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makingwaves volume 19, number 3 4 makingwaves volume 19, number 3 4 Et si la crise alimentaire profitait aux paysans africains? Et si la crise alimentaire profitait aux paysans africains? Le mouvement paysan malien face à la crise alimentaire Le mouvement paysan malien face à la crise alimentaire Par Susanne Commend en collaboration avec Roch Harvey Par Susanne Commend en collaboration avec Roch Harvey À quelque chose malheur est bon », dit l’adage. La flambée sans précédent des prix des denrées alimentaires est venue brusquement rappeler l’importance vitale de l’agriculture, secteur pourtant négligé pendant des décennies, véritable parent pauvre des subventions nationales et internationales. Les émeutes de la faim ont contraint les gouvernements africains à réagir et à se tourner vers les campagnes pour trouver des solutions afin de nourrir les villes. Les remèdes concoctés par les gouvernements ne tiennent malheureusement pas toujours compte de la réalité et des besoins des paysans. Pour les regroupements de producteurs, dont la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), la solution à la crise actuelle se trouve dans la promotion de la souveraineté alimentaire et la valorisation des exploitations familiales. Et si la crise alimentaire offrait aux paysans africains une tribune pour se faire entendre et revendiquer de meilleures conditions de vie ? À quelque chose malheur est bon », dit l’adage. La flambée sans précédent des prix des denrées alimentaires est venue brusquement rappeler l’importance vitale de l’agriculture, secteur pourtant négligé pendant des décennies, véritable parent pauvre des subventions nationales et internationales. Les émeutes de la faim ont contraint les gouvernements africains à réagir et à se tourner vers les campagnes pour trouver des solutions afin de nourrir les villes. Les remèdes concoctés par les gouvernements ne tiennent malheureusement pas toujours compte de la réalité et des besoins des paysans. Pour les regroupements de producteurs, dont la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), la solution à la crise actuelle se trouve dans la promotion de la souveraineté alimentaire et la valorisation des exploitations familiales. Et si la crise alimentaire offrait aux paysans africains une tribune pour se faire entendre et revendiquer de meilleures conditions de vie ? «

à la flambée des prix - communityrenewal.ca · face à la crise alimentaire Par Susanne Commend en collaboration avec Roch Harvey Par Susanne Commend en collaboration avec Roch

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Et si la crisealimentaireprofitait auxpaysansafricains?

Et si la crisealimentaireprofitait auxpaysansafricains?

Le mouvement paysan malienface à la crise alimentaireLe mouvement paysan malienface à la crise alimentaire

Par Susanne Commenden collaborationavec Roch Harvey

Par Susanne Commenden collaborationavec Roch Harvey

Àquelque chose malheur est bon », dit l’adage. La flambée sans précédent des prix des denréesalimentaires est venue brusquement rappeler l’importance vitale de l’agriculture, secteur pourtantnégligé pendant des décennies, véritable parent pauvre des subventions nationales et internationales.Les émeutes de la faim ont contraint les gouvernements africains à réagir et à se tourner vers lescampagnes pour trouver des solutions afin de nourrir les villes.

Les remèdes concoctés par les gouvernements ne tiennent malheureusement pas toujours comptede la réalité et des besoins des paysans. Pour les regroupements de producteurs, dont la Coordinationnationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), la solution à la crise actuelle se trouve dansla promotion de la souveraineté alimentaire et la valorisation des exploitations familiales.

Et si la crise alimentaire offrait aux paysans africains une tribune pour se faire entendre etrevendiquer de meilleures conditions de vie ?

Àquelque chose malheur est bon », dit l’adage. La flambée sans précédent des prix des denréesalimentaires est venue brusquement rappeler l’importance vitale de l’agriculture, secteur pourtantnégligé pendant des décennies, véritable parent pauvre des subventions nationales et internationales.Les émeutes de la faim ont contraint les gouvernements africains à réagir et à se tourner vers lescampagnes pour trouver des solutions afin de nourrir les villes.

