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Etude geogrphique
Mohamed Berriane
HAL Id: tel-00300524
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UNIVERSITE FRANÇOIS RABELAIS TOU RS
U.F.R. D E G E O G R A P H I E A M E N A G E M E N T
JpT&Olh/
T&fr
1
b
Présentée et publiquement soutenue en vue de
l'obtention du
DOCTORAT D'ETAT EN GEOGRAPHIE
5 3 5
CHET (Aix-en-Provence), habilité à
Le traitemen t du texte a été effectué par M .
BERRIANE.
L'essentiel de la cartographie a été effectué
au Laboratoire de Cartographie du Départem ent
de Géograp hie, Faculté des Lettres et des Sciences
Hum aines, Rabat, par Mm e W. FANJIROU et Mr. H.
BOUFALJA
avec la collaboration et sous la direction de M .
BERRIANE.
Le reste de la cartographie en noir est dû à H. ROUDIES
et F.
Les planches en couleurs ont été réalisées par H.
ROUDIES
La couverture et les cartes en couleurs ont été imprimées
à l'IMPRIMERIE de FEDALA.
LIVRE I: TOURISME, LOISIRS ET MOBILITE INTERNE DANS UN PAYS
EN VOIE DE DEVELOPPEMENT 20
CHAPITRE I: ESSAI D'EVALUATION DE LA MOBILITE
PROBLEME DE METHODE 21
II. Intérêts et limites de l'utilisation des
indicateurs indirects pour l'étude du tourisme
national au Maroc 52
TOURISTIQUE INTERIEURE . 63
de départ
empruntées par les flux. 77
III. Les signes de la mobilité sur les lieux
d
LES MOUSSEMS ET LE THERMALISME 111
I. Le moussem: du rassemblement religieux doublé
d'une
balnéaire. 116
loin dans le temps 151
CHAPITRE IV: PRATIQUES IMPORTEES ET NOUVEAUX MODES DE VIE 173
I. Les influences extérieures 176
II. La ville: théâtre de profondes mutations
socio-culturelles. . 203
CHAPITREI.
EXISTE-T-IL UN OU DES TOURISTES MAROCAINS ?.. 219
I. Les Enquêtes socio-économiques 223
II. Qui part en vacances au Maroc ? 240
CHAPITRE II : LES STYLES ET COMPORTEMENTS TOURISTIQUES 293
I. Tourisme familial et hébergement
chez
1
CHAPITRE II I: LES ESPACES DE PLAISANCE DES CITADINS
MAROCAINS..371
I. Les lieux de séjours touristiques des
citadins marocains 374
H V R E III: LE LITTORAL, PRINCIPAL ESPACE TOURISTIQUE
DES CITADINS MAROCAINS 450
. . . . .
II. Un espace touristique partagé ...... 492
CHAPITRE II: ETUDES DE CAS: LES PRODUCTEURS DE L'ESPACE
TOURISTIQUE 512
d
f
II. Des aménagements destinés en premier lieu
aux nationaux.
NATIONALE SUR LES MILIEUX D'ACCUEIL 605
I. L'apport économique de l'activité balnéaire
nationale . 608
nationale sur lénvironnement 633
3
AVÀHT-PROPOS
Il y a une dizaine d'années, je term inais une thèse de Troisième
Cycle
consacrée aux espaces touristiques maro cains. Mo nsieur le
Professeur Jean-Fra nçois
TROIN, qui avait dirigé ce travail, m'avait suggéré, en fin
connaisseur de la
société et de l'espace ma rocains, de prendre également en
considération le tourisme
national. Ma is, enthousiasm é par la probléma tique -un peu à la
mod e à cette
époque- du tourisme international en pays sous-développés et
estimant que le
tourisme des nationaux était encore quantitativement peu
visible,
j'avais,
à tort,
axé ma recherche sur les effets géograph iques du seul tourism e
international.
Cepend ant, au fur et à mesure que ma recherche de débutant
avançait, je me
rendais compte de l'impo rtance des déplacemen ts touristiques des
Ma rocains et de
la richesse d e leurs arcticulations socio-spatiales avec le
tourisme international.
J'ai alors ajouté à mon texte un court chapitre traitant du
tourisme interne au
Ma roc, tout en me fixant comm e but de reprendre ce thème riche et
novateur. C'est
dire que le choix de mon sujet de thèse de Doctorat d'Etat d oit én
ormém ent à
Mo nsieur le Professeur J.F. TROIN. Ma is en acceptant
de diriger ce travail, M. J.F.
TROIN a considérablement alourdi ma dette de reconnaissance
envers lui; il a, en
effet, suivi pas à pas raffinement de la probléma tique et les
différentes étapes de
sa progression me faisant pro fiter de son expérience de chercheur
spécialisé dans
l'étude des pays mag hrébins et plus particulièrement du Ma roc. La
rapidité avec
laquelle il m'a régulièrement renvoyé mes man uscrits -en dépit d e
ses nom breuses
occupations- a été d'un grand secours. Pour tout ce qu'il a fait
afin que ce
travail a boutisse dans des délais raisonnables je ne peux que lui
exprimer ma
profonde gratitude.
Très vite, mon travail a pris une orientation particulière
replaçant l'étude du
tourisme national maro cain dans la probléma tique plus générale de
la ville, du
citadin et de l'organisation de l'espace. Grâce à mon appartenance
à l'Unité
Associé au C.N.R.S
dont les préoccupations premières sont les problèmes
de l'urbanisation du Mo nde Arabe, j'ai pu rester en contact perman
ent avec
l'évolution des idées, les nouvelles approches et les nombreux
chercheurs des
différentes disciplines qui se penchaient sur le devenir de la
ville arabe. La
plupart des membres de cette équipe a vec à leur tête le Professeur
J.F TROIN puis
le Professeur P. SIGN OLE S ont été à la fois des co llègues, des
amis et des
encadrants. Que tous ceux qui parm i cette équipe "ma ghrébine" se
sont intéressés
de près ou de loin à ce travail acceptent ici mes vifs rem
erciements. Je voudrais
faire une place à part, dans le groupe d'URB AM A, à P. Signoles
qui a mon tré un
grand intérêt pour mon travail et a pris la peine, malgré ses
tâches multiples, de
relire plusieurs chapitres de mon man uscrit en me faisant part
rapidement et avec
franchise de toutes ses réactions.
L'approche socio-géographique d'un côté et la longue expérience de
la
géograph ie a llemande d ans le domaine du tourisme et des loisirs
de l'autre m'ont
4
peu sur l'Ecole Allemande de la "Sozialgeographie", j'ai effectué
un séjour d'une
année au sein de l'Institut de Géogra phie Econom ique et de
Planification Régionale
de l'Université de Bayreuth en R.F.A., dirigé par le
Professeur J. MA IER , l'un des
élèves de l'Ecole de Mun ich, mon intégration rapide à l'équipe de
Bayreuth et les
facilités que j'ai obtenues pour accéder a u centre de calcul de
cette Université
doivent beaucoup à l'aide dynam ique d u Professeur J. Ma ier. Ce
séjour en R.F.A. a
été financé grâce à une dotation de recherche accordée par la
prestigieuse
Fond ation "Alexand er von Hum boldt". Que tous les organism es et
collègues
allemands qui m'ont aidé ou reçu dans leurs intituts rendant mon
séjour profitable
au max imum , acceptent ici ma profonde reconnaissance.
Mes remerciemen ts vont égalemen t à tous ceux qui ont facilité mon
travail de
terrain. La collecte d'une information statistique auparava nt
inexistante par le
biais de deux lourdes enquêtes n'a pu se faire que grâce au dévouem
ent de
nom breux volontaires parm i les étudiants de géographie et à la
collaboration de
plusieurs collègues et anciens étudiants exerçant leur métier
d'enseignant dans les
établissements secondaires ou supérieurs de diverses villes. Une
dotation de
recherche accordée par l'US-AID dans le cadre d'un programme d'aide
à la
recherche géré par le Centre National de Planification et de
Coordination de la
Recherche Scientifique et Technique a permis le financement de ces
enquêtes
De toutes les phases d'un travail de thèse de Doctorat d'Etat, la
longue
épreuve de la rédaction est l'exercice le plus solitaire. Pourtant
c'est au cours de
cette étape de la recherche que j'ai le plus bénéficié du concours
de mon
entourage. Les dessinateurs du Laboratoire de Cartograph ie de la
Faculté des
Lettres et des Sciences H umaines, Mm e W.
FANJIROU
ont mis
au propre avec patience les brouillons, parfois illisibles, que je
leur remettais. Mrs.
H.
ROUDIES
ont prêté leurs concours pour décharger quelque peu
les dessinateurs de la Faculté sollicités par d'autres collègues. H
. RO UD IES, en
particulier, a fait preuve d'une grande persévérance pour exécuter
en un temps
record les cartes en couleurs qui complètent l'illustration de cet
ouvrage. La
compréh ension et l'intérêt de M. H. M EKO UA R, Doyen de la
Faculté des Lettres de
Raba t et de certains de mes collègues du Départem ent de Géogra
phie de Rabat dont
A. Laouina ont été indispensables à l'avancement et à
l'achèvement de ce travail.
L'aide précieuse du bureau d'étude Maro c-Développem ent a été
efficace pour
surmo nter les problèmes de l'édition finale.
