exprime une opinionque je partage.
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 53/62
ARRĂT VO c. FRANCE 51
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS
1. Lâobligation positive de la France de protĂ©ger la vie des enfants Ă naĂźtre contre des homicides involontaires, câest-Ă -dire des actions parnĂ©gligence qui peuvent causer la mort de lâenfant, ne sera remplie que sâil ya dans le droit français des procĂ©dures effectives permettant de prĂ©venir larĂ©pĂ©tition de telles nĂ©gligences. Sur ce point je ne peux pas suivre lamajoritĂ© selon laquelle une seule action en responsabilitĂ© administrativedevant le juge administratif (faute allĂ©guĂ©e du mĂ©decin hospitalier) offreune protection effective et suffisante Ă lâenfant Ă naĂźtre contre desnĂ©gligences mĂ©dicales. Comme cela a Ă©tĂ© soulignĂ© dans lâopinion
partiellement dissidente des juges Rozakis, Bonello et StrĂĄĆŸnickĂĄ danslâaffaire Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, CEDH 2002-I), desactions pour dommages matĂ©riels et mĂȘme moraux ne correspondent pasdans toutes les circonstances aux intĂ©rĂȘts de protection de la vie danslâhypothĂšse dâune atteinte involontaire, surtout, comme en lâespĂšce, dans lecas dâune mĂšre qui a perdu son enfant Ă cause de la nĂ©gligence dâunmĂ©decin. MĂȘme si jâai admis le rĂ©sultat dans lâaffaire Calvelli et Ciglio, quireposait sur le fait que les requĂ©rants avaient acceptĂ© une indemnitĂ© par unrĂšglement amiable, il y avait lĂ quand mĂȘme une procĂ©dure pĂ©nale qui ne fut
pas continuĂ©e en raison de la prescription du dĂ©lit.Ce nâest pas une question de vengeance qui fait penser Ă la protection
pĂ©nale, mais plutĂŽt la question de la prĂ©vention. Câest en gĂ©nĂ©ral par le droit pĂ©nal que la sociĂ©tĂ© met en garde de la façon la plus explicite et stricte lesmembres de la sociĂ©tĂ© et quâelle souligne les valeurs Ă protĂ©ger
principalement. La vie, qui est une des valeurs sinon la valeur principale dela Convention (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96,35532/97 et 44801/98, §§ 92-94, CEDH 2001-II, et McCann et autresc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 27 septembre 1995, sĂ©rie A no 324, pp. 45-46,§ 147), demande en principe une protection pĂ©nale pour ĂȘtre suffisammentassurĂ©e et protĂ©gĂ©e. Des responsabilitĂ©s pĂ©cuniaires par la voie delâindemnisation nâentrent quâen deuxiĂšme ligne dans cette Ă©chelle de
protection. En outre, les hĂŽpitaux et les mĂ©decins sont normalement assurĂ©scontre de tels risques, ce qui diminue encore plus la « pression » sur eux.2. On pourrait penser quâune sanction disciplinaire contre un mĂ©decin
peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©quivalant Ă une sanction pĂ©nale dans certainessituations. Des mesures disciplinaires ont Ă©tĂ© envisagĂ©es comme une autresolution pour prĂ©venir ces nĂ©gligences dans lâaffaire Calvelli et Ciglio (arrĂȘt
prĂ©citĂ©, § 51). Mais il est Ă©galement clair quâune sanction disciplinaire, aussi pĂ©nible quâelle puisse ĂȘtre sur le plan professionnel, nâĂ©quivaut pas Ă unedĂ©valorisation gĂ©nĂ©rale (Unwerturteil ). Elle est soumise Ă des conditionstout Ă fait spĂ©cifiques de la profession (contrĂŽle interne professionnel) et ne
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 54/62
52 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS
remplit pas en général les conditions de la prévention nécessaire pour unevaleur aussi importante que la vie. Néanmoins, on doit se demander si dans
la présente affaire une sanction disciplinaire pour une faute aussi graveaurait pu se révéler suffisante pour cette prévention. Car justement le
problĂšme est lĂ , parce que les autoritĂ©s nâont jamais introduit une telle procĂ©dure disciplinaire contre le mĂ©decin. Pour une faute aussi grave quecelle du docteur G., au moins une telle procĂ©dure disciplinaire avec unemesure adĂ©quate aurait pu donner au corps mĂ©dical le signal voulu pour
prĂ©venir la rĂ©pĂ©tition de tels Ă©vĂ©nements tragiques. Il ne me semble pasnĂ©cessaire de dire quâil faut une loi pĂ©nale en France. Mais il faut en toutcas une pratique disciplinaire stricte afin de remplir les exigences dâune
protection effective de la vie des enfants Ă naĂźtre. A mon avis il nây avaitdonc pas une protection effective.
