à Premier Acte · Blackbird, c’est un huis clos qui appelle la proximité et l’intimité, où le spectateur et la spectatrice se sentiront par moments voyeur, par moments de

par la compagnie L’Apex

document pédagogique

à l ‘intention des professeurs

Blackbird

du 12 au 23 février 2019

à Premier Acte

à l’intention des professeurs. blackbird

blackbird| document pédagogique | l’apex 1

« Une histoire d’amour entre une fille de 12 ans et un homme de 40 ans. » Tout de suite, sonner l’alarme. Détournement de mineure. Abus. Pédophilie. Il y aurait de quoi refermer immédiatement ce document pédagogique. J’ai failli moi-même mettre de côté la pièce quand j’ai su de quoi elle osait parler. On m’avait pourtant chaudement recommandé la pièce : « Lis ça Gab, c’est malade. C’est dans les meilleures pièces qui ont été écrites dans les années 2000. C’est d’un auteur qui s’appelle David Harrower. Ça a gagné plein de prix, ça a joué partout sur la planète, ça a été un succès partout. » Je me suis donc risquée à lire Blackbird. J’ai eu un choc. Le choc de découvrir un récit qui, sans condamner ni encenser cette relation, met de l’avant deux êtres humains pris au piège par leurs instincts. Un récit qui offre au spectateur une perception de la situation à travers les yeux de la victime, les yeux d’une jeune adolescente, d’un esprit de petite fille surpris par de nouveaux instincts dans un corps en plein changement : Le coup de foudre. L’impression que c’est juste dans ma tête. Les signes. Les hasards qui s’accumulent et prennent des airs de « destin ». Les espoirs qui semblent vains. Le miracle : c’est réciproque. Le trop-beau-pour-être-vrai. L’attrait de l’interdit. Les promesses secrètes. L’isolement qui les accompagne. Le sentiment d’être plus mature, plus belle. Unique. La foi en cette histoire d’amour malgré la différence d’âge, malgré la morale et même malgré la loi. L’assurance que pour nous deux, c’est différent. Le mot de trop à la mauvaise personne. La fuite. La propagation de l’histoire. Le scandale. Les mensonges pour protéger l’autre. La trahison de la confiance de ceux que j’aime. Le constat d’être désormais seule au combat. L’autre qui se protège lui-même. Le doute. Le souvenir des promesses auxquelles tout le monde insuffle des intentions malveillantes. Le déni. La colère. La solitude. La conviction qui s’épuise. L’abandon. L’acceptation de me faire accoler l’appellation fatidique : « victime ». Le silence et l’incompréhension qui gangrènent l’amour - et l’amour-propre. La honte. La question: est-ce que ça aurait pu arriver à n’importe qui? Le doute. Le temps qui passe. L’âge qui avance. Le doute, encore. Blackbird, c’est une des rares pièces qui permet à tout spectateur et toute spectatrice de véritablement comprendre que ce qui est arrivé au personnage d’Una, que ce qui m’est arrivé à moi aussi aurait pu arriver à n’importe qui. C’est pour cette raison qu’il nous est apparu nécessaire, à Lauren et à moi, de présenter Blackbird à Premier Acte, surtout dans le contexte actuel entourant la question du consentement. Nous croyons ardemment que cette œuvre est un puissant outil de dialogue qui ouvre la porte à une discussion essentielle. Une discussion à laquelle nous devons convier les jeunes puisque ce sujet les concerne directement. Merci à vous, chers professeurs et professeures, de rendre ce dialogue possible en amenant vos étudiants et étudiantes dans nos salles de théâtre. Merci de croire en la force pédagogique et sociale du théâtre. Gabrielle Ferron, comédienne et co-fondatrice de L’Apex

table des matières. blackbird

blackbird| document pédagogique | l’apex

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Le présent document a été développé dans l’optique de vous accompagner dans l’expérience de la pièce Blackbird. Nous vous y donnons de l’information concernant la pièce ainsi que quelques propositions d’exercice en lien avec le spectacle. Toutefois, sachez qu’il ne s’agit ici que de suggestions : vous demeurez les meilleurs juges de ce qui est pertinent à appliquer avec votre groupe. Nous recommandons néanmoins la tenue d’une discussion avec les artisans du spectacle suite à la représentation, considérant la teneur du sujet que nous abordons.

TABLE DES MATIÈRES.

