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    ACTION COLLECTIVE, INSTITUTIONNALISATION ETCONTRE-POUVOIR : ACTION ASSOCIATIVE ET COMMUNAUTAIRE PARIS ET MONTRALMarie-Hlne Bacqu

    ERES | Espaces et socits

    2006/1 - no 123

    pages 69 84

    ISSN 0014-0481

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2006-1-page-69.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bacqu Marie-Hlne, Action collective, institutionnalisation et contre-pouvoir : action associative et communautaire

    Paris et Montral ,

    Espaces et socits, 2006/1 no 123, p. 69-84. DOI : 10.3917/esp.123.0069

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    Linstitutionnalisation est rcurrente dans ltude des mouvementssociaux, ds quils passent de la contestation politique au projet. Elleimplique une hirarchisation du pouvoir interne et le repositionnement desmouvements sociaux dans le champ politique, les insrant dans des parte-

    nariats institutionnels rgls. Deux expriences locales, Paris et Montral, permettent dapprhender les dynamiques et enjeux de ces pro-cessus dinstitutionnalisation, de recomposition des formes de gouverne-ment local et de multiplication des dispositifs participatifs. Analysant lesmouvements parisiens, Manuel Castells (1975) a insist sur le couple int-gration et rpression dans la rponse des institutions aux enjeux de classequi sexpriment dans lespace urbain. En se centrant sur les acteurs, Jean-Pierre Collin et Jacques Godbout (1977) ont montr comment les militants

    Action collective,institutionnalisation

    et contre-pouvoir :action associative

    et communautaire

    Paris et MontralMarie-Hlne Bacqu

    Marie-Hlne Bacqu, professeur luniversit dvry et membre du Centre de recherche surlhabitat (UMRLaboratoire des organisations urbaines, espaces, socits, temporalits)[email protected]

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    issus de la gauche radicale constituent un milieu professionnel dencadre-ment des groupes communautaires qubcois. Pierre Hamel (1990) a mis en

    regard lambivalence des mouvements sociaux et lambigut des interven-tions de ltat. Malgr ces travaux pionniers, la sociologie urbaine et celledes mouvements sociaux sont restes cloisonnes (Pickvance, 2003), seulela sociologie des mouvements sociaux abordant linstitutionnalisation.

    Laffaiblissement de la porte transformatrice des mouvements sociauxet leur routinisation se solderaient par la rvision des objectifs dedpart, le choix dun rpertoire de laction plus conventionnel et la perteinvitable de lidentit initiale (Kriesi, 1996). Sans nier ces dimensions,Hamel et coll. (2000b) insistent sur la capacit des mouvements sociaux

    moderniser et dmocratiser laction publique dans ce processus dinstitu-tionnalisation. Ils montrent la dynamique des jeux de ngociation et de pou-voir entre institutions et mouvements sociaux. Linstitutionnalisationressurgit dans le champ urbain avec la gouvernance et la dmocratieurbaine (Jouve et coll., 2004 ; Lafaye, 2002 ). Mais les travaux sur la gou-vernance ou la dmocratie interrogent peu la place des mouvementssociaux dans ces transformations. La modernisation des institutions conduitla puissance publique se tourner vers un secteur associatif ou communau-taire, pour partie issu des mouvements sociaux, lui dlguant des pansentiers de la gestion sociale. Les mouvements sociaux urbains , censsporter une critique radicale du capitalisme (Castells, 1975), se sont trans-forms : ils ont largi leur champ dintervention et sont aujourdhuihtrognes et fragments (Hamel et coll., 2000a). La revendication dmo-cratique a t intgre dans les discours politiques, devenant une norme debonne gouvernance avec limpratif dlibratif (Blondiaux, Sintomer,2002). Ce changement de paradigme rpond la crainte de la fragilisationdes liens sociaux et de la dsaffection politique. Les instances locales

    ouvrent de nouveaux espaces et les associations et groupes communautairesdoivent y trouver leur place (Bacqu et coll., 2005). Mme limits et cir-conscrits, ces espaces participent une transformation plus large desformes de gouvernance qui rinterroge linstitutionnalisation des mouve-ments sociaux : ils adaptent leur rpertoire daction.

