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21 ST WORLD CONGRESS OF POLITICAL SCIENCE SANTIAGO DE CHILE, 2009 CS 18, Panel 398 Les manuels du « new public management » : la production académique d’une science de gouvernement Elisa CHELLE, doctorante en science politique Institut d’Études Politiques de Grenoble, UMR PACTE Draft – do not quote Version provisoire – ne pas citer 31 mai 2009

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21ST WORLD CONGRESS OF POLITICAL SCIENCE SANTIAGO DE CHILE, 2009

CS 18, Panel 398

Les manuels du « new public management » : la production académique d’une science de gouvernement

Elisa CHELLE, doctorante en science politique Institut d’Études Politiques de Grenoble, UMR PACTE

Draft – do not quote Version provisoire – ne pas citer

31 mai 2009

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Le nouveau management public, une science ? C’est à tout le moins ce que prétendent ses pédagogues. Dans leurs manuels1

La propagation d’une doctrine repose sur sa légitimité, sur sa capacité à être reconnue comme crédible et nécessaire. Des publications sont venues mettre en lumière ces réseaux académiques et ces laboratoires d’idées. L’OCDE promeut dès 1996 l’idée de réaliser des « guides » pour informer les pratiques des fonctionnaires

, ils expliquent à leurs étudiants – futurs gestionnaires – comment mener à bien la « managérialisation » des services publics. Pointer ses « lenteurs » et ses « archaïsmes » sont autant de stratégies rhétoriques vouées à l’inculcation de « bonnes pratiques ». Importées des États-Unis, elles atteignent l’Europe avec le même mot d’ordre. Savoirs et savoir-faire issus du secteur privé investissent la bureaucratie. Ce développement a lieu dans un contexte spécifique. De la « science » du rendement des années 1930 au management de la performance des années 2000, une idée perdure : celle de gouverner les corps et les esprits.

2. Et, malgré leur multiplication, ces titres n’ont pas fait l’objet d’une enquête sociologique. Le format du « manuel » marque une volonté particulière de diffusion et de transmission3

Le matériau est constitué d’une soixantaine de titres de manuels, outre les références bibliographiques venant étayer leur compréhension. L’objet de l’enquête est de proposer une

. Qui sont les pédagogues du nouveau management public ? Quelles formes de scientificité mobilisent-ils pour donner crédit à leurs assertions ? Comment ces registres d’objectivité sont-ils construits ?

1 Le genre manuel recouvre des textes très hétérogènes : du support scolaire bien étudié par les sociologues de

l’éducation au vade-mecum des écoles d’ingénieurs sur lequel les historiens des sciences ont attiré notre attention, toute une panoplie de textes se propose à l’examen. Pour la science politique, le manuel offre un point d’observation privilégié des attendus que porte un groupe social ou une classe d’individus. Une façon de mettre au jour les stratégies d’édification propres à un milieu. Prescriptive, cette littérature s’énonce sous les traits d’une vocation pédagogique. En saisir les arcanes, en dégager les lignes de force ou les points de tension, c’est analyser les représentations associées à une relation de pouvoir. Les manuels de management public ne dérogent pas à la règle : sous couvert de « pragmatisme » et d’ « évidence », ils naturalisent des catégories d’action bureaucratique dont dépend l’exercice d’une forme de domination sociale. D’où la ressemblance qui lie tous ces textes, au-delà de leur statut, de leur ligne éditoriale ou de leurs auteurs. Le manuel est cet imprimé destiné à favoriser un apprentissage technique ou scolaire. Apprendre et comprendre ne sont donc pas les seules fonctions de cette littérature spécialisée. De façon variable et selon leur degré d’appropriation, les manuels participent de l’inculcation de nouvelles dispositions cognitives. Sur ce point, voir Donald F. MCKENZIE, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1991 et Dominique MAINGUENEAU, « Analysing self-constituting discourses », Discourse Studies, vol. 1, n° 2, mai 1999, p. 175-199.

2 L’impulsion pour réaliser ces guides a pris la forme d’une continuité revendiquée : « Le bien-fondé des principes traditionnels – par exemple l’équité, l’éthique du comportement et l’impartialité politique – doit être mis en relief, parallèlement à la promotion de valeurs telles que l’efficience, la responsabilité et la flexibilité. Les fonctionnaires doivent savoir quelles sont les normes de comportement qu’on attend d’eux, spécialement dans un contexte caractérisé par une plus grande autonomie de gestion. A cette fin, des guides ou codes de conduite des fonctionnaires devront être élaborés ou révisés dans cet esprit. », Organisation de coopération et de développement économiques. Comité de la gestion publique, Gestion du capital humain et réforme de la fonction publique, Paris, OCDE, 1996, p. 46.

3 A la question de savoir ce qu’est un manuel – et surtout, ce qu’il n’est pas – il n’y a pas de réponse univoque. Pour la constitution du matériau, nous avons procédé par des déductions simples. En premier lieu, en ciblant les collections de manuels universitaires connues ou explicites en matière de nouveau management public : coll. Management public ou Gestion sup. chez Dunod, coll. Amphithéâtre ou Précis chez Dalloz, coll. Que sais-je ? aux Presses Universitaires de France, coll. Notions essentielles chez Sirey, coll. The Jossey-Bass public administration series, coll. Wiley series in practical strategy chez John Wiley, coll. Management chez de Boeck Université… Deuxièmement, en parcourant les maisons d’édition spécialisées : Eyrolles, Éd. d’Organisation, OCDE, Ellipses, divers instituts de management public. Le troisième filtre consista à repérer les indications contenues dans le titre de l’ouvrage, c’est-à-dire en suivant les mots-clefs « manuel », « handbook », « guide » ou encore les formulations à caractère performatif : « stratégie / strategy », « pratique / practice / practical », « renewing », « improving », etc. lorsqu’assortis de « management public », « gestion publique » ou expression similaire. Enfin le dernier critère fut de retenir les titres classiques et reconnus comme tels, écrits par des auteurs phares comme Osborne, Gaebler ou Niskanen.

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lecture de l’offre « pédagogique » en matière de nouveau management public. Le volet « réception » fait partie d’une recherche plus large débutée en 2006 portant sur la managérialisation des fonctions publiques en France. Sur la base d’entretiens semi-directifs au sein du ministère des Finances et de la Justice4, nous avons pu appréhender l’impact néomanagérial sur leurs pratiques. Seule l’économie interne de ce nouveau paradigme de l’action publique sera soumise à l’examen5

MANAGERIALISER L’ACTION PUBLIQUE

.

La volonté de rupture avec les schémas « traditionnels » de l’action publique a beau être minorée : elle est manifeste. Outils, méthodes, savoir-faire, leitmotivs : les efforts de syncrétisme ne parviennent pas à occulter les points de discontinuité. D’un managérialisme des années 1930, prônant l’ « efficacité », aux visions « stratégiques » des années 1970 en passant par les modèles « maximisateurs » qui ont fait le renom de l’école des choix publics dans les années 1950/60 : l’idée de synthèse est mise en scène6. Pour Michel Massenet, conseiller d’État et fils d’un ingénieur des Mines7, la nouvelle gestion publique s’est formée des apports de l’économie publique, de l’analyse systémique et de la psychosociologie8

L’enrôlement de considérations et de pratiques économiques dans la structure étatique est une constante de l’histoire bureaucratique. Au tournant du XXe siècle, il a toutefois pris un tour systématique. Au point que pour Pierre Legendre, « le progrès économique » a alors « favorisé l’action de l’État, et, par conséquent, contribué très largement à cette expansion sans précédents de l’Administration »

. Un assemblage de corpus théoriques qui vient naturaliser des prétentions pourtant bien neuves.

9

4 Elisa CHELLE, « Payer les magistrats à la performance ? Le cas des primes de rendement des magistrats des cours

d’appel et de cassation », Communication à la journée d’études Jeunes recherches organisée par le RT13 « Sociologie du droit et de la justice », Saint-Étienne, 5 juin 2009.