- le synopsis……………………………………………………3

- le spectacle…………………………………………….……..4

- la démarche…………………………………………….…….6

- les enjeux………………………………………………….….7

- la compagnie………………………..………………..……..10

- la genèse……………………………………………………..11

- le balado...…………………………………………………….12

- l’auteur………………………………………………….…….13

- le texte…………………………………...…………….……..14

le synopsis. blackbird


C’est arrivé il y a quinze ans. Depuis, il a fait six ans de prison, changé d’identité. Refait sa vie. Elle est restée prisonnière du quartier où ça s’est passé. Ils ne se sont jamais revus. Jusqu’à ce qu’elle tombe par hasard sur sa photo dans un dépliant. Un cliché qui la replonge dans les méandres de l’histoire nébuleuse et irrésolue qu’ils ont vécue. Il y a quinze ans, Una et Ray se sont aimés. Mais entre une jeune fille de douze ans et un homme de quarante ans, peut-on parler d’amour? Pour élucider cet épisode qui a fait voler sa vie en éclats, Una surprend Ray à son lieu de travail, un entrepôt, où prend place un huis clos qui résonne comme quinze années d’attente, d’incompréhension. Quinze ans de doute. S’agit-il d’un abus ? Est-il malade ? L’a-t-il vraiment aimée ? Una était-elle une exception ou une addition à un lot d’épisodes semblables ? Est-elle une victime ou pas ?

EXTRAITDETEXTE:Una. Lechoc.Ray. Biensûr.Oui.BonUntemps.Una. EtRay. Attends.Untemps.Ilvaverslaportefermée,l’entrouvre.Una. T’étaisoccupé?

CRITIQUEDUNEWYORKMAGAZINE,2016:« Les premiers mots de la pièce Blackbird de David Harrower sont « le choc », et la superbeproduction qui commencece soir surBroadwayneperdpas de tempspour les justifier. […]Sansjamais encenser la situation, Blackbird complexifie les questions sur le consentement, sur letraumatismeetsurlaguérison–etmêmesurl’amour–detellefaçonqu’ilestdifficileàlasuitedelapiècedevoirl’undecessujetsdelamêmefaçon.»Source :http://www.vulture.com/2016/03/theater-review-michelle-williams-in-blackbird.html

le spectacle. blackbird


Blackbird, c’est un huis clos qui appelle la proximité et l’intimité, où le spectateur et la spectatrice se sentiront par moments voyeur, par moments de trop. Une relation complexe qui sied parfaitement au théâtre Premier Acte. Comme notre compagnie s’engage à explorer les possibilités du langage et du théâtre, notre façon d’aborder l’espace scénique de Premier Acte reflétera ce mandat par une approche qui sera à l’image de celle du texte : ancrée dans un réalisme chirurgical et dans une théâtralité presque inexistante.

Blackbird au Belasco Theatre, à New York, avec Jeff Daniels et Michelle Williams (Photo: Brigitte Lacombe).

L’ESPACE. L’espaceseratrèssimple.Ilssontprisaupiègedansunesalled’employés.Ilfaudraressentirleconfinement.Jouerencoin.AveclesspectateursetlesspectatricesenL.Profiterdel’espacequ’offrePremieracte:leplafondbas,lesportes,mêmecellequimèneàl’extérieur.LALUMIÈRE.Lalumièreseracrue.Sanspitié.Commeeux.Àl’entréedupublic,deslumièresdescènecréerontl’ambianceau-dessusdesspectateursetspectatrices.Audébutduspectacle,l’éclairagebifurqueraverslesnéonsdelasalleau-dessusdel’airedejeu.Nousexploiteronslafroideurdeceux-ci.Lesonqu’ilsémettentaussi.

le spectacle. blackbird


Blackbird au Citizens Theatre, à Glasgow, avec Paul Higgins et Camrie Palmer (Photo: Tim Morozzo). propositions d’exercices. APRÈS AVOIR VU LE SPECTACLE :

a) Décrivez le décor. Selon vous, pourquoi le metteur en scène et la scénographe ont-il fait ce choix de type de décor ?

b) Que pouvez-vous dire sur la configuration de la salle (l’emplacement des estrades) ? Quel effet

cette configuration créait-elle chez le public ?

c) Qu’avez-vous remarqué concernant les éclairages ? Selon vous, pourquoi le metteur en scène a-t-il fait ce choix d’éclairage ?

LEVISUELETLESON.Pasdeprojection,pasd’effetdefumée,peut-êtremêmepasdemusique.Cen’estpaslethéâtrequenousvoulonsmettredel’avant,maisleshumains.Probablementjusteunpetitaspectpoétique.Unanachronismedansl’espace.Dusableetdesrochesdelagrèved’oùilsontregardél’horizonrêvéavantdesequitter.Ilyaquinzeans.Cesouvenirdupasséquines’effacepas.Conjuguéauxpoubellesduprésent.