    Comment apprhender les processus dinstitutionnalisation ?Comment lintgration dans les dispositifs de gestion locale sarticule-t-elleavec des logiques de contre-pouvoir ? Quels sont les nouveaux cadres delaction lorsque les appareils administratifs revendiquent la proximit et laparticipation, reprenant deux thmatiques des mouvements urbains ? Deuxexpriences particulires apportent des lments de rponse : la table dequartier Action-Gardien, dans le quartier de la Pointe Saint-Charles (13 000habitants) au sud-ouest de Montral ; le collectif associatif de la GouttedOr (22 000 habitants) dans le nord de Paris. Ces deux anciens quartiers

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    1. La morphologie urbaine et sociale des deux quartiers est diffrente. Le tissu de la GouttedOr-Chteaurouge tait un lotissement la fin du XIXe sicle. Il est compos dimmeubles derapport lui donnant une densit importante. La Pointe Saint-Charles, compose de maisonsdhabitat ouvrier, a un tissu plus lche. Elle offre de grandes emprises industrielles en dsh-rence favorisant linstallation de lofts ou de condominiums luxueux, alors que la gentrificationde la Goutte dOr ne peut se faire en dehors de lhabitat existant. La Goutte dOr se distinguepar les populations trangres (essentiellement dAfrique noire aujourdhui), do son marchafricain.2. Avec un financement du ministre de lquipement, PUCA : Dynamiques de projet en quar-tiers anciens .3. Nbuleuse est prfrable mouvement pour viter lassimilation entre mouvementsocial et mouvement communautaire (Hamel, 2001).4. Cette fusion a t dcide autoritairement lchelon provincial et remise en cause lors duchangement de majorit en 2003. Un rfrendum en 2004 a engag un processus de dfu-sion partielle (Latendresse, 2004).

    ouvriers sont affects par la gentrification 1. Ces deux coordinations sontnes de mouvements urbains. Leur configuration urbaine et leur histoire

    sociale circonscrivent clairement le territoire dintervention des groupescommunautaires ou des associations. la Pointe Saint-Charles, nous avonsparticip pendant un an aux runions, groupes de travail et initiatives de latable de quartier. la Goutte dOr, le travail de terrain a t conduit lannesuivante 2 et nous avons suivi les runions lies au projet urbain et sa ges-tion sociale. Ces observations ont t compltes par une trentaine dentre-tiens sur chaque site, avec des responsables associatifs, des lus locaux et desprofessionnels.

    Une premire difficult de la comparaison tient aux diffrences de voca-

    bulaire. Communaut et association traduisent des cultures sociales etpolitiques diffrentes. Au Qubec, la communaut indique un ancrage ter-ritorial. Elle tmoigne de la reconnaissance des corps intermdiaires ou descollectifs dorigines diverses (Germain et coll., 2004). Elle ne se rduit pasau communautarisme ethnique agit comme repoussoir dans les dbatshexagonaux. La nbuleuse communautaire qubcoise 3 est aussi structure lchelle municipale et provinciale. Plus fondamentalement, les traditionsassociative franaise et communautaire qubcoise ne sont pas symtriques.Lorganisation politico-administrative des deux mtropoles est diffrente :

    Paris, cet chelon institutionnel est ancien, mais la dcentralisation des pou-voirs municipaux, de la mairie centrale vers les mairies darrondissement, estengage depuis le changement de majorit municipale en 2002 ; Montral,la cration des arrondissements remonte 2002, avec la fusion des villes delle 4. Deuxime difficult, nous ne faisons pas une comparaison terme terme, mais une mise en perspective qui dgage des volutions communes etdes questions ou enjeux partags. Dans les deux cas, la prise en compte delexigence dlibrative et la dcentralisation conduisent la cration de nou-

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    5. Le nom de la table, Action-Gardien , conjugue dfense dun territoire, vigilance au regarddes politiques publiques et dynamique daction collective.

    veaux dispositifs participatifs et de gestion urbaine : Paris les conseils dequartier et la recomposition de la politique de la ville, Montral les conseils

    darrondissements (plus ponctuellement les conseils de quartier) et le reposi-tionnement de la gestion communautaire. Les modes de rgulation urbaine serecomposent en tension autour des couples national/local, public/priv,social/conomique. Laction collective a suivi les mmes tapes de construc-tion et de transformation, saccompagnant de discours et de catgories cri-tiques partir de thmatiques voisines.

    DEUX COORDINATIONS DE QUARTIER

    Dans leurs contextes respectifs, ces deux expriences restent exception-nelles comme formes de mobilisation et de structuration des habitants carleurs dynamiques de contre-pouvoir sont spcifiques. La mobilisation deshabitants a t particulirement vigoureuse ( Montral depuis 1960, plustard Paris). Elle dbouche dans les deux cas sur la cration de servicessociaux et culturels associatifs ou communautaires. Cest une gestion des ser-vices urbains quasi partage avec la puissance publique. La Goutte dOr et laPointe Saint-Charles constituent des lieux dexprimentation sociale et din-novation, partiellement gnralise ensuite par les municipalits.