5 Pour une illustration de la mise en corpus des manuels, en l’occurrence les manuels scolaires, en vue de saisir les représentations de l’étranger dans l’histoire coloniale, voir Eric SAVARESE, Histoire coloniale et immigration : une invention de l’étranger, Paris, Séguier, 2000. Concernant les manuels comme supports de construction de la citoyenneté, voir Yves DELOYE, École et citoyenneté : l’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de la FNSP, 1994 ou encore Dominique MAINGUENEAU, Les livres d’école de la République, 1870-1914 (Discours et idéologie), Paris, Le Sycomore, 1979.

6 « Dubbed as new public management, this new theory is constructed on business management models, with the conservative neoclassical economic theory of public choice of the 1960s, updated by transaction-cost and principal-agent theory. », Ali FARAZMAND, « Global administrative reforms and transformation of governance and public administration », in Ali FARAZMAND, Jack PINKOWSKI (dir.), Handbook of globalization, governance, and public administration, coll Public administration and public policy, Boca Raton / Londres / New York, CRC / Taylor & Francis, 2007, p. 351-373, p. 367.

7 Licencié en droit et diplômé de Sciences Po Paris, ancien élève de l’ENA et Officier de la Légion d’honneur, ainsi que des Arts et des Lettres.

8 Michel MASSENET, La nouvelle gestion publique : pour un État sans bureaucratie, Suresnes, Éd. Hommes et Techniques, 1975, p. 65, 69 et 71. Massenet revendique l’autonomie de la discipline en posant qu’elle ne peut être une « simple imitation de recettes inspirées par les efforts – souvent fructueux – accomplis dans les firmes privées » (p. 77).

9 Pierre LEGENDRE, Trésor historique de l’État en France. L’Administration classique, Paris, Fayard, 1992, p. 58.

. Dans les années 1950-1960 aux États-Unis, l’économie est promue science de l’administration. C’est l’ère du public choice. La mise en

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équation de l’activité des bureaucrates pare de scientificité l’action de l’État. Niskanen trace les voies du changement :

« a) increase the competition among bureaus for the supply of the same or similar public services ; b) change the incentives in the bureaucracy to induce more efficient behavior by the senior bureaucrats ; c) increase the competition to the bureaucracy by greater use of private sources of supply of public services and; d) reassert control of the review process by the President and the legislative representatives of the median voters. »10

Compétition, incitation, efficience : cette nébuleuse conceptuelle formera la base des réformes successives. Certains ont du coup considéré le nouveau management public comme « l’aboutissement opérationnel du Public Choice et de la privatisation »

.

11. Le concept de « choix » (supposé rationnel) est très présent12. Traduits en calculs, rapports économiques13 voire en équations complexes14, ils mettent en scène une rationalité d’État. En les superposant au langage de l’échange économique (« flux », « fixation des prix »…) et à celui des ressources humaines (« performance », « management »…), l’économiste Xavier Greffe entend redéfinir le champ lexical de l’action publique15

« Public managers possess obligations to maximize the public value and good that can be wrung from limited resources »

. Tout comme J. Patrick Dobel pour qui le management public est avant tout une « éthique » obéissant à la même combinaison :

16 (école du public choice) ; « NPM focuses upon outcomes as the mechanisms to ensure accountability »17 (théorie des systèmes) ; « The outcomes force public managers to think hard about the real substance of their mission and provide incentives to direct action in desired ways. »18

La théorie économique trouve un écho de choix avec le concept d’ « incitation »

(théorie du choix rationnel).

19. Susciter la motivation par l’action de « leviers »20

10 William A. NISKANEN, Bureaucracy and representative government, Chicago, Aldine publ., 1974, p. 228. 11 Jean MERCIER, L’administration publique : de l’école classique au nouveau management public, Sainte-Foy, Presses

de l’Université de Laval, 2002, p. 371. 12 Vincent OSTROM, « Some developments in the study of market choice, public choice and institutional choice », in W.

Bartley HILDRETH, Gerald J. MILLER, Jack RABIN, Handbook of public administration, New York, Dekker, coll. Public administration and public policy, 1988, p. 861-882. Les auteurs de référence cités : Kenneth Arrow, Anthony Downs, James Buchanan, Gordon Tullock, Mancur Olson, William Riker (p. 861).

13 Xavier GREFFE, Gestion publique, Paris, Dalloz, coll. Précis Sciences Économiques, 1999. « coût-efficacité », p. 240 ; « coût-utilité », p. 245 ; « coût-bénéfice », p. 253.

14 Comme des sortes d’équations paramétriques de l’effort, Xavier GREFFE, Gestion publique, op. cit., p. 291. 15 L’auteur propose à cet effet un champ lexical en fin d’ouvrage qui donne un aperçu clair de sa conception. Le

raisonnement se fait en termes de « flux », de « fixation des prix », d’ « évaluation », de « performance », de « management ». Un champ lexical redoublé par les « mots-clefs de la GRH publique » : « accréditation des compétences, apprentissage, auxilariat, capital humain, compétence, concours, contrainte d’incitation, contrainte de participation, contrat incitatif, cycle de vie, dégagement, départ, expérience, fonction d’emploi, hiérarchie, inamovibilité, indépendance, marché interne, prévision physique, prévision budgétaire, promotion interne, qualification, recrutement, référentiel de compétences, rétention, schéma directeur, screening, signalling, statut, tournoi ».

16 J. Patrick DOBEL, « Public management as ethics », in Ewan FERLIE, Laurence E. LYNN, Christopher POLLITT, The Oxford handbook of public management, Oxford / New York, Oxford University Press, 2005, p. 156-181, p. 167. Nous soulignons.

17 Ibid. Nous soulignons. 18 Ibid. Nous soulignons.

est une préoccupation continue du manuel

19 Une partie non négligeable de l’ouvrage est consacrée, ce qui n’est pas si courant, aux « rémunérations incitatives » : normes, indicateurs, notations… André LABOURDETTE, Les administrations publiques : environnement, fonctionnement interne et modes de gestion, Paris / Montréal, L’Harmattan, 1998, p. 165-183. Professeur de sciences de gestion à l’Université Montesquieu Bordeaux IV. Il est notamment l’auteur de Stratégies d’entreprise : une analyse micro-économique, Paris, Montchrestien, 1988 ; Théorie des organisations, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 ;

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de Crozier et Petitbon. Responsabilité, motivation, incitation : c’est la version économiste du gouvernement des hommes. L’organisation du travail doit y être « rationalisée », « animée », « efficace ». Maximisation du budget et « optimisation » de la dépense publique21 sont les corollaires de cette doctrine car le « choix rationnel » prévaut : analyse coût-avantage, analyse cout-efficacité, productivité, évaluation22… La maximisation de l’utilité publique passe par celle de ses fonctionnaires : « Management may not be indispensable to group activity, but it is essential in utilizing limited resources to accomplish maximum output, that is in order to prevent wasted effort by individuals. »23

Rendement, efficacité, optimisation… Le management « organisationnel » apparaît dès les années 1950

. Et ouvre la porte aux théories managériales des années 1980.

24, et se diffuse largement au cours de la décennie suivante25. Les industrialistes jetèrent la première pierre d’un management « scientifique » et rationnel. Décomposition, rationalisation et minutage des opérations de production forment la promesse d’une meilleure production et d’un meilleur rendement. Les têtes pensantes du managérialisme26 formulent des propositions qui serviront de base à de nombreuses grandes organisations, publiques ou privées. C’est le cas du manuel Management de l’administration, qui, partant de Taylor et Fayol, fait du management public « une pratique aussi ancienne que le temps »27. L’activité du bureaucrate est découpée en séquences28

Stratégies d’entreprise : concepts, typologie et relations avec les structures, Paris, Hermes science publ. / Lavoisier, 2005 ; co-auteur avec Jean-Guy MERIGOT de Éléments de gestion stratégique des entreprises, Paris, Éditions Cujas, 1980.

. A chaque séquence correspond une proposition de rationalisation ou d’efficacité. Par exemple, à « l’organisation du temps et du travail » (chapitre 1) est expliqué « comment ne pas se faire envahir par les sollicitations telles que téléphone et visites » ; à l’ « environnement de travail » est proposé « l’aménagement physique des postes de travail et mobilier ».

20 Pierre CROZIER, Frédéric PETITBON, Fonctionnaire au quotidien : les nouvelles pratiques des cadres de l’administration, Paris, Éd. d’Organisation, coll. Service public, 1993, p. 27. Frédéric Petitbon est également l’auteur de Le guide du manager public, Paris, Éd. d’Organisation, 2005, 4e éd.