3. Pour arriver Ă cette conclusion il me semble devoir constater quelâarticle 2 sâapplique Ă la vie de lâenfant Ă naĂźtre. Je suis disposĂ© Ă accepterquâil y a des diffĂ©rences admissibles du niveau de protection entrelâembryon et lâenfant nĂ©. Mais cela ne mĂšne nĂ©anmoins pas Ă la conclusion(voir le paragraphe 85 de lâarrĂȘt) quâil nâest pas possible de rĂ©pondre inabstracto Ă la question de savoir si lâembryon Ă naĂźtre est une personne auxfins de lâarticle 2 de la Convention. Toute la jurisprudence de la Courcomme les dĂ©cisions de la Commission (voir les paragraphes 75-80)reposent sur un argument « supposant que » (in eventu). DĂ©sormais, ce nâest
plus une question dâĂ©conomie de procĂ©dure qui nĂ©cessite dâĂ©viter unerĂ©ponse claire. En plus, le problĂšme de la protection de lâembryon dans lecadre de la Convention ne peut pas ĂȘtre rĂ©solu seulement Ă travers la
protection de la vie de la mĂšre. Lâembryon et la mĂšre Ă©tant deux « ĂȘtreshumains » diffĂ©rents, comme le montre cette affaire, ils ont besoin dâĂȘtre
protégés chacun séparément.4. La Convention de Vienne sur le droit des traités (article 31 § 1)
demande de prendre comme base dâinterprĂ©tation le sens ordinaire Ă attribuer aux termes du traitĂ© dans le contexte et Ă la lumiĂšre de son objet etde son but. Le sens ordinaire ne peut ĂȘtre compris que dans lâensemble dutexte. La notion de « toute personne » (everyone) a Ă©tĂ© perçue dans lâhistoire
juridique comme englobant aussi lâĂȘtre humain dans la phase antĂ©rieure Ă la
naissance et, surtout, la notion de « vie » sâĂ©tend Ă toute vie humaine quicommence avec la conception, câest-Ă -dire avec le moment oĂč se dĂ©veloppeune existence indĂ©pendante, et qui finit avec la mort, la naissance nâĂ©tantquâune Ă©tape de ce dĂ©veloppement.
La structure de lâarticle 2 et, en particulier, les exceptions du second paragraphe semblent indiquer que seules les personnes dĂ©jĂ nĂ©es sont visĂ©eset quâen plus seules ces personnes peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme
porteuses des droits de la Convention. Dans le « but » de la Conventiondâassurer une protection Ă©tendue, une telle argumentation ne semble pascontraignante. Dâabord le fĆtus peut ĂȘtre visĂ© comme objet de protection,
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 55/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS 53
surtout dans le cadre de lâarticle 8 § 2 (voir lâarrĂȘt OdiĂšvre c. France [GC],no 42326/98, § 45, CEDH 2003-III). En plus, la pratique de la Commission
et de la Cour contient des indications selon lesquelles lâarticle 2 estapplicable Ă lâenfant Ă naĂźtre. Dans toutes les affaires oĂč cette question a Ă©tĂ©tranchĂ©e, la Commission et la Cour ont dĂ©veloppĂ© une conception delimitation implicite ou de juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts de la sociĂ©tĂ© etceux de lâindividu, soit de la mĂšre soit de lâenfant Ă naĂźtre. Certes, cesconsidĂ©rations ont Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©es en relation avec des rĂ©glementationsconcernant lâinterruption volontaire de grossesse et non lâinterruptioninvolontaire. Mais il est clair que toutes ces considĂ©rations nâauraient pasĂ©tĂ© nĂ©cessaires si les organes de la Convention avaient dĂšs le dĂ©but Ă©tĂ©dâavis que lâarticle 2 ne pourrait pas sâappliquer Ă lâenfant Ă naĂźtre. MĂȘme siformellement la Commission et la Cour ont laissĂ© la question ouverte, un tel
Ă©difice juridique prouve que les deux institutions Ă©taient enclines Ă suivre lesens ordinaire de la « vie humaine » et aussi de « toute personne » plutĂŽtque lâautre sens.