LEDÉCOR.Unesalled’employés.Unetable,deuxchaises.Lespoubelles.Pleines,quidébordent.Delacrassequ’ilsvoudraientfairedisparaîtremaisqui,àl’inverse,s’étalesurleplancher.Commesicelanepouvaitpaslesquitter.

la démarche. blackbird.


LA DISCUSSION. Aborder des enjeux sociaux brûlants en en dressant un portrait humain. Oser les questions ouvertes, laissées sans réponse. Engager le public dans le processus artistique. Mais par-dessus tout : engendrer la discussion. Ce sont là les jalons de L’Apex, compagnie de théâtre créée en 2017 par nous, Lauren Hartley et Gabrielle Ferron. Blackbird s’est imposé comme le spectacle idéal pour inaugurer notre compagnie. En plus d’avoir l’honneur d’être les premières à faire entendre sur la scène théâtrale de Québec la langue acérée et chirurgicale d’un auteur mondialement acclamé, nous ne pouvions pas choisir une œuvre contemporaine faisant davantage appel à notre mandat. Aborder des enjeux sociaux brûlants en en dressant un portrait humain. La force de Blackbird, c’est de redonner une dimension humaine à une situation d’abus. Derrière l’étiquette de la victime et de l’agresseur, on découvre une petite fille qui ne se reconnaît pas dans les jeunes de son âge, et un homme qui ne réussit pas à s’épanouir. Blackbird dissèque l’ambiguïté et l’aspect illicite de leur relation pour mettre en lumière les humains cachés sous l’abomination. Sans entériner ni condamner la situation, la pièce mise de façon brillante sur un élément crucial : le doute. Oser les questions ouvertes, laissées sans réponse. Le doute. Nous y revenons. C’est la pierre angulaire de tout abus. Ai-je vraiment été abusé ? Suis-je vraiment une « victime » ? Il y a bien sûr le doute de la personne envers sa propre situation, mais aussi celui de son entourage et du reste de la société. Ce qui est intéressant dans Blackbird, c’est qu’étonnamment, il n’y aura pas de réponse. Seulement des pistes de réflexion. Sur la morale, l’amour, le désir, la justice, l’interdit. Parce que l’auteur, comme nous, considère que le public est intelligent et que le théâtre est plus fort lorsque le public doit lui-même prendre position. Engager le public dans le processus artistique. À l’instar du personnage d’Una, il y a fort à parier que le spectateur de Blackbird s’étonnera à croire, par moments, à la légitimité et à la possibilité réelle de l’histoire d’amour improbable qui a eu lieu il y a 15 ans. Et ce, peu importe le regard qu’on aura sur la relation entre Una et Ray au début de la pièce. La beauté de ce texte, c’est qu’il fera immanquablement osciller le public, comme Una, entre le regard de la petite fille de 12 ans qui veut croire aux sentiments de Ray, et celui de la femme de 27 ans qui perçoit tout l’immoral de la chose. Toute personne qui verra le spectacle se prendra malgré elle à hésiter entre le désir de la voir se venger de ce qu’il lui a fait et l’envie qu’ils se pardonnent et qu’ils reprennent leur relation. C’est de l’ambivalence quant aux réelles motivations des personnages que jaillit l’intérêt de monter cette pièce : l’impossibilité de rester passif devant cette histoire. Engendrer la discussion. Nous pensons que le théâtre peut être un moteur de discussions sociales important. En présentant les humains derrière l’enjeu qu’elle aborde, et ce, sans prendre position mais plutôt en plaçant le public dans une posture où il se voit contraint à le faire lui-même, Blackbird est une œuvre qui ouvre tout grand la porte à la discussion. Et c’est pourquoi nous aimerions tant présenter ce spectacle aux étudiants et étudiantes : pour pouvoir discuter avec eux d’enjeux nécessaires et brûlants.