Les remèdes concoctés par les gouvernements ne tiennent malheureusement pas toujours comptede la réalité et des besoins des paysans. Pour les regroupements de producteurs, dont la Coordinationnationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), la solution à la crise actuelle se trouve dansla promotion de la souveraineté alimentaire et la valorisation des exploitations familiales.

Et si la crise alimentaire offrait aux paysans africains une tribune pour se faire entendre etrevendiquer de meilleures conditions de vie ?

« MALI

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Et si la crisealimentaireprofitait auxpaysansafricains?

Le mouvement paysan malienface à la crise alimentaire

Par Susanne Commenden collaborationavec Roch Harvey

L’Afrique de l’Ouest faceà la flambée des prix

Augmentation de la demande, aléasclimatiques, effets des biocarburants :plusieurs causes sont souvent évoquéesafin d’expliquer l’inflation des aliments.Plus rarement toutefois les choixpolitiques douteux sont pointés du doigt.Pourtant, depuis des décennies enAfrique de l’Ouest, gouvernementsnationaux et institutions internationalesont délaissé l’agriculture vivrière, misantsur les cultures d’exportation ou surd’autres sphères d’activités. Ces politiquesn’ont pas tenu compte du fait que plus de60% de la population africaine vit dansles zones rurales, alors que 4% de l’aidepublique vont à l’agriculture dans les paysen développement. Conséquence : aucours des trente dernières années, laproduction alimentaire par habitant adiminué en Afrique et la productivité desexploitations africaines représente à peineun quart de la productivité moyennemondiale.

Avec la croissance fulgurante des prixdes denrées de première nécessité, lesgouvernements africains sont confrontésà la colère qui gronde dans les villes. Pourcalmer les ventres et les bourses descitadins, ils ont subventionné les prix desaliments vendus sur le marché afin delimiter l’inflation. Ces mesures s’avèrent

nettement insuffisantes car les produitsd’importation se font plus rares, des paysd’Asie qui vendaient le riz à perte sur lesmarchés ouest africains ayant plutôtdécidé de conserver leur stock pour leurpropre consommation.

Le Mali, comme plusieurs autres paysafricains, est frappé de plein fouet par lahausse généralisée des prix des céréales.En un an, le prix du riz local est passé de285 FCFA à 400 FCFA le kilo, ce quireprésente une augmentation de 40%.Les dirigeants se tournent donc vers lespaysans, déclarant en grande pompe quel’heure de la « révolution verte » asonné. En avril 2008, le Premier ministremalien, Modibo Sidibé, lance unecampagne de promotion : l’Initiative riz,dont le but est d’accroître la productionnationale de manière exponentielle.L’objectif de cette opération vise àparvenir à produire 1,6 million detonnes de riz paddy à l’issue de lacampagne agricole 2008-2009, ce quireprésente une augmentation de 50%par rapport aux chiffres atteints lors dela campagne précédente. Coût estimé del’opération : 42 milliards FCFA. Cemontant doit couvrir l’achat d’engrais, desemences et d’équipements agricoles. Le

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Le Mali à l’heure del’« Initiative riz »

Àquelque chose malheur est bon », dit l’adage. La flambée sans précédent des prix des denréesalimentaires est venue brusquement rappeler l’importance vitale de l’agriculture, secteur pourtantnégligé pendant des décennies, véritable parent pauvre des subventions nationales et internationales.Les émeutes de la faim ont contraint les gouvernements africains à réagir et à se tourner vers lescampagnes pour trouver des solutions afin de nourrir les villes.

Les remèdes concoctés par les gouvernements ne tiennent malheureusement pas toujours comptede la réalité et des besoins des paysans. Pour les regroupements de producteurs, dont la Coordinationnationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), la solution à la crise actuelle se trouve dansla promotion de la souveraineté alimentaire et la valorisation des exploitations familiales.

Et si la crise alimentaire offrait aux paysans africains une tribune pour se faire entendre etrevendiquer de meilleures conditions de vie ?