De mĂȘme, la pratique des Etats contractants, qui ont eu quasiment tousdes problĂšmes constitutionnels avec leur rĂ©glementation de lâavortement,câest-Ă -dire de lâinterruption volontaire de grossesse, montre bien que la
protection de la vie humaine sâĂ©tend en principe aussi au fĆtus. Les rĂšglesspĂ©cifiques pour lâavortement volontaire nâauraient pas Ă©tĂ© nĂ©cessaires si lefĆtus nâavait pas eu de vie Ă protĂ©ger et Ă©tait soumis complĂštement jusquâĂ la naissance Ă la volontĂ© illimitĂ©e de la femme enceinte. Presque tous lesEtats contractants ont eu des problĂšmes parce que, en principe, dâaprĂšs leurdroit constitutionnel la protection de la vie sâĂ©tend aussi Ă la phaseantĂ©rieure Ă la naissance.
5. Il est Ă©vident que les discussions sur la protection gĂ©nĂ©tique dans plusieurs des conventions rĂ©centes et aussi lâinterdiction du clonagereproductif des « ĂȘtres humains » dans la Charte des droits fondamentaux delâUnion europĂ©enne (article 3 § 2, dernier alinĂ©a) partent de lâidĂ©e que la
protection de la vie sâĂ©tend Ă lâĂȘtre humain dans sa phase initiale. LaConvention, conçue comme un instrument vivant qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©selon les conditions actuelles de la sociĂ©tĂ©, doit prendre en considĂ©ration untel dĂ©veloppement qui ne peut que confirmer le sens ordinaire dâaprĂšs
lâarticle 32 de la Convention de Vienne.MĂȘme si on suppose que le sens ordinaire de la « vie humaine » danslâarticle 2 de la Convention nâest pas tout Ă fait clair et se prĂȘte Ă desinterprĂ©tations divergentes, les exigences de protection de la vie humainedemandent une protection plus Ă©tendue surtout en vue des moyens demanipulation gĂ©nĂ©tique et de la production illimitĂ©e dâembryons pour des
buts divers. LâinterprĂ©tation de lâarticle 2 doit Ă©voluer selon cesdĂ©veloppements et exigences et permettre de rĂ©pondre aux vrais dangersactuels pour la vie humaine. Une limite dâune telle interprĂ©tation dynamiquedoit prendre en considĂ©ration la relation entre la vie nĂ©e et la vie pas encore
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 56/62
54 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS
nĂ©e, câest-Ă -dire quâil ne serait pas admissible de protĂ©ger le fĆtus audĂ©triment de sa mĂšre.
6. Le fait que plusieurs articles de la Convention contiennent desgaranties qui par leur nature ne peuvent sâĂ©tendre quâĂ des personnes dĂ©jĂ nĂ©es nâest pas un argument susceptible de mettre en cause ce rĂ©sultat. Eneffet, si le champ dâapplication de ces articles par leur nature ne peutsâĂ©tendre quâĂ des personnes physiques ou morales, ou Ă des personnes
physiques dĂ©jĂ nĂ©es ou adultes, il nâest pas exclu que dâautres dispositionscomme la premiĂšre phrase de lâarticle 2 ne puissent pas inclure une
protection de la vie dans la phase initiale de lâĂȘtre humain.7. Il faut souligner que la prĂ©sente affaire nâa rien Ă voir avec la
rĂ©glementation de lâinterruption volontaire de grossesse. Il sâagit lĂ dâuneautre question qui se distingue fondamentalement de toutes les ingĂ©rences
contre la volontĂ© de la mĂšre dans la vie et le bien-ĂȘtre de son enfant. Notreaffaire concerne des infractions commises par des tiers contre la vie dufĆtus, sinon celle de la mĂšre, tandis que lâavortement volontaire concerneuniquement les relations entre lâenfant et la mĂšre et la question de la
protection des deux par lâEtat. LâapplicabilitĂ© de lâarticle 2 Ă la vie humaineavant la naissance peut, certes, avoir des rĂ©percussions sur la rĂ©glementationde lâinterruption volontaire de grossesse, mais ces consĂ©quences ne donnent
pas un argument contre lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2. Au contraire.En plus, il nâest pas nĂ©cessaire dans cette affaire de statuer sur la
question de savoir quand la vie commence. On a constatĂ© que le fĆtus de lavingt et uniĂšme semaine Ă©tait viable, bien que je croie que la notion de laviabilitĂ© ne peut pas limiter lâobligation positive de lâEtat de protĂ©gerlâenfant Ă naĂźtre contre les ingĂ©rences et les nĂ©gligences des mĂ©decins.