    La table de quartier Action-Gardien 5 regroupe une vingtaine de groupescommunautaires. Cette coalition nat, en 1981, de la volont dtre partie pre-nante des projets damnagement du quartier. Elle succde un foisonnementdinitiatives communautaires dont la cration emblmatique, ds les annes1960, dune clinique communautaire lie un centre dducation populaire etune cooprative alimentaire. La clinique, issue de la rencontre entre des tu-diants en mdecine de lUniversit Mc Gill et le comit de citoyens, a gardcomme spcificits dtre dirige par un conseil dadministration composdhabitants lus en assemble gnrale, de donner la priorit lactionsociale, au dveloppement local et la prvention, et de fonctionner sur desmodes autogestionnaires. Cest partir de ce modle, pour partie dtourn,quont t crs les centres locaux de sant communautaire, lchelle duQubec.

    La table Action-Gardien est finance par la municipalit et elle estanime par une permanente salarie. Elle constitue un lieu de dbats, maisaussi de coordination de laction. Elle appartient au mouvement communau-taire dit autonome qui, comme son nom lindique, cherche prserver

    une dimension contestataire et politique tout en dispensant des services. Lesgroupes qui la composent entendent dvelopper et fournir ces services de leur

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    propre initiative, dans une dmarche de prise de contrle des habitants surleur vie et sur leur environnement. Ce mouvement, qui a ngoci sa recon-

    naissance lchelle du Qubec, est financ par des fonds publics provin-ciaux, parfois fdraux et municipaux. Cette pluralit de sources definancements donne une certaine indpendance au regard des instanceslocales. La municipalit de Montral sest rappropri le principe de coordi-nation initi par Action-Gardien en finanant dans tous les quartiers de laville des tables de concertation, mais en y associant les services municipaux(Germain et coll., 2004).

    Paris, la coordination des associations de la Goutte dOr est partie dela contestation dune opration de rnovation urbaine lourde engage par la

    ville de Paris en 1980, pour remdier linsalubrit du secteur. Les associa-tions qui la composent sont relativement jeunes. Trs vite, la municipalitsappuie sur ce secteur associatif manant des mouvements urbains, pourmettre en uvre des politiques de dveloppement social urbain. En particu-lier, elle finance la mise en place dune structure interassociative, la SalleSaint-Bruno. La Goutte dOr est le premier quartier o la municipalit pari-sienne exprimente la politique de la ville travers la procdure lot sen-sible en 1983, puis en dveloppement social des quartiers. Cestaujourdhui un des projets prsents lAgence nationale de rnovationurbaine. De nombreux programmes culturels et sociaux ont t crs lini-tiative des habitants, grs par des associations locales et financs par desfonds publics spcifiques. ct dun travail social classique, des dmarchesinnovantes sont dveloppes autour du traitement de la toxicomanie et delaccueil des populations africaines. Elles se rclament de lempowermentettravaillent partir de lexpression collective de groupes spcifiques. Cesassociations ne sont pas oprationnelles dans le logement ou lconomie,comme leurs surs qubcoises. Elles demeurent financirement beaucoup

    plus dpendantes de la municipalit. Limplication associative dans la gestionsociale est propre la Goutte dOr et elle sest dveloppe dans un jeu poli-tique droite/gauche faisant intervenir les relations entre les diffrents niveauxde gouvernement (ltat, la Rgion, la Ville et lArrondissement) et les asso-ciations locales. Il y a deux coordinations : la Salle Saint-Bruno, codirigepar les associations et la municipalit, plus une coordination associative aufonctionnement trs informel, compar celui dAction-Gardien.

    Le secteur associatif ou communautaire prexistant se structure partirdun enjeu urbain, autour dune coordination Paris et dune coalition Montral. Il lie rapidement une dynamique de contestation et une prise encharge partielle du quartier par ses habitants, ouvrant un espace de dbat,dlaboration et dexpertise qui favorise une expression unifie de groupesjusqualors disperss. Lespace du quartier est la fois enjeu de lutte et cadrede la mobilisation (Sewell, 2001). Les deux termes, coalition et coordination,

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    sont utiliss respectivement par les acteurs locaux qubcois et franais ;cette diffrence smantique indique des nuances dans les dynamiques en

    uvre et dans les relations, plus ou moins conflictuelles, avec la puissancepublique. Ces dynamiques sont lies aux conditions historiques dmergencede la mobilisation, aux contextes locaux et aux acteurs qui les portent. Dansles catgories de la sociologie des mouvements sociaux, cest la structure desopportunits politiques.