21 Idem, « faire mieux avec moins de moyens », p. 111. 22 Robert LE DUFF, Jean-Claude PAPILLON, Gestion publique, Paris, Vuibert, 1999, p. 313 sq. et 337 sq. 23 John D. MILLETT, Management in the public service : the quest for effective performance, New York, McGraw-Hill,

coll. MacGraw Hill Series in Political Science, 1954, p. 3. 24 Avec en tête de ligne les éditions d’Organisation qui publient Jean-Michel GIRARD et Robert MAZE-SENCIER, La vie

d’un service organisation : une expérience vécue, Paris, Éditions d’Organisation, 1957 ; Association française des conseils en organisation scientifique, Les ratios, outils de gestion. Etude introductive par les Conseils en organisation, préf. de Gabriel Ardant, Paris, Éditions d’Organisation, 1958.

25 Fernand JONIO, R. LELEU, Gilbert PLAINDOUX, Guide pour la pratique du contrôle de gestion, Paris, Dunod, 1962. 26 Henri FAYOL, L’incapacité industrielle de l’Etat : les PTT, Paris, Dunod, 1921 ; Henri FAYOL, Administration

industrielle et générale : prévoyance, organisation, commandement, coordination, contrôle, Paris, Dunod, 1956 ; Luther GULICK, Lyndall URWICK (dir.), Papers on the science of administration, New York, Institute of Public Administration, Columbia University, 1937 ; Dwight WALDO, The administrative state : a study of the political theory of American public administration, New York, Ronald Press, 1948.

27 Michel AMIEL, Francis BONNET, Joseph JACOBS, Management de l’administration, Bruxelles / Paris, De Boeck Université, coll. Management, 1998, 2e éd., p. 3. Les auteurs de ce manuel sont trois haut-fonctionnaires plutôt formés à l’époque de la vague d’informatisation dans l’administration publique. Michel Amiel est titulaire d’une licence en sciences administratives, en informatique et en sciences humaines, directeur du personnel dans une administration. Francis Bonnet, chef d’établissement honoraire et formateur en administration scolaire, a été responsable de l’information au sein d’une administration. Joseph Jacobs, diplômé en comptabilité, assurances et informatiques, dirige le département informatique d’une administration publique.

28 Outre les pratiques citées ci-après on peut recenser les « solutions pratiques » suivantes, qui traversent l’ensemble de l’ouvrage : la résolution des conflits, l’information, l’évaluation, la formation, gestion de l’emploi, planification, division du travail, gestion des documents, gestion financière, tableau de bord, qualité et marketing, relations publiques, changement, projet, etc.

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Le livre désormais classique de Ted Gaebler et David Osborne, Reinventing Government, a amorcé le passage au « nouveau management public » il y déjà un quart de siècle29. « Efficacité » et « management » sont des leitmotivs toujours d’actualité30. Ils se superposent aux « ressources humaines » et « théorie organisationnelle »31 des années 1980. En 1981, Guy Bernfeld soutient sa thèse consacrant le marketing public32. L’évènement date, on le sait, l’entrée de la « discipline » dans les préoccupations académiques. Les éditions d’Organisation commencent à l’essaimer33

L’ « indicateur » s’inscrit dans le prolongement des théories stratégiques. La « clarification » des « objectifs » et des « buts organisationnels »

. L’action publique s’oriente vers le « client », et délaisse l’« usager » ou l’« ayant-droit ». La communication vient suppléer la promotion politique des réformes.

34 ont fait la fortune de l’analyse systémique dans les années 1970. Le « management stratégique » demeure l’une des ressources « conceptuelles » de ces pédagogues. Et même l’une des antiennes de ceux qu’on appelle aujourd’hui « consultants »35. C’est dans ce sens que deux consultants en management, Serge Alecian et Dominique Foucher36, font du « management stratégique » une « mobilisation des énergies » pour une « conduite du changement », basée sur la « communication interne », et la « gestion des emplois et des compétences ». L’emphase portée sur le management « opérationnel » traduit ce primat de l’action et une suspicion tenace envers toute théorisation purement spéculative37

Fondée sur la définition d’ « objectifs » et de « résultats »

.

38

« On peut résumer ces évolutions autour de la définition d’une nouvelle culture d’entreprise de service public qui doit désormais intégrer deux contraintes contemporaines : la contrainte de limitations de moyens, la contrainte de qualité des prestations. Ceci représente le passage

, l’éthique du manager public se veut offensive. Et fondatrice d’une « nouvelle culture » :

29 Et inspire encore les publications. Cf. Philippe BEZES, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française

(1962-2008), Paris, Presses Universitaires de France, 2009. L’auteur situe le début de l’influence du nouveau management public sur la bureaucratie française en 1991 (p. 341 sq.).

30 Les Metcalfe et Sue Richards font de « efficiency, management, accountability, culture » les quatre mots-clefs du management public. Les METCALFE, Sue RICHARDS, Improving public management, Maastricht / Londres, European Institute of Public Administration / Sage, 1990, 2e éd, p. 28.

31 Cf. pour exemple, B. Guy PETERS, Jon PIERRE (dir.), Handbook of public administration, Londres / Thousand Oaks, Sage Publications, 2003.

32 Guy BERNFELD, Le marketing du secteur public. Vers une nouvelle gestion publique, thèse pour le doctorat de gestion, sous la direction d’Henri Tezenas du Montcel, Université Paris IX Dauphine, 1981.

33 Jérôme BON, Albert LOUPPE, L’étude des besoins de la population : marketing des services publics, Paris, Éditions d’Organisation, coll. Management public, 1980.

34 Cf. par exemple, Michael G. CLARKE, Renewing public management : an agenda for local governance, Londres / Birmingham, Pitman / Institute of Local Government Studies, 1996.

35 Voir sur ce point Denis SAINT-MARTIN, Building the new managerialist state : consultants and the politics of public sector reform in comparative perspective, Oxford, Oxford University Press, 2000.

36 Tous deux sont membres de la société INNOVENCE qui, outre son offre de consulting en management, propose des formations notamment destinées aux cadres supérieurs de la fonction publique (préfets, ministères).

37 Serge ALECIAN, Dominique FOUCHER, Guide du management dans le service public, Paris, Éd. d’Organisation, 1994. 38 Mark G. POPOVICH (dir.), Creating high-performance government organizations : a practical guide for public

managers, San Francisco, coll. The Jossey-Bass nonprofit and public management series Jossey-Bass, 1998, p. 16. La tonalité à la fois prescriptive et normative se traduit régulièrement par un appel à une « nouvelle culture » ou à de « nouvelles valeurs ». Celles-ci sont, pour l’auteur : « Self-direction, respect of differences, growth and development, flexibility, informed participation, big-picture focus, customer first, prudent risk taking, openness, initiative, fun, integrity, simplicity, creativity, self-examination, trust ». Idem, p. 70.

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obligé d’une logique de moyens considérés comme donnés et inépuisables à une logique de résultats. »39

Ces nouvelles normes bureaucratiques, portées par une constellation de nouveaux concepts, sont relayées par des individus et des institutions. Ainsi de l’Alliance for Redesigning Government ou l’American Society for Quality

.

40. Toutes deux sont à l’origine de productions managériales. En donnant l’impulsion ou en finançant des publications, elles institutionnalisent un tel crédo. Le format se veut simplificateur. L’assemblage de chapitres d’ouvrages, articles, communications, tableaux, rapports, graphiques doit viser à l’essentiel : le concret et le « prêt-à-l’action ». « Implémenter », « planifier », « améliorer significativement le management de la qualité », trouver ses « outils » et ses « techniques », ses prix (awards) et ses « leaders »41 : une stratégie se dessine dont la revendication de scientificité est l’un des maître-mots.

Année Titre de la publication Auteurs / Éditeurs 1996

(1990) Handbook of public administration. James L. Perry. Professeur, School of public and environmental affairs,

Indiana University (Bloomington), Ph.D. (public administration), Maxwell School of Citizenship and Public Affairs, Syracuse University42.