Qu'il me soit permis, enfin, de souligner ce que l'achèvement de ce
long
travail doit à ma famille. Ma femm e et mes deux en fants ont
supporté avec
sérénité ma faible disponibilité et les écarts d'humeu r qui se
répétaient au fur et
à mesure qu'avançait le travail de rédaction. La rareté des loisirs
en comm un, a
été particulièrement ressentie au cours des deux dernières années.
Je dois en
outre à ma femm e, une aide inestimable dans le pénible travail de
traduction de la
littérature allemande spécialisée dans la géographie d u
tourisme.
5
7
"Les implications spatiales des phénom ènes liés au tourisme sont
si
considérables et évidentes qu'on est surpris des réticences, voire
du dédain,
longtemps manifestés par les géographes. Nom breux -et des
meilleurs- étaient
encore dans les années 60 ceux qui tenaient le tourisme pour un
thème mineur,
presque marginal de la recherche géograph ique" (Y. Barba
za, 1975).
Si le tourisme, en tant que sujet d'étude, a été longtemps
considéré par les
géographes français comme un sujet "frivole", ne suscitant que
réserve et méfiance,
il a été pour nous, encore plus difficile de faire admettre
l'utilité de ce thème au
sein de la communauté géographique marocaine naissante. Il semblait
en effet
futile et peu sérieux de choisir le tourisme -et particulièrement
le tourisme
national- comme objet de recherche dans un pays en voie de
développement où les
chercheurs étaie nt accap arés par des thèmes jugés beaucoup plus
prioritaires (1 ).
L'étude du tourisme au Maroc et dans les pays du Tiers-Monde en
général ne se
justifiait à la rigueur que si l'objet de la recherche se limitait
au tourisme
interna tional. Pou voy eur des c ai sse s de l'Etat en dev ises,
marquant les pay sage s
de façon voyante et bénéficiant d'une documentation relativement
abondante, ce
dernier est, de façon exclusive, l 'axe principal des recherches
portant sur le
tourisme dans ces pays.
Or, outre son intérêt actuel et novateur, le thème du tourisme
national nous
a semblé assez prometteur, aussi bien sur le plan de la
connaissance de la société
et de l'espace marocains que sur celui des apports méthodologiques
et conceptuels.
L'étude des pratiques touristiques contribue, à nos yeux, à
éclairer certains
aspects des mutations sociales, économiques et culturelles de la
société citadine
marocaine; comme elle permet d'affiner la connaissance des
processus de
structuration de l'espace marocain. Loin d'être un épiphénomène
éphémère et
passager, les flux touristiques internes se matérialisent par des
paysages originaux
et présentent différentes formes d'articulation avec les espaces
d'accueil .
(1): Contrairemen t aux réactions positives de quelques
sociologues et économistes,
celles des géographes nous ont poussé, parfois, à douter de
l'utilité de ce que
nous entreprenions vers le début des années 1980. Cette attitude a
sensiblement
8
S
f
ajoutant à la forte pression du tourisme international, la demande
interne, non
organisée et parfois anarchique, contribue par endroits aux
processus de
dégradation des milieux naturels. Pour toutes ces raisons et pour
bien d'autres, les
déplacements touristiques des nationaux nous semblaient mériter l
'attention du
géographe.
Mais l'absen ce d'intérêt de la part des chercheurs pour l'ac tivit
é tou ristiq ue
interne au sein des sociétés des pays en voie de développement
pourrait se
justifier aussi par la faiblesse -voire l 'absence- supposée d'une
demande nationale
et par son corollaire, la rareté -voire l ' inexistence- des
données et de la
documentation nécessaires à son étude. Vouloir ainsi, d'une part,
démontrer
l'existence de mouvements touristiques nationaux en l'absence de
tout support
statistique, et d'autre part analyser ces mouvements dans leurs
interférences avec
l'espace en dépit du vide méthodologique et conceptuel qui
caractérise toute
recherche pionnière, relevait de la gageure.
Cette prétention - sa ns doute dém esurée- à vouloir traiter un
thème au ssi
nouveau et aussi difficile d'approche a nécessité de notre part la
définition d'une
problématique s'articulant autour de quatre points qui sont autant
d'idées plus ou
moins admises que nous essayons de remettre en question.
J. Dans les pays en voie de développem ent, le tourisme
est-il surtout à
composante étrangère
?
Il a été longtemps admis que les pays du Tiers-Monde éta ien t inca
pa bles
d'engendrer un mouvement touristique notable. Cette idée avait
cours d'abord parmi
les économistes spécialistes du tourisme, comme ceux de l'équipe du
Centre des
Hautes Etudes Touristiques d'Aix-en-Provence pour qui
beaucoup de pays,
principalement les pays en voie de développement n'ont pas encore
atteint le seuil
de revenu qui leur permet d'en consacrer une part notable aux
loisirs. D'ailleurs,
le Tiers-Monde, exclu pour l'instant du phénom ène touristique en
tant que
consomm ateur (...), est précisément le siège d'une forte poussée
démog raphique
pouvant aller jusqu'à provoquer une paupérisation relative; cette
situation risque
de repousser encore plus loin dans le temps son accession au
tourisme"
(R. Baretje
et P. Defert, 1972). De telles conclusions n'étaient pas non plus
absentes chez les
géographes, qui dans le cas des pays du Tiers-Monde, insistent sur
"la quasi-
absence d'une assise touristique nationale, créée progressivement
et par fines
retouches successives pour la clientèle locale, com me ce fut le
cas pour les pays à
haut revenu moyen par tête
n
(G. Ca zes, D. Dumas, M. Péré et J.M. M iossec, 19 73
).
Ces derniers auteurs nuancent leur propos en n'écartant pas la
possibilité pour les
pays du Tiers-Monde, "d'émettre une deman de touristique
interne", ma is en
sou l ignan t tou te fo i s que ce t t e demande "se projette
à l'étranger de préférence dans
un pays développé".
9
Le phénomène tour i s t ique n ' é tan t n i pe rmanent n i
immuable , on pour ra i t
jus t i f i e r ces conc lus ions e t a f f irmat ions en cons
idéran t qu 'e l l e s é ta ien t va la b les
pour la décennie 1970 et que l 'évolut ion ul tér ieure les a
rendues par t ie l lement
caduques . Or s i au cours des dix dernières années les auteurs ne
nient plus , de
façon expl ic i te , l ' exis tence d 'un tour isme interne propre
aux sociétés en voie de
développement , celui-c i es t rarement reconnu comme un élément
important dans les
rela t ion s de ces so cié tés ave c leur s espace s , i l ne méri
te de ce fa i t auc un e
a t ten t ion par t i cu l iè re . En France , l e p remier manue l
de géograph ie généra le
consacré au tour i sme -pour tan t re la t ivement récen t - l imi
te impl ic i t ement l e
domaine de " la géographie du tour isme" aux seuls pays
occidentaux, les pays du
Tie rs -Monde n ' é tan t abordés qu 'en t an t que foyers pé r
iphér iques des f lux
tour i s t iqu es ém anant du cen t r e (2 ) . Une thès e de Doc
tora t d 'E ta t , sou tenu e
récemment e t consacrée exclusivement au Tourisme, t ra i te du "
tour isme
in te rna t iona l dans l e T ie r s -Monde" (3 ) en évacuan t to
ta lement l a d imens ion
in te rne . Ce t te t r ès in té ressan te approche ayan t pu ê t
re in t i tu lée "Tour i sme e t
Tiers-M onde " (4) , to ut en cons acr an t au tour isme inte rne
de ces pays un e page -
sur plus de 1 300- conclue néanmoins que "la montée
prévisible du tourisme
national (ou domestique) dans les pays en voie de développemen
t"
e s t
(G. Cazes, 1983) (5 ). Elle se
fai t remarquer en outre par l 'absence tota le de toute réf lexion
sur les
a r t i cu la t ions , r ée l l es dans ces pays , en t re l e tour
i sme na t iona l e t l e tour i sme
i n t e r n a t i o n a l .
Face à ces aff i rmat ions e t posi t ions de recherches , on ne
peut ignorer au
Maroc et dans les pays du Tiers-Monde, l 'ascension parfois
spectaculaire du
tour isme na t io na l . S ' in té ressa n t aux s ty les tou r i s
t ique s se lon les d i f fé ren tes a i res
cu l tu re l l es , d i f fé ren tes ana lyses , dues p r inc ipa
lement à des géographes a l l emands ,
Orient (6) . El les ins is tent , un peu t rop à notre avis , sur l
'opposi t ion
"tradi t ion/moderni té" comme seul cr i tère d 'analyse des types
de lois i rs e t de leurs
s t ructures géographiques (E. Grôtzbach, 1976); mais e l le re
lèvent l ' importance du
phénomène dans plusieurs pays de la région e t pas seulement les
pays pétrol iers à
h a u t s r e v e n u s .
(2): J.P. Lozato, Géogra phie du tourisme, collection Géograp
he, Ma sson, 198 5.
(3): G. Cazes, Le tourisme international dans le Tiers-Monde
: la problématique
géographique. Thèse pour le Doctorat
-
1983.