MALI

Tombouctou

gouvernement promet notamment desubventionner le coût des engrais afin quele sac soit accessible au prix de 12 500FCFA, au lieu d’environ 20 000 FCFA.

L’entreprise vise également à assurerl’approvisionnement en riz local et àrenforcer le stock de sécurité alimentairedu pays pour passer de 35 000 à 100 000tonnes de céréales. À l’occasion dulancement de l’Initiative riz, le présidentde la République du Mali, AmadouToumani Touré, a rappelé la nécessitéd’investir dans le secteur rural pour enfaire le moteur de la croissanceéconomique du pays. « Nous n’allons pasnous contenter de subir cette conjonctureinternationale qui n’épargne aucun pays.Je vous demande donc d’ouvrir la voie à lamodernisation de l’agriculture familiale etde créer les conditions d’un véritabledécollage de l’agro-industrie », a déclaréle chef de l’État.

Si le gouvernement table sur uneproduction accrue, c’est que le Malipossède un important potentiel rizicole etserait en voie de devenir le « grenier à riz »de l’Afrique de l’Ouest. Le potentiel deterres aptes à être irriguées est estimé àenviron 1 million d’ha, potentiel le plusélevé de cette partie du continent.

Le grenier à riz del’Afrique de l’Ouest

(photo à gauche) Le travail des femmesdans les rizières à Niono. En 2007, pourla deuxième année consécutive, le tauxde croissance de la production globaleen riz se révélait inférieur à celui de lacroissance de la population mondiale. Lademande internationale en riz progressedonc désormais plus rapidement quel’offre. (à droite) Distribution des sacsd’engrais subventionnés dans le zonede l’Office du Niger.

Bamako

Officedu Niger

Niono

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La riziculture y est principalementdéveloppée dans la vallée du fleuve Niger,dans les régions de Ségou et de Mopti. ÀNiono, l’Office du Niger gère unesuperficie de plus de 100 000 ha deriziculture irriguée. L’Office du Niger estl’un des plus ancien et des plus vastepérimètre irrigué de l’Afrique de l’Ouest.Aménagé dans les années 1930 à l’époquecoloniale, cet ambitieux projet hydroagricole devait permettre d’approvi-sionner les industries françaises en coton.Afin de réaliser ces objectifs, unimpressionnant pont-barrage estconstruit sur le fleuve Niger à Markala,localité située à 270 km de Bamako, lacapitale. D’une longueur de 816 mètres,ce barrage inauguré en 1947 relève leniveau de l’eau de 5,5 mètres en amont del’étiage. Un réseau de canaux d’irrigationet de drainage permet l’aménagement de

surfaces irriguées pour la culture du riz etde la canne à sucre.

Avec ses 20 000 exploitationsfamiliales, la zone de l’Office du Nigerassure près de 50% de la productiontotale de riz au Mali. Le gouvernementmalien entend donc faire de l’Office duNiger le principal moteur pour atteindrela sécurité alimentaire du pays.

En juin 2008, le Syndicat des exploitantsagricoles de l’Office du Niger organise unforum des riziculteurs sur l’Initiative riz.Plusieurs leaders des organisationspaysannes critiquent alors cette politiquejugée irréaliste, adoptée sans consultationpréalable auprès des producteurs,pourtant les premiers concernés.

Réaction desorganisations paysannes

Amadou Waigalo coordonne laFédération des centres de prestation deservices ou Faranfasi-so (en langue locale :« la maison qui éclaire »), organisationpaysanne qui appuie les producteurs de lazone de l’Office du Niger. Selon lui, il estclair que les chiffres annoncés par legouvernement ne seront pas atteints.

« L’Initiative riz n’est pas une réponseappropriée à la flambée des prix car legouvernement n’a pas pris en compte laréalité des producteurs. Il ne suffit pas desubventionner les engrais pour accroître laproduction. Vu de l’extérieur, l’Office duNiger est présenté comme une sorted’Eldorado mais en réalité, les problèmes ysont nombreux, à commencer par celui del’accès à la terre », explique lecoordonnateur.

