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Avril2016 n° 66 MISSIOND’ANTICIPATIONRECHERCHE/SOCIÉTÉ INSTITUTNATIONALDELARECHERCHEAGRONOMIQUE 147ruede l’Université,75338Pariscedex07 LeCourrieretlaMaR/S:un«tierslieu»historiquepourlesprisesdetête… Jean-LucPujol Nourrirlemonde:quellespositionspourlesbiotechnologies? YvesBertheau Le défi climatique, nouvelle donne pour l’agriculture. FrançoisPapy Expansion des innovations par retrait ; éléments de caractérisation et de réflexion. FrédéricGoulet,DominiqueVinck Leslimitesdelacomparaison«agricultureconventionnelle»versus«agriculture biologique » dans la définition de stratégies de sélection. Exemple des céréales à paille. AntoninLeCampion,François-XavierOury,EmmanuelHeumez,BernardRolland Fréquentationparlesabeillesdesparcellesagricolescultivées: données pour un usage moins dangereux des pesticides. AxelDecourtye etal. Repères : Vignes résistantes à l’oïdium et au mildiou : promesses et controverses en Languedoc-Roussillon (PaulineBlonde,François Hochereau,Jean-MarcBarbier,Jean-MarcTouzard); AFTERRES2050, un scénario pour le débat public (ChristianCouturier, SylvainDoublet,PhilippePointereauetMadeleineCharru); L’effet sur l’emploi d’une transition écologique de l’agriculture enFrance(MaïmounaBâ,MathildeGresset-Bourgeois,PhilippeQuirion); Trufficulture et aménagement durable des territoires :une première réflexion pour des expérimentations innovantes (SophieLafon,Jean-MarcOlivier,Jean-Charles Savignac); VersunerelationdurableFNE/Inra (Jean-ClaudeBévillard,MichèleTixier-Boichard,LionelVilain,Jean-LucPujol); Agroécologie participative : au-delà des fauchages. Halyomorphahalys Lejardindelucie.fr

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Avril 2016 n° 66

MISSION D’ANTICIPATION RECHERCHE/SOCIÉTÉINSTITUT NATIONALDE LARECHERCHEAGRONOMIQUE

147 rue de l’Université, 75338 Paris cedex 07

• Le Courrier et la MaR/S : un « tiers lieu » historique pour les prises de tête…Jean-Luc Pujol• Nourrir le monde : quelles positions pour les biotechnologies ? Yves Bertheau• Le déý climatique, nouvelle donne pour l’agriculture. François Papy• Expansion des innovations par retrait ; éléments de caractérisation et de réþexion.Frédéric Goulet, Dominique Vinck• Les limites de la comparaison « agriculture conventionnelle » versus « agriculture

biologique » dans la déýnition de stratégies de sélection. Exemple des céréalesà paille. Antonin Le Campion, François-Xavier Oury, Emmanuel Heumez, Bernard Rolland• Fréquentation par les abeilles des parcelles agricoles cultivées :

données pour un usage moins dangereux des pesticides. Axel Decourtye et al.

■ Repères :Vignes résistantes à l’oïdium et au mildiou : promesses et controverses en Languedoc-Roussillon (Pauline Blonde, FrançoisHochereau, Jean-Marc Barbier, Jean-Marc Touzard) ; AFTERRES2050, un scénario pour le débat public (Christian Couturier,Sylvain Doublet, Philippe Pointereau et Madeleine Charru) ; L’effet sur l’emploi d’une transition écologique de l’agricultureen France (Maïmouna Bâ, Mathilde Gresset-Bourgeois, Philippe Quirion) ; Trufýculture et aménagement durable desterritoires :une première réþexion pour des expérimentations innovantes (Sophie Lafon, Jean-Marc Olivier, Jean-CharlesSavignac) ; Vers une relation durable FNE/Inra (Jean-Claude Bévillard, Michèle Tixier-Boichard, Lionel Vilain,Jean-Luc Pujol) ;Agroécologie participative : au-delà des fauchages.

Halyomorpha halys

Lejardindelucie.fr

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Alien : la punaise diabolique et le défi de la recherche participative

Punaise, vient du latin putinasius : qui sent mauvais. Récemment, un branle-bas de combat a étédéclenché concernant la punaise « diabolique ». De l’ordre des Hémiptères, Famille des Pentatomidés,Sous-famille des Pentatominés, de la tribu des Cappaeini, elle répond au nom de Halyomorphahalys. Pour se nourrir, elle pique des végétaux, qu’elle abîme. Et elle pue. Mais elle ne pique pas leshumains.

Déjà, en 2011, notre confrère Alain Fraval qui a longtemps œuvré au Courrier de l’Environnementtout en assurant un travail important pour la revue Insectes de l’OPIE avait alerté sur ses fâcheusesnuisances telles qu’elles avaient été rapportées dans les colonnes du New York Times. On se repor-tera à la page correspondante avec bonheur pour en savoir plus1. Cette punaise se réfugie à l’âgeadulte dans les abris et peut donc (comme la coccinelle asiatique, les cloportes, ou autres insectesenvahissants) nous indisposer en colonisant des piles d’assiette ou le sapin de Noël… lui attire dela part des Etats-uniens religieux « des injures, dont la plus acceptable est « diabolique » ou mêmele qualificatif d’une « invasion biblique ». Arrivée d’Extrême-Orient en 2001 aux États Unis, en2007 en Suisse et, en 2012, en Alsace, elle n’y rencontre pas d’ennemis naturels. Apparemment, sanspulluler véritablement, elle occasionne des dégâts importants aux fruits et légumes et de la gêne pourles particuliers. Elle suscite, par conséquent, une certaine inventivité parfois toxique pour l’éradi-quer. Au Québec, où elle est apparue en 2014, elle est aussi dénommée punaise puante, ou marbrée.Elle y est juste gênante, mais il suffirait que le climat change, selon les scientifiques, pour qu’elledevienne problématique. Pour l’instant, elle fait des ravages au sud de la frontière, malgré l’usage,par les étatsuniens, de pesticides hautement toxiques.

Répertoriée dorénavant dans différents pays d’Europe (Suisse, Allemagne, Italie, Hongrie), auxUSA, elle est depuis toujours nuisible là où elle est installée. Elle menace de se développer en Europe.La question sanitaire est prise très au sérieux par l’Anses2, qui a réalisé en 2014 une analyse de risquesmontrant les dangers de cette punaise polyphage pour des cultures très importantes en France enarboriculture, viticulture, maraîchage, etc.

Appel à la surveillance citoyenne

L’Inra a ouvert récemment une application smartphone pour inviter le public à participer à la détec-tion de cet insecte. « C’est d’autant plus important que nous ne pouvons pas surveiller l’ensembledu territoire, en particulier les propriétés privées, nous avons donc besoin de la participation descitoyens pour localiser la punaise diabolique et suivre sa progression en France. Nous avons pris unan de retard dans la détection de cet insecte, car les spécimens récoltés en 2012 en Alsace ont étéconfondus avec une espèce de punaise européenne Rhaphigaster nebulosa. Ce n’est qu’en 2013qu’ils ont été identifiés correctement», explique Jean-Claude Streito3.

Cette application appelée « AGIIR »4, existe déjà pour repérer d’autres insectes invasifs : les nids dela processionnaire du pin, les chenilles de la pyrale du buis et le frelon asiatique à pattes jaunes, plusreconnaissables. Elle est téléchargeable gratuitement sur la plateforme Google play®. Elle permet dephotographier l’insecte et d’envoyer depuis son smartphone ou une tablette la photo et la positionGPS directement dans la base de données où les informations sont vérifiées et intégrées.

La « diabolique » est présente dans le Jardin des Plantes. Comme partout elle entre en automne dansles intérieurs pour y hiverner. Elle est pour l’instant connue du bâtiment d’Entomologie (!) de laMaison de Buffon et de l’École de Botanique (observation du 18/10/2015) ! Paradoxe de la scienceparticipative : les responsables de AGIIR au Muséum ont lancé un appel à contribution interne : laparticipation de leurs propres collègues scientifiques pour traquer la diabolique au jardin desPlantes. La recherche participative, ça commence aussi par le décloisonnement disciplinaire ! n

1. http://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i161fraval1.pdf2. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail3. Entomologiste au Centre de biologie pour la gestion des populations, centre Inra de Montpellier.4. Alerter et Gérer les Insectes Invasifs et/ou Ravageurs : http://ephytia.inra.fr/fr/P/128/Agiir

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 1

SommaireAlien :la punaisediaboliqueet le déÿde la rechercheparticipative

ÉditorialFrançois Houllier .......................................................................................................................................3Le Courrier et la MaR/S : un « tiers lieu » historique pour les prises de tête…Jean-Luc Pujol.............................................................................................................................. 5

PROBLÉMATIQUES ET DÉBATS...........................................................................................9Nourrir le monde : quelles positions pour les biotechnologies ?Yves Bertheau ........................................................................................................................................... 9Le déþ climatique, nouvelle donne pour l’agricultureFrançois Papy.......................................................................................................................................... 25Expansion des innovations par retrait ; éléments de caractérisation et de réÿexionFrédéric Goulet, Dominique Vinck ......................................................................................................... 35Les limites de la comparaison « agriculture conventionnelle » versus « agriculture biologique »dans la déþnition de stratégies de sélection. Exemple des céréales à pailleAntonin Le Campion, François-Xavier Oury, Emmanuel Heumez, Bernard Rolland ............................ 43Fréquentation par les abeilles des parcelles agricoles cultivées : données pour un usage moinsdangereux des pesticidesAxel Decourtye et al. ...............................................................................................................................59

REPÈRES DANS LES PAYSAGEAGRICOLE FRANÇAIS .....................................69Vignes résistantes à l’oïdium et au mildiou : promesses et controversesen Languedoc-RoussillonPauline Blonde, François Hochereau, Jean-Marc Barbier, Jean-Marc Touzard .......................................69AFTERRES2050, un scénario pour le débat publicChristian Couturier, Sylvain Doublet, Philippe Pointereau et Madeleine Charru ....................................83L’effet sur l’emploi d’une transition écologique de l’agriculture en FranceMaïmouna Bâ, Mathilde Gresset-Bourgeois, Philippe Quirion ...............................................................93Trufþculture et aménagement durable des territoires :une premièreréÿexion pour des expérimentations innovantesSophie Lafon, Jean-Marc Olivier, Jean-Charles Savignac .....................................................................103

AUTRES REPÈRES AUTRES PAYSAGES.................................................................... 111Vers une relation durable FNE/InraJean-Claude Bévillard, Michèle Tixier-Boichard, Lionel Vilain, Jean-Luc Pujol.................................. 111

ON EN PARLE ENCORE......................................................................................................... 121Agroécologie participative : au-delà des fauchagesLe Courrier............................................................................................................................................ 121

BIBLIOGRAPHIE commentée............................................................................................. 123L’effondrement de la civilisation occidentale. ...................................................................................... 123Le déì alimentaire : géopolitique et enjeux d’avenir ............................................................................ 126Not ignorance but ignorance of ignorance is the death of knowledge....................................................127

LES BRÈVES DU COURRIER ............................................................................................. 129Corse, États-Unis. Diversité fastidieuse et envahissante....................................................................... 129Tanzanie, intestinal. Le microbiote des Hadzas : une énigme .............................................................. 131France et ailleurs. Partir c’est mourir un peu......................................................................................... 132Prairies sauvages, apis mellifera. Méìons-nous de nos amis (apis)?.....................................................133Pâturages. Ça va péter ........................................................................................................................... 135Toulouse et sa région. La guerre biologique depuis chez soi, avec des drones ..................................... 136Partout dans le monde. Migrer c’est prendre le risque de périr ............................................................. 137Pâturage, rumen et assiette… Écologie bactérienne chez la vache ....................................................... 138

ON SIGNALE................................................................................................................................. 139Le climat qui cache la forêt ................................................................................................................... 139Le guide de l’éco-innovation................................................................................................................. 139Au cœur des controverses ..................................................................................................................... 140

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 3

ÉditorialFrançois Houllier, PDG de l’Inra

70 ans pour l’un, 30 ans pour l’autre : ces deux anniversaires fournissent l’occasion d’une mise enperspective de la contribution du Courrier de l’Environnement à la trajectoire de l’INRA.

La présentation au conseil scientiìque de l’INRAdu site interactif qui retrace 70 ans de l’institut1, adonné lieu à un débat intéressant qui dépasse la seule sémantique. Ce débat a été suscité par unequestion de notre collègue John R. Porter, spécialiste international de l’agronomie et du climat :comment faut-il traduire « nourrir » en anglais ? Par « to feed » (nourrir, au sens quantitatif) ou par« to nurture » (nourrir, mais aussi prendre soin) ? Cette question conduit à des réponses différentesselon que l’on se place aux origines de l’institut – au sortir de la Seconde Guerre mondiale – ou dansla période la plus récente, qui identiìe la sécurité alimentaire comme l’un des « premiers objectifs dedéveloppement durable »2 et qui voit l’agriculture apparaître dans 131 contributions nationales à laCOP213. Cet échange me semble éclairer et illustrer la trajectoire de l’INRA que l’on pourrait ainsirésumer par « From feeding France to nurturing the planet ».

En 70 ans d’existence, la ìnalité alimentaire des recherches de l’INRA est demeurée une priorité,mais le sens qu’on lui donne maintenant n’est plus exactement le même qu’au début. La différencetient d’abord à l’élargissement du concept même de sécurité alimentaire : il ne s’agit plus seulementde la quantité de nourriture produite mais, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Agricultureet l’Alimentation, que « chacun ait, à tout moment, un accès matériel, social et économique à unenourriture sufìsante, saine et nutritive de nature à satisfaire ses besoins et préférences alimentaireset puisse ainsi mener une vie saine et active ». Cette différence tient aussi à un double élargissementdes recherches menées par l’INRA, en termes d’horizon géographique, d’une part, et de thématiquesscientiìques, d’autre part. De 1946 à 2016, l’Institut s’est en effet ouvert aux partenariats internatio-naux, à l’échelle européenne puis à l’échelle mondiale, accompagnant en cela l’ouverture de l’agri-culture française et de ses ìlières, et la reconnaissance du caractère global des transitions et crisesalimentaires, climatiques et écologiques contemporaines. Dans le même temps, ses recherches ontprogressivement pris en compte les différentes facettes – économiques, sociales et environnemen-tales – du développement durable et se sont élargies à des sujets importants pour cette acceptionétendue de la sécurité alimentaire, tels que la transition nutritionnelle, les liens entre alimentation etsanté, le comportement des consommateurs, ou le rôle de la teneur enmatière organique des sols dansles interactions entre agriculture et climat. L’enjeu global des recherches concerne donc aussi bien lasatisfaction des besoins alimentaires des populations humaines que l’entretien des ressources de laplanète essentielles pour ces besoins.

La création du Courrier de l’Environnement s’est inscrite dans cette trajectoire. Intervenue unedécennie après l’essor des recherches sur l’agroalimentaire, elle a eu lieu au moment où l’Institutdécidait d’investir fortement dans les sciences de la vie et où les biotechnologies émergeaient, etquelques années avant la Conférence de Rio et les grandes conventions internationales qui ont mar-qué le début de la prise de conscience collective des enjeux liés à la biodiversité, au changementclimatique, à la désertiìcation ou à la déforestation. De la conférence de Rio à Rio+20, ces sujets ontainsi jalonné les 30 premières années du Courrier de l’Environnement : biotechnologies, climat,biodiversité, formes d’agriculture et d’élevage, développement durable, etc.

1. http://70ans.inra.fr/2. http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/3. https://cgspace.cgiar.org/handle/10568/69115

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4 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

Ses débuts, en 1986, en tant que « Courrier de la Cellule Environnement de l’INRA», ont ainsi coïn-cidé avec une période où la dimension environnementale de la recherche agronomique était en deve-nir : depuis longtemps, les agronomes menaient des recherches sur certaines composantes del’environnement (les sols, les bioclimats, etc.), mais celles-ci étaient alors plus vues sous un anglebiophysique ou comme des déterminants de la seule production agricole que sous un angle écolo-gique ou comme essentielles à la fourniture de services écosystémiques. Une vingtaine d’années plustôt, les recherches forestières et en hydrobiologie avaient rejoint l’institut, portant les prémices del’ouverture à l’écologie.

Depuis 30 ans, le Courrier de l’Environnement accompagne ainsi la trajectoire de l’INRA – et pluslargement de la recherche agronomique – dans son exploration de la diversité des systèmes agricoleset alimentaires et dans sa prise en charge de plus en plus complète des différentes facettes des inte-ractions entre agriculture ou élevage et environnement. Il le fait à sa manière, en valorisant le croi-sement voire le foisonnement des points de vue, les décalages et les pas de côté. Une approche quin’exclut ni la rigueur dans le traitement des sujets – « la robustesse scientiìque et conceptuelle destextes » – ni, et c’est heureux, la liberté de ton et l’humour.

Cette indépendance et l’originalité de la ligne éditoriale, ses 66 numéros et 36 dossiers ont fait duCourrier de l’Environnement un espace reconnu, aussi bien par ses auteurs que par ses lecteurs. Lamontée en puissance des recherches de l’INRA dédiées à l’environnement a, en retour, amené leCourrier à déplacer son centre de gravité, s’intéressant plus largement aux relations entre la science(les chercheurs « qui en font » comme les institutions qui en ont la charge) et la société (les citoyenset les dispositifs collectifs dont ils se dotent). Le questionnement de la participation des citoyens auxrecherches et à leur orientation est ainsi venu compléter sa contribution à la diffusion de la culturescientiìque et technique. Après d’autres, ce numéro témoigne de l’importance prise par la questiondes sciences et recherches participatives, en agronomie comme dans de nombreux autres domaines4.

Ces 30 ans de compagnonnage critique avec la recherche agronomique n’ont été possibles que grâceà l’engagement de celles et ceux qui ont fait le Courrier : les membres successifs de la CelluleEnvironnement, de la Délégation permanente à l’Environnement, de la Mission Environnement &Société, de la Mission Anticipation Recherche/Société, les auteurs, les rédacteurs … et bien sûr leslecteurs. Qu’ils en soient ici tous remerciés.

LeCourrier de l’Environnement doit continuer d’accompagner la trajectoire de la recherche agrono-mique, dans un rôle d’anticipation, de mise en débat et d’éclairage critique, de veille et de partagedes connaissances. Titre connu et reconnu, il sera probablement amené à évoluer dans son contenu,pour poursuivre l’élargissement engagé, et dans sa forme, pour trouver un nouvel équilibre entre lecharme du papier et les possibilités offertes par le numérique.

Paris, le 24 avril 2016François Houllier

4. www.sciences-participatives.com

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 5

Le Courrier s’inscrit dans l’histoire de la recherche agronomique publique. La naissance et l’afìr-mation de cet espace éditorial en Septembre 1986 correspond à la volonté de l’Inra d‘afìrmer laproblématique environnementale dans cette recherche et d’accepter progressivement le caractèrepluraliste et potentiellement conðictuel des démarches scientiìques. Cela nécessitait d’abord laconstitution (et la protection) d’un «tiers-lieu» préservé de débat, réglé par une éthique du doute etl’élargissement de la focale des sciences : la mission environnement.

Initialement le Courrier s’est positionné comme support de cette entité dédiée à la prise en comptede l’environnement dans un institut singulièrement absent sur ce terrain (malgré sa ìnalité). Depuis,la nécessité de l’articulation de l’agronomie et de l’écologie est devenue une évidence. À l’image dupositionnement institutionnel initial du ministère en charge de l’Environnement et de la constitutionde ses structures et personnels, l’équipe de la mission était composée de passeurs issus de différentesdisciplines de l’Inra convaincus de la nécessité de faire évoluer l’institut, animés par leur indépen-dance intellectuelle, par un engagement constructif et partagé, et dotés d’un capital de réseauxinternes et externes.

Le plus haut niveau de l’institut a également compris l’intérêt de cet aiguillon vis-à-vis des modalitésprincipales de fonctionnement de l’institut et des complexités de la démarche de recherche dans cesdomaines. Mue par des analyses et des idées sans complaisance, et par la prise en compte des attentessociales, cette forme d’esprit dont l’intérêt ne s’est jamais démenti a servi de stimulus. Les percep-tions d’ensembles « anomaux », les visions émergentes et la présence de l’équipe dans des sujets decontroverses étaient au service de l’institut. Cela était perçu à l’extérieur comme un aiguillon positif.Aujourd’hui, ce contrat moral subsiste sur le fond, les objets se sont singulièrement étendus, mais lesmoyens de le tenir se sont affaiblis.

LeCourrier fut donc, dès le début, à la fois le vecteur de l’attente de recherches sur l’environnement,et l’incarnation d’idées alternatives, agitées ou récupérées par les membres de l’équipe. Les person-nels étaient avant tout scientiìques, expérimentés dans leur domaine, reliés à des réseaux d’appui,de compétence et engagés. L’entité était aussi ponctuellement considérée comme partenaire deréðexions par les directions. Son histoire a été marquée par des tentatives de normalisation ou d’éra-dication, souvent venant des dispositifs institutionnels de programmation de la recherche et de direc-tion scientiìque, un tant soit peu déroutés par ce dispositif « poil à gratter ». Ces tensions démontraientsurtout qu’au delà d’une analyse sur les objets de l’environnement, c’est bien une réðexion au seinde la recherche que stimulait le dispositif et c’est ce qu’il donnait à voir au lectorat. Comme on mel’a souvent répété, l’ancrage de ce dispositif dans la société civile a été et resté une « protection ». Entémoigne le fait qu’un député agriculteur et rapporteur de la commission agriculture de l’assembléenationale, déclara devant 200 personnes au Salon de l’Agriculture d’il y a 5 ans, que « pendant desannées », c’est grâce auCourrier de l’Environnement qu’il savait « qu’il y avait à l’Inra des gens quise posaient les bonnes questions!».

Il nous l’a d’ailleurs répété au Salon de 2015. Le complément nécessaire à cet ancrage résidait dansl’appui du plus haut niveau de l’institut tant sur le fond, que sur l’outil qu’est le Courrier.

Depuis, le thème environnement étant intégré dans les structures d’organisation de l’Inra, il n’est plusdevenu le seul argument d’existence de ce dispositif. Les questions environnementales restent néan-moins fertiles, et renaissent en permanence, avant tout sur les questions que pose l’inclusion complètedes fonctionnements du vivant dans les stratégies agronomiques, donc aussi et surtout dans les

Le Courrier et la MaR/S : un « tiers lieu »historique pour les prises de tête…Jean-Luc Pujol, Courrier de l’Environnement

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6 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

méthodes scientiìques ; de scruteuse de domaines non encore pris en compte (et donc à rajouter) lamission est devenue source d’enrichissement même de la teneur et des méthodes adoptées dans lesprogrammes de recherche.

Dans les activités de laMission Environnement, les 5 à 7 étaient un lieu d’invitation des responsablesde l’INRA et de l’extérieur à débattre librement, dans un format évoquant la règle de ChathamHouse1. Cela sollicitait la capacité des dirigeants et directeurs à « poser les valises » pour se prendreau jeu giboyeux de discussions et controverses. Derrière la vitrine des 5 à 7, s’animait cette entreprised’ouverture, de critique positive, qui jouait le jeu de l’interpellation non structurée par les cadres dupilotage, aussi bien de la recherche que des politiques agricoles. Le Courrier de l’environnement adonc pu continuer à revendiquer d’être l’émanation des activités d’une mission de poil à gratter auxcontours imprécis mais disponible par rapport à un institut qui savait y recourir : le type de compé-tences scientiìques qui y résidait pouvait légitimer cette position.

Tout cela a fonctionné comme lieu d’ouverture (et comme réceptacle) à une pensée systémique(maintenant souvent mise en avant…), évitant le cloisonnement disciplinaire qui est un tropismecourant de la recherche. L’environnement (le vivant) et sa complexité, sans pitié pour les certitudeshâtives, était un objet ou un thème propice pour questionner une recherche souvent simpliìcatricedans ses faisceaux d’hypothèses, protocoles et modes de modélisation. L’objet « environnement »met en évidence quemême si la recherche « simpliìcatrice » (on dit aussi réductionniste) a su exploi-ter des marges de progrès « toutes choses égales par ailleurs » et obtenir des succès indéniables, ellea rencontré des complexités du vivant et de la société qui ont donné des limites à l’efìcacité des« trouvailles » de la science et amené à reconsidérer diverses approches. Certains des articles deCourrier sont à cet égard pionniers.

En outre, les chercheurs défendent souvent la neutralité et l’objectivité de leurs raisonnements, deleurs démonstrations. Mais le questionnement de recherche lui-même n’a pas les mêmes propriétés :la composante politique, les biais de reproduction de classe sociale, la course aux ìnancements, eten biologie, la succession des dogmes à abattre, sont des inðuences directes indéniables et qu’il estnécessaire d’envisager.

Cette pensée complexe semble aisément accessible par les générations montantes, qui cherchent deséléments pour la nourrir et questionnent les structures, y compris dans leurs interfaces avec la société.On peut néanmoins constater que certains jeunes scientiìques sont précocement méìants sur cesconsidérations. Ils se portent plutôt vers une compétition individuelle avec pour perspective dessuccess stories technologiques. La performance dans une forte spécialisation se fait au risque deperdre en ouverture de vue…

L’indépendance de la ligne éditoriale a été claire et respectée. Il n’était pas rare qu’un responsable del’Inra me dise d’un article duCourrier : « je ne suis pas d’accord avec cet article mais c’est bien qu’ilsoit porté au débat ». Il m’est arrivé qu’un chercheur appelle en disant : « on a un article un peudérangeant, on s’est dit que tu étais le seul à avoir les c… pour le sortir ». De c… il n’était pas besoin,c’était la mission du Courrier avec, comme condition absolue, la vériìcation de la robustesse scien-tiìque et conceptuelle du texte.

1. « Quand une réunion, ou l’une de ses parties, se déroule sous la règle de Chatham House, les participants sont libresd’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’afìliation des personnes àl’origine de ces informations, de même qu’ils ne doivent pas révéler l’identité des autres participants. » La règle de ChathamHouse a été formalisée en 1927 pour faciliter les échanges au sein du Royal Institute of International Affairs. À son origine,la règle avait pour objet de protéger l’anonymat des personnes participant à une réunion placée sous son égide, de manièreà améliorer les Relations internationales. Elle est maintenant largement utilisée à travers le monde anglo-saxon pour faciliterla liberté des discussions; en effet, elle permet de résoudre un problème de frontières que rencontrent fréquemment lescommunautés de pratique, en ce qu’elle permet d’apporter les témoignages de ces dernières, tout en protégeant la libertéd’interaction nécessaire pour que ces communautés puissent avoir des discussions constructives.

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 7

Pour assurer cette activité, des échanges nombreux, vifs, sincères et francs étaient nécessaires. LeCourrier se conçoit difìcilement sans une animation conforme à ses objectifs. C’est en effet plus unmiroir pour la recherche qu’un « dispositif science société » comme pourraient le décrire des nomen-clatures managériales qui ne disposent pas de la rubrique « originalité ». Par déìnition, un dispositif« unique » n’existe pas ailleurs : cela s’assume…

C’est aussi une fenêtre ouverte permettant de montrer que les chercheurs peuvent aussi intégrer desradicalités extérieures qui débordent le cadre des protocoles et des questionnements habituels. Nousne projetons en effet souvent dans les perspectives ou prospective,s que des hypothèses conformesaux contextes de stabilité qui sont le cadre des chercheurs : lire un livre (en fait un rapport de thèse)comme « Dans la peau d’un chef de gang » de Sudhir Venkatesh, sociologue américain qui a passétrois ans de son temps de thèse au sein d’un gang à observer les « gens » vivre, est un premier déca-page. Poursuivre par « Ce pays qui aime les idées : histoire d’une passion française » de SudhirHazareesingh (Août 2015) permet de porter un regard bienveillant sur des objets uniques comme leCourrier et la Mission qui l’alimentait.

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Le Courrier s’est trouvé au carrefour des tensions et contradictions de la recherche agronomique,non en raison de son titre et de son objet apparent, mais en raison de son souci de traiter les questionsscientiìques dans toutes leurs implications, avec un environnement fait de cellules, de plantes, d’ani-maux, de paysages, d’hommes, d’idées...

Les débats publics ont participé à l’évolution de la MaR/S. Les apports et propositions (i.e. lesréðexions sur les acteurs des débats publics et des controverses) ont révélé certaines formes de ten-sions recherche/société. Ainsi fut le débat sur les nanotechnologies, malheureux mais riche d’ensei-gnements : nous avons voulu en faire l’analyse plutôt que la seule critique de supposésobscurantismes…

Un positionnement eût été envisageable : celui d’un leadership sur le sujet sciences et ou sciences ensociétés dans l’institut. Mais nombreux sont les acteurs qui s’y adonnent avec diverses méthodes,dispositifs et différents objectifs. Et résolument, laMaR/S et leCourrier ne « font » pas des « scienceset société ». Nous avons été néanmoins bien présents dans la compréhension et l’analyse des dispo-sitifs divers de débat public, de démocratie et de participation. Sur les technologies, la participation,le fonctionnement de la recherche, la réðexion a été plus visible (Dossier 35, Dossier citoyens scien-tiìques et séminaire sur le sujet au Commissariat Général à la Stratégie et la Prospective). Celainterpelle potentiellement les chercheurs, certains sur la défensive en raison des tensions croissantesentre postures post modernisme/scientisme, et les notions de progrès technologique.

Une orientation a aussi été de venir jouer un rôle entre les unités de recherche en sciences société etune réðexion plus prospective et codiìée comme le sont les dispositifs institutionnels de prospective,utiles, mais qui doivent ìnaliser la réðexion par rapport à des saisines institutionnelles. Ils ne peuventdonc pas être l’expression d’une diversité de réðexion autonome et assumée. Notre participation auxprogrammes Repère (voir l’article dans ce numéro) s’inscrit dans ce sens.

L’Inra (et la recherche d’une manière générale) a toujours besoin d’un tiers-lieu où le vertige de laspécialisation scientiìque et de la performance technologique peut trouver son contrepoint. Pourcela, l’Inra a besoin d’un support de réðexion épistémologique et éthique porté par des ressourceshumaines de haut niveau (directement ou indirectement agissantes). Il doit se donner les moyens dese faire critiquer par des gens à la hauteur des enjeux de la science contemporaine. Parce que c’estainsi que la recherche peut se hisser à la hauteur des attentes de la société, mais également des cher-cheurs eux-mêmes. Il n’est pas exclu que l’affaiblissement de cette voie laisse davantage libre coursà desmodalités différentes de débats autour de la science dont certaines ont connu des galops d’essai :pétition, polémique publique remettant en cause la recherche elle-même, etc.

Si la formule duCourrier n’a pas vieilli, c’est justement parce que ce n’est pas une revue académique.Elle laisse place à l’initiative et empêche l’appropriation de la revue par une «ligne éditoriale». Ellebénéìcia d’une indépendance reconnue par la Direction. Il y a unanimité sur le risque qu’il y auraità trop s’éloigner de ces gages donnés au lectorat comme aux auteurs. LeCourrier n’est pas une revueà comité de lecture, mais il doit pouvoir continuer à être cité, y compris dans des revues à comité delecture comme source d’inspiration, de questionnement, de remise en cause.

Ce sont d’ailleurs les lecteurs qui en parlent le mieux dans les nombreux messages reçus. n

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Nourrir le monde : quelles positionspour les biotechnologies ?Yves Bertheau, Inra, MNHN

Ce texte est le résumé d’un chapitre intitulé « Feeding the world : are biotechnologies the solution ? » paru en 2016 dans le livre « Advances in biotechnology » édité par Ravishankar Rai V et paru chez Wiley. Il ne peut représenter totalement, par certains raccourcis employés, la complexité de ce chapitre dont il ne reprend qu’une partie de sa bibliographie. Les lecteurs sont donc renvoyés à ce chapitre pour plus ample information.http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/9781118864463.ch06/summary

IntroductionLe rapport 2014 de la FAO (FAO et al. 2014) rappelle que, malgré les progrès de la production agri-cole, 805 millions d’humains sur 7 milliards - soit un humain sur neuf - souffrent directement de lafaim à des degrés divers allant de la famine à de sévères carences alimentaires. En sus, près de2 milliards connaitraient une « faim invisible » c’est-à-dire des carences en micronutriments et enminéraux : VitamineA, zinc, fer, iode, etc. (IFPRI 2014a). La malnutrition est un phénomène multi-forme dont les pays développés ne sont en outre pas exempts ; 19 millions de personnes y étaientsous-alimentées en 2010 (IFPRI 2014b).

La malnutrition sévirait principalement en Asie avec 526 millions de personnes concernées. Lespetits exploitants agricoles en seraient les principales victimes (en raison d’importations de produitssubventionnés par les pays exportateurs) et, plus particulièrement, les agricultrices n’ayant pas accèsaux mêmes ressources et services que les hommes. Lever cette discrimination honteuse et choquantepourrait sortir 150 millions de personnes de la sous-alimentation.

Les nutritionnistes de la FAO associent la malnutrition à plus du tiers des maladies qui affectentl’humanité. La sous-alimentation, au-delà de ses coûts humains, représente donc une chargeéconomique considérable qui impacte le produit intérieur brut (PIB) des pays.

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La production et le commerce de calories alimentaires atteindraient actuellement 2700 à 3000 kcalspar personne, une quantité largement sufìsante pour nourrir la population mondiale (D’Odorico etal. 2014 ; FAO et al. 2014). Mais les pertes, entre semis et poubelles, représenteraient plus de 30%des denrées alimentaires soit près de 1,3 milliards de tonnes (FAO 2011).

C’est à partir de ce constat multiforme aux nombreuses incertitudes que doivent être considérées lesdiverses solutions techniques proposées dont celles mobilisant les biotechnologies et ce, dans laperspective de résoudre le problème de l’alimentation d’une population probablement croissante.

La situation actuelleSe nourrir : des composantes à respecter

Le Droit à l’alimentation est un des droits constitutifs de La Déclaration Universelle des Droits del’Homme de 1948 (Art. 25). Olivier de Schutter, Rapporteur Spécial de l’ONU pour le Droit à l’ali-mentation jusqu’en 2015, le précisait comme « le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre[…] à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et sufìsante, correspondant auxtraditions culturelles […] qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libred’angoisse, satisfaisante et digne ». Le droit à l’alimentation confère, par conséquent, le droit à choi-sir sa nourriture selon ses convictions personnelles, religieuses, éthiques ou philosophiques.L’alimentation ne peut se réduire à une simple question d’apports en calories.

L’apport calorique, unité de mesure habituellement utilisée, n’exprime pas pour autant un statutnutritionnel ; 2 milliards de personnes restent sous-alimentées dans le monde. En effet, un apport denourriture caloriquement sufìsant mais déséquilibré, peut s’accompagner de carences. Des usagesalimentaires impropres sont en outre souvent associés à une précarité sanitaire, à des manques d’eaupotable et d’hygiène qui affectent en particulier les enfants. Le droit de choisir son alimentationnécessite en conséquence la coexistence de diverses formes d’agriculture et de systèmes alimentaires,un pluralisme conjuguant multifonctionnalité et prise en considération de la pauvreté (Dundon 2003 ;Morgan et al. 2006).

Par une cruelle ironie du sort bien connue, les petits paysans s’avèrent les plus atteints par la malnu-trition. En cause ? La faiblesse de leurs revenus généralement liée aux subventions par les paysexportateurs de produits alimentaires. En 2012, ces 1,3 milliards d’humains, sur 7,1 milliards d’habi-tants, soit plus de 18% de la population, ne représentaient que 2,8% des revenus mondiaux (Alston& Parley 2014).

Vouloir résoudre le problème de la faim dans le monde pour lequel une augmentation de la populationmondiale à 9 milliards d’habitants est prévue, par certaines projections, pour 2050 ne peut se fairesans analyse critique de la situation actuelle et ne peut se résumer à de simples postulats quantitatifset technologiques s’ils n’ont su remédier à la situation alimentaire actuelle.

Le diagnostic d’un accroissement continuel de la population est-il pertinent ?Une majorité des institutions internationales s’accordent sur le fait que la population va continuer à croître même si lesmodalités ne sont pas celles de Malthus qui supposait que cette croissance se ferait selon des paramètres exponentielsconstants. Les scénarios de l’augmentation démographique restent invériþables au sens de Karl Popper (Popper 2002) :est-il néanmoins nécessaire de craindre la « bombe démographique » prévue par Ehrlich (1968) ? Probablement pas, commele défendent divers démographes, mais il semble que l’on ne puisse pas faire grand-chose quant à la réfutation de cesprévisions du « mainstream ». On peut alors réduire le problème à une autre préoccupation de Malthus : quel est le nombred’individus dont la Terre peut satisfaire les besoins ?

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Des modèles en compétition ?

Lemodèle d’alimentation occidental, qui fait référence auprès des institutions internationales commela Banque Mondiale, est considérablement différent des régimes plus frugaux traditionnels et mieuxéquilibrés de la Crète, de l’Inde ou du Japon. La ration alimentaire minimale nécessaire à chaque êtrehumain est évaluée, sur le plan calorique et pour un métabolisme basal de 1650 kcals par jour, entre2200 et 2900 kcals par jour (suivant les auteurs, et variant suivant le niveau de sédentarité). D’unpoint de vue théorique, la surproduction actuelle de calories par rapport à ces besoins serait alors de8% enAfrique, de 18% enAsie, de 57% en Europe et de 67% enAmérique duNord. Nous produisonsdonc déjà plus que nos besoins minimaux et pourrions faire mieux encore sans trop d’efforts, malgréla part importante utilisée pour les biocarburants (jusqu’à 50% dans certains états US) dans notrequête du toujours plus objet du paradoxe d’Easterlin (1974).

Les projections de scénarios, privilégiant tous la croissance au nom du progrès, montrent un très largeéventail d’estimations des besoins alimentaires futurs, et en particulier de la demande en produitsanimaux (Paillard et al. 2010 ; Nelson et al. 2014 ; Robinson et al. 2014 ; Valin et al. 2014). Cesdifférences proviennent d’hypothèses contrastées sur la plupart des variables comme la démographie,la croissance économique et les régimes alimentaires. Les variations actuelles de la demande alimen-taire reðètent aussi l’impact de déìs plus immédiats que sont la santé publique, l’environnement etle développement. Ainsi, l’évolution des modes de consommation alimentaire dans l’UnionEuropéenne comme aux USAsemble déjà intégrer la prise en compte d’inquiétudes d’ordre sanitaireet de sécurité. Dans le même registre la Chine pourrait réduire ses importations alimentaires percapita sous l’inðuence de considérations similaires de santé publique. De tels changements des com-posantes nutritionnelles pourraient expliquer la récente chute de l’obésité observée chez les enfantsaux USA. Dans le futur, la qualité nutritionnelle pourrait devenir le facteur dominant des stratégiesalimentaires collectives en lieu et place de stratégies quantitatives. Les approches prospectivesactuelles quant aux besoins en calories pourraient dès lors perdre beaucoup de leur pertinence.

Le commerce alimentaire mondial, spéculatif et volatil

Les conditions du commerce international de produits alimentaires, partie des « commodities », fontl’objet de violentes critiques. Ces conditions sont accusées de favoriser une intense spéculationsource d’extrême volatilité des prix, volatilité encouragée par la titrisation des risques au travers, parexemple, des « cat bonds » « weather derivatives », « equecat » et autres « environmental mor-tgages ». Un des principaux facteurs de vulnérabilité à cette spéculation réside dans la faiblesse desstocks publics mondiaux, actuellement inférieurs à deux mois de consommation, conséquence del’activisme dans ce domaine de l’OMC ces 20 dernières années, au motif des coûts du stockage etsurtout de l’incidence des achats institutionnels sur les prix de marché.

Une question lancinante resurgit alors : la libéralisation du commerce au cours de ces 20 dernièresannées a-t-elle amélioré la sécurité alimentaire ? Bezuneh & Yiheyis (2014) démontrent que non,conìrmant ainsi les conclusions d’une revue systématique (McCorriston et al. 2013). Un des ana-chronismes de cette libéralisation se traduisant par exemple, comme l’a souligné en 1987 le prixNobel Amartya Sen, par des exportations de nourriture à partir de zones ravagées par la famine ! Lalibéralisation du commerce s’avère au ìnal aboutir à un système qui n’a pas été capable de résoudrele problème de la faim dans le monde tout en exacerbant la volatilité des prix.

La famine provient généralement d’une contraction du pouvoir d’achat dans les zones concernées. Elle entraîne le plussouvent des migrations humaines qui devraient s’accentuer avec le changement climatique et ses conséquences sur lesproductions alimentaires.

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Des pertes importantes et variées au long des chaînes d’approvisionnement

La BanqueMondiale a estimé, il y a peu, que 25% des calories mondiales et jusqu’à 50% des denréesnutritives produites et utilisables par l’homme sont gaspillées avant d’être consommées. Diversautres rapports ont conìrmé ces ordres de grandeur.

Jusqu’à la dernière décennie, ce problème des pertes au long des chaînes d’approvisionnement avaitmajoritairement été abordé en termes de capacités de production et de stockage, parfois aussi depressions en bio-agresseurs. L’ensemble des différents facteurs impliqués dans ces pertes à la pro-duction, tels que l’emploi de variétés homogènes inadaptées (fort rendement potentiel mais grandesusceptibilité auxmaladies – souvent aussi en raison de l’emploi abusif de fertilisants) est bien docu-menté (Huber &Watson 1974). Les pertes après la récolte dans les pays en voie de développementet dans les BRICS sont particulièrement importantes en raison du manque de structures de stockage,dans des conditions climatiques inappropriées à la conservation. Les agriculteurs subissent dès lorsd’importantes pertes économiques aggravées quand ils n’ont qu’un faible accès aux marchés.

Tout récemment cette analyse a été révisée par la reconnaissance qu’une large fraction de ces pertesétait également due (i) à l’industrie agroalimentaire (par exemple, certaines dates de péremption pres-crivant un rapide renouvellement induisent ce que certains qualiìent d’obsolescence programmée), (ii)ainsi qu’au comportement des consommateurs eux-mêmes, en raison d’unemauvaise gestion des achatsalimentaires, de pratiques domestiques et alimentaires personnelles inadaptées, ou d’absence de forma-tion à la conservation à la préparation des aliments et à l’accommodement des restes.

Le taux de gaspillage alimentaire par habitant apparaît sensiblement plus élevé dans les pays richesque dans les pays en développement. Ainsi, tandis qu’un consommateur enAfrique Sub-Saharienneou dans le Sud EstAsiatique gaspillerait 6 à 11 kg par an, le montant de ces déchets s’élèverait à 95,voire 115 kg par an en Europe et enAmérique du Nord (European Commission 2010 ; ADIT 2013 ;Buzby et al. 2014). De plus, le gaspillage en termes de kg de matière, ne reðète pas directement laquantité de ressources initialement mobilisées en pure perte (plus importante par exemple pour unkg de viande de boeuf…). Les émissions de GES associables à ces pertes sont estimées à 3,3milliardsde tonnes de gaz à effet de serre, ce qui en ferait la troisième cause d’émissions après les USA et laChine. Cette externalité négative n’est cependant toujours pas prise en compte dans l’analyse desschémas de production et de consommation. Ces pertes, dont la majeure partie serait évitable, ren-forcent la démonstration d’une production alimentaire globalement sufìsante, pour ne pas dire ensurplus chronique, alors que famine et sous-alimentation continuent à faire des victimes.

Les biotechnologies pour nourrir la planèteIl convient avant tout de rappeler que les biotechnologies font l’objet d’importantes réticences dansdiverses parties du monde, contexte qui entrave leur déploiement. Cette réserve s’exprime tant pourdes raisons alimentaires (crainte de la toxicité des OGM et produits dérivés) qu’environnementaleset socioculturelles (impacts et type d’agriculture et de société induits par cette évolution). Le touts’accompagne dans certains pays d’un rejet des experts et de déìance vis-à-vis des autorités publiques(Demortain 2010, 2011 ; Bertheau & Davison 2013 ; Ludlow et al. 2014).

Le contexte biotechnologique

Les travaux des années 80 sur la maladie de la galle du collet chez les plantes mirent en évidence unmécanisme de transfert de gènes vers les cellules végétales : ceci permit de transformer volontaire-ment le génome de cellules végétales et, la décennie suivante, la commercialisation des premièresplantes génétiquement modiìées par ces technologies (Mannion&Morse 2012). Très rapidement unfossé s’est alors creusé entre pays enthousiastes (la plupart de ceux exportateurs de produits agricolesbruts…) et pays circonspects en raison des impacts possibles sur la société, la santé et la structuration

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de l’agriculture (Marris et al. 2005 ; Gaudillière & Joly 2006 ; Morgan et al. 2006 ; Levidow & Carr2007a ; Lemaux 2008, 2009 ; Koch 2010 ; Spök 2010 ; Devos et al. 2013 ; Dunwell 2014a) ou plusdirectement d’un scepticisme certain quant aux promesses des zélateurs de ces technologies. Dans lemême temps, la production en milieu conìné de molécules pharmaceutiques par des organismesgénétiquement modiìés ou les thérapies géniques ne soulevèrent quasiment pas d’objections, rappe-lant les classiques divergences d’analyse coût/bénéìce.

Les bénéìces avancés par les partisans des biotechnologies concernent la réduction des pertes à larécolte, l’augmentation des revenus des producteurs, un allègement des contraintes de travail, laréduction des traitements nécessaires et par là-même une meilleure protection environnementaleainsi que la diminution de l’érosion des sols par la généralisation du non labour (conjoint à l’utilisa-tion de variétés tolérantes aux herbicides). Ces assertions se heurtent à la difìculté récurrente d’éva-luer l’intérêt d’un changement technologique sans pouvoir l’isoler d’autres effets. En l’absenced’expériences robustes, il est difìcile, pour ne pas dire impossible dans la majorité des cas, de dis-cerner l’impact propre aux OGM de celui d’autres évolutions des pratiques agricoles.

En outre, comme cela a été souligné dans divers avis du Haut Conseil des Biotechnologies, les dos-siers des pétitionnaires, dont sont issues nombre de ces assertions, pêchent souvent par leur manquede rigueur scientiìque, l’absence de puissance statistique des tests menés et l’insufìsance des plansde surveillance environnementale proposés, seuls aptes à discerner des externalités ou la vérité decertains modèles, par exemple de dispersions de gènes. Trente ans après les premiers OGM, lesagences d’évaluation en sont toujours à édicter des lignes directrices d’estimation des risques et desurveillance environnementale post-commercialisation (celles qui concernent la surveillance de lasanté humaine et animale n’ont toujours pas été abordées). Vingt ans après la commercialisation dupremier OGM, l’agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a dû lancer un appel d’offres auxìns de déìnir les lignes directrices statistiques applicables aux essais agronomiques et aux étudestoxicologiques (EFSA Panel on Genetically Modiìed Organisms 2010a, b ; McGinnis et al. 2012).On peut dès lors comprendre que la méìance des profanes de certaines régions à l’égard des OGMsoit étroitement corrélée à celle concernant experts et gouvernements (Funtowicz et al. 2000 ;Nowotny 2003 ; Jasanoff 2005 ; Wood &Mador 2013).

Stratégies destructrices

Les biotechnologies et les industries semencières, par les stratégies de communication utilisées, sontle plus souvent assimilées aux « industries du doute »1. Il est dès lors probable que le programme derecherche US, d’unmontant de 25millions de dollars, d’évaluation des risques des OGM récemmentannoncé par l’Organisation du Commerce des SemencesAméricaine (ASTA) restera contreproductifen terme d’acceptabilité (Gillam 2014) : les précédentes campagnes de communication de plusieursmillions de dollars, il y a une dizaine d’années, n’ont eu aucune retombée positive sur l’opinionpublique dans l’UE. Les dizaines de millions de dollars dépensés dans plusieurs états des USA lorsde votes sur des demandes d’étiquetage destinée à l’information du public confortent en outre lesentiment ambiant d’une industrie riche et puissante défendant âprement ses intérêts propres (Esposito& Kolodinsky 2007 ; Jones 2014), les sommes dépensées par les anti OGM dans ces campagnesrestant bien modestes en comparaison. Depuis le mandat de G.W. Bush, l’usage routinier par lesindustriels, et leurs lobbys, d’expressions qualiìant leurs demandes de « sound science » (c’est-à-direfondées sur des faits scientiìques ìables) est devenue inaudible. Nombreux sont ceux qui assimilentdorénavant cette expression à « junk science » (« science au rabais ») et y voient avant tout unedéfense d’intérêts corporatistes, associée à un mouvement scientiste.

L’amalgame constant des discours entre science et innovation technique, applications, est préjudiciableaussi bien aux scientiìques, aux citoyens, aux témoignages des experts qu’à un débat démocratique

1. Appelées ainsi en référence à l’ouvrage de Naomi Oreskes qui décrypte la stratégie mise en place, en Amérique du Nord,pour semer le doute, dans le grand public et parmi les élus, dès lors qu’une réglementation environnementale était envisagée.

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apaisé sur les choix de société qui en découleraient. En réaction, nombre de scientiìques ontmaintenantinvesti l’arène publique, argumentant et prenant parti pour ou contre les OGM. Des analyses mêmesneutres et équilibrées, propres à informer public et décideurs politiques, sont disqualiìées de primeabord car l’on cherche dorénavant à rattacher les arguments à un parti pris plutôt qu’à une analysescientiìque. L’excommunication mutuelle, la présomption d’apostasie et l’anathème sont devenus deslieux communs parmi les scientiìques en raison de ces interpénétration et confusion entre la science etdes applications techniques « innovantes » propres à améliorer la « compétitivité ».

Le débat entre scientiìques qui se poursuit sur les meilleures procédures d’évaluation des risques et lesanalyses coût/bénéìces, est par ailleurs obscurci par le système des portes tournantes (i.e. les mobilitésde personnels entre ìrmes et institutions réglementaires ou instances d’évaluation des risques), de pos-sibles « collèges invisibles » et par l’exclusion des experts jugés « critiques ». À partir du moment oùdes intérêts économiques sont en jeu, les discussions scientiìques sur des alternatives à un scénario,dans une classique analyse coûts / bénéìces, ne sont plus guère possibles. Le choix des applicationstechnologiques constitue pourtant un acte politique, un acte de foi en un certain progrès, choix pouvantmener à des verrous technologiques (Winner 1980 ; Vanloqueren & Baret 2009 ; Prewitt 2013).

Évolutions rapides, arguments contradictoires pour normes en retard

Un ensemble de « nouvelles » technologies, regroupées sous le terme de NPBT (nouvelles techniquesd’amélioration végétale) ou NBT (New Biotechnology Techniques) sont depuis plusieurs années lesujet d’intenses négociations au sein de l’UE en ce qui concerne la qualiìcation, comme OGM ounon, des produits résultants. Certaines de ces techniques peuvent permettre l’édition précise dugénome sans adjonction d’ADN étranger mais en raison d’effets hors cibles font encore l’objetd’améliorations (Lusser et al. 2011 ; Barrangou 2014 ; Stella et al. 2014). Le mélange de techniquesanciennes et nouvelles et leurs possibles combinaisons rendent leur acceptation moins simple qu’ini-tialement prévu. Des techniques ancestrales telles que la greffe s’avèrent capables de générer denouvelles espèces (Fuentes et al. 2014). Certaines NPBT pourraient rendre possible la création denouveaux instruments pour activer, réprimer ou réparer des gènes cibles, mais leur efìcacité detransformation est encore limitée et si divers effets hors-cibles restent à éliminer, leur prise en mainpar des « hackers », adeptes du « Do It Yourself », laissent craindre des dérapages. Enìn la disponi-bilité de techniques même précises ne peut présager de la façon dont celles-ci seraient utilisées, dansdes mains plus ou moins expertes, selon des critères économiques privilégiant la rentabilité ou larapidité des commercialisations à la précision et à la sureté.

Aux USA, où aucun cadre spéciìque n’a été élaboré pour encadrer ces techniques comme les précé-dentes, les agences fédérales ne savent toujours pas comment évaluer ofìciellement les OGM actuels(Kuzma & Kolotovitch 2011 ; Ledford 2013). Citoyens et ìrmes font donc face à un cadre légal quin’est pas encore stabilisé tandis que de nombreux dossiers de commercialisation sont soumis auxautorités compétentes d’autres pays. Les chercheurs et les autorités publiques devront par conséquentéviter toute désinformation de la société et établir, de façon proactive, des réglementations appro-priées tenant compte de ce contexte complexe.

Les arguments mobilisés par les industriels dans leur communication sur les OGM s’avèrent trèsambivalents. Les arguments scientiìques visent à convaincre que les modiìcations sont nouvelles,dissociées des méthodes précédentes et source de progrès et qu’elles produisent dans le même temps,moins de modiìcations dans le génome des plantes que la sélection conventionnelle ou la transgé-nèse. Ces arguments visent donc à convaincre du caractère innovant de ces méthodes (dans le but dedéposer des brevets) tout en faisant valoir qu’elles sont dans la continuité des techniques de sélectionconventionnelle et, ce, aìn d’éviter la lenteur supposée des procédures d’autorisations propres auxOGM. Les arguments légaux, sociétaux, ìnanciers et techniques sont actuellement tous mobiliséscontre l’étiquetage de ces produits présentés dans ce but comme de simple prolongement des tech-niques traditionnelles de sélection. Ce dernier argument est aussi repris par certains scientiìques quiproclament en conséquence l’impossibilité de détecter et donc d’identiìer correctement ces

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« nouveaux » produits en raison de l’absence de méthodes de détection ìables (Lusser et al. 2011).Intentionnellement ou non, ils ne prennent pas en compte plusieurs méthodes de détection telles quelaLCR (réaction en chaîne par la ligase). Curieusement aussi, les auteurs d’un article de laCommissioneuropéenne (Lusser et al. 2011) revendiquent, comme les industriels, le fait que les organismes « édi-tés » sont indiscernables de ceux résultant de mutations naturelles : comment alors prétendre à lalégitimité d’un brevetage et exiger de faire reconnaître la propriété industrielle ? Cette problématiqued’identiìcation ressemble pourtant fortement à celle de l’identiìcation des OGM inconnus. Elleignore également délibérément le fait que les entreprises devront pouvoir identiìer ces produits –proclamés indiscernables de ceux issus de mutations naturelles - pour faire appliquer leurs brevets,sauf si toute mutation naturelle devenait brevetable du fait de la revendication d’un trait.

En l’absence de transparence concernant les coûts de traçabilité ou d’homologation, les ìrmes arguent,dans les négociations, d’un principe politique de réduction de toute disposition réglementaire contrai-gnante et jugée onéreuse. L’argument ìnancier s’est pourtant avéré jusqu’ici utile pour perpétuer unoligopole en dissuadant les petites entreprises d’investir dans le développement des OGM. L’argumentne prend en outre pas en compte la protection de fait dont bénéìcie une entreprise, dans l’hypothèsed’événements imprévus et préjudiciables mais survenant après une autorisation gouvernementale. Ensus, les coûts d’homologation et d’étiquetage ont jusqu’à présent été intégrés sans difìculté dans le prixde vente des semences, en moyenne 10% plus chères que les semences conventionnelles. Enìn, le coûtélevé des campagnes anti-étiquetage, aux USA et dans d’autres pays, relativise les plaintes des entre-prises quant aux coûts d’homologation au vu des montants distribués aux actionnaires.

Nous retrouvons ici nombre d’éléments polémiques autour d’un ensemble de technologies promettantde nourrir 9milliards d’habitants en 2050. La controverse sur les risques des OGMpourrait aussi rebon-dir avec, par exemple, les travaux actuels de Syngenta et de Biosciences Précision qui visent à créer lepremier génomedemaïs synthétique ou l’utilisation d’ARN interférents (ARNi) dans des fonctionnalitéspesticides. Pourtant lesARN sont suspectés d’être capables de traverser la barrière intestinale et de régu-ler les gènes de l’animal qui en consomme (Zhang et al. 2012). Or, historiquement, si les ìrmes escomp-taient clairement que les ARNi pourraient pénétrer à l’intérieur de l’organisme humain dans un butmédical, il leur importe de dénier cette capacité dès lors qu’il s’agit du contexte alimentaire.