1992 Exemplary public administrators : character and leadership in government.

Terry L. Cooper. Ph.D. in Social Ethics et professeur à l’University of Southern California (publique), School of policy, planning and development (SPPD). N. Dale Wright. Premier président du Romney Institute of Public Management, Marriott School of Management, Brigham Young University43.

1992 Leadership for the common good : tackling public problems in a shared-power world

John M. Bryson. Professeur (planning and public affairs), Hubert H. Humphrey Institute of Public Affairs, University of Minnesota. Barbara C. Crosby. Associée au Reflective Leadership Center, Hubert H. Humphrey Institute of Public Affairs, University of Minnesota. Coordinatrice de l’Humphrey Fellowship Program. Consultant pour les organisations publiques, les entreprises et les travailleurs sociaux (community organizations).

1993 Authentic leadership : courage in action.

Robert W. Terry. Master, Ph.D, University of Chicago. Senior fellow et Directeur du Reflective Leadership Center44, Humphrey Institute of Public Affairs de l’University of Minnesota (publique).

1993 Handbook of training and development for the public sector : a comprehensive resource

Montgomery Van Wart. Professeur associé et directeur du Department of Public Administration, University of Central Florida. N. Joseph Cayer. Ph.D., Political Science, University of Massachusetts. Professeur School of Public Affairs, Arizona State University.

1993 Revitalizing state and local public service : strengthening performance, accountability, and citizen confidence.

Frank J. Thomson. Professeur à la School of Public Affairs and Administration, Rutgers University. Ph.D. University of California, Berkeley (Political Science).

1994 Communicating for results in government. A strategic approach for public managers.

James L. Garnett. Professeur associé d’administration publique et politiques publiques, Rutgers University-Camden (publique); consultant. Ph.D. (public administration), Maxwell School45, Syracuse University.

39 Jean-François AUBY, Management public : introduction générale, Paris, Sirey, Coll. Notions essentielles, 1996, p. 4. 40 L’approche rappelle les « cercles de qualité » initiés dans les grandes firmes industrielles nippones dans les années

1980, dont on retrouvera également les traces dans le connexe Total Quality Management. 41 V. Daniel HUNT, Quality management for government : a guide to federal, state, and local implementation,

Milwaukee, ASQC Quality Press, 1993. 42 L’université est fondée en 1870 par la Methodist Episcopal Church. 43 Université souchée sur l’Église de Mormons The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. Sur l’automne 2008,

32515 étudiants sur 32992 sont adeptes de cette religion. Chiffres de la Brigham Young University (Source : http://yfacts.byu.edu/viewarticle.aspx?id=97).

44 Ensuite rebaptisé Public and Nonprofit Leadership Center. « The purpose of the Public and Nonprofit Leadership Center is to enhance the leadership of nonprofits, philanthropy, and the public sector to work together, and with the private sector, to advance the common good and serve the public interest. » http://www.hhh.umn.edu/centers/pnlc/about.html.

45 Du nom de George Holmes Maxwell, grand financier, industriel et philanthrope au tournant du XIXe siècle.

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1994 (1991)

Ethical frontiers in public management. Seeking new strategies for resolving ethical dilemmas.

James S. Bowman. Professeur (public administration), Askew School of Public Administration and Policy, Florida State University (publique); Ph.D., University of Nebraska-Lincoln46 (publique) ; Rédacteur en chef de la revue Public Integrity.

1994 Supervision for success in government. A practical guide for first-line manager

Dalton S. Lee. Ph.D. (public administration). Professeur associé (public administration and urban studies), San Diego State University. N. Joseph Cayer op. cit.

1995 The enduring challenges in public management. Surviving and excelling in a changing world.

Arie Halachmi Professeur (management public), Institute of Government, Tennessee State University. Membre du comité de rédaction de la Public Administration Review (revue de l’American Society for Public Administration). Geert Bouckaert47 Doctorat en sciences sociales et Directeur du Public Management Institute, Department of Political Sciences, Université Catholique de Louvain. Conseiller sur les projets de modernisation des gouvernements flamands et finnois, à l’OCDE sur les missions de performance.

1997 Benchmarking for best practices in the public sector : achieving performance breakthroughs in federal, state, and local agencies.

Patricia Keehley Fondateur et président du iKon Group Inc., un cabinet de consultants spécialisé dans l’amélioration de la performance du secteur public et non-lucratif. Ph.D. (public administration), University of Georgia ; Master (public administration), University of South Florida

2005 (1991)

The ethics challenge in public service : a problem-solving guide.

Carol W. Lewis Professeur (science politique), University of Connecticut (publique), College of liberal arts and sciences. Consultant et formateur pour les organisations publiques et les entreprises. Stuart C. Gilman Consultant pour le gouvernement des États-Unis, grandes entreprises, organisations à but non-lucratif, multinationales. Ex haut-fonctionnaire de l’US Office of Government Ethics, ex-professeur au Federal Executive Institute ; Special Assistant to the Director at the United States Office of Government Ethics (OGE) ; Ph.D. (political science), Miami University.

1995 How do public managers manage ? Carolyn Ban. Professeur, Graduate School of Public and International Affairs, University of Pittsburgh.

2008 (1995)

The (new) effective public manager : achieving success in a changing government

Steven Cohen. Directeur du Master Environmental Science & Policy (School of International and Public Affairs), directeur de l’Earth Institute (Columbia University). William Eimicke Directeur du Picker Center for Executive Education (School of International and Public Affairs, Columbia University)

1994 New paradigms for government. Issues for the changing public services.

Patricia Ingraham. Professeur honoraire (public administration), the Maxwell School of Citizenship and Public Affairs at Syracuse University. Barbara S. Romzek. Professeur (public administration), University of Kansas.

2008

(1994)

Workbook for seamless government. A hands-on guide to implement organizational change Seamless government. A practical duide to re-engineering in the public sector

Russell M. Linden. Président de Russ Linden & Associates, un cabinet de consultants en management spécialisé dans l’innovation dans le secteur public.

1993 Total Quality Management in government : a practical guide for the real world

Steven A. Cohen. Doyen associé, School of International and Public Affairs (SIPA) et directeur du Columbia University’s Graduate Program in Public Policy and Administration.

Tableau 1 : Sélection de titres de la collection The Jossey-Bass public administration series

46 Université fondée en 1869 en tant qu’University Hall et développée avec le soutien financier de John D. Rockefeller.

Source : http://www.unl.edu/ucomm/aboutunl/. 47 Entre 1992 et 2002, il coordonne 28 projets de recherche liés à l’implantation du nouveau management public

(« modernisation », « performance » du secteur public). Source : http://soc.kuleuven.be/io/eng/staff/ioebouckaert.htm

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UN PROPHETISME SAVANT

On a pu en faire l’observation : « gouverner, c’est s’appuyer sur des modèles d’action qui, de plus en plus, se drapent d’une exigence d’objectivité »48. Il est vrai que malgré le caractère hétéroclite des théories du « nouveau » management public, celui-ci continue d’apparaître comme une science. Non sans logique. Naturaliser la posture managériale, c’est la vouloir universelle : « Le management public existe parce qu’il est nécessaire. »49. C’est aussi se créer une légitimité historique. Pour Annie Bartoli50, « Max Weber peut être considéré comme l’un des premiers théoriciens du management public »51. Les arguments de la réforme s’étalent sur un spectre aussi élargi qu’inattendu. Plus en avant encore, pour Colin Talbot, « Discussions of the performance of government have existed as long as government itself. »52. Pour Les Meltcalfe53 et Sue Richards54, deux hauts-fonctionnaires du civil service britannique à l’époque de l’Efficiency Strategy de Margaret Tchatcher, c’est bien dans Le Prince de Machiavel que se trouve la justification philosophique de l’abolition de l’ordre administratif ancien55. En un mot, de la réforme. En opposant professionnalisme et managérialisme, le remplacement des fonctionnaires de carrière par des managers est présenté comme une « force de changement inévitable »56. Les valeurs managériales ne sont pas un simple vernis. Véritable « religion du management »57

La prophétie confère à une révolution les preuves du futur. Les lois de l’histoire sont ainsi convoquées. Jusqu’à celles du maoïsme dont Santo et Verrier empruntent le vocabulaire pour signifier combien « l’administration française – si longtemps tenue pour pataude et rigide » – connait « une réforme d’ampleur, une manière de révolution culturelle »

, elles ont pour premier commandement « ce qu’on ne peut pas compter ne compte pas ».