(4): D'après son auteur
(5): L'auteur ajoute cependant que: "la priorité accordée
dans cette recherche aux
flux internationaux et aussi la particulière insuffisance
statistique dans le
doma ine de la fréquentation nationale ont pu donner à tort
l'impression qu'elle
était négligée"
1 0
Ces au teurs ins i s ten t éga lement sur l a montée spec tacu la i
re du tour i sme
in te rne dans l es pays d 'Amér ique La t ine . E .
Gormsen, par exemple, évalue la par t
re la t iv e des tour i s tes mexica ins d ans l a s t a t ion d
'Acapulco à 50 % e t re lève
l 'augmentat ion de leurs effect i fs même dans les hôtels de haut
s tanding durant le
semestre coïncidant avec
la Semana Santa
et à l 'occasion des courtes vac anc es du
mois de mai (E. Gormsen, 1979).
Dans les pays du Maghreb, i l es t f rappant de constater à chaque
réouverture
po l i t ique d 'une f ron t iè re en t r e deu x p ays , l a fo r
te ruée des resso r t i s san t s d 'un
pays vers l ' autre (1 300 000 Libyens vers la Tunis ie e t 370 000
Algér iens vers le
Maroc en 1988). En Algérie, pays encore peu concerné par le
tourisme
in te rna t iona l , l e s na t ionaux représen ten t l e s deux t
i e r s des nu i tées hô te l i è res (7 ) .
En Tunis ie , une cer ta ine mobi l i té due aux lois i rs en
général e t au tour isme en
par t i cu l ie r ( so r t i es de week-end en ban l ieue ba lnéa i
re de Tunis , dép lacements p lus
lointains vers les s ta t ions l i t torales de Hammamet e t de
Souss) es t observée e t le
tau x de dép ar t en vac anc es des c i t ad in s es t évalué à 10
% (8) . Mais de ces t r ois
p a y s ,
c 'es t le Maroc qui se dis t ingue avec un aff lux
croissant d 'année en année,
de vacanc ie r s e t de tour i s t es qu i t t an t essen t ie l l
ement l e s v i l l e s pour se d i r ige r
vers d iverses des t ina t ions na t iona les . L ' impor tance des
dépar t s d ' é té se t radu i t pa r
le calme est ival de cer ta ins quar t iers vidés de leur contenu,
par la mult ipl icat ion
des campings organisés ou non le long de dizaines de ki lomètres de
côte , par
l ' émergence de nombreuses pe t i t e s s t a t ions des t inées à
l a c l i en tè le na t iona le e t ,
enf in , par l ' augm entat ion des t raf ic ro ut i er e t ferro
viaire des voy ageurs qu i
enregis t rent chacun des maximums en Jui l le t e t Août . Avec un
taux de dépar t
moyen que nous es t imons à plu s de 30 % (9) , les c i ta din s
marocains in t erv ien ne nt
pour 18 à 20 %, selon les an né es , dan s les nui t ée s hô tel
ièr es e t pra t i qu en t au ssi
l a loca t ion chez l ' hab i tan t (10 ) .
On ne peut donc cont inuer à confiner les pays en voie de
développement dans
la posi t ion de s imples foyers pér iphér iques des f lux du tour
isme internat ional .
Même les o rgan i sa t ions in t e rn a t io na les re m et ten t
en cause -b ien que t imidem ent -
cet te idée courante . Dans son rapport sur l 'exécut ion du
programme général de
travai l pour la pér iode 1984-1985, l 'Organisat ion Mondiale du
Tourisme (O.M.T.)
tou t en soumet tan t à ses pays membres une no te sur "la
mesure des voy age s et du
tourisme nationaux dans les pays non industrialisés", soul
igne que "Limiter le
tourisme dans les pays non industrialisés aux voyages de détente,
de vacances et
de congés payés ayant pour origine les principaux pays émetteurs,
c'est ignorer la
(7): Soit 65 96 d' un total de 3 726 177 nuitées
(moyenne des années 1979 à 1986)
(8): T aux communiqué oralement par J.Af.
Miossec
(9): C f: infra, Livre I, C hapitre II
1 1
véritable po rtée des mouvem ents de personnes dans les zones non
industrialisées."
(O.M.T.. 1985).
Ce rôle de foyer pér iphér ique du tour isme occidental qui es t
dévolu aux pays
en voie de déve lopp em ent s 'appu ie en fa i t sur l ' idée se
lon laquel le la di f fusion des
pra t iques tour i s t iques au se in d 'une soc ié té donnée es t
en re la t ion é t ro i t e avec
son développement industr ie l e t économique: le développement du
tour isme de
masse en Europe a cer tes coïncidé avec la pér iode de croissance
économique (1945-
1975).
Mais pou r en re ve ni r au Maghreb, des t rois pays c i tés
plus ha ut , le Maroc
est à la fois le pays qui développe le plus de formes tour is t
iques sur le plan
qual i ta t i f e t quant i ta t i f , e t celui qui aff iche les
résul ta ts économiques ou
industr ie ls les moins performants . Le P.I .B par habi tant y es
t Is plus fa ible (864
Dollars con tre 1 39 5 en Tu nisie et 2 266 en Algérie pour 198 2)
et
l ' in du str i a l i sa t ion y es t la moins poussée (35% du P.I
.B contre 40 % en Tu nis ie e t
58 % en Algér ie pour la même an né e) . Face à ce co ns tat , on
es t t en té de ne plu s
l ier le développement du tour isme et des lois i rs au sein d 'une
société donnée aux
seu ls fac teu rs économiques . Cec i cons t i tue une p remière
hypo thèse de t r av a i l ,
qu 'appuient les résul ta ts de recherche de la sociologie des lois
i rs de l 'école
f rança i se (11) .
2.
?
Cet te d i s t inc t ion , au n iveau mondia l , en t re d 'une par
t , des soc ié tés
industr ie l les de lois i rs e t de tour isme, e t d 'autre par t
, des pays à technologie peu
avancée e t aux soc ié tés peu ou pas tour i s t iques , se re t
rouve au n iveau des
soc ié tés sous -déve loppées e l l es -mêmes . Les fo r tes d i
spar i t és soc ia les e t f inanc iè res
qu i ca r ac té r i se n t ces pays a ider a ien t au déve
loppement du touri sme , mais ce lu i -c i
se con f inera i t aux gro upes sociaux les plus r iche s . G.
Cazes ne v oi t de
déve loppement tour i s t ique in te rne que dans l es
"pays connaissant depuis plusieurs
années une croissance économ ique indéniable et la puissante
émergence de classes
bourgeoises (Amérique Latine, Corée du Sud, Algérie, Côte
d'Ivoire...)
M
1983).
I l es t incontestable que ce sont les c lasses sociales supér
ieures , les plus
r iches e t les plus ouver tes sur l 'Occident qui aspirent aux
mêmes besoins que ceux
des soc ié tés o cc iden ta les e t d i sposen t de ressources f
inanc iè res su f f i san tes pour
couvrir les f ra is que nécessi tent les voyages e t les sé jours
du tour isme moderne.
Nous verrons plus loin que les condui tes e t s tyles tour is t
iques des c lasses
supér ieures marocaines s 'a l ignent sur cel les qui ont cours
dans les sociétés
ind us tr ie l les . Mais ce se ra i t un e erre ur conc eptuel le
que de l imiter le tour is m e
dans l es pays en vo ie de déve loppement aux seu les p ra t iques
tour i s t iques exogènes
et aux seuls sé jours qui ont l ieu dans les modes d 'hébergement
commerciaux. I l
(11):
1 2
n o u s a paru p lus in té ressan t de nous a t t acher
à ce qu i fa i t r origina l i té des
prat iques tour is t iques marocaines e t , de ce fa i t , i l nous
a fa l lu chercher aussi en
dehors des ménages e t individus du secteur supér ieur moderne. I l
é ta i t donc
indispensable d 'é largir le concept du tour isme à d 'autres
formes de voyages-
séjours . Pour cela nou s av on s supp osé que les dép ar ts à des
f ins tour i s t iq ue s
qu i res ten t à dé f in i r (12) - concernen t tou te l a soc ié
té , excep t ion fa i t e , peu t -ê t re ,
de ses secteurs sociaux les plus marginaux (13) . Les formes de
tour isme, les s tyles
et comportements changent évidemment d 'une catégorie socia le à l
'autre .
Cet te deuxième hypothèse de t ravai l prend par t ie l lement
appui sur les
concep ts déve loppés par l a Sozialgeographie de l
'école de Munich (K. Ruppert, F.
Schaffer et J. Maier). Rappelons, en effet , que dans sa
démarche pour comprendre
les pr incipes , les s t ructures e t les processus de l 'organisat
ion de l 'espace, la
géographie sociale a l lemande fa i t appel aux incidences de ce qu
'e l le nomme
"les
Ces
Grunddaseinsfunktionen,
se recréer et vivre en comm unauté,
habiter, travailler, assurer son entretien et consomm er,
s'instruire,
se récréer et se
déplacer
(14) (D. Partzch, 1964), ont é té intégrées à la
démarche de la géographie
sociale vers la f in des années 1960 par K. Ruppert et P.