Promesses des biotechnologies

Les avantages réels et supposés des biotechnologies, mot qui désigne dans ce document les OGM etcertaines NPBT, ont été présentés à de multiples reprises par de nombreux auteurs (Lemaux 2008,2009 ; Dunwell 2011, 2014b ; Barrows et al. 2014 ; Brookes & Barfoot 2014). La majorité des OGMactuellement sur le marché et cultivés, à l’exception de certains qui résistent aux virus, sont surtoutmodiìés pour être résistants à certains insectes ou tolérants à des herbicides. Maïs, colza, soja etcoton sont principalement concernés.

Divers traits nouveaux sont annoncés ou en cours de commercialisation comme l’enrichissement enacides gras, stéaridonique ou oléique pour le soja ; un faible faux d’acrylamide pour la pomme deterre ; une réduction du taux de lignine, rendant la luzerne plus digeste ou la préparation de papiermoins polluante ; une stérilité mâle cytoplasmique ou son amélioration pour diverses plantes, etc. Laplupart des nouveaux OGM actuellement commercialisés sont toujours en majorité tolérants auxherbicides et/ou résistants aux insectes, avec une proportion croissante d’empilages de gènes. Ce sonten effet ces traits qui assurent généralement le plus rapide retour sur investissement. Cependant, desmauvaises herbes résistantes aux herbicides de même que des insectes résistants à la protéine Btprolifèrent déjà. Ce pullulement des résistances découle principalement de la mauvaise gestion desagriculteurs et de recommandations malavisées de conseillers agricoles de l’agro-industrie.

De nombreux défauts méthodologiques dans les dossiers d’homologation, comme le manque de puis-sance statistique des études en champ aux trop courtes durées ne confortent guère les assertions d’amé-liorations de rendement proclamées par les ìrmes (EFSA Panel on Genetically Modiìed Organisms

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2010c). Des synthèses, même américaines, estiment que, durant leur 15 ans d’utilisation commerciale,les OGMn’ont pas démontré d’aptitude à augmenter les rendements (National Research Council of theNationalAcademies 2010 ; Heineman et al. 2013 ; Fernandez-Cornejo et al. 2014). Dans certains cas,ils restent même bien en deçà de ceux obtenus avec les méthodes de sélection traditionnelle (Fischer2009 ;Hilbeck et al. 2013 ; Lemarié&Fugeray-Scarbel 2014 ;Tappeser et al. 2014). En outre, les effetsdes changements de méthodes culturales ne peuvent être dissociés de ceux de l’utilisation d’OGM, cequi ne permet généralement pas de conclure (Gilbert 2013 ; Lemarié & Fugeray-Scarbel 2014).

Les biotechnologies sont malheureusement encore incapables d’intégrer la complexité des systèmesagronomiques. Elles pourraient même faire régresser la très forte productivité de certains systèmes deculture intégrée traditionnels. Les systèmes expérimentaux très simpliìés employés pour évaluer lesplantes GM ne parviennent pas à prendre en compte ces réalités par ailleurs remises en perspective parl’agro-écologie. L’arrivée d’OGM arborant de nouveaux traits (tolérance au stress hydrique, meilleureadaptation aux risques climatiques, résistance aux maladies, meilleure valorisation des engrais, modi-ìcation technologique des caractères organoleptiques des produits…) nécessitera encore plus un ajus-tement des procédures d’évaluation des impacts, différents de ceuxmobilisés pour les traits de résistanceaux insectes ou aux herbicides, actuellement critiqués. La tolérance à la sécheresse, par exemple, resteun trait difìcile à apprécier tant pour des raisons techniques que ìnancières et de durée.

On peut aussi noter que le raccourcissement de la durée d’obtention de nouvelles variétés, souventpromise avec les premiers OGM, n’est guère manifeste pour l’instant. Elle est pourtant mise en avant

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comme facteur de réponse rapide auxmodiìcations climatiques et agronomiques. Le développementde nouvelles variétés OGM requiert toujours, selon l’espèce, entre 10 et 15 ans, une durée compa-rable à celle nécessaire pour les variétés conventionnelles (Gepts 2002). De fait, les fermiers brési-liens n’ont employé que tardivement des cultivars de soja génétiquement modiìés, c’est-à-direlorsque leurs rendements ont atteint ceux des variétés conventionnelles. Par ailleurs, les croisementsavec des variétés locales sont toujours autant nécessaires, comme lors de la « Révolution verte », etles conditions pédoclimatiques exercent une inðuence souvent mésestimée sur la capacité d’augmen-ter la production (Qayum & Kiran 2003).

Au mieux, les OGM actuels semblent pouvoir réduire l’impact de certains parasites sans toutefoisdiminuer à terme la quantité de tous les pesticides utilisée. Une conìance excessive dans la techno-logie a très souvent conduit à l’inobservance des bonnes pratiques agricoles telles que les rotationsde cultures et le maintien de zones refuges pour retarder l’apparition d’insectes résistants : il s’en estensuivi une apparition rapide de résistances pour certains insectes ravageurs et adventices. L’emploide certains traits peut simpliìer les pratiques agricoles et réduire le temps de travail de l’agriculteur.Le temps libéré peut, dans certains pays, être affecté à un second emploi complétant les revenus oupermettre d’augmenter les surfaces cultivées par personne. Dans les faits, les pratiques réelles desagriculteurs peuvent grandement différer des bonnes pratiques recommandées. De nombreux agri-culteurs tentent d’augmenter leur marge brute en réduisant dans une stratégie à court terme les quan-tités d’herbicides ou en supprimant les refuges non-OGM. Quand, par la suite, les adventicesrésistantes apparaissent, ils augmentent les nombres de traitements et les quantités appliquées (Gilbert2013). Ces mauvaises pratiques facilitent le contournement des résistances de plantes, ce qui pourraitrendre caduques des empilements de gènes (Tabashnik et al. 2013, 2014 ; Fernandez-Cornejo et al.2014 ; Gassmann et al. 2014 ; Huang et al. 2014 ; Perkowski 2014). Mais les mauvaises pratiquesdes agriculteurs ne sont pas seules en cause : les ìrmes sont en effet soupçonnées auxAmériques dene pas avoir communiqué par exemple sur les teneurs en protéines Bt plus faibles chez certains culti-vars. Or une faible teneur en protéine Bt ne peut que compromettre l’efìcacité des stratégies de lutte– hautes doses / refuges. Le principal intérêt de ces échecs agronomiques fut la découverte de nou-veaux mécanismes de résistance aux herbicides, comme des duplications de gènes.

Une gestion intégrée des parasites aurait pu retarder l’apparition des résistances. La biologie des insectesa été le plus souvent ignorée. Les effets demigrations à longues distances des insectes résistants ont étélargement sous-estimés. En réaction à l’absence de respect par les agriculteurs des bonnes pratiques, lesìrmes ont renforcé leurs contrôles au champ, et ont développé desOGMplus coûteux, par empilementsde gènes. Des herbicides plus anciens et parfois plus toxiques que ceux actuellement utilisés sont denouveau proposés : certains ont récemment été identiìés par l’IARC (Agence internationale derecherche sur le cancer) de l’OMS comme de possibles carcinogènes (Guyton et al. 2015 ; Loomis etal.2015). La réduction des traitements phytosanitaires sur les culturesOGMne semble avoir été efìcacequ’au début de l’utilisation des OGM. Cette réduction est, de plus, très contestée à moyen terme pourl’agriculteur lui-même mais aussi pour les cultures environnantes qui peuvent a contrario voir leurstraitements augmenter suite à la pullulation de parasites, secondaires sur la cultureOGMet à fort impactsur d’autres (Pearson 2006 ; Cloutier et al. 2008 ; Wang et al. 2008 ; IAASTD 2009 ; Lu et al. 2010).Cette externalité négative n’est bien souvent pas prise en compte.

La question de l’impact des OGM sur la consommation des produits phytosanitaires (herbicides,insecticides, fongicides) apparaît donc particulièrement complexe car les indicateurs de mesurerestent imparfaits comme dans bien des domaines. Est-il possible de se satisfaire de l’usage de bio-cides comme le 2-4-D ou le Dicamba dans les cas de résistances favorisées par les pratiques réellesd’utilisateurs d’OGM ? Seule une surveillance régulière à long terme devrait permettre de détecterl’apparition d’effets secondaires imprévus et nocifs (Lu et al. 2010).Mais qui pourra mobiliser autantde moyens sur de longues années même si des réseaux citoyens s’impliquaient (EFSA Panel onGenetically Modiìed Organisms 2014) ? Les surveillances spéciìques et générales requièrent desmoyens à long terme que la crise ìnancière actuelle des États rend difìcile à libérer à moins que lespétitionnaires ne soient mis à contribution dans un cadre général de biosurveillance des territoires.

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Dans quelle mesure les OGM peuvent-ils contribuer à la disparition de la faim dansle monde ?Sachant que l’augmentation générale de rendements s’avère difìcile à prouver, une des contributionspour nourrir une population en probable croissance consisterait à diminuer l’allergénicité de plantescomestibles auxquelles de nombreux consommateurs sont allergiques. Pourtant plus d’une décennieaprès leur production, des OGM dépourvus d’allergènes ne sont toujours pas disponibles, probable-ment en raison d’un manque d’intérêt industriel ou d’effets biologiques inattendus handicapant surle plan agronomique (par exemple, une résistance amoindrie des plantes aux pressions parasitairesau champ). Sans compter l’impact d’alternatives comme celle consistant à traiter les allergènes pardes enzymes, procédé qui semble s’avérer en déìnitive beaucoupmoins cher, aussi efìcace et moinspolémique à produire et utiliser.

Des OGM ont été également envisagés pour lutter contre les insectes vecteurs ou favorisant l’inva-sion de champignons producteurs de mycotoxines aìn d’améliorer la sécurité alimentaire et deréduire la quantité de pesticides (Wu 2006a, b, 2007 ;Wu et al. 2004, 2011). La majorité des travauxconcernant la réduction des mycotoxines par les OGM a été réalisée par une seule équipe dont lesrésultats ne sont pas très probants. Dans certains tests, la teneur en mycotoxines s’est même avéréesupérieure chez les plantes Bt. Dans des études préliminaires, les tests réalisés sur de petites surfacesagricoles avec des OGM obtenus par empilement de gènes n’ont pas montré d’effets signiìcatifs surla teneur en mycotoxines. Plus généralement le manque de puissance statistique d’expérimentationsaux résultats très variables selon les années, avec des populations fongiques ne correspondant pasforcément à celles inoculées ne permet guère de conclure.

De nombreux gènes de résistances auxmaladies fongiques, favorisées par des stress contrôlables pardes pratiques agricoles, ont par ailleurs été identiìés et pourraient s’avérer intéressants en sélectionconventionnelle. La sélection de variétés résistantes à Aspergillus ÿavus aboutit à une diminution desmycotoxines, mais aucune variété n’est encore commercialisée (Brown et al. 2013). Sur ce sujet lesOGM ne paraissent actuellement pas présenter d’avantages particuliers par rapport à la sélectiontraditionnelle, sachant qu’en outre l’intérêt de ces champignons, comme endophytes protecteursdes plantes, complexiìe l’analyse coûts/bénéìces vis-à-vis de ces champignons. Enìn diverses tech-niques industrielles de détoxiìcation post-stockage, moins polémiques, existent. Dans la perspectived’une lutte durable contre les insectes, plusieurs alternatives de lutte intégrée doivent être considéréespour réduire les teneurs en mycotoxines, en gardant en mémoire que le fonds génétique des variétéset la réduction des stress restent les facteurs déterminant de succès.

Un horizon certain ?De nombreux éléments inÿuent sur les choix des agriculteurs relatifs aux biotechnologies. Par exemple, l’actuelle baisse desprix des denrées agricoles (« commodities ») encourage les agriculteurs, aux USA en particulier, à se retourner vers lessemences non GM moins coûteuses. Les actions judiciaires lancées ces dernières années par divers operateurs n’ont enoutre pas simpliþé le paysage économique et décisionnel. Les agriculteurs doivent donc prendre très rapidement des décisionsen fonction de circonstances techniques et þnancières très ÿuctuantes. Ces arbitrages sont habituellement relativementfaciles à effectuer en l’absence de verrouillage technologique, comme l’absence de semences non OGM.Mais en raison de la longue durée des développements, les retours sur investissement des þrmes peuvent s’avérer plusaléatoires et à plus longue échéance. En conséquence, les solutions techniques qui n’auraient pas été préparées par descadres légaux, þnanciers et socioculturels, avant même leurs évaluations environnementales et sanitaires, ont très peu dechance d’être mises en œuvre pour lutter contre la faim.Les rigueurs réglementaires et d’évaluation ne sont donc pas spéciþquement des obstacles mais des conditions sine qua nonde la pertinence des propositions technologiques.

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Autre enjeu, la conquête ou la reconquête de terres contaminées et plus généralement impropres à laculture, pourrait faire progresser le combat contre les situations de malnutrition. La capacité à limiterla séquestration demétaux toxiques dans les graines pourrait jouer un rôle signiìcatif pour la sécuritéalimentaire dans des zones comme le sous-continent Indien où les métaux, présents en grande quan-tité, provoquent de graves problèmes de santé (Song et al. 2014). De tels gènes pourraient même, enthéorie, être utilisés pour dépolluer ces sols, bien que cette extension paraisse peu probable au vu dela complexité des procédures àmettre en œuvre. Si nous considérons que près de 40% des sols arablesne sont pas cultivables en l’état en raison de leur acidité et de leur teneur en aluminium, l’emploi desystèmes de résistance adaptés pourrait constituer une étape majeure dans la lutte contre la faim (Liet al. 2014). Néanmoins les systèmes de régulations des gènes à contrôler apparaissent complexes etles solutions biotechnologiques peu envisageables dans l’immédiat.

Des plantes aux cycles de production plus courts pourraient être développées (comme cela a déjà étéréalisé dans certains pays tropicaux), permettant de doubler la fréquence des cultures. Dans de telscas, le semis sans labour, une pratique utilisée entre autres pour les plantes GM tolérantes aux herbi-cides, constituerait une opportunité pour avancer la date des semis et respecter la structure du sol (Ray& Foley 2013 ; Ray et al. 2013). Ce « doublement cultural » pourrait être particulièrement intéressanten association avec des pratiques agricoles intelligentes comme la gestion intégrée des parasites avecutilisation de plantes compagnes (Zhu et al. 2007 : Glover et al. 2012 ; Spiertz 2012). Néanmoins,comme cela a été souligné par divers auteurs, accroître la fréquence des cultures pourrait avoir desrépercussions environnementales et sociales qui devraient être très méticuleusement évaluées.

Biotechnologies et revenus

La pauvreté est l’un des facteurs majeurs de famine et malnutrition. Les biotechnologies fourniraient-elles, à l’heure actuelle, de meilleurs revenus aux paysans pauvres et aux acteurs en aval dans lesìlières ? Le cadre d’étude en réponse à cette question s’avère complexe.

Plus que celles de sciences expérimentales, les études socioéconomiques peuvent être biaisées, enfonction des experts, car elles sont le plus souvent fondées sur des modèles pour lesquels les donnéesempiriques restent peu nombreuses et non accessibles à la falsiìabilité au sens de Popper. Sur le planméthodologique elles n’incorporent donc que très rarement répétitions et contrôles adéquats. L’intérêtd’une mesure varie, en outre, selon les acteurs considérés. ìnancementsaccroît les questionnements(biais d’interprétation, conðits d’intérêts non déclarés…). Ce phénomène est exacerbé par la courseaux publications induite par la compétition entre scientiìques due à l’accroissement des ìnancementspar appels à projets. Répéter des expériences ou vériìer les contrôles ralentit le nombre de publica-tions. En sus, un manque de transparence, des biais conceptuels et pernicieux, sans compter de nom-breux conðits d’intérêts sont souvent relevés dans le cas des OGM rejoignant ceux relevés dans lesindustries phytosanitaires, pharmaceutiques, médicales ou du tabac (Levidow & Carr 2007b ; Dielset al. 2011 ; Domingo & Giné Bordonaba 2011 ; Ioannidis 2011, 2013 ; Bes-Rastrollo et al. 2013 ;Sánchez-Bayo 2014). Plus que toutes autres, les analyses socio-économiques d’un domaine contro-versé sont donc sujettes à caution.

Divers rapports et études, incluant une méta-analyse et une revue systématique de la littérature sou-lignent un impact socioéconomique positif des OGM par une hausse des revenus (Kaphengst et al.2011 ; Hall et al. 2013 ; Brookes & Barfoot 2014). Malheureusement, la majorité des données utili-sées proviennent de consultants ou des ìrmes agrochimiques et semencières et peuvent par consé-quent induire un « biais de conìrmation » c’est-à-dire de parti pris. Certains modèles utilisés sontconsidérés par des auteurs comme induisant des erreurs liées à des hypothèses incorrectes. Peu dedonnées empiriques sont réellement utilisables pour conìrmer que l’utilisation exclusive des OGMpourrait effectivement augmenter les revenus des agriculteurs, des paysans pauvres en particulier.L’analyse des impacts économiques de l’adoption des OGM au niveau de la ferme est complexe :diversité des impacts à étudier, difìculté d’en mesurer certains, et hétérogénéité des fermes (Lemarié& Fugeray-Scarbel 2014). L’effet propre aux changements de pratiques associées à l’introduction

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d’OGM n’est en outre jamais discernable. Les études récentes sur l’impact économique des OGMdans les fermes s’avèrent singulièrement lacunaires, en particulier aux USAoù les OGM sont pour-tant très largement répandus. Les études menées mesurent généralement l’impact au niveau de laparcelle ou de la culture, mais restent très rares à celui de la ferme et à long terme. Il serait par consé-quent important d’analyser les effets systémiques sur les rotations de cultures et la rentabilité totaledes exploitations, ce qui pourrait permettre de comprendre, par exemple aux USA, pourquoi tantd’agriculteurs ont besoin d’une seconde source de revenus. Une récente étude Néerlandaise recom-mande d’accroitre la possibilité pour tout agriculteur de diversiìer ses sources de revenus en dehorsde sa ferme, ce qui augure mal de l’avenir de nos agricultures.

L’aspect économique des impacts environnementaux reste également à considérer et une évaluationcomplète des externalités induites toujours nécessaire. Un exemple de ces incomplétudes porte surl’impact économique, dans les fermes de polyculture, d’épidémies de parasites secondaires ou del’effet de la prolifération d’adventices résistantes aux herbicides. Les appréciations économiquesglobales, qui doivent fonder les décisions et politiques publiques, n’apparaissent possibles qu’avecla mise en œuvre de plans de surveillance post-commercialisation incorporant les données écono-miques. Des études exhaustives visant à intégrer les externalités négatives induites à longue distanceet à long terme, comme celles observées en Chine, pour la société dans son ensemble, et les produc-teurs plus ou moins voisins, devrait corriger les conclusions de nombreuses études qui les négligent.

Les synthèses disponibles les plus récentes, répondant au mieux à des critères objectifs et sans biaisde sélection, indiquent que l’impact économique positif des cultures OGMet la rentabilité des fermesrestent à démontrer, particulièrement à moyen et long terme (Hofs et al. 2006 ; Fok 2010 ; Fernandez-Cornejo et al. 2014 ; Lemarié & Fugeray-Scarbel 2014).

Biotechnologies et micronutriments : l’exemple du riz doré

La perversion de la malnutrition réside souvent dans le fait qu’elle est généralement mal identiìée etpeu visible, bien qu’elle soit source de problèmes bien concrets et divers. Elle a pourtant des réper-cussions directes sur la productivité des individus, l’état général de la société et le bien-être, collectifet individuel. Cet aspect du problème n’a que récemment été considéré par la BanqueMondiale (Bertiet al. 2004 ; World Bank 2007). L’accès à une alimentation équilibrée peut offrir une solution auxcarences en micronutriments. Les espoirs des spécialistes de la malnutrition portent davantage surcette solution que sur des plantes OGM « dopées ». En effet, certains auteurs soulignent le dangerd’une complémentation alimentaire inconcontrôlée comme avec le fer, le zinc, le ß-carotène, la vita-mineAou les oméga-3 aux effets cardioprotecteurs (Hathcock 1997 ; Puntarulo 2005). Par exemple,des apports excessifs en fer provoqueraient des décès prématurés, favoriseraient des maladies infec-tieuses tandis que certaines populations consommant trop de ß-carotène (provitamineA) ou de vita-mineA présenteraient un risque accru de cancer du poumon.

Il est intéressant dans ce contexte de revisiter un cas académique emblématique : celui du « RizDoré » et de sa production de provitamineA(Enserink 2008). C’est probablement lemeilleur exemplepour montrer comment les biotechnologistes et les agronomes, dès lors qu’ils se sont éloignés de leurdomaine d’expertise, peuvent essayer de proposer des solutions simplistes. Fiers de leur technique,ils oublient généralement de considérer les recommandations des médecins ou de structures, tellesque l’agence des Nations Unies en charge de la lutte contre la malnutrition, qui mettent en gardecontre les effets secondaires d’un apport excessif en vitamine A, comme pourrait l’induire le « RizDoré » (Enserink 2008). L’idée de base est la suivante : les carences en ß-carotène affectent de nom-breux enfants dans les pays en voie de développement avec de sévères conséquences (mort, cécité,etc.). Le riz constituant l’aliment de base de ces populations, lui faire produire du ß-carotène par géniegénétique constituerait une solution complète pour éliminer ces carences. Le premier OGM ne syn-thétisant pas assez de ß-carotène, de nouveaux OGM furent produits pour satisfaire de façon plusréaliste les besoins quotidiens (Paine et al 2005). Des expériences similaires de transformation furentégalement menées dans le même objectif chez le maïs et le manioc… Mais les essais nutritionnels

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furent décevants et ne résolurent pas les carences (Talsma et al. 2013 ; Owens et al. 2014). Un cher-cheur impliqué dans la production de ce « Riz Doré » appela le public à se mobiliser contre ceux quidésapprouvaient ce « Riz Doré », car inadapté aux réalités. Ce scientiìque blâma publiquement àplusieurs reprises les opposants à son OGM, leur imputant la mort et la cécité de nombreux enfants,tout en le présentant comme un exemple à suivre de coopération avec les industriels du secteur. Cettedénonciation fut relayée par divers lobbys industriels mais aussi par des scientiìques engagés enfaveur des OGM (Brooks 2013 ; Demont & Stein 2013 ; Wesseler & Zilberman 2014).

Pourtant en dépit de nombreuses demandes par cemême scientiìque d’une commercialisation rapide,l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI), a jusqu’à présent continué les tests sur le « RizDoré » sans recommander d’en autoriser la vente. Les publications et communiqués de l’IRRI, en2013 et 2014, signalent en particulier qu’il convient de réévaluer l’intérêt nutritionnel du « RizDoré », ou encore s’interrogent sur le faible rendement constaté, actuellement bien inférieur à celuides variétés locales, ce qui pourrait induire son rejet par les populations ciblées. Ils soulignent lanécessité de croiser ce riz avec Oryza indica, l’espèce cultivée en Asie, ce qui peut reporter de plu-sieurs années toute commercialisation. Pourtant dans un entretien au Wall Street Journal, un desdirecteurs de l’IRRI a défendu l’enrichissement du riz en vitamineA. Les positions scientiìques sontìnalement bien plus en retrait que les annonces des instances politiques pourtant parfois au sein desmêmes institutions. Mais fondamentalement, hormis les classiques positions en situation de contro-verse, rien ne permet de penser qu’un véritable blocage ait pu arrêter, voire même freiner, le dérou-lement normal d’une évaluation et des travaux nécessaires avant une commercialisation.

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Tous les ingrédients typiques d’une certaine forme de propagande se retrouvent ici : l’interventiond’un scientiìque amenant à un « biais de conìrmation »; le mépris des solutions recommandées parles agences internationales et les médecins et, enìn, une campagne de lobbying répandant un élémentde scandale : le refus de la solution apportée pourrait causer des millions de morts. Ces comporte-ments excessifs ne rendent ìnalement pas service à la cause qu’ils pensent servir, celle des OGM. Etils ne peuvent que renforcer la conviction des opposants au « Riz Doré » qui voient dans la vigueurdu lobbying mis en œuvre, et des positionnements industriels pris avec divers brevets, la preuve quece « Riz Doré » constitue bien un cheval de Troie visant à faciliter l’adoption des OGM (Brooks2013).

Par ailleurs de nombreux cas de disséminations incontrôlées ont été rapportés (environ 200 cas auxUSA : riz LL601, maïs Bt, blé ; selon des documents rendus publics ; soit environ 400 incidentsrecensés par des ONG) aux USAet en Chine, mais aussi en Europe. Il apparaît dès lors probable quela commercialisation du « Riz Doré » conduirait de même à des disséminations incontrôlées quipourraient affecter des populations ne souffrant pas de carences en les exposant à des aliments « bio-fortiìés » pouvant induire divers désordres sanitaires. En l’absence de plans de surveillance sanitaire,une dissémination incontrôlée pourrait affecter une population plus importante que celle concernéepar les carences, le tout dans un contexte de pays en voie de développement ne favorisant pas le dia-gnostic rapide de la cause de ces désordres.

Des aliments du type « Riz Doré » devraient être cultivés comme certaines pharmaplantes enconditions très contrôlées. Il est donc nécessaire de développer en premier lieu les conditions d’unecoexistence entre cultures ìable et durable, question qui concerne aussi directement la capacité despeuples à conserver l’accès à l’alimentation qu’ils privilégient, droit rappelé par le Rapporteur spécialdes Nations Unies.

Nous n’évoquerons que très rapidement, au travers du maïs, le point crucial de la coexistence descultures OGM, un des piliers de la capacité des humains à pouvoir choisir dans le futur leur alimen-tation. Techniquement, le problème de la dissémination du pollen de maïs sur de longues distancesest bien connu des semenciers qui organisent des îlots de production séparés de plusieurs kilomètresdes autres lieux de production de maïs (Bannert and Stamp, 2007; Brunet et al., 2013; Hofmann etal., 2014; République française, 1972). Il est pourtant minimisé dans le cadre des OGM…Ce « stra-bisme » scientiìque pourrait être expliqué par les pressions politiques, les convictions de scienti-ìques ainsi que par les problèmes techniques : il est plus facile d’observer le pollen viable sur moinsde 100 mètres plutôt que de le surveiller sur plusieurs kilomètres (le pollen viable d’Agrostis stolo-nifera se dissémine jusqu’à 20 km). Mais il pourrait aussi être expliqué par la nécessité qu’il y auraitalors à penser la coexistence entre cultures OGM et non-OGM en termes d’aménagement du terri-toire, de bassins de production, plutôt que de négociations entre voisins et d’applications de quelquespratiques culturales. Un tel cadre de coexistence, déjà utilisé par des producteurs au Portugal et enAllemagne, bousculerait les habitudes et nécessiterait probablement des arbitrages politiques(Bertheau 2012, 2013 ; Consmüller et al., 2011; Consmüller et al., 2009; de Fátima Quedas and Cruzde Carvalho, 2012; Gomes, 2008; Skevas et al., 2010). Le marché conditionnant les types et modesde productions, la prise en considération du seuil pratique utilisé dans les certiìcations de « nonOGM » conduira à un aménagement du territoire dérivé de la déìnition de bassins de production(Bertheau, 2012). Le politique qui botte en touche depuis des années en essayant de réduire les pro-blèmes de coexistence à des aspects techniques risque de devoir réintégrer le jeu de deux systèmesen conðit pour le leadership : les semenciers versus la ìlière en aval.

En conclusion, on pourrait attendre des biotechnologistes qu’ils concentrent leurs efforts à la résolu-tion de questions « techniques » telles que celle de la baisse des micronutriments, comme constatépour les plantes en C3 (i.e. celles à 3 carbones qui représentent la plupart des plantes des climatstempérés) en raison du changement climatique (Myers et al. 2014) plutôt que de semêler de stratégiesde santé publique. En outre, contrairement à ce que laisseraient accroire les avis de certaines ins-tances, le dissensus profond entre scientiìques sur les priorités à mettre en œuvre pour nourrir la

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planète, et l’intérêt des OGM en particulier, reste peu visible des profanes. En effet, dès que l’illusiondu consensus est dissipée, commence alors l’exclusion. Comme tous les autres citoyens, lesscientiìques sont, en effet, souvent motivés par de fortes et de solides croyances et convictions(Montpetit 2011). Ils n’auraient même pas vraiment à cœur l’intérêt général de la société quand ilssont engagés dans un projet scientiìque (Winner 1980). Il n’est pas inutile de rappeler que les objec-tifs de la recherche, la conception de modèles et parfois même les méthodes d’analyse peuvent êtreinðuencées par les intentions et croyances personnelles des scientiìques. Par la confusion souventinduite entre la science et ses applications, elles peuvent perturber fortement et durablement l’analysescientiìque et la prise en compte des règles, protocoles et orientations de la recherche attendue parla société.

ConclusionNous avons vu que la question de nourrir la planète ne saurait se réduire à des quantités de calories dispo-niblesmaismobilise de nombreux aspects socioculturels, politiques dont la souveraineté alimentaire.Dessolutions techniques pour résoudre des problèmes peuvent être proposées par des scientiìques et lesentreprises guidées par le besoin d’innover (Morozov 2013) et se révéler être des trompe-l’œil. La tech-nologie ne peut pas à elle seule résoudre le problème de l’approvisionnement alimentaire. L’innovation etles OGM peuvent contribuer à une solution globale, mais nécessitent la prise en compte de nombreuxautres domaines techniques et sanitaires, sans compter les aspects socio-économiques et culturels, avecou sans OGM. Comme l’a rappelé le rapporteur spécial de l’ONU le droit des consommateurs à choisirleur alimentation est un droit fondamental à respecter, même s’il nécessite un étiquetage approprié. Lacoexistence entre des schémas de production agricole doit donc être préservée ou développée,indépendamment des pressions des partisans d’une solutionparticulière et tout verrou technologique évité.Annoncer que les biotechnologies résoudront la question de la faim dans lemonde ne peut constituer uneraison pour réduire les exigences autour de leurmise enœuvre, au contraire au vu de lamultiplication destechniques et des acteurs capables de les mettre en œuvre. La diversité des solutions agricoles est seulesource de résilience dans unmonde soumis au changement climatique.

L’adoption d’une technologie est loin d’être neutre, en interne mais aussi au sens géopolitique. Un paysqui promeut les OGM, comme les USA, peut s’avérer bien plus circonspect quand les OGM ne sont pasproduits dans ses propres entreprises et entrer en compétition avec ses productions et ses exportations(GAO 2001, 2008). La politique et les intérêts ìnanciers ne sont jamais bien loin quand l’emploi, lesbénéìces et ìnalement le « leadership » du pays peut être en jeu. Plus généralement, les pays exportateurs(souvent appelés « greniers à blé » ou « greniers dumonde ») aux fermes de tailles importantes fortementsubventionnées mettent en place des stratégies de domination en soutien aux OGM qui ne constituentqu’une part de stratégies néolibérales et non de recherche de solution à la faim dans le monde. Selon desinformations rendues publiques auxUSApar les opposants auxOGM, leDépartement d’État utilise, sanssurprise, ses compétences relationnelles au proìt des entreprises de biotechnologies et d’autres secteursindustriels considérés comme stratégiques. Cette propension des administrations nationales à soutenirleurs industries exportatrices se retrouve à des degrés divers dans toutes les nations qu’elles soient déve-loppées ou non. L’argumentaire de soutien et sa déclinaison variant selon les produits et les contextespolitiques.Inversement, les pays arguent d’arguments techniques variés pour exclure des produits agri-coles, par exemple au nomd’effets délétères supposés sur la santé quand leur agriculture apparaît souffrird’importations.C’est ce qu’onpeut observer actuellement enChine et enRussie qui « refusent » lesOGM,du moins certains, pour des raisons géopolitiques. Le commerce est bien une arme politique et les tarifsdouaniers, les prix ainsi que les obstacles techniques en sont d’autres.

Il existe des solutions alternatives au système d’agriculture intensive actuel qui dépend fortement desintrants et des subventions. L’agroécologie, avec son objectif de durabilité qui vise à diminuer les engrais,est un important thème de recherche qui devrait mobiliser la communauté scientiìque bien plus qu’ellene le fait actuellement (Tirado et al. 2010 ; Birch et al. 2011). Par de nombreux aspects, l’agroécologiesemble plus adaptée aux petites fermes des pays en voie de développement dont la meilleure résilience,

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en particulier au changement climatique, est reconnue, si un verrou technologique (tel que l’absence desemences non OGM) n’est pas établi (Vanloquen & Baret 2009 ; Tirado & Johnston 2010 ; Sietz 2014).Cela ne veut pas dire pour autant que les modèles agroécologiques sont technophobes : connaissances ettechnologies appropriées en sont au contraire les intrants majeurs. En réponse aux demandes croissantesdes populations d’un environnement et d’une alimentation sains et plus naturels, les préoccupationsconcernant la préservation de la biodiversité et les services écosystémiques sont de plus en plus à lamodecertes, mais des questions de recherche de haut niveau et à long terme aussi.

Comme l’ont souligné, en 2014, les présidents des trois organismes d’aide desNationsUnies, l’insécuritéalimentaire et lamalnutrition sont des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus par un seul secteurou un acteur isolé. Ils doivent être traités de façon coordonnée. Si lesOGMsont une solution, ils n’en sontque partiellement une. n

Nota : la bibliographie de cet article ne reprendrait qu’une partie de la bibliographie du chapitre dont il estinspiré (cf. références données en début de l’article). Elle est néanmoins trop longue pour être listée ici etpeut être demandée à l’auteur.

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Le déþ climatique,nouvelle donne pour l’agriculture

François Papy

Directeur de recherche honoraire à l’InraMembre de l’Académie d’Agriculture

[email protected]

Face au déì climatique, l’agriculture, comme toute autre activité humaine, va devoir s’adapter àl’évolution rapide des conditions atmosphériques et à la nécessité de réduire ses émissions de gaz àeffet de serre (EGES). Cependant, plus que toute autre, elle est sensible à ces conditions et, par laphotosynthèse, peut compenser partiellement ses propres émissions en ìxant du carbone (C).S’adapter, atténuer, voilà pour l’agriculture deux nouveaux objectifs qui s’ajoutent à celui permanentde nourrir une population toujours en croissance1. Ces trois objectifs constituent ensemble, une donneradicalement nouvelle.

À dire vrai, la communauté internationale n’a pris conscience de ce déì que très progressivement. En1990, à la suite du premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(Giec), créé deux ans plus tôt, et de la convention cadre des Nations-Unies au sommet de Rio en 1992,dans les premières conférences des parties (Cop), seule faisait débat l’atténuation des EGES. Et, dansce débat, il n’était alors guère question d’agriculture dont on connaissait trèsmal les émissions gazeusesautres que le gaz carbonique (CO2), constituées essentiellement de méthane (CH4) et de protoxyded’azote (N2O) ; émissions diffuses et difìciles à mesurer. Les négociations se concentraient alors surles émissions deCO2en forte augmentation depuis le début de l’ère industrielle. Ce n’est qu’à partir desannées 2000, à travers la question de l’adaptation poussée par les pays en développement (PED) et grâceaux travaux du groupe 2 duGiec sur les impacts du changement climatique, que les questions agricolesfont une timide entrée dans les négociations internationales. Les PED demandent alors une aide ìnan-cière pour s’adapter au changement climatique et pour l’atténuer. Il est admismaintenant qu’il est urgentd’aborder ensemble ces deux questions de l’atténuation et de l’adaptation, relevant de processus dis-tincts, l’un jouant sur les causes du changement climatique, l’autre résultant de ses conséquences. Il esturgent aussi, après la Cop 21, de donner toute sa place à la question agricole dans les négociationsinternationales parce que c’est une activité vitale pour l’alimentation, très sensible au climat, particu-lièrement dans les pays du Sud et qu’elle produit des émissions qui lui sont spéciìques, provenantmoinsde l’extraction d’énergies fossiles que de processus biologiques.

1. Certains modèles relient évolution du climat et ressources alimentaires. Rosenzweig C et al., 2013.The Agricultural Model Intercomparaison and Improvement Project (AgMIP) : Protocols and pilots studies, Agriculture andForest Meteorology, 170, 166-182.

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L’adaptation de l’agriculture, une affaire locale chargée d’incertitudePartout dans le monde le dérèglement climatique commence déjà à soumettre l’agriculture à de nou-velles conditions : élévation globale de la température, répartition différente des pluies et des séche-resses, accentuation des phénomènes catastrophiques, avec toutes les conséquences que cesévénements vont avoir sur les bioagresseurs. Grâce à des modèles climatiques il est possible d’explo-rer différents scénarios de l’évolution du climat. Les modèles globaux s’accordent tous sur unréchauffement moyen de la planète et des tendances générales. Aux échelles continentales il estpossible de prévoir, par exemple, que l’augmentation de température sera moindre à l’équateurqu’aux pôles ou, de façon plus précise, que les précipitations vont diminuer au Sud de l’Europe etaugmenter au Nord.

Combinés à des modèles de culture, ces modèles climatiques nous renseignent sur les évolutionsprobables des rendements des cultures et de leur répartition2. S’il est vrai que pour certaines culturescomme la betterave dans le nord des régions tempérées, l’accroissement de la teneur en CO2 del’atmosphère laisse prévoir une augmentation de rendement, dans la plupart des cas c’est à desbaisses de rendement qu’il faut s’attendre même si les prévisions sont difìciles du fait de processuscontradictoires. Ainsi une température élevée, nocturne en particulier, diminue la photosynthèse,particulièrement pour les plantes dites « en C3 » (blé, riz, cotonnier, arachide, soja...) mais l’augmentepour les plantes « en C4 » (maïs, sorgho, canne à sucre...). Cependant une augmentation de CO2 del’atmosphère favorise les plantes « en C3 ». Ce sont néanmoins les stress hydrique et azoté, qui ontplus d’effet sur les rendements que les ðuctuations de température de rayonnement ou de concentra-tion en CO2

3et qui font craindre un abaissement global des rendements. À l’échelle mondiale on peutprévoir une disparition de toute possibilité de culture dans les zones déjà très chaudes et sans res-source en eau (Sahel, Nord -Est du Brésil, une partie de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient) et,peut-être, une extension des zones cultivées dans les régions nordiques. En France, le blé pourraitcéder de la place au maïs dans le nord du pays s’il est possible d’irriguer, ou au sorgho plus résistantà la sécheresse. De même le tournesol pourrait gagner du terrain sur le colza.

Cependant si la température est la donnée climatique dont on sait le mieux prévoir l’évolution à longterme, le régime pluviométrique, le vent, l’ensoleillement sont plus beaucoup moins bien connus età l’échelle locale, les modèles font état d’une grande incertitude. Double incertitude au demeurant :l’une sur la tendance de l’évolution, l’autre sur les ðuctuations interannuelles du climat dont les cli-matologues assurent qu’elles devraient augmenter. Les plus grandes incertitudes portent d’ailleurssur les régions tropicales et équatoriales4.

L’adaptation de l’agriculture va donc devoir se faire localement en situation incertaine et, nous allonsle voir, ne pas relever que des seuls agriculteurs. Ce sont les relations entre agriculteurs et autresacteurs des ìlières et des territoires qui sont en jeu.

Restons en France pour l’instant. La spécialisation des exploitations agricoles qui a débuté dès lesannées 1960 par une dissociation de la culture et de l’élevage et une simpliìcation des rotations s’estprogressivement généralisée au niveau régional par une organisation en ìlières. Le libre-échange,généralisé aux produits agricoles en 1994 au moment de la création de l’Organisation mondiale ducommerce, faisant jouer les avantages comparatifs, a stabilisé cette spécialisation régionale. Or, cettespécialisation devient un inconvénient face à une plus forte variabilité climatique interannuelle queles contrats d’assurance ne sufìront pas à couvrir. C’est pourquoi des travaux ont été entrepris sur ladiversiìcation des cultures dans les exploitations agricoles. Ils font état de verrous à cette

2. Gallais A., Neveu A., 2015 ; Changement climatique et production agricole, http://www.academie-agriculture.fr/publications/groupes-de-reðexion/climat et agriculture3. Gérardeaux E. et al., 2015. Les relations entre systèmes de culture annuels tropicaux et changement climatique. InChangement climatique et agricultures du monde, Torquebiau E. (éd. scient.), éditions Quae, pp 107-120.4. Gérardeaux E., et al., 2015 op cité.

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diversiìcation au niveau de l’ensemble du système agro-industriel régional dominant5, système quirenforce les avantages compétitifs et donc la spécialisation. La Bretagne et les Pays de Loire quiconcentrent en France la moitié des élevages hors-sol, le bassin parisien spécialisé dans les céréalesen sont de bons exemples. C’est donc au niveau des régions que, pour étaler les risques climatiques,des politiques doivent favoriser toutes les initiatives d’innovation collective de diversiìcation desìlières végétales et animales.

C’est encore à l’échelle régionale que devra être discutée la répartition de la ressource en eau entreles différentes activités dans un contexte climatique de plus en plus difìcile6. En agriculture uneéconomie d’eau peut être obtenue par des couverts végétaux permanents : morts, ils réduisent leruissellement et l’érosion, favorisent l’inìltration et le stockage de l’eau ; vivants, en plus, par latranspiration, ils refroidissent l’atmosphère. Des aménagements arborés accentuent encore ces effets.

Depuis le milieu du siècle dernier s’est mis en place en France un système centralisé d’améliorationdes plantes. Il faut entendre par là que les étapes de la sélection et de la création de variétés sontconduites par une même entreprise de sélection, publique ou privée. Au début, prise en main parl’Institut national de la recherche agronomique (Inra), l’amélioration variétale est passée progressi-vement au secteur privé à partir des années 1980. À cette sélection centralisée est associé un systèmede contrôle de la production de semences constitué d’un catalogue ofìciel des variétés, d’un orga-nisme d’inscription au catalogue, d’un autre certiìant les semences et enìn d’un dernier contrôlantproduction et commercialisation7. Sans doute ce système a-t-il fait ses preuves pour améliorer lesrendements, mais n’est-il pas aussi responsable du nombre restreint d’espèces cultivées ayant étéaméliorées ? Ne faut-il pas l’assouplir dès lors qu’il faudrait reprendre la sélection de plantes jusqu’àprésent laissées de côté comme les légumineuses à graines ou fourragères, ou entreprendre la sélec-tion de plantes orphelines (seigle, avoine, sarrasin...) ? Ne faudra-t-il pas faire une plus grande placeaux agriculteurs au cours des étapes de la sélection dès lors que les conditions locales d’adaptationseront plus aléatoires ?Alors que la sélection participative est bien développée dans les PED, on peutse demander si l’adaptation au changement climatique et la diversiìcation des modes de culture quilui est liée ne justiìerait pas qu’une place lui soit faite dans le système de sélection. Les quelquesexpériences de démarche participative de création de variété8 montrent que les règles d’inscriptionau catalogue constituent un verrou.

Dès lors qu’il faut concevoir de nouveaux systèmes de culture et d’aménagements des terrains et denouvelles orientations de sélection au plus près des réalités locales. Le rapport des recherches agro-nomiques à l’action est contraint d’évoluer. Il conviendra d’associer savoir pratique et savoir scien-tiìque pour afìner, localement, l’application de connaissances scientiìques. Des démarches derecherche participative, à peine en germe aujourd’hui, vont devoir se généraliser.

A priori l’adaptation relève de l’intérêt particulier de chacun. Mais nous pouvons retenir des proposprécédents que les verrous aux innovations sont si forts qu’ils ne peuvent être surmontés que collec-tivement par l’association de tous ceux qui, conscients de la nécessité de s’adapter, s’engagent à lefaire en commun.

Enìn soulignons que si l’adaptation est d’abord une affaire locale, une solidarité entre régions devientbien nécessaire pour atténuer, des unes aux autres, la différence des impacts du changement clima-tique. C’est particulièrement vrai, à l’échelle mondiale entre le Nord et le Sud. C’est d’ailleurs

5. Meynard J-M., Messean A. (coord.), 2015. La diversiþcation des cultures ; lever les obstacles agronomiqueset économiques. Éditions Quae, 103 p.6. Perrier A., Brunet Y, Climat et eau : des orientations possibles pour les territoires. http://www.academie-agriculture.fr/publications/groupes-de-reðexion/climat et agriculture7. Gallais A., 2015. Comprendre l’amélioration des plantes, éditions Quae.8. Desclaux D.et al. 2009. Pluralité des agricultures biologiques : enjeux pour la construction des marchés, le choix desvariétés et les schémas d’amélioration des plantes. Innovations agronomiques, 4, 297-306.

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l’argument que les PED, les plus exposés et les plus peuplés ont fait valoir pour ne pas être soumis,au moins au début, à des obligations de réduction des EGES et d’obtenir des pays les plus riches etles plus responsables le principe de fonds leur permettant de s’adapter. Des fonds qui, même après laCop 21, restent encore incertains.

L’atténuation par l’agriculture, une affaire mondiale de constructiond’un bien communLes EGES sont locales. Dans le cas de l’agriculture, elles sont même réparties de façon diffuse surtout le territoire agricole. Mais l’atmosphère est unique, indivisible ; elle ne connaît pas de frontière.Commune à l’ensemble des continents, sa composition, qui détermine la régulation de l’effet de serre,doit être considérée comme un bien commun de l’humanité à construire. C’est un des mérites de laCop 21 que de l’avoir admis.Ainsi chaque agriculteur ou chaque pays qui diminue ses émissions agitpour le bien de tous.Mais, bien sûr, l’on ne peut attendre de ceux qui émettent peu de diminuer autantque ceux qui émettent beaucoup, d’autant que les premiers sont généralement pauvres et que le peuqu’ils émettent correspond à des besoins fondamentaux. L’atténuation ne peut se concevoir indépen-damment d’une mobilisation contre la pauvreté9 ; tout spécialement l’atténuation par l’agriculturequi pourvoie aux besoins vitaux alimentaires.

Si l’on met à part les émissions de CO2 résultant de l’usage d’énergies fossiles, les autres GES émispar l’agriculture lui sont spéciìques. Il s’agit principalement du protoxyde d’azoteN2O et duméthane,CH4. Tous deux ont un fort potentiel de réchauffement global en équivalent de CO2 (noté CO2é) ;calculé sur 100 ans il est de 310 CO2é pour le N2O et 21 CO2é pour le CH4 selon les calculs du Giecen 1995. Ces émissions, diffuses, sont très variables dans l’espace selon les milieux et les pratiquesde culture et d’élevage. Elles sont très difìciles à mesurer car de très faible intensité par unité desurface. Aussi beaucoup de publications font-elles état d’estimations à partir de modèles.

À l’échelle mondiale, d’après la FAO, en 2011, les EGES de l’agriculture représentaient 24 % desémissions mondiales calculées en CO2é. Elles ont presque doublé au cours des 50 dernières annéeset ne cessent d’augmenter. Le CH4 est le gaz le plus représenté (49% dont 39% sont dus aux fermen-tations entériques des ruminants et 10 % aux rizières), tandis que le N2O issu des fertilisants azotésreprésentent 13 % du total. L’usage des engrais azotés de synthèse, fabriqués par ìxation de l’azoteatmosphérique, a tellement augmenté depuis 1950, et de façon tout à fait déséquilibrée entre les paysdéveloppés du Nord et ceux de l’hémisphère Sud que, dès les années 1970, cette ìxation a dépasséles capacités de l’ensemble des écosystèmes à dénitriìer sufìsamment pour réémettre dans l’atmos-phère la même quantité de N2 que celle ìxée

10. Un rééquilibrage de cette fertilisation entre les deuxhémisphères en accroîtrait l’efìcacité productive et environnementale11.

En France, d’après le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique(Citepa), alors qu’elle ne représente que 2% du PIB, l’agriculture émet 20% des émissions totales(directes et indirectes) du pays, calculées en CO2é. Le rapport entre les deux principaux gaz n’est pasle même qu’à l’échelle mondiale. Lamoitié est due à N2O et 40% àCH4, le reste étant dû à la consom-mation d’énergie fossile par les moteurs, le chauffage des bâtiments et la fabrication des intrants, desengrais azotés notamment.

Les EGES dus à l’agriculture montrent l’urgence qu’il y a à conìer à l’agriculture une part importantedans leur atténuation qu’elle peut d’ailleurs en partie assumer par sa capacité à ìxer du carbone grâce

9. Mathy S., 2015. Pour une fenêtre de ìnancement pauvreté-adaptation-atténuation dans le fonds vert climat. Natures,Sciences, Sociétés, 23, supplément, S29-S40.10. Galloway J.N., Cowling E.B., 2002. Reactive Nitrogen and the World : 200 Years . of Change. Ambio, 31, 64-71.11. Papy F., 2009. Augmenter les rendements ? Oui, mais où et comment ? Séance de l’Académie d’Agriculture du 4/02/09.C. R. de l’Acad. Agric. France, Vol 95, n°1, 61-63 et sur le site (http://academie-agriculture.fr/seances/2009)

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à la photosynthèse. Pourtant, depuis 1992, très peu de mesures ont été entreprises en ce sens.L’agriculture n’est véritablement entrée dans les négociations qu’à partir de la Cop 17 de Durban en2011.

Au préalable, la Cop de Copenhague, en 2009, avait entériné l’échec du cadrage économique néoli-béral des années 1990. À côté d’unmarchémondial des produits, promu par l’Organisationmondialedu commerce, où la concurrence incite à baisser les coûts de production au maximum en minimisantles contraintes environnementales et sociales, les négociations climatiques comptaient créer un mar-ché des émissions de C pour tout régler. Il n’en a rien été12. Les émissions ne sont pas des produitsqui s’échangent et se vendent, parce qu’elles sont strictement liées aux façons de produire. De plus,elles ne présentent pas le même inconvénient selon l’activité qui les émet. On ne peut, en effet,admettre qu’une émission permettant la survie d’une population affamée ait la même valeur qu’uneémission de luxe. Ce n’est donc pas au marché à en ìxer le prix. Par ailleurs, à Copenhague un effortglobal d’atténuation devait être réparti entre pays. Or beaucoup de pays ont refusé de le faire ; parmieux, les pays du Sud, qui s’estimaient moins responsables de l’augmentation des EGES.

Des leçons de Copenhague a émergé une nouvelle démarche de négociation. Elle vise à construireune conìance mutuelle entre pays qui prennent des engagements d’atténuation et mettent en débatles problèmes qu’ils rencontrent. Pour la conférence de Paris c’est le niveau national qui a été à labase d’engagements pour établir une politique climatique et aucun pays ne devrait être exonéré deses responsabilités13. À supposer que la somme des engagements puisse limiter la hausse moyennede température mondiale à +2°C (ce qui n’est pas le cas après la Cop 21), la question revient alors àexaminer comment chaque pays peut répondre aux engagements qu’il prend et faire reconnaître auxautres les efforts qu’il fait.

Répondre aux engagements d’atténuationLa question se pose pour chaque pays de tenir ses engagements au moindre coût. Examinons le casde la France. Elle s’est engagée en 2008 à réduire les émissions produites sur le territoire de 20% d’icià 2020 par rapport à 1990 et même à les diviser par quatre d’ici 2050. Après l’Angleterre, l’Irlandeet les États-Unis, elle a entrepris des études sur le potentiel d’atténuation de l’agriculture14. Et leséconomistes qui évaluent les coûts et potentiels d’atténuation disent que l’agriculture a un rôle impor-tant à jouer pour que la France atteigne, à moindre coût, ses objectifs15.

Le fait qu’en France la part la plus forte des émissions soit due à N2O met la fertilisation azotée aupremier plan des problèmes à résoudre, d’autant que sa réduction peut se faire à moindre frais etmême parfois augmenter les marges, dès lors qu’elle s’accompagne d’une réduction d’usage despesticides et, pour les céréales, de raccourcisseurs de tige, mais aussi de choix de variétés plus rus-tiques et de changement de date de semis. De plus, on amaintenant la certitude que certaines périodesde carences azotées ne sont pas toujours préjudiciables au rendement et peuvent être bénéìques àl’efìcience de l’azote16. Même si, à la ìn des années 1980, les quantités d’engrais azotés ont diminué,par mesure de sécurité, les doses appliquées sont encore souvent majorées et pourraient être réduitessans risquer de trop baisser le rendement. Pour les diminuer, il faut renoncer à viser les rendementsles plus élevés qu’il n’est possible d’obtenir que les bonnes années, recycler l’azote en valorisant au

12. Dahan A., Aykut S., 2014. L’Europe face au changement climatique. Fondation de l’Ecologie politique 36 p.13. Damian M. et al.,2015. Les grandes orientations des accords climatiques de Paris 2015. Natures, Sciences, Sociétés, 23supplément, S19-S8.14. Pellerin S. et al., 2015. Agriculture et gaz à effet de serre. Éditions Quae.15. Jayet P. A., et al., 2015. Les enjeux économiques. Pour la science n° spécial l'adaptation au changement climatique, 38-41.16. Jeuffroy M. H. et Bouchard C., 1999. Intensity and duration of nitrogen deìciency on wheat grain number Crop. Sci, 261,1385-1393.

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mieux les produits organiques (efðuents d’élevage et autres déchets) et tenir compte de la teneur enazote de ces produits dans le calcul de la dose, sachant que le pilotage de la nutrition azotée devientalors délicat. Il est vrai que la recherche d’un taux élevé de protéines dans les céréales est utiliséepour justiìer une fertilisation abondante. Demandé par les techniques modernes de paniìcation, cetaux devrait pouvoir être discutée avec les ìlières aval ; apprécié pour sa valeur alimentaire à l’expor-tation vers les pays du Maghreb, il pourrait être avantageusement remplacé par la culture d’espècesprotéagineuses. Il est, en effet, plus pertinent de produire des protéines avec des légumineuses qu’enforçant la fertilisation des céréales. Cet exemple de la fertilisation azotée montre combien il devienturgent de mobiliser les différents acteurs des ìlières de production pour déìnir une politiqued’ensemble.

L’intérêt de recycler l’azote dans les cultures nous conduit à souligner un mode de gestion des déjec-tions animales particulièrement efìcace dans la lutte contre le changement climatique : la méthanisa-tion à la ferme17. Stockées longtemps entre période de production et d’épandage, les déjections sontsource d’émission de CH4 (dans le lisier qui évolue en conditions anaérobie) et de N2O (dans lefumier). La méthanisation consiste à envoyer, sitôt qu’elles sont produites, les déjections dans desréacteurs de digestion anaérobie qui favorise la production de CH4. En captant ainsi du biogaz, on éviteson émission dans l’atmosphère ; l’énergie de ce gaz se substitue à la combustion de C fossile, tandisque le CO2 dégagé par la combustion, entrant dans un cycle court de C, est réorganisé par la photosyn-thèse. Le digestat récupéré a une bonne valeur de fertilisation en N. Encore faut-il que les terres deculture ne soient pas trop éloignées des méthaniseurs. C’est pourquoi la récupération du CH4 ne peut,en aucun cas, justiìer les économies d’échelle résultant des fortes concentrations d’élevage.

Introduire davantage de légumineuses à graines dans la rotation et de légumineuses fourragères dansles prairies constitue une bonne façon de réduire les EGES. Inutile alors de recourir aux énergiesfossiles pour ìxer l’azote de l’air grâce à la ìxation symbiotique qui – on vient récemment de lemontrer – n’émet pas de N2O

18.

Grâce à la photosynthèse, le bilan des EGES peut être amélioré par stockage de C dans les sols,jusqu’à atteindre un taux plafond dû à la minéralisation progressive de ce stock. Les techniquesculturales sans labour qui présentent l’intérêt d’accroître la durée de ce stockage tout en diminuantla consommation de carburant ont généralement un bilan de GES positif, encore que, sans plante decouverture, cet intérêt ait été revu à la baisse par rapport aux estimations des années 199019. Lesprairies aussi stockent du C. Mais compte tenu des émissions de CH4 liées aux fermentations enté-riques des ruminants et à la gestion des déjections de tous les animaux, de N2O liées aux fertilisantsazotés (minéraux et organiques) et de CO2 liées à la consommation de carburant, le bilan ìnal est trèsvariable selon le type de prairie et les pratiques appliquées. Il est, cependant, le plus souvent,positif.