les enjeux. blackbird


LE CONSENTEMENT SEXUEL CHEZ LES PERSONNES MINEURES. Historiquement et juridiquement parlant, nous n’avons jamais autant questionné les limites de l’amour et de la sexualité. Il n’y a qu’à penser au mouvement #metoo et aux accusations d’agressions sexuelles qui ont éclaboussées de nombreuses personnalités publiques partout dans le monde, le Québec ne faisant pas exception. Mais dans la foulée de ce dossier complexe, rarement abordons-nous la question du consentement sexuel chez les personnes mineures. Puisqu’il s’agit d’un sujet nébuleux pour plusieurs et jonché de faux préconçus, il incombe de mettre en lumière la législation entourant l’âge légal de la maturité sexuelle avec les jeunes, que ce soit du secondaire ou du cégep, afin d’éviter qu’ils ne se retrouvent dans des situations malheureuses. Principalement à titre de victime, mais aussi d’agresseur ou d’agresseuse - comme dans le cas, par exemple, de Michael Baril-Desjean, le jeune homme de 17 ans qui a été accusé en 2016 d’agression sexuelle sur sa copine de 13 ans parce que le consentement de celle-ci n’était valide en raison de leur différence d’âge.1

1https://www.tvanouvelles.ca/2016/09/20/ca-demarre-pas-bien-une-vie

LALOICANADIENNESURLECONSENTEMENTDESMINEUR.ES(DEPUIS2008):MOINSDE12ANS:Leconsentementn’estvalideenaucuncas.12-13ANS:Leconsentementde la jeunepersonne est valide si leou lapartenaire estdedeux ans sonaîné(e).(Parexemple,unepersonnede13anspeutavoiruneactivitésexuelleavecuneautrepersonned’auplus15ans,saufsicettepersonneestenpositiond’autoritéoudeconfiance.)14-15ANS:Le consentement de la jeune personne est valide si le ou la partenaire est de cinq ans sonaîné.(Par exemple, une personne de 15 ans peut avoir une activité sexuelle avec une autrepersonned’auplus20ans,saufsicettepersonneestenpositiond’autoritéoudeconfiance.)16-17ANS:L’âgeduconsentementsexuelestfixéà16ans.Enprincipe,àpartirdecetâge,unindividupeutavoir une activité sexuelle avec une personne majeure, peu importe l’âge de celle-ci.TOUTEFOIS,uneactivitésexuelleestillégalesi lapersonnemajeureestenpositiond’autoritéoudeconfiance.**Pourdeterminersiunerelationrelèvedel’exploitation,plusieursfacteurssontprisencompte:l’âgedelajeunepersonne,ladifférenced’âge,l’évolutiondelarelation(secret,Internet,etc.)etlecontrôleetl’influenceduoudelapartenairesurlajeunepersonne. Source:http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/autre-other/clp/faq.html



CULPABILITÉ CHEZ LES VICTIMES D’AGRESSION SEXUELLE. La culpabilisation de la victime est un thème abordé par la pièce Blackbird. En effet, le personnage d’Una remet en doute sa propre responsabilité dans l’histoire qu’elle a vécue avec Ray. De la même façon, Shevaun Pennington (voir la section « la genèse ») reconnaît qu’elle a longtemps ressenti de la culpabilité envers la peine que purgeait son agresseur. 2

En criminologie, on classe l’attribution de la responsabilité d’un abus en deux catégories : le blâme interne (soit quand la victime se donne le blâme ou une partie du blâme) et le blâme externe (soit quand la victime place la responsabilité sur l’agresseur ou agresseuse). En fait, de plus en plus d’études3 énoncent que le blâme interne, ou sentiment de culpabilité chez la victime, joue un rôle prépondérant dans les conséquences psychosociales des agressions sexuelles, comme l’anxiété ou la dépression. Il est donc important de faire valoir une approche qui prône le blâme externe, autant en ce qui concerne les professionnels qui accompagnent les victimes que les proches de celles-ci. Selon le gouvernement du Québec, les 2/3 des agressions sexuelles sont commises sur des mineurs.4 L’intérêt de traiter de cet enjeu avec les élèves est de mettre une image claire sur un sentiment (blâme interne ou externe) et de les outiller le mieux possible s’ils sont victimes d’agression sexuelle, ou encore s’ils accompagnent une personne proche dans cette épreuve. En présentant un personnage de victime d’agression sexuelle réaliste, c’est-à-dire qui oscille entre le blâme interne et le blâme externe, nous voulons susciter une réflexion sur ce sujet chez l’étudiant et l’étudiante afin que s’en suive une discussion de groupe au cours de laquelle serait mis de l’avant le principe du blâme interne ou externe et l’importance de déculpabiliser la victime. La victime n’est jamais responsable d’une agression sexuelle.

