10
La négation comme sortie de l'ontologie Author(s): Monique David-Ménard Source: Revue de Métaphysique et de Morale, No. 2, NÉGATION / VERNEINUNG (AVRIL-JUIN 2001), pp. 59-67 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40903793 . Accessed: 02/01/2014 10:30 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

210036149 DAVID MENARD La Ne Gation Comme Sortie de l Ontologie

Embed Size (px)

Citation preview

  • La ngation comme sortie de l'ontologieAuthor(s): Monique David-MnardSource: Revue de Mtaphysique et de Morale, No. 2, NGATION / VERNEINUNG (AVRIL-JUIN2001), pp. 59-67Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40903793 .Accessed: 02/01/2014 10:30

    Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

    .

    JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

    .

    Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revuede Mtaphysique et de Morale.

    http://www.jstor.org

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • La ngation comme sortie de l'ontologie

    L'objet de cet expos est double : il s'agit d'abord de dfinir l'enjeu du texte de Freud sur La ngation (Die Verneinung, 1925) au regard des elaborations philosophiques de la question qui datent de la mme priode. Il s'agit ensuite de caractriser la rflexion sur la ngation comme partie intgrante d'une cri- tique de l'ontologie et d'une rflexion sur les croyances, et cela en philosophie mme. ce titre, on remarquera une convergence entre Freud et Kant, ou, plus exactement, une manire intressante de relire Kant grce Freud.

    Frege s'intressait aux penses sans porteur . Freud, lui, s'intresse la ngation parce que cet oprateur grammatical et logique lui parat caractriser sur un mode particulier la manire dont un sujet porte ses penses . Nier un contenu de pense dans un jugement, c'est se mettre distance d'un mouvement pulsionnel qui nous habite, grce au fait que celui qui s'exprime se constitue en sujet de la connaissance qu'il prend de ce mouvement. Se mettre distance, c'est refuser, dira-t-on. Mais les choses sont plus complexes. Car ce refus de quelque chose en soi-mme qui prend la forme de la connaissance qu'on en prend n'est pas un refus absolu. Il y a pire, dans la vie de l'me, que la ngation. Il y a plus destructeur, pour soi et pour l'autre : il s'agit alors d'exclure radi- calement ce qui nous fait mal dans ce qui, du coup, devient le dehors, hostile par constitution, qu'on n'admettra plus du tout en soi. Dont il ne saurait tre question qu'il nous concerne. Ce que Freud appelle, la fin de son texte, le ngativisme de tant de psychotiques est cette conduite d'apparence linguisti- que incapable d'inventer le compromis avec le mauvais qu'invente au contraire la ngation. Exclure, dire non tout, c'est s'enfermer dans un refus absolu du monde, qui peut prefidre la forme du mutisme ou d'un dlire para- noaque, dans lesquels les ressources de ces deux petits mots ne... pas ne sont pas trouves. Au contraire, nier ou dnier - selon les premires traductions franaises de la Verneinung -, c'est aller faire une reconnaissance dans ce qu'on avait aboli en le rejetant sans parole dans les tnbres extrieures. Vous allez penser que je veux vous dire quelque chose d'offensant, avec cette ide qui me vient, mais non ce n'est pas le cas . Telle est la structure de l'exemple dont part Freud, qui insiste sur l'aspect crateur du recours au langage, qui forme vraiment le sujet lorsqu'il sait employer les mots ne... pas de telle manire qu'ils enveloppent et fassent surgir de faon dtermine ce qui tait rejet. Les

    Revue de Mtaphysique et de Morale, N" 2/2001

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • 60 Monique David-Mnard

    psychotiques au contraire, ceux qui disent non tout bout de champ, ne parviennent pas ce jeu avec ce qu'ils rcusent que permet la ngation.