Enìn, l’introduction d’espèces pérennes dans les aménagements paysagers : arbres plantés à faibledensité dans les parcelles agricoles (agroforesterie) ou en haies arborées ou en bandes enherbées debordure de parcelle et le long des cours d’eau ou en inter-rang des plantations fruitières, constituentindéniablement une autre manière de stocker du C. L’on ne sait pas bien chiffrer le potentiel d’atté-nuation de ces pratiques tant les données disponibles sont rares et fragmentaires. Cependant l’exper-tise française, pourtant précautionneuse sur les valeurs unitaires d’atténuation et les surfaces surlesquelles l’agroforesterie et les haies pourraient être étendues, met ces actions de réduction des GESen tête de toutes celles expertisées.

17. Dessus B., 2008. Le méthane d’origine agricole, cible à privilégier dans la lutte contre le changement climatique. LaRevue Durable, 29.18. Jeuffroy M.-H., Beranger E., Carrouée B., de Chazelles E., Gosme M., Hénault C., Schneider A. and Cellier P., 2012.Nitrous oxide emissions from crop rotations including wheat, rapeseed and dry pea, Biogeosciences Discussions, 9, 1-26,doi : 10.5194/bgd-9-1-2012.19. Gérardeaux E. et al. 2015 op. cité

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Ainsi les aménagements arborés et les bandes enherbées, les couverts végétaux permanents, le nonlabour apportent localement une compensation aux EGES des parcelles voisines ce qui est préférableà la politique actuelle, non remise en cause par la Cop 21, qui fait porter sur le Sud la compensationdes excès d’émission duNord. Unmeilleur équilibrage régional à l’échelle de la planète des échangesgazeux entre espace cultivé et atmosphère doit être recherché pour permettre aux pays du Sudd’émettre des GES aìn de nourrir les populations20.

Ces différentes pratiques d’atténuation des EGES et de ìxation du carbone ont des coûts. Certainespeuvent être bénéìques pour l’agriculteur comme les économies en intrants azotés dans les culturesou les prairies et la culture de légumineuses. Elles permettent de réduire les charges en n’affectantpas ou peu les rendements.Aussi sont-elles prioritaires. Mais d’autres, parmi celles qui procurent lesplus fortes atténuations annuelles, sont coûteuses. C’est le cas de la méthanisation qui demande unfort investissement mais commence à rapporter sitôt l’installation terminée. Il en va différemmentdes plantations d’arbres à faible densité ou dans des haies, ou de l’installation de bandes enherbées.Ces pratiques sont souvent le fait d’agriculteurs prêts à modiìer profondément leur système de pro-duction par des pratiques qualiìées d’agroécologiques. Elles constituent des investissements dansl’atténuation du dérèglement climatique, mais en plus sont la source de co-bénéìces. Des co-béné-ìces pour l’agriculteur (création d’habitats pour une biodiversité qui peut être utile à la protection deses cultures et ainsi faire baisser ses charges de culture, protection contre l’érosion, production debois d’œuvre pour l’agroforesterie, de bois énergie pour les haies...), mais aussi pour tous (biodiver-sité notamment et qualité de l’eau). Ces pratiques de modiìcation radicale des modes de productionagricole produisent du bien commun à la fois par l’atténuation des EGES et les co-bénéìces liés.Cependant ces effets positifs sont largement différés par rapport à l’investissement comme le montrel’expérience de nombreux agriculteurs ayant suivis cette voie21. Il est donc tout à fait légitime que,dans une politique d’atténuation du dérèglement climatique, compte tenu de l’apport de ces pratiquesau bien commun des habitants, l’État prenne une part importante de l’investissement et de l’entretiendes plantations les premières années. Desmesures existent déjà dans ce sens, mais elles sont soumisesà des conditions restrictives et ne sont pas sufìsamment accompagnées de conseils. Pour lutter contrele réchauffement climatique, l’État devrait avoir une véritable politique de développement des modesde culture agroécologiques par l’investissement dans les structures paysagères dont nous venons deparler qui, outre leur rôle d’atténuation, rendent d’autres services écologiques.

Les valeurs d’EGES que nous avons données ne tiennent pas compte des produits importés ni desémissions pour leur transport de peur de voir s’ouvrir la boîte de Pandore du protectionnisme, alorsqu’ils constituent le maillon faible des dispositifs contre le changement climatique22. L’importationde soja d’Amérique latine pour les élevages européens hors-sol est le bon exemple d’un jeu perni-cieux qui apparaît comme gagnant gagnant pour les protagonistes, alors que le bien commun estperdant. En effet, sont gagnants les pays importateurs du Nord qui peuvent continuer à nourrir lebétail en afìchant des réductions de GES, gagnants aussi les pays exportateurs du Sud qui, jusqu’àprésent, n’ont pas été soumis auxmêmes exigences d’atténuation que ceux du Nord.Mais est perdantle bien commun car le soja importé provient de territoires gagnés depuis peu sur les forêts tropicaleshumides ou équatoriales, perdant encore le bien commun car ces importations à bas coût dispensentde cultiver, sur le territoire national, des légumineuses dont nous avons vu l’intérêt.

Ainsi, qu’il s’agisse des façons de produire ou de consommer, la réponse aux engagements prisdoiventmarquer des évolutions radicales. Encore faut-il les faire reconnaître sur les scènes interna-tionales comme participation à un bien commun de l’humanité.

20. Papy F. 2009. Cultivons notre planète : plus de biomasse, moins de gaz à effet de serre. Annales des Mines.Responsabilité & Environnement, N° 56, L’adaptation au changement climatique, 66-71.21. Viaux P., 2013. Systèmes intégrés, un troisième voie en grande culture. Éditions France agricole, 329 p. et exposé de B.Collard lors de la séance de l’AAF :http://www.academie-agriculture.fr/seances/les-systemes-de-cultures-economes-en-pesticides?19111422. Caramel L., 2010. Le bilan carbone des pays occidentaux sous-évalué. Le Monde 1/04/2010.

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Faire reconnaître ses efforts d’atténuationUne première exigence consiste à afìner les méthodes de mesure des EGES et à mettre au point desdispositifs de vériìcation de l’atténuation, indépendant des États. La Cop 16 qui a eu lieu en 2010 àCancun a pris des initiatives dans ce sens. Soulignons, une fois encore, combien sont plus délicatesà mesurer les émissions spéciìques à l’agriculture (CH4 et N20) que les émissions de CO2. Il est doncdifìcile de partager des procédures d’entente. En matière agricole, il ne sufìt pas de mesurer lesEGES. Il faut, pour établir des bilans, mesurer la ìxation de C dans le sol et la biomasse, ce qui esttout aussi délicat.

La transparence dans la vériìcation des engagements par un système de pression par les pairs estabsolument nécessaire dans la voie maintenant adoptée pour négocier. Nécessaire pour construire dubien commun autour de la protection du climat en l’absence de contraintes juridiques et de méca-nismes de sanction. Cette transparence exige, nous l’avons vu, de tenir compte des émissions impor-tées. Et de cesser de proclamer que la France est vertueuse sous prétexte que ses émissions produitesont diminué de 7% depuis 1990, alors que celles consommées ont augmenté de 15% ! Introduire lesimportations dans le calcul des empreintes carbone – point totalement écarté de la Cop 21 - va devenirun des points chauds de débat dans les négociations futures. C’est pourtant une bonne façon de faireentrer la question des modes de vie dans les politiques d’atténuation du changement climatique etd’adaptation à des restrictions partagées des EGES23 (il s’agit, cette fois, des consommateurs et nondes producteurs). Dans cet ordre d’idée, la question des fortes inégalités entre régimes alimentairesa fait l’objet de nombreux écrits. Par exemple, dans l’alimentation des français, fortement émettriceen moyenne de GES, il serait souhaitable de voir passer le ratio protéines animales/ protéines végé-tales de 70/30 à 50/5024.

Le tabou existant jusqu’à présent dans les négociations climatiques sur les enjeux du commerceinternational va devoir sauter. Dès lors que l’on admet que l’agriculture doit à la fois produire desbiens marchands et diminuer les atteintes au bien commun que constitue notre atmosphère, est-ilencore possible d’entériner des accords commerciaux de libre échange qui ne tiennent pas comptedes processus de production ? Des solutions devront être discutées. Économistes et responsablespolitiques pensent que des taxes aux frontières sur le coût en carbone des biens importés, servant enpartie à alimenter les fonds verts, pourraient être une piste25. Il faudrait, dès à présent, que l’Europes’y engage. Ce serait une incitation à re-diversiìer les agricultures régionales et à investir dans dessystèmes agricoles plus écologiques.

ConclusionIl est possible de concevoir des systèmes de production agricoles, spéciìques des conditions localesmais répondant à des principes généraux d’agroécologie, c’est-à-dire valorisant au mieux les capa-cités productives qu’offre la nature (eau, air, sol, biodiversité) qui soient adaptés au dérèglementclimatique et en atténue les effets. Sans que nous l’ayons développé ici, il est fort vraisemblable qu’ilssoient à même de nourrir une population encore en forte croissance, à condition toutefois que lesexigences alimentaires des pays les plus riches diminuent, que les récoltes soient mieux conservées,que cesse tout gaspillage et que l’usage d’un élément essentiel à la production de biomasse, l’azote,soit plus équitablement réparti entre le Nord et le Sud.

23. Dubois G., Ceron J-P. 2015, Consommation et modes de vie : une autre perspective sur les politiques d’atténuation duchangement climatique. Natures, Sciences, Sociétés, 23, supplément, S76-S90.24. Rémond R. Quel équilibre entre protéines animales et végétales pour une alimentation durable ? SIA 2015 (26/03/2015)25. Stiglitz J., 2015. Le déì climatique peut renforcer l’économie. Le Monde, 12-13 juillet 2015Barnier M. et Naulot J-M, 2015, L’Europe doit mettre en place une taxe carbone. Le Monde, 14 août 2015.

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Mais, pour mettre en œuvre ces systèmes, il faut des volontés politiques ; incontestablementrégionales pour l’adaptation de l’agriculture qui, plus que beaucoup d’autres activités, est dépen-dante des conditions locales ; mondiales pour ce qui est de la régulation des GES. Il y a urgence.Alors que les émissions de ces gaz ne cessent d’augmenter, si l’accord de Paris du 12 décembre2015 a réussi à faire reconnaître à 195 États que la crise climatique soulève une question de biencommun universel, s’il n’a pas hésité à ìxer des objectifs ambitieux à long terme, force est deconstater que peu d’engagements à court terme ont été pris et que la question alimentaire a étéévacuée. Elle est pourtant au cœur des nouvelles relations à concevoir entre les différentes agri-cultures du monde pour faire face au déì climatique. n

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Expansion des innovations par retrait :éléments de caractérisation et de réÿexion

Frédéric GouletCIRAD, UMR [email protected]

Dominique VinckUniversité de Lausanne, LADHUL-Laboratoire de cultures et humanités [email protected]

L’étude sociologique des innovations propose des modèles génériques d’analyse rendant compte dela façon dont les inventions voient le jour et s’inscrivent dans la société. Le modèle diffusionniste,par exemple, rend compte des mécanismes de diffusion des nouveautés au sein d’une populationd’adoptants (Rogers, 1962). Le modèle de la traduction (Akrich, Callon et al., 1988), de son côté,invite à décrire les déplacements et transformations qui permettent aux réseaux sociotechniques des’étendre ; il s’agit alors de considérer les innovations comme des réagencements de relations entreentités de toutes sortes (acteurs, objets, institutions, normes), redéìnies chemin faisant. Ces transfor-mations, et notamment le sens que les acteurs sociaux leur confèrent, constituent des supports privi-légiés d’observation desmutations des sociétés (Vinck 2012). Elles fournissent ainsi des informationsanthropologiques précieuses sur les façons dont ces sociétés se transforment et pensent ces transfor-mations ou leur conduite.

Parmi les multiples formes de processus d’innovation qui affectent les technologies, les marchés,l’alimentation, l’environnement et les relations à autrui, certaines sont associées non pas à l’intro-duction d’une nouveauté mais au retrait ou à la suppression d’un élément préexistant. Ce retrait estau cœur d’une série de transformations. Elles sont utiles à comprendre pour l’analyse des innovationselles-mêmes, mais aussi pour ce qu’elles donnent à voir des trajectoires de changement de nos socié-tés. Dans cet article, nous discuterons de quelques propriétés de certaines innovations que avonsqualiìées d’innovations par retrait (Goulet & Vinck, 2012). Nous examinerons leurs formes, ainsique les logiques ou valeurs animant les acteurs qui les portent. Nous mettrons au jour quelques pistesde réðexion liées à cette manière de penser l’innovation autrement que comme l’insertion d’unenouveauté au sein de la société.

Que sont les innovations par retrait ? Caractéristiques et exemplesLes réagencements constitutifs des processus d’innovation sont généralement pensés comme consé-quences de l’introduction d’une nouveauté (produit, procédé) dans un univers sociotechnique pré-existant, venant s’ajouter aux objets en place ou remplacer certains autres. Les études des processusd’innovation ont analysé la façon dont l’introduction de nouveautés vient déplacer des entités

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préexistantes, parfois amenées à disparaître parce que leur utilité et leur légitimité se trouvent érodéesou requaliìées du fait de la nouveauté introduite. Les cabines téléphoniques disparaissent avec lapopularisation du téléphone mobile, la photographie argentique se retrouve cantonnée à des publicsinitiés depuis l’essor de la photographie numérique. Le retrait comme conséquence de l’introductiond’une nouveauté est un phénomène presque banal.

Or, dans les dynamiques d’innovation contemporaines, une tendance s’est fait jour consistant à imposerle retrait de quelque chose comme l’objectif même des transformations impulsées, et non comme unphénomène collatéral de l’introduction d’une nouveauté. Dans le secteur alimentaire, par exemple, lesemballages et étiquetage attirent l’attention des consommateurs sur le fait que certains produits sontélaborés « sans additif », « sans colorant », « sans conservateur », « sans pesticide », « sans OGM »,voire sans ajouts de sucre, d’additifs, etc. Dans le secteur des cosmétiques, les produits « sans paraben »empruntent lamême logique. Dans la distribution alimentaire, les circuits courts, « sans intermédiaire »,connaissent un essor considérable. Dans tous ces cas, l’innovation, le changement ou la nouveautés’organisent spéciìquement autour du retrait, de la réduction ou de lamise au ban de certains éléments.Ce qui fait la nouveauté, ce qui est innovant, qui conduit à la modiìcation des agencements sociotech-niques, est donc le fait même de faire « sans », ou de faire « avec moins ».

Le retrait devient alors l’attribut de différenciation de ces produits, de la déìnition de leurs qualitésau sein demarchés concurrentiels. Il est structurant des stratégies des concepteurs et des producteurs,mais aussi des comportements des acheteurs. Producteurs et distributeurs misent ainsi sur le fait quel’attachement du client au produit en question (Callon,Méadel et al. 2002) passera par le détachementde certains attributs. Cette redéìnition de la qualité des produits par le retrait de quelque chose, peutparfois cohabiter avec une déìnition classique de l’innovation en termes d’ajout d’une nouveauté(propriété, ingrédient, etc.). Ainsi, un produit cosmétique peut à la fois être enrichi en vitamines ouquelconque substances, tout en étant explicitement distingué pour son caractère « libéré »1 de cer-taines autres, jugées nocives. La soustraction de ces éléments, la « libération » des produits et desconsommateurs de leurs effets négatifs, est un nouvel élément clé de la déìnition des qualités desproduits et des dynamiques concurrentielles. Les processus de retrait participent ainsi d’une carto-graphie du monde distinguant des entités souhaitables et d’autres indésirables.

Ce monde du « sans » ou du « moins » peut aisément faire penser à d’autres mouvements sociaux,politiques ou technologiques, avec lesquels il partage ces notions : mouvements revendiquant ladécroissance, ou réðexions sur l’innovation frugale dont les promoteurs prônent la conception enfonction de critères de simplicité, érigeant la sobriété en critère de qualité alternatif à l’ajout de fonc-tionnalités (Radjou, Prabhu et al., 2012). Nous défendons cependant l’idée que la place centrale duretrait relève d’un autre type de dynamique. L’idée n’est pas ici en effet de développer de nouveauxartefacts qui seraient fondés sur la simplicité de fabrication, d’utilisation, et la facilité d’accès pourtous ; mais bien de concevoir des dispositifs et des modes d’actions dont la propriété même est deretirer quelque chose de l’existant. Avec les innovations par retrait, nous sommes dans une logiquedifférente des exemples cités initialement. Si le développement du téléphone mobile a conduit à ladisparition des cabines téléphoniques, ce n’était cependant pas l’objectif des concepteurs. La propa-gande commerciale déployée n’en a d’ailleurs pas fait cas. Alors que dans le cas des innovationsfondées sur le retrait, l’enjeu est explicitement de se défaire, totalement ou partiellement, de certainesentités et cela devient le moteur des processus d’innovation.

Aux sources du retrait, critique et contre-critiqueL’un des moteurs, l’une des motivations principales des acteurs qui promeuvent le retrait, se trouvedans le développement d’une activité critique visant à rendre indésirables certaines entités, pratiques,

1. On utilise en effet au sens littéral, le terme « libre de » en langue espagnole ou « free » en langue anglaise pour désigner le« sans » (par exemple GMO free)

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ou certains acteurs. La construction d’une argumentation critique pose en effet la base idéelle desdémarches visant à orchestrer le retrait, l’émancipation (Boltanski, 2009), vis-à-vis de cet élément.Ce travail revient à rendre problématique (Callon, 1986) l’existence d’un acteur ou d’une entité,présent dans la conìguration sociotechnique préexistante. Il s’agit demontrer que des problèmes sontliés à son existence et que son retrait ou réduction permettra de les résoudre. Les exemples sont icinombreux : montrer le rôle d’une alimentation trop salée ou trop sucrée dans le développement del’obésité ou de maladies cardiovasculaires, l’inðuence de certaines industries sur le changementclimatique, d’une politique donnée sur les ìnances d’un État, d’une habitude quelconque qui nuiraitau bien-être d’un entourage proche, etc., aìn d’introduire l’intérêt de les réduire ou les supprimer.

Critique et risques

Les domaines de la santé et de l’environnement recèlent un très grand nombre de ces problématisa-tions et tentatives de retrait, prêtant à d’innombrables controverses que les sociologues des scienceset des techniques ont largement décrites. À chaque fois, la problématisation passe par la formulationet l’explication d’un danger, d’un risque2, auquel seraient exposés les personnes, les corps, les milieuxnaturels, que le retrait permettrait de préserver. Dans le domaine technologique, le secteur pharma-ceutique constitue probablement l’un des secteurs les plus affectés par ces logiques avec les tentativesde réduction des prescriptions médicamenteuses – enjeux de santé avec les antibiotiques, enjeuxéconomiques concernant les volumes prescrits en général –, ou de « retrait » du marché de médica-ments aux effets présumés indésirables. Les mouvements anti-vaccins (Pinto, Gulfo Diaz et al.,2013), regroupant des citoyens refusant les vaccinations obligatoires du fait de risques qui seraientsupérieurs aux bénéìces escomptés, s’inscrivent également dans cette logique. La chimie, secteurexposé à de très nombreuses mises en cause concernant ses impacts sur la santé humaine et les éco-systèmes, fait également face à des efforts récurrents de mouvements citoyens ou d’autorités derégulation pour « retirer » littéralement certaines substances de listes d’autorisations. Dans le cas del’interdiction du DDT, Maguire et Hardy (Maguire & Hardy, 2009) ont montré que l’activité de pro-blématisation des militants environnementalistes avait consisté à délégitimer cette substance selonles trois piliers qui avaient jusqu’alors fondé son usage :un pilier cognitif (produire et porter lesconnaissances démontrant son caractère nocif), un pilier normatif (délégitimer sur un plan moral etsymbolique son usage) et un pilier législatif (mobiliser les décideurs aìn d’inscrire dans les loisl’interdiction du produit).

Dans le domaine des pratiques agricoles, nous nous sommes intéressés de plus près au développe-ment des techniques de semis direct, ainsi qu’aux techniques sans labour, ou de non-labour. Nousavons montré que leurs promoteurs ont réalisé auprès des agriculteurs et autres acteurs du mondeagricole un travail de problématisation de l’acte de labourer, créant des enchaînements causauxconduisant à placer le labour à l’origine de divers risques et périls. Péril économique, tout d’abord,en montrant aux agriculteurs que le travail du sol est une opération couteuse en matériel et en carbu-rant et que sa suppression constituerait un poste substantiel d’économie dans un contexte économiqueincertain. Péril environnemental ensuite, en soulignant que le travail du sol conduirait à l’érosion dessols, alors qu’ils sont justement une ressource naturelle essentielle à préserver. Péril symboliqueenìn, en faisant du labour le symbole d’une agriculture traditionnaliste, d’une France conservatriceet passéiste, alors même que les grands pays agricoles émergents sur la scène internationale, commele Brésil et l’Argentine, sont des pays pionniers du non-labour.Ainsi, en problématisant le labour surces différents plans de risques et périls, les promoteurs du non-labour en ont fait un point de passageà éviter (Goulet & Vinck, 2012), vis-à-vis duquel les acteurs devraient se détacher à tout prix s’ilsveulent, eux et leurs sols, se maintenir dans un futur proche. Devenir non-laboureur reviendrait àentrer dans une ère de nouvelle modernité technologique, écologique et économique, en laissant decôté les vieux préceptes révolus et dégradants.

2. Sur les acteurs engagés dans ce travail, voir le travail de Torny et Chateauraynaud sur les lanceurs d’alerte(Chateauraynaud et Torny, 1999).

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Rendre visible, audible, ou encore palpable le risque, est une manière de le rendre réel et présent, etde rendre nécessaires les mesures visant à faire disparaitre les sources du risque, les racines du mal.Ainsi, dans la lutte contre le tabagisme, le risque de maladie est matérialisé sur les paquets de ciga-rettes par une photo de fumeur malade ou d’organe altéré. La même logique se retrouve dans l’accu-sation d’acteurs comme les entreprises de la grande distribution, qui seraient la cause des problèmeséconomiques des agriculteurs. Les éléments mis en avant comme arguments principaux du retraitsont multiformes, et touchent à une variété de registres économique, sanitaire, environnemental,moral, ou sentimental.

Résistance au retrait et contre-critique

Qualiìer le problème et les risques liés à une chose ou un acteur ne signiìe pas pour autant que leurretrait aille de soi ; ils sont en effet inscrits dans des conìgurations relationnelles plus ou moins sta-bilisées, faites notamment de pratiques routinières. Convaincre des agriculteurs de ne plus labourerleurs champs ou de cesser d’utiliser des pesticides se heurte à des arguments relevant de normesprofessionnelles, de risques économiques, ou de connaissances techniques indisponibles concernantles pratiques alternatives. Retirer la voiture des centres villes, parce qu’elle entraînerait pollutionsatmosphériques et sonores, nécessite la mise en place d’infrastructures spéciìques pour ìltrer l’en-trée des véhicules et de moyens de transports alternatifs et performants. Réduire la part du nucléairedans la production énergétique suppose l’élaboration de nouvelles politiques industrielles pour déve-lopper des alternatives. Le retrait est ainsi souvent rendu difìcile par l’héritage de choix technolo-giques, générant des effets de verrouillage technologique de long-terme (Cowan, 1990). La volontéde réduire le risque environnemental et sanitaire entre en effet rapidement en collision avec la miseen avant d’autres risques, par exemple sociaux, économiques et politiques liés aux pertes d’emploiset à l’impopularité des décideurs qui oseraient se désolidariser de tel secteur ou de telletechnologie.

À la critique et à la disqualiìcation d’une entité à retirer répondent d’ailleurs souvent un ensemblede contre-arguments qui mettent en doute la valeur même des arguments avancés pour qualiìer unrisque et justiìer l’émancipation vis-à-vis de la chose à retirer. Amiante, téléphonie mobile, nano-technologies (Macnaghten, Kearnes et al., 2005), ou encore OGMs (Klintman, 2002) (Bonneuil, Jolyet al., 2008), illustrent les controverses qui peuvent toucher certaines technologies, et durer parfoisplusieurs décennies avant qu’un retrait ne commence à se concrétiser. Dans certains cas, la réponseà la critique justiìant le retrait prend la forme d’une contre-critique et d’un déplacement du débatvers d’autres registres de risques. C’est le cas du nucléaire à nouveau, où un risque social de déman-tèlement d’une ìlière industrielle est mis dans la balance pour contrer un argument environnementalou sanitaire, présenté comme trop réducteur ou simplement « à charge ». La perspective d’un retraitéventuel suscite des mises en concurrence de risques et de jeux de qualiìcation/disqualiìcation. Dansle cas des pesticides en agriculture, massivement diffusés et adoptés à partir des années 1960 par lesagriculteurs des pays industrialisés, l’argument régulièrement mis en avant pour justiìer leur utilisa-tion est qu’ils auraient permis, dans de nombreuses régions du monde, d’accroitre les rendementsagricoles, de nourrir les populations et de réduire famines et insécurité alimentaire (Cornilleau &Joly, 2014). Ainsi, quand certains mouvements agricoles comme l’agriculture biologique reven-diquent des pratiques alternatives à l’usage d’intrants chimiques pour limiter les risques qui leur sontassociés, la contre-critique s’axe non pas seulement sur la relativisation de la dangerosité de cesintrants, mais sur le risque de voir resurgir des épisodes de famines. Le grand déì démographique etalimentaire mondial annoncé pour les prochaines décennies avive cette contre critique : il est ainsireproché aux agricultures prônant le retrait des pesticides de ne pas être en mesure d’assurer desniveaux de production sufìsants pour « nourrir le monde » (Goulet, 2012). Des controverses dumême genre se retrouvent dans le domaine sanitaire autour de la contestation des vaccinations obli-gatoires, opposant les risques liés à la vaccination à la menace du retour de maladies qui avaient étééradiquées grâce aux campagnes de vaccination systématique. Au souci de la gestion des risquespostindustriels relevant d’une modernité réðexive (Beck, 2001) et à la disqualiìcation des

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agencements du monde technoscientiìque, s’oppose la défense de ce dernier au nom du possibleretour de risques préindustriels. La problématique du retrait se trouve au cœur de controverses mêlanttour à tour des accusations d’irresponsabilité (compromettre la sécurité alimentaire mondiale, la santéhumaine ou les ressources naturelles), ou de connivence avec des groupes d’intérêt politique ouéconomique (industries agrochimiques, pharmaceutiques).

Ces controverses mobilisent une large palette d’acteurs - consommateurs, agriculteurs, chercheurs,experts, industriels et décideurs publics notamment -, divisés sur la question du retrait, partiel outotal, de certaines solutions techniques. La mise en débat de ces technologies largement utilisées etparfois inscrites dans des textes normatifs (c’est le cas des vaccins) crée des arènes de lutte où lesacteurs interviennent avec des ressources très différentes, inégales et changeantes. La mobilisationde quelques acteurs, même organisés en association et alliés à des acteurs du champ scientiìque, pèsea priori peu face à des agencements sociotechniques patiemment assemblés et stabilisés, constam-ment entretenus, perfectionnés et adaptés aìn de faire face à de nouveaux éléments. Certains agen-cements tiennent à des pratiques instituées, ancrées dans la loi et/ou dans des traditions anciennes, etdes acteurs a priori imposants comme l’État ou de grandes entreprises industrielles. Ces acteursagissent pour maintenir les assemblages et des agencements auxquels ils tiennent, par exemple, enorganisant des contre-mobilisations aìn d’alléger les charges pesant sur certaines substances mena-cées, comme le tabac ou les gaz à effet de serre (Oreskes & Conway, 2010), ou le sel dans l’alimen-tation (Déplaude 2014). Ils se mobilisent pour préserver leur position dominante (Agrikolianski &Collovald, 2014), associée à une pratique ou une substance controversée.

Mais le rôle de ces acteurs ne se réduit pas à la résistance au retrait. Ils prennent parfois les devants,devançant l’administration de la preuve d’un risque ou d’une disqualiìcation en anticipant un pos-sible retrait et en se préparant à se redéployer sur des solutions alternatives. L’interdiction de certainessubstances chimiques, ou les débats liés à l’usage de certaines substances – par exemple l’huile depalme dans l’industrie agroalimentaire - sont des exemples illustratifs. Si l’interdiction, le registrelégal et règlementaire constituent des ìgures privilégiées pour encadrer le retrait ou le non-usage,elles ne sont ainsi qu’une modalité parmi d’autres. Il en est ainsi par exemple des logiques de désen-gagement, quand il s’agit d’évoquer la non-action, la non-implication d’acteurs publics ou privés. Ilen est demême pour les logiques de requaliìcation de ces produits controversés, de façon à les rendremoins exposés à la critique : c’est le cas par exemple quand les industries de la même huile de palmes’engagent dans la déìnition de standards volontaires pour établir son caractère durable. Les raisonsde ne pas agir, de cesser d’agir, de se désengager, y compris d’ailleurs pour un mouvement social(Fillieule, 2005), ou alors de continuer à agir mais de façon requaliìée, sont des éléments essentielsdes processus sociotechniques, nous ramenant à l’enjeu de les documenter pour mieux les connaître,les piloter ou les anticiper.

Le retrait et ses effets : substitution, désintermédiationet rapprochementLe développement d’innovations basées sur le retrait passe donc par des épreuves de mises en cause,de disqualiìcation, voire de controverse. Tout comme le fait d’introduire une nouveauté ne va pas desoi, le retrait d’une chose en place suppose un travail de réagencement, de déplacement, de négocia-tion et de transformation. Nous avons vu que le retrait passe par un processus de problématisation etde délégitimation de l’élément à retirer, de façon à amener les acteurs à s’en émanciper. Et ce, mêmes’ils n’avaient pas conscience de son existence, comme c’est le cas pour certains composants alimen-taires. Il s’accompagne aussi d’une requaliìcation positive du changement, comme action positivesur la santé, la nature ou autrui.

Mais la question se pose bien souvent du sort fait au vide laissé par l’entité retirée au sein des réseauxsociotechniques. Ce que l’on observe en effet est que non seulement d’autres entités se trouventredéìnies, mais que de nouvelles entités (acteur, pratique, objet, substance) sont également

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introduites. Par exemple, le retrait progressif des sacs plastiques au supermarché passe par le déve-loppement des sacs en toiles, devenant parfois de véritables objets singuliers, œuvres de créateurs.Demême, la difìculté de transformer en réalité concrète le vœu de réduction des pesticides, a contri-bué récemment en France au développement d’une attention croissante pour la conception de nou-veaux intrants « propres », comme les produits de biocontrôle (Aulagnier, 2015). Ce genre d’opérationprocédant par substitution suscite d’ailleurs parfois des débats animés au sein des promoteurs duretrait, argumentant que ce dernier soit opéré dans un esprit de réagencement global, et non dans unelogique mécaniste de substitution qui maintiendrait la dépendance des opérateurs à certaines subs-tances exogènes. C’est ainsi que dans le même esprit, autour du développement du semis direct(Goulet & Vinck 2012), certains acteurs critiquent le fait que l’arrêt de la destruction mécanique desmauvaises herbes que permettait le labour favorise le recours à l’utilisation d’herbicides totaux.Maiscertains protagonistes en faveur du non-labour soulignent alors en contrepartie que le retrait du laboura aussi permis la mise en évidence et la stimulation d’une activité biologique du sol à même deprendre le relais de la charrue pour réaliser un labour « biologique ». Les agriculteurs font part du faitque cet abandon leur a permis de retrouver un contact direct avec leurs sols, avec les êtres vivants quiles peuplent, dont l’usage des outils de travail du sol les avait distancié. En agriculture biologique,on retrouve une dynamique similaire autour du retrait des pesticides qui conduirait les agriculteurs àdévelopper une connaissance rapprochée des processus biologiques, à construire des formes de col-laboration avec des agents naturels auparavant présents mais auxquels peu d’attention ou de créditétaient accordés (Barbier & Goulet, 2013).

Ainsi le retrait de certains objets techniques est vécu par les acteurs comme une désintermédiation,une occasion de rapprochement, de reconnexion avec des éléments et des processus jusqu’alorsméconnus, de l’environnement « naturel » de l’action, mais aussi avec l’environnement humain.C’est le cas notamment du développement des pratiques d’allaitement, en lieu et place de l’usage delait maternisé et autres biberons dont le retrait, dû à la présence de substances chimiques ìnalementinterdites (le bisphénol), a été positivement associé à un rapport renouvelé de la mère à son corps età celui de l’enfant et à la mobilisation de processus naturels bénéìques à la santé de ce dernier.L’usage réduit d’antibiotiques, ou dans une certaine mesure de vaccins, revalorise l’activation desdéfenses naturelles contre l’usage d’agents extérieurs jugés perturbants pour l’équilibre du corpshumain.

La désintermédiation peut aussi conduire à des rapprochements entre humains. Les circuits courts decommercialisation et de vente directe en donnent un exemple particulièrement illustratif. La motiva-tion des consommateurs s’y se trouve autant du côté du souhait de ne plus avoir à faire à des inter-médiaires ou des distributeurs jugés néfastes3 – capteurs des marges économiques dans les ìlièresagroalimentaires au détriment des producteurs et des consommateurs – que dans la valorisation ducontact direct avec les producteurs. L’iconographie témoigne de cette dimension « rapprochement »de la désintermédiation marchande, avec notamment des photographies montrant producteurs etconsommateurs s’échangeant des produits de la main à la main. Cette reconnexion entre humainsétait d’ailleurs aussi au cœur de l’imaginaire d’internet au moment de son expansion (Flichy, 2001),pensé comme un réseau où les contributions seraient libres et non plus cadrées ou canalisées par desintermédiaires. D’autres espaces sociaux se construisent aujourd’hui dans cette logique d’horizonta-lité, de collégialité et de partage entre individus. C’est le cas notamment des sciences citoyennes(Charvolin, Micoud et al., 2007), des associations de malades (Rabeharisoa & Callon, 1999), ouencore du logiciel libre avec parfois des tensions dès lors qu’il s’agit de concilier projet militant etdéveloppement économique (Demazière, Horn et al., 2013).

La désintermédiation permettrait de développer et de retrouver, en référence à un passé convoquécomme source d’inspiration et de raison, des éléments, des émotions, des savoirs mobilisés pourimaginer des modes d’organisation ou de production plus justes, plus durables ou plus authentiques.

3. Sur les capacités cependant de certains grossistes à s’être maintenus au sein des ìlières, comme celles des fruits etlégumes, voir (Michel 2014).

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Le non-usage de certaines techniques devient ainsi, comme évoqué plus haut, un signe conventionnelde qualité ; on distingue ainsi le produit « fait à la main », sans recours à des techniques qui standar-disent les biens et les gestes d’un opérateur aliéné4. Le caractère direct des procédés est valorisé :semis direct, vente directe, banque directe, ou même transmission en direct des émissions de télévi-sion, distingués eux-aussi par un signalement à l’écran, car ils seraient plus authentiques, moinssujets aux artiìces des coupes du réalisateur en studio. La photo sans retouche du magazine féminins’inscrit dans la même logique : la matière brute, non-traitée et sans ajout, plus ìdèle à la « réalité »,est considérée comme étant de qualité supérieure, plus saine d’esprit. Dans le registre spirituel, desmouvements religieux ont ainsi régulièrement prôné le contact direct avec le divin, sans l’intermé-diation d’institutions, d’acteurs religieux ou d’un savoir enfermé dans le livre (Vinck&Clivaz 2014).Le naturel ou l’activité de la nature seraient donc préférables à l’action d’intermédiaires décriés. Cefaisant, d’autres médiations sont introduites, parfois mises en scènes et valorisées (tels les vers deterre ou le sol dans l’agriculture sans labour), ou au contraire occultées (tels les herbicides dans cettemême agriculture sans labour). Il s’agit ainsi de faire travailler les auxiliaires des cultures à la placedes intermédiaires chimiques, faire travailler les défenses naturelles du corps en lieu et place duvaccin, ou encore promouvoir la contraception basée sur unemeilleure connaissance du corps humainau lieu de recourir à la pilule décriée pour ses effets secondaires. Le retrait pensé comme rapproche-ment est présenté comme un moteur d’expression de la diversité, de la créativité, alternatif auxcanaux standardisant de la production en série, des marchés cadrés par des intermédiaires bridantl’expression des individus, de la nature et de leur capacité à se rapprocher de ce qui comptevraiment.

Conclusion : le retrait pour repenser les innovations et leur analyseLes phénomènes liés au retrait sont au cœur des processus de changement et d’innovation. Ils reposentsur des dynamiques parfois complexes de délégitimation, de disqualiìcation et de dissociation, elles-mêmes controversées. Les éléments à retirer sont associés à des entités ou à des propriétés dévalori-sées ou critiques, du fait par exemple de leur relation à un risque. Le détachement ne va pas de soi ;il résulte d’un travail et d’une série d’opérations dont l’issue est incertaine. Ce détachement et leretrait qui s’ensuit tiennent aussi à la mise en visibilité et à la requaliìcation d’entités présentes, leurvalorisation et association à un nouveau rôle, et à l’introduction, discrète ou publicisée selon les cas,de nouvelles entités qui ne sont pas pour autant structurantes de ces dynamiques d’innovation.Celles-ci gravitent autour du retrait qu’il convient donc de penser aussi comme processus d’innova-tion, c’est-à-dire d’introduction d’un changement qui sera plus ou moins adopté et repris par diversacteurs.

L’expansion du retrait dans différents domaines, au niveau des discours, des labels et des pratiques,offre un éventail intéressant de situations à partir desquelles il devient possible d’apprendre et de tirerles leçons de ce type d’innovation. Leur montée en puissance ouvre une scène d’observation privilé-giée des transformations qui animent nos sociétés.Après une périodemoderniste marquée par l’intro-duction de multiples nouveautés, cette période marquée par le développement, réel, préconisé ouanticipé du retrait, apporte un lot de transformations qui ne sont pas des retours en arrière mais biende nouveaux agencements qu’il faut construire, réguler et entretenir, de nouveaux rapprochementset attachements à opérer et à évaluer. S’ouvre ici un nouveau champ d’investigation encore peu tra-vaillé alors que la réalité des retraits de vaccins, pesticides, intermédiaires commerciaux et techno-logies est déjà bien à l’œuvre.

4. Voir ici l’opposition faite par Heidegger entre techniques modernes et artisanat (Heidegger, 1958).

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Les limites de la comparaison « agricultureconventionnelle » versus « agriculturebiologique » dans la déþnition de stratégiesde sélection. Exemple des céréales à paille

Antonin Le Campion1, François-Xavier Oury2, Emmanuel Heumez3,Bernard Rolland1

1. INRA, UMR 1349 IGEPP, Domaine de la Motte, 35653 Le Rheu

2. INRA, UMR 1095 GDEC, 234 av. du Brézet, 63100 Clermont-Ferrand

3. INRA, UE GCIE, 2 Chaussée Brunehaut 80200 Estrées-Mons

Après une absence d’effort de sélection variétale spéciìque pour l’agriculture biologique sur la der-nière moitié du 20ème siècle, l’intérêt pour ce sujet s’est progressivement installé parmi les sélec-tionneurs, la variété jouant en effet un rôle clé dans le développement de systèmes de culture durables.La caractérisation d’interactions génotype × environnement × conduite est incontournable en sélec-tion variétale. Dans ce cadre, de nombreuses comparaisons des performances de génotypes en agri-cultures « conventionnelle » et en « biologique » ont été effectuées. Celles-ci ne permettent ìnalementque de comparer des résultats obtenus en AB et en conditions non-AB (Przystalski et al., 2008) or,la mise au point de schémas de sélection efìcaces et potentiellement transposables nécessite unedéìnition ìne de l’environnement de sélection.

Appliquée au cas des céréales à paille et notamment du blé tendre, espèce cible de nos travaux desélection (Rolland et al., 2006 ; Rolland et al., 2012 ; Le Campion et al., 2014), l’analyse de la biblio-graphie traitant de la comparaison entre « conventionnel » et « agriculture biologique » permettra dediscuter de la diversité des conduites de sélection existant sous ces deux termes « génériques ». Nousessaierons ainsi, à travers une lecture renouvelée des résultats de ces études, d’apporter une nouvelleréðexion pour la déìnition de méthodes de sélection mobilisables pour l’AB, en vue d’améliorer sesrendements et donc sa durabilité (Tuomisto et al. , 2012 ; Benoit et al., 2015).

Contexte : entre agricultures conventionnelle et biologiqueLes capacités productives de l’agriculture biologique (AB) et son aptitude à nourrir le monde ali-mentent de vifs et riches débats qui s’appuient notamment sur les comparaisons de ses performancesvis-à-vis de l’agriculture « conventionnelle » (Benoit et al., 2015). Ce domaine, a été quasimentorphelin de recherches jusqu’à une époque très récente, d’où la tentation, pour rattraper le tempsperdu, d’aller chercher par exemple en amélioration des plantes, des avancées dans des systèmes etitinéraires techniques économes en intrants a priori proches de l’AB. L’expression « agricultureconventionnelle » est la plus couramment employée pour qualiìer le mode de production majoritai-rement pratiqué dans une région donnée (Viaux, 1999).

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Cette appellation courante est dépourvue de contenu technique. En Europe du nord-ouest elle désigneune production dominante à fort recours aux intrants chimiques pour l’obtention de rendements éle-vés. Selon certains auteurs, cités par Pervanchon et Bouet (2002) dans le « Lexique des qualiìcatifsde l’agriculture », l’agriculture « conventionnelle » peut être aussi considérée en opposition à l’agri-culture « biologique » (Kirchmann et Thorvaldsson, 2000). D’autre part, employé par les acteurs del’agriculture biologique, l’adjectif « conventionnel » signiìe commodément « non AB ». De soncôté, le réseau agriculture durable (RAD-CIVAM) ne fait pas cette distinction, et réunit sous la mêmevocable d’« agriculture durable » les pratiques d’agriculteurs qui tentent de faire mieux avec moins,dans des exploitations à taille humaine, liées au sol, économes en intrants comme en moyens deproduction, dont l’agriculture biologique (Boifìn et al., 2013).

L’agriculture biologique en France est unmode de production qui, dans son cahier des charges, exclutle recours aux intrants chimiques de synthèse. L’engagement dans ce mode de production est validépar un organisme certiìcateur agréé. Cependant, l’IFOAM, organisation internationale de l’AB,élargit cette déìnition à l’ensemble des systèmes qui suivent les principes généraux qu’elle préco-nise : santé des organismes vivants, respect des cycles écologiques, principes d’équité et de précau-tion. Cette notion étendue permet d’intégrer largement la diversité des pratiques à travers le monde,y compris celles qui, majoritaires (Benoit et al., 2015), ne bénéìcient pas de la certiìcation ABnotamment dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Elle est considérée comme le pro-totype de l’agroécologie (CNA, 2015).

Différant en termes de recours aux intrants chimiques, plusieurs conduites, ou itinéraires techniques,sont identiìables pour la culture dite « conventionnelle » du blé tendre d’hiver, et plus largement descéréales à paille : de la conduite intensive (INT) plus ou moins raisonnée, caractérisée par un fortrecours aux pesticides et aux engrais chimiques pour l’obtention d’une production maximale parhectare, jusqu’à la conduite extensive très faiblement utilisatrice d’intrants. Dans ce continuum parmiles niveaux intermédiaires, la protection intégrée (IPM) vise à réduire l’impact et l’emploi des pes-ticides qui ne sont utilisés qu’en dernier recours et encourage le développement d’une culture saineperturbant le moins possible son agroécosystème en s’appuyant sur les mécanismes naturels decontrôle (Parlement européen, 2009). À un moindre niveau de recours aux intrants, les expressions« faibles/bas intrants » et « extensive » sont souvent utilisées pour désigner des conduites de cultureconsidérées comme équivalentes (Nemecek et al., 2011).

Pourtant, dans cet article portant sur le cas des céréales à paille, nous distinguerons la conduite « faiblesintrants » de la conduite « extensive ». Pour nous, l’itinéraire technique « faibles intrants » fait référenceà une stratégie de sélection pour laquelle les adventices sont contrôlées par l’application d’herbicides,la fertilisation azotée est réduite et l’utilisation de fongicides et de régulateurs de croissance est exclue(Loyce et al., 2008, 2012). C’est une conduite très proche de la conduite labellisée Extenso en Suisse(Schwärtzel et al., 2006). La conduite « extensive » sera considérée ici comme une conduite ayant aussitrès faiblement recours aux intrants chimiques, mais cette fois, en raison d’un faible potentiel des terrescultivées, soit du fait de facteurs limitants très forts (température et/ou pluviométrie), soit du fait decontraintes environnementales prioritaires (périmètre de captage d’eau potable).

Avec la progression des surfaces en agriculture biologique, un nombre croissant d’études s’est atta-ché à comparer les performances de ce mode de production avec celles obtenues en agriculture dite« conventionnelle » en termes de production et d’impacts environnemental, économique et social.Plusieurs tentatives de comparaison des rendements réalisés en « agriculture conventionnelle » et en« agriculture biologique » peuvent être identiìées et quelques méta-analyses tentent de tirer desconclusions générales à partir de leurs résultats (Stanhill, 1990 ; Badgley et al., 2007 ; Seufert et al.,2012 ; De Ponti et al., 2012). Ces articles ont pu susciter des critiques arguant d’insufìsances d’ordreméthodologiques (Cassman, 2007 ; Connor, 2013 ; Goulding, 2009).

Le domaine plus spéciìque de la sélection végétale n’échappe pas à cette ligne de partage simple.Mais que compare-t-on vraiment ? Cette opposition est-elle vraiment pertinente ?

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MéthodeNotre but étant d’identiìer les études comparant les performances du blé tendre d’hiver en « agricul-ture conventionnelle » et « agriculture biologique », une recherche bibliographique a été réalisée enanalysant les articles recensés dans la base de données ISI Web of Science et en parcourant les réfé-rences citées dans les articles sélectionnés, pour couvrir des publications plus anciennes et non-réfé-rencées dans la base de données. Quand ils étaient sufìsamment détaillés, les itinéraires techniquesdes agricultures « conventionnelle» et « biologique (AB) » ont été inventoriés. Seules quelquesétudes donnaient une description détaillée des pratiques culturales en AB, ainsi quand cela a étépossible, le mode de fertilisation (quantité et nature du fertilisant) a été spéciìé. Seuls les articlesmentionnant explicitement l’expression « agriculture conventionnelle » ont été retenus. À partir decette analyse de la littérature, nous avons établi une liste de 21 itinéraires techniques « convention-nels » pour la culture de céréales à paille dans le monde (tableau 1). Toutes les pratiques agricolesdécrites dans les études citées sont issues d’un dispositif expérimental qui aspire à être représentatifdes pratiques locales.

Diversité des conduites de culture « conventionnelles »des céréales à paille

Dans le monde

Aìn de caractériser de manière assez précise les conduites de cultures présentes dans notre paneld’études ayant trait au blé tendre d’hiver et comparant les performances de génotypes en mode« conventionnel » et enAB, les différents itinéraires techniques ont été rassemblés dans le tableau 1.Dans ces études, la capacité ìnancière à accéder aux différents traitements possibles ne fut pas consi-dérée comme un facteur potentiellement déterminant de l’application d’un produit ou d’amende-ments minéraux ce qui en constitue une des limites.

En lien avec la diversité des niveaux d’intensiìcation des agricultures du monde, il est très difìcilede mettre en évidence une conduite « conventionnelle » moyenne. Le recours aux fongicides, pulvé-risés sur les cultures pour les protéger des maladies cryptogamiques, est particulièrement variableselon les études, et dépendant du climat : l’utilisation de fongicides en végétation se cantonne essen-tiellement au nord-ouest de l’Europe, région dumonde où, du fait de conditions pédoclimatiques trèsfavorables, la culture des céréales à paille est la plus intensive du point de vue du recours aux intrantschimiques, pour l’obtention de rendements allant de 70 à 100 q/ha. L’utilisation d’herbicides est lapratique culturale la plus répandue.

Les quantités d’azote minéral apportées sont également très différentes d’une région du monde àl’autre : de 15 à 25 unités d’azote sur blé tendre d’hiver enAustralie (Kitchen et al., 2003) à plus de200 unités d’azote enAngleterre (Bilsborrow et al., 2013).

La diversité des conduites dites « conventionnelles », mise en évidence dans les différents dispositifsexpérimentaux considérés, se concrétise par des rendements contrastés obtenus à travers le mondepour le blé tendre (ìgure 1). En effet, le niveau d’intensiìcation des itinéraires techniques présentéscoïncide avec le potentiel de production du blé pour les différentes régions considérées. Plus cepotentiel est élevé, plus la recherche du rendement maximal est sécurisée et plus la conduite majori-taire est intensive. Dans le nord-ouest et une partie du centre de l’Europe, du Royaume-Uni auxBalkans, la conduite « conventionnelle » fait ainsi écho à un recours intensif à l’azote minéral (de100 à plus de 200 kg N/ha) et par voie de conséquence à l’utilisation de régulateurs de croissancepour prévenir la verse dont le risque s’accroit avec l’augmentation de la fertilisation azotée.L’utilisation de fongicides y est toutefois plus contrastée, en lien avec une pression des maladiesdépendante de la pluviométrie, des températures au printemps et de la fertilisation azotée.

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46 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

Tableau 1 : Itinéraires techniques extraits de 21 études comparant modes de production « conventionnel » et« agriculture biologique » pour la culture de blé tendre d’hiver. Ne ìgurent que les publications pour lesquelles lesauteurs ont précisé le niveau de recours aux intrants des conduites.

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 47

Le nord-ouest et le nord-est des États-Unis se distinguent par des itinéraires techniques ayant faible-ment recours aux engrais minéraux et se limitant à l’utilisation d’herbicides.Ayant un recours encoreplus faible à l’azote minéral, les conduites australienne du blé d’hiver et canadienne du blé de prin-temps (Reid et al., 2009, 2011 ; Kirk et al., 2012), peuvent être qualiìées d’ « extensives » du faitd’une très faible utilisation des intrants chimiques.

Une étude menée en Turquie (Gevrek et Atasoy, 2012) décrit des itinéraires techniques originaux,sans aucune mention d’’utilisation de pesticides mais de quantités relativement élevées d’azoteminéral.

Cette variabilité du niveau d’intrants en agriculture dite « conventionnelle », au sens attribué parViaux (1999), se conìrme lorsque l’on compare en Europe les indices de fréquence de traitement(IFT) calculés pour le blé tendre : cet indicateur varie de 6,75 au Royaume Uni à 4 en France pourl’année 2006 et de 5,8 en Allemagne à 2,3 au Danemark pour 2007 (Jørgensen et al., 2014). Cesrésultats conìrment en partie l’hypothèse de l’accroissement de l’intensiìcation avec le potentiel derendement, sauf pour le Danemark, pays engagé dans une politique volontariste de réduction despesticides et pour lequel, avec un IFT pratiquement divisé par deux, les rendements moyens sontéquivalents à ceux obtenus enAllemagne.

Les différences entre itinéraires techniques, et les différences de rendements afférentes, sont sigrandes d’un continent ou d’une région à l’autre, que l’on a quasiment affaire à des cultures diffé-rentes rendant difìcile voire impossible la transposition et la mutualisation des expériences.

Figure 1 : Rendements moyens de blé obtenus (en tonnes par hectare) à travers le monde pour l’année 2000 (carteréalisée par l’Institut de l’environnement, université du Minnesota, à partir de donnée renseignées par Monfredaet al., 2008). (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/10/WheatYield.png)

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48 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

En France

La diversité des agricultures réunies sous l’appellation « conventionnelle » dans le monde, appréhen-dée dans la bibliographie par l’analyse de dispositifs expérimentaux, se retrouve aussi dans les pra-tiques culturales moyennes recensées dans un pays comme la France. Le nombre de traitementsphytosanitaires pour la culture du blé tendre y varie du simple au double d’une région à l’autre (ìgure2 : enquête pratiques culturales,Agreste 2011). Les niveaux de rendements sont corrélés proportion-nellement au nombre de traitements en végétation et à la quantité d’azote minéral apportée. Cettestratégie vise à obtenir le rendement maximal dans les régions à plus fort potentiel pédoclimatiquepour le blé tendre d’hiver et conduit à une différenciation Nord/Sud des pratiques culturales..

Diversité des pratiques et des environnements en agriculturebiologiquePetit etAubry (2015) ont récemment signalé les difìcultés méthodologiques inhérentes à la comparai-son entre agriculture « conventionnelle » et agriculture biologique qui peuvent aussi s’expliquer par unmanque d’information sur les systèmes en AB. En effet, si la certiìcation de l’agriculture biologiquedonne l’assurance qu’il n’y a aucun recours à des intrants chimiques de synthèse en culture, cela n’as-sure nullement une homogénéité des pratiques culturales pour ce mode de production.

Une hypothèse est très souvent reprise dans la littérature : les interactions génotype × environnementqui étaient « lissées » par l’utilisation d’intrants chimiques en conduite intensive seraient exacerbéesenAB (Desclaux et al., 2008). Ce poids des facteurs environnementaux enAB se retrouve en sélec-tion au niveau du calcul de l’héritabilité d’un critère comme le rendement évalué sur un réseau mul-tilocal d’essai. Ainsi, en conditionsAB, l’héritabilité sur le rendement apparaît réduite par rapport à

Figure 2 : Rendements et nombre de traitements moyens en France (Source : SSP – Agreste – Enquête pratiquesculturales – grandes cultures et prairies 2011)

Davantage de traitements phytosanitaires pour les rendements élevés

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 49

celle mesurée en conduite intensive ou « faibles intrants » (Reid et al., 2009 ; Messmer et al., 2012 ;Kokare et al., 2014 ; Le Campion et al., 2014 ; Muellner et al., 2014), du fait principalement d’unevariance résiduelle plus élevée. Il est pourtant difìcile de caractériser avec exactitude les détermi-nants intervenant comme sources d’hétérogénéité des conditions de culture en AB puisque les fac-teurs limitants sont multiples. Conditions pédoclimatiques et diversité des pratiques culturalesassociées conditionnent la variabilité des résultats enAB.

L’azote disponible à la montaison est par ailleurs le principal facteur limitant du rendement chez lescéréales à paille enAB. En effet, les mesures de biomasse en sortie d’hiver au stade où l’épi mesure1cm (début de la ðambée de croissance pour la céréale d’hiver) réalisées à l’Inra de Rennes (donnéesnon publiées) montrent qu’à ce stade de pré-montaison les différences entreAB et conventionnel sonttrop faibles pour être explicatives du décrochage de rendement enAB.

Nature des fertilisantsPour près de la moitié des études considérées (tableau 1) aucun fertilisant organique n’est appliqué,ce qui est cohérent avec la diversité constatée des contextes de production des céréales à paille enABdans le monde. Par ailleurs, la nature même du fertilisant, forcément organique enAB, est prépondé-rante pour distinguer différents environnements en AB car c’est la quantité d’azote rapidement dis-ponible pour la plante qui sera déterminante pour le rendement en culture d’hiver. La disponibilitéde l’azote enAB justiìe une distinction entre les systèmes liés à un élevage (sur la ferme ou chez unvoisin), et ceux uniquement céréaliers ne dépendant pour l’azote, que des cultures de légumineusesen rotation courte. Les systèmes en polyculture-élevage assurent, par les animaux, la valorisation deslégumineuses de la rotation : elles pourront bénéìcier d’une place plus importante dans l’assolement.Cette information, peu disponible, limite fortement les comparaisons de systèmesAB pour lesquelsla fourniture d’azote peut être assurée par la rotation, l’enfouissement d’une interculture (engraisvert), ou les apports de fumier, lisier ou des intrants organiques (vinasse, farine de plumes, etc.).

Il existe aussi une différence forte entre des systèmes ayant recours à des fertilisants organiques àbase de lisier ou ìentes de volaille (guano) comportant 70% d’azote minéral directement assimilable(Eghball et al., 2002) et pouvant favoriser des rendements proches de ceux obtenus en « convention-nel » intensif (ITAB, 2015), et des systèmes reposant sur des apports de fumier de bovin comportant3 fois moins d’azote minéral directement assimilable et à action lente car dépendant de l’activité desmicro-organismes du sol elle-même liée à la température. C’est pourquoi plusieurs auteurs proposentde faire la distinction entre les systèmes AB extensifs avec peu d’azote disponible, et intensifs carriches en azote (Mäder et al., 2007 ; Baresel et al., 2008 ; Hildermann et al., 2009b). Ceci justiìeraitde mettre en place différentes stratégies de sélection dédiées en fonction du systèmeAB considéré.