2https://www.thesun.co.uk/archives/news/818071/itll-be-very-hard-for-forrest-girl-ten-years-on-im-still-traumatised/3https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2017-v50-n1-crimino03059/1039801ar/4http://www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca/fr/mieux-comprendre/statistiques.php

«Jesaisqu’ilétaitceluiquifaisaitlamauvaisechose. Mais je me sens quand mêmepartiellement responsable. […] Même si monespritn’étaitpassisophistiqué,jesavaisquandmêmecequenousétionsentraindefaire.[…]Tout le monde me disait toujours qu’il étaitl’adulte responsable alors que j’étais uneenfant. Mais dans ma tête, je savais ce quej’étaisentraindefaire,mêmeàl’âgequej’avaisàcemoment-là.»

- ShevaunPennington

«unepsychiatrequiparlaitquiparlaittoujourstellementbas.[…]Parfoisjen’arrivaispasàl’entendre.Fallaitquejeluidemanderépéterrépétercequ’elleavaitdit.Est-cequejesavaiscequej’avaisfait?Est-cequejesavaisquej’avaisfaitdumalàdesgens?Desgensquim’aimaient.Si,sijevoulaisleurfairedumal?»

- Una



LE LEURRE INFORMATIQUE. Le leurre d’enfants par Internet survient lorsqu’une personne adulte prend contact avec un mineur ou une mineure par le biais d’Internet dans le but de commettre une infraction sexuelle (contacts sexuels, images ou vidéos pornographiques par webcam, etc.) Au Québec, il s’agit d’une pratique de plus en plus courante de la cyberprédation (entre 2011 et 2015, le nombre de cas répertoriés a triplé).5 Dans la grande majorité des cas (76%), l’agresseur ou l’agresseuse n’avait pas de carrière criminelle notoire. Qu’est-ce qui « incite » davantage les prédateurs sexuels à passer à l’acte via Internet ? Une partie de la réponse a été émise par une étude sur les cyberpédophiles menée en avril 2018. Cette étude mettait en lumière que, dans l’esprit des agresseurs ou agresseuses, la « distance » qu’impose la communication par Internet tendait à amenuiser les conséquences des abus sexuels.6 Plus que jamais, les jeunes sont sollicités par des parcours communicants multiples – plateformes de jeu en ligne (Fortnite, Xbox Live), réseaux sociaux multifacettes (Facebook, Instagram) qui ont tous un versant « discussion instantanée ». Qui est derrière le profil virtuel qui nous est présenté dans ce type d’échanges ? Il n’y a pas moyen de le valider clairement.Il est à ce niveau fondamental d’être conscient de la vision trouble qu’apporte la communication à distance. Elle n’est pas nécessairement mensongère ni dangereuse – mais elle peut l’être. L’adolescence étant une période de découverte de soi et de sa sexualité, il est important de faire comprendre aux étudiants et étudiantes qu’Internet ne représente pas le climat de respect et de confiance propice à des découvertes agréables. Également, il est primordial de sortir du stéréotype de la cyberprédation, comme le soulève le ministère de la Sécurité publique du Québec : « Les médias dépeignent souvent les agresseurs comme de cruels pervers et les victimes comme étant nées de la dernière pluie. Ce cas de figure existe, mais la réalité est habituellement plus complexe. »7 En 2016, c’est une personne sur 20 de 18 à 29 ans qui voyait des photos intimes de sa personne sans son consentement. 8 La situation du « leurre » et du « consentement en ligne » est donc bien plus complexe qu’on pourrait le penser. L’histoire vraie qui a inspiré Blackbird, celle de Shevaun Pennington et de Toby Studebaker, est une occasion pour nous d’aborder la thème du leurre informatique avec les étudiants et les étudiantes et de promouvoir la vigilance en ligne.

5http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/actualites-judiciaires/201704/26/01-5091970-explosion-du-nombre-daffaires-de-leurre-denfant.php6https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094285/pedophilie-delinquants-sexuels-enfants-theorie-implicite-universite-montreal7https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/police/prevention-criminalite/jeunes/cybercriminalite-leurre-enfants.html8https://www.rad.ca/dossier/revenge-porn

la compagnie. blackbird


Nous avons créé L’Apex en 2017 dans le but de produire un théâtre ancré dans la pensée numérique, c’est-à-dire dans les changements de mentalité apportés par les nouvelles technologies dans notre société. Par « pensée numérique », nous n’entendons pas l’utilisation systématique des nouvelles technologies dans nos productions, mais plutôt une exploration des possibilités du langage et du théâtre s’appuyant sur trois principes découlant de la révolution numérique : le partage, l’adaptation et la multidisciplinarité. Dans cette optique, l’Apex s’engage à se maintenir perpétuellement à l’écoute de ses contemporains et de ses contemporaines ainsi que du rythme de notre époque en priorisant un mandat en constante mouvance. le mandat.