    TROIS TEMPS DE MOBILISATION

    Montral, Hamel (1990) distingue trois moments o se construisent

    conjointement problme public et action collective, en fonction du contextepolitique et des logiques de la mobilisation. Le premier est celui des luttesurbaines des annes 1960-1970, caractris Paris comme Montral par lacontestation doprations de rnovation urbaine. Cest Paris lhritage cul-turel du mouvement de 1968 et, au Qubec, la dynamique de la rvolutiontranquille. Ce premier cadre daction collective est fortement politis etmarqu par la prsence de groupes dextrme gauche : la Goutte dOr, ilsdfendent le droit des immigrs, puis des sans-papiers ; ces groupes restentextrieurs au quartier. Cette mobilisation sinscrit dans lhistoire singulirede la Goutte dOr, lieu daccueil de populations algriennes et de leurs orga-nisations pendant la guerre dindpendance. la fin des annes 1970, se met-tent en place les premiers programmes sociaux associatifs commelalphabtisation ou laide aux devoirs, soutenus au dbut par le Secourscatholique. Montral, cest une priode dexploration des modes dac-tion (Hamel, 1990). La multiplication des comits de citoyens, lchellede la ville, dbouche sur la cration de services. Dans les deux cas, les intel-lectuels jouent un rle important. Dans le registre politique, Jean-Paul Sartre

    ou Michel Foucault tmoignent leur solidarit aux travailleurs immigrs de laGoutte dOr ; dans le registre professionnel, les tudiants de la prestigieuseuniversit anglophone Mc Gill participent la cration de la clinique com-munautaire. Il faut aussi compter avec laction caritative, ces diffrentesapproches se rejoignant dans la dfense des pauvres et des immigrs, dansune perspective de changement social pour les uns, de solidarit sociale pourles autres.

    Dans les annes 1980, deuxime moment dorientation, lenjeu urbainsaffirme comme fdrateur, en raction aux projets municipaux. Les deuxcoalitions se constituent, questionnant la transformation sociale du quartier.Le terrain de la confrontation slargit des dmarches dajustement et dengociation avec les pouvoirs publics et, Montral, dpasse le champ dusocial pour investir le dveloppement conomique, avec la cration des cor-porations conomiques de dveloppement communautaire (Hamel, 2001).

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    Cette orientation pragmatique correspond un appel de ltat la socitcivile qubcoise. Ce processus de reconnaissance des groupes se traduira

    par un accord-cadre leur assurant statut et moyens. Paris, la politique dedveloppement social urbain engage la Goutte dOr sappuie largementsur la mobilisation associative et sert de vitrine sociale la municipalit pari-sienne. Les groupes et associations se multiplient et se diversifient, essaims Montral par la clinique communautaire et Paris par un groupe dhabi-tants, pour la plupart issus du catholicisme social. la Goutte dOr en parti-culier, un vritable ancrage dans le quartier sopre par un rapprochementavec les habitants dans une dmarche de services. La dimension de linnova-tion et de lexprimentation sinscrit dans une perspective de changement

    social, changement au quotidien dans les relations interindividuelles et chan-gement du rapport aux institutions, renvoyant pour certains un projet poli-tique plus large. Le processus dinstitutionnalisation des associations etgroupes communautaires est bien engag.

    Les annes 2000 sont le troisime moment de la mobilisation. Montral, la cration darrondissements implique la mise en place dunegestion municipale de proximit contrle par les lus darrondissement,avec des dispositifs de dmocratie locale gnralement dirigs vers les

    citoyens et non vers leurs organisations. Les premiers arrondissements stre engags dans des dmarches de dmocratie participative noffrent pasde dispositifs de consultation des groupes communautaires mais reposent surdes commissions composes dindividus lus ou dsigns en leur nompropre. Paris, la nouvelle municipalit de gauche entend coordonner unepolitique municipale de dveloppement social, sans la dlguer totalementaux associations. Elle cre aussi des conseils de quartier avec un collge asso-ciatif. Ces changements passent par des procdures dappels doffre obligeantles groupes et associations rengocier leurs actions. Au regard des disposi-

    tifs politico-administratifs, ils deviennent des dlgataires de services. Cestrois temps de mobilisation sont scands par la recomposition des politiquespubliques, mouvements urbains et institutions se transformant et sinfluen-ant mutuellement dans (un) mouvement de basculement du gouvernementlocal la gouvernance urbaine (Lafaye, 2002). Linstitutionnalisation desmouvements sociaux passe par leur intgration dans la gestion urbaine et leurentre, divers niveaux, dans les structures de gouvernance locale, ce qui estun succs partiel de leurs revendications.

    UN TISSU ASSOCIATIF OU COMMUNAUTAIRE EN TRANSFORMATION

    Le tissu associatif se diversifie et se renouvelle. Il constitue une nbu-leuse, renvoyant une multiplicit dhistoires, dintrts, de relations avecles instances municipales. Des associations ou groupes communautaires de

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    natures diffrentes cohabitent au sein des deux coordinations-coalitions(associations dispensatrices de services, groupements dintrt ou groupes

    dinfluence) qui sengagent dans la cration de services et dactivits collec-tives pour amliorer concrtement la vie quotidienne, rguler les problmessociaux et dvelopper la vie sociale de voisinage (dans les domaines de lasant, lducation populaire, lassistance juridique, etc). Cette dimension,prsente ds les annes 1960, prend de limportance au cours des annes1980, entranant une professionnalisation des groupes et une transformationdes modes de mobilisation. La confiance des habitants aux associations etaux groupes et, partant, la mobilisation collective se construisent sur la basedune prestation de service et dune pratique militante contestataire.