    C'est dessein qu'en prsentant comme il vient d'tre fait la ngation, en faisant se rejoindre dans un court-circuit le dbut et la fin du texte freudien, j'ai fait pour le moment l'conomie de la rencontre avec la problmatique logique du jugement. Freud, en effet, rencontre cette dernire puisqu'il est lve de Brentano. Mais en mme temps, ce qu'il a dire sur la ngation vient d'ailleurs : d'une rflexion sur la proximit et la diffrence entre le rel extrieur entendu comme ce qui a t exclu de soi, et le pouvoir qu'a le langage, grce la ngation, de revenir par le savoir sur l'exclu. Ce n'est pas une acceptation de ce qui a t exclu, mais c'est une possibilit de ne pas en rester un ne rien vouloir en savoir si radical qu'il ne peut mme se dire.

    Pour que ce dispositif de la ngation puisse s'effectuer, il faut que le sujet puisse mconnatre un contenu en l'attribuant un autre : Vous allez penser que [...], mais non, ce n'est pas le cas ! ; et, d'autre part, c'est le mauvais que dtient l'autre. La rflexion freudienne ouvre donc sur une problmatique de l'altrit et non pas sur une ontologie. La ngation n'a pas rapport la question du non-tre, mais celle de la violence exerce contre soi et contre l'autre. Si elle rencontre la logique du jugement, sur laquelle Husserl et Frege dbattent, c'est que la liaison et la dliaison qu'effectue la copule dans les jugements respectivement affirmatifs et ngatifs sont l'un des actes par lesquels les pulsions se structurent. C'est aussi que l'ide freudienne selon laquelle le rel est ce qu'on exclut de soi comme tellement mauvais qu'on n'en peut rien savoir fait paratre sous un nouveau jour la question du pli entre tre et discours, que la logique labore en distinguant le jugement d'attribution du jugement d'exis- tence : ce n'est jamais qu' son corps dfendant qu'on saisit un lment de rel. Et ce corps qui se dfend en pensant, c'est celui qu'organise la Verneinung. La ngation n'a pas rapport au non-tre, elle a rapport la diffrence entre tre exclu et exister. On se demandera s'il existe encore un dnominateur commun entre l'abord philosophique de la question de l'tre, l'abord logique de celle de l'existence, et l'abord psychanalytique du rel. Pourtant, ces divergences se dfinissent dans l'examen de ce qu'est un jugement.

    Mais venons-en d'abord au texte de Freud, qui a fait l'objet, en France, de nombreuses traductions et de non moins nombreuses lectures : la premire traduction date de 1934 ; elle est due H. Hoesli et parut dans la Revue franaise de psychanalyse (7, 2). Mais c'est Jacques Lacan qui, en 1954, donna une impulsion aux rflexions sur ce texte qui pose la question des rapports de la psychanalyse la philosophie, lorsqu'il invita Jean Hyppolite le lire en mme temps que lui-mme. Les crits de Jacques Lacan, parus en 1966, rendent compte de cet change, et l'apport d'Hyppolite a paru sparment dans les

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • La ngation comme sortie de V ontologie 61

    Figures de la pense philosophique, tome I (PUF, 1971). La revue Le Coq Hron publia plusieurs commentaires et traductions en 1975 et 1976, Jean Laplanche fixa le texte ensuite dans l'dition des PUF en 1985. Par la suite, Franois Roustang, Monique Schneider sont revenus sur les enjeux du texte.

    Freud part de trois noncs qui accentuent plusieurs caractres de la ngation : le premier met en valeur la violence, agie et rcuse, d'une ide qui vient un patient : Vous allez maintenant penser queje vais dire quelque chose d'offen- sant, mais je n'ai pas effectivement cette intention . Le second exemple prcise que cette forme de mconnaissance suppose l'attribution un autre, l'analyste, du contenu rcus qui surgit. Vous demandez qui peut tre cette personne dans le rve. Ma mre, ce n'est pas lle . Cette dimension d'altrit tait dj prsente dans le premier exemple, mais l, l'attention explicite de l'analyste portait sur la violence du mouvement pulsionnel qui accdait au langage.