58

48 Olivier IHL (dir.), Les « sciences » de l’action publique, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p. 8. 49 Annie BARTOLI, Le management dans les organisations publiques, Paris, Dunod, coll. Management public, 2005, 2e

éd. (1ère éd. en 1997 dans la coll. Gestion Sup), p. 238. 50 Professeur de gestion et codirectrice du « laboratoire de recherche en management » LAREQUOI, EA 2452, rattachée

à l’ED 438 « Société du futur », à l’Université de Saint-Quentin en Yvelines. 51 Annie BARTOLI, « Les origines du management public », Les Cahiers de recherche de l’ESUG, n° 142, septembre

1996, p. 1-15, p. 5. C’est l’auteur qui souligne. 52 Colin TALBOT, « Performance management », in Ewan FERLIE, Laurence E. LYNN, Christopher POLLITT, The Oxford

handbook of public management, Oxford / New York, Oxford University Press, 2005, p. 491-517, p. 491. 53 Professeur de management public à l’European Institute of Public Management. 54 Directrice de l’Office for Public Management. 55 Les METCALFE, Sue RICHARDS, Improving public management, op. cit., p. 211. 56 Tony L. DOHERTY, Terry HORNE, Managing public services, implementing changes : a thoughtful approach to the

practice of management, Londres / New York, Routledge, 2002, p. 11 et 31. 57 Idem, p. 509. 58 Manuel-Viriato SANTO, Pierre-Eric VERRIER, Le management public, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que

sais-je ?, 1993, p. 3. Manuel-Viriato Santo, ancien élève de l’ENA, expert-comptable, est directeur général de Real Viegas-investissements immobiliers. Précédemment éditeur chez Ernst & Young (1986), chargé de mission à la Direction de la Stratégie et du Plan du Groupe Renault, directeur de la stratégie, du plan et du contrôle de gestion du Groupe Axa (1994-1996), directeur de la stratégie, du marketing et de la communication du groupe Entenial (1996-2004). Pierre-Eric Verdier, directeur associé fondateur de la société AXES management (société de conseil et de formation à la gestion publique) et consultant formateur. Membre du comité de rédaction de la revue Politiques et Management public, administrateur de l’Institut de management public. Conseiller Editorial aux éditions Dunod pour la collection « management public » (1986-1991). Chargé de cours DEA "Gestion publique", Université de Paris I Panthéon-Sorbonne (1986-2002) et DESS "Gestion publique", Université de Paris IX-Dauphine. Membre du Conseil scientifique du Centre de recherche et de développement en Management public de l’ESCP-EAP.

. Ce

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« grand bond » ne dit pourtant rien de neuf : le contrôle de gestion est issu du management industriel. Il ne fait que s’étendre aux « organisations publiques » et aux « politiques publiques ». Cette dernière sous-discipline a servi de cheval de Troie à un ennoblissement académique des prétentions managériales. 22 octobre 1981 à Paris : les politistes Jean Leca et Jean-Louis Quermonne organisent une table ronde sur l’analyse des politiques publiques au Congrès de l’Association française de science politique. 1981 : les éditions d’Organisation traduisent l’ouvrage de George C. Edwards et Ira Sharkansky Policy predicament : making and implementing (titre français Les politiques publiques : élaboration et mise en œuvre) paru trois ans plus tôt de l’autre côté de l’Atlantique. En 1984 l’évaluation des politiques publiques fait l’objet d’un ouvrage éponyme publié par la maison Economica59. Parallèlement, la même année, Bernard Gournay, donne aux étudiants de Sciences Po Paris un cours sur les politiques publiques60. Certes, l’autonomisation de ce secteur de la recherche va constituer comme une riposte. En 1985, le monumental Traité de science politique de Jean Leca et Madeleine Grawitz donne ses lettres de noblesse académiques à l’objet « politiques publiques » en lui consacrant un volume propre61

Un effet de recomposition qui a nourri bien des ambitions sur fond de montée en puissance de la gestion comme science des organisations. « Le management public est une nouvelle discipline »

. Mais la parade est restée longtemps trop dispersée. D’où en une dizaine d’années l’institutionnalisation du management public comme cadre de référence des anciennes sciences administratives.

62 : voilà la déclaration d’ouverture du manuel de Laufer et Burlaud. « Légitimité du management » et « management de la légitimité »63 sont censés participer à l’« élaboration d’une démarche conceptuelle spécifique cohérente »64

« Le management public est une réponse à la crise de légitimité de l’Administration dans son fonctionnement traditionnel. Là réside sa nécessité. Ce qui le rend efficace à ce niveau c’est le fait que le management connote la rationalité, que la participation des usagers connote

:

59 Jean-Pierre NIOCHE, Robert POINSARD, L’évaluation des politiques publiques, Paris, Economica, 1984. 60 Bernard GOURNAY, Science administrative : les politiques publiques, Paris, Fondation Nationale des Sciences

Politiques, Cours / IEP, Paris. 1983-1984, 1984. 61 Madeleine GRAWITZ, Jean LECA, Traité de science politique. 4, Les politiques publiques, Paris, Presses Universitaires

de France, 1985. 62 Romain LAUFER, Alain BURLAUD, Management public : gestion et légitimité, Paris, Dalloz, 1980, p. VII. Romain

Laufer, diplômé d’HEC et de l’Université de Cornell (Ph.D.), est professeur associé et conseiller marketing. Il s’est particulièrement attaché à l’élaboration d’une théorie et d’une pratique de la gestion des grandes organisations publiques et privées centrées sur la notion de légitimité organisationnelle. Alain Burlaud, ESCP, expert-comptable, docteur en sciences de gestion Paris I, débute sa carrière dans un cabinet d’audit puis carrière universitaire, compatibilité des techniques de gestion/idée de service public.

63 Ouvrage qui inspirera fortement celui d’Hussenot, de trois années postérieur, et qui reprend avec minutie le même argumentaire (voir par exemple Philippe HUSSENOT, La gestion publique par objectifs : des ambitions à la pratique, Paris, Editions d’Organisation, coll. Management Public, 1983, p. 35). Objectifs annoncés « moderniser la gestion publique, rechercher une meilleure efficacité dans la mise en œuvre des politiques et des programmes publics, économiser les deniers de l’État et fonctionner au moindre coût » (p. 21). Le management public est désigné comme « un ensemble de méthodes rationnelles au service des décideurs publics » (p. 24). Le travail d’Hussenot est marqué par une volonté de théorisation faisant suite à une expérience de formateur et de consultant. Cet ouvrage est la publication d’une thèse de doctorat en sciences de gestion réalisée à l’Université Paris IX Dauphine sous la direction de l’économiste Émile Lévy. Hussenot est « Professeur-conseiller » au Centre d’Études Supérieures de Management Public (CESMAP), rebaptisé Institut de Management public, chargé d’enseignement à l’université Paris IX Dauphine.

64 Romain LAUFER, Alain BURLAUD, Management public : gestion et légitimité, op. cit., p. 1.

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l’humanité, que le marketing public connote à la fois la rationalité du management et l’humanité qui tient compte des besoins du public. »65

« La conception traditionnelle de la gestion publique » (p. 1-2)

La revendication de nouveauté s’arme parfois des oppositions les plus sommaires :

« La conception moderne, le management public » (p. 3-4)

« une forte soumission au droit » « la croissance des interventions publiques »

« une forte centralisation »

« les critiques apportées aux méthodes traditionnelles de gestion et notamment à ses aspects les plus paralysants et les plus caricaturaux »

« une soumission des autres personnes morales de droit public à un pouvoir de tutelle »

« dilution des notions de bien public et de service public » due à l’affaiblissement supposé des missions régaliennes

« un personnel recruté et géré selon un système de carrière »

« apparition de procédures de contractualisation » « recherche de l’efficacité », « introduction de techniques modernes de management, telles que le management participatif, les techniques de qualité, la gestion de crise ou le marketing public »

« une dilution des responsabilités de gestion (…) la séparation de l’ordonnateur et du comptable. La régularité prime sur l’efficacité »

« reconnaissance des responsabilités individuelles », « décentralisation des responsabilités »

« une absence de souci de rentabilité, qui retentit également sur les rémunérations des agents (…) payés en fonction de leurs responsabilités sociales et non en fonction de leur production ou de leur productivité »

« introduction et développement d’une programmation pluriannuelle »

Tableau 2. Un exemple de « pédagogie » binaire Jean-François AUBY, Management public : introduction générale, Paris, Sirey, Coll.