    Le tableau est asymtrique : la table Action-Gardien conserve des pra-tiques et un discours militant plus dtermins. Elle est active dans des mobili-sations nationales ou internationales comme la marche des femmes auQubec, le mouvement contre la guerre dIrak ou le dbat lectoral. Ellecherche aussi maintenir un espace de mobilisation et de dbat autonome surles enjeux de transformation urbaine du quartier au travers dune srie dini-tiatives publiques. La crainte dune instrumentalisation de laction commu-nautaire lie la dcentralisation de laction municipale et aux modificationsdes rgles de financements conduit mme une radicalisation de la dmarchemilitante. Les responsables communautaires rencontrs veulent dvelopper lelien avec les habitants par de nouvelles pratiques dmocratiques. Quand leconseil darrondissement lance une concertation sur le plan damnagement,la table organise ses propres assembles gnrales, fait appel ses propresexperts universitaires pour construire un discours de contestation et de propo-sition. la Goutte dOr, les responsables associatifs participent bien auxconseils de quartier, mais ils ne sont pas toujours porteurs dune parole col-lective de la coordination et ils sont mme parfois muets. Les associations sont

    plus impliques dans les instances administratives de pilotage de la politiquede la ville au sein desquelles elles se retrouvent sur des objectifs communs.Elles peinent prserver un espace de dbat plus large quentre professionnelset responsables associatifs impliqus dans la gestion associative.

    Ces positionnements renvoient pour partie la structuration diffrentedes systmes politiques locaux. Paris, les associations trouvent un appuiauprs des partis de gauche et le premier prsident de la coordination est,depuis les dernires lections municipales, maire-adjoint darrondissement,do une difficult de positionnement critique. Le mouvement social puis lespolitiques de dveloppement social mises en uvre la Goutte dOr sins-crivent dans des rapports de force partidaires structurs autour des oppo-sitions droite/gauche et pouvoir municipal/pouvoir dtat. Montral, unereprsentation gestionnaire de la politique prvaut ; les groupes communau-taires restent ct du jeu lectoral, depuis lchec du Rassemblement des

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    6. Un des membres de la table de quartier a eu un mandat dlu pendant cette priode.7. Cest--dire des logements sociaux pour les plus pauvres.

    citoyens et citoyennes de Montral (RCM) lu aux lections municipales de1986 et qui a depuis clat 6.

    Un milieu professionnel sest constitu dans les deux quartiers, composde militants politiques reconvertis, de travailleurs sociaux engags et dhabi-tants du quartier forms dans les activits associatives. Ces derniers restentpeu reprsents dans les structures de direction et, la Goutte dOr, les mino-rits ethniques sont quasi absentes. Cette approche de service conserve unedimension dencadrement et dducation populaire, dj prsente dans lecatholicisme social des origines ; elle se conjugue avec une dmarche civiquene dbouchant pas forcment sur une reprsentation directe des populationsconcernes. L encore, on peut relever des diffrences. Les groupes commu-

    nautaires et la table de quartier appartiennent plusieurs rseaux ou coordi-nations thmatiques et territoriales permettant aux professionnels qui lesencadrent daccder une formation interne et de sortir de lchelle du quar-tier pour aborder les problmes lchelle de la ville ou de la province. Lemilieu communautaire est plus organis au Qubec, avec un fonctionnementdes runions (des groupes ou de la table) selon un code et un droulementbien cadrs, ce qui nexclut ni les dbats ni les divisions internes.

    Paris, ds la fin des annes 1990, la coordination de la Goutte dOr estconcurrence par de nouvelles associations ou rseaux informels ns dans la

    partie nord du quartier et concerns par la deuxime phase du projet urbain.Ces associations reprsentent les petits propritaires occupants, arrivsrcemment dans le quartier et porteurs de valeurs sensiblement diffrentes decelles de la coalition. Leurs objectifs sont de rtablir la norme et le droit aucalme (nom donn une association !), en passant si ncessaire par lex-pulsion des gneurs, rsidants ou commerants, demandant la municipalitde prendre ses responsabilits . loppos, une coalition de femmes malloges lutte pour des logements dcents et la construction de vrais loge-ments sociaux dans le quartier7, et un groupe de jeunes universitaires sop-pose au dplacement des commerces ethniques envisag par la mairie deParis. Ces associations ou groupes informels ne participent pas la coordi-nation de quartier et ne veulent pas sinscrire dans une dmarche de gestionsociale. Soit ils rclament le retour au droit commun , renvoyant cette res-ponsabilit la municipalit, soit ils interprtent cette action sociale commede lencadrement et du contrle.