    Le troisime exemple explicite le fait que la ngation est comme l'emblme, la marque de fabrique de la connaissance comme mise distance de soi, que les petits mots ne... pas soient ou non prsents dans l'nonc : Que pou- vez-vous bien tenir pour le plus invraisemblable de tout dans cette situation ? Qu'est-ce qui, votre avis, tait le plus loin de vous ? Si le patient donne dans le pige et nomme ce quoi il peut le moins croire, il a ainsi presque toujours avou ce qui tombe juste .

    partir de l, Freud fait la thorie des rapports entre connaissance consciente et refoulement par ngation. Il s'exprime d'une manire paradoxale en disant que la ngation montre comment l'intellectuel se spare de l'affectif. Cette formulation a l'air d'une gense abstraite et gnrale de l'intelligence, mais elle correspond plutt l'attention clinique au conflit interne d'un patient en analyse, et non pas la contemplation d'une naissance de l'intellect... Connatre un contenu intellectuellement, c'est laisser persister l'essentiel du refoulement, c'est--dire le mouvement violent par lequel on rcuse quelque chose qui vous traverse. L'important est ici de comprendre que la ngation est une formation double face, radicalement ambigu : connatre, c'est refouler. Mais ce refou- lement qui fige le sujet dans la mconnaissance est en itme temps une conqute, et cela de deux points de vue : d'une part si on le compare, comme le dit la fin du texte, au ngativisme, qui, s' appliquant tout, ne permet pas de constituer un contenu dtermin autour duquel se forme le sujet ; et, d'autre part, parce qu'il y a quelque chose de crateur dans ce refus. C'est ce point-l que Jean Hyppolite retiendra particulirement en insistant sur le fait que la ngation n'est pas un simple quivalent (Ersatz) de l'exclusion, mais qu'elle en est une suite {Nachfolge), qu'elle cre la marge de la pense . Cette remarque d' Hyppolite aurait d permettre de poser une question nouvelle : toute pense conceptuelle est-elle soutenue par la ngation ? Telle est l'une des voies d'accs

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • 62 Monique David-Mnard

    une interrogation psychanalytique sur le statut de la philosophie, c'est celle que j'ai mise en uvre dans mon premier ouvrage sur Kant : La folie dans la raison pure (Vrin, 1990).

    C'est pour prciser le statut ambigu mais crateur de la ngation comme emblme du travail de la pense qui transforme les enjeux pulsionnels de la vie de l'me que Freud en vient ensuite une thorie du jugement sous ses deux formes : jugement attributif et jugement d'existence. Du point de vue de la manire dont le sujet porte ses penses, qui est celui de la psychanalyse, la liaison et la dliaison qu'effectuent les jugements attributifs respectivement positif et ngatif concernent justement le destin de ce qui est exclu : dire S n'est pas P , c'est sparer un sujet logique d'un prdicat, ce qui veut dire, par le truchement d'un nonc qui porte sur le monde, sparer de soi quelque chose, alors que dire S est P , c'est admettre en soi quelque chose, acte par lequel le soi comme espace interne est constitu. Freud joue ici explicitement sur l'tymologie du terme Urteilen, juger, qui veut dire sparation originaire. S'il peut tre question d'un jugement affirmatif, c'est sur la base de cette activit judicatoire qui est d'abord une sparation. Du point de vue de la vie pulsionnelle qui s'labore dans la pense logique, il n'y a de runion d'un sujet un prdicat que comme une variation sur un pouvoir originaire de distinguer, c'est--dire de sparer celui-ci de celui-l. Or la ngation est un destin de cette dliaison originaire, une possibilit d'en limiter les effets.

    La construction logique du texte de Freud est complexe : on passe de la question de la ngation celle du jugement par deux raisons conjugues : la premire est que la ngation est la marque de fabrique du refoulement qui s'instaure par l'entre en action de l'intelligence. Freud s'autorise donc passer de la question de la Verneinung sa thorie du jugement en gnral, avec ngation ou sans.