Inÿuence du solUne autre problématique non spéciìque à l’AB a également été étudiée par plusieurs auteurs : lemode de travail du sol et son effet sur les performances du blé tendre. Des études ont comparé l’im-pact du labour, par rapport à un labour superìciel ou l’absence de labour, sur le rendement ou laqualité du blé tendre. Le recours au labour superìciel ou au non-labour est généralement évoquécomme facteur réduisant le rendement enAB (Berner et al., 2008 ; Bilalis et al., 2011 ; Peigné et al.,2014) mais n’affectant pas la qualité du grain. Les causes de ces pertes de rendement restent encoreméconnues (Mäder et Berner, 2012). Si ce découpage labour/non-labour est facilement appréhen-dable, ses implications semblent cependant assez limitées. Il nous parait difìcilement envisageablede sélectionner des variétés de blé tendre pour des systèmes enAB en non-labour ou ayant recours àun labour superìciel comme le proposent Bilalis et ses collaborateurs (2011), au vu du coût qu’occa-sionnerait un programme spéciìque de sélection pour cette approche très minoritaire enAB.

L’expression forte de l’environnement, la diversité des pratiques et des contextes de production faitdu mode de productionAB un ensemble hétérogène aux résultats contrastés si l’on considère le seulcas des céréales à paille et plus particulièrement du blé tendre d’hiver. C’est la disponibilité en azotequi ressort comme le facteur le plus discriminant des rendements mesurés enAB pour cette culture.

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50 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

Quelle diversité dans le continuum des pratiques culturales ?La ìgure 3 a pour objectif de présenter de façon synthétique une forme de continuum des pratiquesculturales en se basant sur deux critères majeurs : la fertilisation azotée et le nombre de traitementspesticides réalisés (un traitement = une application de produit commercial).Elle a été réalisée à partir de données françaises pour trois modes de culture du blé tendre d’hiver :- l’Enquête Pratiques Culturales 2011 réalisée par Agreste (2013), permet de situer les conduitessuivies en moyenne en agriculture « conventionnelle » intensive,- à défaut de données ofìcielles sur les itinéraires techniques économes en intrants, ce sont les itiné-raires techniques du réseau « blé rustique », utilisés en expérimentation, qui ont été détaillés (Loyceet al., 2008, 2012),- pour appréhender les pratiques de fertilisation possibles en AB en France, les données du réseaud’évaluation variétale enAB de l’ITAB (2015) ont été exploitées.

Cette ìgure permet de positionner ces trois modes de culture et de les comparer aux itinéraires tech-niques « conventionnels » décrits dans six études d’origines diverses portant sur le blé tendre d’hiveret choisies dans le tableau 1.

En se basant uniquement sur le niveau de recours aux intrants chimiques, nous constatons que plu-sieurs conduites « conventionnelles » (USA, Roumanie), se rapprochent ìnalement plus d’uneconduite en « économie d’intrants » pratiquée en France, alors que la conduite anglaise est plusintensive encore que la conduite intensive conventionnelle de la moitié nord de la France. On noteraaussi que les conduites extrêmes, en EastAnglia etAustralie, sont regroupées sous le même vocable« conventionnel ». Ce constat souligne la nécessité d’une nomenclature internationale commune despratiques culturales pour faciliter les comparaisons et éviter les erreurs d’interprétations.

Pour l’AB, à partir des données du réseau ITAB d’évaluation variétale, la fertilisation azotée orga-nique sur la culture peut parfois atteindre plus de 150 unités d’azote par hectare.

Figure 3 : Caractérisation de la diversité des pratiques culturales pour les modes de production « conventionnel »,« économie d’intrants » et AB en France et dans le monde

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Comparaison des performances en « agriculture biologique »et en « conventionnel » (CONV) pour la culture du blé tendreLe ratioAB/CONVest très variable en fonction du type de culture ou de l’espèce cultivée considérée.Mais qu’en est-il si l’on restreint le champ aux céréales à paille ?

Le tableau 1 regroupe les résultats d’une vingtaine d’études comparant les performances degénotypes appartenant aux céréales à paille en conduite « conventionnelle » et en agriculturebiologique. Les ratios AB/CONV qui en ont été extraits témoignent d’une très forte variabilitédes performances relatives dans ces deux modes de production, avec des valeurs pouvant allerde 45% à 95% pour des contextes très différents dans le monde. Au niveau européen, ce ratiovarie de 40 à 50% pour la France ou l’Allemagne, à 70% en Autriche (Commission Européenne,2013).

Les méta-analyses, fondées sur un nombre de données important, permettent de tirer des tendancesglobales, mais comment extrapoler des résultats aussi variables en termes de performances, etinðuencés par tant de facteurs environnementaux ? Seufert et ses collaborateurs (2012) mettent enévidence des différences entre espèces, cependant, il persiste des biais.

L’équipe de De Ponti (2012) a tenté de caractériser le lien des écarts de rendement entre « conven-tionnel » et AB et le rendement obtenu en « conventionnel ». Une faible relation (10% de varianceexpliquée) a pu être mise en évidence. Ce résultat s’explique probablement par une forte corrélationentre le rendement obtenu en « conventionnel » et celui obtenu enAB. À l’échelle mondiale, l’écartentre les deux conduites est donc très variable mais les différences de potentiel sont bien vériìées etse répercutent de façon pratiquement linéaire sur les deux modes de production.

Au regard de la variabilité forte des écarts entreAB et conventionnel, la compréhension des détermi-nants impliqués paraît donc complexe et fortement inféodée à un contexte parfois très local, àl’exemple des résultats contrastés rapportés par une ’étude australienne (Kitchen et al.,2003), pour-tant obtenus dans des conditions, à première vue, similaires.

Chaque cas est donc bien particulier et au-delà d’une tendance mise en évidence à un niveau global,les conditions pédoclimatiques et des pratiques culturales sensiblement différentes conditionnentlocalement des écarts de rendement très variables entre AB et conventionnel.

Cas de la sélection variétale des céréales à paille : des études auxrésultats très contradictoiresEn amélioration des plantes, la déìnition de l’environnement de sélection le plus propice pour unenvironnement cible donné nécessite de traiter des interactions génotypes × environnement ×conduite. À l’image du blé tendre, c’est la sélection en conduite intensive avec un recours importantaux intrants chimiques de synthèse qui a primé à partir des années 60. Ayant pour objectif de maxi-miser les rendements en conditions dites « optimales », celle-ci a artiìcialisé les conditions de pro-duction et favorisé le développement de variétés à paille courte résistantes à la verse mais peucouvrantes (Wolfe et al., 2008 ; Rolland et al., 2013). Avec l’intérêt croissant pour les conduiteséconomes en intrants chimiques, de la production intégrée qui les utilise parcimonieusement à l’ABqui les proscrit, la question de l’environnement de sélection approprié pour ces milieux plus « hété-rogènes » s’est progressivement imposée.

Plusieurs auteurs se sont penchés sur l’étude des performances relatives de génotypes selon les deuxsystèmes « agriculture conventionnelle » et « agriculture biologique ». De ces études, il est pourtantdifìcile de conclure quant à l’environnement de sélection qui serait le plus approprié pour l’AB.

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52 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

D’un côté, certaines études soutiennent l’efìcacité de la sélection indirecte1 réalisée pour l’AB maisen agriculture conventionnelle. Ainsi, à partir de plusieurs essais variétaux sur blé tendre d’hiver enItalie, Annicchiarico et ses collègues(2010) ont insisté sur le fait que la sélection pour des sous-régions géoclimatiques en Italie serait plus importante que celle pour un mode de production spéci-ìque, le potentiel de rendement variant fortement d’une région à l’autre dans ce pays. Une étudeaustralienne, fondée sur de nombreuses comparaisons entre agricultures conventionnelle et biolo-gique, a conclu qu’aucun des génotypes de blé d’hiver testés ne présentaient d’avantage adaptatifpour un système plutôt qu’un autre (Kitchen, 2003). Enìn, en Suisse, aucune mise en évidenced’’interaction génotype × conduite qui était supposée exister sur blé tendre d’hiver n’a pu être établie(Hilderman et al., 2009b).

Inversement, l’inefìcacité de la sélection indirecte à partir d’une conduite en « agriculture conven-tionnelle » a été exposée pour le blé de printemps au Canada (Reid et al., 2009, 2011 ; Kirk et al.,2012 . Sur blé tendre d’hiver plusieurs études menées en Allemagne (Baresel et Reents 2006), auxÉtats-Unis (Murphy et al., 2007 ; Baezinger et al., 2011), et en Turquie (Gevrek etAtasoy 2012) ontmis en évidence la supériorité de la sélection directe pour l’AB, soulignant l’intérêt d’une sélectionréalisées pour l’AB dans les conditions de l’AB. Cet argument est aussi soutenu par plusieurs auteursqui estiment que des données obtenues conjointement sur des essais en agriculture conventionnelleet enAB peuvent être utiles à une stratégie de sélection efìciente pour l’AB. C’est le cas d’une étudelettonne sur l’orge de printemps (Kokare et al., 2014) où les auteurs afìrment que la sélection degénotypes pour l’agriculture biologique peut se faire dans les conditions conventionnelles avec untest ìnal en AB pour conìrmer l’intérêt des variétés sélectionnées. Des conclusions concordantessont aussi rapportées pour le triticale en Lettonie (Kronberga et al., 2008). Par ailleurs, malgré defortes corrélations génétiques, une faible concordance a été observée entre les classements variétauxenAB et nonAB en Europe (Przystalski et al., 2008).

L’inefìcacité de la sélection indirecte quand on compare les conduites en forts et faibles intrants(cette dernière étant caractérisée par une réduction de 40% de la densité des semis, sans fongicide nirégulateur de croissance, une réduction de 60kgN/ha par rapport à la dose calculée par la méthode dubilan et un contrôle des adventices par herbicides) a été démontrée dans le nord-ouest de la France(Brancourt-Hulmel et al., 2005; Loyce et al., 2008, 2012). Ainsi les programmes de sélection quiciblent les conduites de culture économes en intrants doivent sélectionner en itinéraire à bas intrantspour maximiser les gains en sélection. Comme les écarts de rendement entre l’intensif et l’AB sontencore plus importants, il est présupposé que la sélection indirecte, en conduite « conventionnelle »intensive ne pourrait jamais être aussi efìciente que la sélection directe enAB. Pour ce qui concerneles performances variétales en itinéraire technique à bas intrants, il a été montré que la conduite desélection « faibles intrants » permet de bonnes prédictions du rendement et de la teneur en protéinesenAB (Schwärzel et al., 2006; Le Campion et al., 2014; Muellner et al., 2014). Toutefois, ces résul-tats sont insufìsants pour prédire la valeur boulangère en agriculture biologique. Une observationsimilaire a été faite au Canada où les blés de printemps obtiennent des valeurs boulangères différentesdans les deux systèmes de culture (Mason et al., 2007).Au contraire, pour les paramètres de qualité,l’interaction entre systèmes et cultivars n’apparaît pas signiìcative en Roumanie (Neacsu et al.,2010).

Ces résultats contradictoires peuvent s’expliquer par les différences au sein des systèmes AB et« conventionnel ». Comme cela a été démontré précédemment, le recours aux intrants varie considé-rablement d’un pays à l’autre, voire entre régions d’unmême pays comme c’est le cas en France pourle système dit “conventionnel”. Un commentaire analogue peut être fait pour l’agriculture biologiqueoù les conditions expérimentales sont très diverses, surtout en terme de disponibilité en azote.

1. La sélection indirecte consiste à retenir pour l’agriculture biologique des variétés sélectionnées sur des phénotypesexprimés en conditions dites « conventionnelles »

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Par illustrer ce constat, dans les conditions très sèches du sud de l’Australie (Kitchen et al., 2003), lerendement du blé dépend de la pluviométrie. Dans ce cas, au vu de la très faible valorisation desintrants, la conduite dite « conventionnelle » est extensive, très proche de l’agriculture biologique.Dans cette situation l’importance de la pluviométrie réduit les écarts de rendement entre systèmes :quand les performances en conventionnel chutent, les rendements en AB peuvent être équivalentsvoire plus élevés de ceux obtenus en conventionnel. Du fait de ce facteur limitant climatique majeuraucune différence n’est observée dans les classements variétaux entre conduites. À l’inverse, dansles conditions tempérées du nord-ouest de la France, le rendement moyen en conduite à bas intrantsest de l’ordre de 70% du rendement moyen de la conduite intensive à très forts intrants du blé d’hiverqui atteint 95 q/ha (Loyce et al., 2008, 2012). Par conséquent, dans ces conditions, la sélection indi-recte n’est jamais plus efìcace que la sélection directe. Cependant, en Suisse dans des conditionsassez proches des conditions françaises, aucune différence signiìcative n’a été détectée entre desvariétés « conventionnelles » modernes et des variétés sélectionnées pour l’agriculture biologique,lorsqu’elles étaient cultivées en agriculture biologique sur sols fertiles (Hildermann et al., 2009b;Messmer et al., 2012). Mais les variétés sélectionnées pour l’agriculture biologique se sont avéréessupérieures dans les conditions de moindre fertilité enAB (Hildermann et al., 2009a).

Une proposition de classiþcationChaque essai comparatif est spéciìque et relève d’interactions entre variété, conduite et environnement,le dernier étant dépendant des facteurs limitants pédoclimatiques. En conséquence, pour permettre lescomparaisons dans une perspective de sélection variétale, il est nécessaire de déìnir précisément lesconduites de culture et les environnements par des appellations standardisées. Une classiìcation inter-nationale faciliterait, pour les agronomes et les sélectionneurs, le partage de résultats et l’échange delignées. Pour chaque environnement des indicateurs climatiques (température, pluviométrie) sont indis-pensables pour cerner les facteurs limitants. Le potentiel de rendement apprécié par le rendementmoyenatteint dans l’itinéraire technique le plus répandu est un indicateur synthétique de la fertilité du milieu,car il résulte des conditions climatiques et agro-environnementales. À l’instar d’une tentative de hiérar-chisation des pratiques culturales sur blé tendre réalisée dans le cadre du travail d’expertise mené lorsde l’étude Ecophyto R&D (Guichard et al., 2009), nous proposons de différencier trois classes depotentiel de rendement pour les céréales à paille : P++ pour les régions à fort potentiel, P+ pour lesrégions à potentiel intermédiaire et P- pour les régions où les stress sont importants. L’indicateur defréquence des traitements (IFT) et la fertilisation azotée sont utiles pour comparer et classer les itiné-raires techniques regroupés sous le qualiìcatif de « conventionnels ». Basée sur ces trois critères, uneébauche de classiìcation est proposée dans le tableau 2. Cette classiìcation est principalement baséesur les itinéraires techniques (ITK) décrits par Loyce et ses collègues (2008, 2012).

Tableau 2 : Proposition de classiìcation pour les itinéraires techniques réunis sous le terme “conventionnel” enfonction des potentialités du milieu

Rendementpotentiel

P++

P+

P-

RDTmoyen(q/ha)

>70

40<x<70

<40

IFT

>2

2

1<x<2

<1

Fertilisationazotée

>N méthode bilan P++

=N bilan P++

N bilan P++ -30

N bilan P++ -60

=N méthode bilanP+

=N méthode bilanP-

« Conventionnel »itinéraires techniquesa

INT N+ (« ITK1 »)

INT (« ITK2 »)

IPM (« ITK3 »)

BNIexp (« ITK4 »)

BNI

EXT

aINT : Forts intrants,IPM: Integrated PestManagement,BNIexp: Bas NiveauIntrants (essais),BNI : Bas NiveauIntrants,EXT: extensif

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Dans le tableau 2, la fertilisation azotée est calculée en fonction du rendement potentiel qui dépenddes conditions pédoclimatiques locales. La fertilisation azotée décroit de N bilan P++ à N bilan P-.

Même si les systèmes en agriculture biologique peuvent être identiìés aisément par l’interdiction desproduits chimiques de synthèse, l’AB couvre également un grand nombre d’environnements. Dansle tableau 3, nous proposons trois classes pour distinguer les conditions de production des céréales àpaille en agriculture biologique en nous basant sur le potentiel de rendement mesuré dans le mode deproduction dominant dans la région étudiée (tableau 3).

ConclusionLa comparaison « agriculture conventionnelle » versus « agriculture biologique » est abondante dansles littératures scientiìque et technique et couvre plusieurs domaines. Ces comparaisons suscitent unvif intérêt, pouvant aller jusqu’à la controverse voire la polémique en particulier quand elles ali-mentent le débat sur les questions environnementales (Gomiero et al., 2008 ; Tuomisto et al., 2012),de biodiversité (Bengtsson et al., 2005 ; Hole et al., 2005 ;Winqvist et al., 2012) ou de santé (Baranskiet al., 2014).

Cependant, l’utilisation excessive du terme « conventionnel » comme synonyme de « non orga-nique » a souvent conduit à oublier son manque de contenu technique. De nombreuses études uti-lisent ce terme générique et simpliìcateur pour représenter des pratiques agricoles répandues à unniveau local tout en étant très différentes entre elles ce qui rend contestable toute tentative d’exten-sion voire de généralisation des résultats. Pourtant, une nomenclature internationale des pratiquesbasée sur le niveau de recours aux intrants et sur quelques facteurs environnementaux clés fait tou-jours défaut. L’utilisation d’indices synthétiques comme l’indicateur de fréquence des traitements(Jørgensen et al., 2014) et la quantité d’azote disponible dans le sol tenant compte des précédentsculturaux sont des éléments importants qui peuvent servir à dresser un premier cadre pour indexerdes pratiques culturales mises en œuvre dans différentes parties dumonde. À court terme pour mieuxpartager savoirs et savoir-faire, l’élaboration d’un référentiel et d’un vocabulaire commun est sou-haitable. Nous proposons une ébauche de classiìcation permettant de repérer rapidement la proxi-mité entre les études. Elle pourrait être utile au moment où se préparent les projets de recherche quirépondent à l’appel à projets de recherches européen H2020. Cette classiìcation est basée sur unindicateur de la fertilité des milieux pour faciliter les échanges et tenter d’améliorer les stratégies desélection en clariìant les comparaisons. Sachant mieux de quoi l’on parle, les ponts entre conduitesde culture seront facilités pour des avancées qui bénéìcieront à l’ensemble des modes de productionéconomes en intrants chimiques.

Remerciements :Les auteurs remercient A-M. Chèvre, J.P Deguine, R. Euvrard, I. Felix, A. Gravot, S. Guyot, C.Kerbrat, et L. Saur pour la confrontation des idées, leur aide directe ou indirecte dans la réalisationde cet article. n

Tableau 3 : Proposition de classiìcation «agriculture biologique» en fonction des potentialités du milieu

Rendementpotentiel

P++

P+

P-

RDTmoyen(q/ha)

>70

40<x<70

<40

NiveauxenAB

AB++

AB+

AB-

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Fréquentation par les abeilles des parcellesagricoles cultivées : données pour un usagemoins dangereux des pesticides.

Axel Decourtye1,2,3, Cyril Vidau1,3, Orianne Rollin1,3, Fabrice Requier4,5,Charlotte Rüger3,6, Fabrice Allier1,3, Violette Le Féon3,6,André Kretzschmar3,7, James Devillers8, Mickaël Henry3,6,Jean-François Odoux4

1. ITSAP-Institut de l’abeille, Avignon ; 2. ACTA, 228 route de l’aérodrome, 84914 Avignon ;3. UMT PrADE, Avignon ; 4. INRA, UE 1255, UE Entomologie, 17700 Surgères ;5. Centre d’Etudes Biologiques de Chizé, CNRS, UPR 1934, 79360 Beauvoir sur Niort ;6. INRA, UR 406 Abeilles et environnement, 84914 Avignon ; 7. INRA, UR Biostatistique et Processus Spatiaux,84914 Avignon ; 8. CTIS, 69140 Rillieux La Pape.

[email protected]

Dès 1949, il a été conseillé de ne pas appliquer d’insecticides sur les plantes en ðoraison. Actuellement,les insecticides ou acaricides portant une mention « Abeille » peuvent être appliqués sur des plantespendant leur période de ðoraison, à condition que les butineuses soient absentes. Cette réglementationvise à protéger l’abeille mellifère des apiculteurs mais, également, les abeilles sauvages soit un millierd’espèces en France. Une réðexion a été engagée par leMinistère chargé de l’agriculture sur les condi-tions environnementales et climatiques qui garantiraient cette absence d’abeilles sur les parcelles. Celaimpose de répondre à deux questions principales ; (i) quels facteurs liés à l’environnement, à la périodeet au climat, déterminent le mieux l’activité de butinage des abeilles ; et (ii) quelles sont les donnéesdisponibles pour classer les cultures en fonction de leur fréquentation par les abeilles mellifères ?

Exposition des abeilles aux pesticidesUne exposition fréquente aux pesticides malgré leurs conditions restrictives d’emploi

Outre les travaux déjà réalisés aux États-Unis (Mullin et al., 2010) et dans le reste de l’Europe (Ghiniet al., 2004, Bernal et al., 2010), les recherches réalisées en France ont montré que les abeilles mel-lifères, les miels, les pollens et les cires sont régulièrement contaminés par des résidus de pesticides(Chauzat et al., 2006, 2009 ; Lambert et al., 2013). D’après les récents travaux de Lambert et al.(2013) conduits dans l’Ouest de la France durant les saisons apicoles 2008 et 2009, environ 72% desabeilles, 58 % des pollens et 95 % des miels collectés contiennent au moins un résidu de pesticide.

La co-exposition des abeilles aux pesticides est la règle

La co-exposition à plusieurs résidus est couramment retrouvée dans les analyses physico-chimiquesdes matrices (Lambert et al., 2013 ; Johnson et al., 2013 ; Zhu et al., 2014). Les abeilles mellifères sontexposées de façon concomitante à plusieurs pesticides (Vidau et al., 2015). La contamination du paind’abeille (pollen stocké dans les cadres de ruches) a été observée au moment de la mise en hivernage(octobre-novembre) dans des ruchers situés en PACA, en Languedoc-Roussillon et en Aquitaine(Tableau 1, Dangléant et al., 2015). Les concentrations maximales mesurées pour les insecticides sont

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comprises entre 15 et 358 µg/kg et celles pour les fongicides entre 10 et 2180 µg/kg. Ces résultatsposent la question des possibles effets délétères de la consommation du pain d’abeilles par les buti-neuses durant l’hiver, voire lors de la reprise d’activité à la sortie de l’hiver.

Facteurs modulant l’activité de butinageQuels facteurs liés à l’environnement, à la période et au climat déterminent le mieux l’activité debutinage des abeilles ?

La température ambiante est le facteur météorologique le plus invoqué dans la littérature sur l’activitéde butinage, l’humidité atmosphérique relative jouant beaucoup moins (Joshi et Joshi, 2010). Les

Tableau 1. Contamination par des résidus de pesticides du pain d’abeilles collecté dans 18 ruchersd’apiculteurs (octobre-novembre 2013 ; Vidau et al., 2015).

Durant la dernière décennie, les connaissances en écotoxicologie concernant les abeilles mellifères ont considérablementavancé. Ces travaux témoignent d’une exposition élevée des colonies d’abeilles mellifères aux insecticides et acaricides, etce, malgré les mesures actuellement en place contraignant l’emploi de ces produits (mentions « Abeille »). Cet état de faitnécessite un renforcement des mesures de gestion concernant l’emploi des pesticides pour limiter non seulement l’expositiondirecte des abeilles, mais également la contamination de leurs ressources alimentaires. Les pesticides les plus courammentretrouvés dans l’alimentation de l’abeille sont des fongicides qui ne sont pas concernés par les mentions « Abeille ». Bien quequelques études montrent une corrélation entre la présence de fongicides dans l’alimentation des colonies d’abeilles et dessymptômes (Pettis et al., 2013 ; Simon-Delso et al., 2014), leur toxicité reste insufþsamment documentée.

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abeilles mellifères ont besoin de maintenir leur température thoracique entre 31-32°C durant le buti-nage (Heinrich, 1979). La dépense pour y arriver dépend de la température extérieure, et de la massecorporelle (Heinrich, 1979 ; Stone et al., 1988 ; Herrera, 1990).

Quelle est la température minimale nécessaire à l’activité de butinage ?

Le seuil de température en dessous duquel il n’y a pas d’activité de butinage chez l’abeille mellifèreest très variable selon les auteurs : de 6°C d’après Tan et al. (2012) à 7°C d’après Heinrich (1979) ou9°C d’après Burill et Diets (1981), 12°C d’après Danka et al. (2006) jusqu’à 16°C en zone tropicaled’après Joshi et Joshi (2010). Pour Burrill et Dietz (1981), le seuil de 9°C en dessous duquel lesabeilles mellifères ne volent pas est indépendant de la luminosité.En accord avec les autres données de la littérature, Corbet et al. (1993) ont montré que la températureambiante et le niveau de radiation étaient positivement corrélés à l’activité de butinage des espècesd’abeilles sociales qu’ils ont étudiées.

Existe-t-il une corrélation entre l’activité de butinage et la température ambiante ?

Burill et Diets (1981) ont démontré l’existence d’une corrélation entre l’activité des butineusesd’abeilles mellifères, la température et les radiations solaires, deux paramètres évoluant à l’opposéde l’humidité relative et de la pression atmosphérique. Plus la température ambiante augmente, plusle nombre de sorties de ruche est élevé. À luminosité constante, l’activité de chaque individu d’unemême colonie augmente de façon linéaire avec la température entre 13 et 23°C. Au-delà de 24°C la

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température a moins d’effet (24-30°C). Une étude dans des cultures de colza montre qu’entre 27 et45°C, la densité d’abeilles mellifères dans les champs diminue avec l’augmentation de la tempéra-ture (Blaÿytæ-Čereškienæ et al., 2010). Cet effet inhibiteur des températures élevées serait tout parti-culièrement marqué chez les butineuses de pollen (Cooper et Schaffer, 1985).

Des inventaires faunistiques réalisés d’avril à août durant 3 années, de 2010 à 2012, en zone de grandescultures (ZoneAtelier Plaine et Val de Sèvre, ZAPVS, Poitou-Charentes) ont consisté à capturer et iden-tiìer l’espèce de près de 30 000 abeilles butinant sur les ðeurs et, ce, sur plus de 800 couverts végétaux(Rollin et al., 2013). Les analyses statistiques montrent une inðuence signiìcative non-linéaire de la tem-pérature sur la présence et l’abondance des abeilles. De plus, l’intensité de cet effet varie en fonction dugroupe d’abeilles considéré (abeillesmellifères, bourdons, autres abeilles sauvages) et de la période d’échan-tillonnage (avril, mai-juin, juillet, septembre). L’augmentation de la température ambiante jusqu’à 25-30°Cenmilieu de journée n’a pas causé de réduction de l’activité de butinage (Stone et al., 1999). En revanche,une étude sur le butinage de Bombus terrestris réalisée sous serre à fortes températures montre quel’intensité des entrées/sorties de la colonie et l’activité de butinage des ouvrières ont été maximalesà 25,7°C, durant la matinée. À une température moyenne de 32,3°C, il y a une baisse signiìcative de 70%de l’activité de butinage et de 40 % du traìc à l’entrée de la colonie (Kwon et Saeed, 2003).

L’effet des interactions entre température/période de l’année/heure de la journée

L’existence d’une concordance entre les activités de sorties des ruches sur 24 h et la température oul’ensoleillement global a été clairement établie par Devillers et al. (2004). Une telle relation n’a pu êtremontrée à l’échelle du jour pour les autres paramètres abiotiques,même si le vent et la pluie ont pu avoirune inðuence ponctuelle très importante.

Dans une zone de grandes cultures (ZAPVS), deux traits de vie ont été enregistrés grâce à l’emploi demicropuces RFID (Radio-Frequency IDentiìcation). Les ouvrières marquées avec ces puces ont étésuivies d’avril à août aìn d’évaluer le nombre de sorties par jour et la durée de ces sorties (Figure 1).Demanière similaire à l’étude précédente, l’activité de vol (reðétée par ces deux traits de vie) est signi-ìcativement inðuencée par la température environnante et le mois de la saison. Mais de façon surpre-nante, les sorties enregistrées en septembre ne présentent pas de corrélation avec la température. Enseptembre, le nombre de sorties est similaire, qu’il fasse 12°C ou 22°C et leur durée subit une moindreinðuence. Le fait que cette période de l’année soit tout particulièrement dédiée au stockage des réservesalimentaires par les colonies en prévision de l’hivernage pourrait expliquer ce proìl d’activité.

La plage horaire des sorties des butineuses est variable en fonction du mois. Cette plage est plusétendue en juin que celle enregistrée lors des autres mois. La durée d’ensoleillement par jour peutpartiellement rendre compte de ce phénomène. La moindre quantité de ressources ðorales dispo-nibles dans le paysage à cette période (Requier, 2013) peut également y contribuer.

La température ambiante joue un rôle majeur dans l’activité de butinage des abeilles, mellifères ou sauvages, sociales ousolitaires. Cette relation est souvent non linéaire, avec une réduction d’activité aux températures élevées. Mais chaque espècepossède une fenêtre thermique pendant laquelle sa recherche de nourriture est plus efþcace. Les plus gros individus sontmoins sensibles aux températures extrêmes, et peuvent donc butiner sur une plage horaire journalière plus longue. C’est lecas notamment de certaines espèces de bourdons telles que Bombus lapidarius, B. terrestris, B. pascuorum. Dans les culturesoléagineuses par exemple, les bourdons sont observés sur des plages horaires plus étendues que les abeilles mellifères.

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Fréquentation des cultures par les abeillesLes résultats en ZAPVS (Rollin et al., 2013) révèlent de nettes différences dans l’utilisation des res-sources ðeuries entre les groupes d’abeilles. Les abeilles mellifères, et dans une moindre mesure lesbourdons, préfèrent butiner les ðeurs de colza et de tournesol aux ðeurs sauvages des prairies et desbordures, alors que c’est l’inverse chez les abeilles sauvages. La diversité des abeilles dans leschamps de colza est 4 fois inférieure à celle mesurée dans une ðore herbacée naturelle.Au contraire,les bourdons sont plus présents sur les ðeurs des cultures oléagineuses que sur les autres couvertsðeuris, mais de façon moins marquée que les abeilles mellifères.Les abeilles sauvages utilisent les cultures pour leur ressource alimentaire, comme l’abeille mellifère,mais également pour leur ressource de nidiìcation. Cette nidiìcation dans les parcelles est à prendreen considération car environ 80 % des espèces sont terricoles.

Les ressources trophiques se trouvant dans les parcelles cultivées, et récoltées par les abeilles buti-neuses, sont le nectar, le pollen, les gouttes de guttation, le miellat et l’eau. À notre connaissance,l’exploitation par l’abeille des trois dernières ressources a été insufìsamment étudiée pour que l’onpuisse en tirer des corrélations valides avec d’autres facteurs de variabilité que sont les espèces deplantes cultivées, les conditions météorologiques ou encore l’heure ou la période.

Comment classer les plantes cultivées d’après leur fréquentation par les abeilles ?

Une base de données rapporte pour près de 100 cultures ou catégories de cultures1 un indice d’attrac-tivité pour l’abeille mellifère, établi à dire d’experts. Cependant les valeurs qualitatives ne reðètentpas la réalité de la fréquentation d’une culture par les abeilles pour laquelle il existe une grandevariabilité. Les données quantitatives disponibles concernant le potentiel mellifère par espèce végé-tale (valeur attendue de la production de miel d’une espèce végétale en kilogrammes par unité de

Figure 1 : Prédiction mathématique du nombre de sorties d’ouvrières suivies en fonction de latempérature ambiante (moyenne par jour ; ZAPVS, Poitou-Charentes). Les courbes illustrent les résultats demodèles linéaires, tous signiÿcatifs (n=1330 abeilles au total). a) Nombre de sorties par abeille et par jour. b) Duréemoyenne des sorties par abeille et par jour. L’amplitude des températures journalières (en °C) enregistrée en avril,mai, juin, juillet, août, septembre a été respectivement de 10,2-20,7, 12,9-27,6, 13,7-27,6, 15,1-26,1, 13,3-26,1 et12,0-22,3. Nombre d’abeilles enregistrées/mois = 90-308 (Requier, résultats non publiés).

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surface ; Janssens et al., 2006) traduisent bien cette variabilité1. Pour les espèces cultivées, les basesde données connues présentent une grande variabilité dans leurs estimations.

Cette variabilité s’explique par la méthode employée, mais également par l’état de santé et de déve-loppement des abeilles, les conditions environnementales, agronomiques (conduites agricoles,variété) et pédoclimatiques. Une autre limite majeure de ces données est qu’elles n’intègrent pas lepollen dans la fréquentation des plantes par les abeilles.

Focus sur la fréquentation des parcelles de maïs

Alors que la fréquentation de certaines cultures ne fait pas débat (oléagineux, arbres à fruits, melon,tomate…), il en va différemment du maïs. Nous n’avons pas recensé de références sur le butinage dumaïs par les abeilles sauvages.

Les études les plus précises sur le butinage du maïs par les abeilles mellifères sont assez ancienneset furent réalisées par Casteel (1912), Parks (1928, 1949) et Percival (1955). La principale périodeoù le pollen de maïs est récolté par les butineuses s’étend de la mi-juillet à la mi-août. Durant cettepériode, Percival (1955) a observé du pollen sur les anthères demaïs mâle entre 7 heures et 18 heures.Le pic de production maximale de pollen a lieu 5 h après le lever du soleil, soit entre 11 h et 12 h(Thibord et al., 2015). Cette période correspond également au pic de butinage puisque 77 % desbutineuses visitent les parcelles de maïs avant 14 h. Au cours d’une journée, 15 mg de pollen sontproduits par épi de maïs, soit le poids d’une pelote portée par une butineuse (Percival, 1955). Letemps nécessaire à une abeille pour confectionner une pelote de pollen de maïs avoisine les 10 à 15minutes dans des conditions climatiques favorables (Parks, 1928) et les butineuses de pollen peuventeffectuer jusqu’à 20 voyages quotidiens, soit un temps de visite estimé de plus de 3 heures sur laparcelle.

Des analyses de l’alimentation pollinique des colonies expriment leurs résultats palynologiques(identiìcation de l’origine végétale des grains de pollens) en nombre de grains selon l’espèce ou letaxon. Pour étudier le régime alimentaire de l’abeille, il est plus pertinent d’exprimer les taux depollens en volume (comme dans le reste de ce document), plutôt qu’en nombre de grains.En zone de grandes cultures, les données de Poitou-Charentes montrent que le maïs est la plantecultivée la plus représentée dans les trappes à pelotes de pollen ìxées à l’entrée des ruches, avec enmoyenne 36 g récoltés/jour/colonie de ìn juin à début août (Odoux et al., 2012). L’identiìcation despollens révèle de façon évidente le rôle important de cette culture dans l’alimentation de l’abeillepuisqu’elle produit 46,86%des apports polliniques en juillet, et 15,71%des apports en août (Requier,2013). Ces résultats conìrment ceux précédemment obtenus en Midi-Pyrénées (11,35 % du pollenissu des cultures de maïs) et Rhône-Alpes (46,51 % ; Decourtye et al., 2008). Un suivi réalisé auxÉtats Unis témoigne de la même tendance puisque les pollens de maïs collectés durant cette périodereprésentent plus de 50 % du bol alimentaire pollinique de la majorité des colonies (Pilling et al.,2013). Dans certaines colonies, le pollen de maïs peut même représenter plus de 75 % des apports.

1. www.interapi.itsap.asso.fr

Dans les contextes paysagers de grandes cultures, il est reconnu que le pollen de maïs constitue le principal approvisionnementpollinique annuel pour les colonies. Cela s’explique par la longue période de ÿoraison du maïs, lorsque peu de ÿoraisonsalternatives sont présentes, et par son pollen qui est facilement manipulable par les butineuses (Vaissière et Vinson, 1994 ;Charrière et al., 2010; Odoux et al., 2004; Keller et al., 2005). Ainsi, l’indiscutable fréquentation des parcelles de maïs parl’abeille implique d’appliquer des précautions d’usage des pesticides sur cette culture, au même titre que toutes les autresplantes à ÿeurs fréquentées par les butineuses.

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Le pollen de maïs est connu pour avoir une faible valeur nutritive (15,6 % de protéines, 1,6 % deminéraux, 19154 kJ/kg) comparée à celle du pollen de colza, par exemple (26,7% de protéines, 2,5 %de minéraux, 21644 kJ/kg ; Requier, 2013). Ce pollen possède également une très faible teneur enhistidine, ce qui pose la question de l’impact de sa consommation sur le devenir des colonies (Höcherlet al., 2011). Le manque de nutriments du pollen de maïs pourrait être compensé par des quantitésélevées de pollen récolté (Odoux et al., 2012 ; Requier, 2013).

Butinage des plantes adventices des cultures

Les butineuses d’A. mellifera visitent les parcelles de maïs pour le pollen des plantes cultivées, maiselles butinent également des plantes adventices comme la mercuriale annuelle (Mercurialis annua).L’utilisation des plantes adventices dépasse largement le cas des espèces inféodées au maïs. Cetteutilisation est étonnante en termes de diversité de plantes exploitées, de fréquence et de quantité depollen rapportée à la ruche. Ainsi, 96 pollens différents ont été recensés dans les échantillons del’observatoire ECOBEE, représentant plus de 30 % des apports polliniques lors de la période deðoraison du maïs (Requier, communication personnelle.).

Par conséquent, le classement des plantes cultivées en fonction de leur probable fréquentation par lesabeilles mellifères a ses limites puisqu’une parcelle d’une plante cultivée ne produisant ni nectar, ni pollen(comme des céréales à pailles) peut accueillir des plantes adventices attractives. Le pollen de coquelicotpeut ainsi représenter dans une zone de grandes cultures 10,45 % de la biomasse en pollen récolté par lescolonies d’avril à septembre, soit le deuxième pollen le plus récolté après celui du maïs (Requier, 2013).En outre, l’importance des ressources offertes par les adventices n’est pas réservée aux zones céréalières.En juillet 2013, plusieurs échantillonnages polliniques ont été effectués sur un observatoire dans la Drômelors de la miellée de lavande. La plupart des pollens n’appartient pas à des plantes cultivées mais à uneðore semi-naturelle ou spontanée (Asteraceae : 40 % et plantains : 15 %) retrouvée dans les surfacesd’interstices d’un paysage composé de vignobles, de céréales et de lavandes. Cet approvisionnement s’est

Figure 2 : Nombre moyen d’individus en fonction des positions dans la parcelle de colza (France).Les barres représentent l’erreur standard. B : bordure, 5 : à 5 m de la bordure, C : centre de la parcelle(Le Féon, 2010).

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avéré contaminé par 40 pesticides. Ces observations suggèrent que les abeilles sont massivement expo-sées aux pesticides appliqués sur la vigne qui contaminent la ðore spontanée classiquement retrouvée dansles inter-rangs ou dans les bords de parcelles.

Comment se distribuent spatialement les butineuses au sein des parcelles ?

La répartition spatiale des butineuses au sein des parcelles cultivées est une question courammentposée. En mesurant le butinage des abeilles mellifères en allant de la bordure d’une parcelle de tour-nesol à son centre, Saez et al. (2012) trouvent une réduction de 25 % de la fréquence de visites surdes capitules entre 1 et 100 m. Pour le maïs, la densité des butineuses par surface est réduite d’unfacteur trois entre les premiers rangs et le centre de la parcelle (Thibord et al., 2015). Cela n’est pasretrouvé chez le colza où l’abondance totale des pollinisateurs, celle d’A. mellifera, des syrphes etdes bourdons (mais pas des abeilles solitaires) est supérieure à l’intérieur des parcelles à celles mesu-rées en bordure (Figure 2). La distribution spatiale des butineuses de bourdons privilégiant le centredes parcelles de colza observée en France (zone atelier de Pleine-Fougères, Bretagne) est conìrméepar les résultats obtenus au Danemark (Calabuig, 2000). Par contre les abeilles sauvages solitairessont plus abondantes en bordure de la parcelle. Ce résultat a été conìrmé dans une étude en Franceoù a été montrée l’existence d’une corrélation négative entre la distance à la bordure et l’abondanced’abeilles sauvages telles que les Andrena et les Nomada dans les cultures de colza (Bailey et al.,2014). L’analyse y montre que les abeilles de grande taille (telles que les bourdons) auront tendanceà aller plus loin à l’intérieur des parcelles de colza que les abeilles de plus petites tailles (telles queles Andrena et les Nomada).

ConclusionUne réðexion a été initiée pour identiìer des critères de décision qui seraient utilisés par les agricul-teurs pour appliquer par pulvérisation les insecticides et acaricides portant une mention « Abeille »aìn de réduire le risque d’exposition des abeilles butineuses (consultation publique en 2014). Uneoption débattue serait d’aboutir à des règles de décisions différenciées par culture. Pour cela, desdonnées sont disponibles pour attribuer un degré de fréquentation par l’abeille mellifère aux plantescultivées (score d’attractivité, potentiel mellifère, voire pollinifère). Cette option a des limites pourdécliner les recommandations d’usage des pesticides par culture à titre générique sur l’ensemble desconditions, pour les raison suivantes :

- le degré de fréquentation des cultures n’est pas documenté pour l’ensemble des abeillessauvages ;

- de multiples facteurs (autres que ceux liés à l’abeille elle-même) sont susceptibles de moduler cettefréquentation par les abeilles (variété, pédoclimat, conduites des cultures, présence d’autre ðorai-sons, d’autres pollinisateurs ou de bioagresseurs…) ;

- la ðore naturelle présente dans les parcelles cultivées ou à proximité de celles-ci représente égale-ment une voie d’exposition des abeilles, mellifères ou sauvages, aux résidus de pesticides ;

- les espèces terricoles des abeilles sauvages peuvent nidiìer dans les parcelles agricoles ;

- aucune règle, valable pour l’ensemble des cultures et des espèces d’abeilles, n’est aujourd’hui éta-blie concernant la distribution spatiale des butineuses au sein des parcelles. Cela ôterait toute per-tinence à un critère de décision de traitement reposant sur l’étendue de la surface à traiter (parexemple, « Ne pas traiter les x rangs de la culture y en ðeurs »).

Une seconde option qui été avancée serait d’employer des critères d’ordre météorologiques (par exemple,« traiter si la température est inférieure à x °C »). Si la température reste le paramètre météorologique qui

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Vignes résistantes à l’oïdium et au mildiou :promesses et controverses en Languedoc-Roussillon

Pauline Blonde1, François Hochereau2, Jean-Marc Barbier1, Jean-Marc Touzard1

1 INRA, UMR 0951 Innovation, 2, Place Viala, 34000 Montpellier2 INRA, UMR 1048 SAD (Activités-Produits-Territoires), AgroParistech, Paris

[email protected]@[email protected]@supagro.inra.fr

Troisième culture la plus traitée en France, lavigne occupe 3,7% de la surface agricole utile(SAU) et consomme près de 20% du volume depesticides (Butault et al., 2009). Or l’utilisationsystématique des produits phytosanitaires est res-ponsable d’impacts environnementaux (pollutionsdes sols et de l’eau, baisse de la biodiversité, émis-sion de gaz à effets de serre) et de risques sanitairespour les agriculteurs, les riverains et les consom-mateurs. La dénonciation de plus en plus forte d’unusage élevé de pesticides fragilise une ìlière auxretombées économiques, sociales et symboliquesfortes pour le pays. Les pouvoirs publics ont initiéen 2009 un vaste programme d’action sous la formedu plan Ecophyto qui vise à diviser par deux laconsommation de pesticides en agriculture à l’hori-zon 2025 (initialement 2018) et qui concerne enparticulier la viticulture (Barbier et al., 2012).

Dans ce contexte, l’innovation variétale apparaîtcomme une voie prometteuse. Alors que les tech-niques d’optimisation de la lutte chimique (mesuresprophylactiques, amélioration de la pulvérisation,outils d’aide à la décision...) peuvent réduire l’uti-lisation des pesticides de l’ordre de 30 % (par rap-port à une protection dite systématique), l’évolution

du matériel végétal, via l’utilisation de cépagesrésistants aux champignons oïdium et mildiou, per-mettrait une baisse de plus de 75% (Spring, 2015).Ces cépages constitueraient une solution d’autantplus efìcace que 80% des pesticides utilisés enviticulture sont des fongicides, ciblés majoritaire-ment contre ces deuxmaladies de la vigne (Agreste,2012).

Toutefois, la quasi-totalité du vignoble françaisest aujourd’hui composée de variétés issues desélections clonales intra Vitis Vinifera, espèce tra-ditionnelle européenne dans laquelle on ne trouvepas de résistances au mildiou et à l’oïdium. Desprogrammes de recherche ont donc été (re)lancésdepuis une quarantaine d’années dans plusieurspays (France,Allemagne, Suisse, Italie, Hongrie…)pour la création d’hybrides issus d’un croisementsexué entre variétés de l’espèce Vitis Vinifera,apportant des qualités organoleptiques, et une ouplusieurs espèces de vignes sauvages, amenant larésistance aux maladies. Plusieurs de ces pro-grammes arrivent à terme et des hybrides résistantssont déjà accessibles aux viticulteurs (en particu-lier hybrides allemands) ou vont l’être prochaine-ment (hybrides italiens et français), aiguisant

Repères dans le paysageagricole français

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l’intérêt des viticulteurs dans de nombreuxvignobles.1

Mais incertitudes, débats et controverses se mul-tiplient, impliquant scientiìques et viticulteurs,notamment à propos de la stabilité des résistancesobtenues, des stratégies de sélection ou encore desconséquences de ces hybrides sur les pratiques viti-coles ou les types de vins et leur image…Que choi-sir entre les risques actuels du statu quo (continuerà traiter) et une alternative en émergence, pleine depromesses, mais encore entourée d’incertitudes etde controverses ? Quels sont les freins et leviers audéploiement de cette innovation génétique envigne ?

Ces questions ont motivé en 2015 un travail derecherche en sociologie sur les conditions d’appro-priation des cépages résistants dans le secteur viti-vinicole, notamment en Languedoc-Roussillon(Blonde, 2015)2. Inscrite dans un programme pluri-disciplinaire de l’INRA, le projet Panoramix, cetteenquête socio-économique se base sur une cinquan-tained’entretiensauprès deprofessionnels de laìlièreviti-vinicole languedocienne (chercheurs, conseillersagricoles, viticulteurs, pépiniéristes, responsablesd’interprofession, de syndicats et de caves coopéra-tives) et sur des observations participantes lors d’évé-nements liés à l’actualité et aux débats scientiìquesou professionnels autour des variétés résistantes.

Une innovation en terreLanguedocienne : un fortdynamisme autour des variétésrésistantes

Deuxième vignoble européen en surface et volume(aprèsCastilla-Mancha enEspagne), le vignoble lan-guedocien possède une diversité de segmentsde production (AOP, IGP, VSIG3) avec une hégé-monie moindre des vins AOP que dans d’autres

régions viticoles. Cette diversité des vins est associéeà une grande variété de cépages existants (14 autori-sés en AOP, 56 en IGP), de pratiques techniques (ycompris aujourd’hui l’irrigation) et de stratégies éco-nomiques. De fait, la région est reconnue pour sonouverture par rapport aux innovations et expérimen-tations viticoles (Touzard et al., 2008). Les nom-breuses crises et restructurations du vignoble y ontsans doute renforcé les dispositions à s’adapter, àinnover : «LeLanguedoc-Roussillon est un territoirequi est beaucoup plus habitué aux mutations, lesarrachages et les ré-encépagements on connait ; enBourgogne et enChampagne, les vignes elles restent80 ans en place » (directeur de cave coopérative).

Concernant l’innovation des variétés résistantes,les acteurs rencontrés expriment une réelle passionet envie : « Ça bouillonne dans la région (…)quand je parle des arguments de ces variétés, demoins traiter, ça leur parle aux vignerons, beau-coup sont intéressés » (responsable d’expérimenta-tion en vignoble, Chambre d’Agriculture) ; « Laprofession était très intéressée pour expérimenterles cépages allemands en conditions méditerra-néennes. Plusieurs organismes représentatifs noussollicitaient, on avait des demandes fortes (…). Jene sais pas comment on peut être contre les cépagesrésistants, qui peuvent aider à moins traiter » (res-ponsable de l’Observatoire viticole, ConseilGénéral de l’Hérault) ; « Pour le secteur vigneon a dit que la création de variétés résistantes étaitune priorité » (directeur adjoint FranceAgriMer) ;« Les viticulteurs sont en attente très forte (...)tout le monde est dans les starting-blocks, on veutvraiment se baser sur ce créneau à l’avenir »(directrice de cave coopérative). Il convient toutde même de pondérer ce dynamisme apparent.Les domaines et caves coopératives voulant en2015 planter des cépages résistants sont encorepeu nombreux. Pour certains ce n’est pas encoreune priorité « on est sur un équilibre d’encépage-ment qui nous va bien » (président de cave coopé-rative). Pour d’autres les informations doiventêtre précisées « avant de partir bille en tête ». Deplus, il faut noter des nuances selon les départe-ments : l’Hérault et l’Aude sont moteurs surle sujet, moins dans les Pyrénées-Orientales « onn’en parle pas spécialement, il n’y a pas dedemandes régulières » (conseillère viticole,Chambre d’Agriculture 66).

Mais l’intéressement des interviewés est généralet ceux-ci se réfèrent à une même histoire marquéepar des personnages clés. Le généticien Alain

1. Voir les articles et dossiers consacrés aux cépagesrésistants dans les numéros de novembre ou décembre2015 de La Vigne, Réussir Vigne ou Revue des Œnologues.2. Etude réalisée lors du stage de ìn d’études de PaulineBlonde (Sciences Po Grenoble) à l’Inra de Montpellier(février-août 2015) sous la direction de JM. Barbier, F.Hochereau et JM Touzard.3. AOP (appellations d’origine protégée), IGP (indicationgéographique protégée), VSIG (vin sans indicationgéographique)

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Bouquet, aujourd’hui décédé, a effectué, à partirdes années 70s, des travauxmajeurs de recherche àl’Inra de Montpellier, obtenant des « variétésBouquet », résistantes, que l’Inra conserve pourcontinuer son programme de création variétale. Lafamille Pugibet, du domaine de la Colombette àcôté de Béziers, est citée par tous comme les viti-culteurs expérimentateurs emblématiques de varié-tés résistantes : depuis huit ans, ceux-ci plantentdes hybrides allemands et suisses et commencentaujourd’hui leurs propres créations. C’est à la suitede leur demande, auMinistère chargé de l’Agricul-ture, de réinterprétation de la loi européenne surl’expérimentation qu’il est maintenant possible decommercialiser le vin issu de cépages non-inscritsau catalogue. Leurs démarches sont médiatiséesdans les revues viticoles et beaucoup d’expérimen-tateurs plus récents ont visité leurs parcelles avantde se lancer (Hochereau et al., 2015).

Au-delà de ces ìgures individuelles, des orga-nismes de recherche-développement et de conseilparticipent à la construction de connaissances sur lescépages résistants et à leur médiatisation : L’ICV –Institut Coopératif du Vin – à Montpellier,

communique sur le sujet et a organisé un voyage en2011 dans les centres européens de créations varié-tales et chez les expérimentateurs étrangers(Rousseau et Chanfreau, 2013). Le Conseil Généralde l’Hérault a joué un rôle de relais d’information surle sujet ; les Chambres d’Agriculture expérimententdes variétés allemandes et ont édité en 2015 une pla-quette d’information (Goma Fortin, 2015). L’IFV –Institut français de la Vigne et du Vin – suit lesexpérimentations et effectue des communications etconférences sur le sujet ; FranceAgriMer gère l’enca-drement et l’orientation des ìnancements pour lesexpérimentations ; l’unité expérimentale INRA dePechRouge réalise des expérimentations pour le pro-gramme français de création d’hybrides et organisedes échanges sur le sujet auprès de professionnels ;le comité interprofessionnel des vins AOP duLanguedoc (CIVL) ìnance des parcelles expérimen-tales à Pech Rouge et avec les Chambres d’Agricul-ture, organise également des réunions d’information ;Inter’Oc, autre interprofession viticole de la région(IGP), met en place un partenariat avec une entre-prise italienne pour planter des cépages résistantsitaliens et se propose aussi de ìnancer des expéri-mentations avec l’unité de Pech Rouge...

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La connaissance et l’information autour desvariétés résistantes, initialement confinées àquelques acteurs essentiellement scientiìques, sesont donc ouvertes et étendues depuis 2013 au seindu monde viticole languedocien. En témoignel’implication récente des interprofessions et surtoutla multiplication d’articles sur le sujet dans lapresse professionnelle. En 2015, quelques dizainesde plantations expérimentales d’hybrides résistantsexistent dans la région, au sein d’instituts tech-niques ou dans des exploitations privées. Des pro-jets à plus grande échelle sont mis en œuvre par descaves coopératives, majoritairement en IGP etVSIG et, par des domaines visant des segments dif-férenciés de marché. Aucun proìl particulier ne sedégage chez ces expérimentateurs dont la four-chette des âges est large : viticulteurs en agricultureconventionnelle ou biologique, dans des exploita-tions de tailles variées, associés en cave coopéra-tive ou vignerons indépendants. La caractéristiquequi les unit est avant tout la curiosité.

Agir et réagir dans un contextesociétal, environnemental etréglementaire tendu

Une volonté des viticulteurs d’évoluer dansleurs pratiques phytosanitairesPlus sensibilisés et informés qu’avant sur lesimpacts de l’utilisation des pesticides, les viticul-teurs souhaitent réduire l’utilisation de produitsphytosanitaires pour plusieurs raisons : protégerleur santé, celle de leur entourage, l’environnementou encore à cause des lourdes contraintes régle-mentaires encadrant l’épandage (vêtements, localphytosanitaire). Deux d’entre eux déclarent :« Les viticulteurs sont conscients, on en a marre debalancer des produits où on s’empoisonne nous-mêmes (…) Quand l’appareil rentre des vignes etque tu retrouves ton gamin qui joue sur le tracteur,ça ne te fait pas plaisir. Les gens ne se rendent pascompte qu’on a une vraie conscience des pro-blèmes phytosanitaires, on est très preneur de solu-tions pour évoluer ».Une volonté à nuancer : pour certains, les évolu-

tions récentes (comme la formationCertiphyto) sontdéjà une grande avancée ; une conseillère ABexplique « les traitements phytosanitaires ne sontpas la préoccupation première de nos viticulteurs(…) ça a évolué depuis 20 ans, maintenant les genssont bien formés ».Undirecteur de cave coopératives’exprime également : « il n’y a pas nécessairement

de demandes de réduction de produits phytosani-taires par les viticulteurs, leur préoccupation pre-mière est le rendement, amener le plus de raisinspossible à maturité ».

Un cadre réglementaire incitatifau changementLes mesures gouvernementales du plan Ecophytopoussent à se diriger vers des alternatives à la luttechimique. Un acteur de l’ICV déclare : « AvecEcophyto, on va vers une diminution du nombre deproduits autorisés ; il y aura des contrôles et condi-tions de plus en plus draconiens. On va se retrou-ver dans des zones à impasse réglementaire »(notamment près des cours d’eau). Dans le mêmesens, l’ex-président d’une cave coopérativedéclare : « si l’on s’en tient strictement à ce qui estinscrit dans Ecophyto II, le modèle actuel de viti-culture en France ne peut pas survivre. Et donc ilva falloir qu’il y ait plantation de variétés résis-tantes ».De plus, selon une conseillère viticole, denombreuses molécules risquent d’être interditesalors qu’elles sont aujourd’hui les plus efìcaces.En effet, l’efìcacité des pesticides n’est pas tou-jours optimale, les champignons apprenant à lescontourner « Les souches (de pathogènes) sont deplus en plus compliquées à combattre, il fautpresque changer les produits à chaque fois » (untechnicien viticole de cave coopérative).

Une autre contrainte pourrait peser à terme surles exploitants : leur responsabilité face à la justicesuite à un dépôt de plainte de leur salarié en cas dereconnaissance de maladies professionnelles liéesaux pesticides. Selon un viticulteur-responsabled’exploitation le plus gros risque aujourd’hui « estcelui que l’on fait courir à notre personnel qui peutun jour se retourner judiciairement contre sonemployeur ».