    Lintgration des mouvements urbains dans la gestion locale a des effetsdiffrents sur la structure associative ou communautaire. Dans le cas parisien,

    tout se passe comme si lintgration des associations et leur multiplication sepayaient par un clatement de la cohsion associative, faisant rapparatredes intrts sociaux divergeants au sein de la population du quartier. La coor-

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    8. Ce long silence vient aprs dimportantes victoires de la coordination. Cest peut-tre unessoufflement, ou la fragilit de lalliance entre les couches moyennes et les immigrs et/oules groupes les plus prcariss du quartier.

    dination reprsente ds lors le ple le plus structur de lexpression associa-tive. Dans le cas montralais, la structuration interne du mouvement commu-

    nautaire, qui constitue lune des dimensions de linstitutionnalisation, luipermet de conserver en partie une dimension politique et contestataire. Il fautdistinguer les deux dimensions des processus dinstitutionnalisation : la pre-mire, de structuration interne et dorganisation une chelle supra-locale,est une condition de la reconnaissance institutionnelle, mais lexemple de laGoutte dOr montre quelle nest pas toujours ncessaire ; la deuxime estlintgration dans le jeu institutionnel et la gouvernance urbaine. La conju-gaison de ces deux dimensions ouvre des dynamiques contrastes.

    ADAPTATION DU CADRE DE LA MOBILISATION

    Dans les deux cas, un discours de rfrence se construit travers desconflits au sein de ces coalitions, partir dune expertise qui se dveloppe.Cest dabord autour de la dfense des habitants les plus pauvres Montral,des minorits ethniques la Goutte dOr, quassociations et groupes commu-nautaires se mobilisent ; militants catholiques et gauchistes se retrouventautour des mmes valeurs. la Goutte dOr , les enjeux sont des logementsdcents et le relogement sur place des mnages concerns par la rnovation

    urbaine ; la Pointe Saint-Charles, cest le contrle de la transformationurbaine du quartier et la constitution dun parc de logements accessible auxmnages prcariss. Mais cette thmatique volue la fin des annes 1990,pour laisser place celle de la mixit sociale, avance par les lus locaux.Cette volution du discours tmoigne dun changement significatif des repr-sentations du quartier et de son avenir. Lenjeu nest plus le seul maintien dela vocation sociale du quartier, mais les conditions dune cohabitation entredivers groupes et la rponse, en termes de services et de commerces, aux nou-velles demandes qui mergent. Ce tournant suscite des controverses dans lemilieu associatif et communautaire. Dans le cas de la Goutte dOr, cette dis-cussion oppose les groupes qui, au nom de la mixit sociale, souhaitent enga-ger une reconqute du quartier par les couches moyennes et la coalitionqui, au contraire, se mobilise contre les transformations en cours.Curieusement, la coordination reste dabord muette, alors que les projetsmunicipaux et les modes dattribution du logement social affichent trs clai-rement une volont de rquilibrage social et de normalisation de lespacepublic. Elle interpelle tardivement (avril 2005) la municipalit sur la place

    des habitants les plus prcaires, notamment les toxicomanes, dans les projetsde rnovation 8. La table de quartier Action-Gardien engage un dbat interne,

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    9. La valorisation du faubourg se construit en opposition aux cits anonymes de banlieue mettant en avant la qualit des relations sociales et la richesse de la diversit ethnique (Journalde Paris Goutte dOr, n 1-2, 1984).

    faisant intervenir plusieurs experts sur les enjeux damnagement et dhabi-tat ; elle conclut par une position pragmatique, prenant acte des transforma-

    tions en cours tout en maintenant la revendication du maintien dans les lieux.Lenjeu social se noue avec une thmatique culturelle et identitaire : pro-mouvoir une image positive des deux quartiers, dfendre un cadre de vieurbain et sa valeur historique. Lassociation Paris Goutte dOr soppose unurbanisme de dmolition-reconstruction dlots entiers au nom de la dfensedu patrimoine urbain. Elle sappuie sur des travaux dhistoriens de larchi-tecture qui redcouvrent les qualits urbaines du faubourg parisien menac(Breitman, Culot, 1988). Dans les deux quartiers, se constituent des associa-tions ou centres de ressources chargs de travailler sur lhistoire, den propo-

    ser une nouvelle interprtation et de la valoriser. Ce travail de mmoiremobilise entretiens, photographies, films et histoires de vie ; il contribue faire merger la figure positive de deux quartiers populaires, reprsentant desentits sociales et urbaines constitues. Il insiste Paris sur la richesse de ladiversit ethnique (Toubon, Messamah, 1990 9), Montral sur lidentitouvrire. la Goutte dOr, ce travail de dfinition devient conflictuel aucours des annes 1990, lors de la deuxime phase de rnovation. Pour cer-tains habitants des classes intermdiaires, la vocation commerciale du quar-tier, qui rayonne sur lensemble de la rgion parisienne, soppose la vision

    dun quartier rtrci ses rsidents et dabord dfini par la proximit, limage du Montmartre dAmlie Poulain.