    Le second fil logique qui relie les paragraphes sur la ngation aux paragraphes sur le jugement est ce rapport entre dliaison et ngation (qui en est un destin ultrieur). Le troisime fil concerne l'enjeu de la ngation dans le jugement d'existence, et non plus dans le jugement d'attribution : du point de vue du jeu des pulsions, prononcer des jugements d'existence, c'est, non pas parler tout simplement du monde ou se prononcer sur la rfrence d'un nonc, c'est tenter de retrouver dans la ralit extrieure l'objet de satisfaction dont la trace s'est inscrite en nous et a vritablement constitu nos dsirs - par le rinvestissement de cette trace - dans leur spcificit. La ngation est requise pour mettre en forme d'une part l'espoir de retrouvailles avec l'objet et d'autre part la dsil- lusion par laquelle nous sortons de l'espoir hallucin de retrouver l'objet que nous dcrtions ntre avant toute mise en jeu de questions sur sa disponibilit. Le problme que Freud explicite mal concernant la ngation dans son rapport

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • La ngation comme sortie de V ontologie 63

    au jugement est celui-ci : est-ce la mme ngation, celle qui nous fait faire la diffrence entre l'objet dsir que nous portons en nous et celui qui se trouve l - cet objet qui m'attire n 'est pas exactement celui que j'aspirais retrouver -, et celle qui nous permet de revenir, par l'invention d'une marge de la pense , sur ce que nous avions exclu, retranch de nous-mmes, en le rejetant dans ce qui tait devenu, par l mme, l'extrieur ? Freud ne dit pas que la ngation intervient dans cette preuve par laquelle l'appareil de l'me sort du rgime hallucinatoire des penses en laborant une dception : pour que s'instaure le principe de ralit, il faut que cet appareil prenne acte du fait qu' ont t perdus des objets qui avaient autrefois procur une relle satisfaction . On peut nan- moins se poser la question.

    Quoi qu'il en soit de cette question, ce qui caractrise cet abord freudien de la ngation et son tude du jugement, c'est que Freud ne fait jamais porter la ngation directement sur un non-tre. C'est l'intrieur des illusions propres aux fantasmes, c'est--dire aux traces en nous des premires satisfactions qui ignorent la diffrence entre le dsir et la ralit, que la ngation a s'instaurer.

    C'est donc, comme il le soulignait propos de l'un des exemples cits, dans le cadre d'une problmatique des hallucinations, des illusions et des croyances qui s'laborent dans la pense, et mme dans la logique de la pense, que Freud considre la fonction des mots ne... pas . C'est en ce point prcis que son tude des croyances rejoint, sans le chercher, l'tude, par Kant, des illusions ou dlires de la pense en mtaphysique, et particulirement dans les raisonnements concernant le monde. C'est en ce point aussi, celui des croyances de la pense que Kant, en 1781, s'avance assez loin dans l'ide que toute thse mtaphysique sur la ralit des objets extrieurs nous est une croyance que rgle la ngation.

    Commenons par le premier point : ce qui rapproche Freud de Kant, c'est que l'un et l'autre saisissent la fonction de la ngation dans des jugements bien qu'ils s'intressent autre chose qu' la simple forme judicatoire de la pense prise en elle-mme. Freud, on l'a vu, s'intresse la manire dont un sujet porte ses penses, et, plus prcisment, dont le sujet de la connaissance se forme en inventant un compromis sur ce qu'il rcuse de lui-mme, ce qui suppose le champ exprimental du transfert qui fait paratre la ngation comme un certain amnagement de l'altrit, en l'autre et en soi-mme. Kant, en soumettant un nouvel examen la logique formelle, se demande dans quel cas la ngation permet de former l'objet rel (conflit rel), et dans quel cas la ngation rate la formation d'un rel (conflit dialectique). Dans aucun des deux cas la ngation n'a de fonction ontologique : le conflit rel, introduit ds 1763, reprsente la manire dont s'nonce dans le discours une opration algbrique qui invente, dans le conflit des forces, une nouvelle forme de ngation : cette dernire ne dchire pas l'tre, comme dirait Frege, mais dtermine un rel comme le corrlat objectif