De plus en plus de pressions sociétalesLes images d’une viticulture traditionnelle et d’unvin produit naturel sont ainsi entachées par des cam-pagnesmédiatiques sur les conséquences de l’usagedes produits phytosanitaires sur la santé des popula-tions ; c’est le cas de l’affaire de Villeneuve de laBlaye dans la région de Bordeaux où des enfants etleur institutrice ont été incommodés par des traite-ments sur la vigne jouxtant l’école. Pour un viticul-teur expérimentateur : « La culture de cépagesphyto-dépendants, socialement on est au bout »,comparant la situation avec l’amiante dans le bâti-ment il y a 20 ou 30 ans. La proximité des riverainsavec les vignes, conséquence de l’étalement urbain,

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exacerbe ces tensions. Une responsable expérimen-tation de Chambre d’Agriculture déclare : « J’ai étécontacté par une cave coopérative pas très loin deMontpellier parce qu’ils ont une pression des habi-tants qui veulent qu’il y ait moins de traitements ».L’utilisation de cépages résistants proches des habi-tations et une communication locale peut être unesolution ; un président de cave (non expérimenta-teur) propose : « Si j’étais une cave au bord de lamer, je mettrai des cépages résistants dans lesparcelles en bord de plage où il y a des touristes et jecommuniquerai là-dessus ». Pour leur santé ou pourl’environnement, les consommateurs sont de plus enplus sensibles à une réduction des pesticides. Un cri-tère commercial qui compte de plus en plus, notam-ment pour les exportations « les résidus de pesticidesdans les vins deviennent un argument commercial ;ça devient des conditions à l’export où des vinspourraient être non conformes » (un acteur del’ICV).

Des atouts techniques à leur mise en œuvredans l’exploitationLes cépages résistants amènent des gains de tempset une réduction du stress pendant les périodes pro-pices au développement des maladies ; une conseil-lère de Chambre d’Agriculture parle de l’intérêt de« travailler moins sous tension » et de la possibilitéde se concentrer sur d’autres tâches. Des particulari-tés languedociennes sont à noter puisque les traite-ments s’effectuent la nuit et au petit matin (pouréviter la dispersion du produit par le vent), un travailde nuit contraignant qui serait allégé avec ces varié-tés résistantes. L’oïdium y est prédominant par rap-port au mildiou, or les stratégies alternatives detraitements contre l’oïdium (observations, modéli-sations) sont plus complexes selon un technicienviticole d’une cave coopérative. Mais d’autres

qualités peuvent être mises en avant. Certainscépages résistants étrangers allient ainsi résistancevariétale et fort rendement et, pour plusieurs acteursrencontrés, il s’agit d’un atout majeur : « La plus-value de ces variétés-là, ça va être le maintien de laqualité avec une augmentation considérable desrendements » (un viticulteur pépiniériste). Cetteafìrmation est toutefois contestée par d’autres, pourlesquels rendement et qualité sont incompatibles,notamment pour des vins enAOC.

Controverses autour des variétés :durabilité des résistances etconcurrence étrangère

L’Inra attache une importance particulière à ladurabilité des résistances, c’est-à-dire une résistancequi demeure efìcace lorsque la variété est cultivéesur de vastes surfaces pendant une longue périodedans un environnement favorable à la maladie(Johnson, 1979). Aìn de retarder au maximum unpossible contournement de la résistance, du fait deprocessus de mutation et de sélection au sein despopulations de champignons, les chercheurs del’Inra construisent des variétés polygéniques baséessur plusieurs gènes de résistance, apportant desfonctions de défense complémentaires et serenforçant (Hochereau et al., 2015). Ces variétésdites « ResDur » sont construites à Colmar à partirdes variétés dites « Bouquet », créées à Montpellier.Aux facteurs de résistance identiìés par Bouquetsont ajoutés, par croisement, d’autres gènes derésistances provenant de variétés américaines ouasiatiques. Les variétés « Bouquet » sont qualiìéesde monogéniques (ayant un seul gène de résistance)et ne sont pas déployées par l’Inra car elles risquent

Les centres de recherche impliqués dans la création d’hybrides résistants

En France, le programme Inra ResDur (pour Résistances Durables), débuté dans les années 2000 à Colmar, vise à créertrois séries de variétés résistantes ; leurs sorties sont prévues en 2017, 2020 et 2023. L’Inra délègue progressivement sescompétences en matière de création variétale à l’IFV, se recentrant sur la recherche fondamentale. L’avenir se dessine avecles programmes régionaux (Inra/IFV) dont l’objectif est de créer, en partenariat avec les interprofessions, des variétésrésistantes ayant des proþls agronomiques et surtout organoleptiques adaptés aux différentes régions viticoles françaises, viades rétrocroisements entre variétés locales typiques et variétés ResDur.

À l’étranger, les programmes de création de variétés résistantes sont effectués principalement en Allemagne avec les Institutsde Freiburg et Julius-Kuhn, en Suisse avec l’Agroscope de Changins et des sélectionneurs privés (en particulier ValentinBlattner et le pépiniériste Philippe Borioli), mais aussi en Italie avec l’Institut de génomique appliquée d’Udine. Ces variétéssont les seules actuellement disponibles pour l’expérimentation chez les viticulteurs.

Selon l’inventaire réalisé par l’ICV en 2013, 30 à 50 variétés résistantes nouvelles sont susceptibles d’être inscrites auxcatalogues des États de l’Union Européenne d’ici 2020/2050.

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d’être plus facilement contournées (Mestre et al.,2013), ce qui remettrait alors en cause la résistancedes variétés ResDur. L’enjeu pour l’Inra est depréserver aumieux lesgènesde résistances introduitspar Bouquet, en particulier le gène RUN1 exprimantune résistance totale à l’oïdium.

Mais il existe une contre-expertise quant à la déci-sion de l’Inra du non déploiement des variétés«Bouquet ».Des enseignants-chercheurs et des cher-cheurs, ayant testé ces variétés sur plusieurs années,argumentent de la qualité organoleptique de cesvariétés qui rencontrent de ce fait l’intérêt de la pro-fession viticole, d’autant qu’aucun contournementdes résistances n’a été décelé à ce jour4. Ils signalentd’autres intérêts des variétés « Bouquet », commeleur adaptation au climat méditerranéen, l’aspect deleurs feuilles (de type Vitis Vinifera) ou, pour cer-taines, un faible taux de sucre, recherché dans uncontexte de changement climatique (Ollat etTouzard,2014). Ils contestent l’argument scientiìque durisque de contournement, car elles seraient selon eux« monolocus » avec des gènes complémentaires augène de résistanceRUN1 à l’oïdium. Les débats sou-lèvent alors la question de la création d’un « club » deviticulteurs qui pourrait expérimenter les variétésBouquet en échange du suivi d’un cahier des chargesprécis, imposant des stratégies de traitements cibléespour se prémunir du risque d’érosion des résistances.Ces débats suscitent une incompréhension et frustra-tion très forte en Languedoc-Roussillon de la part dela profession viticole, qui a pu voir ou entendre parlerde ces variétés, ou même déguster leurs vins, et quine comprend pas la position nationale de l’Inra. Lacontroverse scientiìque s’étend donc au milieu pro-fessionnel, qui l’utilise, mais elle est aussi liée à undéìcit de connaissance sur les mécanismes de résis-tance des variétés « Bouquet » et à l’absence d’outilspour prédire le contournement ou non de cesrésistances.

L’Inra est l’institut de recherche le plus avancéen termes de pyramidage des résistances, mais lesinstituts étrangers travaillent également sur desséries polygéniques, après avoir produit des varié-tés monogéniques. Alors que les viticulteurs com-mencent à s’intéresser aux variétés résistantes etqu’aucune variété française n’est réellement dispo-nible, ceux-ci se tournent vers les variétés étran-gères disponibles (qui sont pour la plupart« monogéniques »). Une perception récurrente surle terrain est celle d’un « retard français », la crainteque les premières variétés Inra ResDur ne soientpas prêtes sufìsamment tôt, qu’elles ne soient pas

assez qualitatives et qu’elles soient diffusées sansréférences agronomiques pour maîtriser rapide-ment leur conduite. Les variétés allemandes etsuisses, actuellement les seules plantées en France,ont l’intérêt d’être déjà expérimentées chez desviticulteurs et évaluées comme donnant des vinsintéressants, ce qui n’est pas le cas des variétés InraResDur encore trop récentes5. Les Italiens mettenten place une stratégie commerciale ambitieusepour leurs variétés, jouant sur des noms de variétésconnues : « Petit Merlot » ou encore « CabernetRoyal », ce qui n’est pas sans poser problème quantau respect des règles de l’inscription variétale enEurope6. En France, certains viticulteurs préfèrentattendre les variétés Inra, faisant conìance ausérieux et à la rigueur de cet institut ; pour eux, lesvariétés étrangères constituent une concurrence (enpartie déloyale, notamment en ce qui concernel’usurpation des noms de variétés) et sont poten-tiellement moins intéressantes ou plus risquées (carne possédant qu’un seul gène de résistance). Pourd’autres, la France aurait une stratégie de dévalori-sation des variétés étrangères en faisant passer lediscours suivant : « polygénique = sécurité » vs« monogénique = danger » allant à l’encontre del’intérêt général pour un usage rapide de variétésrésistantes permettant de réduire la consommationexcessive de pesticides. D’autres, enìn, envisagentune coexistence paciìque de toutes ces variétés,voyant notamment les variétés étrangères commeune première étape de sensibilisation avant l’arri-vée des variétés françaises.

On observe ainsi un décalage entre le temps longde la recherche, avec le maximum de sécurité queles chercheurs souhaitent attacher à leur innovation,et le court ou moyen terme des demandes

4. Cette absence de contournement des variétés Bouquetest observée depuis 10 ans dans un milieu à pression fortepour l’oïdium, mais faible pour le mildiou, et sur de petitessurfaces, ce qui ne permet pas de statuer clairement sur ladurabilité de la résistance.5. Les cépages résistants allemands, dont les plus récentsCabernet cantor, Solaris, Muscaris blanc, Cabernet cortis,Souvignier gris, Monarch noir qui sont expérimentésen Languedoc sont en fait inscrits depuis plus de dixans (Landwirtschaftliche Bodennutzung- Rebðächen,Statistisches Bundesamt, Wiesbaden 2015).6. Les cépages inscrits ne doivent pouvoir être confondusavec d’autres, plus anciens, dont ils usurperaient en quelquesorte le renom. Jusqu’alors les variétés étrangères soitaccolaient un nom propre (comme Carbenet Cortis), soitdéformaient le nom (Souvignier gris pour Sauvignon). LesItaliens franchisent un pas en accolant un adjectif qualiìantun cépage renommé.

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pragmatiques des viticulteurs pour des variétésrésistantes,même si potentiellementmoins durables,aiguisées par les créations variétales étrangères : « Àlong terme, ça ne fait aucun doute, tout le mondeaimerait avoir des variétés multi-résistantes. Leproblème c’est qu’on est dans une course avec lesproblèmes viticoles réels » (un enseignant-chercheurde Supagro), et que « l’Inra risque de se fairecontournée par des concurrents moins exigeants »(un chercheur Inra).

Différents niveaux d’incertitudesdans le déploiement des variétésrésistantes

Attachement aux cépages traditionnelsen viticultureChanger de cépage impacte bien plus que de chan-ger de porte-greffe ou simplement de techniques deviniìcation car on touche au cœur, au matérielvégétal. Les cépages Vitis Vinifera actuels font par-tie du patrimoine ; un responsable d’unité expéri-mentale de l’INRA déclare ainsi : « on estresponsable d’une histoire de 2000 ans (…) on ne

jette pas le Merlot comme ça ». L’attachement estsurtout fort pour les appellations d’origine contrô-lée (AOC): « Le viticulteur, il est marié auxcépages de son AOC ; il y a une þliation » (ungénéticien Inra). Un viticulteur déclare : « Je suistrès attaché à l’appellation et des variétés résis-tantes au mildiou et à l’oïdium ce sont des hybridesqui ne sont pas dans le cahier des charges et n’ontpas de légitimité historique dans l’appellationdonc ça m’embête un peu… ». Aspect historique,mais également territorial : quelle appropriationpossible des variétés résistantes pour des appella-tions qui se déìnissent par des cépages régionaux,du terroir ? Certains imaginent un développementprogressif avec la conservation dans un premiertemps d’« ilots en appellation » avec des cépagestraditionnels et en parallèle le développement decépages résistants enVSIG et IGP. Les appellationslanguedociennes sont fortement basées sur desassemblages, ce qui est une caractéristiqueintéressante pour intégrer « doucement » cesnouveaux cépages (échanges avec des œnologues).La présence dans les croisements de cépages VitisVinifera traditionnels locaux semble très impor-tante pour les viticulteurs et professionnels de laìlière en général.

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formations viticoles qui ont véhiculé des imagesnégatives sur les hybrides : « on avait cette cultureoù on nous a tous enseigné que les hybrides c’étaitce qu’il ne fallait surtout pas faire » (un viticul-teur). Un a priori négatif qui est à nuancer pour lesjeunes générations. Quant à la possible confusionavec les OGM, les conseillers et responsables ren-contrés pensent que les viticulteurs font la plupartdu temps la différence, mais que la question revientsouvent lorsque le sujet est abordé la première fois.Les viticulteurs ne seraient pas a priori réticents àla création variétale mais ils craignent par contreune possible réaction négative de la part desconsommateurs envers l’innovation génétique.

Procédures d’inscription et d’expérimentationcontraignantesEn attendant les variétés ResDur développées parl’INRA, qui ne seront présentées pour inscriptionau catalogue français qu’à partir de 2017, les viti-culteurs français peuvent choisir parmi les 20anciens hybrides inscrits et classés, mais peu inté-ressants. Toutefois, ils ont la possibilité de s’enga-ger dans une démarche d’expérimentationtemporaire de variétés résistantes étrangères ins-crites dans l’un des États membres de l’UnionEuropéenne. Le découplage à venir en France entreinscription et classement va rendre plus facile l’ac-cès aux cépages étrangers sans avoir besoin d’avoirrecours à l’expérimentation. Les variétés de vigneseront inscrites d’ofìce au catalogue françaisquand elles l’auront été dans un autre État membre.

Perception de l’innovation génétique par lesacteurs de la þlièreLe vin possède encore une image de « produit natu-rel » (un conseiller AB, chercheur) par rapport àlaquelle, le chercheur « interventionniste » peutparaître décalé : « Moi dans les salons (de profes-sionnels viticoles) je suis le fou, je suis le généti-cien (…) c’est beaucoup plus sensible en vigne ».Une vision de tradition de la viticulture demeurealors même qu’il y a toujours eu domestications,créations, expérimentations sur le matériel végétalet que cette ìlière a déjà vécu une révolutionmajeure : l’arrivée des porte-greffes dans tous lesvignobles à la ìn du 19e siècle pour lutter contre lephylloxéra. Les viticulteurs rencontrés en sontconscients : « manipuler le vivant en viticulture, onl’a toujours fait, avec des greffages et autres » ;« l’hybridation c’est naturel, on ne fait qu’accélérer,orienter un certain croisement qui pourrait sepasser dans la nature. On remplace juste la petiteabeille ». Un enseignant-chercheur de Supagrorappelle qu’historiquement les hybrides ont été trèsbien acceptés par les viticulteurs (moitié du 20esiècle) ; « il y en a eu 400 000 hectares (d’ancienshybrides), c’est-à-dire l’équivalent de la moitié dela surface actuelle. Cela veut dire que les viticul-teurs français, toutes appellations confondues,n’étaient pas tellement coincés par rapport auxnouvelles variétés, la þlière a réagi positivement ».L’image des hybrides d’aujourd’hui est-elleinðuencée par ces hybrides d’hier ? De nombreuxviticulteurs interviewés reviennent sur les

L’utilisation de variétés de vigne repose sur deux procédures :

- l’inscription au catalogue national ou d’un autre Etat membre de l’Union Européenne, qui encadre la multiplication et ladistribution du matériel végétal

- l’admission au classement vitivinicole en France qui permet la commercialisation, avec proposition en 2016 d’introduire un« classement provisoire »

L’inscription d’une variété au catalogue se fait par arrêté du Ministère de l’Agriculture, sur avis du CTPS (Comité TechniquePermanent de Sélection) et requière 3 éléments :

- la VATE : évaluation de la « Valeur Agronomique Technologique et Environnementale »

- la DHS : « Distinction, Homogénéité, Stabilité » : description des caractéristiques phénologiques et morphologiques de la planteaþn de déterminer l’identité de la plante

- le nom de la variété

Concernant l’expérimentation, le règlement OCM unique (CE 1234/2007) admet la plantation, replantation ou le greffageà titre dérogatoire de variétés de raisins de cuve non classées dans l’Etat membre. Les parcelles doivent être déclarées àFranceAgriMer et suivies par un organisme technique, avec obligation d’arrachage au bout de 15 ans si le cépage n’est pasinscrit. En cas de commercialisation, il faut produire du vin sans indication géographique (VSIG) et ne pas faire apparaitre lenom de(s) variété(s) sur l’étiquette.

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réglementation. Plusieurs chercheurs deMontpellier sont favorables à la deuxième option :« on ne peut pas s’asseoir comme ça sur uneclassiìcation botanique de plus de 200 ans ! » (unenseignant-chercheur de Supagro).

Au niveau français, l’évolution du cahier descharges (donc la liste des cépages autorisés) desappellations semble complexe. Une variété doitêtre cultivée un certain temps pour être reconnuedans les listes AOP selon le principe de l’INAO« d’usages loyaux, locaux et constants ». Une res-ponsable expérimentation de Chambre d’Agricul-ture témoigne : « c’est très lourd pour faire entrerun nouveau cépage dans les AOC : 3 sites AOC, 3ans de ÿeurs puis 7 millésimes. L’innovation enappellation c’est en inadéquation avec la viemoderne ». La perte économique d’expérimenterpendant plusieurs années sans pouvoir valoriser levin en appellation représente un frein majeur. Lespersonnes rencontrées s’accordent à dire unanime-ment qu’il faudra du temps avant de voir descépages résistants en AOP. Le Responsable del’Observatoire Viticole de l’Hérault déclare :« c’était plutôt la profession des producteurs devins IGP que celle des vins d’appellation qui étaitintéressée par cette question des variétés résis-tantes », les IGP, « vins de l’innovation », selonl’ex-président d’Inter’Oc, J. Gravegeal, lors duGIESCO7.

Cependant, des signes d’ouvertures sont pal-pables. Durant le congrès de la CNAOC8 2015 àSancerre, son président, Bernard Farges, conclut :« il est important de s’intéresser vite et collec-tivement à ces sujets (changement climatique,cépages résistants). La machine INAO présente del’inertie, mais il y a du mouvement. L’AOC est unconcept moderne (…) Il n’est pas question de lais-ser uniquement les autres secteurs être capablesd’innover ». Ce serait donc une erreur de voir lesAOC uniquement comme une structure conserva-trice, opposée à l’innovation ; l’intérêt porté auxcépages résistants par plusieurs responsables d’ap-pellations régionales (programmes régionaux Inra/IFV) en témoigne. Une autre piste à creuser commeun compte rendu du comité national de l’INAO de2009 le souligne serait de faire en sorte que « lapréservation des terroirs passe aussi par une

En revanche, elles ne seront classées (et donc com-mercialisables) qu’en passant par un conseil spé-cialisé de FranceAgriMer composé essentiellementde professionnels. Cela représente une ouverturefavorable à l’adoption des variétés résistantesvenues des autres pays européens.

Il faut en moyenne 15 ans pour inscrire un nou-veau cépage avec des évaluations dans différentslieux, puis 3 ans pour être pré-multiplié par l’IFVet satisfaire les contraintes sanitaires d’absence deviroses, puis encore le temps de la multiplicationpar les pépiniéristes… pour qu’enìn les viticul-teurs puissent planter. Les procédures administra-tives sont évoquées par beaucoup d’acteurs commelongues et complexes. Un viticulteur expérimenta-teur estime ainsi qu’ « il y a une réelle demandepour les nouvelles variétés mais que le systèmed’inscription au catalogue est totalement ina-dapté ». Côté expérimentation, un partenaire del’ICV s’exprime : « actuellement, quelqu’un quiveut planter une variété nouvelle, c’est le parcoursdu combattant. L’administration met un certainnombre de bâtons dans les roues, il faut voir lespapiers qu’il faut remettre à FranceAgriMer, c’està décourager les gens de faire des expérimenta-tions ».Devoir s’entourer d’un organisme de suivi,qui de surcroit peut être payant, n’encourage pasforcément les viticulteurs à s’investir dans l’expé-rimentation. La France serait moins incitative qued’autres pays en termes de recherche et d’innova-tions privées, selon les acteurs rencontrés. Lerisque d’arrachage des variétés testées est aussi unfrein important à la plantation ; un viticulteur-expé-rimentateur déclare : « S’ils ne sont pas classés (etdonc non commercialisables), je serai obligé d’ar-racher (…) avec tout l’investissement que j’aifait ! ». Pour un conseiller AB, c’est le plus grosfrein : « les viticulteurs n’osent carrément pas ! ».Les propositions d’introduire un « classement pro-visoire » dans la réglementation pourrait être uneoption, maintenant toutefois la contrainte d’unsuivi technique des parcelles.

Spéciþcités juridiques des appellationsSelon la réglementation européenne (RèglementUE n° 1308/2013, Art. 93), il n’est pas permis decommercialiser sous le signeAOPdes variétés Vitisnon Vinifera. Deux options existent pour l’inscrip-tion en appellation de tels cépages résistants : fairecomme les Allemands et « contourner » la législa-tion européenne, c’est-à-dire caractériser ces varié-tés par leur « Genre Vitis » en s’appuyant sur deséléments ampélographiques, ou faire évoluer la

7. Groupe international d’experts en systèmes vitivinicolespour la coopération.8. La Confédération Nationale des producteurs de vins eteaux de vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées.

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qu’elles induisent un changement dans lesmanièresde conduire la vigne ? Pour un directeur de cavecoopérative, ces doutes et méconnaissances sont unfrein pour déployer ces variétés chez les viticul-teurs : « on ne va pas prendre le risque aujourd›huid’aller mettre un cépage résistant chez uncoopérateur parce qu’on a trop de questionnements,notamment sur la conduite agronomique de lavigne ».

Une solution consiste en la mise en place d’unréseau d’expérimentateurs avec des parcelles réfé-rentes, échanges d’informations et visites chez lesviticulteurs. Si davantage de communication sembleimportante, celle-ci gagnerait aussi à être pluspositive. Pour plusieurs personnes, l’Inra insiste tropsur les risques et pas assez sur les bénéìces :« d’accord, il y a le risque de contournement, qu’ilne faut pas négliger, mais n’occultons pas lesbénéìces !Convaincre toute laìlièreprofessionnelled’introduire ces variétés sera un travail de trèslongue haleine et il va falloir déployer des argumen-taires en faveur de ces variétés » (un acteur del’ICV).

De plus, il faut noter les nouvelles potentialitésque peuvent apporter ces cépages, en permettant dejouer sur une grande diversité de critères. Un géné-ticien déclare avec enthousiasme : « la génétique varépondre à tout, il y a vraiment possibilité d’allerchercher dans la génétique des réponses auxdemandes » (par exemple la couleur du vin, l’aci-dité…).Un viticulteur-expérimentateur débutant sespropres créations s’exprime : « Je n’avais pasconscience de toutes ces possibilités. On acommencé par la résistance aux maladies et,aujourd’hui, je me dis qu’en plus je vais pouvoirdoublermes rendements, étalerma récolte, avoir desconsommations en eau plus faibles, faciliter maculture… ».

Pas de garanties d’économies þnancièressur le court termeEst-ce que ces cépages amènent un gain ìnanciergrâce à l’économie de traitements ? Les avisdivergent. D’un côté, certains le pensent : « avecces cépages-là, c’est sûr le porte-monnaie, vouséconomisez » (un viticulteur-pépiniériste) « passerde 8 à 3 traitements, déjà moi je trouve que c’estintéressant notamment pour des raisons écono-miques » (un partenaire de la Coopérative deFrance LR). D’un autre côté, des coûts risquent decompenser ces économies de traitements, dumoinssur le court terme du fait de l’absence de primes à

prospection sur le matériel végétal et qu’il convien-drait de s’intéresser activement à la recherche denouvelles obtentions variétales ». L’argument derespecter le terroir pour sa meilleure expressionpossible, caractéristique au cœur des appellations,peut-il être un levier pour stimuler l’intérêt desappellations envers des alternatives non chimiquescomme les variétés résistantes ?

Questionnement autour de l’évaluation desrésistancesPlusieurs personnes rencontrées se demandentquelle est l’efìcacité et la durabilité de la résistancedes cépages résistants qu’ils viennent d’Alle-magne, d’Italie ou de France. Par exemple, un viti-culteur expérimentateur n’effectuant aucuntraitement dit : « C’est résistant au mildiou et àl’oïdium sur le papier, moi je veux voir ce que çadonne, je veux vraiment des cépages quirésistent ».

Une gestion durable des résistances, en effec-tuant 2 ou 3 traitements par campagne, semble dif-ìcile à appliquer selon certains.Ainsi, un chercheurde l’unité d’amélioration des plantes déclare : « unviticulteur qui voit qu’il n’y a pas besoin detraitements risque de ne pas le faire, c’est quandmême une grosse part du budget ». Des encadre-ments plus stricts existent, comme les cahiers descharges des caves coopératives ; une directriced’une cave coopérative ayant un projet de planta-tion déclare: « on ne leur vend pas qu’il y aura zérotraitement, nous ce sera très précis dans le cahierdes charges et ils seront obligés d’appliquer cequ’on dira en termes de traitements, on donneral’ensemble des recettes ». Il y a aussi l’option du« club » évoquée plus haut permettant un suivi desviticulteurs et un partage de connaissances sur lespratiques de chacun.

Autre débat, en ne traitant plus (ou moins), est-ceque des maladies « oubliées » ou « secondaires »,autrefois contrôlées avec les traitements anti-oïdiumet anti-mildiou, ne risquent pas de réapparaitre ?Desexpérimentateurs et des chercheurs ont ainsi consta-tés des sensibilités auBlack rot sur certains hybridesen station expérimentale….

Incertitudes techniques et de mise en œuvreCes nouvelles variétés posent encore beaucoup dequestions aux viticulteurs et aux professionnels dela ìlière : est-ce qu’il y aura sufìsamment dematé-riel végétal ? Est-ce que ces variétés supportent lamécanisation du travail adoptée en vigne ? Est-ce

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précisément les différences entre les cépages » (undirecteur de cave coopérative). Or ce point estessentiel : un viticulteur-pépiniériste-expérimenta-teur déclare : « il faudra qu’elles fassent leur preuveau niveau qualitatif sinon elles seront viteoubliées » ; pour un chercheur en œnologie : « il nefaut pas que sous prétexte de planter des vignesrésistantes aux maladies, on baisse la qualité glo-bale des vins ». Pour ceux qui en ont goûtés, lesavis divergent : « Je pense que, pour l’instant, ladégustation c’est pas le gros argument de cesvariétés. J’en ai dégusté, ça ne m’a pas vraimentconvaincu, c’est rude… » (un responsable d’expé-rimentation de la Chambre d’Agriculture). Aucontraire, d’autres croient à un réel potentiel : « il ya eu une évolution qualitative, maintenant lesvariétés résistantes jouent au même niveau que lesmeilleurs cépages Vinifera » (un agent deFranceAgriMer). En outre, il y a toujours la possi-bilité de jouer sur des techniques de viniìcation oud’assemblage. Pour l’instant, plusieurs acteurs ren-contrés regrettent que les viniìcations soient stan-dards et qu’on ne teste pas plus de modalitésdifférentes d’élaboration du vin. Pour certains, onpourrait même aller plus loin en proposant des vinstotalement nouveaux ; un partenaire de l’ICVclasse les variétés résistantes en trois types degoûts : celles qui rejoignent une typicité connue,des variétés plus neutres et des goûts nouveaux. Ilprend l’exemple de la variété Borsmenta (variétérésistante serbe) au goût menthe-poivré. Un cher-cheur se demande : « pourquoi chercher à rejoindreune typicité à tout prix ? On peut créer des chosesnouvelles tout à fait intéressantes ! ».

Risques commerciaux ou nouvellesvalorisations ?Plusieurs acteurs rencontrés craignent les réactionsdes consommateurs. Les termes « hybrides » et« résistants » risquent d’inquiéter les consomma-teurs : « au début, j’avais peur qu’on soit cataloguéOGM » (un viticulteur expérimentateur). En outre,quelle place peuvent prendre ces cépages alors quele marché se concentre fortement sur quelquesgrands cépages « internationaux » (Cabernet,Sauvignon, Merlot, Chardonnay) ? Les plantationssont orientées en fonction des demandes du mar-ché. En Languedoc, les vins de cépages repré-sentent unmarché important, notamment à l’export,le directeur d’une cave coopérative explique : « lemot internationalisation entre en jeu : on s’estrendu compte que c’est plus facile de vendre un vinparce qu’il s’appelle Merlot, Cabernet que Paysd’Hérault ou Côtes de Thongues ». Dès lors,

la plantation : « le verrou c’est surtout les primes.Il doit sauter parce qu’économiquement chez noussinon ça ne passera pas » (un pépiniériste diffuseurde variétés résistantes). Par exemple, une techni-cienne viticole de cave coopérative explique :« 4 ou 5 de nos coopérateurs sont motivés, ilsauraient des terres. La seule chose, c’est cette his-toire de primes qui représente un montant impor-tant, c’est presque 12 000 euros par hectare (…) auniveau du Conseil d’administration de la cave, onen a parlé et tout le monde était partant, mais sansprimes, ils ne veulent pas y aller ». Les primes à laplantation peuvent être de trois ordres : la primeindividuelle lorsque les cépages sont inscrits aucatalogue national (elle concerne aujourd’hui qua-siment tous les cépages inscrits) ; la prime collec-tive fait partie de plans collectifs de restructurationdépendant des bassins viticoles, concernant enLanguedoc une vingtaine de cépages ; les primesspéciþques en caves coopératives qui peuvent êtreproposées par l’entreprise pour orienter les planta-tions de ses coopérateurs (soit directement via desprimes à la plantation, soit indirectement via unerémunération supérieure de certains raisins).Plusieurs caves coopératives mettent en place despolitiques environnementales (par exemple, enrémunérant davantage les raisins issus de parcellesen agriculture intégrée) et pourraient intégrer lescépages résistants dans leurs stratégies.

Certains acteurs rencontrés pensent égalementque les économies de traitements risquent d’êtrecontrebalancées par les coûts des plants, 1,5 à 2fois plus chers que les cépages traditionnels VitisVinifera, du fait notamment de la rémunération desobtenteurs via les royalties.

Enìn, des cépages inconnus nécessitent un bud-get de communication ; suite à une dégustation, unconseiller AB déclare à propos de certaines varié-tés : « ce n’est ni bon nimauvaismais ça déstabilise.Pour des produits atypiques il faut un investissementcommercial important ». Ce qui peut poser pro-blème si les quantités de matériel végétal sontfaibles.

Quels qualité et goûts des nouveaux vinsobtenus ?Pour l’instant, la qualité des vins issus de ces varié-tés suscitent de nombreuses interrogations.Plusieurs personnes souhaitent en savoir davan-tage, « j’aimerais en déguster plus, on n’a pas delisibilité qualitative (…) on entend un peu tous lessons de cloche et j’aimerais savoir plus

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commercialisé ne tient pas » (le directeur adjointde FranceAgriMer). La plus-value environnemen-tale des nouveaux cépages peut être bien sûr miseen avant ; selon un viticulteur-expérimentateur, quiva commercialiser ses variétés : « au niveau de lacommunication, ça peut être très intéressant parceque sur l’étiquette je vais mettre ‘cépages résis-tants’, déjà je suis en bio et là en plus je ne traitepas au cuivre et au soufre, je pense que ce sera unebonne image à transmettre ».Avec la concurrenceactuelle sur les vins monocépages et les difìcultésde faire évoluer les listes d’appellation, plusieurspersonnes estiment qu’il est pertinent de partir surdes produits nouveau : « Il y a 20 ou 30 ans quandtu plantais des cépages type Chardonnay, ça t’ame-nait une réelle plus-value, aujourd’hui c’est devenudes standards internationaux avec un cours mon-dial donc très peu de marge (…)Avec ces nouvellesvariétés, tu retrouves une marge de négociation.Par exemple, à la cave Nicolas, on leur vend unChardonnay 2 €. Moi, j’’arrive avec un produit quin’a pas de nom, pas de cépage, juste une marque etune histoire que je leur vends 3.5 € ». Commer-cialiser sous une marque (par exemple PIWI9)semble en intéresser plus d’un. En effet, effectuerun travail de communication sur les noms de

commercialiser des vins aux noms inconnus est unchallenge ; un viticulteur expérimentateur déclare :« On a pris des risques commercialement, on nesavait pas du tout où on allait ». Un responsableprofessionnel a pu nous expliquer son manqued’intérêt pour les cépages Inra par rapport auxcépages italiens principalement pour des questionsde dénominations : « ça ne nous intéresse pas sic’est simplement pour de la couleur, du rosé, durouge, du blanc (…). Nous on veut des noms decépages ». Le vin issu de variétés résistantes n’estpas aujourd’hui une demande directe du marché,c’est un projet de vignerons. Si le consommateurest intéressé par des vins plus propres, plus bio, ilreste cependant « coincé, habitué à ses choix »alors, qu’au contraire, les viticulteurs seraientenclins à diversiìer leurs gammes de cépages.

D’un autre côté, certains pensent qu’il y a desouvertures parce que « les viticulteurs en reviennentde mettre duMerlot, du Cabernet partout » (un res-ponsable d’interprofession), mais aussi parce que« les consommateurs ne sont pas ìdèles à unproduit toute leur vie. Il y a une perméabilitéconsidérable aux nouveautés. L’argument de direqu’avec un nouveau nom ça aura du mal à être

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de développement sont encore incertains et l’ave-nir dépendra d’une évaluation bénéìces/risquesdes acteurs de la ìlière viticole entre le statu quo(continuer de traiter) et la nouveauté (les variétésrésistantes). Mais dans le contexte concurrentiel du« marché des vignes résistantes » ces conditionsdépendront aussi des stratégies et résultats desorganismes de recherche et de développement, enparticulier l’Inra et l’IFV. Comment leverl’incertitude sur les risques de contournement desvariétés qualiìées de monogéniques ? Commentaboutir le plus rapidement possibles à des variétésrésistantes également intéressantes pour la qualitédu vin et l’adaptation au changement climatiquedans les différentes régions viticoles ? Commentéviter d’être « contourné » par les stratégiesd’entreprises promouvant les variétés résistantesétrangères, sans doute moins regardantes sur lesrisques de contournement ? Comment s’assurerd’un débat constructif avec les organisationsviticoles et les consommateurs de plus en plusexigeants sur la réduction des pesticides ? Le pro-cessus de recherche et d’innovation sur les vignesrésistantes au mildiou et à l’oïdium illustre lessituations de plus en plus fréquentes d’une« science post normale » (Funtowicz, Ravetz,2008) où les chercheurs et partie-prenantes du pro-cessus se trouvent dans un contexte d’urgence(réduire les pesticides) et de renforcement desenjeux de responsabilité, alors que les résultatsrestent incertains et controversés. Voilà des ques-tions qui peuvent inciter à développer autour de lathématique « des vignes résistantes » une démarcheinnovante de science citoyenne. n

cépages ne semble pas le plus opportun car lestypes de variétés résistantes sont amenés à évoluer.Différents scénarios de valorisation sont possibles :lancer un produit complètement novateur, avec unemarque et un goût nouveau, ou s’appuyer sur uncépage et une appellation connus, pour en garder latypicité et notoriété et y introduire partiellement lecépage résistant. Ainsi même pour les vins dontl’identité commerciale est marquée par le nom decépage (souvent indiqué sur la bouteille), il est pos-sible d’y adjoindre une part de cépages distinctsselon la règle 85/1510.

ConclusionLes variétés de vigne résistantes au mildiou et àl’oïdium constituent une piste prometteuse pourrépondre à l’évolution du contexte environnemen-tal, sociétal et réglementaire. Le vignobleLanguedocien est particulièrement propice auxinnovations avec une diversité de types de vins, decépages et de pratiques, et une aptitude aux chan-gements liée aux crises viticoles passées. Cetterégion concentre les enjeux, débats et expérimen-tations sur les variétés résistantes, autant au seind’instituts techniques et de recherche que chez desviticulteurs et caves coopératives. Leurs actionstendent à faire connaitre le sujet au-delà des fron-tières régionales. Ce dynamisme traduit un « inté-ressement général », qui doit cependant être nuancécar les surfaces et projets de plantations à courtterme sont encore peu nombreux. Cela peuts’expliquer par la volonté de continuer avec lescépages habituels, dans un contexte de marchéplutôt favorable, notamment à l’exportation, maissurtout par les incertitudes et controverses quientourent le déploiement des variétés résistantes :la durabilité des résistances pour les variétés« monogéniques », le non accès aux primes à laplantation et les lourdeur/longueur du cadre admi-nistratif, les besoins d’information et de conseil surles changements induits de pratiques, le manque derecul qualitatif et les interrogations sur les percep-tions des consommateurs… Le développementsera surement progressif, à plusieurs vitesses :d’abord, de manière partielle, au sein des exploita-tions, dans les zones les plus problématiques (àimpasse réglementaire vis-à-vis de l’usage des pes-ticides, près des écoles ou des cours d’eau) et pourdes vins sans appellation ou IGP ; dans un secondtemps, dans les airesAOC qui auront pu tester l’in-térêt de ces variétés, y compris pour leurs capacitésà valoriser, sans pesticide, un terroir. Les scénarios

9. Acronyme de PilzWiderstandsfähig Pilz = champignon,Widerstandsfähig = capable de résistance cryptogamique.Dénomination internationale pour les cépages résistantsencore peu utilisée en France.10. Le règlement européen n° 753/2002 autorise l’utilisationjusqu’à 15 % de raisins autres que ceux du cépage indiquésur l’étiquette de la bouteille.

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Références bibliographiques

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AFTERRES2050, un scénario pour le débat public

Christian Couturier, Sylvain Doublet, Philippe Pointereau et Madeleine CharruAssociation Solagro

http://solagro.org/

Un scénario pour le débat public

Le scénario AFTERRES2050 est un exercice deprospective portant sur le système alimentaire fran-çais - du champ à l’assiette - réalisé par l’associa-tion SOLAGRO. La première publication date de2011, une seconde version a été présentée les 15 et16 Octobre 2015 et fera l’objet de prochainespublications détaillées.

AFTERRES2050 a été conçu pour répondre à unensemble de questionnements adressés par lasociété à l’agriculture : peut-on à la fois nourrirl’humanité, lutter contre le changement climatique,améliorer le revenu des agriculteurs, restaurer lesécosystèmes, fournir de nouvelles productions etde nouveaux services, intégrer le bien-être animal,garantir la qualité des produits, améliorer la santédes consommateurs, offrir saveurs, terroirs et pay-sages ? La liste est longue des injonctions souventcontradictoires adressées à l’agriculture et à laforêt.

Le scénario a été construit à l’aide d’un outil demodélisation, MoSUT (Modèle Systémique d’Uti-lisation des Terres) conçu par SOLAGRO et qui aété utilisé dans le cadre de différents exercices :notamment pour les travaux Trajectoires 2030-2050 de l’ADEME, réalisés pour alimenter le débatnational sur la transition énergétique (DNTE) qui aabouti à la loi éponyme en août 2015.

AFTERRES2050 est, quant à lui, couplé avec lescénario négaWatt, premier scénario de transitionénergétique pour la France, réalisé dans sa pre-mière version en 2003 par l’association négaWattet qui montrait un chemin possible pour atteindrel’objectif «facteur 4», c’est-à-dire la division par 4des émissions de gaz à effet de serre.

Les deux exercices, Trajectoire 2030-2050 del’ADEME et les scénarios couplés négaWatt etAFTERRES2050, sont les seuls travaux de pros-pectives décrivant comment la France peutatteindre ce facteur 4 d’ici 2050, tous gaz à effet deserre confondus, sans se cantonner au seul CO2d’origine fossile.

Soulignons également qu’il n’existe encoreaucun scénario de prospective de long terme pourl’ensemble du système alimentaire français, pré-sentant à la fois une approche bilancielle et uneévaluation multicritères. L’approche bilancielleconsiste à modéliser, calculer et mettre en cohé-rence des données physiques. Elle repose sur desnotions de surfaces, de quantités produites,consommées et perdues, à tous les stades du sys-tème, depuis les productions végétales primairesjusqu’aux usages ìnaux, alimentaires comme nonalimentaires. L’évaluation multicritère repose surun jeu d’indicateurs signiìcatifs : par exemplevaleur (en Joule) du solde exportateur, taux deréduction des émissions de gaz à effet de serre,

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indice de consommation de produits phytosani-taires, surface des infrastructures agroécologiques,surfaces de prairies naturelles, quantité de carboneapporté au sol, solde du bilan d’azote, etc.

Un scénario physique, ascendant,normatif, récursifLe scénarioAFTERRES2050 peut donc être quali-ìé de physique. Le modèle décrit les bilans d’ap-provisionnement de plusieurs dizaines de denréesagricoles ou alimentaires, constitués des ðux dematière depuis la production agricole primairejusqu’aux usages ìnaux, alimentaires et non ali-mentaires, en passant par les élevages, les transfor-mations, les usages industriels, les importations etles exportations. Il ne repose sur aucun moteurd’ordre socio-économique, car il impliqueraitnécessairement de recourir à des hypothèses surdes prix à long terme, et surtout de différentiels deprix, qu’il est impossible de modéliser.

Il est également ascendant ou ‘‘bottom-up» :il est bâti par agrégation de données techniquementmaîtrisées. Par exemple le cheptel bovin laitierest décrit par un jeu de caractéristiques tel querations alimentaires, production de lait et de viande,temps de pâture, fermentations entériques, pra-tiques de gestion des déjections d’élevage.Différents types d’élevage laitiers sont décrits en 6types différents sur un panel qui va de la vache enpâture intégrale produisant 5.000 litres de lait paran jusqu’à l’absence de pâturage compensée pardes concentrés alimentaires et la production de10.000 litres de lait par an. La première étapeconsiste à désagréger la « ferme France » : le trou-peau laitier est réparti entre ces principaux typesd›élevage de manière à obtenir une représentationsimpliìée du cheptel laitier au niveau national. Lascénarisation consiste ensuite à faire varier cetteproportion pour créer des scénarios contrastés, parexemple un scénario en régime à l’herbe comparéà un scénario orienté vers l’intensiìcation avecconcentrés alimentaires, en tenant compte des prai-ries naturelles disponibles.

Le scénario est également normatif c’est-à-direque certains indicateurs font délibérément l’objetd’un objectif cible et sont choisis pour le suivre.L’exercice ne consiste pas ici à explorer l’ensembledes futurs possibles, mais à identiìer au moins uneroute conduisant à un futur souhaité, c’est-à-direun scénario dont les indicateurs correspondent peu

ou prou aux objectifs ìxés initialement par lesconcepteurs du scénario. On parle d’exercice debackcasting, ou parfois de rétro-prospective : ondéìnit un objectif futur et l’on remonte vers le pré-sent, ce qui permet d’identiìer des trajectoires etdes vitesses d’évolution.

En conséquence, le scénario est récursif, car lasolution trouvée in ìne n’est pas la solution ini-tiale, et il a fallu corriger par retouches successivesles premiers essais pour parvenir au résultat ìnal.L’une des questions initialement posées consistaità identiìer à quelles conditions l’agriculture pou-vait diviser par 4 ses émissions de GES, conformé-ment aux objectifs nationaux. Ces conditions ontété rapidement jugées inacceptables puisqu’ellesimpliquaient, dans l’état des pratiques et des tech-niques mobilisables à grande échelle à l’échéance2050, un abandon important des surfaces agricolespar afforestation de plusieurs millions d’hectaresde prairies naturelles et une diminution drastiquedes exportations. L’objectif « facteur 2 » a étéquant à lui jugé faisable sans pari technique nisociétal, uniquement par la massiìcation de solu-tions existantes et par le renforcement de tendancesen cours. Cet objectif est d’ailleurs conforme à laFeuille de route de l’Union Européenne pour uneéconomie décarbonée à l’horizon 2050 : moins 42à 49 % pour l’agriculture EU et jusqu’à moins85 % pour d’autres secteurs. Les travaux ultérieursont permis d’aller au-delà de ce facteur 2 : laconsigne désormais est de viser aminima le facteur2 et d’aller aussi loin que possible et souhaitablevers le facteur 4. Ce qui implique que les autressecteurs, comme le bâtiment, les transports et l’in-dustrie, aillent plus loin que le facteur 4 : ce qui estbien le cas du scénario négaWatt qui vise un facteursupérieur à 8 pour le CO2 issu des modes de pro-duction des énergies.

Conjuguer les échellesLe scénario AFTERRES2050 a été conçu initiale-ment à l’échelle de la France métropolitaine. Les«limites du système» ont été gérées. Une contraintede maintien relatif du solde exportateur a été inté-grée, sous la forme suivante : maintien des exporta-tionsde lait soussesdifférentes formes, augmentationde 60% des exportations de céréales destinées àl’alimentation humaine vers les régions qui serontnécessairement déìcitaires en 2050 : principalementl’ensemble du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient, ensebasant sur laprospectiveAGRIMONDE

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(version G1)1, et diminution des exportations decéréales fourragères vers l’Europe en parallèle à ladiminution du cheptel européen.

La seconde phase du projet - après la phase ini-tiale qui a consisté à imaginer un premier scénarioau niveau national - a consisté à travailler à d’autreséchelles géographiques, notamment l’échelle desrégions administratives de 2015. D’autres choixauraient pu être préférés, plus en lien avec la géo-graphie agricole par exemple, mais le partenariatavec des entités politiques que sont les ConseilsRégionaux présente l’intérêt de permettre un tra-vail collaboratif dans un espace de concertationlargement ouvert. Ces travaux ont reçu le soutiende l’ADEME, de la Fondation pour le Progrès del’Homme et des 4 conseils régionaux de Picardie,Ile-de-France, Centre et Rhône-Alpes, ils se sontdéroulés sur 2 ans, jusqu’en Octobre 2015, et ontréuni des acteurs venus d’horizons variés : agricul-teurs, forestiers, chercheurs, enseignants, élus etagents de collectivités territoriales, entrepreneurs,journalistes, nutritionnistes, etc. Environ 60 per-sonnes ont été mobilisées dans les différentes réu-nions de travail.

Un conseil scientiìque a également été constituépour accompagner la démarche. Composé de 18chercheurs de différentes disciplines et secteurs -agronomie, forêt, pêche, nutrition, économie,sociologie, énergie… - ce conseil a permis d’éclai-rer les débats, de maintenir une cohérence globaleet d’améliorer la robustesse du scénario.

1. La prospective Agrimonde (http://www.quae.com/fr/r274-agrimonde-vf-.html) est un exercice prospectifmené par l’Inra et le Cirad de 2006 à 2009. Il a explorédes voies pour nourrir neuf milliards d’individus en 2050d’une manière durable, et mis en évidence l’éventailcomplexe des interactions entre la sécurité alimentaire etl’insécurité, la terre et ses usages, et les impacts humains surl’environnement. Agrimonde G1 est un scénario de rupturevise la durabilité des systèmes agricoles et agroalimentaires,dans lequel les disponibilités alimentaires en 2050 sontìxées à 3 000 kilocalories/jour/habitant, dont 500 d’origineanimale. Cette norme suppose une diminution de 25% desconsommations individuelles apparentes dans les paysdéveloppés de l’OCDE et inversement, une augmentationéquivalente en pourcentage en Afrique subsaharienne.Les surfaces cultivées augmentent considérablement, d’unpeu moins de 580 millions d’hectares en 50 ans, presqueexclusivement au détriment des pâtures (- 481 millionsd’hectares, soit - 14%) alors que les surfaces forestièressont pratiquement constantes. Ces surfaces sont cultivées defaçon bien différente relativement à aujourd’hui. À l’échellede la planète, les rendements augmenteraient de 1,14 % paran soit deux fois moins vite que sur les années 1961-2000(2,01%).

Une troisième échelle de travail a été ajoutée,celle de « fermes type », aìn de tester la cohérencede systèmes nouveaux à l’échelle d’unités de pro-duction de base. Il ne s’agit pas à proprement parlerd’exploitations agricoles puisque la forme mêmedes entreprises agricoles à l’horizon 2050 reste uneinconnue. Cette échelle permet de vériìer la faisa-bilité agronomique et technique de nouveaux agro-systèmes, et de mieux intégrer les effets duchangement climatique. Chacun des trois échelons- local, régional et national - s’alimente l’un l’autre.

Par exemple, en régions de grande culture, lepassagemassif (près de 50% de l’assolement) à dessystèmes en agriculture biologique est fortementlimité par la nécessité des apports exogènes d’azoteet de matière organique, ce qui n’est pas le caslorsque les systèmes en agriculture biologiquessont marginaux : pour se développer, ces agrosys-tèmes doivent être autonomes en azote, ce quiimplique une surface sufìsante de légumineuses,qui constituent la seule source primaire d’azote enagriculture biologique. L’un des facteurs limitantsest le débouché pour ces légumineuses. La priori-sation de l’élevage de ruminants en régions demontagne, sur prairies naturelles, dans un contextede réduction globale du cheptel, interdit d’imaginerun cheptel bovin qui soit à la hauteur de ces pro-ductions de légumineuses fourragères (notammentla luzerne) en régions de grandes cultures, d’autantque, il faut le rappeler, tout élevage est exportateurnet d’azote (exportation par la production de viandeet de lait, pertes par volatilisation et lixiviation).Différents types de débouchés ont donc été imagi-nés : alimentation humaine (y compris à partir deluzerne), exportation pour l’alimentation animale,engrais verts, y compris avec la variante méthani-sation de manière à reconstituer des cycles del’azote qui soient proches de ceux que l’on ren-contre dans les systèmes polyculture-élevage.Entre autres enseignements, l’exercice démontreles limites des systèmes polyculture élevage : cettesolution ne peut pas être généralisée à l’ensembledu territoire national pour plusieurs raisons :incompatibilité avec les enjeux sur les gaz à effetsde serre, inégalité de répartition des prairies natu-relles, impossible conversion des « terres à blé ». Ilest donc nécessaire de construire des agrosystèmesautonomes en azote et sans élevage.

A l’échelon régional, la sole agricole a étédécomposée en différents systèmes types, repré-sentatifs des pratiques régionales, et décrits par unerotation. La scénarisation consiste ici d’une part à

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imaginer d’autres systèmes types et à faire évoluerla proportion de chacun de ces systèmes. Les sys-tèmes agricoles types de 2050 ont comme point dedépart les fermes types actuelles. Elles sont toutd’abord évaluées en termes de productions, robus-tesse agronomique, impacts environnementaux,résilience climatique. Puis on les fait évoluer sous3 contraintes majeures : mobiliser des pratiquesagroécologiques (fermer les cycles de nutriments,maximiser les synergies, utiliser les fonctionnalitésnaturelles, réduire les impacts environnementaux); améliorer la résilience climatique (choix desespèces, diversiìcation, effet « sol ») ; produirepour répondre à la demande identiìée (plus de pro-téines végétales pour l’alimentation humaine,moins de lait et de viande, plus de matériaux etd’énergie…). Ces contraintes conduisent à unegénéralisation de la couverture des sols et uneréduction (voire une suppression) du travail du sol,une diversiìcation des productions végétales, unallongement des rotations et une optimisation de lagestion des prairies naturelles.

À titre d’exemple, en régions de grandescultures, les rotations actuelles sont largementdominées par les céréales, aussi tout allongementet diversiìcation des rotations implique nécessai-rement une diminution de la sole en céréales, auproìt essentiellement des légumineuses graines ouherbacées. Inversement en région d’élevage, cesont les cultures fourragères qui cèderont la placeaux grandes cultures tant céréalières que protéagi-neuses. La surface en céréales gagne en premierlieu sur les fourrages annuels, puis les prairies

Le régime demitarien (néologisme apparuvoici une dizaine d’années) est basé sur unéquilibre entre protéines animales et protéinesvégétales de 60/40, ce qui revient à diviserpar 2 environ la consommation de produitsd’origine animale, ce qui le situe à égaledistance entre le régime moyen actuel despays riches et un régime végétarien.

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temporaires et enìn, éventuellement, sur les prai-ries naturelles. Nous disposons donc désormaisd’un ensemble de « briques » élémentaires (desfermes types en grandes culture, élevage bovin lait,bovin viande, granivores…) qui permet à la fois dedécrire la situation actuelle et d’envisager dessituations futures, par assemblage au niveau régio-nal puis au niveau national.

Le scénario conjugue les échelles géogra-phiques, il cherche également à articuler l’offre etla demande. L’évolution de la demande n’est pasposée comme un postulat de départ, mais commeune construction sociale qu’il convient d’interro-ger. Les travaux s’appuient notamment sur les pre-miers résultats du programme Bionutrinet, quimettent en évidence l’intérêt des régimes de type

Tableau : Hypothèses représentatives des scénarios étudiés

Actuel

2010

38 %

33 %

2 %

1 %

97 %

6400

40 %

69 %

Conventionnel91 %

Tendanciel

2050

44 %

31 %

15 %

10 %

75 %

7800

36 %

50 %

Conventionnel74 %

1 %

4 %

7 %

AFTERRES2050

2050

61 %

20 %

45 %

45 %

10 %

6100

66 %

5 %

Bio sous bâtiment41 %

15 %

30 %

33 %

SAB

2050

61 %

20 %

90 %

7 %

3 %

5900

68 %

2 %

Bio sousbâtiment 64 %

10 %

20 %

20 %

REP

2050

48 %

18 %

15 %

35 %

50 %

6400

62 %

15 %

Amélioré 58 %

15 %

30 %

33 %

Année

Alimentation

Protéines végétales

Surconsommation + pertes

Cultures

Bioa

Intégré

Raisonné

Élevage

Production de lait par vache

Temps de pâture

Poules pondeuses en cage

Porc

Matériaux et énergie

Taux d’utilisation des pailles comme matériau

Taux d’utilisation des pailles en méthanisation

Taux d’utilisation des cultures intermédiairesen méthanisation

Actuel

2010

4 890

17 000

9 200

Tendanciel

2050

7 180

16 440

7 630

SAB

2050

6 320

17 740

8 370

REP

2050

6 320

17 760

8 240

AFTERRES2050 v. Oct. 2015

2050

6 320

17 590

8 220

Scénario

Année

Surfaces artiþcialisées

Forêts

Prairies naturelles

kha

kha

kha

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demitarien (voir encadré) en termes de santépublique (réduction de l’obésité et du surpoidsnotamment). Ceux-ci se caractérisent, par rapportau régime alimentaire actuel, par un recours accruaux protéines végétales, aux céréales peu rafìnées,fruits, légumes, légumineuses et fruits coques, etune moindre consommation de produits d’originecarnée, de fromage, de sucre courts, de produitsrafìnés ou transformés. La connexion étroite entrele champ et l’assiette, en termes de modélisationdes ðux, peu fréquente dans les exercices usuels,constitue l’un des apports d’AFTERRES2050.

Trois variantes et un tendancielDeux variantes du scénarioAFTERRES2050 ont étéconstruites : le scénario«SAB»(Santé,Alimentation,Biodiversité) et le scénario «ReP» (Résilience etProduction). Un scénario dit «tendanciel» qui estune projection du système actuel avec ses tendancesmais sous contraintes climatiques a également étéproduit : il permet des comparaisons plus pertinentesqu’avec la situation actuelle.

Le tableau ci-contre présente quelques-unes desprincipales caractéristiques des scénarios étudiés.SABmet l’accent sur la qualité nutritionnelle des ali-

ments, les aspects sanitaires et environnementaux,le tout en bio. ReP est plus soucieux de la sécuritéalimentaire : il se veut plus productif et met plusl’accent sur les exportations. Les trois variantesrestent cependant toujours relativement proches, ils’agit bien de tester différentes voies pour parvenirà des objectifs similaires. On notera par exempleque le temps de pâture en élevage laitier dépasse60% pour les 3 variantes (contre 40% aujourd’hui),que les systèmes bio et intégré représentent 50% del’assolement dans ReP, que SAB utilise 20% desrésidus de culture et cultures intermédiaires enméthanisation.