    Une critique sociale et une critique artiste (Boltanski, Chiapello, 1999)peuvent temporairement se marier, mais aussi sopposer. Paris, le quartier socialement correct (Pinon-Charlot, Pinon, 2001), en raison dunecohabitation sociale et ethnique mesure au sein des couches moyennes etintellectuelles, ne rencontre qu la marge le quartier daccueil des popula-tions immigres, plaque tournante du commerce africain, caractris par ladensit et le mouvement. Le processus dinstitutionnalisation sest sold parune prise en compte partielle de la critique sociale, lintgration et la rcup-ration de la critique artiste dans le discours et les politiques municipales. Lediscours patrimonial conduit remplacer une rnovation dampleur par depetites oprations de rhabilitation, mais il accompagne une diversification par le haut des modes de financement et du peuplement. Dans ce proces-sus, la critique sociale sest affaiblie au sein de la coordination parisienne etdplace vers dautres acteurs, tandis quelle est reformule mais demeureforte Montral. Une troisime revendication porte sur les pratiques dmo-

    cratiques et sur la reconnaissance dune comptence habitante, faisant valoir

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    le droit des habitants tre informs, donner leur avis et participer auxdcisions. Ces associations et groupes communautaires construisent la lgiti-

    mit de la parole habitante et srigent en acteurs reprsentatifs. Cette reven-dication est partiellement satisfaite, ce qui influence lintgration desassociations et groupes communautaires, en transformant le jeu institution-nel. Les enjeux sociaux et les alliances dintrt sont dterminants dans lla-boration et la transformation du cadre de mobilisation.

    EFFICACIT, INSTITUTIONNALISATION ET CONTRE-POUVOIR

    Dans le processus dinstitutionnalisation, associations et groupes com-

    munautaires ont obtenu des rsultats substantiels aux trois tapes de leurmobilisation. la Goutte dOr, les chelles de la rnovation se modifient sen-siblement pour arriver un urbanisme visage humain , respectant le tissudu faubourg. Dans la premire phase, les mnages sont en grande partie relo-gs sur place. Plusieurs quipements publics sont raliss et des servicessociaux, pour partie associatifs, crs. Montral, lactivit communautairemet en uvre la construction de plusieurs centaines de logements sociaux oucoopratifs, des actions de dveloppement conomique et diffrents servicessociaux. Elle pose publiquement la question de lamnagement touristique etconomique des abords du canal Lachine, dterminant pour lavenir de laPointe Saint-Charles.

    Les rsultats sont aussi procduraux, en termes de reconnaissance desassociations comme acteurs collectifs, de cration dinstances de concerta-tion, ouvrant une nouvelle tape de leur intgration en les associant la ges-tion urbaine. La politique de la ville parisienne va plus loin : la coordinationparticipe la commission locale interpartenaires charge dorienter le dve-loppement social du quartier, au groupe de pilotage interinstitutionnel et

    diffrents groupes de travail thmatiques. Une association de quartier salarielquipe de matrise duvre urbaine charge par la ville du projet de dve-loppement local. Montral, le dispositif de table de quartier est gnralis lchelle municipale tout en tant transform, comme la clinique commu-nautaire avant lui. Les mouvements urbains ont contribu la modernisationde ladministration et des institutions et, en retour, la transformation ducadre politique de leur propre intervention (Hamel, 2001).

    Linstitutionnalisation se joue entre plusieurs protagonistes. Elle reposesur une dynamique associative ou communautaire qui, pour se dvelopper etpour rpondre des objectifs de justice sociale, choisit dintervenir dans lagestion sociale et urbaine de proximit. Elle est aussi porte par des profes-sionnels qui y trouvent une lgitimit. Enfin, elle relve de la stratgie desinstances municipales qui peuvent choisir entre la collaboration, le no-cor-poratisme ou clientlisme, la rpression (Weir, 1999). Pour des raisons diff-