• oser les questions ouvertes, laissées sans réponse ; • explorer les possibilités du langage et du théâtre à l’ère de la pensée numérique ; • donner autant de valeur artistique au processus créatif qu’au produit final ; • sortir des silos artistiques - se permettre d’utiliser d’autres formes d’art et de les amalgamer ; • provoquer la discussion en dressant un portrait à dimension humaine d’enjeux sociaux

brûlants ; • engager le public dans le processus artistique.

l’historique. Déjà, le collectif a entamé des processus de recherche et de création pour divers projets en chantier. Entre particulier, L’Apex a effectué une résidence au Théâtre Périscope au printemps 2017, afin d’élaborer des pistes de recherche pour Le Centre de tri, projet d’installations interactives questionnant la corrélation entre nos nouvelles méthodes de communication et la propagation de la violence. Nos nouveaux outils sont-ils devenus de nouveaux combustibles ? Avec cette première production, la compagnie verse déjà dans le multidisciplinaire en proposant une balado et une installation qui accompagneront la représentation théâtrale.

Gabrielle Ferron et Lauren Hartley, co-fondatrices de la compagnie L’Apex.

la genèse. blackbird


Avant même Blackbird, avant cette histoire familière mais fictive, avant Una et Ray, il y a la réalité. Dans ce cas-ci, l’histoire réelle qui a inspiré la pièce prend la forme d’un fait divers, d’une relation qui a commencé par un message anodin : « Veux-tu chatter ? » (Want to chat ?)

photos:BBCNewsEn 2002, Toby Studebaker, un Américain dans la trentaine se met à clavarder sur la plateforme Web Neopets avec une jeune femme britannique qui affirme avoir dix-sept ans. Après un an d’échanges par Internet et par téléphone vient le temps de rencontrer celle avec qui il partage virtuellement son quotidien.

Shevaun Pennington a 11 ans quand elle fait la connaissance de Studebaker sur Neopets. Après un an de correspondance virtuelle, il lui écrit qu’il vient la sauver de cette vie qu’elle déteste tant. Le 12 juillet 2003, alors âgée de 12 ans, elle quitte la maison en disant à ses parents qu’elle va magasiner.

Malgré le mensonge et leur différence d’âge, ils partiront en cavale ensemble pendant cinq jours, auront des relations sexuelles, avant que Studebaker soit arrêté à Frankfurt, en Allemagne. Il sera condamné à quatre ans et demi de prison au tribunal britannique pour détournement de mineure et grossière indécence, et sera ensuite déporté aux États-Unis où il écopera de onze ans de détention supplémentaires pour les mêmes chefs d’accusation et pour possession de pornographie juvénile. Shevaun Pennington retournera chez elle en conservant de ce périple de lourdes séquelles psychologiques et sociales. Dans une entrevue donnée en 20081, Shevaun Pennington affirme qu’elle considère important de partager son histoire aux jeunes pour qu’ils apprennent de sa propre expérience et qu’ils soient mieux avisés. Les récents évènements concernant l’abus de jeunes garçons par la plateforme Fortnite ne peuvent que confirmer la pertinence de continuer à informer les jeunes de cette réalité. En présentant Blackbird, c’est exactement le but que nous recherchons. Témoigner d’une histoire avec un spectacle qui, sans être moralisateur, ouvre la porte à la discussion. Parce que nous pensons que la discussion reste le meilleur outil de prévention.

1source:http://www.dailymail.co.uk/femail/article-1044150/The-innocent-victim-12-internet-paedophile-describes-The-abduction-RUINED-life.html