En effet, les paysans de la zone del’Office du Niger ne sont pas propriétaires

Summary: Can the food crisis

benefit African farmers?

The food crisis may be an opportunity forWest African countries like Mali to rebuildtheir neglected agricultural sectors, butonly if public policies come to embody theinterests and insights of the family farmer.The current price inflation is due, in part, tothe political choices made by nationalgovernments and international institutionsto satisfy city-dwellers and foreignindustrial buyers.

The Rice Initiative, Mali’s response tourban food riots, is seriously off-target. Itaims to expand domestic rice production,especially in the Niger River delta, withpublicly-subsidized fertilizer, seed, and

Summary: Can the food crisis

benefit African farmers?

The food crisis may be an opportunity forWest African countries like Mali to rebuildtheir neglected agricultural sectors, butonly if public policies come to embody theinterests and insights of the family farmer.The current price inflation is due, in part, tothe political choices made by nationalgovernments and international institutionsto satisfy city-dwellers and foreignindustrial buyers.

The Rice Initiative, Mali’s response tourban food riots, is seriously off-target. Itaims to expand domestic rice production,especially in the Niger River delta, withpublicly-subsidized fertilizer, seed, and

agricultural equipment. Yet, as Faranfasi-so(the Federation of Centres of ServiceProviders) points out, inaccessible land andcredit also handicap the district’s 20,000family farms. Moreover, choice lands havebeen set aside for industrial production ofsugar cane and cotton.

There is some good news. In 2006,after consulting with the National JointCommittee of Farmers Organizations(CNOP), the National Assembly passeda law asserting Mali’s right to foodsovereignty: its right to food and agriculturepolicies protective of domestic production.CNOP’s president, Ibrahim Coulibaly, claims

agricultural equipment. Yet, as Faranfasi-so(the Federation of Centres of ServiceProviders) points out, inaccessible land andcredit also handicap the district’s 20,000family farms. Moreover, choice lands havebeen set aside for industrial production ofsugar cane and cotton.

There is some good news. In 2006,after consulting with the National JointCommittee of Farmers Organizations(CNOP), the National Assembly passeda law asserting Mali’s right to foodsovereignty: its right to food and agriculturepolicies protective of domestic production.CNOP’s president, Ibrahim Coulibaly, claims

food sovereignty is the real solution to thehyperinflation of food prices, and theviability of the family farm is key to thatsovereignty – notwithstanding pressurefrom the European Union for lower tariffson agricultural imports.

A second key to food sovereignty is thereconciliation of domestic food producersand consumers. Says Coulibaby, “We musttake advantage of this crisis to tell Africanconsumers the truth …. the time of low-price imports is over. A country like ours,that does not consume what it produces, isnot viable economically and has no chanceof achieving economic lift-off.”

food sovereignty is the real solution to thehyperinflation of food prices, and theviability of the family farm is key to thatsovereignty – notwithstanding pressurefrom the European Union for lower tariffson agricultural imports.

A second key to food sovereignty is thereconciliation of domestic food producersand consumers. Says Coulibaby, “We musttake advantage of this crisis to tell Africanconsumers the truth …. the time of low-price imports is over. A country like ours,that does not consume what it produces, isnot viable economically and has no chanceof achieving economic lift-off.”

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de leur terre mais se voient seulementoctroyer un permis d’exploitation. Si lesproducteurs ne paient pas les redevancesen eau à temps, ils sont alors menacésd’expulsion. À cette situation s’ajoute leproblème de l’endettement chronique etles superficies restreintes. Les deux tiersdes paysans de la zone cultivent desparcelles de moins de trois hectares, alorsque pour être rentable, une exploitationdevrait compter au moins quatrehectares.