Schaffer. Celle-ci doi t
inventor ier les incidences de ces fonct ions essent ie l les sur l
' espace e t expl iquer
leurs va r ian tes rég iona les (K. Ruppert, 1978). Les
activités l iées à la cinquième
fonct ion, "se recréer " , e t les a ct iv i té s qui en découlent
jou ent un rôle non
négl igeable dans la compréhension de cer ta ins systèmes
socio-spat iaux. El les
répondent aux t rois condi t ions jugées nécessai res pour qu 'une
fonct ion ai t un
caractère "pr imordial" e t méri te donc qu 'on s 'y arrê te
: elle a des relations étroites
avec l'espace, elle donne lieu à un phénomène quantifiable et
toutes les catégories
sociales peuvent être concernées (K. Ruppert, 1978)
En t ransposant ce schéma conceptuel à la société marocaine e t en
é largissant
la déf ini t ion du tour isme à toutes les act ivi tés qui
découlent de la fonct ion de
recréat ion, à par t i r du moment où ces act ivi tés ont des re la
t ions avec l 'espace,
en t ra înen t des f lux impor tan t s e t son t supposés concerner
p lus ieurs g roupes
sociaux, nous nous rendons compte que les déplacements l iés au
tour isme ne se
(12): Cf: infra, Livre I, Chap itre I
(13): Le terme de secteur marginal est pris ici dans le sens
que lui donne R .
Escallier (1981); Cf: par ailleurs, infra, Livre II, Chap itre
I
(14): La littérature allemande consultée cite les fonctions
suivantes que nous
avons reprises dans notre traduction: "Sich fortpflanzen und in Gem
einschaften
leben, W ohnen, Arbeiten, Sich versorgen und konsumieren, Sich
bilden, Sich erholen,
Verkehrsteilnahme". Ma is un article de K. Ruppert publié en langue
française dans
l'Espace Géographique (n
3, 1978) omet la fonction "Sich erholen" (traduite par
nous: "se récréer") tout en la reprenant dans la légende d'un
schéma ("se
distraire").
Il est probable qu'une etreur de traduction ait entraîné une
confusion
entre d'une part "se récréer"
( Sich
( Sich
fortpflanzen").
1 3
limitent pas aux seuls groupes sociaux les plus nantis. Les classes
moyennes, les
groupes sociaux traditionnels, transitionnels et inférieurs ont
aussi des pratiques
qui ne ressemblent certes pas à celles des classes dominantes ou
des sociétés
industrielles, mais qui s'apparentent et correspondent à ce que
nous appelons
"déplacement touristique" dans ces derniers. Cette affirmation, que
nous nous
attacherons à vérifier dans les chapitres suivants, débouche sur la
troisième idée
autour de laquelle s'articule notre problématique.
3. La diffusion des conduites touristiques dans les sociétés
tiers-mondistes
relève-elle beaucoup plus du mim étisme des modèles importés d e
l'extérieur que de
comp ortements authentiques ?
Poser comme préalable que les habitudes touristiques modernes ne
touchent
que les catégories sociales supérieures, suppose que ces habitudes
se diffusent
grâce aux contacts que ces catégories entretiennent avec la culture
européenne. Ce
#
canaux comme les rés ide nts
étrangers dans le pays concerné, les mass-média, ou tout simplement
les touristes
étrangers. Ceci revient à faire de l ' intérêt que peut avoir une
société tiers-
mondiste pour les activités récréatives ou touristiques une simple
conduite de
mimétisme de modèles et de comportements exogènes; et, partant,
présenter cet
intérêt comme un aspect supplémentaire d'acculturation (J.
Bierwirth, 1981).
Tout en relevant le fait que les occasions et les l ieux de contact
entre les
autochtones et les touristes étrangers sont très réduits, nous
penchons vers une
explication qui ne limiterait pas la diffusion du tourisme parmi la
société
marocaine à une banale tentative d'imitation de l'autre. Cet
engouement serait
plutôt à replacer dans l'ensemble des mutations
socio-économico-culturelles que vit
cette société. Tous les avis s'accordent, en effet, sur le fait que
la société
urbaine marocaine connaît des bouleversements importants. Ces
bouleversements
concernent aussi les comportements, les aspirations et les
attitudes du citadin
dans le domaine des loisirs et des déplacements touristiques qu'ils
peuvent
engendrer (A. El Ouarti , 1985). Cette société, avait eu de tout
temps ses fêtes, ses
loisirs et ses déplacements à caractère récréatif (15), et elle
découvre d'autres
variantes à travers l 'exemple étranger, mais en crée de nouvelles
suite à son
évolution interne.
Mais faire des comportements touristiques du citadin Marocain un
mélange de
pratiques héritées du passé et d'habitudes plus modernes ne
signifie point que
nous adoptons l'opposition "tradition/modernité" -trop simpliste et
trop schématique
à nos yeux- qui enferme les concepts de tourisme, loisirs et
récréation dans
H
leurs
contextes socio-culturels traditionnels ou modernes" (E.
Grôtzbach, 1981). C'est
ainsi qu'en Turquie, par exemple, le tourisme traditionnel serait
lié à un mode de
(15): Cf:
14
vie rural , i s lamique e t en grande par t ie montagnard, sa forme
pr ivi légiée é tant le
Yayla
(16) , a lors que les formes du tour isme moderne qui résul
tera ient de
l ' inf luence occidentale se concentrera ient sur la côte e t se
recouperaient avec le
tour i sme é t ranger (F.M. Czapek et E. Grôtzbach,
1981). Nous privilégions une
expl icat ion plutôt dynamique qui fa i t de l 'ensemble des prat
iques tour is t iques
ac tue l l es l ' abou t i s sement d 'une évo lu t ion in te rne
où l es fac teurs exogènes peuven t
in te rven i r éga lement . Le résu l t a t en es t une va r ié té
de s ty les qu 'on peu t
rencontrer au sein du même ménage ou du même individu. Au delà du
schématisme
"tradi t ion/moderni té" c i té plus haut , tout à fa i t contes
table , nous pensons que la
compréhension de plu sie urs asp ects re la t i fs à la récréat io
n pourra i t t i re r un grand
prof i t de ce que Et iemble , dans ses réf lexions sur le comparat
isme en l i t téra ture ,
appe l l e l e s " invar ian t s cu l tu re l s" (Etiemble,
1988) et qu ' i l
"décèle sous les
diversités de mainte et mainte culture".
4) Phénom ène éphémère et limité au plan interne, le tourisme
national
marqu e-t-il peu l'économie, la société et l'espace ?
Le manque d ' in té rê t des au to r i t é s de tu te l l e v i s
-à -v i s du tour i sme na t iona l
s 'expl ique proba bleme nt par le fa i t que ses re tombées son t
supposées ê t re fa ibles
ou inex i s tan tes . La va leur ac tue l l e des dép lacements de
pe rsonnes au n iveau
na t ion a l e s t so us - es t im ée , ca r i l s ne p rodu isen t
pas de dev i ses é t rangères (O.M.T.
1985).
La grande major i té des vacanciers marocains , ne disposant
que de revenus
modestes , du moins par comparaison avec ceux des tour is tes é t
rangers , i l es t faci le
d' imaginer, en effet , que ce tourisme n'a guère d ' impact sur
les si tes qui lui
se rven t de cadre .
Les dépar ts , même massi fs , se proje t tent sur les espaces d
'accuei l sous la
forme de con cen trat io ns de camp eurs , qui demeurent des ma
nifes ta t ions sp at ia les
éphémères . De ce fa i t , le tour isme interne marque peu l
'espace, sauf en quelques
po in t s p réc i s , l à où des s t a t ions tour i s t iques
annoncen t un débu t d 'u rban i sa t ion .
A ces aff i rmat ions co ura nte s , nou s opposons les t rois hypo
thèses de t ra va i l
su ivan tes :
a) Bien que le tour isme nat ional ne s 'accompagne pas de rentrées
de devises
-sauf dans le cas des t ravai l leurs marocains à l 'é t ranger
(T.M.E)- i l peut
con t r ibuer à une red i s t r ibu t ion spa t i a le des r i
chesses en susc i t an t des t r ans fe r t s
f inanc ie r s in te r - rég ionaux . Les dépenses qu 'occas ionnen
t des sé jours de vacances
dans une région d 'accuei l donnée sont autant de surplus dégagés
dans la région
d 'or igine des tour is tes . Ceci es t déjà un aspect , occul te
cer tes , d 'un réseau de
rela t i on s qui se t i s se e nt re les di f férentes en t i té s
spa t ia le s du pays . Or, i l y a de
Ce terme désigne les pâturages et les villages d'été vers
lesquels se déplace
la population paysanne turque à la fois pour y mener les troupeaux
et pour y
1 5
for tes chances pour que les re tombées f inancières de ces t
ransfer ts se dif fusent
plus profondément dans la région d 'accuei l -par le bia is du
logement chez
l 'habi tant ou l 'approvis ionnement di rect du campeur chez les
commerçants ou les
produc teurs locaux- que l es dev i ses dépensées par l e tour i
sme in te rna t iona l , qu i
r e s t e n t s o u v e n t d a n s l e s b a n q u e s c e n t r a
l e s (M. Berriane, 1980)
b) Le tour ism e na t io na l es t à même de joue r un rôle
non négl igeable dan s
l 'org anisa t ion de l 'espa ce. Les f lux de va can cier s , qu
'accompag nent des f lux
d 'argent mais aussi de biens e t d 'act ivi tés (essent ie l
lement des commerces e t des
services) , i ssus pour la plupar t des grandes vi l les , se di r
igent vers des
dest inat ions diverses . Les pr incipales vi l les émet t r ices
de ces f lux organisent de
v é r i t a b l e s "
espaces-mouvem enté*
(17) qu i l eu rs son t p ropres . Ce t te s t ru c tu ra t
io n
de l 'espace, que la car tographie met bien en évidence, es t à
comparer aux autres
zones d ' in f luences u rba ines (P. Cribier, 1966).