le balado. blackbird


Nous désirons explorer d’autres formes de représentation pour accompagner le spectacle théâtral dans le but d’exploiter les enjeux soulevés par la genèse de Blackbird et de pousser plus loin la discussion provoquée par la pièce. Concrètement, ces explorations prendront deux formes : un balado et une installation. Dans l’optique de ce document pédagogique, nous vous présentons ici le concept du balado. LE BALADO. Le but : produire un balado diffusé en 5 épisodes via la page Facebook de L’Apex. Chaque épisode présentera une courte entrevue avec un intervenant ou une intervenante de différents milieux ayant un lien avec le détournement de mineurs à l’ère du numérique. Au mois d’avril de cette année, Radio-Canada publiait les résultats de recherche de Sarah Paquette1, étudiante au doctorat en psychologie à l’Université de Montréal. La chercheuse s’est penchée sur les mécanismes de pensée des cyber-prédateurs. Les données qu’elles a récoltées sont fascinantes : en effet, elle a relevé que 9 délinquants sexuels sur 10 considèrent que « la réalité virtuelle n’est pas la réalité ». Ainsi l’usage d’Internet aurait pour effet de permettre aux pédophiles de minimiser leurs gestes. Par exemple, la plupart des cyberprédateurs considèreraient qu’il est acceptable de regarder la photo d’une jeune personne nue « si c’est lui ou elle qui l’a envoyée ». À nos yeux, il est impératif de penser et de développer ce volet du thème de Blackbird en conservant les mêmes qualités que la pièce ; c’est-à-dire en présentant l’enjeu de façon humaine, non pas dans un but de sensationnalisme ou de propagande, mais toujours dans une optique de discussion. C’est pourquoi nous voulons inviter les gens à discuter de ces enjeux par notre page Facebook. Ce balado représentera également un outil pédagogique pertinent.

1source:https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094285/pedophilie-delinquants-sexuels-enfants-theorie-implicite-universite-montreal

l’auteur. blackbird


DAVID HARROWER est souvent cité comme étant le dramaturge écossais le plus talentueux de sa génération. Ses pièces se distinguent par un travail sur le langage qui atteint à la condensation et à la poésie et qui cherche à exprimer le chaos des consciences et de la vie. Il marque les esprits dès sa première pièce, Des couteaux dans les poules, créée en 1995. La pièce est un grand succès critique et populaire et est depuis la deuxième pièce la plus jouée en Grande-Bretagne. Il est l’auteur d’une dizaine d’autres pièces, en plus d’avoir adapté plusieurs classiques du répertoire européen (Pirandello, Tchekhov, Büchner), et d’avoir travaillé sur des projets télévisuels de la BBC. C’est en 2005 qu’il crée Blackbird au Festival international d’Édimbourg. Depuis, la pièce est un véritable coup au plexus à chaque endroit où elle est présentée sur la planète : Berlin, Stockholm, Sydney (dans une mise en scène de Cate Blanchett), Broadway, San Francisco, Bangalore… Partout, l’œuvre résonne très fortement en rapport avec une question de société qui se pose à nous de manière plus aiguë que jamais dans l’histoire des civilisations et des systèmes juridiques. Plusieurs nominations et récompenses sont également attribuées au texte et aux interprètes, les plus notables étant le Laurence Olivier Best New Play of 2007, le Los Angeles Drama Critics Circle Award for Writing en 2012 et un triplé de nominations au Tony Awards de 2016. Une adaptation cinématographique en a été faite en 2017, sous le titre d’Una.

DAVIDHARROWER,ÀPROPOSDEBLACKBIRD,2017:«Jememéfiedesfaits.Jeveuxlesdisséquer,allervoircequisecacheendessous.[…]J’aimelefaitque[l’histoiredeBlackbird]soitambigüe.Onpeuttoujoursvoirdeuxcôtés,ilyatoujoursunautrecôtéàlamédaille.Jeneveuxjamaisécrireduthéâtredanslequellarépliquenepeutêtreditequed’uneseulefaçon.Ilfautconserverlachosevivante.

[…]C’estunepiècetrès«morale».Ellen’apasunefinheureuse.Ellenepeutpas.»Source : https://www.theguardian.com/stage/2017/aug/25/david-harrower-knives-in-hens-blackbird-una

le texte. blackbird


En plus d’aborder un enjeu actuel et brûlant, la pièce, dans sa forme, présente également une structure et un langage peu communs qui en font un sujet d’analyse hautement pertinent. LE LANGAGE. Blackbird, c’est une écriture où tout est montagne russe : la ponctuation, la rythmique, les silences. C’est un staccato de courtes répliques au réalisme saisissant. Chacune des lignes, chacun des mots laisse volontairement place à une multiplicité de significations, et ce, autant pour les interprètes que pour les spectateurs et spectactrices. LA STRUCTURE. Blackbird, c’est une succession de courtes répliques cinglantes à laquelle s’habitue le public avant que deux puissants monologues le déstabilise - ou viennent-ils lui donner un peu de répit ? À la fin, lorsque pourrait poindre une possible accalmie, l’arrivée d’un troisième personnage vient tout brouiller de nouveau, nous replongeant dans l’abîme de questions qui commençaient tout juste à s’éclaircir. Pour les acteurs et les spectateurs, Blackbird, c’est un marathon couru comme un sprint. C’est essoufflant. Remuant. Vivant.