Le scénario AFTERRES2050 intègre une aug-mentation jugée incompressible de 1,5Mha de sur-faces artiìcialisées, soit 0,8 Mha de moins quedans le scénario tendanciel. La surface de la forêtaugmente légèrement de 0,6 Mha (au lieu de dimi-nuer de 0,6 Mha), et les prairies naturelles perdent1Mha, au lieu de 1,5Mha, traduisant une inðexionnotable de l’évolution en cours mais sans toutefoisl’annuler.

Le scénario fait l’hypothèse que la disponibilitéen poisson se réduit fortement du fait des menacespesant sur les stocks mondiaux, ce qui représenteune contrainte forte sur l’équilibre alimentaire

Tableau : principaux indicateurs clé (la notation (+) et (-) indiquent le sens souhaité de l’évolution pour chaqueindicateur).

Actuel

2010

4 202

530

41

114

102

2,1

749

86

2,8

526

Tendanciel

2050

4 200

568

192

89

79

1,9

388

57

3,7

326

SAB

2050

4 000

254

665

44

33

0,1

185

4

2,2

890

REP

2050

4 300

624

762

51

34

1,3

214

44

2,9

1 043

AFTERRES2050v. Oct. 2015

2050

4 300

474

787

46

32

0,7

221

23

2,4

1 110

Scénario

Année

Production primaire ( + )

Solde exportateur ( + )

Productions non alimentaires ( + )

Gaz à effet de serre ( - )

Empreinte carbone(hors matériaux et énergie) ( - )

Consommation d’azote minéral ( - )

Emissions d’ammoniac ( - )

Indicateur phytosanitaires ( - )

Irrigation ( - )

Infrastructures agroécologiques (+)

PJ

PJ

PJ

MteqCO2

MteqCO2

Mt

kt

M doses NODU

Mds m3

kha

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– mais ne tient pas compte du développement éven-tuel de la pisciculture. Le scénarioAFTERRES2050généralise les couverts, les techniques culturalessimpliìées, les rotations longues et les infrastruc-tures agroécologiques. Il prévoit un fort développe-ment de l’agroforesterie, des cultures associées, etd’unemanière générale de nombreuses formes d’as-sociations, de diversiìcations et de mixité.

Les résultatsAFTERRES2050 décrit comment il est possible demaintenir une production végétale primaire à unniveau proche de celui d’aujourd’hui en divisantpar 3 l’ensemble des intrants et impacts : émissionsde gaz à effet de serre (facteur 2,5 dans la versionactuelle), d’ammoniac ; consommation d’azoteminéral, d’énergie, de produits phytosanitaires.Seule la consommation d’eau reste maintenue à unniveau proche (-15%) de l’actuel, les surfaces irri-guées augmentant (+30%) avec toutefois une diffé-rencemajeure puisque l’irrigation d’été diminue de80% au proìt de l’irrigation de printemps.

Unités : PJ = Pétajoules, MteqCO2 = Millionde tonnes équivalent CO2, M doses NODU =million de Doses Unités.Les arbitrages appa-raissent par identiìcation des ðux de carboneìnaux. L’énergie primaire (des productions végé-tales primaires) aboutit soit dans les produits ali-mentaires consommés, y compris par exportation,soit dans les matières restituées au sol, après pas-sage éventuellement par le système digestif desanimaux, ou par celui des méthaniseurs. Leschaînes trophiques se concluent donc par 4 typesde systèmes digestifs, celui des humains, celui desanimaux, celui des digesteurs et celui des microor-ganismes du sol.

Ces ðux permettent de discuter des arbitrages etdonnent la possibilité à chacun d›exprimer ses pré-férences. On peut souhaiter un scénario qui vise unniveau d›exportation plus élevé, mais en contrepar-tie la vie du sol risque d’être pénalisée (scénarioReP). Inversement un scénario qui privilégie le soldoit réduire les exportations et la productiond’énergie et matériaux.

Actuel

2010

410

740

40

1 380

1 770

Tendanciel

2050

450

760

190

1 080

1 820

SAB

2050

380

390

660

640

2 020

REP

2050

360

760

760

650

1 67

AFTERRES2050v. Oct. 2015

2050

380

610

790

640

1 930

Scénario

Année

Alimentation humaine

Exportations

Energie et matériaux

Pertes métabolisme animal*

Sol

PJ

PJ

PJ

PJ

PJ

* incluant pertes carbone déjections avant épandage.

Tableau : carbone restitué aux sols agricoles.

Actuel

2010

1 770

1 290

940

Tendanciel

2050

1 820

1 280

930

SAB

2050

2 020

1 370

980

REP

2050

1 670

1 230

890

AFTERRES2050v. Oct. 2015

2050

1 930

1 390

990

Scénario

Année

Carbone total

Carbone > 1 mois

Carbone > 6 mois

PJ

PJ

PJ

Le carbone > 1 mois (respectivement 6 mois) désigne la quantité de carbone, exprimée en valeur énergétique, qui resteprésente 1 mois (ou 6 mois) après un apport au sol, la différence avec le carbone total représente donc l’énergie consomméepar le sol en 1 mois (ou en 6 mois).

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environ la moitié de la production végétale primaire.L’indicateur carbone est d’autant plus favorable auscénario AFTERRES2050 que l’on considère lesfractions les plus stables de la matière organique,avec toujours des niveaux relativement voisinsselon les scénarios considérés, seul le scénario REPétant moins bien noté que les autres. Cet indicateurest de première importance ; pour autant il est rare-ment pris en compte dans ce type d’exercice, sonmode de calcul est incertain et son interprétationl’est tout autant. Il est également notable que la

On notera en effet l’importance prise par les pro-ductions non alimentaires, qui représentent 20%de laproduction primaire. Il s’agit de productions d’éner-gie, principalement par méthanisation, et de maté-riaux. Ces productions sont issues des culturesintermédiaires, des éléments arborés, des résidus deculture, des déjections d’élevage, et de l’herbe nonconsomméepar les animaux, y compris unepartie descultures de luzerne dédiées «azote / énergie». Laquantité de carbone restituée aux champs est néan-moins comparable au niveau actuel, et représente

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etc. L’agroalimentaire n’est pas perdante : elle créeencore 39.000 emplois, nettement moins que les117.000 emplois créés dans le scénario tendanciel,mais il est difìcile de qualiìer cette évolution decatastrophe industrielle.

L’explication tient principalement dans le faitque le volume de production diminue nettementmoins que les consommations intermédiaires, lavaleur ajoutée (égale à la différence entre la pro-duction et les consommations intermédiaires) estau ìnal plus élevée que dans le scénario tendanciel.Quel que soit le scénario envisagé, la clé de l’évo-lution de l’emploi reste l’évolution de la producti-vité : celle-ci a été multipliée par 5 dans le secteuragricole depuis 1980, contre 2 pour l’ensemble del’économie, ce qui explique que la part de l’emploiagricole régresse. Rien ne permet encore d’afìrmerque la productivité évoluerait différemment entreles différents scénarios. C’est donc bien la diffé-rence entre le scénario tendanciel et le scénarioAFTERRES2050 qu’il faut analyser, et le gain enemplois dû aux effets de modiìcation du systèmeet des pratiques est très net.

73.000 emplois de plus pour l’agriculture,78.000 de moins pour l’agroalimentaire, envaleur relative : mais la somme n’est pas nulle.En effet, les ménages gagnent directement ouindirectement près de 10 milliards d’euros depouvoir d’achat. Le prix unitaire des produitsagricoles est supérieur pour AFTERRES2050,mais ceci est compensé par la diminution des quan-tités consommées et surtout la modiìcation del’assiette, car les protéines d’origine végétale sontmoins chères. Cette hausse de pouvoir d’achat setraduit par une augmentation de la demande dansles autres secteurs économiques, avec au ìnal ungain net de 144.000 emplois.

Le calcul s’effectue sans modiìer les régimes deìscalité. En particulier les subventions à l’agricul-ture sont restées identiques. La discussion estouverte à ce sujet : les 10 milliards d’euros dontbénéìcieraient les ménages ne doivent-ils pas êtreaffectés prioritairement à l’agriculture et au soutienau revenu agricole ? Les analyses préliminairesmontrent que, loin d’être une catastrophe pourl’agriculture, le scénario AFTERRES2050 s’ensort au moins aussi bien que le scénario tendanciel,qui suppose que tout puisse fonctionner demaincomme aujourd’hui, ce qui, sans doute plus que lescénario AFTERRES2050, constitue bien un déìtechnique et sociétal.

réduction massive du travail du sol ralentit consi-dérablement la dégradation de la matière orga-nique. En ìn de compte, moins de dégradation etplus de restitution conduisent à une augmentationdu stock de carbone des sols cultivés.

Les productions animales sont profondémentmodiìées. La majorité des systèmes d’élevagepassent sous signe de qualité, les élevages sanspâture et les poules en batterie disparaissent au pro-ìt des élevages à l’herbe, des volières et des éle-vages en plein air. Les cheptels sont réduits : letroupeau laitier passe de 3,7 à 2,3 millions devaches avec maintien (voire renforcement) desraces mixtes, le troupeau allaitant de 4,2 à 1,3 mil-lions de têtes. Le nombre de places de porcs char-cutiers passe de 8,5 à 5,1 millions de places et celuides poulets de chair de 141 à 110 millions.

Le solde exportateur de viande augmente néan-moins, car la consommation a diminué. Il en va demême pour le lait, le solde exportateur se maintientmalgré une diminution de la production de 25 à 15milliards de litre, du fait de la diminution de laconsommation.

Premières analysessocio-économiquesUne évaluation socio-économique a été conìée àPhilippe Quirion, du CIRED, pour évaluer l’évolu-tion nette en emplois à l’horizon 2030. Le scénarioAFTERRES2050 permet de conserver 73.000emplois agricoles, par rapport à un scénario ten-danciel. Au rythme actuel, l’agriculture devrait eneffet perdre encore 123.000 emplois d’ici 2030,contre «seulement» 50.000 dans le scénarioAFTERRES2050, selon le mode de calcul utilisé.Le revenu par actif agricole est supérieur à sonniveau actuel, et légèrement inférieur à celui duscénario tendanciel. Ce chiffre est calculé unique-ment sur le périmètre des productions agricolesproprement dites : il ne compte pas les diversiìca-tions vers des activités de transformation et de dis-tribution, qui seraient favorisées par les circuitscourts de proximité par exemple, et il n’impute pasau secteur agricole les nouvelles activités généréesen aval, comme la production de biomasse pour lesmatériaux et l’énergie.

Ces calculs ne tiennent pas compte des externa-lités positives, comme la diminution possible descoûts de potabilisation de l’eau, de santé publique,

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Un second axe de travail consiste à tester l’outilMoSUT dans d’autres contextes, par exemple pourd’autres pays européen, pour l’Union Européenne,où encore à des échelles territoriales intermé-diaires. L’idée est de tester un concept de «terri-toires à alimentation et énergie positive»(TEAPOS), à partir des TEPOS (territoires à éner-gie positive) dont l’ambition est de produire autantd’énergie renouvelable qu’ils n’en consomment.

Enìn le troisième axe, prévu dès le lancementdu projet, tentera de répondre à la question du com-ment, qui clôture inévitablement toute séance deprésentation du scénario. n

Quelles suites ?Plusieurs suites sont d’ores et déjà engagées. Lestravaux s’orientent désormais sur deux axes. Lepremier est celui de la nutrition : la mise en adéqua-tion étroite entre l’assiette et le champ ne va pas desoi, les nutritionnistes raisonnent en grammesd’aliments ingérés par jour tandis que le systèmeagricole raisonne en tonnes de produits agricolespar an, et la mise en relation nécessite une connais-sance ìne des matrices de correspondance. Lesétapes de transformation jouent un rôle clé, puisque90% des produits agricoles passent par la caseagroalimentaire. Un travail a démarré sur ce thème,avec pour objectif de réactualiser le bilan carbonede l’assiette, en ajoutant au stade de la productionagricole celui de l’agroalimentaire, de la distribu-tion, et des ménages (courses, cuisine).

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L’effet sur l’emploi d’une transition écologique de l’agricultureen France : le cas du scénario Afterres

Maïmouna Bâ, Mathilde Gresset-Bourgeois, Philippe QuirionCIRED, CNRS

Préambule

L’association Solagro a réalisé le scénario quanti-tatif Afterres qui fait l’objet d’un autre article dansce Courrier de l’environnement de l’INRA. Il décritune évolution de l’alimentation, de l’agriculture etde l’usage des terres favorable à l’environnementet à la santé, à l’échelle de la France. Ce scénariose caractérise notamment par le développement del’agriculture biologique et intégrée et par unemoindre consommation de viande et de produitslaitiers. Cet article vise à estimer l’emploi agri-cole, l’emploi total et les composantes du revenuagricole, pour ce scénario par rapport à un scéna-rio tendanciel également réalisé par l’associationSolagro. Ces scénarios étant uniquement exprimésen quantités physiques, la représentation écono-mique à l’horizon 2030 est construite à partir dutableau entrées-sorties de l’économie française etdu recensement agricole.

IntroductionComme le déclare le Conseil Économique, Socialet Environnemental en session plénière du 26 mai2015, « la question de l’acceptabilité sociale et dela soutenabilité économique d’une transition versunmode de croissance plus durable est étroitementliée à la question de l’emploi » (CESE, 2015).

Depuis la révolution industrielle, en France commeailleurs, les emplois sont passés massivement dusecteur primaire (agriculture et mines) au secteursecondaire (l’industrie) puis au tertiaire (INSEE,2010). En lien avec cette évolution, l’idée selonlaquelle le progrès économique et social impliqueune baisse de l’emploi agricole est profondémentancrée. Pourtant, en France comme ailleurs dans lemonde, la poursuite de cette évolution se heurte àdeux problèmes : d’une part, dans un contexte dechômage massif (dans beaucoup de pays euro-péens) ou d’arrivée de classes d’âge très nom-breuses sur le marché du travail (dans beaucoup depays en développement, cf. Dorin et al., 2013), est-il toujours pertinent de supprimer des emplois dansl’agriculture ? D’autre part, l’agriculture indus-trielle génère des atteintes à l’environnementimportantes, que ce soit en terme de biodiversité,de santé, de pollution de l’eau ou d’émissions degaz à effet de serre (ADEME, 2015 ; Bâ et al.,2015a). Une transition écologique de l’agricultureest inévitable et de nombreux travaux de rechercheapportent diverses réponses techniques, que ce soitpar des changements de pratiques ou par des inno-vations technologiques (Bonny, 1994 ; INRA,2013).

Cette transition aura certainement un effet surl’emploi en France, que ce soit en milieu rural oudans divers secteurs économiques, comme ce fut le

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cas précédemment : l’évolution du système agro-industriel depuis 1960 s’est traduite par unedécroissance signiìcative des emplois agricoles etune création d’emploi dans l’industrie (agroali-mentaire) et les services de restauration (Leblanc,2012). Le présent article cherche donc à évaluerl’effet sur l’emploi total d’une transition écolo-gique de l’agriculture par rapport à un scénario ten-danciel dont les politiques agricoles restentconstantes.

Différents points de vue s’opposent quant àl’impact sur l’emploi agricole et la stabilité écono-mique d’une transition écologique de l’agriculture(et bien sûr quant à la forme que celle-ci pourraitprendre). En particulier les adeptes du développe-ment de l’agriculture biologique (AB) avancentqu’elle présenterait une plus forte intensité enmaind’œuvre que l’agriculture conventionnelle (AgenceBio, 2012). Inversement, les plus réticents cri-tiquent les performances économiques de l’AB,arguant que la rentabilité est plus faible. À ce sujet,la revue de littérature réalisée par l’INRA (2013)ne permet pas de dégager une « conclusion claire,simple et générale quant à des performances éco-nomiques supérieures ou au contraire inférieuresdes exploitations en AB versus en agricultureconventionnelle ». C’est pourquoi dans cet articlenous ne traitons pas que l’impact sur l’emploi maisaussi d’autres aspects socio-économiques commela valeur ajoutée dégagée par actif agricole, lerésultat agricole par actif selon le montant des sub-ventions de l’État ou encore le coût à supporter parles consommateurs. Pour évaluer l’effet sur l’em-ploi dans l’agriculture nous nous appuyons sur lesdonnées du recensement agricole fournies par leministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire etde la forêt. L’évaluation de l’effet sur l’emploi del’agriculture biologique n’est pas nouvelle mais lesétudes existantes ne traitent pas le sujet à uneéchelle nationale pour toutes les ìlières agricoles,comme le propose le présent article.

Le choix d’un scénario de transition écologiquede l’agriculture s’est imposé de lui-même : si cer-tains scénarios, comme celui réalisé par la FAO(2013), traitent par exemple d’une transition versun élevage biologique à faible intensité d’intrants àl’échelle mondiale, à notre connaissance, un seulscénario traite de la transition écologique de l’agri-culture pour toutes les ìlières et à l’échelle fran-çaise, qui plus est, en détaillant un certain nombrede données nécessaires (surfaces utilisées, intrantsen énergie, quantités physiques de consommation

humaine et animale, etc.). Il s’agit du scénarioAfterres construit par l’association SOLAGRO(2014). Le scénario Afterres décrit un régime deconsommation alimentaire moins carné, moinslacté et moins sucré. Les systèmes et pratiques rete-nus pour la production agricole sont de nature àréduire les atteintes à l’environnement. Les culturesse partagent entre agriculture biologique, agricul-ture conventionnelle (en régression progressive) etagriculture intégrée, une voie intermédiaire entreagriculture intensive et agriculture biologique(Viaux 2013). L’élevage se partage entre un sys-tème conventionnel (en régression progressive) etun système d’élevage sous label (SOLAGRO,2014).

La réorientation des modèles de production et deconsommation décrite dans le scénario Afterresentraine des créations d’emplois dans certainesactivités et en détruit dans d’autres. Nous prenonsdonc en compte les emplois directs, c’est-à-dire lacréation et la destruction d’emplois dans la brancheagriculture, et les emplois indirects, c’est-à-direceux créés ou détruits dans les branches liées àl’agriculture comme la chimie ou les industriesagro-alimentaire. De plus, nous prenons en compteun effet induit sur l’emploi déìni comme suit : l’undes deux scénarios étant nécessairement plus coû-teux que l’autre, des agents économiques devrontpayer ce surcoût et donc réduire leurs dépensesdans d’autres branches de l’économie, impactantl’emploi dans ces branches.

Enìn, bien que le scénario Afterres soit établi àl’horizon 2050, on se limite ici à 2030 pour deuxraisons : d’une part il n’est pas certain que le chô-mage soit encore un problème en 2050 et d’autrepart il se peut que d’ici 35 ans des ruptures techno-logiques imprévisibles rendent caduques les hypo-thèses technologiques nécessaires à ce typed’étude.

Mesurer les effets sur l’emploiPour mesurer l’effet sur l’emploi du scénarioAfterres, nous procédons en deux étapes. Toutd’abord nous estimons le nombre d’emplois dansl’agriculture nécessaires pour produire les biens etservices agricoles du scénario. La seconde étapeconsiste à évaluer l’effet sur l’emploi dans le restede l’économie. Pour cela, on s’appuie sur leTableau Entrée-Sortie (TES) de la ComptabilitéNationale (CN) qui nous permet de prendre en

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compte les emplois directs et indirects, à travers ladescription des liens qui existent entre les branches1de l’économie. Deux hypothèses importantes sontà souligner.

Tout d’abord la productivité du travail en Francea augmenté de 0,75% par an entre 2005 et 2011d’après l’INSEE, c’est pourquoi nous avons choisiune hypothèse d’évolution de la productivité de0,75% par an. Cela implique que ces gains de pro-ductivité augmentent le revenu d’un ou plusieurssecteurs institutionnels (ménages, administrationspubliques, entreprises) et que ces derniers augmen-tent leurs dépenses dumêmemontant et demanièrehomothétique au vecteur de la demande ìnale en2010. Cette hypothèse d’homothétie peut être dis-cutée, mais elle évite d’introduire des paramètresforcément discutables dans l’analyse pour distin-guer les branches en fonction de leurélasticité-revenu.

Par ailleurs, aujourd’hui le prix des denrées agri-coles varie bien évidemment d’un aliment à unautre mais aussi selon la pratique de production :agriculture biologique (AB), agriculture conven-tionnelle (AC), etc. Selon les enquêtes en magasin,le surcoût des produits issus de l’AB, pour leconsommateur, est évalué en moyenne à 40%aujourd’hui par rapport aux produits issus de l’AC2.Ce surcoût diminue année après année avec l’évo-lution de la production de produits biologiques(DGCCRF, 2009). On fait donc l’hypothèse que cesurcoût diminue d’un point de pourcentage chaqueannée. Ainsi, nous supposons qu’en 2030 le sur-coût du bio par rapport au conventionnel sera de20%. Pour les produits issus de l’agriculture inté-grée (AI), on prend lamoyenne entre bio et conven-tionnel. Le surcoût actuel est donc ìxé à 20% et ilbaisse à 10% en 2030.

Les emplois dans l’agriculture

Les données les plus détaillées et complètes à cejour sont celles issues du Recensement Agricole(RA) réalisé par le ministère de l’Agriculture, del’Agroalimentaire et de la Forêt. Les résultats du

1. Une branche (ou branche d’activité) regroupe des unitésde production homogènes, c’est-à-dire qui fabriquent desproduits (ou rendent des services) appartenant au même itemde la nomenclature d’activité économique considérée.2. http://www.consoglobe.com/achat-bio-cher-2846-cghttp://www.quechoisir.org/commerce/magasin-grande-surface/communique-prix-du-bio-en-grandes-surfaces-l-ufc-que-choisir-demande-des-comptes.

RA 20103 montrent que le nombre d’emplois parhectare dans l’agriculture est variable selon troisparamètres : l’Orientation Technico-économiquede l’Exploitation (OTEX), le type de pratique (AB,AC, etc.) et la taille économique de l’exploitation.

Le nombre d’emploi dans l’agriculture néces-saires à la production dans chaque scénario estdonccalculéàpartirdesdonnéesduRecensementAgricole 2010 (RA) et des données de chacun desscénarios (Afterres et Tendanciel), fournies parl’association SOLAGRO. A partir des donnéesdu RA nous obtenons (Tableau 1) les quotientsd’emploi par hectare, autrement dit le nombre d’em-plois nécessaires par surface exploitée, pour chaqueOTEX et selon le type de pratique (biologique, inté-grée ou conventionnelle). Le classement par tailleéconomique des exploitations n’est pas retenu car lescénarioAfterres n’implique pas d’hypothèses quantà l’évolution de la taille des exploitations. Le calculde l’emploi se fait en multipliant ces quotients parles surfaces utilisées en 2030. Les surfaces utiliséespar OTEX et par type de pratique sont obtenues àpartir des données de chacun des scénarios.

Il est souvent soutenu que les exploitationsbiologiques sont plus génératrices d’emploisque les exploitations conventionnelles parce quel’intensité en travail y serait plus importante,pour compenser l’absence d’utilisation de pro-duits chimiques et d’engrais azotés. A premièrevue le tableau 1 indique que cela ne semble vraique pour certaines OTEX. Cependant, l’ABdemande une plus grande surface de culture pourunemême quantité produite, comme dans le maraî-chage où le rendement enAB est en moyenne 35%plus faible (Seufert et al. 2012). Donc pour unemême quantité produite sur 100 ha d’exploitationen AC, environ 154 ha sont nécessaires en AB etpar conséquent 58,9 UTA enAB, contre 42,5 UTAen AC. De même pour les élevages monogas-triques, les surfaces utilisées par tête de bétail dansles exploitations biologiques (FNAB, 2014) et dansune grande partie des exploitations sous « label »4sont plus importantes que dans les exploitationsconventionnelles.

3. Les données du recensement agricole sont mises en lignepar le ministère de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et dela forêt. Le dernier recensement date de 2010 et concernetoutes les exploitations agricoles, y compris les plus petites.4. « Label » au sens des arrêtés nommés « Notice techniquedéìnissant les critères minimaux à remplir pour l’obtentiond’un label ».

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Les quotients de 2030 évoluent par rapport àceux de 2010 demanière identique à l’évolution dela productivité du travail appliquée pour toutes lesbranches. Aucune autre hypothèse en matièred’évolution du quotient emploi par hectare n’estprise, ni pour les exploitations enAC, ni pour cellesen AB ou en AI. En effet avec l’introduction dupaiement redistributif dans la réforme de laPolitique Agricole Commune applicable en 2015,l’incitation à l’agrandissement et donc à la diminu-tion de la densité en emploi des dernières décen-nies pourrait être réduite (Courleux et al., 2014).L’extrapolation de la tendance antérieure, au vu despolitiques publiques qui pourraient évoluer dansles quinze prochaines années, est donc trop incer-taine pour être faite ici, d’autant que la tendance adiminué au cours des dernières années. Quant à laproductivité du travail dans les exploitations enABou en AI, nous n’avons pas encore assez de don-nées pour appliquer une évolution supplémentaired’ici 2030 (INRA, 2013).

Les emplois dans les autres branches

Pour estimer l’effet sur l’emploi total de chacundes scénarios nous nous appuyons sur deux sources,le nombre d’emplois par branche en 2010 et le

Tableau Entrée-Sortie (TES) de la comptabiliténationale. Avec ces données nous calculons lecontenu en emploi (Husson, 1994), c’est-à-dire lenombre d’emploi créé par un million d’eurosdépensé en demande ìnale, cette dernière compre-nant les dépenses de consommation des ménages etdes administrations publiques, les investissements etles exportations. D’une branche à l’autre le contenuen emploi varie, par exemple en 2010 pour un mil-lion d’euros dépensé dans la branche véhicule àmoteur, un peu moins de 9 emplois sont nécessairesen France, contre un peu plus de 15 emplois pour unmillion d’euros dépensé dans la branche construc-tion. Ces variations peuvent êtres dues au différentstaux d’importation dans la branche ou encore à l’in-tensité capitalistique (Perrier et Quirion, 2015). Pourcalculer ce contenu en emploi, on pourrait prendre leratio emploi par chiffre d’affaire de la branche, maisce n’est pas satisfaisant car ça ne prend pas encompte les emplois indirects, c’est à dire les emploisnécessaires dans les autres branches pour répondre àla demande ìnale, en plus des emplois directs dansla branche elle-même. C’est pourquoi on utilise leTES de la comptabilité nationale pour calculer lecontenu en emploi, car le TES décrit les liens com-merciaux qui existent entre chaque branche de l’éco-nomie (voir Figure 1).

Tableau 1 : Emplois par hectare selon l’OTEX et le type de pratique de l’exploitation en 2010

Source : Agreste – Recensement Agricole 2010 pour l’AB et l’AC et auteurs pour l’AI

Agriculture biologique

2,42

38,25

14,06

12,54

2,44

1,44

2,17

2,50

4,22

4,19

7,50

Agriculture intégrée

1,90

40,36

13,00

12,99

-

-

-

-

-

3,16

-

Agriculture conventionnelle

1,39

42,47

11,93

13,44

2,41

1,83

1,93

3,25

4,34

2,13

8,28

En UTA/100ha

Grandes cultures

Maraîchage et horticulture

Viticulture

Fruits

Bovins lait

Bovins viande

Bovins mixtes

Ovins, caprins etc.

Monogastriques

Polyculture et polyélevage

Non classées

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Cette ìgure illustre le Tableau Entrée – Sortie defaçon simpliìé, le TES sur lequel s’appuie le pré-sent article étant composé de 64 branches, contre 3ici. L’équilibre comptable du TES implique pourchaque produit une égalité entre les ressources etles utilisations. Dans cet exemple, l’Agricultureproduit 1500 €, dont 300 qu’elle consomme elle-même, 600 vendus à la branche Industrie, 100 auxservices et 500 vendus pour satisfaire la demandeìnale. Ces 1500 € sont utilisés comme suit : 300sous forme d’achat à elle-même, 100 à l’Industrieet 100 aux services ; il reste donc 1000 € de valeurajoutée qui payent les salaires, les cotisationssociales et le revenu des entrepreneurs.

C’est à partir du TES 2010 que nous calculons leTES en 2030 pour chacun des scénarios en incluantles différents changements. Par exemple dans lescénarioAfterres la branche agriculture consommebeaucoup moins de pesticides et d’engrais azotésachetés à la branche chimie, ou encore la brancheagriculture vend de la biomasse supplémentaire àla branche « électricité et gaz » qui importe moinsde gaz puisqu’une partie est produite sur le terri-toire par le processus de méthanisation.

La projection en 2030 du TES permet d’obtenirla valeur ajoutée de chaque branche, « qui est l’ex-cédent de la valeur des biens ou services produitssur la valeur des biens et services intermédiairesconsommés pour les produire » (Piriou et Bournay,2015). Eurostat fournit les emplois par branche duTES, qu’on utilise pour déìnir un ratio emploi parvaleur ajoutée de la branche qu’on fait évoluer en2030 avec l’hypothèse de progression de 0,75%par an de la productivité. Les emplois calculés ainsirépondent à la demande finale totale. Afin

d’analyser les résultats obtenus nous calculons lesemplois générés (directs et indirects) par lademande ìnale de chacune des branches. Husson(1994) détaille la méthode de calcul.

Effets sur l’emploi :résultats et analyseLa méthode présentée ci-dessus nous permet d’ob-tenir le nombre d’emplois par branche de l’écono-mie en 2030 dans chacun des deux scénarios,Afterres et Tendanciel. Ces résultats sont comparésentre eux et avec ceux obtenus pour l’année debase, 2010.

Les effets autour de la branche agriculture

L’évolution de l’emploi dans l’agricultureLa décroissance de l’emploi dans l’agricultureobservée depuis plus d’un demi-siècle se pour-suit dans les deux scénarios (Graphique 1).L’emploi est de 11% plus élevé dans Afterres quedans le Tendanciel soit +73 276 emplois équivalenttemps plein (ETP), également appelés unités detravail annuel (UTA).

Une décomposition d’indice, par la méthodeLMDI (Ang. et al., 1998), nous permet de mettreen avant les effets positifs pour l’emploi ainsi queles effets négatifs (Graphique 2). Le développe-ment de l’AB et de l’AI au détriment de l’AC (effet« mix de pratique ») est favorable à la créationd’emplois dans l’agriculture, le volume de travailétant plus important dans les exploitations en AB(Agreste, 2012). Sans surprise la progression de laproductivité est destructrice d’emploi (effet

Figure 1 : Schéma simpliìé du Tableau Entrée-Sortie (inspirée de « Input-OutputAnalysis » (Miller et Blair 2009))

Agriculture

300

100

100

1000

1500

Industrie

600

200

200

1000

2000

Services

100

200

200

1000

1500

500

1500

1000

1500

2000

1500

Produitsintermédiairesdes branches

Valeur ajoutée

Production

Consommations intermédiaires des branches Demande þnale Production

Agriculture

Industrie

Services

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« productivité »), puisqu’elle implique moinsd’emploi pour une même production. Enìn l’évo-lution de la production agricole en terme de quan-tité et répartition entre élevage/produits végétaux(effet « quantité et répartition ») n’est pas non plusfavorable à l’emploi. Dans le scénario Afterres, laquantité à produire diminue globalement, et larépartition entre produits de l’élevage et produitsvégétaux se fait en faveur des végétaux. L’effet de

l’évolution de la production est moins destructeurd’emploi dans le scénario Afterres que dans leTendanciel, où la quantité et la répartition de la pro-duction restent proches de 2010. On peut donc endéduire que la perte d’emplois dans le scénarioAfterres, due à la diminution de la quantité globaleproduite, est atténuée par une production moinscarnée et donc plus végétale (plus intensive entravail).

Graphique 1 : Emploi dans l’agriculture total en 2010 et en 2030 dans les scénariosAfterres et Tendancielselon l’OTEX2009

Graphique 2 : Effet de structure sur l’emploi dans l’agriculture (en Unité TempsAnnuel)

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Le revenu des agriculteursLes systèmes enABetAI se développent dans le scé-narioAfterres au détriment des systèmes enAC. Lesperformances économiques entre les différentes pra-tiques (AB,AI ouAC) sont variables, plusieurs fac-teurs peuvent intervenir : la productivité physique del’exploitation (plus faible enAB), les charges opéra-tionnelles, le prix de vente ou encore les subventionsperçues et les charges de structures (INRA, 2013).

Pour évaluer le résultat agricole moyen par actifdu scénario Afterres, nous le comparons auTendanciel où le développement des ìlières AB etAI est beaucoup moins important, et on applique lemême montant de subventions et le même pourcen-tage d’impôts sur la production qu’en 2010. Laconsommation de capital ìxe est évaluée pour l’en-semble des biens de capital ìxe de la branche agri-cole (bâtiments, matériels) en fonction de leur duréede vie et des investissements propres à chaque scé-nario. La productivité, le prix de vente et les chargesde structure jouent donc sur la variabilité du résultatagricole par actif entre les deux scénarios.

Ces dernières décennies le revenu agricole paractif a augmenté, non par une augmentation durésultat agricole agrégé, mais par une diminutiondu nombre d’emploi. Le résultat agricole par actifen 2010 s’élève à 28.600 euros par an. Nous abou-tissons à un résultat agricole légèrement supérieurdans le scénario Afterres et à un résultat agricolepar actif supérieur dans le scénario Tendanciel(39.200 euros5 par an), car le nombre d’emploisdans l’agriculture est plus faible. Notons qu’avecun montant de subventions supplémentaire de 2milliards d’euros 2010 dans le scénarioAfterres, lerésultat agricole par actif serait égal à celui du scé-nario Tendanciel. Or, les coûts externes de l’agri-culture française sont bien plus élevés (14 à 55milliards d’euros selon Bâ et al., 2015a), aussi il sepeut qu’un tel transfert soit justiìé dans une optiquede minimisation du coût social total, mais uneétude spéciìque serait nécessaire pour le savoir.

Dépense de consommationsdes ménagesMalgré une productivité plus faible dans le scéna-rio Afterres, donc plus d’emplois pour une même

5. Toutes les valeurs monétaires sont exprimées inðationdéduite, en euros 2010.

valeur ajoutée, le résultat agricole par actif estsatisfaisant. Parmi les autres facteurs pouvant jouersur le résultat agricole, le prix de vente des produitsintervient, les autres facteurs comme les subven-tions étant identiques dans les deux scénarios. Il estdonc légitime de se demander si ce ne sont pas lesménages qui vont supporter ce résultat à travers lesurcoût appliqué aux produits de l’AB et de l’AI.

La dépense de consommation des ménages aug-mente de 0,75% par an du fait de notre hypothèsede progression de la productivité. La dépense deconsommation en alimentation des ménages suitcette évolution dans le scénario Tendanciel tandisque celle du scénarioAfterres augmente à peine de0,08% par an, soit 1,6% en 20 ans. Si la part desproduits agricoles et des IAAdans la dépense totalede consommation des ménages est passée de 40%en 1950 à moins de 20% à partir des années 1980,elle diminue moins rapidement ces dernièresannées. Le scénario Tendanciel suit la tendancerécente alors que la part de consommation alimen-taire dans le scénarioAfterres diminue plus signiì-cativement. Cela est dû au régime alimentairemoins carné et moins sucré du scénarioAfterres (ladépense en produits des IAA augmente à peine de0,7% en 20 ans alors qu’elle augmente de 10,8% enproduits non transformés). Le surcoût appliqué auproduits de l’AB et de l’AI n’engendre donc pasune dépense supplémentaire pour les ménages.

Une dépense de consommation supplémentairedans les autres branches de l’économie dans le scé-nario Afterres découle de la différence de dépensede consommation alimentaire entre les deux scéna-rios, et s’élève à environ 9 milliards d’euros.

Les effets sur le reste de l’économie

Si l’emploi agricole est directement concerné parune transition écologique de l’agriculture, lesemplois des autres branches s’en trouvent égale-ment impactés. La forte décroissance de l’emploidans l’agriculture depuis 1955 s’est accompagnéed’une croissance de l’emploi dans les branchesamont et aval, non sans pertes en agrégé (Leblanc,2012).

Le Tableau 2 résume les branches de l’économieles plus impactées par le scénarioAfterres en com-paraison au scénario Tendanciel. Il donne le soldedes emplois directs par branche, c’est-à-dire la dif-férence d’emplois directs entre deux situations.

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régime moins carné et moins sucré entraînant unebaisse d’activité dans les industries agroalimen-taires et par conséquent dans les branches liées quece soit en amont (électricité, transport) ou en aval(transport, distribution). Et certaines branchescomme la chimie ou l’énergie sont plus touchéespar la perte d’emplois dans le scénario Afterres dufait que les systèmes agricoles évoluent de façon àréduire les intrants et à consommer moinsd’énergie.

Effet sur l’emploi du développementde la biomasseLe développement de la biomasse est beaucoup plusimportant dans le scénario Afterres que dans leTendanciel (+44 040 ETP). Une part de ces emploisest attribuable aux investissements (21 860ETP) fai-sant appel à des branches comme la construction oules machines et équipements. Cependant ces coûtsd’investissements sont supportés par d’autresbranches de l’économie qui voient leur demande

L’effet sur l’emploi direct par branche du scéna-rio Afterres est principalement positif sauf dans labranche des IndustriesAgro-Alimentaires (IAA) etla branche de l’énergie (électricité, gaz vapeur etair conditionné).Aìn demieux saisir le sens de cesrésultats nous avons regardé l’impact sur l’emploi(création et destruction) dû à ce que nous appelonsl’activité alimentaire et l’effet généré par le déve-loppement de la biomasse. Chacune de ces activi-tés génère des emplois dans sa propre branche(emplois directs) et dans d’autres branches(emplois indirects).

Effet sur l’emploi de l’activité alimentaireL’activité alimentaire correspond à la demandeìnale des branches Agriculture et IAA. L’activitéalimentaire évolue de manière défavorable à l’em-ploi dans les deux scénarios, et ce davantage dansle scénarioAfterres (84 000 emplois ETP de moinsque dans le scénario Tendanciel). Le régime ali-mentaire du scénario Afterres évolue vers un

Tableau 2 : Solde de l’emploi direct par branche et total du scénarioAfterres par rapport au scénario Tendancielet de chaque scénario par rapport à 2010, pour une sélection de branches (en milliers d’emplois ETP)

Source : calcul des auteurs

Afterres/Tendanciel

73

-78

6

5

-4

18

30

5

13

11

11

11

42

144

Afterres/2010

-50

39

7

9

-5

26

74

5

19

17

18

15

-24

148

Afterres/Tendanciel

73

-78

6

5

-4

18

30

5

13

11

11

11

42

144

Culture et production animale, chasse et services annexes

Industries alimentaires, boissons et tabac

Fabrication de machines et équipements n.c.a

Réparation et installation de machines et d’équipements

Production et distribution d’électricité, gaz, vapeur et air conditionné

Construction et genie civil

Hébergement et restauration

Architecture, ingénierie, contrôle et analyses techniques

Administration publique et défense; sécurité sociale obligatoire

Enseignement

Activités pour la santé humaine

Action sociale

Autres branches

Total

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sensibilité, présentée par Bâ et ses collègues (Bâ etal., 2015b), a permis également de conforter larobustesse des résultats.

Plusieurs limites sont identiìées. Le modèle detransport et de distribution des denrées alimen-taires est identique à celui de 2010, or une profondemodiìcation du système de production agricole etdes préférences de consommation entraînerait iné-vitablement un certain changement de cette partiede la chaîne alimentaire. Il est plus simple d’inté-grer ce point dans des études à de plus petiteséchelles comme c’est le cas dans le scénario d’au-tonomie alimentaire pour Rennes Métropole(Darrot, 2014). De plus dès aujourd’hui nousvoyons émerger de plus en plus de modes variés dedistribution, notamment initiés par les producteurseux-mêmes, individuellement ou en coopération(INRA, 2008).

Ensuite la comptabilité nationale, base surlaquelle repose le travail de prospective écono-mique, ne comptabilise pas certains élémentscomme la pollution ou le patrimoine naturel et pay-sager. Des travaux visent à les prendre en comptedans la comptabilité nationale, mais n’ont pasencore fait l’objet d’une application complète enFrance. Or dans le cas d’une transition écologiquede l’agriculture, les externalités négatives et posi-tives peuvent se révéler non négligeables. En effet,sur la base des études existantes, certes limitées,nous avons chiffré le coût de la pollution agricoleentre 14 et 55 milliards d’euros (Bâ et al., 2015b).

Finalement une transition écologique de l’agri-culture ne se fera pas sans un accompagnement despolitiques publiques et un développement sufìsantdes secteurs de la recherche, de la formation et duconseil autour de l’évolution des systèmes de pro-duction agricole, comme le recommande le ConseilNational de l’Alimentation pour les perspectivesde développement de l’agriculture biologique enFrance (CNA, 2015). n

ìnale diminuer et par conséquent les emplois asso-ciésaussi.Les investissementsde laìlière conduisentà un effet net sur l’emploi de moins 1800 emploisETP dans le scénario Afterres et 200 emplois ETPdans le scénario Tendanciel. Au ìnal le développe-ment de la ìlière biomasse a un effet net sur l’emploide plus 20 350 emplois ETPpour le scénarioAfterrespar rapport au scénario Tendanciel.

Effet sur l’emploi totalL’emploi croît signiìcativement dans le scénarioAfterres par rapport au scénario Tendanciel, dansplusieurs branches. Comme nous venons de le voir,une partie s’explique par le développement de labiomasse ; pour le reste il s’agit de ce qu’on appellel’effet induit. Les dépenses alimentaires, diminuantplus fortement dans le scénario Afterres que dansle scénario Tendanciel, permettent une redistribu-tion du pouvoir d’achat plus importante dans lesautres branches.Ainsi l’accroissement de l’emploiest plus important dans les branches où le contenuen emploi est important, en particulier lesservices.

ConclusionCette évaluation de l’effet sur l’emploi d’une tran-sition écologique de l’agriculture prenant la formedu scénario Afterres, permet d’identiìer les effetspositifs et négatifs sur l’emploi, soit un accroisse-ment de l’emploi dans certaines branches, unedécroissance ralentie dans l’agriculture et unedécroissance dans d’autres branches, notammentl’industrie agroalimentaire. C’est donc une analysecomplète, qui comptabilise les emplois créés etdétruits. Nous aboutissons à un résultat positifcomparé à un scénario Tendanciel. De plus, nousconcluons qu’aucun surcoût ne serait à supporterpar les consommateurs ou l’Etat. Quant au revenupar agriculteur, à subventions égales, il ne seraitpas dégradé par rapport à 2010, bien qu’inférieurau scénario Tendanciel.

Cette analyse complète les études existantes((Offerman et al., 2000), (Chambru, 2011) ouencore (Verot, 1998)), avec la particularité d’éva-luer l’effet sur l’emploi total et pas seulement ceuxde la ìlière agricole elle-même, aval et amont. Lesrésultats obtenus renforcent l’idée qu’engager unetransition écologique de l’agriculture serait favo-rable à l’emploi. Ils reposent sur certaines hypo-thèses et méthodes évidemment contestable maisprésentés de manière transparente. Une analyse de

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Trufþculture et aménagement durable des territoires :une première réÿexion pour des expérimentations innovantes

Sophie LAFON, ingénieur chercheur , Irstea, URADBX, Aménités et dynamiques des espaces ruraux,50 avenue de Verdun, Gazinet, F-33612 Cestas Cedex, France

Jean-Marc OLIVIER, ancien directeur de recherche INRA, coordinateur du plan national trufìculture.Jean-Charles SAVIGNAC, président d’honneur de la Fédération Française des Trufìculteurs.

[email protected]

La truffe, Tuber melanosporum, produit agricoleou forestier, est à l’origine d’une grande richesse depratiques. L’enjeu de cet article est de montrercomment cette diversité de pratiques peut contri-buer à différents enjeux environnementaux pré-sents aìn de permettre un aménagement durabledes territoires. Les truffes étant à la fois un produitforestier et un produit agricole, l’analyse montreles avantages respectifs de ces deux types de pra-tiques dans cette perspective. Par le biais d’uneapproche concertée, d’importantes ressourcespeuvent être mises en valeur à travers la coordina-tion territoriale. Depuis leur arrivée en 1970, lesplants mycorhizés sont devenus la pierre angulairedu développement de la trufìculture. La qualité deces arbres mycorhizés est garantie par des orga-nismes certiìcateurs. Leur utilisation est générale-ment une marque de professionnalisme chez lestrufìculteurs. Ces plants mycorhizés peuvent êtreutilisés aussi bien en forêt que sur des terres agri-coles. Enìn, trois instruments pour un usage mul-tiple ont fait l’objet d’une investigation aìn deproposer des expérimentations novatrices : uneDéfense de la forêt contre les incendies (DFCI)truffière, une mesure agro-environnementale(MAE) et un contrat Natura 2000 innovant.

La truffe : un produit forestieret agricole au cœur des territoires

Historiquement, deux origines des truffes se sontsuccédées et peuvent encore coexister certainesannées où la climatologie est favorables aux pre-mières : le ramassage en sous-bois en tant quesous-produit forestier comme les cèpes, et larécolte dans les plantations. Actuellement 85 à90% des truffes commercialisées proviennent deplants mycorhizés mis en culture. C’est à l’Inra deClermont-Ferrand qu’a été créé, en 1970, le pre-mier plant de chêne mycorhizé dont la commercia-lisation est devenue effective en 1973. Chaqueannée, 300.0000 arbres mycorhizés sont actuelle-ment plantés sur un millier d’hectares en France –autant qu’en Espagne et un peu moins qu’en Italie- pour développer la production trufìère en forêtset en parcelles agricoles à rénover ou à pourvoir ;la surface totale plantée est évaluée par laFédération française des trufìculteurs (FFT) à plusde 20.000 hectares

Les deux types de produits peuvent toutefois seretrouver simultanément dans la mise sur le marchéet doivent répondre auxmêmes cahiers des charges.

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Production trufþère et gestiondes territoires : une nécessaireconcertation

Selon Beuret (2010), l’approche concertée répondà différents enjeux parmi lesquels on trouve lacoordination territoriale pour la mise en valeur desaménités rurales. « Le processus de concertationest un processus de construction collective d’uneinnovation sociale porté par un réseau dont laconsolidation et l’élargissement déterminent lesuccès ».

Selon Mougenot, « les politiques de la naturedoivent toujours s’enraciner dans des pratiqueslocales qui ont du sens aux yeux des acteurs ainsique dans des espaces aux caractéristiques particu-lières », et il convient d’élargir la gestion de lanature à la nature ordinaire complémentaire de lanature remarquable ou protégée.

Beuret présente des propositions issues d’étudesréalisées en Bretagne, où il s’est attaché à identiìerde nombreux processus très locaux et le plus sou-vent informels. À partir de plus de quatre-vingtsexemples, il propose une typologie différenciantdiverses sortes de concertation et élabore desgrilles de lecture pour suivre les itinéraires, sou-vent complexes, quelles peuvent emprunter. Ilinsiste sur l’importance de ne pas enfermer laconcertation dans les seules procédures formelleset institutionnalisées, mais d’accorder aussi impor-tance et soutien aux processus initiés localement.L’auteur nous invite à une réðexion pour quedémocratie représentative et démocratie participa-tive fassent bon ménage; ainsi des propositionspermettraient, dans le futur, de mettre en lien lesfonctionnements endogènes et exogènes de la ges-tion des territoires et de l’environnement en France.Pour cela, il est intéressant de s’interroger sur lesfacteurs qui expliquent la nécessité de la concerta-tion, au sens large. Dans le cas de production truf-ìère cette nécessité ne proviendrait-elle pas de ladiversité des pratiques à mettre au service du déve-loppement territorial ? La qualiìcation de produitagricole ou forestier a des conséquences pour latrufìculture. Manifestement, la truffe est à la foisun produit agricole et un produit forestier selonl’histoire des systèmes en présence et des terri-toires. En effet, la sylviculture trufìère qui peut sedéìnir comme étant « la création ou la culture rai-sonnée des forêts de chênes et d’yeuses» (Bédel,1866) peut constituer un projet de territoire pour

certaines zones des régions méditerranéennes, encomplément du modèle agricole, comme dans leLanguedoc-Roussillon, la Haute-Provence voirel’Espagne, alors que dans d’autres régions, commeles régionsAquitaine etMidi-Pyrénées, la situationdominante est actuellement le modèle des planta-tions trufìères agricoles.

La question se pose alors de concevoir la pro-duction trufìère comme une production au servicedu développement des territoires, en prenantdavantage en compte les enjeux de l’environne-ment et en développant des réponses qui associentla plantation et la restauration trufìère.

L’exemple des pratiques trufìères étudiées per-met de répondre aux enjeux du territoire sur lacommunauté de communes « Causses et rivières »et le parc naturel régional des Causses du Quercy(tableau 1 et 2) et laisse à penser que chaque typede pratique est adapté à un ou plusieurs enjeux desterritoires, ainsi qu’à différents milieux.

Pour apprécier la rentabilité des deux méthodes,on dispose des éléments suivants :

- S’agissant des plantations, le rapport précité de laFFT pour la DATAR a analysé leur coût. Après lestravaux de préparation du terrain, la création destrufìères passe par la plantation des plants truf-ìers, et nécessite plusieurs investissements d’ac-compagnement qui font aussi partie des charges dela plantation. La liste des travaux à effectuer aété étudiée de manière très précise par hectares de300 plants enMidi-Pyrénées. Elle évalue les tempsde travaux à 14 journées de 8 h.00 de travailchacune.

- Hors valeur des plants, le coût en investissementsde base de la plantation des plants trufìers est éva-lué en moyenne par les fédérations de la manièresuivante :- l’analyse de la terre, 100 €- les ìlets de protection des arbres, 200 €- l’achat de marquants, 150 €- coût d’utilisation d’engins agricoles 400 €

850 €

Le montant de cet investissement est sensiblementplus élevé si l’on installe autour de la parcelle d’unhectare une clôture (ce qui est recommandé pourlutter contre les dégâts des sangliers et les volshumains) : 5 000 €

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L’ajout d’un dispositif d’apport d’eau (par micro-aspersion) aìn d’éviter les dommages des périodesde sécheresse, représente environ et en moyennenationale un supplément de dépense de : 2 500 €

Soit un montant actuel de travaux à l’hectare de :7 500 €

Pour la période de production, les temps de tra-vaux d’entretien représentent ainsi, selon la clima-tologie, de 8 à 12 journées par an. S’agissant desrénovations d’anciennes trufìères en milieu fores-tier, les travaux sont sensiblement différents pourl’installation, mais moins divers pour l’entretienannuel par hectare.

Par la suite, le travail annuel d’entretien de latrufìère comporte les éléments indiqués précédem-ment pour les plantations mais concerne moinsd’arbres. Si les coûts d’installation et d’entretiensont en déìnitive très proches pour les deuxméthodes, l’expérience des trufìculteurs indique

que le système « plantation » est le plus « rémuné-rateur » au niveau des truffes produites. Enmoyenne, le rendement constaté des trufìèresplantées est généralement supérieur d’au moins60% à celui des trufìères rénovées, avec des écartsconsidérables pour ces dernières.

Le système « plantation » qui est le modèle pré-dominant représente aujourd’hui plus de 85 %voire – selon la climatologie de l’année – 90 % destruffes vendues1. Les truffes restantes provenant demilieu naturels non transformés ; les truffes issuesde milieux naturels rénovés étant assez marginales(entre 1 et 2%). Ce modèle est compatible avec despratiques favorables à la biodiversité et les pra-tiques les plus respectueuses de l’environnementmériteraient d’être rémunérées comme la prise encompte des surcoûts d’entretien dans une mesureagroenvironnementale.

1. Lors de la sécheresse de 2003, la quasi-totalité des truffesrécoltées en France étaient issues de plantations.

Milieux concernés

Boisements délaissés

Pelouses et landes en voiede fermeture

Anciennes plantations

Parcelles ouvertes :précédents agricoles favorables

Exemples de pratiques trufþères

Pratiques trufþères valorisables

Réhabilitation par éclaircie, recépage,et/ou régénération naturelle ou assistée.

Sélection de plantes accompagnatriceslocales favorables à la truffe(cistes, genévriers, thym, rosacées,romarin, lavandes).

Entretien du milieu par faucheou pâturage.

Possibilité de réensemencement ouplantation intercalaire de plantsmycorhizés.

Rénovation par recépage, éclaircie,régénération naturelle ou assistée.

Possibilité de réensemencement ouplantation de plants mycorhizés.

Voie agricole de la trufþculture maisextensive (Sourzat, 2008).

(usage de plants mycorhizés, solenherbé ou/et travaillé, plantationsagroforestières) avec maintien, voireplantation des plantes compagnes,travail raisonné du sol et de l’arbre,effort paysager, action sur l’inoculum.

Type de pratique

Sylviculture trufþère

Mixte

Voie agricole de la trufþculture

D’après Guillon, 2008 ; Pardo, 2009 et Pardo et al. 2011.

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Le choix de la sylviculture trufìère qui s’adressesurtout à des boisements délaissés, permet avanta-geusement une réhabilitation par éclaircie ou unerégénération assistée, avec sélection dirigée deplantes accompagnatrices locales (cistes, genévriers,thym, romarin, lavande…) favorables à la truffe. Deplus, cette pratique forestière préserve la qualité del’eau, la biodiversité, compense la diminution destrufìères naturelles et crée des couloirs coupe-incendies. De par les avantages qu’elle comporteune intervention ìnancière des collectivités localespourrait être sollicitée étant donné ses impacts trèsfavorables pour l’environnement et les paysagespermettant la reconquête d’habitats d’intérêt com-munautaire et sa contribution à laDéfense de la forêtcontre les incendies (DFCI) L’inclusion d’expéri-mentations de réouverture demilieux au sein de dis-positifs lesìnançant dansdes conditions écologiquesadéquates est donc prioritaire ce qui est notammentl’objet des propositions de cet article. La reconquêted’habitats trufìers par réouverture du milieu estcomplémentaire de la création d’habitats trufìerspar plantation. Il y a, néanmoins, besoin d’expéri-mentations complémentaires en sylviculture truf-ìère aìn d’acquérir des données plus développées

selon les régions et milieux concernés ainsi que surles processus de mycorhization impliquant diffé-rents chênes, leur végétation compagne sans omettrela biologie et la génétique de T. melanosporum.

Le plant mycorhizé, un atout maîtrepour l’aménagement des territoiresLes expérimentations et enquêtes réalisées pour lescontrats de plan État-Régions ont montré sansambiguïté que la production de truffes en Europes’était maintenue grâce au plant mycorhizé« contrôlé ». C’est la base pour une relance efìcaceet organisée. Mais cela ne résout pas tous les pro-blèmes. Aujourd’hui, l’association plant myco-rhizé/arrosage contrôlé/apport de spores sembleindissociable de résultats plus réguliers et derécoltes significatives. Les plants mycorhizéspeuvent aussi être utilisés en complément dans unschéma de sylviculture trufìère. Le plant contrôléet son mode de distribution assez transparent enFrance sont un des moyens assez sûrs de s’assurerdu sérieux d’une plantation et, donc, de la perti-nence d’une aide ìnancière au trufìculteur.

D’après Guillon, 2008 ; Pardo, 2009 et Pardo et al. 2011.

Chacun des types de pratique investigués contribue à répondre aux enjeux des territoires concernés.

Type de pratiques

Sylviculture trufþère

Voie agricolede la trufþculture

Enjeu Eau/Érosion

Préservation de la qualitéde l’eau

Création de retenues d’eau.

Préservation de la qualitéde l’eau.

Filtration des eauxd’écoulement.

Enjeu Biodiversité

Préservationde la biodiversité de milieuouvert.

Réouverture et entretien desboisements en stade prébois.

Reconquête de quelqueshabitats d’intérêtcommunautaire (pelousesèche, landes).

Lutte contre la disparitiondes trufþères naturelles.Maintien de la diversité deT. melanosporum.

Maintien de l’ouverture desmilieux et des espècesassociées (plantescompagnes, petite faunesauvage).

Enjeu Incendie

Limitation de la fermeturedu couvert et del’embroussaillement.

Diminution des zonessensibles aux incendies.

Création de coupuresincendies plus ou moinsexploitables.

Création de coupuresincendie exploitables etraisonnées.

Création de retenues d’eau.

Diminution des zonessensibles aux incendies.

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Le recours à des instruments multi-usagepour þnancer la réouverture desmilieux en pre-nant en compte les différents types de savoirs etsavoirs faire en présence

Plusieurs dispositifs publics pourraient être uti-lisés aìn de rouvrir ces milieux et permettre uneco-construction des savoirs entre les trufìculteurs,les forestiers, et les agriculteurs par exemple :- la défense de la forêt contre les incendies (DFCI)trufìère.- la mesure agro-environnementale territorialisées(MAET),- les contrats Natura 2000 innovants.