8. Il ne peut pas exister une marge dâapprĂ©ciation pour rĂ©pondre Ă laquestion de savoir si lâarticle 2 est applicable. Une certaine latitude est Ă mon avis possible dans le cadre des mesures prises pour remplir lâobligation
positive dĂ©coulant de lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2, mais on ne peut pasrestreindre lâapplicabilitĂ© de cet article par rĂ©fĂ©rence Ă une margedâapprĂ©ciation. La question de lâinterprĂ©tation ou de lâapplicabilitĂ© delâarticle 2 (droit absolu) ne peut pas dĂ©pendre dâune marge dâapprĂ©ciation.Sâil est applicable, seule la consĂ©quence peut ĂȘtre rĂ©gie par une telle marge.
9. Etant donnĂ© que lâarticle 2 est applicable Ă lâĂȘtre humain dĂšs avant sanaissance, interprĂ©tation qui me semble aussi conforme au dĂ©veloppementde la Charte des droits fondamentaux de lâUnion europĂ©enne, et Ă©tant donnĂ©que la protection du fĆtus contre des ingĂ©rences de tiers par nĂ©gligencenâest pas suffisante en France, jâarrive Ă la conclusion quâil y a eu violationde lâarticle 2 de la Convention. Quant aux mesures spĂ©cifiques pour remplircette obligation positive, il revient Ă lâEtat dĂ©fendeur de les prendre, soit enadoptant des mesures disciplinaires strictes, soit en prĂ©voyant une protection
pénale (homicide involontaire).
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 57/62
ARRĂT VO c. FRANCE 55
OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER
Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
Je ne peux pas me rallier Ă la conclusion de la majoritĂ©, lorsquâelleestime quâil nây a pas eu violation de lâarticle 2 de la Convention, larequĂ©rante ayant disposĂ© de la possibilitĂ© dâengager une action enresponsabilitĂ© contre lâadministration Ă raison du fait imputĂ© au mĂ©decinhospitalier (paragraphe 91 de lâarrĂȘt). Faute pour elle dâavoir engagĂ© unetelle action, il nây aurait donc pas eu violation de lâarticle 2.
Je suis dâaccord avec la majoritĂ© quand elle soutient quâil faut sedemander « si la protection juridique offerte par la France Ă la requĂ©rante,
par rapport Ă la perte de lâenfant Ă naĂźtre quâelle portait, satisfaisait auxexigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă lâarticle 2 de la Convention »(paragraphe 85 de lâarrĂȘt) et quand elle rappelle que « la premiĂšre phrase delâarticle 2, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention ence quâil consacre lâune des valeurs fondamentales des sociĂ©tĂ©sdĂ©mocratiques qui forment le Conseil de lâEurope ( McCann et autresc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 27 septembre 1995, sĂ©rie A no 324, pp. 45-46,§ 147), impose Ă lâEtat non seulement de sâabstenir de donner la mort« intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nĂ©cessaires Ă la
protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (voir parexemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 9 juin 1998, Recueil des arrĂȘts etdĂ©cisions 1998-III, p. 1403, § 36) » (paragraphe 88 de lâarrĂȘt).
Cependant, je parviens Ă des conclusions tout Ă fait diffĂ©rentes.Je constate quâen dĂ©cembre 1991, date Ă laquelle la requĂ©rante et son
compagnon portĂšrent plainte en se constituant partie civile pour blessuresinvolontaires ayant entraĂźnĂ© une incapacitĂ© totale de travail de moins detrois mois commises sur lâintĂ©ressĂ©e et pour homicide commis sur sonenfant, le Conseil dâEtat nâavait pas encore abandonnĂ© lâexigence dâunefaute lourde pour engager la responsabilitĂ© du service hospitalier(paragraphe 57 de lâarrĂȘt, observations du Gouvernement).