Les pe t i t e s v i l l e s e t l e s v i l l e s moyennes , a ins
i que l es pe t i t e s s t a t ions
ba lnéa i res non c lassées comme cen t res u rba ins , son t l e s
p r inc ipaux récep tac les de
ces flux (M. Berriane, 1986). En recevan t des popula t
ions o r ig ina i res d ' au t res v i l l e s
de la région ou de plus loin encore , ces pet i ts organismes
urbains resserrent leurs
l i ens avec l e res te de l a t r ame urba ine ; l eurs sys tèmes
de re la t ions , no tamment
ave c les gran des vi l l es , pr inc ipau x poin ts d 'émission de
tou r is te s , s 'é toffent e t
sont parcourus par des f lux plus in tenses . En outre , pendant
deux à t rois mois de
l 'année, ces s i tes d 'accuei l sont les l ieux d 'un brassage de
populat ions venues
d 'hor izons d ivers , appor tan t avec e l l es l eurs hab i tudes
, l eurs cu l tu res e t l eurs
t ra di t io ns urb ain es . Quels son t les effe ts de ces échan
ges sur les vi l les pe t i te s
ou moins pet i tes , qu 'e l les soient naissantes ou bien déjà
bien ass ises dans
l 'u rban i té ?
c) Le tour ism e nat ion al p eu t se rév éler aus si comme un act
i f ag ent de
dégrada t ion des mi l i eux na ture l s .
Peu organisé , ne bénéf ic iant d 'aucune s t ructure d 'accuei l
programmée
d 'avance , l e tour i sme popula i re a t endance à se concen t re
r su r ce r ta ins s i t e s
côt iers qu ' i l occupe spo ntan ém ent . Or , le mil ieu côt ier
e s t connu pour ê t r e f ragi le
comme le sont tous les milieux marginaux (R. Paskoff,
1985) . On peu t s ' in terro ger
alors sur les effe ts du piét inement e t des empiétements des
véhicules sur les
dunes bordieres , des for tes concentrat ions dans les campings non
organisés e t sans
aucun équipement , e tc . . sur les t ransformat ions de ces mil
ieux naturels .
Les tour i s tes appar tenan t aux c lasses supér ieures e t
moyennes d i sposen t de
moyens plus importants e t se lancent dans l 'acquis i t ion de rés
idences secondaires ,
soi t sous forme de construct ions de for tune qui enlaidissent les
s i tes soi t en
ac qu éra nt des lo ts prop osés par des prom oteurs pr ivés offic
ie ls ou par les
(17):
16
collectivités locales, mais dont la conception et l ' implantation
n'est toujours pas
heureuse.
Afin d'éviter la dégradation irréversible de milieux fragiles,
l'analyse
approfondie des m écanismes qui règlen t les équ ilibres précaires
de ces m ilieux e st
nécessaire; mais la connaissance des comportements des util
isateurs multiples qui
se disputent cet espace ne l 'est pas moins. Le présent travail ,
qui se veut une
tentative pour connaître scientifiquement le mouvement touristique
interne, ainsi
que les comportement des touristes nationaux, qui sont aussi des
util isateurs de
cet espace littoral, est conçu comme une contribution à cette
connaissance.
Les études consacrées au tourisme dans les pays du Tiers-Monde
s'ordonnent
le plus souvent
s'articulant autour des quatre points présentés dans cette
introduction, notre
démarche essaie de dépasser ce cadre assez étroit pour contribuer
à
l'enrichissement de la problématique plus générale des études ayant
comme objet la
vil le et le citadin. En privilégiant les faits sociaux dans l
'explication de la
diffusion du tourisme et des innovations qu'il vit , mais aussi
dans la
compréhension des localisations et des incidences macro- ou
micro-spatiales, cette
démarche se veut socio-géographique. Elle accorde de ce fait une
place de choix
aux enquêtes socio-économiques, aux observations minutieuses des
comportements
et aux inteviews qualitatifs. La cartographie qui permet un certain
repérage de la
structuration de l 'espace y est également privilégiée (18).
Le plan suivi traduit les orientations qui viennent d'être
présentées. Le Livre
premier essaie de démontrer qu'une demande touristique nationale,
qui s'intègre
dans l'ensemble des loisirs, existe bien au Maroc, au moins dans
les villes. Après
une tentative de définition et d'évaluation des déplacements
touristiques, une
grande attention est accordée aux facteurs explicatifs. Ceci nous
permet de revenir
sur la problématique de ce qui est dû aux apports extérieurs et de
ce qui est
inhérent à l'évolution interne de la société. Ceci nous permet
aussi de dresser au
fur et à mesure un tableau des différentes formes de tourisme
pratiquées.
Le Livre II s'at tac he à l'an aly se des rôles et des
comportements des différ ents
groupes sociaux qui pratiquent ce tourisme. Il s'interroge tout
d'abord sur les
critères socio-professionnels qui différencient les ménages qui
partent en vacances
de ceux qui ne le font pas, avant d'esquisser le profil
socio-culturel de ceux qui,
au sein de chaque groupe social, effectuent des
déplacements-séjours. Dans un
deuxième temps, les styles et comportements touristiques sont
examinés dans le
(18): Les développements méthodologiques sont présentés au
fur et à mesure et à
17
but de dégager à la fois les spécificités du tourisme marocain et
les
dif férenc ia t ions de comportements se lon les groupes so ciaux.
L ' in té rê t de cet te
analyse pour le géographe augmente lorsqu 'e l le débouche sur l '
é tude de
l 'organisation de l 'espace par les hommes. Ceci fait l 'objet du
troisième volet de ce
l ivre qui analyse les re la t ions de ces tour is tes à l ' espace
a ins i que les s t ructures
géographiques des déplacements .
Se t ro uv an t au po in t d ' abou t i s seme nt des ana ly ses p
récé den tes , l ' e space fa i t
l 'objet d 'une étude fine à laquelle nous consacrons l 'ensemble
du Livre III . La part
re la t ive du l i t to ra l pa rmi l e s au t res des t ina t ions
é tan t t r è s é levée e t l e s
conséquences sur ce mil ieu f ragi le par t icul ièrement
inquiétantes , nous avons
pr ivi légié cet espace d 'accuei l . Une sér ie de s ta t ions sé
lect ionnées se lon des
cr i tères précis , sont é tudiées à la fois g lobalement e t cas
par cas -avec un souci
de typologie- , pour comprendre leur genèse , leur fonct ionnement
e t leur dynamique.
Le l i t to ra l marocain con naî t , en effe t, une évolu t ion i
r rév ers ible e t inq uié tan te ;
ce l l e - c i e s t ce r t es l iée au mouvement de l i t to ra l
i s a t ion de tou tes l e s ac t iv i t é s
économiques , mais le tour isme nat ional en ra ison de la
puissance des acteurs en
présence e t la voraci té des nouveaux r iches , contr ibue pour
une par t non
négl igeable à cet te évolut ion.
La prat ique du tour isme étant , au Maroc, le fa i t avant tout
des c i tadins ,
notre é tude por tera essent ie l lement sur le tour isme nat ional
e t les migrat ions de
lois i rs des habi tants des vi l les . Néanmoins , i l sera quest
ion de temps à autre du
monde rur al , en par t icu l ier lorsq ue nous essa ieron s d 'app
orter que lques é lémen ts
d 'expl icat ion.
, I ^ ^ R E 3
3=» 3R . 3 53 I V Ï 1 3 5 3 3 R .
T <z> X J T 3=*. i s I V
Ï 353 . 3— <z> i s i :
3 5 3 T * 3VE 0 3 3 I 3 L - . I T T 352 1 3 N T T 3 53
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I S T i S XJ3>< r 3 P - ^ V " i T & 35 3 3M ^ V " <=
> 13 53 I > 3 5 3
3Z> 35 3
"V"
Le premier objectif posé par notre Introduction Générale vise
à
démontrer que la deman de nationale en tourisme et loisirs est bien
réelle au
Maroc , et ce, en dépit des idées plus ou moins admises excluant la
naissance et le
développeme nt d'un tourisme national dans les sociétés
tiers-mondistes. C'est le
principal objet de ce Livre L
S'approcher de ce but, suppose d'abord un essai de définition de ce
que
nous entendons
déplacements touristiques au Maroc . En effet, si nous
nous
limitons aux formes de tourisme pratiquées par les sociétés
occidentales, le nombre
de personnes concernées
ce tourisme serait, au Maroc , fort réduit; il se
limiterait à quelques m énages qui constitue les catégories
sociales aisées. D e ce
fait, il nous a semblé utile de considérer toutes les formes de
loisirs auxquelles
s'adonne la société marocaine citadine, tout en isolant celles
donnant lieu à des
déplacements plus ou moins lointains. Ceci nous am ène à poser com
me point de
départ la définition de la notion de loisirs et de tourisme, dans
les pays en voie
de développem ent en général et au Maroc en particulier (Chapitre
I).