Pourtant le problème n’est pas celui dela disponibilité des terres puisqu’une partimportante de la superficie de la zone del’Office n’est toujours pas exploitée. Desterres ont même été cédées à desexploitants industriels de canne à sucreafin de produire sucre et biocarburant.Or, la culture de la canne à sucre exigeune quantité d’eau importante qui

En faisant la part belle aux industriessucrières et cotonnières, le gouvernementrisque de mettre en péril la productionrizicole de la zone, ce qui entre encontradiction avec les visées de l’Initiativeriz. Les syndicats de producteursdéplorent ce qu’ils décrivent commedes incohérences et estiment que lespolitiques agricoles devraient en premierlieu appuyer les exploitations familiales.

« L’avenir de l’agriculture africaine setrouvera dans l’exploitation agricolefamiliale et pas dans l’agrobusiness »,soutient Amadou Waigalo.

Faire adopter des politiques quisoutiennent les exploitations familiales :il s’agit de la principale mission de la

La CNOP et le droit à lasouveraineté alimentaire

Crise alimentaire et

pays vulnérables

La conjoncture actuelle n’est pas favorableaux pays à faibles revenus et en situation dedéficit alimentaire. Rien n’indique que cettesituation soit amenée à changer. Lesmenaces sont :

La croissance démographiqueD’ici 2050, la population chinoise s’accroîtrad’un moins 250 millions d’habitants. Desaccroissements encore plus importants sontà prévoir en Inde. Dans ces pays,importants fournisseurs de céréales dans lemonde, les gouvernements, soucieux depréserver leur autosuffisance alimentaire,tentent par tous les moyens de protéger leurmarché en limitant leurs exportations de riz,réduisant ainsi l’offre mondiale en riz.

L’augmentation du prix du pétroleL’augmentation de prix du pétrole influe bienévidemment sur les coûts de transport desproduits d’exportations, dont les céréales.

Les changements climatiquesLa FAO estime qu’au cours des 25prochaines années, les changementsclimatiques, du fait de leurs impacts sur lesprécipitations, sont susceptibles de réduirejusqu’à 40% le rendement des principalescultures en Afrique subsaharienne.

La production d’éthanolLa croissance rapide de la demanded’éthanol à base de maïs fera grimperl’utilisation industrielle de céréales secon-daires qui ne sont donc plus disponibles àl’alimentation, ce qui induit une pressionsupplémentaire sur les autres céréales.

Les changements d’habitudesalimentaires

À mesure qu’elles s’industrialisent ets’urbanisent, les populations des économiesémergentes tendent à modifier leurshabitudes alimentaires, notamment à traversun accroissement de leur consommation deviande, production qui nécessite un très fortapport céréalier, céréales qui ne sont plusdisponibles pour la consommation humaine.

Les phénomènes de spéculationÀ l’échelle de la planète, des commerçants,misant sur la hausse des prix, ontcommencé à se constituer des stocks de riz.Ils espèrent ainsi pouvoir vendre à des prixencore plus élevés, ce qui contribue àaccroître artificiellement la situation depénurie.Référence : Bertrand Meinier et FabriceLarue, CECI- Sénégal.

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(photo à la page précédente) Une paysannevend des légumes dans un marché dans laville de Bamako.

pourrait menacer les rendementsrizicoles, estime Amadou Waigalo.« Nous avons engagé un combat terribleavec le ministère de l’Agriculture pourempêcher l’installation des entreprisessucrières ». En vain. Le gouvernementmalien a autorisé en 2003 l’exploitationd’une raffinerie de sucre qui seraalimentée par la culture de la canne àsucre sur plus de 15 000 hectares près deMarkala.

De plus, en 2004, ce sont près de 20000 ha de la zone de l’Office du Niger quisont offerts à la Chine pour une durée dequinze ans, en vue d’y cultiver du cotonpour alimenter les industries textileschinoises.

Coordination nationale des organisationspaysannes du Mali, la CNOP. Largementreprésentative du monde rural malien,elle compte onze organisations membresqui regroupent des centaines de milliersde pêcheurs, éleveurs, agriculteurs,producteurs de bananes, en plus defédérations de femmes et de jeunesruraux.