Certes, comme le relĂšve la majoritĂ©, la requĂ©rante aurait pu essayerdâengager une action en responsabilitĂ© contre lâadministration avant la prescription de celle-ci. Mais je me demande si la Cour nâexige pas trop decette requĂ©rante, dans la mesure oĂč la solution adoptĂ©e par la Cour decassation dans son arrĂȘt du 30 juin 1999, confirmĂ©e ensuite dans ses arrĂȘtsdu 29 juin 2001 (assemblĂ©e plĂ©niĂšre) et du 25 juin 2002 (paragraphe 29 delâarrĂȘt), Ă©tait loin dâĂȘtre acquise, comme en tĂ©moignent la jurisprudence ensens contraire des cours dâappel, la position des avocats gĂ©nĂ©raux prĂšs laCour de cassation et, enfin, la critique quasi unanime de la doctrine(paragraphe 31 de lâarrĂȘt). La requĂ©rante a choisi la voie pĂ©nale en
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 58/62
56 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
invoquant les deux seuls articles susceptibles dâĂȘtre invoquĂ©s, la possibilitĂ©dâobtenir gain de cause devant le juge administratif Ă©tant douteuse. Elle
nous dit quâelle a choisi cette voie car lâinstruction pĂ©nale facilite ladĂ©termination des responsabilitĂ©s (paragraphe 50 de lâarrĂȘt). Une telleexplication est tout Ă fait logique : câest exactement ce que font le plussouvent les justiciables dans tous les pays qui offrent la possibilitĂ© dechoisir entre la voie pĂ©nale et la voie civile ou administrative.
On pourrait soutenir que le systĂšme juridique français nâoffrait Ă larequĂ©rante, quand les tristes faits se sont dĂ©roulĂ©s, aucune voie de recours« effective ».
Admettons nĂ©anmoins que la requĂ©rante disposait dâune option entre lavoie pĂ©nale et la voie administrative. Etant entendu que la victime ne peut
pas prétendre à une double indemnisation du dommage subi, il me
semblerait disproportionné de reprocher à la requérante le fait de ne pasavoir simultanément engagé les deux recours. De surcroßt, cela ne serait pasconforme à notre jurisprudence.
Selon la jurisprudence des organes de Strasbourg, lorsque le requĂ©rant ala possibilitĂ© de choisir entre plusieurs voies de recours, lâarticle 35 doit ĂȘtreappliquĂ© dâune maniĂšre correspondant Ă la rĂ©alitĂ© de la situation delâintĂ©ressĂ©, afin de lui garantir une protection efficace des droits et libertĂ©sinscrits dans la Convention ( Allgemeine Gold- und Silberscheideanstalt
A.G. c. Royaume-Uni, no 9118/80, dĂ©cision de la Commission du 9 mars1983, DĂ©cisions et rapports (DR) 32, p. 172). Le requĂ©rant doit avoir fait unusage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants.Lorsquâune voie de recours a Ă©tĂ© empruntĂ©e, lâusage dâune autre voie dontle but est pratiquement le mĂȘme nâest pas exigĂ© (WĂłjcik c. Pologne,no 26757/95, dĂ©cision de la Commission du 7 juillet 1997, DR 90-B, p. 28 ;GĂŒnaydin c. Turquie (dĂ©c.), no 27526/95, 25 avril 2002 ; Anagnostopoulosc. GrĂšce, no 54589/00, § 32, 3 avril 2003). Par ailleurs, le plaignant doitavoir uniquement utilisĂ© les recours Ă la fois accessibles et adĂ©quats, câest-Ă -dire de nature Ă porter remĂšde Ă ses griefs ( Airey c. Irlande, arrĂȘt du9 octobre 1979, sĂ©rie A no 32, p. 11, § 19 ; Deweer c. Belgique, arrĂȘt du27 fĂ©vrier 1980, sĂ©rie A no 35, p. 16, § 29).