Les migrations touristiques des nationaux une fois définies et
replacées
dans l'ensemb le des autres loisirs mais aussi dans l'ensemble des
autres
déplacements, le Chapitre I invite à une réflexion sur l'efficacité
des méthodes à
utiliser pour appréhender au mieux ces flux. Une présentation
critique des
différentes approches et de leurs intérêts et limites pou r le cas
maroca in conclue à
la nécessité de l'enquête socio-économique directe.
Outre l'enquête directe, l'utilisation de données très diverses, et
ne
concernant pas toujours directement les grands déplacements liés
aux loisirs,
permet la mise en évidence de la mobilité des personnes dans
l'espace, mobilité
née de cette deman de nationale et pouvant être saisie à la fois
sur les lieux de
départ, sur les lieux d'arrivée et sur les itinéraires les reliant
(Chapitre II).
L'existence de cette demande une fois démontrée, un effort
d'explication
occupe le reste du Livre. Il s'agissait, en effet, de répondre à
une de nos
principales questions p osées en introduction et concernant la
compréhe nsion de
cette diffusion inattendue des habitudes touristiques au sein de la
société
maroca ine. Les développem ents des Chapitres III et IV tentent de
faire la part des
héritages du passé d'un côté et celle des nouveaux modes de vie et
pratiques
importées de l'autre. Cette attention accordée aux éléments
explicatifs nous permet
en mêm e temps de mettre en place -par petites touches- les
différentes formes de
2 1
CHAPITRE ZJKT
E S S A I D ' E V A L U A T I O N E > E L A M O B I L I T E
:
23
I N T R O D U C T I O N
Ins is ter su r l ' importanc e de la demande tou r is t iq ue nat
ionale suppos e tou t
d 'abord un essai d 'évaluat ion de cet te demande. Cet essai s 'a
t tachera à la fois à
es t imer l e s dépar t s r ée l s en vacances , mai s auss i l e s
po ten t i a l i t é s de ce t t e
demande qui , pour des ra isons diverses , peut ne pas avoir l
'occasion d 'ê t re
sa t i s fa i t e .
Mais,
on Ta déjà rapidement soul igné (M. Berriane
1986), au Maroc et dans les
pays du Tiers-Monde en général , l ' é tude du mouvement tour is t
ique interne a é té
peu abordée. Pour les pouvoirs publ ics , l ' in térê t es t d
'abord accordé au tour isme
internat ional qui , pourvoyeur des caisses de l 'Eta t en devises
, fa i t l 'obje t d 'une
planif icat ion plus ou moins r igoureuse, bénéf ic ie d 'a ides e
t d 'encouragements
é ta t iques d ive rs , du moins jusqu 'à ces de rn iè res années
(1 ) e t , pa r vo ie de
conséquences , a donné l ieu à plusieurs é tudes . L 'apparei l s
ta t is t ique off ic ie l , en
par t i cu l i e r , e s t r emarquab lement ind igen t lo r squ '
i l s'agit des déplacements
tour i s t iques in te rnes . Seu les l e s nu i t ées en
hébergement hô te l i e r homologué (2 )
permet ten t d ' ind iv idua l i se r une pa r t i e des vacanc ie
r s maroca ins qu i se dép lacen t .
Or , on le verra p lus lo in , la grande major i té de ce qu 'on
pourra appeler les
" tour is tes" marocains ne s 'adresse pas à l 'hôte l , qu ' i l
soi t c lassé ou non. D'autre
par t , les c l ients d 'un hôtel ne sont pas censés ê t re tous
des tour is tes , se lon la
déf ini t ion qui sera re tenue ic i . Mise à par t ce t te mesure
(3) des nui tées hôtel ières ,
(1): L'Etat mar ocain, gui a supp orté l'essentiel de
l'effort financier n écessaire au
développement du secteur touristique depuis le Plan Triennal
1965-1967 (voir à ce
propos M. Berriane, 1980), a amorcé un désengagement
très sensible depuis 1978
(Plan Triennal 1978-1980) en même temps qu'il comptait sur le
secteur privé. Cette
tendance s'est encore récemment traduite par la révision en cours
(session
parlementaire exceptionnelle du mois de Janvier 1988) des
différents Codes des
Investissements, dont celui du tourisme. La révision vise, entre
autres, l'abandon
d'un certain nom bre de facilités, notam ment fiscales, dont
bénéficiaient les
investisseurs.
(2): Cf: infra, Chapitre II de ce même Livre.
(3): Pour quelques provinces les données que centralise le
Ministère du Tourisme
24
on ne dispose d 'aucune donnée suscept ible de nous permet t re de
sa is i r les points
de dépar t de ces supposés tour is tes , ou de nous renseigner sur
leur prof i l socio-
économique (4).
Bien qu 'ayant inscr i t le thème du tour isme des nat ionaux parmi
ses
préoccupat ions e t créé une cel lule de réf lexion pour le
développer , le Minis tère
marocain du Tourisme a lancé peu d 'é tudes sur ce suje t par
comparaison avec la
mul t i tude de ce l l e s touchan t l e tour i sme in te rna t
iona l . En tou t e t pour tou t , nous
dispos ons d 'une é tu de, déjà anc ienn e, in t i tu l ée Le tour
isme inte rne au Maroc,
méthode d'approche des flux et des mot ivat ions , basée sur
une enquête rapide
au pr ès d 'un éch an til lo n d'employés de l 'Office de Com
mercialisation et d 'E xp orta tion
(O.C.E.) (5) , a insi que des résul ta ts bruts de deux brèves
enquêtes-pi lote
entrepr ises par la Divis ion des Etudes du Minis tère du Tourisme
en 1985 (6) .
Ce manque d 'enquêtes systémat iques e t à passage régul ier es t à
soul igner , car
i l contras te avec le cas des pays d 'Europe où l 'ampleur e t l '
ancienneté du
phénomène tour is t ique ont susci té une masse d ' informat ions
col lectées e t analysées
par des ins t i tu t ions spécia l isées . I l const i tue un
handicap sér ieux pour le
ch erc he ur qui se pen che su r le même phénomène au Maroc. Ceci
es t pro bab lem ent
l 'une des ra iso ns exp l iqu ant le peu d ' in té rê t accordé au
tour isme nat ion al pa r le s
chercheurs qui t ravai l lent sur le Maroc ou les pays du
Tiers-Monde. Ceux-ci ont
exclusivement axé leur problémat ique sur l ' impact du tour isme
internat ional sur les
espaces et les sociétés d 'un pays en voie de développement
(G.Cazes, 1983). La
dimension interne du tour isme a é té écar tée , soi t parce qu 'e
l le é ta i t considérée
comme secondaire par rapport aux f lux externes , soi t parce qu 'e
l le é ta i t to ta lement
n iée ,
les pays du Tiers Monde é tant considérés comme incapables
de susci ter une
demande interne en voyages de lo is i rs . Pour ce qui es t des
formes du tour isme du
XXème s iècle qui sont b ien pré se nte s , on ess aiera de le
démon trer au long de ce
t rava i l , dans l a soc ié té maroca ine , ce t t e a t t i tude
des chercheurs n ' e s t p lus va lab le
aujourd 'hui ; pour ce qui concerne les lo is i rs en général , ce
t te socié té a depuis
toujours accordé la place nécessai re à ce deuxième temps. Une
erreur
régulièrement leurs statistiques. A ces non-déclarations, il faut
ajouter de
nomb reuses sous-déclarations qui, de l'avis des responsables
eux-mêm es, ne sont
pas négligeables.
(4): L'hôtelier fait remplir par son client une liche
individuelle qui comporte,
certes, des renseignements précieux (âge, profession, lieu de
résidence, durée de
séjour à l'hôtel); m ais ces fiches, dites de police, son t
inaccessibles au chercheur.
(5): Cette étude n'est pas datée, mais l'enquête dont elle
rend compte s'est
déroulée en 1972 à Casablanca. Elle porte la signature d'un bureau
d'études
français, nomm é FINE C. Bien que mentionnée par quelques rapports
officiels, elle
est introuvable au Ma roc. Nous l'avons consultée au Centre des
Hautes Etudes
Touristiques d'Aix-en-Provence.
(6): Ces deux courts rapports présentent chacun, sans comm
entaire, une vingtaine
de tableaux établis à partir de deux enquêtes légères menées, l'une
auprès des
élèves de l'Ecole des Cadres de Kénitra, l'autre auprès d'un
échantillon de
visiteurs de la Foire Internationale de C asablanca.
25
méthodolog ique cons i s te ra i t , en e f fe t , à ana lyse r l e
s lo i s i r s des soc ié tés t i e r s -
mondis tes avec les mêmes concepts que ceux ut i l i sés pour l 'é
tude des socié tés
i n d u s t r i a l i s é e s .