En 2006, la CNOP remporte unebataille importante : à la suite d’unprocessus de consultation avec le mondepaysan, une loi agricole garantissant ledroit à la souveraineté alimentaire estadoptée par l’Assemblée nationale. Lasouveraineté alimentaire se définitcomme le droit des populations à choisir

« L’Initiative riz n’est pas une réponse appropriée à la flambée desprix car le gouvernement n’a pas pris en compte la réalité desproducteurs. Vu de l’extérieur, l’Office du Niger est présentécomme une sorte d’Eldorado mais en réalité, les problèmes y sontnombreux, à commencer par celui de l’accès à la terre. »

Summary: Can the food crisis

benefit African farmers?

The food crisis may be an opportunity forWest African countries like Mali to rebuildtheir neglected agricultural sectors, butonly if public policies come to embody theinterests and insights of the family farmer.The current price inflation is due, in part, tothe political choices made by nationalgovernments and international institutionsto satisfy city-dwellers and foreignindustrial buyers.

The Rice Initiative, Mali’s response tourban food riots, is seriously off-target. Itaims to expand domestic rice production,especially in the Niger River delta, withpublicly-subsidized fertilizer, seed, and

agricultural equipment. Yet, as Faranfasi-so(the Federation of Centres of ServiceProviders) points out, inaccessible land andcredit also handicap the district’s 20,000family farms. Moreover, choice lands havebeen set aside for industrial production ofsugar cane and cotton.

There is some good news. In 2006,after consulting with the National JointCommittee of Farmers Organizations(CNOP), the National Assembly passeda law asserting Mali’s right to foodsovereignty: its right to food and agriculturepolicies protective of domestic production.CNOP’s president, Ibrahim Coulibaly, claims

food sovereignty is the real solution to thehyperinflation of food prices, and theviability of the family farm is key to thatsovereignty – notwithstanding pressurefrom the European Union for lower tariffson agricultural imports.

A second key to food sovereignty is thereconciliation of domestic food producersand consumers. Says Coulibaby, “We musttake advantage of this crisis to tell Africanconsumers the truth …. the time of low-price imports is over. A country like ours,that does not consume what it produces, isnot viable economically and has no chanceof achieving economic lift-off.”

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leur politique agricole et alimentaire envue de protéger la production nationale.Le Mali est alors l’un des premiers paysau monde à voter une loi donnant lapriorité à l’agriculture familiale et à lasouveraineté alimentaire.

Selon le président de la CNOP,Ibrahim Coulibaly, la souverainetéalimentaire représente la seule solutionviable à l’augmentation sans précédentdes prix alimentaires. « Chaque pays doitprotéger ses paysans contre les dérives dumarché mondial. Nous devonsdévelopper les marchés locaux d’alimentsplutôt qu’augmenter les importations quine feront que nous rendre plusdépendants face aux fluctuations desmarchés internationaux », expliqueIbrahim Coulibaly.

Afin de protéger les productionslocales, des tarifs douaniers plus élevésdevraient être en vigueur.

Les organisations paysannestentent de convaincre les gouvernementsde rehausser ce tarif, afin de protéger laproduction locale. Au même moment, lespays africains subissent toutefois de fortespressions pour signer des accords departenariat économique (APE) visant àlibéraliser le marché entre l’Unioneuropéenne et le continent africain.

La souveraineté alimentaire vise aussià rapprocher les producteurs desconsommateurs. Pour Ibrahim Coulibaly,une partie de la solution aux problèmesdes campagnes se trouve effectivement

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Or, depuisquelques années, le tarif commun adoptépar les pays de l’Afrique de l’Ouest a eupour effet l’importation massive deproduits alimentaires à bas prix,notamment le riz asiatique. La récentecrise alimentaire qui a provoqué unepénurie de céréales fait en sorte que ledumping du riz a cessé brusquement surles marchés africains, mais le dumping sepoursuit et même s’intensifie en ce qui atrait à des produits comme le lait enpoudre et le poulet congelé en provenanced’Europe.

dans les villes où vivent la majorité desconsommateurs.