Et je me permets de rappeler que, dans lâaffaire Anagnostopoulos
prĂ©citĂ©e, lâenjeu du litige Ă©tait un montant de 15 000 drachmes (soit environ44 euros), alors quâil portait sur un enfant Ă naĂźtre dans la prĂ©sente affaire.La majoritĂ© se rĂ©fĂšre souvent Ă lâarrĂȘt Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC],
no 32967/96, CEDH 2002-I). Dans cet arrĂȘt, la Cour a dit que « si lâatteinteau droit Ă la vie ou Ă lâintĂ©gritĂ© physique nâest pas volontaire, lâobligation
positive dĂ©coulant de lâarticle 2 de mettre en place un systĂšme judiciaireefficace nâexige pas nĂ©cessairement dans tous les cas un recours de nature
pĂ©nale ». Elle a ajoutĂ© que « dans le contexte spĂ©cifique des nĂ©gligencesmĂ©dicales, pareille obligation peut ĂȘtre remplie aussi, par exemple, si lesystĂšme juridique en question offre aux intĂ©ressĂ©s un recours devant les
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 59/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI, 57Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pĂ©nales, aux fins dâĂ©tablir la responsabilitĂ© des mĂ©decins en
cause et, le cas Ă©chĂ©ant, dâobtenir lâapplication de toute sanction civileappropriĂ©e, tels le versement des dommages-intĂ©rĂȘts et la publication delâarrĂȘt. Des mesures disciplinaires peuvent Ă©galement ĂȘtre envisagĂ©es »(§ 51).
Jâestime que les diffĂ©rences entre les solutions offertes par les deuxsystĂšmes juridiques nationaux doivent lâemporter sur les similitudes. Danslâaffaire Calvelli et Ciglio, les requĂ©rants, respectivement pĂšre et mĂšre dâunnouveau-nĂ© dĂ©cĂ©dĂ© deux jours aprĂšs sa naissance, avaient entamĂ© une action
pĂ©nale qui prit fin avec la prescription du dĂ©lit dâhomicide par imprudencereprochĂ© au mĂ©decin accoucheur. Mais les requĂ©rants avaient pu citer cedernier devant le tribunal civil aprĂšs le jugement de condamnation du
tribunal pĂ©nal de premiĂšre instance intervenu sept ans aprĂšs le dĂ©cĂšs dunouveau-nĂ© et, le procĂšs civil pendant, ils avaient conclu un rĂšglement avecles assureurs du mĂ©decin et de la clinique au titre du dommage subi. LaCour a reconnu que le systĂšme juridique italien prĂ©voyait des moyenseffectifs de protection des intĂ©rĂȘts des requĂ©rants alternatifs Ă la voie pĂ©nale(arrĂȘt prĂ©citĂ©, §§ 54-55), permettant ainsi Ă lâEtat dĂ©fendeur de sâacquitterde ses obligations positives dĂ©coulant de lâarticle 2 de la Convention, ce qui,Ă mon avis, nâest pas le cas dans cette affaire.
Je dois avouer que, si jâavais siĂ©gĂ© dans lâaffaire Calvelli et Ciglio prĂ©citĂ©e, jâaurais sans doute partagĂ© lâopinion partiellement dissidente des juges Rozakis, Bonello et StrĂĄĆŸnickĂĄ. A supposer que jâeusse suivi lamajoritĂ©, sa conclusion ne me paraĂźt pas pour autant transposable enlâespĂšce. Dans lâaffaire Vo, le dĂ©lai de prescription de lâaction devant letribunal administratif, Ă lâĂ©poque de quatre ans Ă compter de laconsolidation du dommage, Ă©tait Ă©chu quand le procĂšs pĂ©nal a pris fin. LarequĂ©rante nâa obtenu aucune rĂ©paration pour le prĂ©judice subi, y comprisen ce qui concerne la contravention de blessures involontaires commises sursa personne, cette infraction ayant Ă©tĂ© amnistiĂ©e par une loi du 3 aoĂ»t 1995.
Jâen conclus que la protection juridique offerte par la France Ă larequĂ©rante, eu Ă©gard Ă la perte de lâenfant quâelle portait, ne satisfaisait pasaux exigences procĂ©durales inhĂ©rentes Ă lâarticle 2 de la Convention.
Il est Ă©vident que, nâacceptant pas le raisonnement de la majoritĂ© quiconsidĂšre que lâarticle 2 nâa pas Ă©tĂ© violĂ© pour une raison procĂ©durale etquâil nâest donc pas nĂ©cessaire de dire si cet article est applicable, je doisexpliquer le raisonnement qui me conduit Ă estimer que lâarticle 2 estapplicable et quâil a Ă©tĂ© violĂ©.