Ceci nous amène à poser comme préalable à cet te évaluat ion la
nécess i té
d 'expl ic i ter ce que nous entendons par tour isme interne. Cet
te déf ini t ion se s i tue à
deux n iveaux : i l s'agit d 'une par t de déf ini r
les migrat ions tour is t iques au sein
des lo is i rs en général , e t d 'autre par t d ' i soler le tour
is te marocain parmi les autres
voyageurs qu i c i rcu len t à l ' i n té r i eur du pays
I . E L E M E N T S D E D E F I N I T I O N
A . A P R O P O S D E S L O I S I R S D A N S L E S P A T S D U T I
E R S - M O N D E
Les p ra t iques d i t e s tour i s t iques fon t pa r t i e du l a
rge éven ta i l d 'occupa t ions
auxque l les se l iv re l ' i nd iv idu , généra lement sans con t
ra in te n i nécess i t é maté r ie l l e
et qui por tent le nom de lois i rs . Notons tout de sui te que la
plupar t des essais de
théor isa t ion re la t i fs au phénomène des lo is i rs l ient son
développement à celui des
soc ié tés ind us t r i e l l e e t po s t - in du s t r i e l l e
qu i conn a i ssen t une mul t ip l i ca tion de p lus
en plus po uss ée des formes d 'org anisat ion du temps l ibre . De
ce fa i t , la p l up ar t
des in t e rp ré t a t io ns du lo i s i r le l ien t au t emps de
t r av a i l e t , pa r tan t , se conf inen t
dans une exp l ica t ion économis te .
Que ce so i t l ' an aly se sociologique fonct ion nal is te qui fa
i t du lois i r un temp s
rés iduel par rappor t au temps de t ravai l , ayant pour but à la
fois de donner au
travai l leur un maximum de force product ive e t de fa i re un
jour de l 'enfant un bon
c i t o y e n - t r a v a i l l e u r ( N . Samuel,
1983), ou l 'approche marxis te qui a in terprété dans
un premier temps le lo is i r comme un moyen de répress ion permet
tant une évasion
t rompeuse p a r rap po r t à l a r éa l i t é de l ' a l i éna t
ion soc ia le e t dans un deux ième
temps-dans l e s soc ié tés pos t - révo lu t ionna i res de l
'Europe de l 'Es t - comme une
con t r ibu t ion au déve loppement de l a soc ié té soc ia l i s t
e pe rm et tan t une p lus g rand e
pro du ct iv i té dan s le t ra va i l (M.P. Lanfant , 1966) (7) ,
on ins i s te toujou rs su r la
re la t ion lo is i r / t ra va i l . Ceci débouche logiquement sur
la négat ion des lo is i rs dan s
les soc ié tés p ré - indus t r i e l l e s qu i n 'on t pas encore
a t t e in t un ce r t a in n iveau de
vie .
Or l 'examen de ce r ta ines soc ié tés t i e r s -m on dis te s l
a i s se supposer que l e lo i s i r
pe ut ne p as ê t re l ié aux r ev en us , e t au niv eau de vie en
général , comme i l pe ut
ex i s te r dans des s i tua t ions an té - indus t r i e l l e s
mais en revê tan t d ' au t res fo rmes e t
en répo nda n t à d ' au t res beso ins . A . Quenum so
ut ien t, à propos du Bas Dahomey,
"que la manière de se délasser, de se divertir ou de se développer
peut changer
d'un pays à un autre, d'une civilisation à une autre.
L'industrialisation n'a pas
(7): N. Samuel
sociologique de l'étude du loisir". Nous n'abordons pas une
quatrième interprétation
du loisir dite libertaire et qui fait du temps libre le pivot de la
libération de la
26
créé le loisir, mais les nouv elles cond itions de travail et les
servitudes qu'elles
imposent en accentuent l'urgence et la nécessité"
(A. Quenum, 1973). De ce fait
l ' analyse sociologique qual i f iée de dia lect ique (N.
Samuel, 1983), in i t iée dès les
années 1960 par J. Dumazedier (J.Dumazedier, 1966, 1974,
1976, 1978), nous pa ra î t
plus per t inente car e l le t ient compte "des déterminants
socio-culturels, socio-
économiques, socio-politiques dans l'explication des comportements
de loisir -tout
en considérant aussi- les caratéristiques du sujet social agissant,
que celui-ci soit
un individu ou un groupe sociaF. La re la t ion temps de t
rav ai l / te m ps rés idu el n 'es t
plus pr ivi l ig iée , les lo is i rs n 'é tant p lus uniquement le
temps l ibre , mais tout un
év en tai l d 'occupat ions dotée s d 'un for t pouvoir l ibéra
teur : " Le loisir est un
ensemble d'occupations auxquelles l'individu peut s'adonner de
plein gré, soit pour
participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice a
près s'être dégagé
de ses obligations professionnelles, familiales et sociales"
(J. Dumazedier, 1978).
Le lois i r es t a lors é tudié comme une condui te individuel le
qui es t , cer tes ,
socia lement déterminée, mais qui s 'or iente se lon la logique du
suje t . En outre cet te
approche es t p lus promet teuse que les autres puisqu 'e l le é
largi t le débat sur les
lois i rs , en centrant la réf lexion sur les processus d ' in
teract ions dans les contextes
et les différents temps sans se l imiter à l ' influence subie par
le temps de loisir
mais en é tudiant auss i l ' inf luence du temps de lo is i rs sur
les autres temps sociaux
(N.
Samuel, 1983).
En évi tant de réduire la déf ini t ion des lo is i rs à ses
rapports avec le t ravai l
et à sa dimension économique, cette conception permet de
généraliser la notion de
lois i rs à d 'autres socié tés non- industr ie l les . En la
prenant comme point de dépar t ,
on peut soutenir que le lo is i r , a ins i déf ini , es t non
seulement un phénomène
largement concevable dans la socié té marocaine contemporaine, mais
qu ' i l y é ta i t
auss i p résen t au t re fo i s .
B.
Aujourd'hui, le Marocain, et plus particulièrement le Marocain
citadin, ajoute
à l 'ensemble des prat iques ludiques t radi t ionnel les , qui
dans la plupar t des cas ,
revê ten t des ca rac tè res sac rés r i tue l s obé i ssan t aux
ins t i tu t ions du g roupe , des
act ivi tés "modernes" auxquel les i l s 'adonne individuel lement
ou en groupe, mais
avec un espr i t individual is te e t sans aucune obl igat ion col
lect ive .
Vue sous cet angle, l 'étude des loisirs dans la socié
té marocaine peut éc la i re r
un aspect des profondes transformations soc io -économico-cu
l tu re l l e s que ce t t e
socié té vi t ac tuel lement .
Cet te coexis tence, au se in de la même socié té , de prat iques
de lo is i rs à la
fois t radi t ionnel les e t modernes , pose un double problème de
déf ini t ion e t de
27
sur Tétude des lois i rs qui s 'expriment par un déplacement (8)-
nous sommes obl igé
de tenir compte également des lois i rs prat iqués en vi l le , à
domici le ou à sa
proximité pour dél imiter dans un premier temps les lois i rs dans
leur global i té ,
avan t de nous pencher sur ceux qu i en t ra înen t des f lux
.
1. Les loisirs modernes tels que les définit
l'appareil statistique officiel sont loin d'être
représentatifs de toutes les pratiques de loisirs
marocaines.
I l ressor t des premiers résul ta ts de l 'enquête sur la
"consommation et les
dép ens es des ménages" , pub l iés par la Direct ion des St at i s
t i qu es , que les dé pe nse s
(un accro i ssemen t annue l moyen de 12% par an) , r es ten t r e
la t ivem ent fa ib les ,
comparées aux autres postes de dépenses . En effe t la dépense
moyenne annuel le
que ré ser ve cha que ménage aux ac t iv i té s de " lois i rs e t
cu l ture " es t de 721 DH,
so it 3,4 % du budg et to ta l . Mais i l est difficile d 'ap pré
cier, à p ar ti r de ces
moyennes , l a pa r t r ée l l e qu i rev ien t aux lo i s i r s
dans l e to ta l des dépenses . L ' éca r t
entre la vi l le e t la campagne, en par t icul ier , es t te l qu
' i l faut considérer
exclusivement les moyennes urbaines e t d i re que les lois i rs
modernes sont encore
l 'ap ana ge des c i tad ins qui leu rs con sacre nt 210 DH par an
e t par per son ne co ntre
54 DH pour les ru rau x. Ceci ne ve ut point di re que ces d ernie
rs n 'o nt p as de
lo i s i r s mais , on l e ve r ra p lus lo in , ce r t a in es p
ra t iq ues hér i t ées de l a t r a d i t i on
n ' a p p a r a i s s e n t p a s d a n s l e s r é s u l t a t s d
e s e n q u ê t e s p r é c i t é e s .
Ce l les re tenues par l ' enquê te de l a Di rec t ion des S ta t
i s t iques son t résumées
dans l e t ab leau su ivan t .
