5. Les analyses savantes de l’œuvre de Nicolas Poussin

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Les analyses savantes de l uvre de Nicolas Poussin

Nicolas Poussin Autoportrait 1650 Paris, Muse du Louvre

Nicolas Poussin, La mort de Germanicus, 1628 huile sur toile, 1,48 x 1,98 m., Minneapolis, The Minneapolis Institut of Art

Nicolas Poussin Le martyre de Saint Erasme 1629 huile sur toile, 3,20 x 1,86 m. Rome, Pinacothque Vaticane

[Monsieur Poussin] est en rputation grce de nombreux tableaux de cabinet quon a vus de sa main. Cest un homme de ans, noble daspect et de manires, et, ce qui compte beaucoup, grce ses connaissances littraires, quil sagisse de nimporte quel sujet de lhistoire, de la fable ou de la posie, il est en mesure de lexprimer par le pinceau, ce quil fait avec succs.

Giulio Mancini, Considerazioni sulla pittura, (d. 1956), t. I, p. 261

Nicolas Poussin, La Peste dAsdod, 1630-1631 huile sur toile, 1,98 x 1,48 m., Paris, Muse du Louvre

Nicolas Poussin, LEmpire de Flore, 1631 huile sur toie, 1,31 x 1,81 m., Dresde, Gemldegalerie

Nicolas Poussin, Le Jugement de Salomon, 1649 huile sur toile, 1,50 x 1,01 m., Paris, Muse du Louvre

[Le Cavalier Bernin] est pass [] dans la salle o sont les Sept Sacrements, o il ny avoit de tableau dcouvert que la Confirmation. Il la regard avec grande attache et a dit aprs : Ha imitato il colorito di Rafaelle in quel quadro ; un bel istoriare. Che divozione ! Che silenzio ! Che bellezza ha quella putta ! [] Jai fait descendre lExtrme onction, et lai fait mettre prs de la lumire, afin que le Cavalier la pust mieux voir. Il la [regarde] debout quelques temps, puis il sest mis genoux pour la mieux voir, changeant de fois autres de lunettes et monstrant son estonnement sans rien dire. A la fin il sest relev et a dit que cela faisoit le mesme quune belle prdication quon coute avec attention fort grande et dont on sort aprs sans rien dire, mais que leffet sen ressent au-dedans

Paul Frart de Chantelou, Journal du voyage du Cavalier Bernin en France, (d. 1885), p. 65-66.

Jauray [] cet avantage de parler avec lloge dun Peintre Franois qui a est lhonneur et la gloire de nostre nation, et quon peut dire avoir enlev toute la science de la peinture comme dentre les bras de la Grce et de lItalie pour lapporter en France, o les plus hautes Sciences et les plus beaux Arts semblent sestre aujourdhuy retirez. Ses tableaux dont le cabinet du Roy est enrichi, et tant dautres qui sont rpandus en divers endroits de lEurope, serviront de tmoins irrprochables aux choses que javanceray en parlant de ce grand homme .

Andr Flibien, Entretiens sur les vies et sur ls ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, Paris, 1666

Nicolas Poussin, Esther devant Assurus, vers 1655 huile sur toile, 1,19 x 1,55 m., Saint Ptersbourg, Muse de lErmitage

Jean Pesne, daprs Nicolas Poussin, Les travaux d'hercule, 1678 gravure, 280 x 280 mm., coll. Part.

Charles Mellin (autrefois attr. Nicolas Poussin) La Prsentation de Jsus au temple vers 1643-1645 plume, lavis de bistre 213 x 154 mm. Paris, Ensba

Andr Sgla Portrait de Nicolas Poussin marbre 1782 Rome, Promoteca Capitolina

Antoine Prault Portrait de Nicolas Poussin XIXe sicle, 1er quart marbre Amiens, Muse de Picardie

Je ne puis permettre la mtamorphose dApollon en St Jean [] ; la Vierge Marie Vnus aux belles fesses, cela ne me convient pas. Mais voici ce qua fait le Poussin ; il a tch dennoblir les caractres ; il sest assujetti selon les convenances de lge aux proportions de lantique ; il a fondu avec un tel art la Bible avec le paganisme, les dieux de la fable antique avec les personnages de la mythologie moderne, quil ny a que les yeux savans et expriments qui sen aperoivent, et que le reste en est satisfait. Voil le parti sage.