JusquâĂ prĂ©sent, si les organes de la Convention ont Ă©vitĂ© de trancher laquestion de lâapplicabilitĂ© ou non de lâarticle 2 aux enfants Ă naĂźtre (voir les
paragraphes 75-80 de lâarrĂȘt), ils nâont pas exclu que le fĆtus puisse bĂ©nĂ©ficier dâune certaine protection au regard de la premiĂšre phrase delâarticle 2 ( H. c. NorvĂšge, no 17004/90, dĂ©cision de la Commission du
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 60/62
58 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
19 mai 1992, DR 73, p. 181 ; Boso c. Italie (déc.), no 50490/99, CEDH2002-VII).
En premier lieu, il convient de se rappeler que le travail des juges, auniveau national ou international, nâest pas toujours facile, surtout quand lesinterprĂ©tations possibles des textes peuvent aller dans deux sens opposĂ©s.
Les travaux prĂ©paratoires de la Convention sont muets quant Ă lâĂ©tenduedes termes « personnes » et « vie » et quant Ă lâapplicabilitĂ© de lâarticle 2avant la naissance.
Or je constate que, depuis les années 50, les progrÚs de la science, de la biologie et de la médecine ont été considérables, y compris en ce quiconcerne la phase antérieure à la naissance.
De son cĂŽtĂ©, la communautĂ© politique sâinterroge au niveau national etinternational sur la façon la plus appropriĂ©e de protĂ©ger, mĂȘme avant la
naissance, les droits de lâhomme et la dignitĂ© de lâĂȘtre humain de certainesapplications de la biologie et de la mĂ©decine.
Jâestime que lâon ne peut pas ignorer le grand dĂ©bat menĂ© ces derniĂšresannĂ©es au sein des parlements nationaux sur la bioĂ©thique et surlâopportunitĂ© de la rĂ©vision ou de lâintroduction de lois sur lâassistancemĂ©dicale Ă la procrĂ©ation et au diagnostic prĂ©natal, en renforçant lesgaranties, en prohibant des techniques telles que le clonage reproductif desĂȘtres humains et en encadrant strictement celles dont lâintĂ©rĂȘt mĂ©dical estavĂ©rĂ©.
La Convention sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine, ouverte Ă lasignature Ă Oviedo le 4 avril 1997 et entrĂ©e en vigueur le 1er dĂ©cembre 1999,a, quant Ă elle, pour but de protĂ©ger lâĂȘtre humain dans sa dignitĂ© et sonidentitĂ© et de garantir Ă toute personne, sans discrimination, le respect deson intĂ©gritĂ© et de ses autres droits et libertĂ©s fondamentales Ă lâĂ©gard desapplications de la biologie et de la mĂ©decine. Elle protĂšge la dignitĂ© de toute
personne mĂȘme avant la naissance et a pour souci principal dâĂ©viterquâaucune forme de recherche ou dâintervention ne puisse ĂȘtre entreprise enviolation de la dignitĂ© et de lâidentitĂ© de lâĂȘtre humain. Cette convention,
bien que trĂšs rĂ©cente, ne dĂ©finit pas non plus le terme de « personne » etdistingue entre « personne » et « ĂȘtre humain », dont, Ă lâarticle 2, elleaffirme la primautĂ© comme suit : « LâintĂ©rĂȘt et le bien de lâĂȘtre humain
doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. » Quant au problĂšme de la dĂ©finition du terme de « personne », le rapport explicatif dela Direction des affaires juridiques du Conseil de lâEurope indique, au
paragraphe 18, quâ« en lâabsence dâunanimitĂ©, parmi les Etats membres duConseil de lâEurope, sur la dĂ©finition de [ce terme], il a Ă©tĂ© convenu delaisser au droit interne le soin Ă©ventuel dâapporter les prĂ©cisions pertinentesaux effets de lâapplication de la prĂ©sente Convention ».
Par ailleurs, jâobserve que, dans cette convention, il y a sans doute desdispositions concernant la phase dâavant naissance (voir par exemple lechapitre IV â GĂ©nome humain). Notre Cour peut ĂȘtre saisie en application
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 61/62
ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI, 59Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
de lâarticle 29 de cette convention pour donner des avis consultatifs sur desquestions juridiques relatives Ă son interprĂ©tation. Aucune restriction Ă cette
facultĂ© nâa Ă©tĂ© prĂ©vue par les Etats contractants de façon Ă limiter lacompĂ©tence de notre Cour aux questions portant uniquement sur les faits quise dĂ©roulent aprĂšs la naissance.