Notions essentielles, 1996.

Les stratégies rhétoriques adoptées par nos réformateurs visent à constituer un crédit scientifique. Mais le « nouveau » management est aussi – et surtout – un registre politique. En effet, ce qui est considéré « nouveau » à une époque donnée peut s’avérer très variable.

65 Idem, p. 30.

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L’avenir de la gestion publique a pu être vu dans les années 1950 comme dépassant les notions d’efficacité et de rendement :

« Il ne s’agit plus seulement d’une question d’organisation de la production vers plus d’efficacité et de rendement. Le problème dépasse largement le cadre de l’entreprise pour s’étendre à la nation toute entière et à l’État lui-même. Les méthodes qui étaient siennes à une époque où sa tâche se bornait à assurer l’ordre public et à réprimer les troubles qui y portaient atteinte sont désormais périmées. Les problèmes essentiels de l’État moderne sont de nature économique et sociale. Ils exigent de lui une action efficace de direction, de coordination et de contrôle de toutes les activités individuelles. »66

L’emploi du mot « nouveau » ou du terme « futur » n’a rien d’absolu. Dans leur manuel Public administration, John M. Pfiffner et Robert Presthus (1967, 1ère éd. 1935), voient dans le « fonctionnaire du futur » (the civil servant of the future) non plus « l’élite issue d’Oxbridge », mais une nouvelle classe dirigeante formée à la fois aux sciences (« dures ») et aux sciences humaines (humanities). Ni scientifiques ni techniciens, « the heads of affaires should be broadly educated men, “science-oriented humanists”, with a view of history and of the future. »

67

UN OBJECTIVISME D’ETAT

. Preuve s’il en faut que le modèle du haut-fonctionnaire est gagné par une lecture prophétique du fonctionnement de l’Etat. Il épouse les idéaux d’un futur présenté comme inéluctable : schéma proleptique qui emporte avec lui une légitimité politique. Porté par des militants scientifiques, enrôlé par les managers d’Etat, ce savoir spécialisé circule et s’adapte au point de constituer l’horizon de la modernité bureaucratique.

A tout militantisme scientifique ses entrepreneurs de scientificité. Les auteurs de nos manuels présentent trois profils-type : le manager d’entreprise (consultant ou dirigeant), l’universitaire (doctorat ou Ph.D.) et le haut-fonctionnaire (« grands-corps »).

Les Grands Corps techniques sont historiquement associés à la mise en œuvre d’une pensée à la fois quantitative et objectiviste68. Dès le XIXe siècle, ces élites technocratiques sont chargées de mettre en chiffre l’utilité publique, de calculer des coûts de revient, de formuler des décisions rationnelles. Elles tissent un lien étroit entre ingénierie technique et ingénierie politique69

66 Jacques BONNET DE LA TOUR, Méthodes de gestion privée et méthodes de gestion publique, Paris, École Nationale

d’Administration, juillet 1947, p. 1-2. Rapport de stage d’un énarque (promotion Union Française, section économique et financière) dans les usines sidérurgiques Röchling à Völklingen (dans la Sarre), alors encore sous séquestre allemande.

67 John M. PFIFFNER, Robert V. PRESTHUS, Public administration, New York, The Ronald Press Company, 1967, 5e éd, p. 248-249.

68 Theodore M. PORTER, Trust in numbers. The pursuit of objectivity in science and public life, Princeton, Princeton University Press, 1996.

. Notons la permanence de cette orientation. Jean-Louis Deligny, ancien élève de

69 Les éditions d’Organisation appartiennent au groupe Eyrolles dont le siège se situe boulevard Saint-Germain, Paris 5e. Fondé en 1957 par Marc Eyrolles (1909-2006), fils de Léon Eyrolles (1861-1945), diplômé des Ponts et Chaussées, lui-même fondateur de l’établissement d’enseignement supérieur privé « École Spéciale des Travaux Publics, du Bâtiment et de l’Industrie » (ESTP) au tournant du XXe siècle. Dans la lignée de cette tradition dynastique, les cadres dirigeants sont des

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Polytechnique et diplômé des Ponts et Chaussées, alors directeur de l’Équipement, pose en 1990 les bases de ce qu’il qualifie d’ « administration du futur ». Assisté de son chef de cabinet Jeanne-Marie Cardon, l’auteur cherche à établir la « nécessité » du management de l’administration, de la « culture » qui s’y rapporte, de la « stratégie » à suivre pour y parvenir, et des « résultats » comme critères d’appréciation de l’action publique70. Ainsi présenté, le management public devient l’« adaptation des structures, du fonctionnement, et du comportement de l’administration à l’évolution de son environnement, pour produire un service public conforme à l’attente de ses partenaires. »71. L’ouvrage est sans surprise publié par la maison d’édition Eyrolles, se revendiquant « librairie des professionnels »72. Comme le montre l’étude de Véronique Chanut, l’implantation et la diffusion du management a pu être poussée encore plus loin avec la mise en place de formations dédiées pour les hauts-fonctionnaires du ministère de l’Équipement73

ingénieurs des Ponts et Chaussées, de l’Équipement, de l’École Polytechnique. Ce sont donc les grands corps techniques qui orientent les caractéristiques du groupe Eyrolles. Le rôle de l’École nationale des Ponts et Chaussées dans la formation des sciences de gouvernement n’est pas neuve. On pense à l’ingénieur Cauchy qui arithmétisa la possibilité du suffrage universel en France, cf. Olivier IHL, « Une ingénierie politique. Augustin Cauchy et les élections du 23 avril 1848 », Genèses, n° 49, décembre 2002, p. 5-25.

70 Jean-Louis DELIGNY, Jeanne-Marie CARDON, L’Administration du futur : culture et stratégie, Paris, Eyrolles, 1990, 2e éd. L’analyse globale se situe au croisement de la théorie des organisations (par ex. p. 25 sq., p. 85 sq.), de la théorie systémique (symbolisée par de nombreux schémas de boucles rétroactives (par ex. p. 29, p. 86, p. 94, p. 104), du marketing (p. 119-130), des formes plus récentes de management comme le « management participatif » (p. 37 sq.) et enfin de l’analyse stratégique (p. 131-160). La « pédagogie » est poussée jusqu’à ses formes les plus originales : « horoscope du management » (p. 229) et « jeu de l’oie du management public » (p. 230). Recyclage de différents matériaux théoriques : « analyse stratégique » (p. 243-282), « béhavioraliste » (p. 304 sq.), sociologie des organisations (p. 317 sq. et 329 sq.).

71 Idem, p. 234.

.

72 Ce qui met en avant son attachement au secteur privé et le pose en passeur d’idées volontariste. La branche éditions d’Organisation a été créée en 1952 et compte aujourd’hui près de 1000 titres à son catalogue (http://www.editions-organisation.com/InfoDiverses/editions-organisation.html) Parmi leurs partenaires privilégiés, on retrouve des cabinets ayant travaillé pour l’État français et impliqués dans la « rénovation » de son administration : CapGemini/Ernst & Young et McKinsey. L’élaboration de pratiques de management public se fait, au moins au « stade expérimental » avec le partenariat de consultants privés. Par exemple CapGemini ou BearingPoint pour les ministères en France. Cette recommandation est formulée dès 1980 par les Nations Unies. Cf. Nations Unies, Manuel pour l’amélioration de la gestion dans l’administration publique : mesures destinées à renforcer l’efficacité des services organisation et méthodes de l’État, New York, Nations Unies, 1980, p. 57.

73 Véronique CHANUT, L’État didactique : éduquer au management public les cadres du Ministère de l’équipement, Paris / Budapest / Turin, L’Harmattan, 2004.