Denis Diderot, Salon de 1767, (d. 1963), vol. III, p. 315

Antoine Prault Portrait de Nicolas Poussin XIXe sicle, 1er quart marbre Amiens, Muse de Picardie

Felix Bracquemond, daprs Franois-Marius Granet, La mort de Poussin XIXe sicle, estampe en taille douce, Nancy, Muse des Beaux-Arts

On a tant rpt quil est le plus classique des peintres, quon sera peut-tre surpris de le voir traiter dans cet essai comme lun des novateurs les plus hardis que prsente lhistoire de la peinture. Il est arriv au milieu dcoles manires chez lesquelles le mtier tait prfr la partie intellectuelle de lart. Il a rompu avec toute cette fausset, sy trouvant port par sa pente naturelle et sans parti pris .

Eugne Delacroix, Le Poussin , Le Moniteur Universel, 26 juin 1853

Imaginez Poussin refait entirement sur nature, voil le classique que jentends. Ce que je nadmets pas, cest le classique qui vous borne. Je veux que la frquentation dun matre me rende moi-mme ; toutes les fois que je sors de chez Poussin, je sais mieux qui je suis .

Paul Czanne, cit dans Gasquet, Paul Czanne, Paris, 1926, p. 192.

Pichard, d'aprs Lon Benouville, Nicolas Poussin sur les bords du Tibre Rome, gravure, march de lart

Les Sept Sacrements ne sont plus en France. Honte ternelle au XVIIIe sicle! Il a fallu du moins enlever aux Grecs les frontons du Parthnon ; nous, nous avons livr ltranger, nous lui avons vendu tous ces monuments du gnie franais quavaient recueillis avec un soin religieux Richelieu et Mazarin. Et lindignation publique na pas fltri cet acte! Et depuis il ne sest pas trouv en France un roi, un homme dEtat pour interdire de laisser sortir sans autorisation du territoire national les chefs-d uvre dart qui honorent la nation! .

Victor Cousin, Du Vrai, du Beau et du Bien, Paris, 1853 (d. 1904), p. 225-227

Le meilleur de ce que Nicolas Poussin doit notre XIXe sicle, ce nest point les images de marbre et de bronze qui nous ont, ici et l, multipli cette noble figure []. Non, cest, aprs toutes les expriences ondoyantes faites travers les tiraillements amollissants du XVIIIe sicle et les courants dinfluences trangres qui se sont succd dans le ntre, cest la consolidation dfinitive de lautorit de Poussin, accepte et salue par tous, comme celle du pre et du chef : dsormais, nul ne le conteste, son bon sens est notre bon sens, sa forme et notre forme ; son imagination potique demeure notre manire de concevoir la posie de tout sujet livr la peinture ; lui nous ramne toute crise grave en nos volutions dcole ; cest lui que tout critique doit analyser dabord sil veut se pntrer des conditions vitales de notre gnie national. [] Pour ce qui de linterprtation suprieure de la nature par le gnie dans sa plus impeccable mesure, et de sa transformation par le jugement, il est bien acquis que jusqu lextinction de notre peinture, toute mode dart, mme un instant victorieuse, tout en France pourra passer sauf le Poussin.

Philippe de Chennevires, Essais sur lhistoire de la peinture franaise, Paris, 1894, p. 141-142

Poussin conoit un art ternel, auquel il entend appartenir. Il veut, sur les styles de lillusion, reconqurir le style, et substituer la volupt ce quil appelle la dlectation. Il comprend que Raphal ne continue pas sans lantique par ses profils romains, mais par ce quil y a de moins antique dans lEcole dAthnes. Il cherche lquivalent en peinture de la ligne antique, mais parti du soleil du bas-relief, il aboutit au paysage.