TABLEAU 1. STRUCTURE DE LA DEPENSE MOYENNE EN LOISIRS PAR
PERSONNE (MILIEU URBAIN) (1984-1985)
EN DH RELATIVE
Biens durables(appareils, articles
Accessoires et réparation de ces biens
Articles de jeux
Livres,
Direction de la Statistique. 1988
La structure de ces dépenses est très
déséquilibrée:
- L'acquisition de biens durables (appareils
de radio, téléviseurs,
magnétoscopes, électrophones, instruments
m u s i q u e t t e ) ,
de
f
i ls occasionnent const i tuent le poste le
plus important
de ces dépenses(48,4%). C'est dire le coût
élevé de certains de ces biens; cela
indique, aussi peut-être ,
ou
r a d i o - c a s s e t t e ,
par
exemple,
est
les
foyers
et
const i tue un des loisirs les plus
fréquents à domicile surtout auprès des
femmes
qui restent
stat ist iques concernant
la diffusion de ces appareils manquent ou
sont peu fiables, mais il n'y a qu'à
observer,
r a d i o -
casse t te ou de té lév i s ion ou
encore les petites échoppes de v e n t
e et
d'enregistrement
des
à un
véritable engouement
de la
population pour l'écoute musicale. La té lévis
ion est presque généralisée à tous
les
quartiers, quel
par
contre
(9):
Un des indices de la généralisation
de la télévision est l'intégration
par
Vadministration des Finances, d epuis quelques
années, de la taxe de la télévision
2
l'apanage de la frange instruite et aisée des classes moyenne et
supérieure. Quant
aux magnétoscopes et en l 'absence de toute donnée sur leur
diffusion, nous ne
pouvons que relever la polifération des vidéo-clubs qui ne se
cantonnent plus
dans les centres-ville ou les quartiers aisés des grandes
métropoles, mais
s'implantent également dans les vieux centres ou les quartiers
périphériques, tout
en faisant leur apparition dans les petites et moyennes vil les
(10).
Variétés musicales diverses pour la radio et la radio-cassette, f i
lms et séries
égyptiennes (11) et sport (matchs de foot-ball en particulier) pour
la télévision
con stitu ent les ém issions les plus su ivie s par la majorité des
foyers.
- L'importance de la télévision et, parmi certaines couches de la
société, de
la vidéo explique peut-être le recul de la fréquentation des salles
de spectacles.
En eff et, et toujours d'après l'enq uête pr écitée, le cinéma, le
théât re et le s au tres
spectacles ne retiennent qu'une part très faible de ces dépenses.
La qualité des
productions proposées par les distributeurs, la faiblesse de l
'activité artistique au
Maroc, ainsi que la concurence du petit écran se font sérieusement
sentir.
- Les dépe nses en livr es non scolaires, en journaux et en revues
arrivent en
deuxième position et traduisent un intérêt certain pour la culture
et l ' information,
même si cet intérêt se limite à la population instruite. Nous
remarquons, ces
dernières années, un relatif essor de l 'édition qui traduit l
'élargissement de la
couche de la population qui achète des l ivres. Faibles et
embryonnaires au
lendemain de l'Indépendance et jusqu'aux années soixante-dix, l
'édition et la
diffusion ont connu un certain développement au cours des six
dernières années,
malgré des problèmes économiques, culturels, et techniques (G.
Dugas. 1987). Avec
distribution (quelques 400 points de vente), et un Salon du livre,
elles contribuent
à donner le goût de la lecture. Le marché de l 'édition, évalué à 3
000-5 000
exemplaires par an (Revue Lamalif, 1987), reste néanmoins
relativement étroit, les
dép enses moyennes en valeu r absolue n 'atteignant pas 30 DH par
personne e t par
an.
donc, supposé avoir un poste téléviseur, la quantité de KW /H
consom mée intervient
pour lui appliquer le tarif d'un poste couleur ou noir et
blanc.
(10): Le march é des vidéo-cassettes connait une
effervescence sans précédent. En
plus de la contrebande des cassettes vierges ou enregistrées, les
vidéo-clubs
pirates prolifèrent^ et le Centre Cinématogra phique Maro cain
n'est pas arrivé à
mettre de l'ordre dans une situation qui lui échappe.
(11): Ces longs métrages ou feuilletons, mélodram ipbs de
niveaux artistique et
technique très médiocres qui inondent pratiquement toutes les
télévisions arabes,
captent l'attention de la majorité des téléspectateurs. Ils sont
appelés
studios du Caire. Ma is si la majorité d es artistes sont encore
égyptiens ou
libanais, la production a en fait ém igré et depuis fort longtemp s
vers des studios
montés dans les pays Arabes du Golfe.
30
- Le po ids ins ign i f i an t des dépenses néc ess i t ées pa r l
' exe rc ice d ' ac t iv i t é s
spor t ives e t r éc réa t ives ne t r adu i t nu l l ement l a r
éa l i t é de l a p ra t ique de ces
act ivi tés e t ce pour deux ra isons: de nombreuses personnes s
'adonnent à ces
act ivi tés sans que cela ne nécess i te des dépensés s ignif icat
ives ( jogging, matches
amicaux, jeux de car te s e t d 'échecs , e tc. .*) ; p lus ieurs e
ntre pr is es pub l iques , se m i-
publ iques ou pr ivées offrent , parmi les services sociaux dont
bénéf ic ient leurs
employés , un cadre où ces derniers peuvent exercer ces act ivi tés
; e t la formule du
Club tend à se général iser du moins dans les deux ou t rois pr
incipales vi l les du
pays.
Ains i , l e s r é su l t a t s de l ' enquê te -consomm at ion ne
couvren t en fa i t qu e l e s
pra t iques de type moderne t e l l e s que ce l l e s nécess i t
an t des dépenses pour
l 'acquis i t ion d 'apparei ls , d 'ar t ic les de spor t e t de
biens durables , a ins i que les
d iver t i s sements cu l tu re l s payan t s ; en somme, ce t t e
enquê te ne fa i t appara î t r e que
les lo is i rs qui font l 'obje t d 'une dépense. Or , nous re
levons dans la socié té
marocaine la f réquence d 'act iv i tés de lo is i rs qui ne nécess
i tent pas une dépense
considérable . Ce sont pour la plupar t des formes de lo is i rs
hér i tées des t radi t ions
auxquel les s 'a t tache encore le Marocain en dépi t de son
engouement pour les
loisirs modernes - quand il en a les moyens - et que pratique la
majorité de la
populat ion qui ne peut prétendre au lois i r moderne (12)
2 . L e s p r a t i q u e s t r a d i t i o n n e l l e
s
Dans son l ivre sur "La vie quot idienne à Fès en 1900",
Roger Le Toumeau
écr i t à propos des lo is i rs : "La vie économique, som me
toute paisible, laissait
d'assez nombreux loisirs: tous (les habitants de Fès) riches et
pauvres,
bénéficiaient d'heures libres mêm e dans la journée; si l'on se
levait tôt, on cessait
de travailler dès le milieu de l'après-midi, et la soirée restait
disponible". Cet
au teu r pass e en revue une sé r i e de p ra t iques auxq ue l les
s ' adonna ien t l e s Fassi au
début du s iècle e t qui résument les occupat ions des Marocains c
i tadins au cours de
leur temps l ibre , autrefois . Toutes ces prat iques se maint
iennent plus ou moins de
nos jou rs se lon les mil ieux e t les régions . On peut les
regroup er en t ro is
catégor ies se lon qu 'e l les sont prat iquées à domici le , dans
la rue , ou dans la
banl ieue de la vi l le .
a) Les loisirs à domicile:
- Les récept ions de parents e t amis , lors des fê tes famil ia
les , sont une
première occasion de dis t ract ions , courante autrefois , e t qui
se maint iennent bien
de nos jours . "Trois éléments leur donnaient du prix:
l'élégance, la musique, la
cuisine; on pouvait ajouter, pour les gens d'âge, la conversation"
(K.Le To um ea u,
1965). Aujourd 'hui , le s réce pt io ns à l 'occasion des fê tes
famil ia les ( f ian çai l le s ,
(12): Dans ce qui suit nous ne cherchons pa s à mettre en
évidence l'opposition
"traditionnel/moderne", fort contestée aujourd'hui, mais à passer
en revue les
pratiques de loisirs héritées du passé et qui, parfois, sinon
souvent, sont associées
à des formes de loisirs récentes.
3 1
mariages, circoncision, retour de pèlerinage aux Lieux Saints,
septième jour de la
naissance) sont données, surtout en période estivale, par toutes
les couches
sociales que ce soit à la campagne ou en ville.
- En dehors de ces occasion s de fête s, le s soirées de tous les
jours é taien t
souvent occupées par les veillées familiales au cours desquelles
les petits et plus
grands suivaient avec attention les passionnants récits des anciens
de la famille.
Aujourd'hui, ces occasions de cohésion familiale deviennent de plus
en plus rares.
Elles sont remplacées ou concurrencées par la Télévision qui
accapare le rôle
d'animation dans la majorité écrasante des foyers et le contexte
familial s'y prête
de moins en moins à la suite de la dissolution, en ville, de la
famille élargie.
- Les jeux de soc iété au sein de la famille éta ient so uven t ré
serv és aux
hommes et aux en fa nt s. Le jeu d'échecs éta it déjà courant
parmi, les familles
bourgeoises de Fès au XVIème siècle (Hassan El Ouazzane (Léon
l'Africain), cité
par R. Le To um ea u). Aujourd'hui, les milieux in tel lec tu els y
jou ent encore
fréquemment. La classe populaire préfère le jeu de dames et,
surtout, celui des
cartes espagnoles , appelé Honda, pratiqué aussi à Fès
autrefois.
- Les inv ita tio ns amicales à des repas, suivis de la
consommation de thé,
étaient et sont encore l'occasion d'une des distractions les plus
recherchées, à
savoir la conv