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    rentes, le positionnement adopt est celui de la collaboration, parfois teintede clientlisme. La rceptivit des systmes politiques la mobilisation est le

    corollaire dun vide institutionnel dans les deux quartiers en termes de ser-vices publics. Si les municipalits ont adopt une stratgie de coopration,celle-ci rencontre aujourdhui ses limites, avec la question dune rellecogestion des services dun territoire. On observe dans les deux cas des pra-tiques municipales en retrait et une volont de raffirmer la prdominancedes instances politiques municipales, dans la dcision comme dans lorgani-sation de la dlibration. Le modle propos repose sur une dlgationcontrle de gestion des services publics travers des systmes de marchpublic et de mise en concurrence des associations, crant un espace public

    encadr.Les deux coalitions suivent des stratgies diffrentes face cette volontdinstrumentalisation, mme si les discours voluent et si les structures asso-ciatives et communautaires se transforment. La dimension de contre-pouvoira-t-elle disparu ou sexerce-t-elle autrement ? Ce contre-pouvoir se dcom-pose en plusieurs termes (Renaud, 2001) : 1) une capacit de contre-expertiseet de contre-proposition ; 2) un pouvoir de pression sur la dcision et decontrle sur la ralisation ; 3) limposition dune mthode dmocratique. Laprofessionnalisation des deux coalitions a permis de construire des comp-

    tences de contre-expertise qui psent dans le dbat public, obligeant les ins-titutions lgitimer leurs choix. Celles-ci sont vritablement mobilises dansune logique de contre-projet la Pointe Saint-Charles. la Goutte dOr, lacoordination observe une attitude plus attentiste dans le domaine de lurba-nisme, mme si les associations dveloppent des initiatives dans le domainede la sant et du social. Les pouvoirs de pression et de contrle sexercent dif-fremment. la Goutte dOr, le jeu de la politique partidaire et lectoraleest significatif. La coordination a largement investi les structures administra-tives de la politique de la ville qui constituent des espaces dorientation, sansrels dbats sur leurs enjeux et finalits sociaux et politiques (Neveu, 2001).Sa prsence dans ces instances lui permet dtre garante de la prennit et dela ralisation de certains projets ou promesses lectorales. La table Action-Gardien veille quant elle conserver des pratiques militantes et un espaceautonome de dbat largement politis pouvant conduire la radicalisation,voire la marginalisation. Dans les deux cas, la revendication dmocratiquea su se faire entendre et reste encore trs vivante dans la ngociation desmodalits concrtes et des moyens donns la discussion. des niveaux dif-

    frents, des dynamiques de contre-pouvoir perdurent. Mais elles sont mena-ces dun enfermement dans la gestion administrative. En particulier Paris,il est difficile de maintenir un espace autonome associatif ou communautairecar les dispositifs de la politique de la ville limitent laction lchelle localequand il nexiste ni des rseaux communautaires ou associatifs plus larges, niune volont de peser sur les enjeux mtropolitains.

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    Que tirer de cette comparaison ? Les processus dinstitutionnalisation,bien rels, ont produit des situations contrastes qui ne se rduisent pas lin-

    tgration des groupes ou associations. Castells (1975) voyait deux ples entension, transformation politique ou intgration ( rcupration ), mais cestinsuffisant pour apprhender les recompositions en cours. On observe deuxconfigurations o acteurs et groupes ngocient leurs rles, entre intgrationpartielle et logique de contre-pouvoir. Les contextes institutionnels, politiques,culturels et historiques influencent bien sr la construction des deux scnarios.Le degr et les formes dorganisation des mouvements sociaux lchellelocale et supra-locale, ainsi que leur autonomie financire, apparaissent dter-minants. Une forte structuration interne nimplique pas forcment un affai-

    blissement de la critique ; elle peut, dans certains cas, maintenir une culture dela contestation, mme si elle va invitablement de pair avec des processus deprofessionnalisation et de hirarchisation interne. La dynamique des mouve-ments sociaux renvoie aux enjeux et conflits sociaux internes la base de leurconstitution ; cette institutionnalisation les traverse, les rend fragiles et adap-tables. Dans leur relation avec ltat, les mouvements sociaux conservent unecapacit transformatrice, mais celle-ci ne sexerce pas forcment l o lestenants des mouvements sociaux urbains comme force de contestation ducapitalisme lattendaient. Elle est intgre dans un jeu complexe de recompo-

    sition et de modernisation des institutions et des politiques publiques dont ellecontribue forger les nouveaux paradigmes. La tension qui traverse associa-tions et groupes communautaires entre autonomie, contre-pouvoir et institu-tionnalisation est la fois structurelle et dynamique. Elle permet de rinterrogerles formes dintervention et daction de la socit civile et de constituer la basede leur renouvellement. Ces structures sont bien fragiles quand la puissancepublique cherche les instrumentaliser. Lexistence despaces autonomes dedlibration devient pour elles un enjeu essentiel. Ce constat claire les limites

    des expriences de dmocratie participative qui se multiplient aujourdhui.Elles peuvent nier lexistence despaces publics parallles aux espaces institu-tionnels, lorsquelles ne reconnaissent comme reprsentatifs que les citoyensatomiss. Quand elles restent centres sur la modernisation institutionnelle,elles courent le risque de rduire la participation des questions managrialeset de faire silence sur les enjeux sociaux et politiques.

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