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • 64 Monique David-Mnard

    d'une opration qui crit, dans la pense : = 0. Le mouvement d'un navire d'est en ouest est de 20 miles ; puis d'ouest en est sur la mme trajectoire de 20 miles. Le rsultat est nul, mais la dtermination de cette nullit constitue le dplace- ment comme rel. C'est cela que s'oppose, dans la Dialectique transcen- dantale , ce que Kant nomme le conflit dialectique (Critique de la raison pure, dialectique transcendantale, septime section. uvres philosophiques, p. 1145 sq., PUF, Werkausgabe TV, p. 468 sq., Surkamp). Contrairement ce qui se passait dans le cas des grandeurs ngatives, le jeu de la ngation ne constitue plus aucun rel, elle ne fait qu'en amnager le mirage, l'hallucination (Blendwerk).

    Il s'agit pour Kant de montrer que lorsque deux jugements sont opposs l'un l'autre et qu'ils ont l'air contradictoires du point de vue de la logique formelle, ils peuvent nanmoins tre faux tous deux parce que leur opposition ne constitue rien de rel, ne parvient pas, contrairement ce qui se passe dans le conflit rel , nomm rel cause de cette ressource mme, prendre un quelque chose dans le filet d'une opration intellectuelle.

    Kant commence par un exemple dans lequel la condition irrecevable qui rend vaine l'opposition de deux jugements est banale, et pas encore transcen- dantale : Si quelqu'un dit : tout corps ou sent bon ou sent mauvais, il se trouve alors un troisime cas, c'est qu'il ne sente rien du tout (qu'il n'exhale aucune odeur), et alors les deux propositions en conflit peuvent tre fausses . Il ne s'agit donc pas d'une vritable contradiction. Mais lorsqu'il s'agit d'une vri- table contradiction, cette dernire n'a aucun pouvoir ontologique ou, au sens transcendantal, dterminant : Mais si je dis : tout corps est parfum ou n'est pas parfum (vel suaveolens vel non suaveolens), alors les deux jugements sont opposs contradictoirement, et le premier seul est faux tandis que son oppos contradictoire, savoir que quelques corps ne sont pas parfums, comprend aussi les corps qui ne sentent rien du tout . L'exemple suivant, qui concerne les raisonnements sur l'Ide de monde, explicite l'enjeu transcendantal : quand est-ce qu'un jugement ngatif - ou la ngation d'un terme d'une proposition car, pour ce qui intresse Kant, ce n'est pas l le point dcisif - dtermine-t-il quelque chose et comment rate-t-il le quelque chose ? Quand donc je dis : ou le monde est infini quant l'espace ou il n'est pas infini (non est infinitus), alors, si la premire proposition est fausse, son oppos contradictoire, savoir que le monde n'est pas infini doit tre vrai . Seulement, Kant ajoute que cette dichotomie formellement bien forme n'a aucun pouvoir rfrentiel ou ontolo- gique : Je ne ferais par l que supprimer un monde infini sans en poser un autre, savoir le monde fini .