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Figure 1 Un exemple de vulgarisation pédagogique : le « jeu de l’oie du management public »74

La modernisation de l’appareil bureaucratique ne va pas sans la promotion d’« une culture managériale aux divers échelons de l’administration »

75, pour ces trois inspecteurs du ministère des Finances76

74 Jean-Louis DELIGNY, Jeanne-Marie CARDON, L’Administration du futur : culture et stratégie, op. cit., p. 230-231. 75 Henri GUILLAUME, Guillaume DUREAU, Franck SILVENT, Gestion publique : l’État et la performance, Paris, Presses de

Sciences Po/Dalloz, coll. Amphithéâtre, 2002, p. 131. Le parcours d’Henri Guillaume en fait un profil paradigmatique. Fils de fonctionnaire, il est ingénieur civil des ponts et chaussées et docteur en économie. Sa carrière cumule postes au ministère des Finances (Prévision, INSEE), d’enseignement supérieur (Lille I, Centrale), de membres de cabinet, de responsabilité dans des entreprises publiques et privées. Préoccupation réformatrice de longue date, il est également l’auteur de La rationalisation des choix budgétaires en 1971. Guillaume Dureau, fils d’ingénieur, ancien élève de Polytechnique et diplômé de l’ENSAE et de l’EHESS (analyse politique et économique). D’abord économiste à l’INSEE, il mène une carrière classique au ministère des Finances (jusqu’au grade Inspecteur des Finances). Il pantoufle en 2002 pour des fonctions de direction de stratégie puis de direction de la Business Unit Equipements du groupe AREVA. Franck Silvent, fils d’enseignants et diplômé de l’IEP de Paris, ancien élève de l’ENA. Après 7 ans au Ministère des Finances, il pantoufle en 2005 pour prendre la direction des finances, de la stratégie et du développement du groupe Compagnie des Alpes.

76 Sur les rapports entretenus avec le monde économique, cf. Nathalie CARRE DE MALBERG, « Entre service de l’État et besoins du marché : les inspecteurs des Finances, 1918-1939 », in Marc-Olivier BARUCH, Vincent DUCLERT, Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 337-358.

. Si les auteurs de Gestion publique : l’État et la performance, se préoccupent de ce passage, c’est qu’ils en sont aussi les artisans. Publié dans la collection « Amphithéâtre » de la prestigieuse maison d’édition Dalloz, il s’adresse aux premiers cycles. Le but est d’imprégner les futures élites bureaucratiques dès le début de leur formation supérieure. Le mot d’ordre doit circuler : « gestion par la performance », « culture de résultats », « transformation des responsabilités »… Le transfert du privé vers le public est évident. Et peu singulier. Antoine Giscard d’Estaing, ancien élève de HEC, inspecteur des

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finances jusqu’en 1990 puis directeur d’un cabinet de conseil en stratégie et management (Bain & Company) va dans le même sens. Sa conception de la « gestion publique » inclue « stratégie » et « approche marketing »77. Cette dernière bénéficie d’un contexte professionnel marqué par la multiplication des pantouflages et le déclin de l’idéologie de l’intérêt général. Elle s’énonce dès lors comme une rationalité délivrée de tout biais partisan. Avec pour finalité principale de « transformer une situation donnée, caractérisée par un ensemble de paramètres, en un état futur désirable, à partir d’une logique d’action permettant d’améliorer, sur des critères prédéfinis, l’état de départ. »78

Pour cet autre haut-fonctionnaire du ministère des Finances, c’est le recul de la règle de droit, avec son formalisme et ses cécités, qui est en jeu

. L’effort de rationalisation est évident.

79

« le service à délivrer aux usagers n’est plus défini en termes juridiques et abstraits mais en termes concrets et mesurables (…) l’administration n’est plus tenue par une obligation de moyens, mais par une obligation de résultats (…) ce type de rapport n’est plus régi par une réglementation nationale, mais par un contrat moral avec les usagers ou par un "engagement de service" de l’administration »

:

80

Cette dé-régulation est présentée comme le gage d’une efficacité accrue. Un mouvement qui vaut dans la mise en œuvre des politiques publiques, dans le rapport entre État et citoyens, et par ailleurs dans la gestion même de l’administration

.

81. La contrainte juridique, qui jusqu’alors faisait force de loi, est répudiée comme fondement de la légitimité démocratique. Pour les néolibéraux, ce qui circonscrit l’action est synonyme d’obstacle à la liberté. En ce sens, il serait impossible de déployer les « ressources humaines » dans le corset juridique qui enserre l’action des hommes d’État. L’absence de contrainte devrait pouvoir laisser place au règne de la mesure et des résultats82

« Si la notion de management public est apparue, cela est dû à une évolution importante des conditions dans lesquelles doivent évoluer les structures publiques. A une conception purement administrative de la gestion des structures publiques, s’est progressivement substituée une conception différente des rapports avec les usagers et l’environnement des structures publiques, conception liée à un univers plus concurrentiel et à de nouvelles attentes des contribuables et des usagers du service public. »

. Même revendication pour ce consultant, ancien élève de l’ENA, qui pantoufle en 1990 et professeur associé à l’IEP de Bordeaux :

83

77 « marketing-produit », « marketing de la relation », « marketing mix », Antoine GISCARD D’ESTAING, La gestion

publique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, 1991, p. 46-48. 78 Idem, p. 42. 79 Sur la question des rapports entre norme juridique et norme managériale, voir les travaux de Jacques Caillosse et

notamment Jacques CAILLOSSE, « La modernisation de l’État : variations sur le modèle juridique d’administration », Actualité juridique. Droit administratif, n° 11, 20 novembre 1991, p. 755-764 ; Jacques CAILLOSSE, « Le droit administratif contre la performance publique ? », Actualité juridique. Droit administratif, n° 3, 20 mars 1999, p. 195-211 ; Jacques CAILLOSSE, « Les figures croisées du juriste et du manager dans la politique française de réforme de l’État », Revue française d’administration publique, n° 105-106, 2003, p. 121-134.

80 Bernard ABATE, La nouvelle gestion publique, Paris, LGDJ, coll. Finances Publiques, 2000, p. 29, souligné par l’auteur.

81 Idem, p. 31. 82 « la gestion orientée vers les résultats : une discipline à créer » (p. 33) reposant sur une batterie de mesures : mesure de

l’efficacité (p. 39), mesure de l’efficience (p. 43), mesure de l’effort d’économie (p. 47). 83 Jean-François AUBY, Management public : introduction générale, Paris, Sirey, Coll. Notions essentielles, 1996, p. IX.

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Communication au Congrès mondial de l’IPSA, Santiago du Chili, 2009. Elisa Chelle – Doctorante en science politique (IEP Grenoble / UMR Pacte)

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Les usagers tiennent un rôle important en tant que spectateurs de la réforme. On pourrait même y voir une mise en scène à l’usage des électeurs. Ainsi avec ce Trésorier Payeur Général, énarque, alors directeur de l’agence comptable du Trésor. Fonctionnaire de carrière, issu d’une famille de fonctionnaires, il publie en 2004 un ouvrage préfacé par Nicolas Sarkozy et postfacé par Jean-Louis Borloo. Comment ne pas y voir un exercice de communication politique ? Destiné au grand public, il présente l’image d’une fonction publique flamboyante… sous la lumière de la « performance ». « Des services publics performants, c’est possible ! » est-il proclamé. Invitation ou injonction, elle coïncide avec les réformes en cours en 2004. Un effort évident de « pédagogie de la réforme ». Pédagogie à l’endroit de l’opinion publique et du Ministère des Finances. Le « club de managers publics » animés par l’auteur dans ce même ministère84 ne laisse aucun doute à cet égard. Avec une ligne directrice digne d’un slogan publicitaire : « positiver pour performer »85. Même fonction pour l’ouvrage de la fonctionnaire Sylvie Trosa86, Le guide de la gestion par programmes. Se voulant clairement un manuel, il s’adresse en majorité aux fonctionnaires et aux gestionnaires87

« un changement de la façon d’agir allant vers le mode de l’influence plus que du commandement (ne pas ordonner mais tenter de convaincre l’autre que l’idée paraisse venir de lui-même ; un accroissement de l’expertise plurielle (car un acteur social ne détient pas la vérité à lui seul) ; une capacité d’équilibrer réglementation et régulation (car la réglementation n’a d’effet que si ceux qui doivent la mettre en œuvre sont incités à le faire ; un raisonnement par incitations plus que par ordre (en sachant répondre à la question : qu’est-ce qui fera agir les acteurs ?). »

. L’ouvrage paraît en 2002, peu après la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) achevée en 2001 à laquelle Sylvie Trosa participa. Le même auteur pose, quelques années plus tard, les bases de ce qui est entendu être « un nouveau modèle de la fonction publique » :

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On le voit, ces productions « indigènes » sont inscrites dans un agenda politique. En objectivant les principes d’une autre professionnalisation des fonctionnaires, ils contribuent à orienter les pratiques. C’est parfois le mot d’ordre de toute une collection : « The aim of this series [in strategic management] is to provide managers with books on strategy, strategic management and strategic change, which are helpful, practical and provide guidance for the

84 Jean-Jacques FRANÇOIS, Des services publics performants, c’est possible !, Paris, First éditions, 2004, p. 149. 85 Idem, p. 317. 86 Parmi de nombreux autres du même auteur : La décentralisation, réforme de l’État, Boulogne Billancourt, Éd.