Andr Malraux, Les Voix du silence, Paris, 1951, p. 394-396

Nicolas Poussin pensait que la vertu et la sagesse pouvaient tre transmises l'humanit par la peinture. Toute son oeuvre, en particulier celle des dernires annes, illustre cette conviction. Pourtant, sa peinture ne s'ouvre pas facilement au regard. Hormis dans quelques admirables dessins, elle ne rvle pas tel ou tel pan de nature, mais dveloppe des thmes dans un registre sublime qui par dfinition ne peuvent tre drivs de modles sensibles : pas de paysages, sinon hroques, ni de natures mortes dans son oeuvre. Malgr ses dires, et au contraire de Velzquez, la dlectation n'est pas son but.

Avigdor Arikha, Rflexion sur Poussin, 1929

Or le rve, justement, l'obstin rve d'ensemble que nous faisons avec nos dsirs tous l'oeuvre, s'il est la vie mme en cela, s'en spare aussi, parce qu'il oublie - c'est notre faute d'tres parlants la finitude : parce qu'il ne veut pas savoir qu'il faut choisir, accepter d'emble nos limites, accueillir l'ide de destin, qui implique celle de mort, ne pas lui opposer, ou en tout cas pas toujours, les vapeurs enivrantes de l'criture. Et c'est perdre le sens de la cohrence la plus profonde et donc la mieux partageable. Ne doit-on pas, ditesmoi, essayer de couper, comme travers champ, dans ces suggestions du rve ? Ne doit-on pas y faire apparatre, pour l'accepter comme telle, cette prsence du temps qui y est cache comme, dans de grands tableaux de Poussin, le serpent dans les herbes, prs de la source ? Vous le voyez, on retrouve ici de faon tout fait concrte ce danger dont je parlais l'autre jour propos des images peintes : et je n'en aurais rien dit cette fois premire, je n'aurais mme pas song, sans doute, tudier les ambiguts de l'oeuvre plastique, si je n'avais eu ds longtemps m'en proccuper pour mon propre compte, dans l'critude de posie.

Yves Bonnefoy, Entretiens sur la posie (1972-1990), Entretiens avec Bernard Falciola, Mercure de France, 1990, p.29-30

Nicolas Poussin, Paysage avec Orphe et Eurydice, 1650-1653 huile sur toile, 1,24 x 2,00 m., Paris, Muse du Louvre

Il y a du cauchemar dans le plus beau rve, et prcisment parce qu'il est beau de cette faon oublieuse : comme dans le Paysage au serpent de Poussin, que j'voquais l'autre jour, o l'on peut certes chrir ces grands horizons qui apaisent, ces constructions magnifiques, l-bas, sous les nues paisibles de l't qui n'a pas de fin, mais dont on ne doit pas ignorer qu'un drame s'y joue, au centre mme, cette attaque de l'homme par le monstre qui matrialise l'angoisse qu'accumule tant de beaut. Oui, il faut savoir reconnatre l'omniprsence du vide, l'obsession de la mort vcue comme vide, comme nant, sans compensation, sans plnitude, dans la plnitude apparente de ces trop belles images. Yves Bonnefoy, Entretiens sur la posie (1972-1990), Entretiens avec Bernard Falciola, Mercure de France, 1990, p. 33

On prouve une forte rticence les situer dans la production de tout le sicle, car ils noncent avec une bouleversante autorit, sous des dehors modestes, limits, tout ce qui bien dautres ont tent de dire avec plus de moyens, mais sans y parvenir. La beaut et la puissance des moments de la vie ; la force et la faiblesse des sentiments ; lhrosme et le drisoire des actions : tout sanime et se compose une dernire fois sur un thtre intrieur, tandis que dcline la lumire. Ainsi les murs et les toits de Rome passent insensiblement, au coucher du soleil, des tons de la braise ardente ceux dune cendre o reste accroch un peu de rose. Cette lente marche vers lobscurit nest pas dsespre. Car lhritage est transmis : quelque chose la fois dinimitable et dessentiel.

Alain Mrot, Poussin, Paris, 1990, p. 249