En Afrique de l’Ouest, les habitudesalimentaires changent peu à peu. Dans lesvilles, la majorité des consommateursmangent désormais du riz, plutôt que descéréales traditionnelles telles le mil ou lesorgho. Les citadins préfèrent consommerdu riz local, souvent de meilleure qualitéque les brisures de riz qui parviennentd’Asie. Pourtant, le prix au détail joue unrôle important dans les achats, c’estpourquoi le riz importé est souventconsommé dans les capitales au détrimentdes variétés locales. Avec l’augmentationfaramineuse du coût des denrées depremière nécessité, les consommateurstendent à se tourner vers les produitslocaux. Dans cette optique, la flambée desprix pourrait donc s’avérer positive pourl’agriculture ouest africaine.

Le président de la CNOP estconvaincu de l’importance pour un payscomme le Mali de consommer ce qu’ilproduit. « On devrait profiter de cettecrise pour dire la vérité aux consom-mateurs africains, à savoir qu’ils ont prisune voie de destruction de l’économienationale. Que la période des produitsimportés à bas prix est terminée : ilsdoivent consommer local, national. Unpays comme le nôtre, qui ne consommepas ce qu’il produit n’est pas viableéconomiquement et ne se donne pas lapossibilité d’un véritable essoréconomique », précise Ibrahim Coulibaly.

La coordination des organisationspaysannes tente de convaincre lesassociations de consommateurs dechanger leurs habitudes de vie. Toutefois,explique le président, ce dialogue n’est pasfacile car le plus souvent, étant donné lapauvreté généralisée des familles, laprincipale préoccupation des

Penser global etconsommer local »

consommateurs est d’obtenir lanourriture au plus bas prix possible.

« Nos gouvernements doivent mettreen place des mécanismes de protection dela production nationale et assurer desprix rémunérateurs aux paysans. Lepotentiel de production existe, il esténorme, mais il ne pourra jamais êtrevalorisé si les paysans ne parviennent pasà vivre de leur travail », conclut IbrahimCoulibaly.

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Lors du sommet de la FAO sur la crisealimentaire en juin 2008, trois agences des Nationsunies (PAM, FAO, FIDA) et l’Alliance pour unerévolution verte en Afrique (AGRA) ont signé unprotocole d’entente pour mettre en œuvre unerévolution verte en Afrique. Sous la présidence deKofi Annan, l’AGRA mise notamment sur unusage accru des semences, des fertilisants, desengrais et des techniques d’irrigation plusperformantes.

Riz brut, non décortiqué.Près de 100 millions de dollars CAD.En 2007, le Mali a été l’hôte d’un forum

international sur la souveraineté alimentairebaptisé Nyéléni, organisé conjointement par laCNOP et un ensemble d’associations dontla Via Campesina.

Références

Texte de SUSANNE COMMEND, volontaireUniterra (CECI-Mali), produit en collaborationavec ROCH HARVEY, chargé de programmeUniterra au CECI. Susanne est coopérantevolontaire canadienne du programmeUniterra. Elle occupe le poste de conseillèreaux communications auprès de la CNOP duMali (www.cnop-mali.org). Le CECI, à traversle programme Uniterra, appuie les organisa-tions paysannes en Afrique de l’Ouest en vuede leur permettre d’influencer les politiquesagricoles (www.ceci.ca).

Uniterra (www.uniterra.ca) est le plusimportant programme canadien de volontariatinternational. Mis en œuvre par deux ONGcanadiennes, le CECI et l’EUMC(www.wusc.ca), il intervient dans 13 pays, enAfrique, en Asie et dans les Amériques. Tousles photos dans cet article sont gracieusété deSusanne Commend et d’Uniterra.

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