DAVIDHARROWER,ÀPROPOSDESONTRAVAILD’ÉCRITURE:« Jecréeun langagedifférentpour chaquepièce.DansBlackbird, lesdeuxpersonnages setournentautour,explorent,essayentdefabriquerunsouvenir.Ilyabeaucoupd’arrêtsetdedéparts.Lelangageestvenudelà.Lapiècecomporteaussipeudeponctuation.J’aipenséqueje ne pouvais pasmettre de point à la fin des phrases parce que c’était un élément tropinflexible,tropdéfinitifpourcesdeuxêtresd’incertitude.Laformeestunesortedemiroirdecequi est incertain chez lesgens. Jene pouvais utiliser lematériau habituel, aussi, si vousregardezbien,c’esttrèssculpté,celaal’airbeau,mêmesijeledismoi-même.Cequimetoucheauthéâtre,c’estl’inattendu,deschosesquelespersonnagesdisenthorsintrigue.[…]Jenesuispaslegenred’auteuràfaireentrerdeuxpersonnagesdansunescèneetlesfaireseparlerl’unà l’autre:ceque j’appelle lebavardagethéâtral. Jeveuxque lastructuresoitsitendueetlespersonnagesdansunesituationtellequ’ilsnepuissentpasnepasparler.Jelesmetstellementaupieddumurqu’ilsnepeuventdirequ’unechose.Ilsn’ontpasdetempsàperdreendébordementspsychologiques.Defait,unevisionpoétiqueseprofileintensément,un paysage pour la scène, une liberté formelle radicale et perturbatrice qui interroge lareprésentationthéâtralede l’espaceetdutemps,lesnotionsdefableetdepersonnage,decontinuité,delogique,decohérence,deréalisme.»source:https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Blackbird-5024/ensavoirplus/

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propositions d’exercices. AVANT DE LIRE L’EXTRAIT :

a) Pour vous, qu’évoque le titre de la pièce Blackbird? En vous basant uniquement sur le titre, quel pourrait être le sujet de la pièce ?

b) En jetant un bref coup d’œil à l’extrait ci-dessous, que remarquez-vous de particulier ?

FAITES UNE LECTURE DE L’EXTRAIT : UNA Quand je l’ai vue j’ai la photo. Elle est pas nette. Mais j’ai su que c’était toi. Je l’ai arrachée, ramenée à la maison, pas arrêté pas arrêté de la regarder. Le nom en-dessous. Peter. Peter ? J’arrivais pas à Je suis tellement pas vite des fois. Tu as changé ton nom. RAY Oui. UNA C’est difficile ? RAY Non. Non, c’est très facile. UNA Mais je veux dire, décider. Décider d’un nouveau. Choisir un nouveau nom. C’est dur ? Tu en passes combien avant de décider ? Tu fais une liste ?

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RAY J’ai choisi un nom au hasard. UNA Comment ? RAY J’ai ouvert l’annuaire UNA Advienne que pourra. RAY En gros. UNA C’est quoi ton nom complet ? Peter quoi ? Peter Je peux demander dehors. RAY Trevelyan UNA Peter Trevelyan. RAY Oui. Temps. Elle ébauche un bref sourire, qu’elle ravale. UNA Ça sort d’où ça ? Peter Trevelyan ? RAY De la page des T. C’était nécessaire. C’était UNA Mais Voyons. Trevelyan.

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APRÈS LA LECTURE DE L’EXTRAIT :

c) Dans l’extrait que vous venez de lire, un des personnages a changé de nom. Quelles circonstances peuvent pousser un individu à en faire autant ?

d) Comment qualifieriez-vous l’état d’esprit du personnage d’Una ? Qu’est-ce qui, dans le texte,

vous fait affirmer cela ?

e) Qu’avez-vous remarqué au sujet de la ponctuation ?

f) Pourquoi pensez-vous que l’auteur utilise la ponctuation de cette façon ?

g) Que remarquez-vous au sujet de la longueur des phrases ?

h) Quel effet pensez-vous que ce procédé a sur le jeu des interprètes ? EN ÉQUIPE DE DEUX, LISEZ TOUT HAUT L’EXTRAIT.

i) Quel effet a eu la forme du texte sur votre lecture ? Cette lecture confirme-t-elle les hypothèses que vous avez avancées au point h) ?

Una (Michelle Williams) et Ray (Jeff Daniels) dans la production de Broadway de Blackbird (2016).

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à Premier Acte · Blackbird, c’est un huis clos qui appelle la proximité et l’intimité, où le spectateur et la spectatrice se sentiront par moments voyeur, par moments de