Pouvoirs locaux, 1992 (avec Michel Crozier) ; Le guide de l’intéressement des fonctionnaires, Paris, Litec, coll. Guides pratiques de l’administration territoriale, 1992 ; Moderniser l’administration : comment font les autres ? : approche comparative des stratégies de modernisation des administrations en France, au Royaume-Uni et en Australie, Paris, Éd. d’Organisation, coll. Service public, 1995 ; La réforme "Next Steps" au Royaume-Uni : décentraliser et responsabiliser l’administration, Paris, Centre de prospective et de veille scientifique, 1995 ; Quand l’Etat s’engage : la démarche contractuelle, Paris, Éd. d’organisation, coll. Service public, 1999 ; Les partenariats public-privé, La Découverte, coll. Repères. Économie, 2006 (avec Frédéric Marty et Arnaud Voisin) ; Vers un management post bureaucratique : la réforme de l’Etat, une réforme de la société, Paris, L’Harmattan, coll. Questions contemporaines, 2006 ; Cercle de la réforme de l’État (co-dir. Yves Cannac), La réforme dont l’Etat a besoin : pour un management public par la confiance et la responsabilité, Paris, Dunod, coll. Management public, 2007 ; La réforme de l’État : un nouveau management ? Valeurs et enjeux, Paris, Ellipses, coll. Transversale. Débats, 2008.

87 Sylvie TROSA, Le guide de la gestion par programmes : vers une culture du résultat, Paris, Éd. d’Organisation, 2002, p. 7.

88 Sylvie TROSA, La réforme de l’État, un nouveau management : Valeurs et enjeux, Paris, Ellipses, coll. Transversale Débats, 2008, p. 133-134.

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practical application of sound concepts in real situations. »89. Comment ne pas y voir l’œuvre d’une ingénierie d’État ? L’ouvrage de Mark. H. Moore, professeur à la Kennedy School of Government (Harvard University), propose d’entrée de jeu une « structure de raisonnement pratique à usage des managers des entreprises publiques »90

Plus qu’une activité de conseil, les manuels sont l’occasion d’offensives ouvertes à l’égard de tout un système. Aux États-Unis, les managers publics s’emparent de l’aversion bien connue envers l’administration en promettant de « bannir la bureaucratie »

. Sur un ton pragmatique, libéré des exigences du scientifique, l’auteur reprend les bases du management stratégique et d’une approche par les organisations (définition des tâches, précisions des objectifs, critères d’évaluation…) pour les appliquer aux services publics municipaux.

91. C’est l’Alliance for redesigning government, composante de la National Academy of Public Administration, qui porte ce message. Elle publie également l’ouvrage Creating high-performance government organizations. Le classique Osborne et Gaebler92 avait montré la voie : « Gouvernement compétitif », action fondée sur la « mission », les « résultats » ou le « client » (customer), « Gouvernement entrepreneur » et « orienté vers le marché ». Le succès rencontré par l’ouvrage a dépassé le cercle des initiés. Et un tel intérêt informe sur la prise à parti de l’opinion publique en la matière. L’appel au sens commun puise dans le registre de la simplification à l’extrême. Ces digests se déclinent en « trois E », « cinq C » ou « cinq stratégies »93, « trois piliers » et rappellent les « six sigma » et autres « neuf clefs »94 du management classique. L’argument le plus subtil est sans doute celui de l’accountability95. D’où la multiplication d’indicateurs de performance96. C’est dans ce sens que « l’orientation vers le citoyen »97

89 Présentation de la collection Wiley en « stratégie pratique » par David HUSSEY, Professeur associé de management

stratégique. Consulté dans l’opus Paul Joyce, Strategy in the public sector : a guide to effective change management, Chichester / New York, John Wiley, coll. Wiley series in practical strategy, 2000.

90 Mark H. MOORE, Creating public value : strategic management in government, Cambridge, Harvard University Press, 1995, p. 1.

91 OSBORNE, Peter PLASTRIK, Banishing bureaucracy : the five strategies for reinventing government, Reading, Addison Wesley Pub. Co., 1997. Hughes voit dans le management public la fin de l’administration. Owen E. HUGHES, Public management and administration : an introduction, Houndmills, Palgrave MacMillan, 2003, 3e éd., p. 54. Un ensemble si différent du « modèle traditionnel » qu’il constituerait un tout autre paradigme (p. 262 sq.) et même une « discipline académique » (p. 277).

92 David OSBORNE, Ted GAEBLER, Reinventing government : how the entrepreneurial spirit is transforming the public sector, Reading, Addison Wesley, 1992.

93 David OSBORNE, Peter PLASTRIK, Banishing bureaucracy : the five strategies for reinventing government, op. cit. Les stratégies en question : core strategy, consequence strategy, customer strategy, control strategy, culture strategy. Ce sont finalement les classiques d’un management stratégique que l’on retrouve, au croisement du marketing, du « changement de culture » et de l’économisme. Le tout ayant pour but de « changer l’ADN » du gouvernement (p. 21).

94 Lester R. BITTEL, The nine master keys of management, New York, McGraw-Hill, 1972 ; Dennis D. BOYLIN, Six keys to stress-free management. A manager’s guide to higher productivity and job satisfaction, Victoria, Trafford Publishing, 2003; Norman C. HILL, Increasing managerial effectiveness : keys to management and motivation, Reading, Addison-Wesley, 1979…

95 Central dans David MCKEVITT, Alan LAWTON (dir.), Public sector management : theory, critique and practice, Londres, Sage / Milton Keynes / Open University, 1994. L’ouvrage est un support du cours « Managing public services » du Master of Business Administration (MBA) de The Open University (Grande-Bretagne).

96 « despite the proliferation of performance indicators across the public sector during the 1980s, progress has been tardy, and the performance indicator remains an imperfect, often ineffective instrument of control », Neil CARTER, « Performance indicators : "backseat driving" or "hands off" control ? », in David MCKEVITT, Alan LAWTON (dir.), Public sector management : theory, critique and practice, Londres, Sage / Milton Keynes / Open University, 1994, p. 208-219, p. 209.

est préconisée. Sommer publiquement l’administration de rendre des

97 Christopher DUNN, The handbook of Canadian public administration, Toronto / Oxford, Oxford University Press, 2003. Avec un accent sur les valeurs : « valeurs traditionnelles » : accountability, efficiency, effectiveness, integrity,

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comptes correspondrait à un changement profond de la conception de la légitimité et des valeurs de l’État98

neutrality, responsiveness, representativeness vs. « nouvelles valeurs de service » : innovation, quality, teamwork, Idem, p. 50.

98 Anthony HOPWOOD, « Accounting and the pursuit of efficiency », in David MCKEVITT, Alan LAWTON (dir.), Public sector management : theory, critique and practice, Londres, Sage / Milton Keynes / Open University, 1994, p. 145-159, p. 147.

. Le « citoyen-consommateur », pris à parti dans ce théâtre du pouvoir, y jouerait le rôle de l’indigné qui réclame des comptes. Il aurait des justiciers volant à son secours : les réformateurs néo-libéraux. Avec l’aplomb de l’objectivité et l’éclat de la scientificité, les manuels comptent bien se hisser au rang de petit livre rouge de la « révolution » managériale.