En effet, un certain nombre d’instruments d’ac-tion publique présentent un intérêt pour la valorisa-tion trufìère, mais sont peu mobilisés voire pasmobilisés du tout. Nous ne reprendrons pas icil’intégralité des instruments étudiés, mais seule-ment trois qui pourraient faire l’objet d’adaptations

grâce à un travail d’expérimentation techniquecomplémentaire.

Dans le cadre des plans départementaux de pro-tection des forêts contre les incendies ou des plansde massif de protection des forêts contre l’incen-die, on, l’on pourrait créer des coupures de com-bustible productives et proposer aux ìnanceurspublics un effort de soutien à la trufìculture au seindes zones déìnies comme stratégiques en matièrede prévention et de lutte contre les incendies(Guillon, 2008 ; Villot, 2008). Cet aménagementpourrait aller de pair avec une gestion des réservesen eau associées aux zones de prévention contrel’incendie (proposition des services de l’État dansle Lot). D’une façon générale, des itinéraires deplantation et de rénovation trufìère pourraient êtreintégrés aux schémas régionaux de gestion sylvi-cole (SRGS). Des expérimentations de sylviculturetrufìère pourraient être davantage développées ausein du réseau expérimental des CRPF (centres

©Jean-MarcOlivier

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régionaux de la propriété forestière), déjà mobili-sés par exemple en Rhône-Alpes, ou Languedoc-Roussillon. Les enjeux de cet instrument DFCIsont de protéger la forêt, les biens et les personnes,en diminuant le risque de départs de feux ou en enlimitant le risque de propagation. On pourrait, parexemple, concevoir des coupures de combustiblepar plantation de chênes trufìers générant une zonede faible densité entre deux boisements « stan-dards ». Des techniques de sylviculture trufìèreinnovantes par éclaircie, recépages et régénérationnaturelle ou assistée, couplées à du pâturage, pour-raient être développées de façon complémentaire,avec une double ìnalité : une production pour lepropriétaire et une lutte contre les incendies. Desopérations déjà initiées en Espagne par Reyna etses collaborateurs sont à suivre de près. En matièred’instruments à vocation environnementale, cer-tains ne sont pas du tout mobilisés mais pourraientl’être, sous réserve de préserver l’environnementexistant et d’adapter les pratiques au cas par cas.

Les MAET pourraient très bien être adaptées eny intégrant des actions de gestion extensive deplantations trufìères, des actions de réouverture demilieux en voie de fermeture, voire de pastoralismeextensif ou d’entretien par la fauche. Néanmoins,certaines limites de ces dispositifs sont à prendreen compte vis-à-vis des spéciìcités de la trufìcul-ture. Ils ne s’appliquent plus que sur des territoiresà enjeux dûment ciblés, déìnis régionalement etlocalement (les zones Natura 2000 ou présentantun enjeu pour la biodiversité ainsi que les zonesprioritaires pour l’enjeu eau-périmètres de captageou les bassins versants). Pour contourner ces difì-cultés, on pourrait par exemple imaginer unemesure agroenvironnementale non zonée, natio-nale, spécialement dédiée à la trufficulture àl’exemple desMAE « agriculture biologique » ou «apiculture » et ouverte à tous les trufìculteurs. Ellepourrait se justiìer par le haut potentiel environne-mental des systèmes trufìers et apporter une justerémunération des services environnementaux de laproduction trufìère. Au niveau biotechnique, letravail pourrait être approfondi autour des plantescompagnes et des espèces végétales présentes dansle couvert, aussi bien en plantation qu’en restaura-tion. Au niveau de la rémunération du contrat, laprésence de plantes compagnes ou d’une ðore« trufìère » spéciìque pourrait être prise encompte. La petite faune sauvage pourrait égale-ment être étudiée et valorisée. Il serait nécessaired’associer les fédérations de chasse à ce travailainsi que les associations de protection de la nature,

les agriculteurs et leurs représentants. Grace à l’ex-pertise des fédérations de chasse, des actions degestion de la faune sauvage pourraient être aussimises en place pour mieux protéger les zones truf-ìères sensibles aux dégâts du gros gibier.

L’inscription des expérimentations innovantesde sylviculture trufìère en tant qu’actions de réha-bilitation de milieux dans les DOCOB (documentsd’objectifs Natura 2000) pourrait être proposée,aìn de reconstituer une trame verte entre les zonesd’intérêt communautaire, comme par exemple lespelouses calcaires (Guillon, 2008 ; Pardo, 2011) et,accompagner l’urbanisation rurale (exemple dulotissement trufìer de Dessolas à Saint-Front, enPérigord).

Les techniques innovantes de sylviculture truf-ìère pourraient permettre le passage d’un préboisou d’une chênaie pubescente vers une lande à gené-vriers, à buis ou une pelouse sèche dont la couver-ture boisée ne devrait pas excéder 30 %. Un travailcomplémentaire en sciences biotechniques permet-trait de préciser quels types d’espèces et d’habitatspourraient être concernés aìn de mettre en placedes contrats concernant des opérations innovantesau proìt d’espèces et d’habitats, et de détermineraussi les modalités des travaux nécessaires. Cesopérations auraient un caractère expérimental pourétablir un référentiel solide.

Ce premier travail de diagnostic nous a doncpermis de mettre en évidence les enjeux multiplesdes territoires de Causses, la richesse des pratiquesdes trufìculteurs, leur dynamisme et leurs attentes,et de proposer de premières pistes d’expérimenta-tions innovantes au service de l’aménagementdurable de ces territoires.

RemerciementsCe travail a pu être conduit au titre du projetINGEDICO (Instruments de gestion et dispositifscollectifs de conservation et valorisation de res-sources naturelles renouvelables), dans le cadre desprogrammes « Pour et sur le développement régio-nal ». Les auteurs tiennent à remercier CorinnePardo, Jacques Guinberteau, ainsi que l’ensembledes chercheurs, étudiants et responsables profes-sionnels ayant contribué au projet. n

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Vers une relation durable FNE/Inra

Jean-Claude Bévillard (FNE), Michèle Tixier-Boichard (Inra), Lionel Vilain (FNE),Jean-Luc Pujol (Inra)

[email protected],[email protected],[email protected],[email protected]

Ce projet visant à poser les prémisses d’une col-laboration durable entre FNE et l’Inra a été animépar Valérie Toureau. Sa disparition brutale n’a paspermis qu’elle rédige cet article, que nous luidédions.

Introduction :le programme REPEREIl est courant de souligner que la France a unnombre exceptionnel d’associations, aux objets lesplus divers. Nombreuses sont les associations quiportent des enjeux environnementaux et de déve-loppement durable. Elles mobilisent des énergiesimportantes. Dans bien des domaines même, c’estl’activité inlassable des associatifs, leurs compé-tences, leurs travaux, qui se révèlent déterminantsdans l’avancée de la société.

Le programme REPERE du ministère de l’éco-logie, du développement durable et de l’énergieexplore les voies de la participation de ces associa-tions à la programmation de la recherche et auxactivités de recherche. Ce faisant, il contribue auxorientations de la Stratégie nationale de transitionécologique vers un développement durable(SNTE-DD). L’axe 6 de la SNTE, « orienter la

production de connaissances, la recherche et l’in-novation vers la transition écologique » a quatrepriorités :- impliquer les parties prenantes dans l’orientationde la recherche,- faciliter les démarches d’innovation avec tous lesacteurs,- associer les parties prenantes à une productionefìcace de données et de connaissances,- faciliter et favoriser l’accès aux données et auxrésultats scientiìques.

Le programme REPERE vise à accompagnerune réforme durable du pilotage de la recherche etde l’expertise en y intégrant la participation desassociations. Pour cela, il souhaite favoriser ladiversiìcation des parties prenantes dans les arènesde la programmation de la recherche et le dévelop-pement de la participation des associations à larecherche et à l’expertise.

Réÿexion d’arrière-planLa consultation des porteurs d’enjeux est une étaperecommandée et normalement incontournable pourtoute activité de programmation de la recherche.Dans le cas d’un organisme de recherche ìnalisée

Autres repèresautres paysages

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comme l’Inra, cet exercice de consultation se tra-duit, en ce qui concerne l’agriculture, par un parte-nariat organisé de longue date avec les organisationsprofessionnelles agricoles, elles-mêmes, encadréeset soutenues par le ministère chargé de l’agricul-ture. Mais dans le domaine de l’environnement,une telle structuration n’existe pas et les relationsavec les porteurs d’enjeux sont à construire. Or, lesquestions d’environnement sont particulièrementportées par les associations où s’expriment lesattentes citoyennes, dans une grande diversité destyles et d’opinions.

Dans ce contexte, le programme REPERE posela question des liens à établir entre les citoyens etla recherche, mais la recherche est multiple. Deplus, « la société » qui serait une entité capable deformuler clairement et de façon univoque lesattentes consensuelles de nos concitoyens, n’existepas. Donc établir une relation univoque entrerecherche et attente de la société est une utopie.Mais s’assurer que l’établissement du projet poli-tique de la recherche en général écoute la société,tant sur les objets que sur les compétences respec-tives, est une nécessité, d’autant plus que, pourdiverses raisons, le lien de conìance entre lescitoyens et les chercheurs n’est pas garanti.Actuellement, diverses approches, allant des son-dages opportunistes, aux baromètres (comme celui,annuel et régulier de l’IRSN sur la perception desrisques) ou aux travaux de politologues et de socio-logues autour de la démocratie participative (voirle GIS démocratie participative) pointent l’affai-blissement de liens de conìance avec diverses enti-tés (l’État, les politiques, les institutions…). Il estnéanmoins fréquent de mettre en avant que lemonde de la science a globalement conservé uncertain crédit, une certaine conìance. Mais ellen’est pas forcément donnée a priori et il peut êtrenécessaire de la construire, ou de la préserver.

Une recherche qui travaille « pour la société »,supposément en conformité avec ses mandats,garde le souci de conserver des capacités d’autono-mie, au prix de garanties plus ou moins fortes desécurité et de prudence. Derrière la nécessaireautonomie de la science dans la formulation de lavérité scientiìque, s’est développée une politiqued’autonomie volontariste dans la maîtrise de soncheminement. La recherche agronomique, ìnali-sée, initialement au service de demandes en lienavec l’agriculture et l’alimentation a évolué depuis25 ans vers un management davantage enclin à uti-liser les outils d’excellence d’une recherche plus

académique : les publications et la reconnaissancepar les pairs. Il en est parfois résulté une certainedistanciation vis-à-vis des questions de terrain. Lesbudgets ont été rassemblés autour des institutionsspéciìquement en charge de la recherche (Ministèreet Agences de recherche). De plus, la montée enpuissance de la recherche sur projets a conduit larecherche et ses chercheurs dans une course auxìnancements publics mais aussi privés, auprèsd’acteurs économiques capables de ìnancer desdéveloppements appliqués. L’ensemble pourraitainsi tourner plus ou moins sans l’implication descitoyens, entre reconnaissance par les pairs, orien-tationministérielle, programmation par les agencesde ìnancement et construction de partenariatspublic-privés au risque d’une autonomisation parrapport aux demandes complexes de la société avecdes réactions de méìance voire de rejet réci-proques. On pensera ainsi aux questions sur lesOGM dans lesquels des collectifs inventent des« inspections citoyennes » destinées à s’assurer defaçon parfois musclée que les chercheurs ne tra-vaillent pas sur des objets dont ils ne veulent pas, etpour lesquels ils prétendent représenter la volontécollective.

Le cas des OGM illustre avec certains excès unsouci de priorisation et d’orientation de la recherchequi serait conforme à une « demande citoyenne »,expression particulière d’un vœu de renouvelle-ment des formes d’implications et de participationde la société aux décisions, dont l’implication sur

La conþance : un capital à préserver

On peut ainsi se rappeler du moratoire d’Asilomar. La com-munauté scientiþque emmenée par Paul Berg s’est inquié-tée des risques que faisaient courir la poursuite de cer-taines manipulations biologiques menées dans le cadre derecherches sur des bactéries très communes (E. Coli), encas de dissémination des individus modiþés. Les questionsinitiales portaient sur les questions éthiques soulevées parcette transgénèse. Ainsi la conférence d’Asilomar, organiséeen 1975 (du 24 au 27 février) et rassemblant à huis clos150 chercheurs du monde entier, appelait à un moratoire surles manipulations génétiques : il s’est þnalement agi de sedonner des règles de prudence, permettant avant tout d’évi-ter que la société ne s’inquiète au point de vouloir stopperles recherches. N’ont pas été abordés concrètement diversthèmes qui préoccupent pourtant nombre de citoyens, maisqui depuis ont fait l’objet d’analyses et de travaux, y com-pris sur la dualité potentielle (civile/militaire) de nombreusesrecherches menées, en particulier grâce à des budgetspublics.

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la recherche n’est qu’un aspect. En fait, l’aspirationdes citoyens à participer aux orientations et/ou auxréalisations de la recherche a de multiples causes(sociologiques, éthiques, politiques, …), et relèveglobalement d’un souci collectif d’amélioration,d’une part, des capacités à résoudre les déìs actuelset leur complexité et, de l’autre, d’une volontécroissante de ce que les convictions propres à cha-cun des acteurs, exprimables par de multiplescanaux, soient visiblement prises en compte.

Le programme REPERELe programme REPERE « Réseau d’échange et deprojets sur le pilotage de la recherche et de l’exper-tise » est piloté par la Direction de la recherche etde l’innovation (DRI) du Ministère de l’écologie,du développement durable et de l’énergie placée ausein du Commissariat général au développementdurable (CGDD). De 2010 à 2014, le programmeREPERE a sélectionné sur appels à projets desexpériences de partenariats entre recherche et orga-nisations de la société civile. Un dispositif inno-vant plaçant un tiers veilleur dans chaque projet apermis de produire une analyse des enjeux et desmodalités des partenariats mis en œuvre sous laforme d’une esquisse des profils-types departenariats.

L’ensemble des travaux a été présenté lors ducolloque ìnal qui s’est tenu à Paris les 15 et 16 mai2014 sur la thématique « Quels partenariats entrerecherche et société civile pour la transition écolo-gique ? »1 dont les conclusions sur les besoinsd’évaluation, de ìnancement et de formation dansles contextes de mode partenarial en recherche, ontété avalisées par l’allianceAllEnvi.

Ce programme se poursuit par une commissionpluraliste2, espace de dialogue et de réðexion pourapprofondir l’analyse des conditions dans les-quelles devrait se dérouler la participation desassociations à la recherche, formuler des recom-mandations sur les questions d’évaluation, deìnancement et de formation que pose la participa-tion des associations à la recherche et veiller à lacapitalisation et à la diffusion des conclusionsissues de ces travaux.

1. http://www.programme-repere.fr/production-repere/seminaires/colloque2014/2. http://www.programme-repere.fr/

Un projet REPERE porté par lesinstitutions Inra et FNEL’idée d’explorer les conditions d’une coopérationconstructive impliquant les plus hauts niveaux dedécision (aìn de réellement toucher l’orientationdes recherches) a conduit les directions de l’Inra etde FNE à répondre au programme REPERE enproposant le projet « Co-construction d’une rela-tion durable entre l’Inra et FNE ». L’objectif étaitde réfléchir aux moyens d’associer FNE auxréðexions qui conduisent l’institut à formuler sesorientations de recherche, et/ou d’en réaliser cer-taines. Ce n’est pas le seul cas d’implication duplus haut niveau de pilotage d’un institut dans unetelle réðexion : précédemment, l’INERIS s’étaitimpliqué, au point d’en arriver à modiìer ses sta-tuts aìn d’élaborer une Commission d’orientationde recherche et d’expertise qui consacre la partici-pation de structures de la société aux réðexionsstratégiques du plus haut niveau.

L’INERIS a entamé depuis le milieu des années 2000 unedémarche d’ouverture à la société essentielle pour un orga-nisme dont le métier est au cœur des enjeux de société.L’évaluation des risques nécessite en effet que l’Institut etses experts sortent de leur « tour d’ivoire » pour que lesprogrammes de recherche répondent au mieux aux besoinset aux attentes de la société. En 2008 a été signée la Chartede l’ouverture à la société, avec lʼAFSSET et lʼIRSN. En juin2009, le séminaire annuel de lʼINERIS a été ouvert pourla première fois à la société civile. Il a permis de conver-ger vers une nouvelle structuration de la gouvernance del’Institut, avec la Commission d’orientation de recherche etd’expertise (CORE) qui vient s’ajouter aux quatre instancesde gouvernance scientiþque existantes. La CORE compteenviron 15 membres répartis en 6 collèges (élus, syndicats,État, ONG et associations, industriels et académiques). Elledonne son avis sur les programmes de recherche mais aussiles programmes d’appui ; c’est un espace de partage desenjeux et des questionnements, qui sert aussi de supportà la diffusion des résultats. En revanche, elle ne s’occupepas de l’évaluation de la qualité scientiþque et technique destravaux de lʼINERIS, qui reste du ressort des pairs. Le 4 juin2010, la CORE a participé pour la première fois au séminaireannuel de lʼINERIS (à titre pilote).

Ultérieurement, le projet Picaso Alternatives associant ll’INERIS à trois associations (CLCV, CNMSE, ESF) dans lecadre du programme REPERE, a permis d’aller au-delà dudialogue engagé avec les associations en leur proposant departiciper à un travail d’enquête sur une problématique com-plexe, celle de la place des méthodes alternatives en expé-rimentation animale dans le domaine santé-environnement.

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Le projet « Co-construction d’une relationdurable entre l’Inra et FNE » a donc été lancé ìn2011 par Bénédicte Herbinet pour l’Inra et Marie-Catherine Schulz pour FNE. Une convention a étésignée aìn d’impliquer les niveaux les plus « éle-vés » de la gouvernance des deux structures et degarantir leur implication dans le temps. L’objectifclair était d’établir une relation durable entre FNEet l’Inra. Divers ateliers ont été construits aìn dedisposer d’éléments concrets à partir de probléma-tiques existantes et de préìgurer des modalitésd’échanges. Comme pour les autres projets de cevolet du programme REPERE, un « tiers veilleur »a suivi le projet et participé à son analyse. Par ail-leurs, la MaR/S, structure originale mise en placepar l’Inra pour l’anticipation des relations entrerecherche et société, a été associée aux travauxpour son approche coutumière d’interpellationénergisante analogue au rôle de « poil à gratter ».Rapidement, les divergences et les convergencesdes organisations et des acteurs qui les représen-taient ont pu être discutées et comprises.

Cet article reprend les principales étapes du pro-jet et les conclusions du rapport ìnal, aìn de fairepartager au plus grand nombre les réðexions échan-gées entre les participants: Valérie Toureau (Inra),Jean-Claude Bévillard (FNE), Michèle Tixier-Boichard (Inra), Lionel Vilain (FNE), Jean-Luc Pujol(Inra), Antonin Pépin (FNE), Brice Laurent (tiersveilleur).

Identiþer les structures et se connaître

Les missions des deux organisations (Inra et FNE)sont assez clairement différentes dans leurs objec-tifs et, donc, ne peuvent se réclamer ni d’uneconcurrence ni d’une confusion dans leurs mes-sages : à FNE d’être le porte-parole d’attentes etdes connaissances de la société civile, à l’Inra de sepositionner dans l’analyse, l’expertise et la produc-tion de connaissances.

Les associations au sein de FNE intègrent apriori l’expertise scientiìque dans leurs revendica-tions et dans leurs stratégies de négociation, ce quin’est pas forcément le choix de toutes les structuresmilitantes. On pourrait dire que la discussion scien-tiìque est un fondement accepté de la résolutiondes dissensions. De son côté, la recherche appli-quée a besoin d’être sollicitée, interpelée par lasociété. Cette situation n’est pas nouvelle, d’autantque l’Inra, à l’instar de FNE, a une forte implanta-tion territoriale : les contacts, échanges, et travaux

entre les deux structures existent à toutes ceséchelles et pas seulement entre directions pari-siennes. D’ailleurs, d’autres projets au sein deREPERE ont mobilisé des échelons plus régionauxou locaux des deux partenaires. Ces niveaux d’im-plantation conduisent à considérer de façon com-mune la nécessité du pragmatisme, de la mesure, etde l’humilité dans les interactions.

Les deux partenaires dans ce programme seconnaissent déjà en partie : depuis plus de 10 ans,

Premier institut de recherche agronomique en Europe, deu-xième en sciences agricoles dans le monde, l’Inra mène desrecherches au carrefour de fronts de science et d’enjeux desociété majeurs. C’est un EPST dont les missions sont déþ-nies par un contrat d’objectifs avec ses tutelles, le MENSERet le MAAF. Depuis 2000, le champ d’action est déterminépar un tripode : Agriculture / Alimentation / Environnementporté par trois directeurs ou directrices scientiþques. Sastructure complexe est de type « matricielle » : 13 départe-ments scientiþques et 16 centres en régions, plus le centre-siège. C’est aussi 8290 agents, 186 unités de recherche et49 unités expérimentales. La volonté de décloisonnementdes recherches entre départements et entre disciplines aconduit à l’émergence de 8 métaprogrammes. L’Inra déve-loppe son partenariat socio-économique et sociétal selontrois axes : • concertation sur l’orientation des recherches(exemples : CAP environnement, élaboration du documentd’orientation 2010 - 2020 à partir d’un blog ayant reçu 230contributions écrites) • conduite d’opérations conjointes(exemple : essai porte - greffe de vigne à Colmar) • transfertet appropriation des résultats (exemple : les CIAG, Carre-fours de l’innovation agronomique)

France Nature Environnement est la fédération françaisedes associations de protection de la nature et de l’envi-ronnement. Elle est porte-parole d’un mouvement de 3000associations, regroupées au sein de 80 organisations adhé-rentes, présentes sur tout le territoire français, en métropoleet outre-mer. Autour du président, 120 dirigeants bénévoles,issus des associations de terrain, s’investissent au quoti-dien au sein de ses instances de décision : bureau, conseild’administration, réseaux et missions thématiques de lafédération pour þxer les orientations politiques, déterminerles combats à mener en priorité, coordonner l’action desassociations, bâtir des positions qui seront portées auprèsdes pouvoirs publics et des médias nationaux. 41 salariésmettent en œuvre les décisions au côté des bénévoles. 6représentants de FNE siègent au Conseil économique, so-cial et environnemental depuis þn 2010, au sein du groupeEnvironnement et nature. Sur chaque thématique environ-nementale, (il y en a 17) une équipe nationale, composéede bénévoles et salariés, coordonne un réseau de militantsvenus des associations de FNE, permettant de mobiliser lescompétences bénévoles du mouvement.

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entre l’Inra et FNE a été initié un dialogue quis’inscrit dans la volonté d’ouverture du partenariatprogrammatique de l’Inra à plusieurs niveaux :

- orientation générale : CAP-environnement (2007)et la consultation sur le document d’orientation del’Inra (2010, contribution FNE) ont donné lieu àdes échanges sur un spectre très large d’activités del’Inra; à la suite de CAP-environnement, FNE aparticipé à l’ARPDUALINE coordonné par l’Inrasur l’alimentation durable ;

- « Porcherie verte » (2001) conduit avec l’associa-tion « Rivières de Bretagne » membre de FNEreprésente un niveau programmatique autour d’uneìlière ou d’une problématique ; c’est sans doute àce niveau que la capacité d’inðuence des porteursd’enjeux peut s’exercer le plus directement ;

- Des recherches du centre de Colmar sur les mala-dies de la vigne mobilisent un Comité Local deSuivi réunissant des porteurs d’enjeux y comprisenvironnementaux. Ce CLS a accompagné entreautres, l’essai sur un porte-greffe transgénique. Ilreprésente le niveau le plus ìn et construit d’inte-raction sur la recherche elle-même avec ces por-teurs d’enjeux. Cela a ouvert aussi des questionssur l’orientation des recherches de l’Inra étantdonné les débats qu’il a suscité sur la motivation decet essai et plus largement sur certaines recherchesde l’Inra. Des projets dans le cadre de REPERE,mais pas seulement, ont d’ailleurs prolongé cettedémarche locale.

Même si les deux partenaires dans ce programmese connaissaient donc déjà en partie, une certaineméconnaissance réciproque demeurait et un besoinde la combler est apparu. En effet, les contacts indi-viduels ou les collaborations ponctuelles ne rem-placent pas la connaissance de l’organisation, dufonctionnement, des sujets en cours, des méthodesde gouvernance…. Être mieux informé n’est pasune simple récrimination mais un besoin construc-tif pour viser une relation durable.

Est aussi apparu un besoin de lisibilité réciproquedes contextes dans lesquels chacun agissait et desconnaissances et données que chacun avait, parfois,sur lemême territoire…. Sur ce point, l’implantationdes deux organisations sur l’intégralité du territoire,plus que la nature non centralisée de ses préoccupa-tions a conduit à formuler que cet apprentissage réci-proque soit mené de façon plus girondine quejacobine. Cela induit une contradiction : il faut se

connaître globalement, dans des interactions locales.C’est complexe et nécessaire en raison des spéciali-sations des centres, d’une part, de l’hétérogénéitédes compétences, d’autre part.

Il est aussi apparu à ce stade que souvent, desinquiétudes ou des questions soulevées par lemonde associatif faisaient l’objet de recherchesparfois involontairement « conìdentielles » au seinde l’Inra, et à un endroit improbable si l’on neconnaît pas l’organisation générale de l’institut.

Néanmoins, il existe des passerelles impor-tantes : ne serait-ce que parce que de nombreuxcitoyens actifs dans les associations sont souventdes chercheurs, qui jouent des rôles leaders dansl’établissement d’une capacité de questionnementexpert des associations, ou de proposition oumêmed’expériences locales qui n’attendraient que desvalidations scientiìques pour être valablementintégrées dans le débat public.

Ce fossé pourrait être, de l’avis de chacun, levépar une politique active d’invitations réciproquesdans des comités de pilotages de projets, de groupede travail, de métaprogrammes. Cette possibilitérepose en fait sur la loyauté réciproque autour dufait scientiìque.

Des contraintes acceptées

Il est apparu néanmoins, derrière cet enthousiasmesincère, communiant et communicatif, qu’il fallaitéviter de troubler le jeu. En effet, des divergencesexistent : ainsi, l’Inra est vu par un certain nombred’associatifs comme étant essentiellement au ser-vice d’une agriculture productiviste et mobilisantses moyens pour une recherche orientée sur desrendements élevés au moyen d’approches trèstechnologiques : génétique, chimie, machinisme.Les associations de la société civile perçoivent undéìcit de recherches sur l’agronomie, les agricul-tures à bas niveau d’intrants et réclament uneapproche systémique de l’agriculture. Fédérant cesperceptions associatives, FNE souhaite encouragerdes recherches qui facilitent le développementd’une agriculture àHauteValeurEnvironnementale,de l’agriculture biologique, d’une approche agroé-cologique et pour cela entend contribuer à la pro-grammation de la recherche.

Pour les deux acteurs, conscients de ces diver-gences, il importe donc de :- respecter les rôles, les positionnements et les

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codes de chacun (ne pas oublier les risques quepourrait représenter un afìchage commun sur desthématiques de recherche : « dis-moi avec qui tutravailles et je te dirai qui tu es »),- déìnir le proìt que chaque structure peut tirer dela coopération,- rester dans une attitude d’interpellation réci-proque dans un objectif d’intérêt général.

Un galop d’essai : l’agroécologieen mouvement

Après cesmises à plat globales, il fallait néanmoinstrouver un support concret pour aller plus loin. Ilest apparu rapidement que pour la sérénité et l’ou-verture de ce galop d’essai, l’agroécologie était unsujet exempt des tensions et des fâcheries quiauraient pu conduire à l’échec dans le tempscomme aurait pu l’être les biotechnologies, ou dansune moindre mesure, l’agriculture biologique. Deplus, ce sujet bénéìciait de la dynamique initiéepar le chantier de réðexion interdisciplinaire surl’agroécologie, inscrit au document d’orientationde l’Inra en 2010 et animé en 2012 par le DirecteurScientifique Environnement Jean-FrançoisSoussana.

4 ateliers d’une demi-journée ont été organisés :l’ambiance a été animée, dans un climat de fran-chise et d’esprit critique. Également motivés parles sujets techniques et scientiìques, les partici-pants aux ateliers ont progressivement été amenésà remettre en avant quelle était la ìnalité de leursimplications réciproques : entre engagement quin’exclut pas une familiarité avec les questionsscientiìques et de recherche et scientiìque profes-sionnel (ce qui n’exclut pas non plus un engage-ment personnel). Les membres de FNE ont apportédes témoignages qui suscitent des questions derecherche.

Les ateliers proprement dit ont porté sur 4 sujetsscientiìques qui ont suscité des échanges appro-fondis et ont montré, à la fois, la compréhensiondes problématiques techniques et scientiìques partous les partenaires et la précision des attentes,voire des besoins des acteurs de la société civilepour converger vers des positions politiques soute-nables. Les sujets ont concerné :• l’étude des interactions biotiques dans les agroé-cosystèmes, avec notamment les interactions surles parcelles cultivées, les bords de parcelles - inte-ractions et biodiversité des prairies et desherbivores…,

• les fonctionnements d’éléments du paysage dansle projet agroécologique : mettant en relation lesmodalités d’aménagement du paysage et de sonorganisation avec la gestion de la biodiversité :oiseaux, faune, ðore et, notamment, les fonctionne-ments associés aux trames vertes et bleues,• l’évaluation multicritère des agroécosystèmes etdes services écologiques : sont ici en question leséléments d’évaluation de la valeur des servicesécologiques et des services écosystémiques renduspar la forêt rurale dans les paysages agricoles pourla déìnition des politiques publiques ; cet atelier anotamment souligné une perception différente de lanotion de services écologiques entre les partici-pants de l’Inra et de FNE,• les éléments de conception et de transition dessystèmes agricoles que ce soit les systèmes deculture et les systèmes d’élevage herbagers…

Diverses questions plus générales et/ou métho-dologiques ont été soulevées dans les échanges :• les modalités possibles de validation scientiìquedes expériences locales, des connaissances réuniespar les réseaux associatifs et les possibilités d’inté-gration des savoirs empiriques. En fait, se proìlaitun besoin de formalisation méthodologique d’unerecherche participative dont les dispositifs associa-tifs seraient les relais, les vigies etc.,• la question des échelles territoriales auxquellespeuvent se porter ou s’identiìer des processus d’in-novation. Le débat sur l’agroécologie se nourritd’exemples locaux, de pionniers, de cas particu-liers, dont les actions les plus environnementalesou les plus « agroécologiques » sont bien repéréespar les mouvements associatifs. Ces exemples sontportés dans les rhétoriques argumentatives, mais lagénéralisation, le portage d’innovations locales àune approche nationale pose des questions quinécessitent une approche et des moyensrigoureux,• des questions ou attentes particulières des asso-ciations environnementales ont été posées pourtenter de cerner de quelle façon les approches derecherche peuvent contribuer à leur satisfaction :• la préservation des terres agricoles, devant lespratiques destructrices, les pressions d’urbanisa-tion, les changements d’usage des sols,• l’évaluation des agroécosystèmes,• l’articulation du système productif agricole auxenjeux de l’alimentation,• des questions concrètes ont conduit les scienti-ìques à essayer de répondre dans de nouvelleslogiques. Ainsi, les représentants des associationsd’environnement qui ont, indépendamment de

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justiìcations strictement scientiìques, commeìnalité évidente de préserver la biodiversité pourelle-même, sont conduits à poser la question desavoir si la biodiversité peut être protégée parcequ’elle serait utile. Un raisonnement utilitariste quin’est pas toujours aisé à porter dans les contextesmilitants. Mais poser la question de savoir si la bio-diversité pourrait être un facteur de productionquantiìable, renverrait la destruction de la biodi-versité liée au développement des autres facteursde production les plus évidents (suppression desactifs naturels, usage de produits biocides) à un« mauvais » calcul de techniciens agricoles…Isoler la biodiversité comme facteur de productionà prendre en compte dans l’analyse de l’agricultureest un exercice complexe, y compris et, surtout,pour les scientiìques de l’agronomie…

Comme, par la suite, en ce qui concerne les mis-sions de la recherche participative, les modalités deproduction et de validation des connaissances avé-rées visées par les échanges ont été mises en ques-tion. Lemonde de la recherche a un cadre formaliséet rigoureux de validation, d’argumentation. Celapasse par la mobilisation des travaux déjà avérés,des processus de publication et de finalités

exclusivement fondées sur la production de l’évi-dence scientiìque, ou du questionnement ouvert àun protocole de recherche. Cela n’est qu’une partiedes argumentaires et de la production (légitime-ment) mobilisable par les associations dans lapoursuite de leurs missions.

Les travaux de collaboration et de constructionsde problématiques ou de reconnaissance de priori-tés de recherche ne peuvent faire perdre de vue lecadre propre à l’activité scientiìque.

Vers une suite durable ?

Les enseignements des 4 ateliers préparatoires ontété restitués par les membres du comité de liaisondu projet à un public Inra-FNE plus large, réunipour le séminaire ìnal du projet le 29 octobre 2013.Trois nouveaux ateliers, de nature plus transver-sale, ont été organisés en parallèle pour continuerl’apprentissage de la réðexion partagée et faire res-sortir des leviers d’action pour pérenniser la rela-tion Inra-FNE :-interactions des différents savoirs, ou commentpasser des expériences locales et individuellesinnovantes à la déìnition de savoirs génériques,

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comme observateurs, ou techniciens d’acquisitiondes données), les associations génèrent de nom-breuses données, parfois fortement organisées etvalidées (on pense par exemple aux données d’ob-servation des ornithologues au sein des réseaux dela LPO) mais aussi de façon plus autonome. Lesrencontres ont permis de se focaliser sur l’intérêtqu’il y aurait à connaître les types de données dechacun (citoyens et chercheurs), à valider et parta-ger les protocoles d’inventaire, à préciser le statutdes données, à coopérer pour leur exploitation etleur valorisation, voire à développer des méthodesd’analyse spéciìques des données « citoyennes »…Depuis ce séminaire ìnal, deux évolutions impor-tantes sont à souligner : d’une part, une pressioncroissante pour ouvrir l’accès aux données« Research data alliance », par exemple dans lecadre des projets européens, et d’autre part, l’ac-croissement des questions sur la recherche partici-pative avec une mission conìée au PDG de l’Inra.Il parait certain que la déìnition des bonnes pra-tiques de la recherche participative, déjà largementexplorée par le Mnhn pour les campagnes d’obser-vations par les citoyens, peuvent faire avancer lecadrage méthodologique des collaborations entreInra et FNE.

Territorialisation de la relationAìn de pouvoir concrétiser ces problématiques, ila été recommandé d’identiìer les lieux d’échangeset d’observations : dispositifs expérimentaux, ins-tances départementales. Les dynamiques sont trèsdifférentes suivant les territoires. Cela peutdépendre :• en ce qui concerne les associations, de leur niveaud’activité,• en ce qui concerne les centres de recherche, de lanature des recherches menées,• enìn des potentialités propres des territoireseux-mêmes.

Bien évidemment, la question de l’énergiehumaine à mettre dans une telle relation a été évo-quée. Affaire humaine, elle est fortement dépen-dante des tempéraments rencontrés mais il estapparu nécessaire de rappeler que pour le cher-cheur, qui est en situation professionnelle, il estimportant que le travail qu’il mène avec les asso-ciations soit reconnu lors du processus de son éva-luation professionnelle.

scientifiquement validés et transposablesau plus grand nombre ?,- biodiversité et indicateurs ou quelle coopérationconstruire entre l’Inra et FNE pour formaliser desindicateurs objectivables de la biodiversité ?,- territoires et paysages ou comment faciliter lesinteractions à l’échelle territoriale entre l’INRA etFNE pour approfondir les connaissances sur le rôlede la structure paysagère sur l’environnement ?

De façon remarquable, ces 3 ateliers ont faitremonter des conclusions similaires sur les actionsà mettre en œuvre pour pérenniser la relation Inra-FNE : mieux se connaitre (invitations réciproques,formations conjointes), accepter les désaccordspour poursuivre un effort sur le long terme, s’en-tendre sur le partage de données (comment, pourquoi, pour qui). Pour la suite, il a été proposé decontinuer la relation par la co-construction de ques-tions posées à l’Inra sur ses orientations derecherche, et aux associations sur leur contributiondu local au global.

Il y avait convergence d’intérêt pour :• rechercher les termes d’un compromis entre pro-duction agricole et protection de l’environnement,ce qui veut dire, dans le cadre d’un tel programme,chercher à en documenter scientiìquement lesaspects. Pour prendre un exemple très actuel, l’im-passe sur la coexistence entre loup et élevagesouffre cruellement d’une approche scientiìquedes questions techniques posées,• établir des scénarios d’évolution de l’occupationdes sols et des paysages,• proposer des outils de diagnostic de la biodiver-sité et pour cela établir un annuaire des compé-tences croisées Inra/FNE pour le suivi de labiodiversité.

Par ailleurs, on comprend que la réussite de l’al-ler-retour entre les positions générales et les expé-riences locales est un enjeu pour le scientiìquedans le cadre de ses recherches, mais aussi, pour lemonde associatif dans le cadre de ses mobilisationset de la déìnition de ses aspirations.

Les données : un enjeu particulierLes données de tous ordres sont générées par desprogrammes scientiìques mais aussi par les mobi-lisations citoyennes.Au-delà même de la rechercheparticipative qui enrôle actuellement souvent desacteurs de la société civile (et le plus souvent

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Les actions concrètes initiales faisant l’objetd’un consensus pour la proposition des dispositifsde gouvernance respectifs :• organiser un séminaire annuel commun,• s’inviter mutuellement à participer aux instancestelles que des comités de pilotages de projets, desgroupes de travail etc.,• travailler ensemble par participation d’Associa-tions de protections de l’environnement à desmétaprogrammes de l’INRA, co-construction d’in-dicateurs, recherche participative, construction descénarios d’évolution des sols et paysages, etc.

L’alimentation de cette dynamique par des ìnan-cements ad hoc a été évoquée : cette questionn’était pas facile dans un contexte de contractiondes crédits publics (pour la recherche) mais égale-ment avec un resserrement au moins aussi impor-tant des soutiens à l’action associative, ce quiconduit à considérer que le partenaire pour lequell’argument ìnancier serait le plus crucial risquaitd’être FNE. n

ConclusionsFinalement, des conclusions ont été tirées sur lesconditions de la poursuite de cette ébauche de rela-tion durable et ont été précisées dans l’exposé faitau comité de pilotage du programme REPERE.

Des supports à ces collaborations pourraient êtreproduits : 4 pages, présentations réciproques de tra-vaux par régions ou par thématiques…

Il a été également envisagé d‘aller plus loinencore, sur un mode de recherche participative,concept en émergence avérée en attente d’unereconnaissance institutionnelle. Ainsi, ont été dis-cutées des possibilités de se solliciter mutuelle-ment et d’utiliser les travaux les uns des autres) auxìns de :• transfert de savoirs,• collecte de données,• validation scientiìque d’expériences locales envue d’un positionnement associatif dans le débatpublic

Les actions nécessaires pour générer un cadrepropice ont été validées :• pérenniser le comité de liaison,• réaliser des publications et les bilans sur le pro-cessus de coopération Inra-FNE.

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Agroécologie participative : au-delà des fauchagesDans le numéro 60 du Courrier de l’environnement de l’Inra1, Pascal Frissant avait exprimé un cer-tain scepticisme sur le sens à donner à la destruction des vignes de Colmar, dispositif expérimentalde recherche mettant en jeu des greffons génétiquement modiìés pour conférer au cep une résistanceà la maladie du court noué. Deux destructions de l’expérimentation ont eu lieu. Depuis, de l’eau acoulé sous les ponts. Des discours se sont succédés au prétoire. Les étapes juridiques successives,d’appel en cassation, claires juridiquement, sont sujettes dans l’arène publique à des interprétationsvariées. Au tribunal, entre faucheurs et Inra, le fossé ne se comble pas.

Récemment, le tribunal a considéré en appel que le dossier d’autorisation de la culture OGM2 étaitinsufìsant, et donc que l’autorisation donnée par la puissance publique à l’expérimentation de l’Inraau titre des textes sur les autorisations concernant les expérimentations OGMn’était pas valable. Unechose en entraînant une autre, les faucheurs furent relaxés du délit de destruction d’une plantationdûment autorisée puisque ìnalement, aux yeux du tribunal, elle ne l’était pas vraiment. Mais lesfaucheurs ne sont pas relaxés de la responsabilité de la destruction d’une plantation qui ne leur appar-tient pas ! Ils l’ont d’ailleurs payé au civil lors du jugement précédent. Simplement, ils échappent aupénal à l’aggravation des peines qui s’appliquent quand on s’attaque à des expérimentationsautorisées.

Pour l’instant, la cour de cassation a considéré que les arguments avancés par la cour d’appel pourremettre en cause les documents scientiìques du dossier d’autorisation ne sont pas assez approfondiset demande donc à la cour d’appel de rejuger. Le jugement de la cour d’appel qui conteste l’autori-sation reste donc encore à remettre sur le métier…

Les derniers jugements de cette saga portent essentiellement sur des éléments qui ne traitent pasde la ìnalité politique du fauchage, mais qu’importe. Le juge n’a donc pour l’instant rien dit quipermette de considérer que la ìnalité politique du fauchage l’excuse. Pendant ce temps, chacun voitpourtant la justice de son côté ! Nombre de ces gens l’expriment sur des blogs.

Et après ?

Le site Inra de Colmar ìt l’objet « d’inspection citoyennes » le lundi 17 août 2015. « Inspectioncitoyenne » est une formulation contestable, surtout quand ladite inspection est menée comme une

1. « « Le cauchemar de Colmar... Point de vue de vignerons sur l’« affaire », Pascal Frissant, Le Courrier de l’Environnementde l’Inra n° 60, mai 2011.2. autorisée en application des articles L. 533-5 et L. 533-6 du code de l’environnement. Lorsque l’infraction visée au 3°porte sur une parcelle de culture autorisée en application de l’article L. 533-3 du code de l’environnement, la peine estportée à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

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perquisition sans titre ni droit, mais qui dorénavant est mise sur le devant de la scène…Cette formuleest d’ailleurs utilisée dans deux cas : OGM, etMissiles nucléaire dans la région deMont deMarsan…Sauf que pour ce qui est des sites militaires, il n’est pas facile d’y entrer.

La presse nationale se ìt laconique sur l’« inspection », relayant les postures ofìcielles sans trops’écarter de l’information d’origine (essentiellement l’AFP). Mais un petit article des DernièresNouvelles d’Alsace (dont l’acronyme DNA est savoureux sur ce dossier, mais nous nous garderonsde modiìer abusivement le message des DNAen laboratoire) permet de mieux connaître le dialoguequi fut tenu. Tout le monde s’y félicita que des méthodes alternatives de lutte contre la maladie aientété produites par le programme (telles que des jachères nématicides permettant de lutter contre levecteur du court noué). Devant, cette afìrmation, les faucheurs afìchèrent leur satisfaction d’avoir« forcé à abandonner une des voies de recherche ». Ça faisait un peumouche du coche… et l’inter-rogation sur le sens politique de ces fauchages posée par l’article de P. Frissant semble conìrmée.Interdire une voie de recherche est pour le moins interpellant.

Avec retenue, le journaliste rappelle les propos de la représentante de l’Inra qui a reçu « l’inspec-tion » et, ìne mouche, précise que les recherches alternatives en question sont le fruit des réðexionsd’un Comité Local de Suivi qui les avait souhaitées, sans blocage des voies de recherche, sans des-truction, en enrichissant le projet par co-construction… et donc avant le fauchage3.

Au Courrier n° 64 nous avions fait un beau dossier « citoyens scientiìques » relatant l’aventurescientiìque et humaine dans ces vignes d’Alsace. Aventure au cours de laquelle se construisit uneforme de recherche participative, avérée et évaluable. Mélangeant réalisation et orientation. Et danslaquelle les blocages de tous bords ne furent pas de mise. Ce type de dialogue fait maintenant partiede certains enseignements agricoles dont les équipes de professeurs viennent se former auprès desacteurs de ce Comité Local de Suivi : quelle reconnaissance !

En outre, s’est créée une dynamique agroécologique dans le vignoble alsacien4. Viticulteurs,conseillers techniques, élus, associations et chercheurs ont imaginé ensemble une méthode de travailet de recherche qui valorise la diversité de tous les savoirs. Les désaccords deviennent une ressourcepour repenser et initier un changement des pratiques, plus en harmonie avec l’environnement. Les35 vignerons participant au projet5 de Westhalten cultivent 200 hectares, en pratiques raisonnée,biologique ou en biodynamie. Ils ont trois priorités : l’abandon des herbicides dans le cavaillon,l’image du vigneron dans la société, et la co-construction d’un projet de baisse des intrants de syn-thèse pour le contrôle des maladies fongiques. Cette mobilisation collective a déjà abouti à des chan-gements immédiats dans les vignes : en une année, sur les parcelles engagées, l’indicateur IFT (Indicede Fréquence de Traitements) a baissé de 1 à 1,5 points, selon les vignerons. Le collectif a égalementimaginé de nouveaux indicateurs intégrant des valeurs économiques, humaines, sensibles, prenanten compte le niveau de complexité nécessaire pour repenser des pratiques viticoles agroécologiques.Au vu de l’implication et du raisonnement collectif, il s’agit bien d’unmouvement qui devrait prendrede l’ampleur. Trois autres syndicats viticoles sont demandeurs, l’un en est déjà à l’étape 2 de sonprojet, un groupement des jeunes viticulteurs du Bas-Rhin toque à la porte…

Deux entreprises sont impliquées dans les projets ainsi que la formation professionnelle pouradultes. À suivre donc sur les sites internet : parce que la recherche participative, ça bouge… etattention au cep (ticisme) qui cache la vigne…

Le Courrier de l’environnement

3. LMC et al Plos biology 20104. http://www.inra.fr/Grand-public/Agriculture-durable/Tous-les-magazines/Mobilisation-des-viticulteurs-et-chercheurs-alsaciens-pour-l-agroecologie5. Projet de Groupement d’intérêt économique et environnemental, soutenu par le programme Repère du MEEDE (2010-2013) et par le métaprogramme Inra SmaCH-Zinnle (2014-2017).

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L’effondrement de la civilisation occidentaleUn texte venu du futurErik M Conway et Naomi Oreskes 2013. Éditions Les Liens qui Libèrent

« Ce n’est jamais la main invisible du marché qui paie la facture »Joan Violet Robinson 1972. Hérésies économiques. Éditions.

Calmann-Lévy.

« Nous avons demandé des signes. Ces signes nous ont été envoyés. »Leonard Cohen, Anthem.

Les auteurs, tous deux historiens des sciences et des techniques, ont délibérément choisi le thème dela science-ìction aìn d’élaborer un scénario plausible permettant d’expliquer comment, paradoxa-lement, alors que le savoir scientiìque était disponible il n’a pas eu l’incidence sufìsante pour rendreefìciente l’action publique, politique et économique et, ce, jusqu’à la chute ìnale.

Il était – donc - une fois, en 2100 et quelques lustres, des historiens du futur qui, depuis la Chine,se penchaient sur les raisons de la disparition de la civilisation occidentale au milieu du XXIe siècle.À partir de vestiges de revues sur papier (XXe siècle) et/ou en version électronique (XXIe siècle), ilsfurent ahuris devant ce qu’ils découvraient. D’autres civilisations humaines, parmi les plus brillantes,avaient disparu depuis l’antiquité la plus reculée sans que l’on puisse en déterminer précisément lescauses premières. Par contre, la civilisation occidentale savait ce qui allait lui arriver, mais elle ne sutpas se montrer capable d’en enrayer le processus.

Plus d’un siècle avant le « Grand Effondrement » – c’est-à-dire en nos jours anciens actuels – cefut pour la civilisation occidentale, héritière des Lumières du XVIIIe siècle, l’avènement de « lapériode de la Pénombre ».Alors que les rapports de l’époque, notamment ceux duGIEC1, annonçaientdéjà le pire à venir, rien ne fut fait pour conjurer ces prévisions. Horreur fatale, tandis que dès lesannées 1980, les premiers effets du réchauffement climatique dû en grande partie, dès la révolutionindustrielle, à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (CO2, CH4) liées pour l’essentielà l’exploitation des énergies fossiles, se faisaient sentir, le climato scepticisme se mit, lui, à croitreavec force et rage au début du XXIe siècle. Les scientiìques, habitués depuis Descartes, aux métho-dologies réductionnistes et attachés aux données statistiques avérées, accordaient la plus grandeimportance à la convention sociale de l’intervalle de conìance à 95 % et jugeaient préférable « de nepas croire à quelque chose qui existe que de croire à quelque chose qui n’existe pas ». Leur incapacitéà concevoir le monde de façon holistique, en y incluant l’humanité comme force géologique parmiles autres forces géologiques, les inclinaient, malgré leur consensus sur la réalité du réchauffementclimatique, à émettre des avis circonspects, prudents pouvant donner prise à l’incertitude et surtoutà la minimisation de l’urgence des décisions à prendre. Et, ce, à cause de leur puritanisme rigoriste

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et idolâtre des chiffres sur lesquels selon, leurs disciplines propres, ils avaient du mal à s’accorder.L’activisme politique et alarmiste des écologistes, lui, se perdait dans des querelles intestines etpicrocholines. Ce qui ne pouvait que freiner l’action des gouvernants confrontés aux intérêtsparticuliers des citoyens des pays riches peu enclins à vouloir changer leur mode de vie. Cetteincertitude fut évidemment capitalisée par et pour les plus grands proìts des lobbys des énergiesfossiles.

Les historiens chinois du futur avaient beaucoup de mal à s’expliquer pourquoi tandis que les scien-tiìques savaient que les émissions de gaz à effet de serre provoquaient le réchauffement climatique et,en conséquence, la fonte des glaces et lamontée des eaux, la frénésie des énergies fossiles ait pu s’accé-lérer jusqu’à augmenter de 40%entre 1992 et 2012.Dès 2005, les États-Unis puis le Canada – ce dernierabandonnant ses préoccupations environnementales passées et le protocole de Kyoto2 – s’enthousias-mèrent pour le gaz de schiste et les sables bitumineux ce qui eut pour conséquence l’augmentation dela consommation des énergies fossiles et des émissions de gaz à effet de serre. Ces gaz naturels bonmarché limitèrent les recherches sur les énergies renouvelables. Concomitamment, la banquise arctiquefondit ouvrant de nouvelle voies maritimes pour l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz au pôleNord. Les scientiìques avaient déjà noté que la superìcie de la banquise estivale avait diminué de 30%entre 1979 et 2013. Les milieux d’affaires se réjouirent de ces perspectives lucratives. Les États au lieude craindre des perspectives néfastes pour la planète se rendirent complices des grands groupes indus-triels en voyant, par làmême, l’occasion de réduire leur facture énergétique tout en entretenant l’illusionque le gaz naturel issu du schiste pouvait offrir un « pont vers les renouvelables » pour peu que l’onprenne la peine de s’en donner le temps.

« En 2001 le GIEC avait prédit que la concentration du CO2 dans l’atmosphère doublerait en 2050 ;elle l’a fait en 2042. Les scientiþques s’attendaient à un réchauffement moyen de la planète de 2°Cà 3°C ; le vrai chiffre a été de 3,9°C. »

Des changements rapides s’en sont suivis.Ainsi, à partir de l’été 2042 la planète connut des vaguesde chaleur qui détruisirent pratiquement l’ensemble des récoltes du globe, les animaux d’élevage ;des émeutes de la faim éclatèrent un peu partout, des migrations humaines massives s’accompa-gnèrent de la prolifération d’insectes provoquant des épidémies de typhus, dengue, ìèvre jaune et devirus jusque-là inconnus. Ce pullulement d’insectes contribua également à la déforestation auCanada, en Indonésie et au Brésil. L’ordre social s’effondra dans la plupart des pays et, dans lesannées 2050, de nombreux régimes furent renversés en Occident mais aussi en Asie et en Afrique.Les États-Unis décrétèrent la loi martiale pour empêcher les émeutes de la faim et les pillages tandisque leurs terres arables les plus productives se désertiìaient. L’Inde et la Suisse, devant la menaceimminente de perdre leurs ressources en eau provenant des glaciers, s’associèrent pour mettre enœuvre un plan de sauvetage de la planète, il n’y avait plus de temps à perdre pour tenter de réduireles émissions de carbone, le salut était dans la technologie : la géo-ingénierie de refroidissement duclimat. En 2052, ils prirent l’initiative d’injecter dans la stratosphère des microparticules de sulfate.Les premiers résultats furent prometteurs ; en trois ans les températures baissèrent à raison de -0,1°Cpar an, mais dès l’année suivante un effet secondaire anticipé mais considéré comme négligeable seproduisit : la mousson indienne disparut. En effet, en réduisant le rayonnement solaire entrant, ceprogramme avait également réduit l’évaporation de l’océan Indien, d’où son impact sur la mousson.Dès lors, les indiens réclamèrent l’arrêt brutal de la géo-ingénierie du refroidissement. Cependant unenchaînement fatal s’était enclenché : la hausse des températures reprit de plus belle, cet effet rebondìt grimper la température mondiale moyenne de 5°C. « L’effet de serre atteignit alors un point debascule planétaire […] des dizaines d’espèces périrent […] le réchauffement avait simultanémentaccéléré un phénomène moins visible mais gigantesque : le dégel du permafrost arctique. » Lesscientiìques observèrent alors une aggravation soudaine des émissions de CH4. Cette augmentationmassive du carbone déclencha l’effet Sagan ou « mort vénusienne » c’est-à-dire une boucle derétroaction positive entre le réchauffement du climat et l’émission de CH4. La température grimpa de6°C supplémentaires s’ajoutant aux 5°C d’augmentation antérieure. Les migrations de populationss’accentuèrent, tant en Europe qu’ailleurs, dues à la montée des eaux ; on estime que plus

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d’1,5 milliards d’humains furent déplacés ce qui s’accompagna d’une seconde peste noire avecl’apparition d’une variante de Yersinia pestis provoquant lesmêmes désastres que la première puisque50% de la population infectée y succomba, animaux compris. Beaucoup crurent alors à l’apocalypseet à la ìn de l’humanité comme en témoignent les récits des survivants….

C’est alors, en 2090, qu’une généticienne japonaise commit un acte miraculeux en concoctant dansson laboratoire une nouvelle sorte de lichen dont le partenaire photosynthétique absorbait le CO2 defaçon bien plus efìcace et massive que tout ce qui existait jusqu’alors. Elle le largua dans la natureoù il se mit à proliférer, à envahir le Japon, puis, le reste de la planète. Vingt ans plus tard, les effetsde ce lichen sur la concentration des gaz à effet de serre étaient mesurables, la planète était en voiede guérison de même que les ordres sociaux, politiques et économiques.

Pour les historiens du futur qui tentaient de comprendre « le Grand Effondrement » celui-ci résultaitde la combinaison de plusieurs facteurs dont deux furent considérés décisifs. La société occidentaleavait été prise au piège de deux idéologies puissantes: le « positivisme » scientiìque et l’impérialismedu « fondamentalisme du marché ». De plus, le pouvoir n’était pas entre les mains des connaisseursdu système climatique mais de celles des institutions économiques politiques et sociales qui avaienttout intérêt à maintenir l’utilisation des énergies fossiles. De grandes compagnies capitalistes(pétrochimie, automobile, aéronautique, bâtiment, fonderie, extraction des minerais) formaient unvéritable « complexe de la combustion du carbone »3 ayant tout intérêt à créer des instituts de réðexionpour contrer les savoirs scientiìques qui allaient contre leurs intérêts particuliers et à diffuser leurscepticisme au moyen des grands groupes médiatiques dont ils étaient possesseurs. Les sociétésconsidéraient de même comme un dogme religieux « le fondamentalisme du marché » qui, avec samain invisible, était associé à la liberté individuelle, au bien-être humain et à la dissémination dupouvoir, au contraire des économies planiìées comme les régimes communistes qui conìsquaient lepouvoir de façon injustiìée.