    Dans le second exemple, l'opposition n'est pas une contradiction, mais l'enjeu de constitution d'un rel est dcisif, et paradoxalement, c'est dans le cas o

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • La ngation comme sortie de V ontologie 65

    l'enjeu du rel est rat (comporte un effet d'illusion ou d'hallucination) que le philosophe fait apparatre cet enjeu : Mais si je dis : le monde est ou infini ou fini (non infini), alors ces deux propositions pourraient tre fausses. En effet, j'envisage alors le monde comme dtermin en soi quant sa grandeur, puisque dans la proposition oppose je ne supprime pas seulement l'infinit, et peut-tre avec elle toute son existence spare, mais que j'ajoute une dtermination au monde comme une chose effectivement relle en soi. Ce qui peut tre tout aussi faux si, en effet, le monde ne devait pas tre donn comme une chose en soi, ni par consquent non plus comme infini ou comme fini quant sa gran- deur . C'est donc lorsque dans une opposition de deux jugements, l'un ne se borne pas contredire l'autre, mais qu'il dit quelque chose de plus qu'il n'est requis pour la contradiction, c'est--dire lorsqu'il se risque, ft-ce contretemps, dcider de l'existence, que la ngation est intressante. Dans la critique que fait Kant du formalisme de la logique, sa thorie de la ngation est un instrument essentiel. C'est autour d'elle, de l'tude de son pouvoir et des illusions dont elle est capable que se dfinit cet loignement de l'ontologie qui a nom philo- sophie transcendantale. D'une autre manire que chez Freud, la ngation et le jugement d'existence ont partie lie, chez Kant, mais dans les deux cas la question de l'existence suppose une traverse critique du rgime hallucinatoire de la pense.

    D'une autre manire encore, la pense de Freud et celle de Kant se croisent sur la ngation, ou plutt sur les ngations. Ce pluriel est l prsent, pour rappeler que la Verneinung n'est pas la seule manire, en psychanalyse, d'inven- ter un compromis avec ce qui attaque ou menace l'me, la Seele. Freud diff- renciait, comme on sait, la psychose, la nvrose et la perversion comme trois manires de nier la diffrence des sexes : autrement dit, l'acceptation, par notre pense et notre perception, de la diffrence des sexes nous oblige sortir de la toute-puissance hallucinatoire de nos dsirs. La psychose est un rejet absolu, une Verwerfung de ce qui est inassimilable - Jacques Lacan a traduit ce terme par le vocable de forclusion -, la perversion est un dni ou un dsaveu de l' inassimilable, ce qui se dit en allemand Verleugnung, et la nvrose nie ce qui drange, au sens longuement dvelopp prcdemment de la Verneinung. Dans toutes ces formes d'expriences, la manire de nier produit des formes de certitude, de croyance, et, par l, de rapport la ralit diffrentes.

    Or il convient de s'tonner de trouver chez Kant, lorsqu'il rflchit sur les illusions ou les dlires {Wahn) qui habitent la pense humaine lorsqu'elle rai- sonne sur le rapport de la pense au rel extrieur, le mme type de distinction que celle que Freud travaille pour caractriser les diverses formes de ngation de ce qu'on appelle la castration. Lisons le texte de la premire dition de la Critique de la raison pure, intitule Paralogisme de l'idalit . Dans ce texte,

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • 66 Monique David-Mnard

    Kant tablit la ralit des objets dans l'espace. Mais il ne procde pas par dmonstration, il critique de l'intrieur les diverses positions mtaphysiques qui nient la ralit des objets dans l'espace. Pour distinguer l'idalisme dogmatique - Berkeley, par exemple - de l'idalisme problmatique - Descartes -, il emploie deux termes distincts : L'idaliste dogmatique serait celui qui nie {leugnet) l'existence de la matire, le sceptique celui qui en doute {bezweifelt), parce qu'il la tient pour non dmontre ( Suhrkamp Taschenbuch, tome IV, p. 381 ; PUF, uvres compltes, tome I, p. 1449). Les deux thses mtaphysiques sont expli- citement prsentes comme des croyances {Glauben), dont il s'agit de sortir autrement que par une dmonstration ; le tort de ces thses, en effet, est de penser que le rapport de la pense au rel pourrait faire l'objet d'une dmons- tration. Il s'agit donc de sortir de ces croyances par une mise hors de doute de la ralit des objets dans l'espace, ds lors que la ralit de ces objets est extrieure pour notre reprsentation et non pas en soi. Ces textes sont d'une grande porte puisqu'ils accomplissent deux actes dcisifs la fois : ils carac- trisent des thses mtaphysiques comme des croyances forges par des nga- tions, et, parce que le philosophe accepte de cheminer l'intrieur des illusions pour trouver le chemin qui permet d'en sortir, ils dfinissent la position mta- physique de Kant lui-mme comme un certain type de croyance, d'vidence recevable parce qu'elle a su trouver le ressort des illusions prcdentes. C'est la critique des illusions qui fait la vrit de l'idalisme transcendantal joint au ralisme empirique.