En prĂ©sence dâune sĂ©rie de silences ou bien de renvois, il faut tout demĂȘme donner une rĂ©ponse Ă la requĂ©rante.
En deuxiĂšme lieu, je tiens Ă souligner que les juges doivent rendre unedĂ©cision sur lâaffaire concrĂšte qui leur est prĂ©sentĂ©e. La requĂȘte a pour objetune interruption de grossesse provoquĂ©e par la faute dâun mĂ©decin sur unfĆtus qui avait entre vingt et vingt-quatre semaines, contre la volontĂ© de lamĂšre.
A ce propos, jâestime que lâon ne peut pas ignorer le fait que lâĂąge du
fĆtus, dans le cas dâespĂšce, Ă©tait trĂšs proche de celui de certains fĆtus ayant pu survivre, mais Ă©galement le fait quâaujourdâhui, grĂące aux progrĂšsscientifiques, on connaĂźt presque tout dâun fĆtus de cet Ăąge : son poids, sonsexe, ses dimensions exactes, ses Ă©ventuels malformations ou problĂšmes.Sâil nâa pas encore dâexistence indĂ©pendante de celle de la mĂšre (mais dansles premiĂšres annĂ©es de vie un enfant ne peut non plus survivre de façonautonome, sans lâaide de quelquâun qui sâoccupe de lui), je considĂšre quâilest un ĂȘtre distinct de sa mĂšre.
Si la personnalitĂ© juridique nâapparaĂźt quâĂ la naissance, cela ne signifienullement, Ă mon avis, que « le droit de toute personne Ă la vie » ne doit pasĂȘtre reconnu et protĂ©gĂ© avant la naissance. Cela me paraĂźt dâailleurs ĂȘtre un
principe partagĂ© par tous les pays membres du Conseil de lâEurope : les loisadoptĂ©es au niveau national afin de permettre lâinterruption volontaire degrossesse nâauraient pas Ă©tĂ© nĂ©cessaires si le fĆtus nâavait pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ©comme une vie Ă protĂ©ger. Elles reprĂ©sentent donc une exception Ă la rĂšglede la protection de la vie des personnes, et ce mĂȘme avant la naissance.
Je rappelle que de toute façon cette affaire nâa rien Ă voir avec larĂ©glementation, par les lois nationales, de lâinterruption volontaire degrossesse, qui a Ă©tĂ© depuis longtemps lâobjet de requĂȘtes devant les organesde Strasbourg et qui a Ă©tĂ© jugĂ©e conforme Ă la Convention (paragraphes 75-80 de lâarrĂȘt).
Jâestime que, comme les autres articles de la Convention, lâarticle 2 doitĂȘtre interprĂ©tĂ© de façon Ă©volutive afin de permettre aussi de rĂ©pondre auxgrands dangers actuels pour la vie humaine. Les moyens des manipulationsgĂ©nĂ©tiques et la possibilitĂ© dâune utilisation des rĂ©sultats scientifiques enviolation de la dignitĂ© et de lâidentitĂ© de lâĂȘtre humain lâimposent. La Coura, de plus, souvent affirmĂ© que la Convention est un instrument vivant, Ă interprĂ©ter Ă la lumiĂšre des conditions actuelles (voir, par exemple, Tyrerc. Royaume-Uni, arrĂȘt du 25 avril 1978, sĂ©rie A no 26, pp. 15-16, § 31 ;
Loizidou c. Turquie (exceptions prĂ©liminaires), arrĂȘt du 23 mars 1995,
7/21/2019 Affaire Vo c. France
http://slidepdf.com/reader/full/affaire-vo-c-france 62/62
60 ARRĂT VO c. FRANCE â OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI,Ă LAQUELLE DĂCLARE SE RALLIER Mme LA JUGE STRĂĆœNICKĂ
série A no 310, p. 26, § 71 ; Mazurek c. France, no 34406/97, § 49, CEDH2000-II).
Jâen conclus donc que lâarticle 2 de la Convention est applicable enlâespĂšce et quâil a Ă©tĂ© violĂ©, dans la mesure oĂč le droit Ă la vie nâa pas Ă©tĂ©
protĂ©gĂ© par la loi de lâEtat dĂ©fendeur.