Quand les effets désastreux du « Grand Effondrement » devinrent incontrôlables, la Chine quiconservait un État centralisé put prendre des mesures radicales, construire des villages, réinstaller lespopulations menacées par la montée des eaux marines et permettre ainsi la survie de plus de 80% desa population. Mais une question demeurait « […] puisque le système climatique s’est enþn stabilisé,peut-on envisager de décentraliser et de redémocratiser ? » Et les auteurs de conclure, en guise demorale : « À l’évidence, la Pénombre obscurcit toujours notre horizon – et elle l’obscurciraprobablement encore pendant des années et des décennies, voire des siècles. »

Ce livre, extrêmement documenté, sous forme de roman d’anticipation, porte le message de l’ur-gence à agir avant qu’il ne soit trop tard. Nos sociétés individualistes prendront-elles le risque du« Grand Effondrement » non seulement pour le monde occidental mais aussi pour l’ensemble dessociétés humaines dont nombre n’ont aucune responsabilité dans la catastrophe qui pourrait advenir ?Seul l’avenir le dira… (à suivre)

CatherineAlbertini MaR/S

1. GIEC : le GIEC est un groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cet organisme intergouvernementalest ouvert à tous les pays membres de l’ONU.2. Le protocole de Kyoto est un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui vients’ajouter à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques dont les pays participants se rencontrentune fois par an depuis 1995. Ce protocole visait à réduire, entre 2008 et 2012, d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990les émissions de six gaz à effet de serre : dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote et trois substituts deschloroðuorocarbones.3. « le complexe de la combustion du carbone » fait allusion au « complexe militaro-industriel » dénoncé comme dangereuxpar le général Dwight Eisenhower lors de son discours d’Adieu à la Maison Blanche le 17 janvier 1961 : « Dans lesassemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute inðuence injustiìée, qu’elle ait ou non été sollicitée,exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe etpersistera. […] Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant.»

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LE DÉFIALIMENTAIREGéopolitique et enjeux d’avenirGuilhem Soutou. 2015, éditions Harmattan.

Entre 1950 et 2000, la production agricole mondiale a augmenté plusrapidement que la population planétaire. La quantité alimentairemoyennedisponible par habitants n’a jamais été aussi importante. Comment expli-quer que la faim persiste et augmente depuis 40 ans ? La faim est le pro-duit de mécanismes complexes, à l’image dumonde d’aujourd’hui. Voiciun décryptage géopolitique de la faim et des grands enjeux des prochainesdécennies.

À la lecture, on peut avoir une impression de déjà-vu : en effet, la rubrique « comment nourrirl’humanité » est bien remplie, qu’il s’agisse d’ouvrages individuels ou de productions collectivesinstitutionnelles, prospectives. L’approche quantitative est une nécessité pour prendre la mesure decertains enjeuxmais les clefs d’entrée sont diverses, comme lemontrent divers articles de ceCourrierde l’environnement de l’Inra. Ici en écho aux promesses publiques d’éradication de la faim l’auteurreproduits certains constats:

La terre produit assez pour nourrir l’humanité actuelle. Cela ne veut pas dire que le problème n’estpas quantitatif : nous verrons plus loin que la terre pourrait ne pas produire assez pour l’humanité àl’avenir. Cela veut dire que l’accès à la nourriture sera une composante importante du problème dela faim.

L’humanité et le nombre de bouches à nourrir s’accroît. Les démographes le savent même si leursprojections (ceux qui traitent de l’évolution du monde appartiennent le plus souvent aux organismesinternationaux) reðètent des modèles parfois incertains (NDLR, ainsi que l’illustrent certains démo-graphes comme Hervé Lebras, il règne souvent dans les organismes onusiens une idée de conver-gence généralisée des facteurs qui régulent la démographie dans nos sociétés occidentales. Commesi le modèle unique de natalité des sociétés qui s’enrichissent pouvait être généralisable au reste del’Humanité…) Il n’est pourtant pas sûr que les démographies soient prévisibles à l’horizon 2050. Etl’on doit se rappeler que l’essentiel de l’accroissement démographique provient de l’allongement del’espérance de vie.

Les habitudes alimentaires changent : les populations qui accèdent à plus d’aisance, mangentdavantage de viande. Or, il faut produire plus de végétaux pour produire de la viande…

Les évolutions climatiques peuvent porter des coups assez durs aux perspectives de rendement àl’hectare dans des pays que l’on croyait des piliers agricoles.Même si par ailleurs, certains pourraientse retrouver favorisés par l’évolution du climat et des rendements liés à un taux supérieur de CO2dans l’atmosphère.

L’approche quantitative est bien évidemment nécessaire. Et le petit livre de G. Soutou n’évite pas,bien sûr, de passer par l’approche quantitative pour proposer des variables à l’équation alimentaire.Et comme il le dit, il fut surpris (p16) de l’éparpillement des données. On peut donc saluer un travailde compilation qui, au passage, assume la diversité des sources, des chiffres et, parfois, leur relativediscordance. Reste le constat que les chiffres pèsent lourds quels que soient les modes de calcul.L’enjeu ?Autant de morts annuels dus à la faim, que de morts pendant la première guerre mondiale.Chaque année. On l’a compris, l’expérience d’agronome de terrain et d’ONG de l’auteur l’amènera,en tentant de ne pas être militant (serait-il moins crédible ?), à chercher ce qui dans les actions deshommes (politiques, juridiques, éthique) peut expliquer et corriger cette souffrance. Et comme il leprécise : « la stagnation de la situation en Afrique Sub-Saharienne est moins le fruit de fatalités cli-matiques ou sociales que le résultat d’un processus économique toujours à l’œuvre ».Ainsi, page 73,

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est rappelé que les crises alimentaires arrivent tous les 30 ans. La dernière remontant à 1975, n’yavait-il pas moyen de s’alerter ? Les ingrédients : ìnanciarisation des produits alimentaires, culturesde rentes pour pays riches… les raisons sont multiples et donc, on peut toujours réfuter la responsa-bilité d’un ou l’autre des facteurs de crise au motif qu’il y en a d’autres. Mais comme le pointe plu-sieurs fois l’auteur, certains phénomènes sont très rapides comme par exemple l’impact de mesuresd’incitation pour les biocarburants sur la demande de produits agricoles. D’autres sont inexorables,comme la demande de bonnes terres, pour construire des villes…

D’accord avec l’auteur, on pourrait même cerner le mécanisme profond de cette cécité organiséepar rapport à des crises pourtant annoncée.Ainsi, lors des émeutes de la faim, on a doctement discutésur la responsabilité des biocarburants, des accaparements de terre, des produits ìnanciers portantsur les produits alimentaires. La complexité est mère des immobilismes, presque comme unestratégie.

Alors, on peut saluer le fait que l’exposé de la complexité des mécanismes à l’œuvre ne soit pasœuvre de fatalisme dans cet opuscule, mais mise en évidence des nécessités de volontés politiquesqui soient assez fortes pour assujettir les fonctionnements économiques à cette noblemission : le droità l’alimentation, ou quand les morts de faims ne peuvent pas être la variable d’ajustement des mar-chés, leurs cécités, et les gaspillages. Mais les opportunités économiques inðuent beaucoup plusrapidement sur la production agricole que les politiques vertueuses…

J.L. Pujol

NOT IGNORANCE BUT IGNORANCEOF IGNORANCE IS THE DEATHOFKNOWLEDGERoutledge International Handbook of Ignorance Studies 2015.

Matthias Gross Professeur de sociologie à L’Université de Leipzig(Allemagne) et Linsey McGoey Maître de conférence en sociologie à l’Uni-versité d’Essex (Angleterre) sont les éditeurs de cet ouvrage.

Le progrès des savoirs n’atteint jamais la complétude de la connaissance. Ilconduit à de nouvelles lignes d’horizon de ce qui reste inconnu. Le royaumede l’ignorance ne cesse donc de croître et d’embellir, ce, alors que les sociétésoccidentales sont promptes à se revendiquer de la connaissance, de l’infor-mation et du risque contrôlé. En retour se posent deux questions majeures :

celle de comment faire face à une ignorance grandissante et celle de ce qu’il est vraiment indispen-sable de connaître. L’ignorance se révèle ainsi être une ressource précieuse pour l’action. Depuis unedizaine d’années s’est, sur ces sujets, développé un nouveau champ disciplinaire au sein des SciencesHumaines, « l’agnotologie », pour laquelle l’ignorance a une valeur qui mérite une attention alorsqu’elle était jusque-là ignorée, négligée voire méprisée.

Ce livre, très érudit, compte 40 auteurs pour autant de chapitres et a pour ambition de comprendreles limites de la connaissance aìn d’accroître notre conscience de l’inextirpable importance del’ignorance. Il s’agit dès lors de considérer la normalité de l’ignorance puisque l’existence humaineest per se faite en permanence de négociations, de calculs ou d’expérimentations entre ce qui estconnu et inconnu.Dans une première partie, sont abordées les conceptions historiques de l’ignorance en philosophie,

littérature et sciences humaines. Socrate, bien sûr, est un cas à part, puisqu’il fut le premier agnoto-logue - sans en connaître le néologisme !-, fondant avec ironie sa maïeutique sur la reconnaissancede savoir ce qu’il ne savait pas et d’accoucher ainsi vérité et sagesse. La création poétique permetégalement d’accéder à la valeur de l’ignorance1.

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Dans une seconde partie, l’ignorance est considérée comme uneméthodologie en sciences socialeset médicales. L’exemple le plus frappant est celui de Marlys Witte professeure de chirurgie à l’Uni-versité de l’Arizona qui a enseigné des années durant une « Introduction à l’ignorance médicale etautres ignorances » à des étudiants de première année aìn de leur éviter de croire en savoir plus qu’ilsn’en savent vraiment.

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la gestion et à la valorisation de ce qui n’est pasconnu en science, technologie oumédecine et notamment à ce qu’un des auteurs, David Hess nomme« la science qui n’est pas faite ». Une analyse féministe critique de la science est également présentepuisque, d’un point de vue historique, elle est la création d’hommes blancs, issus de milieux privilé-giés, possédant le pouvoir de déterminer les objets « dignes » d’être étudiés2. Les avancées de lagénétique et des biotechnologies posent également de nouvelles questions épistémologiques éthiqueset politiques concernant le droit au secret, à l’autonomie, à la propriété de chacun sur ses propresðuides et tissus corporels ainsi qu’à la reconnaissance du droit à ne pas vouloir savoir, en particulier,dans les domaines médical et procréatif.

La quatrième partie s’intéresse aux relations entre pouvoir et ignorance, oppression, émancipation etchangements subjectifs. Elle explore comment les stratégies de l’ignorance permettent de maintenir etde consolider les hiérarchies en marginalisant d’autres formes de connaissances considérées commemoins ìables. Mais les stratégies de l’ignorance peuvent aussi être émancipatrices en exposant la fra-gilité de la connaissancemise en avant par ceux qui détiennent le pouvoir. Les travaux d’anthropologuesmontrent « l’ignorance des blancs » et suggèrent que la valeur de l’ignorance aide à réinterpréter destravaux antérieurs sur les liens entre secrets, rites et formation de l’identité. Le refus stratégique et par-fois logique d’adopter de nouvelles connaissances même quand elles sont aisément disponibles est aucœur de la notion d’ « ignorance rationnelle ». L’ignorance dans des contextes apolitiques est à la foisinévitable et parfois bénéìque car elle libère du temps et de l’énergie pour la poursuite d’autres buts.

La dernière partie est consacrée au rôle de l’ignorance dans la théorie économique, la gestion durisque et les études sur la sécurité. L’ignorance délibérée est ainsi utilisée, de façon évidente, par lesorganisations bureaucratiques et commerciales – ainsi par exemple le lien entre le tabac et le cancera-t-il été mis en doute par l’industrie du tabac pendant des décennies. Dans la plupart des écritsconcernant les études sur la gestion, l’organisation et la réglementation, cette réalité est cependantpassée sous silence que ce soit en pharmacovigilance comme en surveillance environnementale, lespoints aveugles ne manquent pas qui permettent aux autorités publiques de maintenir l’ignorancedans le domaine de la santé environnementale.3 Dans le champ économique, la théorie dominante atraité l’incertitude de manière probabiliste, ignorant l’ignorance avec entêtement. Les études com-portementales pourraient être a minima capables d’éclairer ou de corriger l’ignorance disciplinaireen permettant de générer les outils expérimentaux nécessaires pour mesurer les motivations psycho-logiques susceptibles de révéler le pouvoir de l’ignorance au niveau individuel.

La conclusion s’ouvre sur les nouvelles perspectives de l’agnotologie et notamment sur les pointsqui n’ont pas été abordés dans cet ouvrage, il reste encore beaucoup à connaître sur l’ignorance,notamment, dans le domaine juridique et ses implications. Les études sur l’ignorance transcendenten effet les disciplines et planent avec optimisme au-dessus des abysses de l’inconnu.

Présentation de CatherineAlbertini MaR/S

1. « La poésie est l’expression par le langage humain, ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects del’existence. » Stéphane Mallarmé.2. Voir à ce propos « Quand la science naturalise l’ordre social » Catherine Albertini, 2013 Sisyphe.org3. Voir Dossier de l’Environnement, 35, l’article de François Dedieu et al. « Les bénéìces du doute » 2015.

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CORSE, ÉTATS UNIS

Diversité fastidieuse et envahissante.

Xylella fastidiosa1, bactérie transportée par divers insectes piqueurs d’écorce, suceurs de sève, s’at-taque à une grande variété de végétaux dont certains ont des rôles économiques majeurs (olivier,vigne…) et fait l’objet de nombreuses recherches dans son aire d’origine, l’Amérique centrale où elleest endémique. Les symptômes sont divers et correspondent souvent à l’obstruction des vaisseaux.Nombreuses sont les espèces hôtes (plus de 300) dont un grand nombre sont asymptomatiques.

L’isoler est fastidieux, les laboratoires le savent… « Dans les années 1990, une collaboration trèsefìcace entre l’Inra de Bordeaux et un large consortium brésilien autour de l’Institut de Biologie deSão Paulo a donné lieu au séquençage de Xylella, première bactérie phytopathogène à avoir étéséquencée », rappelle Marie-Agnès Jacques de l’Inra Angers-Nantes. En fait, derrière Xylella fasti-diosa, de nombreuses sous espèces qui ne touchent pas les mêmes végétaux, n’ont pas la mêmepathogénie. Et suivant les endroits, les conditions environnementales sont plus ou moins favorableset les insectes sont plus ou moins performants pour disperser la bactérie. D’ailleurs, un scientiìqueaméricain, Purcell, a simulé la limite nord de répartition de Xylella pathogène de la vigne aux ÉtatsUnis par l’isotherme 4,5°C de température minimales en janvier : ces petites bêtes dans leur jeu àtrois (au moins - bactéries, insectes vecteurs, plante hôte…), sont bien dépendantes de l’environne-ment (sans que l’on sache dans cette interaction à trois, ce qui fait cette limite, et donc ceci est unesuperbe question de recherche avec de nombreuses applications possibles. Une hypothèse serait quel’hôte sache se purger des bactéries à basses températures…). Et l’évolution climatique pourrait aussifaire bouger ces limites géographiques…

On ne sait pas soigner les végétaux atteints : sauf, éventuellement, en utilisant des antibiotiquescomme dans d’autres situations telle que le feu bactérien…L’utilisation de traitements antibiotiquessur des végétaux est interdite pour lutter contre les maladies des plantes en France et dans la plupartdes pays à cause des risques d’apparition de résistances et des conséquences de leur éventuelle dis-persion dans l’environnement… C’est plutôt sage…

La solution première, ou plutôt la réaction devant cette émergence, évidente, qui permet de préser-ver les positions établies de chacun, c’est la guerre : l’éradication, ou le conìnement. Même si l’ona bien peu d’exemple de ravageurs que l’on ait pu « éradiquer ».

1. Xylella fastidiosa est une espèce de protéobactéries Gamma de la famille des Xanthomonadaceae. Xylella fastidiosa est laseule espèce du genre Xylella, et cinq sous-espèces sont décrites : fastidiosa, sandyi, multiplex, pauca, tashke.

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Ainsi, dans les Pouilles, infestés récemment, le programme de lutte préconisé passe aussi parl’arrachage des oliviers sains sur une zone tampon pour s’assurer que les insectes vecteurs de lamaladie ne pourront pas la transmettre… X. Fastidiosa étant transmise par insectes, une part impor-tante de la lutte concerne également les insectes vecteurs pour éviter qu’ils ne disséminent la bactérieet, donc, à terme la maladie.

Mais arracher l’outil de travail, parfois plus quemillénaire, a été contesté, d’autant que la décision,de source européenne, peut être discréditée comme venant d’un extérieur technocratique. De plus,aux yeux de tous, la question n’est ìnalement pas de savoir si la maladie se propagera, mais quand.Par ailleurs, diverses mesures d’interdiction et de surveillance du commerce des végétaux suscep-tibles d’être malades ont été mises en œuvre.

Et la Corse s’est mise en état d’alerte. La découverte vers le 20 Juillet à Propriano, de la maladiesur des plants ornementaux (polygales à feuilles de myrte) dans les plates-bandes d’une zone com-merciale a été un coup de tonnerre. La « maladie des oliviers » débarquait. L’actualité de l’été étaitlégère, l’info a fait mouche (de l’olivier)… Il a fallu juste une semaine pour que l’on sache que lasouche de bactérie n’était pas celle des oliviers italiens mais une souche multiplex, 15 jours de pluspour que l’on trouve 56 foyers en Corse du Sud, deux semaines de plus pour en trouver en HauteCorse (Furiani). Tout cela dans l’actualité chargée de ìn d’été, de rentrée, de crise : bref inaudible.Éradiquer à 100 mètres à la ronde et mettre au bûcher, en plein été : ça a néanmoins été un début, unsignal, une tonalité donnée pour le public.

Désormais l’importation de végétaux pour la revente est sévèrement encadrée au proìt de plantescultivées localement. Le contexte est donc propice au développement d’une ìlière végétaleaujourd’hui embryonnaire, mais le lycée agricole de Sartène qui développe cette ìlière de formationne trouve pas d’élèves. Peut-être pense-t-on aussi que l’introduction en Corse de la Xylella de l’oli-vier est inéluctable… Pourtant, il n’y a pas que Xylella pour faire penser que les ìlières locales decultivars pourraient éventuellement permettre de limiter les risques de contaminations, voire d’anti-ciper et de préparer des cultivars adaptés aux évolutions climatiques…

Une autre alternative serait que l’on ait trouvé la solution pour commercer à nouveau … Ainsi,l’EFSA a validé un traitement des plants de vigne avant importation : l’eau chaude2 45 minutes à50°C : de l’eau tiède, c’est peu toxique ! Voire écologique…

Depuis 2013, l’Inra apporte son expertise en santé des plantes pour développer les connaissancesscientiìques, les outils nécessaires et un dispositif de réaction rapide pour lutter contre X. fastidiosa.Un projet européen H2020 vient d’être retenu pour la recherche surXylella : POnTE (Pest OrganismsThreatening Europe). Ce projet, coordonné par une équipe italienne, a notamment pour partenairel’UMR IRHS (Inra-Agrocampus Ouest – Université d’Angers) ainsi que l’ANSES.

Pendant ce temps, au sein de l’action Emerge, de l’Inra, on rappelle aussi que si le vignoble deBourgogne est exempt de ðavescence dorée, le vignoble du bordelais s’en accommode depuis long-temps… et produit du bon vin. Est-ce l’épure d’un futur vivre avec… vivre ensemble… un change-ment de paradigme auquel Xylella pourrait aussi émarger ?

2. http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/150902

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TANZANIE, INTESTINAL

Le microbiote des Hadzas : une énigme ?

C’est la question que l’on peut légitimement se poser à la lecture d’un article publié récemment parla revueNature communications1. En effet, les auteur-e-s ont étudié le microbiote d’une des dernièrestribus de chasseurs cueilleurs, les Hadzas de Tanzanie, dont le mode de vie traditionnel et fascinantn’a pas changé depuis le Paléolithique. Ils représentent, bien qu’ayant évolués sur des dizaines demilliers d’années à l’instar des autres groupes humains, l’image ancestrale de l’humanité à l’endroitmême où elle est apparue. Ce petit millier de « résistants » à la modernité forme des clans d’unetrentaine d’individus dont ils peuvent changer à leur guise comme de statut marital. Leur société estpeu différenciée, sans hiérarchie, profondément égalitariste. Ils n’ont créé ni religion ni cérémonied’aucune sorte. Leur culture, leur histoire - qui ne nous dit en rien s’ils ont connu l’agriculture dansle passé - et leurs mythologies se transmettent oralement de génération en génération. Ils ne cultiventpas la terre, ne domestiquent pas d’animaux et tirent essentiellement leur subsistance de la consom-mation de grandes quantités de tubercules ìbreux, de fruits de baobab, de miel sauvage et, surtout àla saison sèche, alors qu’ils rejoignent les points d’eau concomitamment avec les animaux, le gibierqu’il soit à plumes ou non. Les résultats exposés par cette équipe internationale sont pour le moinssurprenants voire détonants.

Le microbiote intestinal est vital pour la nutrition de son hôte, son métabolisme, sa résistance auxpathogènes et son système immunitaire, il varie avec le régime alimentaire, le mode de vie et l’envi-ronnement. Ensemble, l’hôte et son microbiote ont été appelés « supra organisme » dont les activitéscombinées représentent à la fois une cible commune pour la sélection naturelle et un moteur deréponses adaptatives.

Par comparaison avec les cohortes occidentales le microbiote des Hadzas ne comporte pas certainsdes probiontes considérés comme favorables à la santé, en particulier les Biþdobacteria. Mais plusriche en diversité et plus stable, il comprend même des pathobiontes tels que les Treponema,Prevotella et certaines Clostridiales. Et pourtant, ils sont peu affectés par les maladies infectieuses,les désordres métaboliques et n’ont pas de carences nutritionnelles. Les Hadzas semblent pouvoirutiliser les pathobiontes et leur potentiel ìbrinolytique pour extirper de leur alimentation - notam-ment à partir des grandes quantités de végétaux ìbreux difìcilement digestibles qui la compose- leplus de calories possibles. Une autre particularité du microbiote Hadza est qu’il est « genré », sansdoute en lien avec la division sexuelle du travail ; les femmes consommant davantage de tuberculeset de baies à proximité des campements, où vivent enfants et personnes âgées, que les hommes, plusmobiles, qui chassent et recueillent le miel même s’ils partagent en grande partie les fruits de ceravitaillement lors de leur retour au bercail.

Cet ensemble de résultats pose de nombreuses questions exaltantes pour les recherches futures. Ilpointe en particulier la légitimité de la qualiìcation des microbiotes en « sain » ou « pathologique »,ce qu’une autre étude corrobore avec la mise en évidence du remodelage du microbiote chez lescentenaires occidentaux qui, lui aussi, comprend des pathobiontes tout en étant peu diversiìé2. Etdémontre la grande plasticité et le potentiel adaptatif du microbiote dans des conditions environne-mentales diverses et, parfois même, adverses. En outre, plus du tiers des taxa bactériens rencontrésdans le microbiote des Hadzas restent sans identiìcation. Une telle incertitude taxonomique porte enelle des projets excitants de découverte d’arrangements génétiques encore inconnus. Ces donnéessoulignent encore l’importance d’accroître nos phylogénies de référence entre bactéries en échantil-lonnant une plus large variété d’environnements et de régions écologiques extrêmes.

Décidemment, à défaut d’avoir inventé l’agriculture et domestiqué les animaux, les Hadzas ont sudomestiquer les bactéries pathogènes les rendant commensales de leur « supra organisme » ce qui lesrend peu sensibles aux infections, aux affections inðammatoires et autres désordres métaboliques quisévissent dans nos sociétés « civilisées » industrialisées. Leur espérance de vie à la naissance est

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même supérieure de 8 ans à celle des africains ruraux qui partagent les mêmes territoires3. Quant àleur empreinte carbone elle avoisine le zéro absolu. Fallait-il inventer l’agriculture ?

CatherineAlbertini MaR/S

Abeilles équipées de puces RFID (c)Maxime Béguin/ADAPI

1. A Common Pesticide Decreases Foraging Success and Survival in Honey Bees, Science 20 April 2012: Vol. 336 no. 6079pp. 348-350 DOI: 10.1126/science.1215039n Mickaël Henry, Maxime Béguin, Fabrice Requier, Orianne Rollin,Jean-François Odoux, Pierrick Aupinel, Jean Aptel, Sylvie Tchamitchian, Axel Decourtye

FRANCE ETAILLEURS

Partir c’est mourir un peu

Mickaël Henry de l’Inra et Axel Decourtyede l’Institut des techniques agricoles, ontmontré que l’expositionmême nonmortelleà certains pesticides perturbe la capacité desabeilles à retrouver leur ruche1. Cecientraîne la mort de beaucoup d’entre ellesmais aussi le déclin de la colonie. Pour lemontrer, les chercheurs ont accroché unetoute petite puce radio (une puce RFID) surle dos de plus de 650 abeilles et un boitier àl’entrée de la ruche permet d’enregistrer les

allées et venues des butineuses ainsi équipées. Ils ont ensuite fait ingurgiter à la moitié des abeilles1,34 nano-grammes de thiaméthoxame. Cette dose est-elle représentative de l’exposition réelle desabeilles en conditions agronomiques usuelles ? C’est une question. Mais en tout cas elle n’était passufìsamment importante pour que les insectes en meurent. Si les scientiìques s’étaient contentés demener cette expérience en laboratoire, ils auraient donc conclu à l’inocuité du produit. Mais ils ontensuite relâché leurs abeilles à un kilomètre de la ruche. Résultat, celles qui ont ingéré du thiamé-thoxame ont été 2 à 3 fois plus nombreuses à ne jamais retrouver la ruche. Selon les simulations deschercheurs, en moins de quatre jours la population d’une ruche peut-être ainsi divisée par deux outrois. Cet impact des néonicotinoides sur le comportement ne semble pas très étonnant : il est peut-être même exploité depuis de nombreuses années dans la lutte contre les termites (Potter, 1997) : lestermites touchées par le produit ne se nourrissent plus et sont désorientées. Celles qui reviennent,contaminent les colonies dont les membres connaissent les mêmes troubles du comportement.

Quelques réðexions rapides : un toxique n’est pas seulement une substance qui provoque directe-ment la mort d’un individu exposé, ou détruit un organe vital : altérer le comportement des animauxest une forme de toxicité qui menace les organisations collectives. Il faut rappeler que la toxicités’exerce aussi sur un écosystème biologique - comme l’est une ruche par exemple. L’alcool est dan-gereux pour les organes mais aussi socialement…Alzheimer aussi…

Le Courrier

1. Schnorr, S. L.; Candela, M.. ; Rampelli, S; Centanni, M.; Consolandi, C.; Basaglia, G. ; Turroni, S. ; Biagi, E. ; Peano, C. ;Severgnini, M. ; Fiori, J. ; Gotti, R. ; De Bellis, G. ; Luiselli, D., Brigidi, P. ; Mabulla,A. ;Marlowe, F. ; Henry,A. G. &Crittenden,A. N. 2014. Gut microbiome of the Hadza hunter-gatherers. Nature communications/53654/DOI: 10.1038/ncomms4654.2. Biagi, E. ; Nylund, L. ; Candela, M. ; Ostan, R.; Bucci, L.; Pini, E.; Nikkïla, J.; Monti, D.; Satokari, R.; Franceschi, C.; Brigidi,P. & De Vos, W. 2010. Through ageing and beyond: gut microbiota and inðammatory status in seniors and centenarians. PLoSONE 5(5): e 10667.DOI: 10.1371/journal.pone.0010667.3Caselli, G.; ‎Vallin, J. &Wunch, G. 2004 - ‎Demography.. The demography of the Hadza in historical perspective, in: Seminar onhistorical demography (African historical demography), p.67. – Edinburgh. Center ofAfrican Studies, University of Edinburgh.

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 133

PRAIRIES SAUVAGES, APIS MELLIFERA

Méþons-nous de nos amis (apis) et des services rendus ?

Si l’on vous dit abeilles, vous pensez miel, ruches, en fait abeilles domestiques, qui sont des abeillessociales. L’apis mellifera va mal. À son chevet, empoignades techniques et scientiìques, passions etintérêts, clans. Diverses causes se dégagent : toxicité de certains produits, parasites, maladies et pré-dateurs, ressources alimentaire désorganisée, abâtardissement génétique. (REF). De plus, la questionsoulève des déìs autrement plus larges que la toxicologie réglementaire1, ces effets combinés sontici déterminants sur la vie des individus et des colonies, sur l’immunité, le sens de l’orientation, lamémoire et le comportement : un peu comme si les butineuses étaient atteintes d’Alzheimer2 Partir,c’est mourir un peu (voir la brève de ce numéro)…mais ce n’est pas de la toxicité directement létale3.Et les butineuses sont UTILES.

Les abeilles domestiques et sauvages contribuent à la pollinisation de 80% des espèces de plantesà ðeurs. Les abeilles sauvages, souvent solitaires, sont assidues, plus que les domestiques. Parexemple, pour polliniser un hectare de verger de pommiers, la présence de plusieurs dizaines demilliers d’abeilles domestiques est nécessaire, alors que quelques centaines de femelles d’abeillesdites « maçonnes » sufìsent, illustre le biologisteAndreasMüller dans «Ornis» de l’ASPO/BirdLife

1. Mais pas seulement… toxicologie2. voir http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2012/12/02/chercheurs-rajeuni-cerveau-abeilles-vieillissement/3. Henry M, Beguin M, Requier F, Rollin O, Odoux JF, Aupinel P, Aptel J, Tchamitchian S, Decourtye A., A CommonPesticide Decreases Foraging Success and Survival in Honey Bees., Science. 2012 Mar 29.

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Suisse.Ces abeilles butinent souvent des plantes spéciìques et pondent dans des lieux de nidiìcationoriginaux, coquilles d’escargots, murs, bois ou encore tiges de plantes. Elles volent plus volontierspar temps froid oumauvaise météo et butinent aussi des plantes dédaignées par les domestiques maisessentielles pour l’agriculture. Le nombre d’abeilles sauvages diminue (aussi en Suisse). En raisonnotamment, de la disparition de leurs habitats.

La pollinisation des espèces cultivées est considérée comme un service économique essentiel, etle rappeler est actuellement considéré comme une justiìcation essentielle de la protection des buti-neuses. Les communautés d’abeilles sauvages contribuent en moyenne à plus de 3000 dollars parhectare à la production agricole, soit l’équivalent des abeilles domestiques. Pourtant seule une petiteminorité d’espèces sauvages (2%) fournit l’essentiel (80%) de leurs services de pollinisation descultures4.

Ainsi, une stratégie de conservation des espèces qui se focaliserait seulement sur les services éco-nomiques de pollinisation avérés, serait selon les auteurs de l’étude, contestable. Des mesures demanagement des espèces dominantes seraient sufìsantes pour les sécuriser. Mais les autres, cellesqui rendent d’éminents services en pollinisant des plantes non cultivées mais essentielles pour desinsectes auxiliaires, par exemple des végétaux rares ? Pour Apis mellifera au contraire, son statutrécent de victime ne conduit-il pas à des concessions dans l’analyse scientiìque ? Il ne faut pasoublier que soutenir activement ses effectifs, c’est aussi donner, de main humaine, un atout concur-rentiel à une espèce qui a des effets sur le fonctionnement des systèmes écologiques : compétitionavec les abeilles sauvages pour la nourriture, transmission de maladies contagieuses vers les espècessauvages indigènes, voire perturbation de la composition des communautés végétales5. Il y a deshabitats naturels à préserver pour les abeilles sauvages auxquels les ruches ne rendraient passervice.

Pour en savoir un peu plus sur la solitude des abeilles sauvages… :http://www.c-yourmag.net/post/2012-06-12/la-solitude-des-abeilles-sauvages

Le Courrier

4. Une équipe internationale impliquant l’Inra et le CNRS a examiné les données issues de 90 études sur la pollinisation descultures par les abeilles sauvages et domestiques sur cinq continents, sur 73,649 individus de 785 espèces (soit 12,6% desespèces connues) butinant les ðeurs des cultures. http://www.bio.fsu.edu/~lmgonigle/pdfs/kleijn_2015_7414.pdfDavid Kleijn & al. Delivery of crop pollination services is an insufìcient argument for wild pollinator conservation, NatureCommunications, 16 juin 2015, DOI: 10.1038/ncomms84145. Vereecken NJ, Dufrêne E &Aubert M, 2015. Sur la coexistence entre l’abeille domestique et les abeilles sauvages. Rapportde synthèse sur les risques liés à l’introduction de ruches de l’abeille domestique (Apis mellifera) vis-à-vis des abeillessauvages et de la ðore. Observatoire des Abeilles (OA), accessible sur www.oabeilles.net

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 135

PÂTURAGES

Ça va péter

Les ruminants sont responsables, selon les organisations internationales, de plus de 30% des émis-sions de gaz à effet de serre. En cause, les processus particuliers de leur digestion. Les activitésbactériennes à l’œuvre dans leur système digestif produisent du méthane. Celui-ci est évacué par lesrots des animaux (et non pas par leurs ðatulences comme souvent évoqué). Réduire cette activité desbactéries méthanogènes est un axe de recherche pour l’Inra depuis longtemps. L’enjeu ? Diminuerces émissions de gaz à effet de serre. Mais aussi améliorer le rendement alimentaire. En effet, lecarbone émis sous forme de méthane (formule CH4), c’est autant d’aliment perdu pour la vache. Lestravaux de l’Inra ont permis de préciser un régime alimentaire pour les bovins, à base de lin, réduisantde 20% le méthane rejeté.

Le 30 juillet 2015 ont été publiés dans les PNAS (Comptes rendus de l’Académie américaine dessciences)1 des résultats concernant l’utilisation d’un complément alimentaire : le 3-nitrooxypropanol(3-NOP), de la société néerlandaise DSM Nutritional Products.

Ce complément alimentaire fait prendre 80% de poids à la vache laitière en baissant la productionde méthane de 30%. Ce complément est une substance chimique, certes moins naturelle que lesrégimes à base de lin ou de colza, dont les effets sont voisins. Il semble avoir peu de conséquencessur la santé des animaux. Le lin, lui, participe à un rééquilibrage des acides gras…

Pour l’analyse économique de cet additif, faut-il voir l’impact positif sur l’efìcacité alimentairequi peut intéresser l’agriculteur, ou l’impact sur les émissions de GES susceptibles d’être prises encompte dans les outils ìnanciers « carbone » ? La santé économique de la ìlière et sa participation àla lutte contre les émissions de GES seront des facteurs d’analyse : payer ou être payé….

Mais au fait, qu’est-ce que ce 3-nitrooxypropanol (3-NOP) ? Le propanol c’est presque du glycérol(à un ou deux OH près), et avoir un NO2 en C3, c’est presque en avoir 3. Et ça c’est de la nitroglycé-rine2. Ça va péter ?

Le Courrier

1. The effects of feeding 3-nitrooxypropanol on methane emissions and productivity of Holstein cows in mid lactation,J. Haisan*, Y. Sun*, L.L. Guan*, K.A. Beauchemin†, A. Iwaasa‡, S. Duval§, D.R. Barreda*, M. Oba*, Department ofAgricultural, Food and Nutritional Science, University of Alberta, Edmonton, Alberta T6G 2P5, Canada† Agriculture and Agri-Food Canada, Lethbridge, Alberta T1J 4B1, Canada‡ Agriculture and Agri-Food Canada, Swift Current, Saskatchewan S9H 3X2, Canada§ DSM Nutritional Products Ltd., Centre de Recherche en Nutrition Animale, 1 Bd d’Alsace, Village-Neuf BP 170, FranceAmerican Dairy Science Association. Published by Elsevier Inc, 20142. Utilisée en médecine cardiaque comme vasodilatateur, la trinitrine ou nitroglycérine, est plus connue pour ses propriétésdétonantes et son instabilité.

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TOULOUSE ET SARÉGION

La guerre biologique depuis chez soi, avec desdrones

Pyrales et autres ravageurs du maïs sont « bienconnus » du grand public, en raison de leur présencedans les débats sur certaines biotechnologies végé-tales : certaines variétés de maïs ont en effet été ren-due résistantes à ces ravageurs par génie génétique.En incorporant une séquence duBacillus thurigiensis,dans le génome du maïs, ou lui permet de produire latoxine Bt, source de l’entomotoxicité de ce bacille surles ravageurs. Cette propriété est utilisée depuis prèsd’un siècle dans la lutte contre de nombreux lépidop-tères ravageurs.

En cette année qui a vu l’explosion des utilisationsde drones (plus de 2000 sociétés spécialisées ont créé5000 emplois), les drones entrent dans l’agriculture

parfois au service de méthodes biologiques que ne bouderaient pas les plus opposés au géniegénétique.

Ainsi, les Trichogrammes sont des Hyménoptères très utiles en lutte biologique. Ils sont de lamême famille que les abeilles ou les guêpes mais complètement inoffensifs et de très petite taille. Cesont des parasitoïdes qui se reproduisent en se développant dans les œufs de lépidoptères : ilsempêchent ainsi la naissance des chenilles. Dans la nature, il existe des dizaines d’espèces deTrichogrammes qui sont chacune spéciìque à un ou plusieurs papillons. Biotop et l’Inra ont mis aupoint deux méthodes consistant à lâcher en grand nombre des trichogrammes spéciìques de rava-geurs comme la pyrale du maïs ou les noctuelles s’attaquant aux cultures maraîchères etornementales.

Les rafìnements technologiques de ce mode de lutte touchent : la maîtrise du cycle de productiondu Trichogramme (produits depuis 20 ans), de sa qualité, et de sa dynamique de diffusion permettantune lutte étalée dans le temps. Des brevets sur les conditionnements, les diffuseurs, etc. ont progres-sivement concrétisé ces avancées.

La dispersion se faisait à pied (4 à 5 ha à l’heure) ou par hélicoptère. Les développements les plusrécents, présentés cet été dans le Sud de la France consistent à épandre ces trichogrammes avec desdrones. Des multicoptères emportent des hyménoptères pour lutter contre des lépidoptères. Allo laterre ?

http://www.terre-net.fr/observatoire-technique-culturale/appros-phytosanitaire/article/plus-qu-un-simple-observateur-le-drone-passe-a-l-action-216-109241.html

Le Courrier

Trichogrammes adultes parasitant des œufsde la Pyrale.

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 137

PARTOUTDANS LEMONDE…

Migrer c’est prendre le risque de périr

Certains facteurs dus à l’homme peuvent déstabiliser des écosystèmes fondés sur des « réglages »ìns.Ainsi, une étude portant sur la migration d’oiseaux et de papillons liée au réchauffement clima-tique amène à réðéchir sur les modalités d’analyse des impacts des activités humaines sur les éco-systèmes. Ces travaux réalisés par des chercheurs de l’institut des sciences de l’évolution deMontpelier, indiquent que le réchauffement de un degré en moyenne observé en Europe depuis 1990a conduit de nombreuses espèces à migrer vers le Nord mais pas toutes à la même vitesse. En 20 ans,les zones d’habitats des papillons se sont déplacées de 114 km alors que celles des oiseaux n’ontmigré que de 37 km. Des espèces qui devraient interagir entre elles peuvent ne plus se retrouver aumême endroit à la même heure. Certains oiseaux n’ont plus accès aux chenilles (donc aux papillons)dont ils se nourrissaient. Cette étude s’appuie sur des observations de près de 9.500 communautésd’oiseaux et plus de 2.000 communautés de papillons, faites pendant 18 ans, dans sept pays euro-péens : Espagne, Finlande, France, Pays-Bas, République tchèque, Royaume-Uni et Suède. Lesdonnées ont été recueillies par plus de 10.000 bénévoles sur tout le continent. Un très bel exemple descience participative1.

Dans d’autres cas des espèces dont les rythmes sont gouvernés par la photopériode, sont en étroiterelation avec des espèces pour lesquelles l’évolution saisonnière des températures est le facteurdéclenchant des séquences biologiques : ainsi des pollinisateurs risquent de ne plus être en phase avecleurs ðeurs…

1. “Differences in the climatic debts of birds and butterÿies at continental scale”, Vincent Devictor, Chris van Swaay, TomBrereton, Lluı´s Brotons, Dan Chamberlain, Janne Heliölä et al., Nature Climate Change, 2, p121-124, Jan 10, 2012

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PÂTURAGE, RUMEN ETASSIETTE

Martyre, c’est pourrir un peu… écologie bactérienne chez la vache.

Nous avons précédemment publié un article1 mettant en exergue les relations entre les qualités nutri-tionnelles des aliments et les processus de production agricole. Il est souvent difìcile de « pensersystème », et donc de joindre les deux bouts de la chaîne (production, consommation). La questionsanitaire est potentiellement traitée juste à la ìn. Une revue de consommateurs américaine a publiésous le titre « How Safe Is Your Ground Beef? »2Une enquête sur la qualité sanitaire du bœuf hachéauxUS. Il y a 10 ans, cela représentait 42% de la consommation de bœuf, actuellement 50%. De 2003à 2012, 80 intoxications à E ColiO157 ont touché 1144 personnes, dont 316 hospitalisées et 5 décé-dées. Et selon les auteurs, seule une intoxication sur 26 est identiìée. Quant aux salmonelles, le bœufest la 4ème cause d’intoxication, dont seulement 1 sur 29 serait déclarée. Dans la torpeur informa-tionnelle dumois d’Août, l’étude en question a été communiquée en France sous le titre « De la bousede vache dans les steaks de hamburgers ». On fait l’audimat comme on peut en été.

Tous les échantillons examinés contenaient des bactéries issues de l’intestin des vaches, suscep-tibles de provoquer des intoxications. 20% contenaient Clostridium perfringens. 18% des échantil-lons provenant d’élevages hors sols sont porteurs de bactéries dites « superbugs » (résistantes à aumoins trois antibiotiques) et 3 échantillons un staphylocoque doré résistant à la méthicilline (SARM),source de maladie nosocomiale importante, et dont les souches bovines posent des problèmescroissants.

La contamination bactérienne touche toutes les viandes à la surface des morceaux. Dans les pro-cédés agroalimentaires, la limiter et l’éliminer est une obsession. Selon les réglementations, on peututiliser de l’ammoniac3, ou de l’acide citrique, pour lutter contre les bactéries. Elles sont générale-ment détruites à la cuisson.

Dans le cas particulier du steak haché, le hachage et le mélange de plusieurs sources conduisent àune contamination au sein du hamburger qui ne sera pas détruite si le cœur de celui-ci n’est pas portéau moins à 70°C. Or le cru ou saignant, sont des pratiques fréquentes, voire un must. En outre, lapréparation à la main (façonnage des hamburgers), conduit potentiellement à disséminer les bactériesdans la viande si les précautions normales d’hygiène ne sont pas respectées.

Vu le taux de contamination (100%) le nombre de personnes exposées à ces bactéries est trèsimportant, et ce depuis longtemps : les germes font d’une certaine façon partie du paysage et il n’y aìnalement pas beaucoup d’incidents. Supprimer ces contaminations peut sembler une bonne solu-tion… probablement impossible à atteindre. En revanche, que la contamination elle-même ne soitpas dangereuse se révèle stratégique. Divers travaux montrent que les types de populations bacté-riennes intestinales des bovins dépendent des méthodes d’élevage. Les pratiques hors sol conduisentà une acidité supérieure du contenu des intestins de la vache et donc à un contenu accru en bactériesrésistantes à l’acidité. Or, c’est l’acidité de notre estomac qui est notre première défense contre lesintoxications. En outre, l’usage des antibiotiques génère des bactéries résistantes. Le fabuleux réac-teur qu’est le tube digestif de la vache et sa population bactérienne, sont l’objet de nouvelles atten-tions : limiter les rejets de méthane. Le hors sol, avec moins de cellulose dans la ration, diminue laproduction de méthane mais acidiìe le contenu. De nouveaux composés sont testés pour limiter laphase méthanogène de la digestion. N’oublions pas qu’au bout, il y a le steak haché… et qu’à tropmartyriser ce pauvre système digestif, on risque de pourrir la qualité sanitaire… La réðexion holis-tique sur ce système complexe est de plus en plus d’actualité.

1. Voir C65, Duru.2. http://www.consumerreports.org/cro/food/how-safe-is-your-ground-beef.htm3. Autorisé par l’USDA car étant une aide au procédé de fabrication et pas comme un ingrédient

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Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016 139

Le climat qui cache la forêtLe climat qui cache la forêt,de Guillaume Sainteny(Rue de l’échiquier, 2015).272 pages, 18 euros

Publié quelques semaines avant le sommet contre lechangement climatique (COP21, Le Climat qui cache la forêt(Rue de l’échiquier, 2015) se distingue, malgré son titre, duclimato-scepticisme. Au Courrier, ayant pas mal approfondiles questions sur les stratégies des lobbies pour détournerl’attention des décideurs en multipliant les études et lacomplexité, ou en relativisant l’importance d’un problème ;ce livre était une interrogation. Son auteur, GuillaumeSainteny, est Maître de Conférences à l’école Polytechnique,professeur de développement durable, formé au droit et àl’économie. Il a assuré de nombreuses responsabilités dansles instances liées à l’environnement et à l’économie. On nepeut donc chercher le moindre climato-scepticisme, maisplutôt une analyse des priorités politiques. Or comme le dit, ilmontre comment les questions de climat et d’énergie ontrelégué d’autres enjeux environnementaux au moins aussiimportants, telles que l’extinction des espèces ou l’érosiondes sols. Après des années de participation aux réðexions surla ìscalité, l’économie de l’environnement, la valeur desbiens publics environnementaux, il adopte une stratégied’analyse des politiques considérant les effets directs etindirects de toutes les formes d’incitation publique, et lesinteractions entre elles. Ceci l’amène à s’inquiéter qu’au nomde la lutte contre les émissions de CO2, on puisse mener despolitiques publiques en oubliant de prendre en compte leursimpacts sur l’artiìcialisation des terres, l’érosion des sols, labiodiversité. Bien que dans un contexte méthodologique enévolution, il montre que le type de calcul des dommageséconomiques pour l’humanité dus au changement climatiquene permet pas de prendre en considération les autresdommages environnementaux perçus comme mineurs, ousecondaires. Certes la lutte contre le changement climatiqueest cohérente avec les stratégies de lutte contre lamondialisation qui mobilisent souvent les ONG : mais cettealliance de fait, sans nier l’importance du changementclimatique, ne doit pas escamoter les autres nécessitésenvironnementales, comme la pollution des eaux, de l’air,responsables de morts prématurées, et qui par ailleurs,touchent fortement les populations les plus démunies.Jean-Luc Pujol

Le guide del’éco-innovationÉco-concevoirpour gagneren compétitivitéHélène Teulon

Editeur(s) : Eyrolles, ADEMENombre de pages : 280 pagesDate de parution : 05/12/2014EAN13 : 9782212559910

Ce guide pratique présente une méthode d’éco-innovationoriginale fondée sur plus de dix ans d’expérience dans undomaine encore récent. Il a pour objectif de permettre auxentreprises d’intégrer les questions environnementales lorsdu développement de nouveaux produits, pour en réduire lesimpacts tout en maîtrisant les coûts.Il s’adresse aux équipes projets (marketing, R&D, bureaud’étude, design, achats, industrialisation, départementenvironnement et développement durable), qu’elles soientdébutantes ou expérimentées en écoconception, mais aussiaux managers en charge de ces équipes, aux enseignants,chercheurs et étudiants du domaine...Clair et détaillé, le texte aborde les principales questionsauxquelles sont confrontées les équipes projets :Comment utiliser l’Analyse de cycle de vie (ACV) pourconcevoir des produits plus verts ?Comment intégrer la dimension environnementale à laconception des nouveaux produits sans générer de surcoûts eten développant l’attractivité de l’offre ?Comment communiquer sur les performancesenvironnementales d’un produit (bien ou service) ?Des illustrations et des retours d’expérience de nombreuxprojets en entreprises enrichissent la lecture et des ìchesoutils facilitent la mise en œuvre de la méthode.

On signale

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140 Courrier de l’environnement de l’Inra n° 66, avril 2016

Au cœur des controversesQuestions vivesDes sciences à l’actionQu’entend-on quand on dit d’un sujetscientiþque qu’il est controversé ?Quand on se place au cœur descontroverses, touche-t-on le point le plus

vivant de l’activité scientiþque ou sa périphérie ?Comment agir en régime de controverses ?Disponible en librairie depuis le 21 octobre 2015.

Changement climatique, pesticides, OGM ou encore déchetsnucléaires, autant d’objets de controverses au cœur del’actualité. Le terme de « controverse » est appliqué à desphénomènes de natures extraordinairement différentes,relevant de champs aussi variés que la science, la morale, lapolitique ou encore l’esthétique. Il sert en outre à qualiìernombre de débats qui sont par nature au centre de la viedémocratique.La controverse représente une voie royale pour comprendreles sciences, les enseigner et en débattre. Elle permet en effetune mise en récit, processus sans doute décisif pour restituerce que la recherche peut avoir d’aventureux, pour en décrireles déìs, pour en exposer tout le sens humain. Pour autant,ces processus rhétoriques conduisent à accentuer ce quirelève du conðit, à polariser la situation, dessiner un champoù se détacheront vainqueurs et vaincus. Dans les momentsforts de débat public, où disputes ou polémiques sous-tenduespar des choix politiques viennent déterminer la controverse,

revenir à une analyse rigoureuse des situations et les qualiìerdans leur complexité n’est ni une tâche triviale ni à l’inverseune entreprise impossible. Préciser l’objet de la controverse,identiìer les acteurs du débat qu’elle met en jeu, inventorierleurs qualiìcations, mais aussi leurs conðits d’intérêts,déterminer la nature de leurs interventions - expertisescientiìque, profane ou encore témoignage - sont autantd’aspects sur lesquels cet ouvrage a l’ambition de fournir desclés.

Les auteurs : Yannick Barthe, Jean-Michel Besnier,Jean-Pierre Bourguignon, Marc Brown, Marie-FrançoiseChevallier-Le Guyader, Stéphane Foucart, Jean-BaptisteFressoz, Romain Garcier, Mathias Girel, Hervé Le Guyader,Cyril Lemieux, Jean-Marc Lévy-Leblond, Morgan Meyer,Serge Tisseron, HeinzWismann.

Les réðexions développées dans cet ouvrage prennent leursource dans l’université européenne d’été de l’IHEST « Lacontroverse, enjeux scientiìques, enjeux de société ».D’autres contributions issues de cette université, notammentcelles d’Etienne Klein, d’Ivar Ekeland et de Laurent Neyret,ont été mises en ligne sur le site de l’IHEST. Le lecteur de cevolume pourra y accéder grâce au ðashcode édité en page223.

Commentaires du Courrier : un livre dont de nombreuxauteurs sont ou ont été peu ou prou au contact du Courrier del’environnement.

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Les Dossiers de l’environnementde l’INRA

Les Dossiers paraissent irrégulièrement : de taille variable, ils sont thématiques et rassemblent soit desarticles (reprises de parutions dans Le Courrier de l’environnement de l’INRA et contributionsnouvelles), soit des communications présentées lors d’une manifestation scientiÿque.

En diffusion :

n°20 :Forêtset tempêtes (2000,336p., coord.SébastienDrouineau,OlivierLaroussinie,YvesBirot,DanielTerrasson,ThomasFormeryetBernardRoman‑Amat)E*

n°22 :Johannesburg (2001,212p., coord.PatrickLegrand,AlainFravaletCatherineLaurent)Gn°23 :ATEPE – Agriculture, territoireetenvironnementdanslespolitiqueseuropéennes (2003,182p., coord.DominiqueDron)E*n°24 :Désintensificationde l’agriculture–questionsetdébats(2003,190 p., coord.DanielleBarrès)E*

n°25 :AGREDE–Agricultureetépandagededéchetsurbainsetagro-industriels (2003,154p., coord.MartineTercé)E*n°26 :Aquacultureetenvironnement(2004,110p., coord.ThierryBoujard)E*

n°27 :Johannesburg– l’INRAfaceaudéveloppementdurable(2004, 218p., coord.PatrickLegrand,AlainFravaletCatherineLaurent)N

n°28 :ESB:radioscopied’unetourmente : témoignagesetanalyses(2004,190p., coord.YvesLePape,YannKerveno,RémiMeretSophieLePerchec)E*

n°29 :LaNature,singulièreouplurielle?Connaîtrepourprotéger(2006,62p., JacquesLecomteavec lacollaborationd’AnnetteMillet)E*

n°30 :Quellesvariétésetsemencespourdesagriculturespaysannesdurables?(2006,188p.,GasselinP.etClémentO.coord.)N

n°31 :Faceauxnouveauxenjeux:quellespolitiquesagricolespourquelssystèmesde production?(2010128p.,Butault J.P.,MouilletY.,VillainV.,ExpertonC.,coord.)N

n°32 :Rio+20: Research for sustainable development?(2012,168p.,Pujol J.L.coord.)N

n°33:Rio+20: comment rechercher un développement durable ?(2012,176p.,Pujol J.L.coord.)N

n°34:Écologisationdespolitiquespubliquesetdespratiquesagricoles(2014,152p.,NapoléoneC.,AllaouaA.,coord.)N

n°35:Stratégie, ignoranceetméthodescientifiquedans lesdébats(2015,120p.,AlbertiniC., Pujol J.L.coord.)N

n°36:Localisationdesproductionsagricolesdans lesterritoires.(2016,136p,V.Toureau,J.Louis‑Servais,L.Piet, J.L.Pujol,D.Verot,Coord),épuisé,disponibleenélectronique

Le Courrier del’environnementde l’INRA

paraît 1 à 2 fois par an,sur 150 pages environ.Son service est gratuit.Il est adressé surdemande écrite àINRA-MaR/S,

147 rue de l’Université,75338 Paris cedex 07 ;fax : 01 42 75 95 08 ;[email protected]

www7.inra.fr/lecourrierLes Dossiers portant la mention N sont diffusés par les Éditions Quae

c/o INRA – RD 10, 78026 Versailles cedex.Tél. : +33 1 30 83 34 06 ; fax : +33 1 30 83 34 49 ;

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E* : de nombreux numéros sont épuisés, des exemplaires existent à la MaR/S et peuvent être empruntéspour duplication quand ils ne sont pas disponibles sur le site www.inra.fr/lecourrier/ en format PDF.

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INRA MaR/S147 rue de l’Université

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Coproduit des activités de la Mission d’Anticipation Recherche Société del’INRA, et de son histoire, le Courrier de l’environnement de l’INRA n’est pas,malgré sesplus de 20 ans depuis sa fondation en quelques pages à l’époque parPatrick Legrand,une revue scientiÿque canonique.C’est un irrégulomadaire qui cherche toujours à étonner, destiné à des publicsbéotiens, professionnels ou scientiÿques, pas forcément d’accord entre eux,loin de là, mais préoccupés de trouver des nourritures stimulantes à leurspréoccupations le plus souvent communes en matières de science, d’environne-ment, d’agriculture et de développement durable.Ainsi, le Courrier aspire à les amener à partager et à mettre en perspectivecritique les conceptions, les problématiques, les débats et les résultats de larecherche agronomique telle que l’INRA, institution publique, et ses équipesla conçoivent et la mettent en œuvre.La recherche rend possibles des avenirs, en rend d’autres plus improbables ;le Courrier voudrait, en souriant, inciter à l’évaluation, à la prospective,à la précaution, au débat de société et à la controverse publique. Par rapport auxdébuts du Courrier, on pourrait croire qu’environnement, controverses surles technologies ont pris leur existence de croisière à travers les multiplesoccasions de friction neuronale qu’offrent réseaux sociaux, twitt et autres :à l’instantanéité, au troll vindicatif, le Courrier, objet physique et familier,propose l’approfondissement argumenté dans le calme, l’étonnement toujoursstimulant devant la vie trépidante des objets socio-techniques, hétérogènes,transdisciplinaires, qu’offrent environnement, agriculture, développementdurable et technologies.Directeur de publication : François Houllier président directeur général del’INRA. Ce numéro a été réalisé par la MaR/S sous la responsabilité de sondirecteur. Les dessins d’humour sont signés Tartrais, Gab etMillion. Qu’ils soientremerciés pour nous permettre de montrer que la science n’est pas parnature réservée aux « personnes d’humeur morose ».

n°66, avril 2016Tirage : 14200 exemplaires

ISSN : 1241-3992ISBN : 2-7380-1395-3EAN : 978 273 801 3958