    L'idalisme dogmatique et l'idalisme problmatique ou sceptique ont le tort d'opposer la certitude de l'intuition du sujet pensant par lui-mme l'incertitude des assertions sur la ralit des choses extrieures. Si le sujet n'est prsent intuitivement lui-mme qu' travers le temps, cette soi-disant disparit de la perception de soi et de la perception des choses extrieures tombe. Le sophisme commun Descartes et Berkeley, c'est de supposer qu'il y aurait un privilge du rapport soi comme noumne sur le rapport aux choses extrieures. Mais puisque le temps est la forme du sens interne et l'espace celle du sens interne, la certitude de la ralit de soi-mme et celle des objets dans l'espace sont du mme ordre ; elles sont toutes deux immdiatement certaines ds lors que l'espace et le temps sont en nous et pas dans les choses. Le texte multiplie les termes qui dcrivent ce que la pense peut admettre en elle comme rel {anneh- men), laisser valoir {gelten lassen), accorder {gestehen), et il s'agit de laisser valoir le tmoignage {Zeugnis) de la perception en comprenant dans quelles conditions transcendantales il se produit, au lieu d'extravaguer sur une suppose ncessit de dmontrer l'existence des choses extrieures. Ce cheminement travers les mauvaises et les bonnes formes de ngation de l'existence de la ralit extrieure, cette ide qu'on ne va pas directement par des preuves

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

  • La ngation comme sortie de V ontologie 67

    rtablissement de ce qu'est la ralit mais qu'il faut cheminer travers les tentations d'illusions qui sont autant de ngations mal places pour trouver le juste jeu du ngatif qui, en revenant sur les premires exclusions, met hors de doute la ralit des objets dans l'espace laisse penser sur ce que pourrait tre, dans le croisement entre la pense de Kant et celle de Freud, une nouvelle pense du rapport indirect des hommes la ralit qu'amnagent les ngations dont ils disposent.

    Monique David-Mnard

    This content downloaded from 200.130.19.152 on Thu, 2 Jan 2014 10:30:34 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    Article Contentsp. [59]p. 60p. 61p. 62p. 63p. 64p. 65p. 66p. 67

    Issue Table of ContentsRevue de Mtaphysique et de Morale, No. 2, NGATION / VERNEINUNG (AVRIL-JUIN 2001), pp. 1-144Front MatterPrsentation : Ngation /Verneinung [pp. 3-6]G. Frege sur la ngation comme opposition sans force [pp. 7-19]La thorie phnomnologique de la ngation, entre acte et sens [pp. 21-35]De la ngation la dngation chez Wittgenstein : une enqute limite sur la source de l'aveuglement au symbolisme [pp. 37-58]La ngation comme sortie de l'ontologie [pp. 59-67]Pratique et fondement de la mthode en histoire de la philosophie chez Martial Gueroult [pp. 69-95]Bergson et Boutroux, la critique du modle physicaliste et des lois de conservation en psychologie [pp. 97-118]La Premire Mditation de Descartes et le De beata vita d'Augustin [pp. 119-132]Notes critiquesReview: untitled [pp. 133-134]Review: untitled [pp. 134-136]Review: untitled [pp. 137-139]Review: untitled [pp. 139-140]Review: untitled [pp. 140-141]Review: untitled [pp. 141-142]Review: untitled [pp. 143-143]Review: untitled [pp. 143-144]